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mercredi 27 août 2025

A propos de dénominations : pensons à des "façons"

 La question des dénominations culinaires est bien difficile, et notamment parce que chaque chef fait "à sa sauce", varie les ingrédients selon son goût, au mépris de ce qui est consigné dans les recettes dont il s'inspire et dont il prend le nom pour nommer son propre plat.

Sans compter que nombre de praticiens connaissent mal  l'histoire de la cuisine et les raisons pour lesquelles les dénominations ont été choisies,  trompés en cela par les dictionnaires qui n'ont pas correctement fait le travail.

Et c'est ainsi qu'on en vient à croire que le poivre mignonnette est un poivre grossièrement moulu alors qu'on lit très bien dans le Cuisinier gascon, publié en 1740, sous la plume d'un Bourbon, que les mignonnettes sont de petits sachets dans lesquels on enferme les épices avant de le placer dans une préparation liquide.
Et c'est ainsi, de même, que les praticiens ignorent que les "mousselines" ne sont autres que des  farces cuites dans un linge léger nommé mousseline (tout comme on fait une terrine en cuisant une farce dans une terrine, en terre).

Bref, si l'on ignore la différence entre rémoulade (avec moutarde) et mayonnaise (sans moutarde), par exemple,  ou entre un beurre Colbert et un beurre maître d'hôtel, trompé notamment par  des textes culinaires écrits par des cuisiniers qui ignorent l'histoire de leur discipline et qui n'ont pas fait les recherches nécessaires, alors on ne sait plus où donner de la langue.

Quelle est la différence entre un beurre d'escargot et un beurre maître d'hôtel par exemple  ? Je propose d'examiner la question générale des dénominations sur cet exemple parce qu'il est éclairant.

Pour un beurre maître d'hôtel, il s'agit de malaxer du beurre avec du persil haché, du sel, du poivre et un peu de citron.
Rien à voir donc avec ce beurre d'escargot qui est plein d'ail et qui donc mérite un autre nom... tel que beurre d'escargot.
Pourrait-on le nommer beurre d'ail ? Pourquoi pas... sauf que le "véritable beurre d'ail", celui qui a été nommé avant moi, ne comporte pas de persil, mais seulement du beurre et de l'ail...


En tout cas, je propose de considérer que ces dénominations sont comme des dans un paysage montagneux. Il y aurait le pic beurre maître d'hôtel, le pic beurre d'escargot, le pic beurre d'ail, bien séparés. Entre eux, il y aurait toute une série d'intermédiaires. Par exemple, si l'on part d'un  beurre maître d'hôtel et qu'on ajoute un peu d'ail, alors qu'a-t-on ? Ou encore, si l'on ajoute de l'échalote ? Il serait bon d'utiliser l'expression "façon beurre maître d'hôtel" ou "façon beurre d'escargot" pour rappeler la préparation dans la direction de laquelle on se dirige.

En réalité, je connais bien peu de cuisiniers qui suivent exactement les recettes, et, sans ce "façon",  les dénominations qu'ils utilisent sont souvent illégitimes.

Terminons en signalant que l'examen des livres de cuisine anciens montre que, par le passé, certaines dénomination particulières ont été appliquées un peu différemment. La sauce la sauce espagnole de Marie-Antoine Carême n'est pas exactement celle d'Urbain Dubois et Émile Bernard, différant également de celle de Jules Gouffé... Cela doit nous conduire à penser que certains des pics évoqués sont parfois des sommets arrondis.



samedi 23 août 2025

Oublions les mauvais livres, utilisons le Glossaire des métiers du goût

Je retrouve dans ma bibliothèque un livre qui prétend donner l'origine des termes culinaires, et qui m'avait jadis paru "savant"... mais  le travail que je fais à la fois pour mes billets terminologiques des Nouvelles Gastronomiques (https://nouvellesgastronomiques.com/?s=terminologie)  et pour le Glossaire des métiers du goût (https://icmpg.hub.inrae.fr/travaux-en-francais/glossaire)  me montre combien ce livre est mauvais. 

Evidemment, on est dans une désagréable position quand on annonce ce genre de choses, et l'on s'expose à la fois à la colère des auteurs et aux hésitations de nos interlocuteurs... mais je crois utile de signaler les défauts de textes qui nous entravent, j'espère éviter à mes amis de perdre leur temps avec de tels documents. Au fond, avec ce livre, j'ai le même sentiment d'injustice que quand j'avais un mauvais professeur, je veux dire par là un professeur insuffisant et paresseux. Je me hâte évidemment de dire que ce type de personnes n'est pas la règle mais je me souviens quand même de mon émoi, enfant, et, je le répète,  ce sentiment d'injustice que je ressentais m'émeut encore aujourd'hui.

En l'occurrence, le livre que j'évoque est mauvais parce que l'auteur s'est limité à citer quelques occurrences un peu anciennes de termes qu'il discute : à la Conti, hollandaise, espagnole, Nantua, et cetera. 

Ce que l'on attend d'un livre l'étymologie, c'est évidemment les plus anciennes occurrences et non pas seulement quelques-unes qui ont été glanées ça et là dans des livres un peu anciens. Après tout, à quoi bon nous dire que tel terme se trouve dans le Guide culinaire en 1903, voir dans un livre de Pierre-François la Varenne un peu plus ancien ?
Ce qui compte, ce n'est pas l'anecdote, mais la comparaison raisonnée, la recherche des évolutions. 

Par exemple Marie-Antoine Carême, en 1901, dans son Art de la cuisine française au 19e siècle parle abondamment de la "sauce magnonnaise", notre mayonnaise d'aujourd'hui, récemment découverte alors, et il est intéressant d'indiquer que, dans 1848, soit un an après une réédition de ce livre, il écrit maintenant "mayonnaise" comme nous l'écrivons aujourd'hui. 

Il est intéressant d'observer, en comparant tous les textes  culinaires du passé, que les préparations peuvent être à la Chateaubriand, à la Châteaubriand, à la Châteaubriant, à la Chateaubriand... : il y a des viandes, mais il y a aussi un gâteau. Et les mythes sur la création du plat de viande sont... des mythes qui ne résistent pas à l'exploration historique.  J'ajoute que je ne donne pas d'ici les références de ce que j'avance, mais je les fournis dans le Glossaire des métiers du goût qui a cette particularité de ne pas prétendre donner la plus ancienne occurrence, mais de toujours la chercher et en tout cas de donner des références. 

Au fond, ce que je reproche au livre que j'évoquais, c'est d'avoir fait un travail bâché, d'avoir tourné toujours autour des mêmes livres classiques sans chercher plus loin,  alors que la Bibliothèque nationale contient tous les livres qu'il aurait dû consulter. 

Oublions le Trésor de la langue française informatisée pour ce qui est des termes de cuisine, car ils sont souvent absents. Oublions généralement le Dictionnaire de l'Académie française pour les mêmes raisons. Oublions le texte du CNRTL pour les mêmes raisons et reportons-nous plutôt au Glossaire des métiers du goût qui parfois, d'ailleurs utilise ces sources quand il n'a pas mieux, mais,  sinon,  se réfère à des textes culinaires anciens. 

Des textes sans lesquels la compréhension de la cuisine est impossible point par exemple une mignonnette est un petit sachet dans lequel on enfermait des épices, et ce n'est donc pas le poivre moulu grossièrement comme on le pense aujourd'hui. Les mousseline ne diffèrent des préparations des mousses que parce que l'appareil a été cuit dans un linge délicat nommé mousseline. Les gravances, notamment utilisées dans les oilles, sont des variétés de pois. Les nantilles, ou nentilles,  sont en réalité ce que nous nommons aujourd'hui des lentilles. À propos, je signale que ni le mot nantille ni le mot nentille n'apparaissent dans les trois sources que j'ai citées. 

Bref il y a lieu de travailler pour y voir plus clair, pour comprendre que ce que sont véritablement les préparations culinaires dont nous entendons le nom.

jeudi 21 août 2025

Je veux des additifs dans ma cuisine... et je dis cela sans être "vendu à l'industrie agroalimentaire", ni d'ailleurs à des industries que l'on nomme fautivement "chimiques"

 
Je veux des additifs dans ma cuisine... et je dis cela sans être "vendu à l'industrie agroalimentaire", ni d'ailleurs à des industries que l'on nomme fautivement "chimiques" 

1. Il y a quelques jours, à l'Ecole de chimie de Paris - Chimie ParisTech"- où j'avais été invité par les étudiants (quel honneur ! quel bonheur !), ma conférence a suscité des questions, et notamment une à propos des additifs alimentaires. 

