samedi 16 décembre 2017

Il faut le dire et le redire : la recherche scientifique n'est pas réduite à l'expérimentation ; il faut du calcul. Quel bonheur !

Une discussion, aujourd'hui, à propos  des méthodes de la science, avec des amis venus du monde de la chimie et de la biochimie et qui, en confiance, m'avouaient avoir des difficultés avec les calculs (c'est un fait que de nombreux étudiants attirés par les "sciences, technologie, technique", mais qui n'aiment pas calculer vont plutôt en biologie ou en chimie qu'en physique). 

La discussion a tourné autour de cette phrase de l'un d'entre eux :

"Est-on vraiment obligé de passer par les équations ?".
En d'autres termes, peut-on faire de la recherche scientifique sans calcul ? 



On se rappelle que, jusqu'à plus ample informé, la science produit des connaissances par le mouvement suivant : 

1. identification d'un phénomène, centrage sur ce dernier

2. caractérisation quantitative du phénomène

3. réunion des innombrables données de mesure en lois "synthétique"

4. recherche de mécanismes compatibles quantitativement avec les lois

5. recherche d'une prévision théorique testable

6. expérience pour tester la prévision

J'ai souvent réclamé publiquement que l'on me contredise, à propos de cette méthode, mais la seule chose que l'on m'ait objectée, c'est que les sciences de l'humain et de la société ne fonctionnent pas ainsi... ce que je sais parfaitement, puisque ce sont les sciences de la nature qui m'intéressent de façon professionnelle et pour lesquelles je propage la méthode ci-dessus. Sans contradiction, je dois donc continuer d'avoir l'idée présentée plus haut... en reconnaissant que le chemin tout entier n'est pas obligatoire : une personne qui ferait une partie du chemin est déjà sur la voie de la science de la nature. 

Finalement, peut-on donc se passer d'équations ? 

Pour l'identification d'un phénomène, sans doute... bien que, souvent, et surtout dans notre XXIe siècle qui a déjà bénéficié de beaucoup  d'avancées, les phénomènes soient souvent décrits par des équations. 

Pour la caractérisation quantitative des phénomènes ? Souvent il s'agit d'utiliser un instrument de mesure, dont le fonctionnement repose souvent sur des équations. Par exemple, imaginons que nous fassions des études rhéologiques, à l'aide d'un viscosimètre qui mesure les deux paramètres G' et G'' : on peut évidemment se limiter à enregistrer les valeurs et à les afficher, pour montrer des variations... mais on aura fait un simple travail technique, et l'on n'aura pas "compris" les variations. De même pour de l'analyse chimique, où l'on aurait utilisé un appareil de résonance magnétique nucléaire pour produire des spectres, avec des signaux que l'on aura éventuellement attribué à des protons particuliers de molécules  particulières. De même pour de l'analyse thermique différentielle, de même pour de la spectroscopie infrarouge, de même pour... Oui, pour un travail technique, on peut éviter des équations et se focaliser sur les signaux recueillis, que l'on captera par des logiciels où les équations sont mises en oeuvre, masquées à l'utilisateur tout comme les engrenages d'une boîte de vitesse d'automobile sont invisibles au conducteur. 

Pour la réunion des données en lois ? En science des aliments, il y a souvent l'affichage des valeurs de mesure sous la forme de graphiques, où des variations apparaissent. Dans une dizaine d'articles  que je viens de regarder (les dernières publications que notre groupe avait recueillies, sur des thèmes variés : la créatine dosée dans l'urine par RMN, la peronatine dans des champignons, les composés odorants du chocolat...), il n'y avait pas d'équations, et les courbes étaient interprétées par des propositions non quantitatives. Autrement dit, c'est un fait qu'une large partie de la communauté se passe des équations, dans cette tâche particulière. 

La recherche de mécanismes fondés quantitativement sur les lois dégagées ? Là, on rejoint ce qui vient d'être dit, à savoir que de nombreux articles de science des aliments ne font pas ce travail... où les équations s'introduiraient. 

Enfin les tests des prévisions expérimentales : souvent, on part d'équations que l'on teste, puisque les équations sont les modèles quantitatifs. 



Finalement, l'équation est partout, et, sans doute non, on ne "peut pas éviter les équations"... mais quelle formulation !
Ne devrions-nous pas plutôt dire : peut-on faire de la science (de la nature) en se privant du bonheur du calcul ? 









Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

Les doctorants ne sont pas des étudiants, mais de jeunes scientifiques


Alors que nos écoles doctorales s'ingénient à rigidifier les  systèmes administratifs, multipliant les comités de thèse, les rendez-vous doctoraux, etc., il n'est pas mauvais de s'interroger sur les raisons qui conduisent à ces changements. 
Oui, il faut éviter le cas où des doctorants seraient livrés à de très  mauvais directeurs de thèse, en maillant un peu le système, en éviter le face à face désastreux d'un doctorant et d'un directeur de thèse médiocre ou nuisible.
Oui, il faut éviter le cas où des directeurs de thèse seraient face à de très mauvais doctorants, ce qui pourrait mettre leur groupe de recherche en péril. Oui, il faut éviter…

Mais on n'oubliera pas :
1. que les « mauvais élèves » (mauvais doctorant, mauvais directeur de thèse, et, plus généralement, toute personne malhonnête, paresseuse, autoritaire…)  se font une spécialité d'échapper aux lois qu'on fait précisément pour lutter contre leurs agissements nuisibles ;
2. que la France est un pays où  la lourdeur administrative est considérable, au point que le grand chimiste Pierre Potier avait proposé  de toujours supprimer trois comités (il les nommait des « comités Théodule ») quand on en introduisait un nouveau, sous peine de se trouver enseveli sous une montagne de lois, de règles, de prescriptions impossibles à connaître et à appliquer ;
3. surtout, que les thèses en mathématiques se font très bien sans tous ces systèmes administratifs encombrants, au point que l'école française est reconnue dans le monde : le directeur de thèse donne un sujet au doctorant, qui travaille dans son coin, sans parfois même rencontrer son « directeur », produisant de son côté, créant des objets nouveaux…

On m'objectera que les mathématiques ne  sont pas une science de la nature, une science où l'expérimentation est importante, et cela est vrai, mais je  répondrai aussi que  les doctorants ne sont plus des étudiants : oui, j'insiste pour être bien clair : les doctorants, même si on leur accorde une carte d'étudiants qui leur fait avoir divers avantages – restaurant universitaire, musées à prix réduit, etc.-, ne sont plus des étudiants ; cela est un statut reconnu nationalement et internationalement. De sorte que c'est une erreur que de les mettre dans une position d'étudiants. Donnons leur la liberté  de produire leur propre science, et mettons les directeurs  de thèse au service de leur recherche. Favorisons la créativité, au lieu de produire des assistés, portés difficilement par des structures qui s'alourdissent de jour en jour.


Bref, allégeons les processus ! Faisons grandir nos amis !

















Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

Combien peut-on mettre de beurre dans une purée ? Vous n'en croirez pas vos yeux ni vos papilles

Combien peut-on mettre de beurre dans une purée ? 


La purée de pomme de terre s'obtient par cuisson des pommes de terre, que l'on écrase ensuite, en ajoutant éventuellement un liquide (par exemple du lait). Parfois, on ajoute sel, noix de muscade, poivre... et beurre !
Du beurre ? Certains cuisiniers se font une joie d'en ajouter beaucoup, ce qui contribue certainement au plaisir gourmand. On parle de recettes avant autant de beurre que de pommes de terre.

Soit, mais prenons plutôt la question différemment : combien de beurre peut-on mettre, au maximum, dans une purée de pomme de terre ? 


Nous ferons un détour par la mayonnaise, avant de répondre.
Pourquoi la mayonnaise ? Parce que c'est une émulsion, et  non pas une mousse, comme le disent certains cuisiniers qui confondent émulsions et mousse. Là, il faut prendre une seconde pour rectifier l'erreur, tant elle est tenace... et propagée avec autorité par des ignorants.

Une mousse, c'est une dispersion de bulles d'air dans un liquide. Par exemple, un blanc d'oeuf battu en neige est une mousse. Une émulsion, c'est la dispersion de matière grasse liquide dans un liquide : c'est bien le cas de la mayonnaise, avec une dispersion d'huile dans l'eau apportée par le jaune d'oeuf et par le vinaigre.
Evidemment, il y a des cas hybrides, comme la crème fouettée : la crème est clairement une émulsion, mais si on la fouette, elle prend du volume parce que le fouet y disperse de l'air sous la forme de bulles piégées dans l'émulsion, et l'on obtient une émulsion foisonnée.
Au fait, au siphon ? Selon les cas, on obtient des systèmes variés, mais le plus souvent, les siphons permettent de disperser des bulles d'air, de faire foisonner. Et au mixer plongeant ? Là, tout se rencontre : on peut  aussi bien émulsionner de l'huile dans un liquide pour faire une émulsion (une mayonnaise, par exemple) qu'utiliser l'appareil pour foisonner, produire une mousse. Ce n'est donc pas l'appareil qui détermine le résultat, mais l'usage que l'on en fait. D'ailleurs, pour ce mixer plongeant, si on l'utilise pour faire tourner des vis, en adaptant le système, on en fait un tournevis... qui ne fera donc pas d'émulsion. Et si on l'utilise pour taper sur des clous, on en fait un marteau. Bref, j'y revient, ce n'est pas l'appareil qui détermine le résultat obtenu, mais l'usage que l'on en fait.

Et j'enchaîne donc en revendiquant que, par respect pour nos interlocuteurs, nous cessions de confondre mousses et émulsions.
Une mousse, c'est du gaz, mais une émulsion, c'est du gras.
 Et j'insiste encore un peu : pas de bulles d'air dans une mayonnaise ! Si elle "monte", si elle prend du volume, ce n'est pas en raison de la présence de prétendue bulles d'air, mais parce que l'on ajoute beaucoup d'huile : aucun espoir de mincir en mangeant beaucoup de mayonnaise.
Enfin, coup de grâce, le mot "émulsion" a été introduit par Ambroise Paré en 1560 pour désigner des préparations comme le lait... qui sont donc des émulsions, avec des gouttelettes de matière grasses dispersées dans de l'eau. 