2. En répondant, j'ai fait une petite erreur, parce que j'ai supposé que tous mes jeunes amis savaient ce dont il s'agit, mais, en réalité, ils sont baignés dans un discours cauchemardesque, de sorte que, même s'ils ont une vague idée de la chose, cette idée est erronée. 

3. Commençons par signaler que les additifs sont des "produits" : ils sont produits par des sociétés qui les produisent... de sorte qu'ils ne sont pas plus naturels que du coq au vin ou de la choucroute : je rappelle qu'est "naturel" ce qui n'a pas fait l'objet d'une transformation par l'être humain, et est artificiel ce qui n'est pas naturel. 

4. Enchaînons en signalant que ces produits peuvent être des substances, de mélanges de composés, ou bien des "composés", c'est-à-dire des groupes de molécules toutes identiques. Par exemple, la curcumine est le composé jaune majoritaire du curcuma. Dans la curcumine (E100(ii)), toutes les molécules sont ce que l'Union internationale de chimie pure et appliquée nomme justement "(1E,6E)-1,7-bis(4-hydroxy-3-méthoxyphényl)-1,6-heptadiène-3,5-dione". 5. Et précisons que les additifs alimentaires ne se confondent pas avec les auxiliaires technologiques (on devrait dire "auxiliaires techniques"), ni avec les aromatisants (on voit que je ne parle pas d'arômes, et je m'en explique plus loin). 

6. Un additif alimentaire est une substance (composés purs ou mélanges de composés) qui n'est pas habituellement consommée comme un aliment ou utilisée comme un ingrédient dans l'alimentation. Les additifs sont ajoutés aux denrées pour une raison technique, au stade de la fabrication, de la transformation, de la préparation, du traitement, du conditionnement, du transport ou de l'entreposage des denrées. Ils sont présents dans les produits finis. 

7. Les additifs alimentaires ont des fonctions diverses, comme par exemple : - garantir la qualité sanitaire des aliments (conservateurs, antioxydants), - améliorer l'aspect et le goût d'une denrée (colorants, édulcorants, exhausteurs de goût), - conférer une texture particulière (épaississants, gélifiants), - garantir la stabilité du produit (émulsifiants, anti-agglomérants, stabilisants). 

8. A noter que l'on distingue deux types d'additifs : dit "naturels" - c'est à dire obtenus à partir de micro-organismes, d'algues, d'extraits végétaux ou minéraux – et de synthèse. C'est idiot, car les additifs qui ont été extraits... ont été extraits, et sont donc artificiels, au sens du dictionnaire, lequel est notre seul juge en matière de communication. En réalité, on veut dire que les additifs sont soit extraits, soit synthétisés. 

9. La présence des additifs dans les denrées est mentionnée dans la liste des ingrédients soit par leur code (E suivi de 3 ou 4 chiffres), soit par leur nom. 

10. Un additif n'est autorisé en alimentation humaine que s'il ne fait pas courir de risque au consommateur aux doses utilisées. Et la preuve de leur innocuité ne suffit pas : pour pouvoir être utilisée, une substance doit aussi faire la preuve de son intérêt. Ainsi, les additifs alimentaires ne sont approuvés que si l'effet technique revendiqué peut être démontré et que si l'emploi n'est pas susceptible de tromper le consommateur. 

11. Avant d'être autorisés par la Commission européenne, les additifs sont soumis à évaluation de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa). Sur cette base, la Commission établit une liste positive (on ne peut utiliser que les additifs de cette liste) d'additifs autorisés auxquels un numéro E leur est attribué en indiquant les aliments dans lesquels ils peuvent être ajoutés et les doses maximales à utiliser. J'insiste un peu : les additifs, autorisés donc, font l'objet d'évaluations extraordinairement serrées ! Je vous invite à bien regarder ces conditions sur le site de l'Efsa. 

12. Et c'est un consensus international, avec la participation de toutes les agences nationales : l’évaluation et l’autorisation des additifs alimentaires sont encadrées et harmonisées au niveau européen au sein de l’Europe par les règlements CE/1331/2008 et CE/1333/2008. Oui, contrairement à ce que prétendent des marchands de cauchemars, on ne joue certainement pas avec la santé des citoyens. D'ailleurs, les évaluateurs sont eux-mêmes des citoyens, n'est-ce pas ? Et ils consomment ces produits, en font consommer à leur famille. Y aviez-vous pensé ? 

13. Toute information scientifique et technique nouvelle relative à des additifs autorisés est examinée avec une attention particulière et leurs conditions d'emploi sont reconsidérées, si nécessaire. Oui, il y a une veille scientifique constante, d'ailleurs un peu surabondante, avec les agences nationales (en France, l'Anses), en PLUS des agences internationales : l'Efsa en Europe, la FDA aux Etats-Unis... 

14. Une réévaluation européenne systématique de l'ensemble des additifs autorisés a par ailleurs été effectuée par l'Efsa. On ne dira jamais assez que les débats techniques des experts sont publics : libre à chacun d'y assister, preuve que tout cela se fait dans la plus grande transparence. 

15. Ne pas confondre les additifs avec les "auxiliaire technologiques", "supports d'additif" ou "auxiliaires de fabrication", qui sont des substances utilisée par l'industrie agroalimentaire durant la préparation ou la transformation d'aliments, et qui peuvent s'y retrouver, mais qui ne doivent pas légalement être mentionnée dans les ingrédients. Utilisés pour permettre, faciliter ou optimiser une étape de la fabrication d'un aliment, ils n'en constituent pas un ingrédient, à l'opposé des additifs alimentaires. Là, j'ai écrit "auxiliaire technologique", mais cela m'arrache la plume, car il s'agit seulement d'auxiliaire technique. La technologie, c'est une autre affaire que la technique ! 

16. Quant aux aromatisants, ce sont des produits destinés à être ajoutés à des denrées alimentaires pour leur conférer une odeur, c’est-à-dire une perception par voie nasale ou retro-nasale et/ou une saveur, c’est-à-dire une perception par voie linguale. Ils font également l'objet de réglementations très strictes. Sont exclus des aromatisant : les substances qui ont exclusivement un goût sucré, acide ou salé, parce qu’on retombe soit sur des denrées alimentaires « générales » comme le sucre ou le sel, soit sur des additifs réglementés par ailleurs, comme les acidifiants et les édulcorants, les aromates, épices et fines herbes, qui ne sont pas considérés comme des aromatisants. 

17. La réglementation définit six catégories d'aromatisants, dont les préparations aromatisantes, mélanges de composés obtenus à partir de matières premières naturelles d’origine végétale ou animale par des procédés physiques d’isolement ou des procédés biotechniques, c’est-à-dire la mise en œuvre d’enzymes ou de fermentations microbiennes. Ainsi un extrait de vanille ou une huile essentielle d’orange sont des préparations aromatisantes. Les substances aromatisantes sont au contraire des composés particuliers qui sont soit extraits, soit synthétisés (la réglementation actuelle en matière de dénomination est à revoir, parce qu'elle fait un usage trompeur du mot "naturel") ; quand il y a synthèse, on distingue des composés déjà identifiés dans la nature, et des composés jamais trouvés à ce jour.

 18. Je me souviens que rien ne vaut un exemple, pour clarifier les choses. La vanille, par exemple, est la gousse fermentée d'une plante. Elle doit son goût (odeur, et pas seulement) à des composés variés, mais le principal est la vanilline, ou 4-hydroxyl-3-méthoxybenzaldéhyde. Et, de fait, de la vanilline dans de l'eau donne un goût très semblable à la vanille. Semblable, mais moins "complexe" quand même, moins velouté, moins puissant... La vanilline est "extraite"... quand elle est extraite, mais elle peut être synthétisée, si elle est synthétisée. Les chimistes ont découvert qu'une modification chimique minime de la vanilline permet de produire de l'éthylvanilline, qui a un goût proche de la vanilline, en bien plus puissant. L'éthylvanilline est un composé artificiel, donc, et synthétique de surcroît. 

19. Tout cela étant plus clair (j'espère : n'hésitez pas à me demander des précisions, des explications, à me signaler des erreurs, des imprécisions), je me place maintenant en cuisinier, dans ma cuisine. Et là, je vois des substances qui peuvent m'être utiles. Par exemple, quand je veux donner de la couleur, pourquoi n'utiliserai-je pas un colorant ? Par exemple, quand je veux modifier la saveur, pourquoi n'utiliserais-je pas pas un additif modificateur de saveur ? Par exemple du bicarbonate pour combattre une acidité excessive que certains de mes convives n'aiment pas ? Par exemple, quand je veux gélifier, pourquoi n'utiliserai-je pas un gélifiant, telle la gélatine ou l'agar-agar ? Par exemple, pourquoi n'utiliserai-je pas l'éthylvanilline pour avoir un goût puissant qui rappelle la vanille ? Ou le 1-octène-3-ol pour donner un merveilleux goût de sous-bois, de champignon sauvage ? 

20. On le voit, il ne s'agit pas d'être "un faux nez de l'industrie chimique", ou "vendu à l'industrie", mais simplement de cuisiner de façon moins archaïque qu'au Moyen-Âge. Et je fais seulement mon devoir de citoyen en essayant d'éclairer mes amis sur des notions qui sont obscures pour eux... en les invitant à utiliser des additifs, des auxiliaires techniques ou des aromatisants. Cela fait en outre des décennies que je dis que si ces produits sont évalués, et sans risques, alors il nous les faut en cuisine ! 

 

PS. Des liens : https://www.anses.fr/fr/content/le-point-sur-les-additifs-alimentaires http://www.efsa.europa.eu/fr/topics/topic/food-additives http://www.efsa.europa.eu/fr/topics/topic/food-additive-re-evaluations https://www.academie-agriculture.fr/publications/publications-academie/points-de-vue/y-t-il-de-bons-et-de-mauvais-additifs-alimentaires https://www.academie-agriculture.fr/actualites/agriculture-alimentation-environnement/colorants-edulcorants-conservateurs-tout-savoir https://www.academie-agriculture.fr/actualites/academie/seance/academie/reevaluation-des-additifs-alimentaires-par-lefsa


Et j'ai reçu un commentaire : 

Merci pour cet éclairage très détaillé ! Parmi les recommandations alimentaires, on entend souvent qu'il faut limiter la consommation d'aliments ultra-transformés. Y a t'il une raison à cela, hormis le fait que ces aliments contiennent généralement beaucoup de sucre, de sel ou de gras ? Les transformations des aliments créent-elles des composés néfastes pour la santé, ou bien au contraire détruisent elles des composés bénéfiques ?

J'ai donc répondu : 

Bonjour et merci de votre confiance. Mais merci aussi de votre question, qui est d'une grande pertinence. 

La notion d'aliments prétendument ultra-transformés est très contestable, et elle a été introduite surtout idéologiquement, comme cela a été bien montré lors d'une séance publique de l'Académie d'agriculture de France, que vous trouverez ici : https://www.academie-agriculture.fr/actualites/academie/seance/academie/des-matieres-premieres-agricoles-aux-aliments-quel-impact-des 

D'autre part, il nous faut nous méfier d'une certaine épidémiologie nutritionnelle dont les résultats sont très contestables, comme on peut le lire dans le remarquable travail scientifique suivant : https://www.academie-agriculture.fr/publications/notes-academiques/1722020-n3af-2020-1-sante-et-alimentation-attention-aux-faux, par Philippe Stoop. 

Bref, il y a un discours idéologique qui n'est pas scientifique, et cela est donc nuisible collectivement. Par exemple, je suis heureux de vous annoncer un travail considérable qui a été fait à propos de nitrates et de nitrites dans les charcuteries : il montre qu'il y a lieu de ne pas gober tous les messages disant que ces produits seraient démoniaques ;-) : le rapport du Groupe de travail académique est pour très bientôt. Mais, pour moi : https://hervethis.blogspot.com/search?q=nutrition

jeudi 31 juillet 2025

A propos de cuisine (et du reste), soyons clairs et justes

Je comprends qu'avec cette seule phrase "La moutarde est le savorisme particulier de la rémoulade", on ne donne pas à comprendre correctement la question importante qui est discutée. 

Cette phrase a été écrite par le cuisinier français Philéas Gilbert en 1934, à propos de la mayonnaise, qui ne doit pas contenir de moutarde. 

Mais elle n'est pas claire... car  il faut  d'abord ce qu'est  la rémoulade : c'est une un groupe de sauces qui se préparent à partir de moutarde et d'un corps gras, en froid ou en chaud. Disons le mieux : depuis le moyen-âge, il y a des rémoulades froides et des rémoulade chaudes, mais toujours avec de la moutarde et un corps gras, souvent de l'huile.

Dans ce mélange, c'est évidemment la moutarde qui apporte le goût, et c'est en cela que la moutarde est bien le savorisme particulier de la rémoulade... à cela que  le mot savorisme n'est aucun dictionnaire, alors qu'il suffisait de parler de goût. D'autre part, le  particulier s'oppose au général, et il n'est pas synonyme de spécifique. D'ailleurs, le goût de la moutarde n'est pas  spécifique de la rémoulade, car bien d'autres préparations culinaires doivent leur goût à la moutarde : par exemple du lapin à la moutarde. 

Bref, la phrase donnée par Gilbert n'est  ni juste ni explicite.

dimanche 20 juillet 2025

De l'importance du geste pour les sciences de la nature et pour la cuisine

 
Aujourd'hui, je rapproche la question du chlore de celle de la crème chantilly. Oui le chlore ne se mange pas, contrairement à la crème chantilly, mais ces deux produits suscitent le même type d'observations, comme nous le verrons. 

 

Commençons par la crème chantilly dont la confection n'a jamais été traditionnelle dans ma famille. Ce fut une de ces petites victoires personnelles que d'arriver à faire ma première crème chantilly. Pourtant, rien de plus simple : on prend la crème, on la fouette, et elle monte en chantilly ; disons en crème fouettée, qui devient de la crème chantilly quand on ajoute du sucre. Bien sûr, quand il fait chaud, il vaut mieux avoir refroidi la crème et le récipient, avoir éventuellement ajouté des glaçons. Mais en règle générale, c'est tout simple. D'ailleurs, si je me répète, je ne parviens pas à ajouter grand chose à ce que j'ai déjà dit. Voyons : on prend une jatte (s'il fait chaud, on refroidit cette dernière) ; on y met de la crème, si possible fleurette;  on fouette, et après un temps compris entre 22 secondes et plusieurs minutes, on voit que les bulles ont une taille  qui diminue et, surtout, que la consistance change. C'est tout : quand on fouette de la crème, on a de la crème fouettée, et si l'on sucre, on obtient de la crème chantilly. Qu'ajouter ? Que si l'on a pas de crème fleurette, mais seulement la crème épaisse, alors on ajoute un peu de lait à la crème épaisse, mais pas trop sans quoi la préparation reste liquide même si l'on fouette longtemps. Bref, malgré mes contorsions intellectuelles, je ne parviens pas à rendre les choses compliquées :  rien de plus simple que de fouetter  de la crème pour faire de la crème fouettée, qui devient de la crème chantilly si on l'a sucré, ce qui contribue d'ailleurs un peu plus de fermeté. 

J'ajoute maintenant un point supplémentaire : je me souviens qu'il y a quelques années, le directeur commercial d'une grosse société alimentaire m'avait téléphoné pour me dire que mon livre Révélations gastronomiques, qui contenait les prescriptions pour obtenir une crème fouettée, n'était pas complètement suffisant, puisque, malgré la lecture attentive du livre, il n'avait pas réussi à faire une crème fouettée. Il était amical et nous décidâmes que j'irai chez lui pour dîner et lui montrer comment faire cette crème chantilly. Ensemble, nous avons donc pris une jatte, déposé de la crème dedans et je lui ai proposé de fouetter devant moi. Au bout d'un moment,  alors qu'il avait obtenu une crème bien fouettée, il continuait à fouetter, de sorte que je lui ai fait observer qu'il fallait s’arrêter, puis qu'il avait le résultat qu'il escomptait. Et c'est alors qu'il m'a demandé  : "Parce que c'est ça,  la crème chantilly ?"  Oui, il croyait qu'il devait obtenir la consistance des crèmes chantilly en bombe, qui sont bien différentes des véritables crèmes chantilly. En réalité,  il ne savait pas voir  qu'il avait obtenu le résultat visé, mais il savait faire la crème chantilly. 