Cette question étant réglée, restons à la mayonnaise, qui est donc une émulsion, puisqu'on l'obtient en dispersant de l'huile sous la forme de gouttelettes dans une phase liquide. Combien de mayonnaise peut-on faire à partir d'un jaune d'oeuf ?
Au début de l'ajout d'huile, le fouet (par exemple, ou la fourchette, ou le pilon) disperse l'huile sous la forme de gouttelettes dans la phase liquide. Puis, progressivement quand on arrive à environ 70 pour cent d'huile (et donc 30 pour cent de phase liquide), il n'y a plus de place pour d'autres gouttelettes d'huile... sauf si elles se déforment, et c'est bien ce qui se passe.
 La limite, c'est 5 pour cent de liquide, et 95 pour cent d'huile : autrement dit, pour un jaune d'oeuf, c'est environ 300 grammes d'huile que l'on peut émulsionner.
Evidemment, si l'on ajoute du vinaigre, c'est plus de place pour les gouttes d'huile, et une possibilité d'ajouter plus d'huile... comme l'avait bien dit Madame Saint Ange. Après un certain stade (ce qu'ignorait Madame Saint Ange), ce sont les molécules "tensioactives" du jaune d'oeuf qui viennent à manquer, mais j'ai calculé que l'on peut faire environ 60 litres de mayonnaise à partir d'un jaune d'oeuf... à condition d'ajouter du liquide : eau, lait, vin, thé, bouillon...

De sorte que nous pouvons enfin arriver à la purée. Une pomme de terre, c'est 80 pour cent d'eau. De sorte que pour 100 grammes de pomme de terre (ou de pomme de terre écrasée), on a 80 grammes d'eau. Or rappelons-nous l'ordre de grandeur : dans une émulsion, la phase liquide peut se réduire à 5 pour cent du total. On calcule donc que l'on peut ajouter 1,5 kilogrammes de beurre fondu.

Oui, je répète : si l'on si prend bien, on peut ajouter un kilo et demie de beurre fondu à 100 grammes de purée ! Je ne dis pas que ce sera bon, mais je dis que nos amis cuisiniers sont loin du compte ;-)





Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)
Ce matin, un groupe d'élèves me contact pour avoir des informations sur la cuisine note à note.

Je me réjouis, tout d'abord, car ces élèves sont de ceux qui ont compris que la cuisine moléculaire est dépassée, et que c'est la cuisine note à note qui sera présente demain.
Mais il faut que je leur réponde, et voici leur message : 

Nous souhaiterions réaliser une viande "note à note". Nous avions trouvé une recette qui s'en approchait légèrement : le Dirac qui se trouve sur youtube, mais nous n'avons pas de renseignements sur la quantité et les ingrédients utilisés. 


La première des questions est : qu'est-ce que la "viande" ? Il peut y avoir une définition du dictionnaire, une définition réglementaire... Par exemple, pour le TLFi, la première définition est " Aliment dont se nourrit l'homme; nourriture quelconque", mais c'est une définition dépassée, et l'on conservera donc plutôt :
"Chair comestible d'un animal".

Or la cuisine note à note est une cuisine de synthèse, qui n'utilise pas les ingrédients classiques que sont les viandes, poissons, légumes, fruits... mais des composés.
Une "viande note à note", c'est donc impossible ! Aucune construction note à note ne sera jamais une viande, et aucune viande ne peut faire de cuisine note à note !

Les diracs, dans cette affaire ? C'est parce que je copiais la composition moléculaire des viandes, avec environ 75 pour cent d'eau et 25 pour cent de protéines que j'ai cherché un nom qui ne soit pas "viande" : on se rappelle que le commerce des denrées alimentaires doit être loyal ; ce qui est de la viande est de la viande, et ce qui n'en est pas n'en est pas.
Bref pour mes reproductions de viande (reproduction de viande du seul point de vue de la composition), j'ai introduit le nom de "dirac". D'ailleurs, je discute tout cela dans un article dont je vous conseille la lecture : https://www.academie-agriculture.fr/publications/notes-academiques/n3af-2016-6-note-de-recherche-what-can-artificial-meat-be-note-note

Faire un dirac ? Rien de plus simple : dans un récipient, mettre une cuillerée à soupe de protéines, trois cuillerées d'eau, une rasade d'huile, des colorants, des composés sapides et odorants, éventuellement des vitamines, des oligo-éléments... Et cuire comme un steak, à la poêle.

On obtient comme un steak, mais ce n'est pas de la viande : c'est un dirac... et quand c'est bien fait, c'est TRES BON !










Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)
Dans un débat avec des amis des sciences de l'humain et de la société, j'ai été confronté à l'expression "sciences exactes" : la terminologie est de mes amis, et pas de moi, qui ait décidé de ne parler que de sciences de la nature, dont j'exclus les mathématiques, puisqu'elles sont d'une autre nature, même si demeure ce grand débat entre mathématiques découvertes et mathématiques inventées.


Sciences exactes ? Je propose de ne pas confondre le savoir (ou prétendu tel, surtout en matière de sciences) et la recherche du savoir, à laquelle je propose de réserve le nom de science. La science, dans cette définition, est donc la recherche de savoir.

Sciences exactes ? Il me semble qu'il y a là une difficulté de même nature que dans "sciences humaines", à savoir un emploi ambigu de l'adjectif.
Commençons par  "sciences humaines"  : c'est un pléonasme, car la science est une activité de l'être humain, et de nul autre espèce. Généralement, ce pléonasme est une périssologie. Sciences de l'homme ? C'est mieux, mais la femme ?
Sciences exactes ? Cela voudrait indiquer que certaines activités de recherche du savoir sont "exactes" ? Que serait donc une activité exacte ? Selon le TLF (le seul qui vaille), le terme "exact" signifie "Conforme aux règles prescrites, aux normes, à la convenance, aux usages, qui s'y conforme".

Nos amis des SHS qui parlent de sciences exactes pour les sciences de la nature voudraient-ils alors dire que leur propre activité n'est pas conforme à leurs propres règles ? Qu'elles ne suivent aucune norme ?
Je croyais pourtant -on me l'a assez répété- que les historiens avaient leur méthode, tout comme les sociologues, ou les géographes ? Les philosophes ?

Laissons-les de côté, afin de ne pas compliquer un débat qui n'est déjà pas parfaitement clair (quelle méthode commune entre Héraclite, Platon, Nietzsche ou Meyerson ?).
Pour les sciences de la nature, oui, il y a des canons, lentement élaborés, et qui se retrouvent aujourd'hui dans la structure des publications scientifiques, qui collent à la description que je propose (et qui n'a toujours pas été réfutée ou critiquée), à savoir :
- observation d'un phénomène
- caractérisation quantitative du phénomène
- réunion des données quantitatives en lois synthétiques
- recherche de mécanismes quantitativement compatibles avec ces lois
- recherche de prévisions expérimentales testables
- test expérimental en vue d'une réfutation de la théorie proposée
- et ainsi de suite.

Toutefois, cette conformité des sciences de nature ne peut conduire les scientifiques de la nature (on voit que je distingue la science et ceux qui la font, sans quoi on tombe souvent dans des erreurs terribles) à prétendre à l'exactitude de leurs descriptions du monde, pas plus que les sciences de la nature ne prétendent à la description exacte du monde, et encore moins à la "Vérité" !
Il faut user d'une rhétorique vraiment nauséeuse, détestable -celle de l'homme de paille- pour le faire penser.



Bref, je propose que nous abandonnions tous l'expression "sciences exactes".
Pour les sciences de la nature, je propose que nous utilisions l'expression "sciences de la nature" ou "sciences quantitatives", à moins qu'une nouvelle expression reste à inventer ? 


















Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)    
Une amie m'interroge :

Comment faire des sucettes salées, notamment pour les personnes qui sont nourries par une sonde, et qui n'ont plus le plaisir du goût ?



Les chewing-gum seraient une solution, mais il y a le risque d'avaler, et ce serait désastreux pour les personnes qui ont été opérées d'un cancer de l'oesophage. Les sucettes, elles, ne présentent pas cet inconvénient.

Analysons, donc. Une sucette, c'est du sirop qui a été "vitrifié", parce qu'on la refroidit rapidement. La viscosité a alors augmenté considérablement, de sorte que les molécules de sucre n'ont plus la possibilité de migrer dans le matériau, et de former des cristaux, par un empilement régulier.

C'est donc un verre que l'on doit proposer aux personnes qui doivent seulement avoir du goût. Un verre ? Pour l'obtenir, il faut un système visqueux... tel celui d'un blanc d'oeuf ou d'un gel de gélatine que l'on fait sécher. Oui, les feuilles de gélatine sont transparentes, vitreuses, et les blancs d'oeufs que l'on fait  sécher se transforment en des feuilles craquantes et jaunes. Dans les deux cas, la réhydratation reforme la solution, en libérant lentement les protéines.

Ces verres n'ont pas de goût... mais qu'à cela ne tienne : il suffit d'en mettre.
Par exemple, imaginons qu'on mette un arôme alimentaire dans un blanc d'oeuf que l'on fait sécher. Ou bien en faisant sécher un aspic. On obtient alors le goût que l'on veut.
Tiens, une recette : faisons un coq au vin, et prenons la sauce ; ajoutons-lui des protéines (poudre de blanc d'oeuf, gélatine, protéines végétalees) ; faisons sécher. On obtient un verre qui a le goût de la sauce initiale.