J'en viens maintenant à la question du chlore : c'est un gaz vert, toxique, qui fut étudié par les chimistes du 18e siècle, et liquéfié pour là pour la première fois par Michael Faraday. Je parle du chlore parce que je viens de retrouver dans une biographie de Faraday tout une discussion sur l'instruction, et notamment le fait que tous les livres du monde, avec toutes les descriptions qu'il faut, ne sauraient remplacer le fait de voir un jour du chlore véritablement. C'est donc la même question que pour la crème fouettée  : on sait la chose, mais, tant qu'on ne l'a pas vue, il nous manque quelque chose. 

Cela nous rapproche d'une discussion préalable à propos des travaux pratiques, dans les études scientifiques, et le fait que ces séances pratiques sont en réalité indispensables, même pour des personnes qui comprennent parfaitement. Tant qu'on a pas appris à garder le capuchon d'une bouteille entre la paume de la main et les derniers doigts, tandis que les  autres doigts  servent à  verser, tant qu'on n'a pas pris l'habitude de ne jamais rien poser sur le premier carreau d'une paillasse, tant qu'on n'a pas appris à ne pas se toucher le visage avec les gants, tant que...  Et bien, on ne sait pas le faire ! 

D'ailleurs, il en va de même pour la bicyclette, nager, monter à cheval, jouer de la musique : il faut de la pratique, et aucune théorie n'est suffisante. Bref, je suis dans les traces de Faraday : il ne suffit pas de savoir tous les beaux principes, et il faut expérimenter !

mercredi 16 juillet 2025

Cuisinier : technicien, ou technologue ? Ou artiste ?

 
L'introduction (bienvenue) de "cours de technologie culinaire" dans les établissements de formation culinaire (1) a conduit un interlocuteur à m'interroger : les cuisiniers sont-ils des techniciens ou des technologues ? 

J'observe tout d'abord que l'on aurait pu  avoir un raisonnement similaire en disant : puisqu'il y a des cours de science dans les lycées hôteliers, les cuisiniers sont-ils des scientifiques ? Ou encore : puisqu'il y a des cours d'histoire dans les lycées hôteliers, les cuisiniers sont-ils des historiens ? Et ainsi de suite  ? 

Mais ce serait botter en touche, et je propose de partir de l'observation suivante : faire quelque chose (techne, en grec)(2), c'est faire est un travail technique, alors qu'essayer d'améliorer la technique est de la technologie. 

Et c'est ainsi que le grand Claude Bernard a écrit que la médecine est une technique, la recherche clinique/médicale  une technologie, et la "science de la médecine" a pour nom "physiologie" (3). Cela vaut pour la plupart des activités humaines : il y a la technique, la technologie et la science (de la nature), comme expliqué dans mon Cours de gastronomie moléculaire N°1.

Tout cela étant dit, à côté de cette première distinction, il y a celle qui concerne l'art : de nombreuses définitions ont été données, et l'on pourrait s'y perdre, mais on se limitera ici à observer que l'art  a quelque chose à voir avec les émotions, comme expliqué en détail dans cet autre livre, qui est à ma connaissance le premier livre d'esthétique culinaire (le mot "esthétique" désignant une branche de la philosophie). 

Et ces observations préliminaires peuvent être résumées par : Rembrandt était un artiste Un peintre mural est un technicien. 

Cela étant dit, on peut conclure que, pour les cuisiniers : - certains sont des artisans, car ils font de la technique avant tout (les protocoles se répètent, ils n'innovent pas vraiment) ; attention, dans cette catégorie, il y a les " artisans d'art ", qui répètent mais en mettant plus l'accent sur le beau que les autres). - certains cuisiniers sont des artistes (leurs plats sont pour l'esprit, pas pour le corps) Les cuisiniers qui essaieraient d'améliorer la technique culinaire seraient des technologues, mais si une personne passe son temps à améliorer les techniques culinaires, elle ne cuisine plus : c'est un technologue... et non plus un cuisinier. 

Et l'on n'oublie pas que "l'homme n'est pas un ustensile" (4): il n'est pas condamné à une "fonction" unique, comme une cruche, mais peut changer son activité.

 

Références 

1. https://www.onisep.fr/Ressources/Univers-Formation/Formations/Lycees/bac-techno-sthr-sciences-et-technologies-de-l-hotellerie-et-de-la-restauration : on observera que la terminologie est d'ailleurs fautives, parce qu'il n'y a pas de "science et technologie culinaires", mais de "gastronomie moléculaire et technologie culinaire". 

2. Technique, TLFi, http://stella.atilf.fr/Dendien/scripts/tlfiv5/advanced.exe?8;s=4111106430; 

3. Claude Bernard. 1865. Introduction à l'étude de la médecine expérimentale, Baillère, Paris. 

4. Les entretiens de Confucius, Jean Evi, Albin Michel, 2016

vendredi 9 mai 2025

Rissoles et ravioles

 

Un texte publié récemment dans un journal culinaire indique que les ravioles et les rissoles seraient des préparations identiques, mais cela mérite d'être discuté.
 
En effet, les « rissole » sont des pâtisseries déjà présentes en France au 12e siècle, aujourd’hui souvent faite de pâte feuilletée contenant une farce de viande, de poisson, cuite en friture profonde. Et le mot « rissole » vient de roux, rouge, puisque la surface brunit un peu.
En 1934, le pâtissier Pierre Lacam désigne sous le nom de « rissoles à l’anglaise » de la pâte feuilletée accompagnée de confiture d’abricot, mais c’est un pâtissier.
En 1906, le Guide culinaire est plus explicite :
« Rissoles. — Nom générique d'un Hors-d'œuvre chaud qui comporte essentiellement : 1° un salpicon, lié exactement comme un appareil à croquettes et bien refroidi, dont l'élément principal, soit : volaille, gibier, foie gras, etc., détermine la dénomination; 2° Une enveloppe de pâte, soit pâte à foncer fine, demi-feuilletage ou rognures, ou pâte à brioche commune sans sucre.
Les rissoles se traitent invariablement par la friture et se dressent sur serviette, avec persil frit bien vert, sans accompagnement. Chaque genre de rissoles prend une forme différente. »
Pourquoi pas, mais on sait que le Guide culinaire est plein d'erreurs, et, en tout cas, il ne donne aucune référence, avec, en outre, des auteurs qui se contredisent. Mieux vaut le Dictionnaire universel de cuisine pratique de Joseph Favre, antérieur de quelques années. Et là, on trouve que le mot viendrait de roussoler, même sens que brésole, brésoler, faire prendre une couleur dorée : ce qui est juste !
La définition ? De la viande hachée et saucée, enveloppée dans de la pâte et frite. Favre ajoute même que « La différence qui existe entre les ravioles et les rissoles consiste dans l'enveloppe, la forme et la cuisson : les ravioles se distinguent par une enveloppe à pâte ferme (nouilles) par sa forme carrée et par sa cuisson à l'eau, tandis que les rissoles comportent une enveloppe de pâte délicate, le plus souvent de feuilletage de forme ovale ou demi-cercle, panées et frites. Quant à la garniture, elle est absolument facultative et c'est elle qui en détermine le nom. Les rissoles diffèrent des cromesquis en ce sens que l'enveloppe de ces derniers est du pannequet ou de l'hostie, de forme carré-long, également panés et frits. »
C’est donc bien mieux, mais la mention (1889) reste récente. Pour Urbain Dubois, en 1876, il y a des rissoles de pâte fine (pas nécessairement feuilletée), et une panure à l’anglaise (œuf, farine, friture). Pour André Viard, au début du 19e siècle, c’est à nouveau du feuilletage, et une forme de chausson, avec une simple friture. Encore avant, le Dictionnaire des aliments et des boissons, en 1750, est réputé pour avoir colligé des informations anciennes, antérieures à lui. Et l’on y trouve finalement :
« Sorte de pâtisserie faite de viande hachée & épicée, enveloppée dans de la pâte & frite dans du sain-doux ; on fait d'abord de petites abaisses en forme de petite pâte ovale, on les remplit d'un godiveau fait de blanc de chapon, moëlle de boeuf, sel & poivre, le tout bien haché ; les rissoles faites, on les confit dans le sain-doux. On peut en faire en maigre avec de la farce de poisson bien hachée, & même des mousserons ; on les fait cuire auparavant avec beurre, fines herbes & épices, si c'est aux épinards ; si c'est aux mousserons on les fait cuire à l'ordinaire, on les hache bien menu, on les assaisonne d'un peu de sel, sucre, écorce de citron pilée ou râpée, & on les sert cuites au four avec sucre & eau de fleur d'oranger en servant. On appelle aussi les rissoles "oreilles de Parisien", parce qu'elles sont faites en forme d'oreille. »
Ici, on voit que la cuisson n’est pas nécessairement la friture ; le four est possible. En revanche, la forme semble bien déterminée, ainsi que le type de cuisson. 
Et, en tout cas, de bonnes rissoles sont un régal, tout comme de bonnes ravioles, mais les deux préparations sont clairement différentes.