J'avais en réalité proposé cette invention il y a longtemps, et j'avais proposé à mon ami Pierre Gagnaire de faire ainsi des "verres de vin", dont on trouvera la recette sur son site : http://www.pierre-gagnaire.com/#/pg/pierre_et_herve/travaux_precedents/24







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)    

Neutralité de la science

Dans les débats politiques (au sens large, ceux qui concernent les citoyens), il est parfois question de "neutralité de la science".

Je maintiens absolument que la science est neutre... mais que les scientifiques ont (et c'est leur droit) des points de vue, en plus des connaissances qu'ils s'échinent à avoir.



Commençons par la science : c'est une activité humaine, tout comme respirer, ou bien se promener en forêt. Et, de ce point de vue, la science n'a pas de point de vue, puisque ce sont les humains qui ont des points de vue, des a priori, des idéologies.
Donc la science est neutre.

Bien sûr, j'aurais dû commencer par discuter ce "neutre" : de quoi s'agit-il ? Veut-on dire qu'elle serait ni de gauche ni de droite ? Qu'elle n'aurait aucun parti ? Evidemment oui, puisque c'est une activité, et non pas une personne.
Et, ipso facto, les scientifiques, eux, ne sont pas neutres, puisque certains font cas du mérite, du travail, d'autres (pourquoi pas les mêmes?) de la solidarité, d'autres militent pour plus d'équité, etc.
Mais cela concerne les individus dans leur vie, et  la question est aussi de savoir si ces points de vue, ces "valeurs" retentissent dans l'activité scientifique ?

Là, il faut expliquer que l'activité scientifique cherche les mécanismes des phénomènes par une méthode qui est la suivante :
- identification d'un phénomènes : cette fois, il y a bien une question de choix
- caractérisation quantitative du phénomène : j'y vois la plus grande "neutralité"
- réunion des données quantitatives en équations nommées "lois" : là encore, c'est vraiment très neutre
- recherche des mécanismes, collections cohérentes de lois
- recherche d'une conséquence théorique
- test expérimental de la conséquence théorique.
On le voit, il n'y a que la première pierre de l'édifice qui peut être d'un bord. Par exemple, s'interroger sur la prévalence d'une maladie génétique dans un groupe humain particulier, c'est déjà isoler ce groupe humain... dont on verra bientôt que ses frontières sont floues. Mais quand même, ce n'est pas parfaitement neutre.
En revanche s'interroger sur l'existence du boson de Higgs, ou sur les interactions de solutés dans un gel, ou dans les mécanismes des frottements, là franchement, je vois mal l'écart à la neutralité, et il faut sans doute être un peu tordu pour l'y chercher.

L'Inra ? Cet institut de recherche, on l'oublie, a contribuer à donner à manger à la France après la guerre, et nous oublions trop souvent que notre système alimentaire est fragile, précaire, et qu'il y aura 10 milliards de bouches à nourrir en 2050. Que feront nos beaux parleurs pour y parvenir ? Et n'oublions-nous pas trop souvent, dans les gesticulations à propos du gluten ou des sucres ajoutés, que nous sommes la première génération à ne pas avoir connu de famine... DANS TOUTE L'HISTOIRE DE L'HUMANITE ?
Mais au delà de ces questions de "sécurité alimentaire", il y a des questions de sécurité sanitaire des aliments : il faut dire et redire que nos aliments n'ont jamais été si sains... au point que les normes réglementaires deviennent très difficile à tenir... et que les citoyens, eux, s'en écartent allègrement : par exemple, alors que les réfrigérateurs devraient être à la température de  4 °C, nos concitoyens sont très peu à avoir cette température... et ils font la plupart des mauvais gestes, conserver les cartons d'emballages, mettre des aliments chauds, nettoyer avec des éponges douteuses...

Mais je ne jette pas la pierre : je me contente d'observer que les dénonciations sont faciles, et que l'être humain est humain, avec ses forces et ses faiblesses.
Les scientifiques ont la volonté d'agrandir le domaine du connu, et je ne suis pas là pour dire que c'est mieux ou moins bien que de réparer des plomberies, de vendre des chaussures ou de faire du pain (on observe que je ne prends que des exemples de l'activité privée, pas du service public). Ils sont femmes et hommes, avec leur culture, leurs envies, leurs forces et leurs faiblesses, leurs opinions... même si leur métier les conduit à sans cesse s'interroger sur leur propre conduite. Certains sont de gauche, d'autres de droite, d'autre macronistes, d'autres sont peut-être écologistes, etc.


Mais cela ne concerne pas "la science". Cette dernière est parfaitement neutre... parce que ce n'est pas une personne !

Vive le calcul !


La science, c'est le calcul, et le calcul, c'est un grand bonheur...


La massification des systèmes d'enseignement a conduit un nombre croissant de citoyens à juger que le calcul, les mathématiques, étaient rebutants. D'une part, avec des classes nombreuses, les enseignants du premier degré (l'école) et du second degré (le collège, le lycée) n'ont que difficilement la possibilité de faire comprendre aux jeunes les merveilles du calcul, du raisonnement abstrait, formel.
Sans compter que nombre d'enseignants eux-mêmes n'apprécient pas toujours ces beautés.


Pourtant... Pourtant, le calcul est  la clé de raisonnements raisonnements généraux, puissants.
Et pourtant, son abstraction n'est pas synonyme d'éloignement particulier par rapport au réel, contrairement à ce que l'on dit hâtivement, car un enfant qui pleure après sa mère n'est-il pas dans l'abstraction, dès le berceau.
Et nos catégories mentales ne sont-elles pas toutes abstraites ?


D'autre part, ce que l'on a suffisamment expliqué, c'est que les pères du calcul formel, tels Leibnitz, Descartes..., ont précisément créé ce calcul parce que les mots étaient encombrants et qu'ils cherchaient des moyens rapides, efficaces, de manier, les idées, les catégories.
Le calcul fut donc inventé afin de soulager l'esprit, pas de l'embarrasser. Le dire, l'expliquer, devrait être une priorité de cet enseignement.
Au lieu de plonger dans la technique immédiatement, on ferait mieux d'expliquer les raisons de cette technique, les raisons pour lesquelles on a mis cette technique au point, lentement, au cours des siècles.



Un exemple ? Un jour, au XVIII e siècle, un physicien nommé Georg Ohm branche un fil métallique aux bornes d'une pile, et il mesure la différence de potentiel et l'intensité du courant. Il change alors de différence de potentiel, et mesure à nouveau une nouvelle intensité de courant ; puis une autre différence de potentiel, et ainsi de suite...
Regardant les mesures, il observe que la différence de potentiel semble proportionnelle à l'intensité du courant : quand la première est doublée, la seconde aussi. Pour en avoir le coeur net, il calcule le quotient de la différence de potentiel par l'intensité... et il observe, ô merveille!, que le quotient est presque toujours le même. Pas exactement, mais presque !
Il se dit alors que ce sont les erreurs inévitables des mesures qui sont à l'origine des variations, et il énonce que le rapport est en réalité constant. Il trouve une régularité du monde.
Le rapport ? Il le nomme la résistance du fil, sa résistance électrique, une mesure de combien le fil résiste en quelque sorte au passage du courant électrique.

Il y a beaucoup de couples de valeur différence de potentiel -intensité du courant : de quoi remplir une page et des pages, mais si l'on décide de nommer par la lettre U la différence de potentiel et par la lettre I l'intensité du courant, les quotients calculés s'écrivent U/I.
Notons R la résistance et nous obtenons l'égalité R = U/I. Evidemment, puisque nous avons abstrait la différence de potentiel, puisque nous l'avons remplacée par une lettre, nous pouvons mettre n'importe quelle valeur pour cette lettre.
Autrement dit, la relation est R = U/I est universelle : elle s'applique pour n'importe quelle valeur de la différence de potentiel, pour n'importe quelle valeur de l'intensité du courant, pour n'importe fil, caractérisé par sa résistance électrique, à condition que ces valeurs soient toujours liées par la relation R = U/I.
Imaginons que nous ayons maintenant entre les mains le fil dont Ohm est parti. Avec l'égalité R = U/I, il n'est plus nécessaire de faire l'expérience : si nous connaissons la valeur de la différence de potentiel que nous allons appliquer, alors nous pouvons calculer, prévoir, l'intensité du courant qui traversera ce fil métallique.


Dans cet exemple, le calcul est réduit à sa plus simple expression : une égalité, un quotient. Dans d'autres cas, évidemment on enchaîne les équations aux équations, les égalités aux égalités, et l'on monte un échafaudage de plus en plus haut.
Pour arriver au sommet de cet échafaudage, il faudra partir évidemment de la base, il serait d'une présomption inouïe que de vouloir atteindre le sommet sans passer par les différents niveaux.
Bien sûr, certains d'entre nous sont plus agiles, grimpent plus vite, et atteignent plus vite le sommet, mais nous devons tous doivent passer par les mêmes échelons.
Ceux qui n'ont pas l'habitude de montrer ainsi d'étage en étage de calcul trouveront cela difficile, mais ce n'est difficile que pour eux, et ils doivent doit se réjouir, avec au beaucoup d'optimisme, que, l'entraînement les rendra capables de grimper de façon plus agile.
Oui, c'est cela une des beautés du calcul : comme nombre de capacités humaines, le calcul s'apprend, l'on en devient de plus en plus agile à mesure que l'on s'entraîne.
Travaillez, prenez de la peine, c'est le soin qui manque le moins, disait le bon Jean de la Fontaine.



Pour en revenir en calcul, nous avons l'obligation morale de dire à tous autour de nous qu'il s'agit de quelque chose d'amusant, de passionnant, de facile... Et comme le calcul est une des composantes essentielles des sciences quantitatives, nous n'avons pas à nous forcer pour clamer : vive le calcul !







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)   

Pour une crème anglaise, deux méthodes, et, donc, deux préparations


On fait une crème anglaise : on mélange des oeufs et du sucre, et les recettes indiquent de fouetter pour faire « le ruban ». De quoi s'agit-il ? Est-ce utile ?