vendredi 21 mars 2025

La pâte à choux, c'est de la "pâte royale"

 

Relisant la Suite des dons de Comus, un livre de cuisine publié par François Marin en 1742, je trouve une recette de "pâte royale" qui correspond en tout point à ce que nous nommons aujourd'hui une pâte à choux. 

Tout y est :  le dessèchement, l'ajout des œufs un par un jusqu'à ce que la consistance commence à devenir trop molle, et cetera. 

Notre pâte à choux serait-elle donc une pâte royale ? Consultant le Glossaire des métiers du goût ( https://icmpg.hub.inrae.fr/travaux-en-francais/glossaire/glossaire-des-metiers-du-gout ) je vois qu'un correspondant m'avait donné sans référence, ce qui est évidemment signalé, une origine (au conditionnel !) de cette pâte,  qui aurait été initialement une "pâte à chaud" avant de devenir la pâte à choux. 

Mais je vois aussi que figure dans ce paragraphe de définition une mention de Carême qui aurait amélioré la pâte alors qu'en réalité la recette de François Marin est exactement celle que nous connaissons.

 Je supprime donc cette mention de Carême qui n'a pas lieu d'être mais il reste à régler cette question de l'origine présumé de la pâte au 16e siècle, pour laquelle je n'ai aucune référence. 

 

lundi 17 mars 2025

A propos de mauvaise transmission

Alors que je relis des textes que je consacre à la terminologie culinaire,  je retrouve deux idées essentielles. 
 
Premièrement, il est extraordinairement étonnant qu'aucune référence ne soit jamais donnée dans les livres de cuisine  :  chacun y va de son affirmation, de sa recette, qui fait  table rase de tout ce qui s'est publié par le passé. 
Et c'est ainsi que naissent les plus grandes incohérences, les plus grandes confusions, les plus grandes ignorances, avec, ce qui est pire, la transmission d'informations fausses aux suivants. 
On aurait pu penser que les bons praticiens fassent l'effort d'un peu de rigueur de ce point de vue, même si je leur reconnais évidemment le droit de créer des variations pour les recettes classiques, d'ajouter ou non une pincée de noix muscade dans une purée, d'ajouter ou non une pincée de cannelle dans un appareil à boudin, de changer les proportions des ingrédients pour obtenir plus de fermeté ou au contraire plus de moelleux.... Mais rien !
 
Deuxièmement, en relation avec cette absence de références, il y a la question des justes dénominations, auxquelles le monde culinaire tord le bras de façon éhontée. 
En science, la règle est que le découvreur soit celui qui nomme  (un astre, un élément chimique, un composé, etc.);  en technologie, la règle est que l'inventeur soit celui qui nomme. Et c'est ainsi  je me vois répéter que nous devons nommer les préparations conformément à la première occurrence des dénominations. 
 
Cela signifie, en pratique, aller chercher dans les  livres de cuisine du passé la véritable signification des termes que l'on trouve aujourd'hui : à la Sainte-Ménehould, rémoulade, ravigote, gribiche, et  aussi toutes ces  dominations qui apparaissent plus tardivement : à la reine, à l'espagnole, à l'allemande, à la jacobine, au perdouillet...
 
On ne peut pas comprendre correctement et pratiquer correctement la cuisine sinon l'on confond la moutarde et la rémoulade, si l'on confond la pâte à savarin et la pâte à baba. 
Il ne peut pas y avoir de décision d'autorité par un praticien moderne, fut-il 3 étoiles au guide Michelin, et au contraire, c'est sur ces personnalités que pèse la plus grande responsabilité concernant l'utilisation des dénominations culinaires : nos amis devraient faire l'effort soit de faire les recherches eux-même, soit d'utiliser les résultats des recherches qui sont effectuées par ailleurs. 
 
Et c'est ainsi que je les engage évidemment à se reporter constamment au Glossaire des métiers du goût publié par le Centre international de gastronomie moléculaire et physique Inrae-Agroparistech : là, les dénominations sont données avec des références, et même si certains ouvrages ne sont pas cités, ils ont été lus, consultés, et que l'on a pesé les informations qui s'y trouvaient par rapport à des informations qui se trouvaient dans d'autres livres plus anciens. 
Ne suivons pas des ouvrages comme le Guide culinaire, qui est plein d'erreurs de ce point de vue là, qui confond les farces et les mousselines, les mayonnaises et les rémoulades... alors que même un des auteurs de ce livre a expliqué la différence dans  un autre livre, qu'il écrivait seul ! 
 
Bref, utilisons les bons mots, car il s'agit de la bonne pensée, et de la bonne pratique.

mardi 4 février 2025

A propos d'Emile Jung

 Dans la rubrique "En débat", de l'Académie d'Alsace, je viens de publier un hommage à Emile et Monique Jung, en relation avec le livre "Une école de vie". 

Emile Jung ? Un merveilleux cuisinier alsacien, sensible et talentueux. Le voici vers la fin de sa vie : 


On trouvera le texte sur : http://www.academie-alsace.fr/en-d%C3%A9bat/une-%C3%A9cole-de-vie/

Et il faut ajouter que le livre a été composé par le trop modeste Maurice Roeckel.

lundi 9 décembre 2024

Les études expérimentales doivent être en phase avec les théories, et les enseignements doivent évoluer.

Dans les années 2000, le ministre de l'Education nationale et des inspecteurs avaient décidé de rénover les référentiels des établissements d'enseignement culinaire pour supprimer des notions périmées, qui avaient été introduites dès les années 1900. 


À l'époque, j'avais rencontré une personne "importante" dans cette organisation qui savait à peu près tout, même ce qui était faux et avec un aplomb considérable. Mais avec l'appui du ministre, avec un parfait accord avec l'inspection générale, nous avons donc réformé les référentiels de cuisine, supprimé les théories fausses de "cuisson par concentration" et de "cuisson par expansion", par exemple, mais nous avons fait également nombre d'autres changements.

C'était il y a longtemps et, depuis cette époque, les séminaires de gastronomie moléculaire, chaque mois, avec la bénédiction de l'Inspection générale, contribuent à montrer qu'il y a encore  largement lieu de rénover les enseignements.
C'est ainsi que si l'on regarde les séminaires et leur compte rendu, on verra presque chaque mois que des idées techniques enseignées sont réfutés expérimentalement.

Oui, il y a donc lieu de changer à nouveau les référentiels, il y a lieu de diffuser très largement une information juste et il y a lieu d'enseigner des choses justes.

Je le répète, mais, dans nos séminaires, nous avons régulièrement la présence de professionnels et d'enseignants, et nous faisons les tests tels qu'ils doivent être faits.
Bien sûr, nous devrions multiplier ces tests mais quand même, un contre-exemple à une loi générale suffit pour abattre cette loi... surtout quand l'idée théorique sur laquelle la loi est fondée est manifestement fausses.