Faire le ruban, cela signifie fouetter de sorte que la préparation, initialement bien jaune, blanchisse. Si l'on regarde bien, on observe que les grains de sucre, qui donnaient une apparence granuleuse à la sauce, ont progressivement disparu : on pressent que le sucre s'est dissout dans l'eau apportée par le jaune d'oeuf, et, en effet, un jaune d'oeuf, c'est 50 % d'eau. La consistance, change, également. Et je vous invite à ne pas lésiner sur le travail : ce n'est pas un début de changement que l'on peut voir, mais une transformation considérable. Pour ce qui me concerne, j'ai arrêté de faire le ruban à la main, parce qu'il est bien mieux fait à la machine.


Est-il utile de faire le ruban ? 

L'expérience qui consiste à ne pas faire le ruban, à laisser les jaunes d'oeufs et le sucre sans les agiter, montre que, effectivement, faire le ruban est utile : sinon, le sucre « cuit » le jaune, ce qui signifie que si on laisse le jaune et le sucre pendant un certain temps et si l'on essaye ensuite de fouetter, alors les grains de sucres subsistent sans se dissoudre. Or il faut bien que le sucre se dissolve, pour donner un goût sucré !

Cela étant, il reste le phénomène de l'éclaircissement de la couleur, et, pour le comprendre, il faut utiliser un microscope, qui montre une myriade de bulles d'air toutes petites, dispersées dans dans la préparation. De même que les bulles d'air dispersées dans un blanc d'oeuf, initialement jaune et transparent (oui, le blanc d'oeuf est jaune), font un blanc en neige blanc et opaque, de même le jaune d'oeuf que l'on fouette devient la somme du blanc plus du jaune, c'est-à-dire jaune pâle, quand on le souhaite vigoureusement et qu'on y introduit de nombreuses bulles d'air.

Tout cela est bien joli, mais culinairement, à quoi bon ? Lors d'un de nos séminaires, nous avons donc comparé deux crèmes anglaises identiques en tout point à l'exception du ruban, qui était fait sur une moitié de la préparation et pas sur l'autre moitié. Nous avons ensuite ajouté le lait, puis cuit de la même façon les deux préparations, c'est-à-dire en faisant des huit avec une spatule qui raclait le bien le fond de la casserole pendant qu'on la chauffait, et nous avons organisé un test sensoriel avec l'aide des participants du séminaire de gastronomie moléculaire.


Le résultat était clair :
les crèmes anglaises où l'on fait le ruban sont plus mousseuses, plus onctueuses en quelque sorte que les autres. Évidemment, dans certaines circonstances, on ne souhaite pas que la crème anglaise soit ainsi, et on la voudrait plus régulière, plus homogène.

Toutefois l'expérience nous met maintenant en possession de deux crèmes anglaises, l'une légèrement mousseuse et l'autre non.


Autrement dit, la recherche en gastronomie moléculaire conduit à disposer de deux outils culinaires au lieu d'un seul. Et c'est ainsi que la cuisine de demain sera encore plus belle que celle d'aujourd'hui !









Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)   

Une sauce merveilleuse : la sauce kientzheim


Cette fois, laissez-moi vous parler, comme promis, d'une sauce absolument extraordinaire, que j'ai nommée sauce kientzheim.




Pour comprendre la nouveauté, partons de la sauce mayonnaise.
Elle s'obtient en mêlant du jaune d'oeuf et du vinaigre, puis en ajoutant de l'huile goutte à goutte pendant que l'on fouette.
Pas de moutarde, sans quoi on obtient une sauce rémoulade, et non plus d'une sauce mayonnaise. Les sauces mayonnaise et rémoulade sont différentes, parce que la moutarde apporte un savorisme particulier. Pourtant ces deux sauces sont des émulsions, elles sont cousines.

Émulsion : cela signifie que ces sauces sont constituées d'une myriade de gouttelettes dispersées dans la phase aqueuse, dans l'eau apportée par le jaune d'oeuf et par le vinaigre. Le mot « émulsion » fut introduit en 1560 par Ambroise Paré, chirurgien de plusieurs rois de France, et le mot vient de emulgere, qui en latin signifie traire. De fait, on trait les vaches pour obtenir du lait, lequel est une émulsion, composé de gouttelettes de matières grasses dispersées dans l'eau : le lait effectivement est un cousin physico-chimique de la sauce mayonnaise. Ou, plus exactement, la sauce mayonnaise et une cousine artificielle (ce qui signifie : un produit de l'art) du lait.

D'autre part les gourmands connaissent et apprécient les sauces hollandaises et béarnaises : ces deux sauces sont des cousines physico-chimiques, qui ne diffèrent l'une de l'autre que par l'emploi d'estragon dans la béarnaise, pour simplifier.
En principe, on les produit en chauffant du jaune d'oeuf avec de la matière grasse, et il y a plusieurs procédures possibles, mais, dans tous les cas, l'oeuf coagule,  ses protéines faisant de microscopiques agrégats qui donnent de la consistance à la sauce.
Cette fois, le système physico-chimique n'est plus l'émulsion, mais la « suspension émulsionnée » : « suspension », parce qu'il y a des agrégats microscopiques solides en suspension dans le liquide ; « émulsionnée », parce qu'il y a effectivement de la matière grasse, le beurre fondu,  qui a été divisée en gouttelettes,  dispersées également dans la phase aqueuse.

Faisons maintenant la synthèse : dans les sauces hollandaises comme dans les sauces mayonnaise, il y a la matière grasse, mais cette matière grasse n'est pas la même. Dans la mayonnaise, c'est de l'huile, mais dans la béarnaise, c'est du beurre fondu. Le beurre fondu ? Quel délice !


Pourrait-on alors produire une émulsion où la matière grasse serait du beurre fondu ? C'est cela la sauce kientzheim.

La recette : fondons préalablement du beurre, en le chauffant, puis attendons qu'ils refroidisse un peu, sans quoi il ferait cuire les jaunes d'oeufs ;  on l'ajoute alors à du jaune d'oeuf en le fouettant comme si c'était de l'huile  d'une mayonnaise. La sauce obtenue est une sauce kientzheim, une émulsion, et non une suspension ou une suspension émulsionnée.

En pratique ? Je vous propose de partir d'un jaune d'oeuf,  de lui ajouter le jus d'un citron, beaucoup de poivre,  un peu de sel, et d'utiliser plutôt que du beurre fondu du beurre noisette fondu et pas trop chaud. Ajoutez en fin  de préparation quelque câpres, et vous aurez une sauce tout à fait extraordinaire.

Pourquoi ce nom de sauce kientzheim ? Pour mille  raisons compliquées, mais il suffira de dire que Kientzheim est le nom d'un village du Haut-Rhin, situé près de Colmar. Un merveilleux village médiéval, coquet, où il fait bon manger pour vivre. Bon appétit !








Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)    

L'innovation en matière de « cuisine » ?

Dans notre monde un peu snob, la « cuisine » est une activité bien prosaïque, bien peu « sérieuse »... mais l'industrie alimentaire fait-elle autre chose que de produire des aliments, tout comme les font les cuisiniers, mais à une autre échelle ?
Il suffit de regarder les rayonnages des boutiques pour constater que non : si innovation il y a, dans l'industrie alimentaire, elle concerne surtout les méthodes de production, leur sécurité, la régularité de la qualité, le conditionnement.

Donc que les cuisiniers ne soient pas timides : leurs « innovations » valent bien celles d'un monde « sérieux » (parce qu'il y a de l'argent en jeu).


Toute celle longue introduction pour observer qu'il est remarquable que l'on n'ait pas, pendant longtemps, véritablement tiré le meilleur parti des ingrédients alimentaires. Savez vous, par exemple, combien on peut faire de blanc en neige à partir d'un seul blanc d'oeuf ? Des litres et des litres, indique un calcul simple. En pratique, des élèves de lycée hôtelier parisien ont battu le record du monde, avec plus de 40 litres.

Comment cela est-il possible ? Partons d'un blanc d'oeuf, lequel est fait de 90 pour cent d'eau et de 10 pour cent de protéines. Battons : le fouet fait « foisonner » le liquide.
Autrement dit, le fouet introduit des bulles d'air dans le liquide,  et l'on obtient une mousse. Pas beaucoup, il faut le dire.
Après un certain temps, les bulles deviennent si petites et serrées qu'on ne les voit plus, que la mousse est « ferme », mais le volume n'augmente plus. Pourquoi ?

Il peut manquer de l'eau, des protéines, de l'air. Lequel fait défaut ? Pour le savoir, il suffit d'essayer, par exemple en ajoutant de l'eau, et c'est ainsi que l'on constate que l'eau manquait effectivement. On bat, on ajoute de l'eau, on bat encore, on ajoute de l'eau... et ainsi de suite, le volume augmentant de plus en plus.
En novembre 2013, des élèves ont ainsi battu pendant plus de deux heures et demie, au Rectorat de Paris, et ils ont obtenu plus de 40 litres. A partir d'un seul blanc d'oeuf !
Au fait, si l'eau ajoutée a du goût (jus d'orange, par exemple), et si l'on sucre, alors la mousse obtenue peut être cuite comme une meringue, et l'on obtient l'invention que j'ai nommée « cristaux de vent ».


N'est-ce pas que les applications de la science quantitative sont belles ?





Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)    

Nous sommes ce que nous faisons


Sur mon ordinateur, en fond d'écran, il y a marqué "Mir isch was mir macht", ce qui signifie Nous sommes ce que nous faisons...