Par exemple, il a été écrit par des chefs triplement étoilés et il a été enseigné que le dégorgement des aubergines  par du sel les faisait mieux tenir à la cuisson. Pourtant, l'expérience a montré que, au contraire, les rondelles d'aubergines tenaient moins bien quand elles étaient dégorgées. Qu'enseigner alors ?

Je propose de ne pas continuer à enseigner les erreurs venues de chefs qui n'ont jamais fait de tests expérimentaux rigoureux et qui se sont simplement fondés sur des idées personnelles pour dire avec beaucoup d'autorité des choses qui ont été ensuite répétées.
 Je propose que les enseignement soient fondés sur des travaux référencés,  avec des références qui ne soient pas d'autorité (le Guide culinaire, plein d'erreurs !), mais sur des  tests expérimentaux fiables, répétés, rigoureux...
 
 Bref je propose une réforme assez fondamentale de l'enseignement de la cuisine et je ne doute pas que l'inspection et le ministère est à cœur de nous suivre dans cette direction.

dimanche 23 juin 2024

De la chimie, de la chimie, encore de la chimie, toujours de la chimie



Le goût général pour la simplicité a failli me faire faire une erreur : j'avais cru comprendre que l'on pouvait distinguer les transformations culinaires selon qu'elle s'accompagnaient ou non de modifications moléculaires, mais je viens de comprendre que non, toutes s'accompagnent de modifications moléculaires, de "réactions chimiques".

Par exemple, quand on cuit une viande, il est clair qu'il y a des coagulations dans la masse et éventuellement des brunissement en surface : dans les deux cas, il y a des réactions chimiques.
Inversement, on pourrait penser que la découpe d'une carotte ou la production d'un blanc en neige ne mettent pas en œuvre de réactions chimiques... mais cette idée est fausse,  et, à ce jour, je ne connais pas de transformation culinaire pour lesquelles il n'y ait pas de transformation moléculaires.

Par exemple, quand on fait une salade de carottes, la lame du couteau détruit au moins une couche de cellules, libérant leur contenu, ce qui correspond à l'humidité qu'on voit apparaître à la surface. Mais aussi, la dégradation des cellules sur le passage de la lame de l'économe libère des composés phénoliques et des enzymes  : les enzymes réagissent avec les  composés phénoliques pour faire brunir les tissus végétaux coupés. Il y a donc  (1) une action physique, (2) une modification microscopique et  (3) des transformations moléculaires.

Bien sûr, cela ne concerne qu'une couche de cellules mais au fond, dans un rôtissage rapide où l'on ne ferait brunir que la surface, il n'y aurait également que la surface qui serait concernée.

Pourrait-on  distinguer les transformations culinaires selon les ordres de grandeur de quantité de matériaux modifiés ? Par exemple distinguer une coagulation d'un blanc d'oeuf, où toute la masse du matériau est transformée, et une modification de surface ? On peut toujours, mais à quoi cela conduit-il ?

Continuons d'explorer la question, sur des cas pratiques, notamment en considérant le battage d'un blanc d'oeuf en neige.  Cette fois, on part d'eau et de protéines, souvent globulaires (à savoir que les molécules de protéines sont repliées comme des pelotes), et l'on fouette pour introduire des bulles d'air.
L'air n'est pas modifié, mais les protéines le sont : le cisaillement exercé par le fouet déroule les protéines, et c'est parce qu'elles sont ainsi "dénaturées" qu'elles peuvent se placer à la surface des bulles d'air, à l'interface entre l'air et l'eau. Là, on peut facilement calculer la quantité de protéines qui sont ainsi nécessaires pour obtenir un blanc battu en neige (un minimum de 1/10 000), mais quoi qu'il en soit,  alors que l'on pouvait croire que l'on aurait été dans le cas d'une transformation culinaire sans modification moléculaire, on s'aperçoit que l'on s'est trompé.
Considérons le cas d'une salade, maintenant : même en se limitant à la salade elle-même, il y a des modifications et notamment quand on déchire les feuilles (la proportion de tissu modifiée est 1/10 000 000)... mais l'effet est visible !
Et, quand on fait vraiment la salade, en la "fatiguant" avec la vinaigrette, l'effet est considérable, puisque l'huile adhère aux cires de surface, les désorganisant, et permettant l'interaction du tissus végétal avec le vinaigre, mais, aussi, avec une action mécanique dont on vait bien l'effet.  

Finalement, s'il y a transformation culinaire, c'est bien qu'il y a un effet, n'est-ce pas ? Et je crois que c'est un bon conseil, face à une transformation culinaire, de toujours considérer le phénomène d'abord du point de vue macroscopique, puis du point de vue microscopique, puis du point de vue moléculaire. Toutes ces modifications sont toujours présentes.

Car on se souvient que l'importance en "quantité" n'est pas prépondérante : une viande grillée seulement en surface prend ce goût qui la fait apprécier, alors même que la "quantité de transformation est faible. Et il ne faut pas oublier (voir Mon histoire de cuisine) qu'il y  différentes "dimensions", pour les aliments : la saveur, la couleur, l'odeur, la consistance, etc. Par exemple, au premier ordre de la composition chimique, le vin n'est que de l'eau, mais la saveur brûlante de l'éthanol, présent moléculaire au deuxième ordre seulement, est prépondérante, alors que la saveur de l'eau, présente au premier ordre, est très loin dans l'ordre des saveurs.

Bref, vive la chimie !

mardi 18 juin 2024

Les Ateliers expérimentaux du goût

 Hier, lors de la réunion des professeurs de physique et de chimie de l'Académie de Bordeaux, j'ai été remis en position de présenter les Ateliers expérimentaux du goût ainsi que les Ateliers science et cuisine, que j'avais introduits dans l'Education nationale au début des années 2000. 

Force est d'observer, avec le recul, que la méthode pédagogique introduite alors n'a pas démérité et qu'elle n'est pas périmée : au bénéfice des élèves, les collègues peuvent parfaitement mettre en œuvre des ateliers de ces deux types. 

Que faut-il faire pour relancer la machine ? Sans doute en refaire des présentations à l'attention des professeurs qui, pour certains, ont oublié l'existence des ateliers, et qui, pour d'autres,  ne la connaissent pas. 

Il n'y a nulle part de mauvaise volonté, bien au contraire, et il y a surtout l'observation que, lors des préparations culinaires, il y a mille phénomènes extraordinaires qui méritent d'être considérés, analysés, étudiés, en laboratoire ou en classe. 

Souvent, un microscope fait l'affaire, mais évidemment, si l'on calcule un peu, on fait bien mieux. En tout cas, il y a cette observation que ces activités scientifiques ne coûtent quasiment rien, surtout quand on les fait à l'occasion de la préparation d'aliments que l'on va consommer. 

Mousses, émulsions, gels, suspension... Tout y passe, et ces colloïdes sont à l'interface de la physique, de la chimie, mais aussi de la biologie puisque la cuisine, c'est usage de tissus végétaux ou animaux. 

Merci aux collègues de l'académie de Bordeaux de m'avoir accueilli si chaleureusement et surtout, de m'avoir permis de présenter à des collègues des activités qui mériteraient de figurer au cœur de leurs études avec les élèves.

lundi 13 mai 2024

Parents indignes !


On me signale le cas d'une mère qui se plaint que son fils de 21 ans ne sache pas faire cuire des spaghettis et lui demande comment cuire la partie des spaghettis qui se trouve à l'extérieur de la casserole.
On peut bien sûr se mettre du côté de la mère et déplorer qu'un individu de 21 ans en soit encore à poser une telle question, mais je propose plutôt d'identifier que la mère n'a pas fait son travail éducatif correctement si elle a laissé son enfant atteindre l'âge de 21 ans en se posant de telles questions.
On voit bien, derrière cela,  le schéma d'une mère qui a cuisiné toute sa vie pour sa famille, excluant en quelque sorte ses enfants de la cuisine au lieu de les faire participer. On voit une mère qui n'a pas pris le temps de permettre à ses enfants de s'émerveiller des mille phénomènes culinaires qui ont lieu lorsqu'on prépare les aliments. On voit une mère qui se met dans une position de victime alors qu'elle est coupable d'avoir confisqué de la culture. On voit une mère qui a conservé son petit pouvoir culinaire au lieu de le partager.