Je profite d'une semaine où les rendez vous ne sont guère publics (pour ce qui me concerne, interventions dans des congrès scientifiques, construction de programmes de travail, recherche de financement, rédaction de publications, travaux de calcul et de science, enseignement) pour examiner la chose avec plus de recul.
Nous sommes ce que nous faisons ? Oui, il faut donner ce message encourageant aux jeunes qui n'ont pas le sentiment d'être très intelligent, à ceux qui voient des camarades réussir à l'école, au collège, au lycée, alors qu'eux-mêmes ont des notes médiocres... alors que les autres leur disent qu'ils ne travaillent pas. 
C'est un mensonge ! Il n'y a guère de miracle, et quelqu'un qui sait, c'est quelqu'un qui a appris. Soit parce qu'il ou elle a été particulièrement attentif (car l'école, le collègue, le lycée, il n'y a guère de choses difficiles), soit parce qu'il ou elle a travaillé.


Labor improbus omnia vincit, le travail acharné vient à bout de tout, dit le proverbe latin. Pour l'Alsacien, je propose un proverbe aménagé par mes soins : D'r Schaffe het süssi Wurzel un Frucht, le travail a des racines et des fruits délicieux.

Courage !

PS. A ce moment même, je vois dans la rue  une publicité qui écrit "Je suis ce que je fais". Ferais-je enfin école ?






Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)    

L'oeuf dur ? Il y en a mille !


On aura compris que ce blog est « détendu » : pas de politique, pas de religion, pas d'armée... sujets que la politesse recommandait d'éviter absolument, dans les diners bourgeois. Ici, rien que du bonheur, de l'enthousiasme. Et, aujourd'hui, me voici en position d'adorer ce que je brûlais : les mauvais oeufs durs. Avec le sourire, bien sûr !



Commençons par le commencement : il y a des années, voire des décennies (au moins deux), j'avais discuté la question de l'oeuf dur parfait, que je croyais être le suivant : écallage facile, blanc non caoutchouteux, jaune non sableux, pas de cerne vert, jaune centré dans le blanc, pas d'odeur de soufre...

C'est cette description qui m'a conduit à inventer les oeufs à 61°C, les oeufs à 62°C, les oeufs à 63°C, les oeufs à 64°C, les oeufs à 65°C, les oeufs à 66°C, bref, les oeufs à 6X°C... qui sont maintenant dans de très nombreux restaurants.

Tout semble donc bien dans le meilleur des mondes possibles, comme le disait Voltaire dans son Candide... à cela près que j'avais tout faux.

Oui, j'avais tout faux, à commencer par croire qu'un oeuf dur parfait pouvait exister.
Car j'ai rencontré des gens qui aiment les oeufs durs avec une odeur de soufre... parce que leur grand mère les leur faisait ainsi ! Et qui suis je pour leur imposer mon goût ?
D'ailleurs, même pour moi-même, l'oeuf dur parfait n'existe pas : certains jours, je les veux plus durs, d'autres fois plus mous...
Selon l'accompagnement, également, il les faut d'un certain type plutot qu'un autre.

Bref, la quête était plus importante que le résultat. De même, il vaut mieux se promener en montagne sans trop penser au sommet, sans quoi on est toujours malheureux de ne pas y être. Promenons nous activement.

Tout faux, également, parce que le soufre n'a pas d'odeur ! Le soufre est une poudre jaune, inodore... et c'est seulement ses dérivés (certains) qui sont odorants !

Enfin, et surtout, l'hydrogène sulfuré, qui est le gaz qui se forme lors de la cuisson prolongée des oeufs... est plus efficace que le Viagra ! Pas à haute dose, car il est toxique, mais à petite, à dose modérée.
Bref, mangeons des oeufs durs... en souriant.








Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)    

Vive le Palais de la découverte !


Discutant avec des étudants en stage au laboratoire, je m'aperçois que beaucoup ne connaissent pas le Palais de la découverte, notamment parce qu'ils habitent en province. Je dois donc prendre en un peu de temps, ici, pour expliquer ce dont il s'agit... et vous inviter tous à aller dans cet endroit merveilleux, à y aller, à y retourner, encore et encore !

Les présentations générales étant souvent un peu abstraites, je propose de considérer, par exemple, la salle consacrée à l'azote liquide.
Dans cette salle,  des sièges autour d'un démonstrateur qui fait des expériences.
Car c'est là l'une des marques essentielles du Palais de la découverte : faire des expériences afin de présenter des phénomènes, des avancées de la connaissance scientifique. 

En l'occurrence, le démonstrateur plonge, par exemple, une feuille d'arbre dans de l'azote liquide, liquide très froid, qui congèle instantanément l'eau  de la feuille : les  tissus végétaux deviennent alors cassants comme du verre... mais ils redeviennent souples quand ils se réchauffent. De même un tuyau de caoutchouc, plongé dans l'azote liquide, devient cassant, mais, quand il se réchauffe, il  reprend son élasticité.

Une expérience encore plus extraordinaire consiste à plonger un tison rougeoyant  non plus dans de l'azote liquide, mais dans de l'air liquide  : on voit alors une lueur bleue extraordinaire et le tison s'enflamme à nouveau dans certaines circonstances...

« Certaines circonstances » ? Je vous propose de ne pas répondre ici, et d'aller au Palais de la découverte, afin de voir par vous-même de quoi il retourne.
Ajoutons que l'expérience dont je fais état ici  n'est qu'une toute petite partie du Palais. Il y a mille choses passionnantes, des journées entières à passer au Palais de découverte, car les démonstrations sont nombreuses, pour la physico-chimie, la biologie, etc.


Vive le Palais de la découverte, qui doit absolument rester en plein centre de Paris, dans ce Grand Palais qui doit s'enorgueillir d'abriter le Palais de la Découverte. 










Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)    

Appliquons la loi de 1905 sur les produits alimentaires


Connaissez-vous la loi sur le commerce de 1905 ?

C'est une merveilleuse loi, puisque font, en substance, elle réclame que les produits alimentaires dont il est fait commerce soient sains, loyaux,  marchands.

Sain : cela signifie que les produits ne nous empoisonnent pas.

Loyaux : cela signifie que ce dit être vendu correspond à ce qui l'est vraiment. 

Marchand : cela signifie... Un  exemple simple : quand  : on achète des pommes,  le marchand  ne doit pas nous vendre des tonnes tallées, abimées, et c'est pour cette raison  que l'on voit les marchands des quatre saisons, les épiciers, les responsables de rayonnages dans les grandes surfaces, retirer progressivement, au cours de la journée, des produits endommagés.

Evidemment aucun produit n'est parfaitement sain, parfaitement loyal, parfaitement marchand ! Par exemple, à propos de santé : dans les girolles, réputées saines, il y a de l'amanitoïdine, un composé toxique de l'amanite phalloïde. Dans l'eau de vie, il y a de l'éthanol, l'alcool commun, lequel est un poison.
Toutefois c'est une bonne chose de ne pas confondre le gros et le détail. Le gros, cela consiste à  dire du vin, une eau-de-vie sont sains si l'on n'en abuse pas, par exemple.

C'est pour cette raison que la loi de 1905 est merveilleuse ! Nous pouvons chercher à l'améliorer  , car toute chose humaine est perfectible ; nous devons l'améliorer... mais quand même, cette loi est merveilleuse.





Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)   

Pour la science nommée chimie, une partie d'analyse, une partie de synthèse


La « chimie »  serait une grande famille, qui aurait la volonté de réunir des techniciens, des ingénieurs, des scientifiques ?

Pourquoi pas : toutes ces personnes se retrouvent autour de l'idée selon laquelle le monde est constitué d'atomes qui se réorganisent selon des lois particulières.
C'est donc, du point de vue de l'étude scientifique, quelque chose qui est de nature physique, puisque la physique est la science de la nature par définition, mais une branche de la physique particulière, car cette étude n'a rien à voir avec l'optique, ou l'électricité, ou l'hydrodynamique...

Et j'ai longtemps hésité, à propos du nom à donner à cette science, mais mes recherches historiques me montrent qu'il faut sans doute employer le nom de chimie pour l'activité scientifique qui étudie les réarrangements d'atomes.


Pour cette science, la tradition a toujours fonctionné avec au moins deux pieds : l'analyse et la synthèse.

L'analyse a toujours été essentielle, puis qu'il fallait comprendre la nature de la matière et son évolution.
Et la synthèse est essentielle, puisqu'elle construit des systèmes nouveaux que l'on peut analyser. D'ailleurs, il y a de la synthèse dans deux types d'activités : soit pour tester la nature, et en comprendre les lois ; soit pour obtenir des résultats, à savoir des médicaments, des pesticides (je répète qu'il vaut mieux des pesticides bien conçus que les pesticides naturels, non ciblés...).

Evidemment les individus dont l'esprit n'est pas assez élevé pour comprendre qu'il n'est pas nécessaire de dénigrer l'objet dont on veut faire l'éloge n'ont pas manqué d'abaisser l'analyse quand il faisaient de la synthèse, et vice versa. Mais les individus les plus éclairés, eux, savent qu'il faut deux pieds pour tenir debout.

Apprenons à dépasser ces querelles idiotes. Pour la chimie, il faut de la synthèse et de l'analyse, et c'est ainsi que la chimie est une science merveilleuse !






Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)  

La chimie est une science merveilleuse !


Quand je dis chimie, je dis  chimie, c'est-à-dire que je dis « sciences qui étudie les transformations de la matière », et ce que je ne confonds ni avec la technique de production des composés, ni avec la technologie qui utilise les résultats de la science chimique pour améliorer la technique. J'ai mis longtemps à le comprendre, mais c'est maintenant clair : la technique et la technologie fondés sur la chimie doivent recevoir d'autres noms que "chimie".


Par exemple, de l'eau que l'on chauffe s'évapore  : il y a une transformation, puisque la vapeur d'eau et l'eau liquide apparaissent différemment. Toutefois ce n'est pas de la chimie, puisque ce n'est pas là une activité de science. D'autre part, il  n'y a pas, ici, de "réactions", puisque les molécules sont toujours des molécules d'eau, qu'elles soient dans le liquide ou sous la forme d'un gaz nommé vapeur.
Au contraire,  si l'on fait passer de la vapeur d'eau sur du fer réduit en poudre (en pratique, il suffit d'utiliser un morceau de fer et une simple lime) et chauffé jusqu'à être rouge,  alors la vapeur d'eau se transforme en  un mélange de deux gaz qui ne sont plus de la vapeur d'eau : il s'agit de dihydrogène et de dioxygène. Les molécules ont été modifiées, et les propriétés des deux gaz n'ont rien à voir avec celles de la vapeur d'eau ; notamment, si l'on approche une allumette du mélange des deux gaz, il explose, alors que la vapeur d'eau, elle, n'a pas cette propriété. Cette fois, il y a eu réaction, et l'on devrait plutôt parler de transformation moléculaire.

La chimie est donc l'activité scientifique qui consiste à étudier les  transformations des molécules, et, plus généralement, les réarrangements d'atomes (il y a ici une petite subtilité de spécialiste, en ce sens que des solides tels que le sels ne sont pas composés de molécules, même s'ils restent évidemment composés d'atomes).

Mais nous sommes samedi, et je ne veux pas m'intéresser aujourd'hui à  la discipline scientifique que j'aime et que pratique, mais à la technique qui découle de la chimie, et qui continue de m'éblouir, parce que, par des actions simples comme chauffer, couper, broyer, illuminer, etc.,  on parvient à réorganiser les atomes.
Cela, le cuisinier le fait : quand il chauffe du sucre de table dans une casserole, les molécules de saccharose qui constituent le sucre de table sont modifiées, et il obtient une masse qui est classiquement nommée caramel, et qui est constituée d'autres molécules que celle de saccharose. Le cuisinier, par conséquent, opère des réactions moléculaires. Observons qu'il n'est pas chimiste pour autant : il n'est pas un scientifique qui étudie ces transformations, mais un technicien (certes, parfois doublé d'un artiste) qui les met en oeuvre.

Dans ce billet,  ce que je veux dire, c'est que la science de la chimie, la chimie, a produit des connaissances, est devenue progressivement capable de décrire les organisations d'atomes,  notamment en molécules, et que ces loi, règles, équations, permettent de prévoir des réactions qui n'ont jamais été faites.
Ce qui est extraordinaire, c'est que, à l'aide des descriptions  qui ont été patiemment mises au point par les chimistes du passé, les chimistes d'aujourd'hui deviennent capables de prévoir le résultat de réactions jamais imaginées, jamais pensées, jamais faites, et avec beaucoup de précision, de surcroit.
Pas en cuisine, toutefois... pour l'instant. Pas en cuisine, mais de nombreux sites, qui sont nommés souvent laboratoires. On écrit une équation toute simple, on observe son résultat, obtenue extraordinairement simplement.. et l'on constate que le résultat est juste quand on fait  l'expérience ! Quelle puissance extraordinaire de ces équations ! De ce fait, puisque la cuisine est une activité qui met en oeuvre des réactions moléculaires, on ne peut s'empêcher de se demander quand, enfin, les cuisiniers deviendront capables d'utiliser ce langage en équations de la chimie pour prévoir les résultats qu'ils obtiendront.

Vraiment la chimie est merveilleuse...









Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine) 

Ce fameux sucre ajouté

Cela fait trois chaînes de télévision de suite qui veulent venir dans mon laboratoire pour que, analyse à l'appui, je leur "démontre" que les industriels ajoutent du sucre dans leurs  produits. 




Les premières questions sont les suivantes : les industriels ajoutent-ils du sucre dans leurs produits ? Quelques industriels ? Tous les industriels ? Et puis, qu'est-ce qu'un "industriel" ?  Du sucre : dans quelques produits ? dans tous les produits ?

Puis vient la question suivante : en quoi l'ajout de sucre est-il un sujet qu'il faille discuter ?

Enfin la question importante : que des journalistes veuillent que je démontre qu'il y a du sucre ajouté dans les produits alimentaires de l'industrie, est-ce du bon journalisme ?



Je propose d'analyser tout cela calmement.

Les industriels ajoutent-ils du sucre dans leurs produits ? 
Là, c'est certainement non, car les industriels qui fabriquent du sel n'ajoutent pas de sucre dans le sel. Idem pour les industriels qui fabriquent de l'huile, par exemple.
Donc ce serait idiot de vouloir "démontrer" que les industriels ajoutent du sucre dans tous leurs produits. Et ce serait une grave faute professionnelle, pour des journalistes, de vouloir le démontrer. 


Quelques industriels ajoutent du sucre dans leurs produits ? 
Là, c'est absolument certain ! Pour faire des pâtisseries, le sucre s'impose, n'est-ce pas ? Et si ce n'est pas du sucre, c'est du miel, par exemple, ce qui revient au même.
Oui, cela revient au même, mais il faut expliquer ce qu'est le sucre, et ce que sont les sucre.
D'abord, le sucre le plus simple est le glucose. Nous en avons dans le sang, et il sert de carburant à nos cellules. Il nous en faut pour vivre, au point que des concentrations faibles dans le sang déclenchent la faim.
Ce sucre est un cousin du fructose, que l'on trouve dans les fruits, comme son nom l'indique, mais aussi dans les légumes, dans le miel...  et qui est aussi libéré, dans notre système digestif quand nous mangeons du sucre de table, ou saccharose.
Ce dernier est présent dans les légumes, dans les fruits, et donc pas seulement dans les cannes à sucre ou dans les betteraves. Quand il est divisé en deux parties dans le système digestif, la première moitié est le fructose, et la seconde moitié est le glucose.
Ajoutons que d'autre sucres sont dits "complexes", mais on devrait les nommer des "polysaccharides", tels la pectine qui fait prendre (naturellement ou artificiellement) les confitures, la cellulose (les "fibres" des aliments), l'amidon (de la farine, par exemple)...
Conclusion : ce serait idiot, de la part des journalistes, que de vouloir me faire montrer aux téléspectateurs que des industriels ajoutent du sucre dans leurs produits. 


Des industriels ajouteraient du sucre dans quelques produits ? 
Et pourquoi pas, au fond, car je sais que les cuisiniers professionnels ont l'habitude de mettre du sucre dans les sauces, par exemple. Pourquoi les cuisiniers professionnels qui travaillent dans l'industrie ne feraient-ils pas de même ? Il ne s'agit donc pas là d'une question d'un complot du grand capital qui voudrait nous rendre addictif (ça on a compris, depuis le début de ce billet, que c'est cela qu'il y a derrière la demande initiale), mais simplement une question de cuisine.
D'ailleurs, j'ajoute que les livres de cuisine traditionnels, tel celui de Madame Saint-Ange, préconisent d'ajouter du sucre dans les recettes de carottes à la Vichyssoise, par exemple, et je connais nombre de chefs qui, à la place, mettent du miel, par exemple.
J'ajoute aussi que quand on cuit longuement de la farine, la chaleur décompose l'amidon... et fait libérer du glucose. D'où ma proposition : ayons rapidement un pot de glucose près du fourneau !


Mais en quoi l'ajout de sucre est-il un sujet qu'il faille discuter ? 
Je sais bien que, par ces temps de plomb où règne l'orthorexie (la peur de manger), tout devient sujet à discussion minable. Et puis le sucre ferait des carie. Et puis il faut protéger les minorités, dont celles qui souffrent du diabète. Et puis l'industrie du sucre serait une hydre tentaculaire (le grand capital) qui voudrait notre addiction ; elle serait certainement en cheville avec les fabricants de pizza ou des plats tout préparés pour nous faire manger du sucre (le complot, vous dis-je). Et puis il y a ce sucre dans les boissons qu'on veut nous faire acheter et qui nous rendent obèses (au fait, qui prend la décision, finalement ?). Bref, la faute est aux "industriels", et le "bon public" serait bien à plaindre...
Sans compter que quelques personnes surfent sur cette vague complotiste, vendant des livres de recettes "sans sucre ajouté", des régimes "sans sucre".  Et elles font leur promotion à la télévision. Quand ce sont des journalistes qui font cela, n'y a-t-il pas collusion ?


Que des journalistes veuillent que je démontre qu'il y a du sucre ajouté dans les produits alimentaires de l'industrie, est-ce du bon journalisme ? 
Cette fois, je fais naïvement état d'une vision du journaliste qui croit en l'honnêteté, la volonter d'informer justement, de faire de l'investigation propre. Arriver jusqu'à moi en ayant décidé que je montrerais qu'il y a des sucres ajoutés partout, c'est idiot et malhonnête. Mais ne plus vouloir venir (cela s'est produit la semaine dernière) parce que je n'étais pas prêt à vouloir dire et démontrer ce qui avait été décidé par la rédaction en chef, c'est encore pire.

J'ajoute que les deux dernières sollicitations, à ce propos des sucres ajoutés, les journalistes qui m'ont contacté appartenaient à des chaînes publiques. Est-ce cela, le "service public" ? Est-ce là un vrai service rendu au public ?
Je ne crois pas !

Mais il faut terminer sur une note positive. J'en propose plusieurs :
1. si vous voulez vous amuser un peu, allez en ligne voir cet épisode du Président, où Jean Gabin fait un discours politique au Conseil... mais ne manquez surtout pas la chute, avec les deux journalistes dans les coulisses
2. Tout cela m'a donné l'occasion d'expliquer ce que sont des sucres.
3. J'espère avoir été clair à propos de la question des "sucres ajoutés". 

vendredi 15 décembre 2017

bouillir de l'eau : quand mettre le sel ?

Aujourd'hui, une question :

"Je me permets ce message aujourd'hui pour vous poser une question technique : hier nous avons eu une discussion très animée sur le temps d'ébullition de l'eau salée. Est-ce que l'eau salée bout plus vite ou moins vite que l'eau non salée ?"