Bref je ne me joindrai pas au concert des déplorations mais surtout, je vais inviter tous les parents à faire participer les enfants aussi rapidement aux tâches domestiques. Mettons les baby relax sur le plan de travail pour que nos enfants voient nos gestes, voient les transformations extraordinaires qui ont lieu quand on cuisine. Parlons de ce qui est en jeu : la technique, l'art, la socialité. Ne confisquons pas le bonheur de la culture technique, artistique, sociale !
 

mardi 9 avril 2024

Donner du goût, assaisonner, et plus encore

En matière de cuisine, on a oublié qu'il ne s'agit pas de délivrer les ingrédients vaguement transformés par un traitement thermique (une "cuisson") ; non, il s'agit plutôt de le leur donner du goût. Lequel ? Voilà toute la question. 

 

Commençons en signalant  quelques exemples notoires. Par exemple, les professionnels qui cuisent des marrons ont appris à ajouter du fenouil... pour donner le goût de marrons. Quand ils préparent des fraises, ils ajoutent jus de citron, sucre, eau de fleur d'oranger.... pour donner le goût de fraises. Quand ils cuisent des   courgettes, ils leur ajoutent un peu de menthe. 

Et ainsi de suite : il est très insuffisant de cuire un ingrédient et de croire qu'il aura le goût de ce qu'il est. Cette phrase doit nous faire penser à ce critique gastronomique nommé Maurice Sailland, qui signait  Curnonsky, et qui prétendait que les choses  auraient été bonnes  quand elles auraient eu  le goût de ce qu'elles sont. 

Cela est erroné, parce qu'il n'y a pas LE goût du poulet rôti, LE goût du marron, LE goût d'un mets, mais des possibilités innombrables, qui sont au choix des artistes culinaires. 

En tout cas, l'idée de Curnonsky dépasse l'idée précédente que je viens d'évoquer à savoir qu'il faut donner du goût aux ingrédients pour qu'ils aient le goût de ce qu'ils sont ou de ce que nous voulons qu'ils aient. 

Prenons l'exemple d'un sabayon aux pommes. Pour donner le goût de la pomme, il faudra les pommes dans du beurre, en leur ajoutant du gingembre, du poivre, une pincée de sel, du jus de citron, du sucre... 

Un poulet rôti ? Immédiatement, nous devons nous demander, de même, quoi  ajouter au poulet pour qu'il ait un bon bout de poulet rôti. Cela passe évidemment par le poivre, le sel, mais pourquoi pas le thym, le romarin, le citron, etc. 

Cela nous conduit à évoquer la question des assaisonnement, si importantes en cuisine. J'ai nombre d'amis cuisiniers qui reprochent à leurs jeunes collègues de ne pas goûter assez, de ne pas rectifier l'assaisonnement. 

Mais l'assaisonnement dépasse largement la question du sel ou du poivre :  il y a toute la palette possible que nous pouvons utiliser  pour donner aux ingrédients un goût qui les soutient, voire qu'il les emmène dans des directions différentes. 

Mon ami Pierre Gagnaire sait bien cela, lui qui travaille à l'infini le moindre de ses produits et non seulement pour s'arrêter à l'assaisonnement, mais  pour le dépasser  et arriver à des œuvres où les ingrédients ne sont plus seulement considérés isolément, mais où ce sont des instruments dans un orchestre complet.

samedi 17 février 2024

Les bases : quelles bases ?

La cuisine n'est pas épargnée par les débats sur sa pratique, son évolution, son enseignement. 

Evidemment, il y a un lien important entre les trois champs. L'enseignement, notamment, doit former des jeunes cuisiniers qui ne soient pas "à la traîne" des établissements où ils vont travailler. Et l'ensemble doit évoluer, parce que la "nouveauté" est toujours un avantage concurrentiel. 

Autrement dit, l'enseignement doit être constamment réformé, parce que la technique évolue. Et comme l'éventail des possibilités est immenses, on ne peut pas tout enseigner, et il faut choisir. Que choisir ? 

Souvent, on me parle des « bases » de la cuisine, et l'on me dit qu'il faut que les jeunes aient des « bases ». Pourquoi pas, mais quelles sont ces bases ? Le rôtissage, sur le feu (ou, plus exactement, à côté) est-il une base ? Le fait que ce mode de cuisson ait quasiment disparu des cuisines a conduit à en supprimer l'enseignement, pour le remplacer, judicieusement je crois, par un enseignement de la "cuisson", en général. On est passé à la technologie, plutôt qu'à la technique. 

Cela dit, j'observe que certains cuisiniers rôtissent. La proportion de ces cuisiniers est minime, de sorte que nous sommes conduits à conclure que le "référentiel" (ce qui est exigible à l'examen) se fonde sur la fréquence des opérations. Et c'est notamment ce type de raisonnement qui a conduit à supprimer l'enseignement des opérations non pas périmées (le fait qu'elles existent montre que l’obsolescence n'est qu'en termes de fréquence, pas en terme de technique proprement dite). 

Autrement dit, c'est en termes de fréquences, d'une part, mais aussi de volonté de conserver un patrimoine, d'autre part, que nous devons réformer l'enseignement de la cuisine. De sorte que, selon cette ligne de raisonnement, nous devrions panacher un enseignement des techniques modernes et des techniques anciennes. 

La confection de quenelles est ancienne et patrimoniale : gardons-en l'enseignement... surtout qu'elles peuvent être faites par un robot. L'utilisation des siphons est moderne (et fréquente) : introduisons-la. Certains professionnels font observer que le siphon est une fioriture, et qu'un bon fouet à l'ancienne permet de s'en tirer, en toutes circonstances. Oui, mais on pourrait également dire que quatre fourchettes permettent de remplacer un fouet. Ou encore, on me dit que l'emploi de l'alginate de sodium est secondaire, et que la confection de gels de gélatine à partir du pied de veau permet de s'en tirer... à quoi je réponds qu'il est plus facile de trouver dans les commerce de la gélatine et de l'alginate de sodium que du pied de veau. Et que l'alginate se trouve, avec l'agar-agar, dans toutes les cuisines. On me dit que les appareils pour cuire à basse température ne sont pas partout... à quoi je réponds qu'il suffit d'une cocotte et d'un four bien réglable pour cuire à basse température. De toute façon, ce type d'argument ne tient pas : oui, de même, on pourrait dire que l'ordinateur ne s'impose pas à l'école, puisque, en cas de panne d'électricité, un crayon fait l'affaire. Certes, mais l'expérience prouve que nous avons tous des ordinateurs. 

Enfin, pensons à la cuisine en terme de ces fameuses "bases". Si l'on met de côté la cuisine note à note, qui reste très novatrice, il est exact que nous mangeons surtout des tissus animaux et végétaux traités thermiquement. C'est une base. D'autre part, il y a des sauces (salées ou sucrées : le sucre est l'élément différenciant essentiel), qui sont toutes fondées sur les mousses, les émulsions, les gels, les suspensions... Ce sont donc des bases. Plus exactement, les diverses sauces ne sont pas des bases, et ce sont les systèmes physico-chimiques que sont mousses, émulsions, gels, suspensions... qui sont des bases. Ne devrions-nous pas les enseigner en priorité ?

samedi 16 décembre 2023

Entre spéculatif et opératif


J'hésite d'abord à utiliser ces deux mots, spéculatif et opératif, parce qu'ils sont largement utilisés dans des cercles philosophiques. 

En outre, les utiliser d'emblée risquerait de tourner au cliché. 

Partons donc de quelque chose de simple, de concret : la cuisine. Et, mieux encore, d'un mets populaire, à savoir un poulet rôti. 

Il est vrai que l'on peut discuter ce poulet rôti du point de vue de sa production. Il y a des gestes à effectuer pour l'obtenir : prendre un poulet, le tuer, le plumer, le vider, le rôtir. On effectue des opérations, et la description est donc opérative. Malgré nos cercles philosophiques, conservons le mot, puisqu'il s'impose dans notre langue. 