La réponse :
Il y a bien des années, j'avais étudié cette question.
Les faits, tout d'abord :

1. quand on ajoute du sel dans de l'eau, la température de l'eau diminue (facile à comprendre du point de vue physico-chimique, mais je propose de passer sur ce point, et de rester au fait) : environ 2 °C quand on met jusqu'à 250 g de sel pour 250 g d'eau (tout le sel ne se dissout pas, à température ambiante)

2. de l'eau salée bout à une température supérieure à de l'eau non salée : quelques degrés de plus avec les quantités d'eau et de sel indiquées en 1

3. quand on fait bouillir de l'eau salée, il faut apporter l'énergie pour chauffer l'eau à 100°C, et aussi pour chauffer le sel.


TOUTEFOIS :  quand on fait l'expérience, on ne voit pas de différence, aux incertitudes de mesures près. En effet, le contact de la casserole sur le feu, la façon de chauffer, etc. font que l'on peut avoir  temps de mise à ébullition plus long ou plus court, en pratique.









Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

Du bon usage de la crème

Couramment, les cuisiniers  ajoutent de la crème à un liquide, puis font réduire. Pourquoi ?

La pratique a de quoi choquer : quel belle odeur, au dessus de la casserole ! Pour le physico-chimiste, qui voit le monde microscopique avec les yeux de l’esprit, c’est du gâchis : pensons à toutes ces belles molécules odorantes qui sont perdues, et finissent dans les hottes aspirantes, au mieux dans les cuisines. Ne vaudrait-il pas mieux qu’elles finissent dans les assiettes ?

La crème est une de ses meilleures armes, pour y parvenir. Oui, la crème, car elle contient de la matière grasse et de l’eau. L’eau dissout les molécules sapides, et la matière grasse dissout les molécules odorantes. Autrement dit, tout ce qui accompagne la crème, lors d’une cuisson où elle est présente, a des chances de rester piégé, à condition qu’il y ait un couvercle.

Considérons le cas des champignons, par exemple. La cuisson classique, dite en cassolette, est d’une remarquable intelligence empirique, car, quand on chauffe à couvert des champignons,  du champagne, de la crème, sel et poivre, alors les champignons libèrent des molécules odorantes qui vont se dissoudre dans la matière grasse de la crème ; ils libèrent aussi des molécules sapides, qui, elles, vont se dissoudre dans la « phase aqueuse » faite par le mélange du champagne et de l’eau de la crème. Bref, tout ce qui sort des champignons  est retenu… à condition que l’on n’ait pas chauffé et que l’on ait ajouté un couvercle !

Oui, un couvercle, contre lequel les vapeurs viennent se refroidir, et, se recondensant, remettre dans le liquide les molécules qui auraient été éliminées par l’évaporation.

D’où la règle très importante à ajouter pour ce type de cuisson : il faut cuire dans la crème, sous un couvercle.


Le hic, c’est la réduction ! Oui, parce que, alors, l’eau de la préparation est évaporée. Or l’évaporation de l’eau entraîne avec la vapeur les molécules odorantes. C’est même un procédé ancien de la parfumerie que l’extraction des huiles essentielles à la vapeur d’eau. Si on veut faire chic, on peut dire « hydrodistillation », mais c’est la même chose (évidemment, on recondense les vapeurs, pour récupérer une huile essentielle qui flotte sur l’eau recondensée).
Alors, comment faire pour avoir une sauce liée, quand on veut crémer ?
Cela paraît tout à fait évident : puisque la réduction fait partir les molécules odorantes, une première solution consiste à distiller, disons simplement à récupérer les vapeurs de la réduction, puis à remettre dans la casserole la partie « huile » qui a été récupérée : ce sont des odeurs à l’état pur !
Pas pratique pour les petites quantités. Alors je  propose l’analyse suivante : la réduction permet d’éviter qu’il y ait trop d’eau dans la préparation, ce qui force à réduire. Or la crème apporte de l’eau au jus ou au produit initial, ce qui force à réduire.
Pourquoi ne pas réduire la crème par avance, doucement, en grande quantité, comme on fait pour le beurre clarifié, afin d’obtenir un produit concentré en matière grasse de la crème, que l’on ajouterait au produit ou au jus. Un couvercle, un petit chauffage qui n’élimine pas l’eau, et le tour serait alors joué !

Enfin, pourquoi ne pas imaginer que les cuisiniers réclament aux fabricants des crèmes déjà réduites, qu’il suffirait d’ajouter aux préparations, afin d’éviter les réductions ?





Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

Cornichons : préparons nous

A propos de cornichons, il y a deux questions essentielles : la couleur verte, et le croquant.

Pour le croquant, on dit qu'on l'obtient si l'on met des feuilles de vigne ou de chêne avec les cornichons... mais je ne crois pas que des feuilles soient d'une quelconque utilité.
Il est vrai que les cornichons industriels restent bien fermes, parce qu'ils sont trempés dans du chlorure de calcium. Les ions calcium pontent les pectines des parois cellulaires, bloquant leur hydrolyse, et pontant les cellules (même phénomène que quand une eau calcaire fait des lentilles qui ne s'amollissent pas).
Si l'on n'a pas de chlorure de calcium, il reste la façon qui consiste à chauffer doucement les cornichons (entre la température ambiante et 70 °C, de sorte que l'on active des enzymes pectine méthylestérase des cornichons, lesquelles conduisent au même résultat que le trempage dans une solution (un peu amère, d'ailleurs) de chlorure de calcium. C'est en vertu de ce phénomène que des légumes cuits à basse température sont désastreusement durs.

Bref, il y a du bon dans la méthode qui consiste à faire bouillir du vinaigre, et à le verser sur les cornichons, à attendre. Puis, quand c'est refroidi, à recommencer. Autre méthode plus moderne, plus "cuisine moléculaire" : mettre les cornichons dans le vinaigre et chauffer très doucement, assez longuement.


Pour la couleur, j'ai exploré les dictons anciens, mais je crois que nos cuisiniers d'antan se bourraient de cuivre : ils utilisaient d'ailleurs des "bassines à reverdir", bassines en cuivre que l'acide acétique du vinaigre attaque. 
Certes, ils avaient des cornichons bien verts... mais la pratique n'est pas saine  ! Et, depuis 1902, les producteurs de cornichons au vinaigre (artisans ou industriels) n'ont plus le droit d'utiliser du sulfate de cuivre pour colorer en vert, comme ils le faisaient à la suite des cuisiniers domestiques avec leur bassines à reverdir. Il faut dire que le cuivre n'est pas sain, en doses un peu importantes (raison pour laquelle il n'est peut être pas judicieux de faire les confitures dans des bassines en cuivre).
Il existe un brevet, nommé Veri-green, qui fait usage de sels de zinc, pour garder les couleurs vertes des légumes verts.

Mais, au fait, pourquoi vouloir des cornichons bien verts, faire croire qu'ils sont frais alors qu'ils sont conservés ?









Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

jeudi 14 décembre 2017

Une astuce : des feuilles de figuier pour attendrir les viandes ?



Ma passion publique pour les extraordinaires phénomènes qui se produisent lors des transformations culinaires me  conduit  à recevoir de nombreux messages par courriel, et, souvent, on me pose des questions sur la cuisine. Parfois,  mais parfois seulement,  j'affiche ces  questions sur le blog « gastronomie moléculaire » et je donne la réponse. Toutefois, pour une réponse que j'ai, il y a des millions de questions ouvertes. 

Voilà notamment pourquoi nous n'avons aucune difficulté à nous réunir chaque mois depuis maintenant plus de plus de 17 ans,  à l'Ecole supérieure de cuisine française, à Paris, pour nos séminaires de gastronomie moléculaire.
Dans chaque séminaire, nous considérons une question, une seulement, nous l'analysons, et nous faisons des expériences pour l'explorer.  Les comptes rendus de ces séminaires sont donnés sur mon site http://sites.google.com/site/travauxdehervethis/, notamment, et leur teneur est également donnée dans la revue La Cuisine collective.

Toutefois, nous sommes amenés à sélectionner très durement les questions que nous explorons au cours des séminaires, car certaines questions sont très « locales ». Pas inintéressantes, mais locales. Par là, je veux dire que leur  étude risque  de ne pas apporter grand-chose à notre connaissance, ou, du moins, de ne pas faire effondrer un très grand pan de la montagne de notre ignorance.

Par exemple, on me dit que la présence de feuilles de figuier dans une daube permet d'attendrir la viande. Est-ce vrai ?

Je n'en sais rien, et j'en doute.
Oui,  le suc du figuier  contient des enzymes protéolytiques, des protéases, qui attaquent les protéines de la viande, et attendrissent cette dernière. C'est d'ailleurs pour cette même raison que certaines populations enveloppent les viandes dans des feuilles de papaye, ces dernières libérant une enzyme protéolytique, une protéase, la papaïne.
Toutefois,  les enzymes sont elles-mêmes des protéines, c'est-à-dire comme des fils repliés sur eux-mêmes. Or l'activité  protéolytique des protéases, comme l'activité enzymatique des autres enzymes,  dépend de ce repliement. Ce repliement  très spécifique est perdu lors du chauffage,  et c'est la raison pour laquelle je doute  que des protéases puissent conserver leur action protéolytique lors d'une cuisson.
Bien sûr le mot « chauffage » n'a guère de sens, car sortir un poulet du congélateur, c'est déjà le chauffer. Il est donc essentiel de spécifier une température de chauffage. Dans une daube, si l'on atteint le frémissement, la température est d'au moins 80 degrés, une température à laquelle la majorité des  enzymes sont dénaturées, perdant leur activité. Et   voilà pourquoi je veux une action protéolytique des feuilles de figuier.

Bien sûr,  il pourrait y avoir des actions d'autres sortes, en raison d'un contenu en composés phénoliques, par exemple. On peut tout imaginer,  mais si l'on peut tout imaginer, pourquoi imaginer plutôt une action qu'une absence d'action  ? Il y a une infinité d'actions possibles et une infinité d'actions impossibles.

Faut-il perdre du temps à aller explorer d'abord le très improbable ? C'est là une question de stratégie, et aussi de circonstances, et  c'est seulement  au cas où la précision culinaire qui m'est indiquée  aurait une importance particulière que je crois  devoir me résoudre à y passer du temps.
Pour les feuilles de figuier et les daubes,  la précision n'a été donné qu'une fois, et je ne l'ai pas trouvé en dans les sources écrites. L'imagination humaine étant infinie, je crains  devoir ne pas m'intéresser expérimentalement à cette question.
Et vous ?









Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

Le constructivisme culinaire

Nouvelle cuisine, cuisine moléculaire, cuisine note à note... Voilà des tendances, plus ou moins durables, des courants qui animent ou animeront la cuisine. Ces dernières décennies, j'en ai proposé plusieurs qui n'ont pas eu de succès, sans doute parce que les temps n'étaient pas mûrs, que la difficulté était trop grande.

Par exemple, le constructivisme culinaire : cette affaire repose sur l'observation selon laquelle une gelée d'agrumes posée sur du saumon fumé fait un plat moins frais, en fin de dégustation que du saumon fumé posé sur une gelée d'agrumes.
Observons  d'ailleurs que les nappage des gâteaux sont souvent ainsi construits, avec la gelée par-dessus. Et si c'était une erreur ? Évidemment, dans le cas des gâteaux, ce que l'on veut, c'est faire une couche brillante en surface, le nappage s'impose par-dessus, mais le goût ?
Autre exemple, la présence de quelques brins d'un aromate tel que la ciboulette, le persil, le cerfeuil, le basilic, au-dessus d'un plat. Ces brins n'ont pas seulement une fonction décorative, et il suffit de faire l'expérience de goûter pour s'apercevoir qu'ils forcent à mastiquer longuement, et, donc, qu'ils augmentent goût.

En substance, c'est cela le constructivisme culinaire : construire le plat, en vue d'effets gustatifs particuliers.

On dira que toute la cuisine est ainsi conçue ? Non ! Le plus souvent, la cuisine n'est que l'exécution de recettes,  et l'on aurait bien intérêt à réviser toutes ces dernières selon l'idée du constructivisme culinaire.
Une choucroute ? Ce n'est  généralement qu'une accumulation. Un cassoulet ? Idem. Pourquoi ne pas faire mieux, pourquoi ne pas conserver les éléments et construire ?
Car derrière l'idée du constructivisme culinaire, il y a cette idée essentielle selon laquelle  le construit est « bon », parce qu'il signale aux mangeurs qu'on s'est préoccupé d'eux. On leur dit « je t'aime » : n'est ce pas suffisant pour qu'il pense qu'il y a de la beauté ?

Et c'est ainsi que je propose cette  hypothèse : le beau  serait-il le construit ? Regardons maintenant autour de nous : les arbres, les rues, les moindres éléments de notre environnement... Sont-ils beaux ? En voyons nous la construction ?









Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

Une de mes inventions anciennes : les liebig

Une sorte de paradoxe que de faire l'éloge de la technologie le dimanche, alors que la technologie est le métier de l'ingénieur, dont le nom a la même étymologie qu' "engigner" : le diable, raconte-t-on, engigna la mère de Merlin l'enchanteur, en vue de faire un pendant à Jésus Christ, de faire un fils qui perdrait l'humanité (mais un prêtre présent baptisa l'enfant à la naissance, de sorte qu'il perdit sa "malice", ne gardant que des pouvoirs surnaturels.
Vive la technologie ? La technologie permet la réalisation de l'utopie qu'est la science quantitative. D'accord, mais plus précisément ?
La technologie, c'est l'activité  qui cherche à appliquer les sciences quantitatives pour perfectionner les techniques. C'est un métier très particulier, et très extraordinaire puisqu'il transforme des connaissances en objets nouveaux du monde. Ces temps-ci, une partie frileuse du public refuse les avancées technologiques, les innovations techniques (et, même,  frémit à l'idée que la science poursuive son travail). Pourtant ces mêmes frileux utilisent des ordinateurs, des voitures, prennent le train, l'avion,  se brossent les dents avec des dentifrices dont ils ignorent tout de la constitution (pourtant bien perfectionnée par la technologie), portent des lunettes dont les verres sont des chefs-d'œuvre techniques...
Oublions donc ceux-là pour le moment et concentrons-nous sur la technologie. Elle doit être un état d'esprit,  comme je vais essayer de le montrer avec un exemple personnel. Un exemple qui a l'inconvénient d'être personnel (pardon, le moi est haïssable), mais qui, de ce fait, a l'avantage d'être attesté (alors que beaucoup de ce que l'on entend est douteux, de seconde main, etc.).
Cela se passe dans les années 1980 :  ayant compris que les protéines sont d'excellents  tensioactifs, qui permettent donc de faire des émulsions,  je vois une feuille de gélatine sur ma paillasse, au laboratoire. La gélatine ? C'est une matière faite de protéines. Peut-on  donc  faire une émulsion à partir d'eau, de gélatine et d'huile ? L'expérience n'est ni difficile ni longue,  et la réponse est immédiatement donnée : on obtient une émulsion.
Toutefois on n'a pas fait là une grande découverte scientifique, et une saine méthode scientifique doit nous pousser à quantifier les phénomènes, en l'occurrence à caractériser quantitativement l'émulsion. Un microscope fut donc utilisé : apparurent des gouttelettes d'huiles dispersées dans l'eau. Sur de telles images, les molécules de gélatine n'apparaissent pas, évidemment, mais on sait  (pour 1000 raisons chimiques) qu'elles sont soit aux interfaces, soit dissoutes dans l'eau. Où sont-elles ? Il faut passer du temps à cette question, répéter l'expérience, regarder,  regarder encore et... ... soudain, on voit deux gouttelettes d'huile voisines fusionner, puis deux autres, deux autres,  et ainsi de suite, mais contrairement à une coalescence telle qu'il s'en produirait si l'on avait fouetté de l'huile dans l'eau pure, la coalescence particulière des émulsions d'huile dans l'eau stabilisées par de la gélatine cesse de coalescer à partir un certain moment.
Voici l'état final :
2. Mayo gélifiée sans flash
Pourquoi ? Parce que l'émulsion est prise dans un gel physique.
Une émulsion prise dans un gel  physique ? Et si l'on en faisait de la cuisine ? Cela, c'est mon invention des « liebigs » (du nom du chimiste allemand Justus von Liebig, évidemment).
Remplaçons l'eau par un liquide qui a du goût, ajoutons  de la gélatine, ou tout autre composé qui permettra à la fois une émulsification et  une  gélification physique, utilisons de l'huile ou tout  autre corps gras sous forme liquide, et nous pourrons reproduire l'expérience, obtenir une espèce de sauce nommée liebig, un nouveau système, tout comme l'ont été mayonnaise,  crème fouettée,  parmentier, caramel, etc..
Moralité : les liebigs  sont une préparation nouvelle, maintenant bien comprise, fruit d'un transfert technologique. Il résulte de ce moment particulier  où l'on s'est demandé : "et en cuisine, qu'est-ce que cela donnerait ?" Ce moment particulier n'est pas un moment scientifique, mais un moment technologique.
Vive la technologie !




Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

Une de mes inventions : les gibbs

Dans un précédent billet, nous avons considéré les liebigs, des émulsions gélifiées.
Toutefois, il y a gélification et gélification ; certaines sont réversibles, dites « physiques », tandis que d'autres sont « chimiques ». Les gélifications chimiques sont des gélifications irréversibles, assurées par la formation de liaisons chimiques plus fortes que dans les gélifications physiques.
Un type particulier résulte de la formation de liaisons chimiques particulières nommées ponts disulfures, telles qu'il s'en forme lors de la coagulation de l'oeuf. De ce fait, on entrevoit aussitôt que l'on peut obtenir une émulsion gélifiée chimiquement en émulsifiant de l'huile dans une solution qui contient des protéines capables de coaguler, telles qu'il y en a dans le blanc d'oeuf, puis en faisant coaguler les protéines.

 La recette est extrêmement simple : fouetter de l'huile dans du blanc d'oeuf, jusqu'à obtenir une préparation épaisse comme une mayonnaise, mais blanche, puis cuire quelques secondes cette préparation au four à micro-ondes, afin d'obtenir la coagulation les protéines restées à la surface des gouttes d'huile. Et c'est ainsi que l'on obtient rapidement une émulsion gélifiée blanche et insipide.
J'ai nommé de ce système un « gibbs ». 

Blanches et insipides : est-ce rédhibitoire ? Pas du tout : il suffit de donner de la couleur et du goût.
Pour la couleur, tous les pigments ou colorants comestibles font l'affaire : les chlorophylles engendrant le vert, jusqu'aux caroténoïdes qui font le jaune, rouge, orange, en passant par les composés phénoliques des fleurs et fruits, qui font aussi du bleu, ou en passant par les bétalaïnes des betteraves.
Du goût : cela signifie de la saveur et de l'odeur. Comme il y a de l'huile dans la préparation, on conçoit facilement qu'il soit facile d'y dissoudre des composés odorants, le plus souvent solubles dans l'huile.
Pour la saveur, les composés sont solubles dans l'eau, ce qui tombe précisément bien, puisque le blanc d'oeuf initialement utilisé est composé de 90 % d'eau.

On le voit : finalement, il n'est pas difficile de fairedes gibbs au goût merveilleux ! note : je vous recommande un blanc d'oeuf que vous sucrez, puis vous émulsionnez une huile où vous avez fait macérer des gousses de vanilles, et vous passez au four à micro-ondes dans de jolies tasses. A servir avec un élément croustillant ou croquant, tuile aux amandes ou autre.




Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)