Cela dit, il y a aussi un "commentaire" du poulet rôti qui discuterait les conditions de sa production. Par exemple, on peut essayer de comprendre ce qui se passe quand on rôtit un poulet. Cette fois, il y a de l'analyse, laquelle peut déboucher sur de l'opératif, des modifications des recettes. 

Par exemple, si l'on analyse la question de savoir si l'ajout de matière grasse ou de jus sur les suprêmes en cours de cuisson fait ces derniers plus tendres, alors on peut arriver à des modifications de la "recette" : si l'ajout contribue à la tendreté, et dans l'hypothèse où cette dernière est souhaitable, alors on fera l'ajout ; sinon on ne le fera pas (pourquoi faire quelque chose d'inutile). 

Dans cette seconde démarche, est-on "spéculatif" ? En latin, la vitre et le miroir sont respectivement  specularia et  speculum. Le speculator est l'observateur. On ne participe pas à l'opération, mais on la considère. Est-ce le rôle de celui qui explore des mécanismes de phénomènes ? Est-il simplement un observateur ? Admettons-le temporairement : cela nous conduit à conserver le terme "spéculatif" pour désigner le second type de commentaires. 

 

Le sol sur lequel nous voulions avancer étant affermi, nous voyons que la cuisine peut être abordée d'un point de vue opératif, ou d'un point de vue spéculatif. Et il apparaît - c'est une donnée d'expérience, pas une donnée absolue, mais une donnée à valeur statistique - que nombre de nos "amis" (j'entends par "ami" ceux à qui nous parlons, puisque je propose de ne pas perdre de temps à parler à nos ennemis, conformément à la sentence alsacienne qui dit que, pour manger avec le diable, même une longue fourchette ne suffit pas) sont peu intéressés par les commentaires spéculatifs, ou, inversement, peu intéressés par les commentaires opératifs. 

Cela dit, leur intérêt initial importe peu : si la synthèse, la réunion des deux commentaires, se révélait plus "utile" que les points de vue séparés, n'aurions-nous pas intérêt à (1) chercher un moyen de réunir ces points de vue et (2) chercher à montrer à nos amis que cette synthèse est une voie vers laquelle ils gagneraient à aller ?

 Pour le (1), c'est ce que j'avais cherché à faire, il y a longtemps, avec mon livre "Révélations gastronomiques" (Belin, Paris, 1997)... mais depuis sa parution, et malgré les encouragements de quelques amis, je reste dans l'idée que la fusion n'a pas été comme on pourrait le souhaiter : le livre est difficile à utilise du point de vue opératif (même si, je le répète, certains amis l'ont largement utilisé), et la "spéculation" est un peu désincarnée, séparée, isolée ; elle apparaît comme gênante, dans la marche opérative. 

Une autre tentative remarquable est celle de Madame Saint Ange, avec sa Bonne Cuisine, publiée en 1925 aux éditions Larousse. C'est un livre étonnant, qui sépare bien les parties opératives et spéculatives... mais les sépare. 

 

La fusion n'est pas faite. Il faut donc nous lancer dans une entreprise nouvelle, où nous mettrons en œuvre une méthode nouvelle, conformément à celle que je réclamais déjà de mes voeux dans mon livre Les précisions culinaires (Quae/Belin, Paris, 2012). 

Raisonnons. D'abord, il y a un objectif que nous devons identifier clairement : le poulet rôti, par exemple.

 Cet objectif étant défini, on peut chercher les moyens de l'atteindre, en passant (pardon pour les termes militaires) par stratégie, d'abord, puis tactique ensuite. Puisque la cuisine, c'est du lien social, de l'art, de la technique, il faudra que les trois aspects soient discutés à chaque étape. 

Et, pour couronner la chose, pourquoi ne pas proposer une évaluation, laquelle sera la possibilité de progresser, selon la bonne idée du chimiste Michel Eugène Chevreul "Il faut tendre à la perfection avec efforts sans y prétendre" ?

 

 Essayons, avec une recette simple, de sablés.

 Objectif : produire de petits gâteaux sablés. 

Analyse de l'objectif : des gâteaux sont des préparations faites de farine, de sucre, au minimum, comme chacun sait. Cela dit, le sucre et la farine ne peuvent, une fois cuits, que faire une poudre, qui n'aura pas de liant. Pourquoi ne pas ajouter de l’œuf ? Ce serait mieux, mais la préparation resterait dure : avec un peu de matière grasse, cela ira bien mieux. Avec ces première analyse, on obtient un résultat qui a du sens, car le sucre est de l'énergie immédiatement disponible, la farine de l'énergie disponible durablement, l’œuf apporte des protéines qui nous constituent, et la matière grasse s'impose pour constituer notre organisme. Les sablés sont donc des friandises nutritionnellement intéressantes. Cela étant, les sablés doivent être sablés. Or l'eau apportée par l’œuf (un blanc d’œuf, c'est 90 pour cent d'eau et 10 pour cent de protéines ; un jaune, c'est 50 pour cent d'eau, 15 pour cent de protéines et 35 pour cent de lipides) risque de cimenter excessivement la farine, l'eau participant à la formation d'un réseau de protéines nommé "gluten". Pour conserver le caractère sablé, friable, il faut mettre la farine dans la matière grasse, frotter pour obtenir un sable, ajouter le sucre, qui captera l'eau au détriment du gluten, puis ajouter enfin l'oeuf, qui fera la "soudure" par capillarité, avant cuisson, et coagulation des protéines après cuisson. Nous avons donc la stratégie. La tactique ? Cela pourrait être le détail des proportions... et là, tout est possible ou presque. Avec des raffinements : par exemple, si l'on grille par avance la farine, ses protéines ne pourront plus faire le réseau de gluten, et le sablé sera friablissime, si l'on peut dire. Une pincée de sel, d'autre part, rehaussera le sucré, affaiblissant l'amer qui pourrait résulter du grillage. Le beurre ? A volonté. De la vanille ? Pourquoi pas. De la cannelle ? Pourquoi pas. 

Et ainsi de suite... pour arriver à une proposition : 200 grammes de beurre, 75 grammes de sucre glace, 1 gramme de sel, 1 oeuf entier, 250 grammes de farine. Ou plus opérativement : 

Commencer par griller sous le gril du four 250 grammes de farine jusqu'à ce qu'elle soit blonde.
La laisser ensuite refroidir.
Puis, dans une terrine, mettre 200 grammes de beurre.
Ajouter 75 grammes de sucre glace.
Et les 250 grammes de farine grillée refroidie.
Ajouter 1 gramme de sel.
Puis quand toute ces poudres ont été bien amalgamées au beurre, ajouter un œuf, et l'incorporer sans trop travailler.
Abaisser et cuire pendant une dizaine de minutes, de sorte que l’œuf coagule (la durée de cuisson dépend de l'épaisseur des sablés. 

A ce stade, la discussion n'a été presque que technique, à l'exception de l'observation nutritionnelle, mais on a manqué toute la partie artistique (par exemple, la pincée de cannelle), et toute la partie de lien social (par exemple, le découpage de la pâte en forme de coeur, avant la cuisson). Mais c'est sans doute quelque chose qui dépasse ma compétence... et je vous invite à contribuer à l'amélioration de nos sablés en mettant vos commentaires... qui contribueront à l'évaluation envisagée initialement !

dimanche 15 octobre 2023

Dans les billets à destination de ceux qui n'ont jamais cuisiné de leur vie, voici maintenant comment faire du poulet rôti.

 


Faire un poulet rôti ? Il s'agit donc d'abord d'avoir un poulet.

Pour le choix de ce derniers, il faudrait un document tout entier, mais soyons simple : achetons un poulet et apportons-le chez nous.

La question, c'est de rôtir et, là, les gourmands s'étripent pour savoir s'il faut le faire à la rôtissoire ou s'il est légitime de nommer "rôti" un poulet qui est cuit dans un four.
En effet, dans un cas, ce sont les rayonnements infrarouges qui cuisent la viande, mais, dans l'autre cas, c'est l'air chaud du four.
Pour commencer, nous rôtirons avec de l'air chaud même, si le terme de rôtissage est alors un peu usurpé.

On fera l'hypothèse que le poulet a été plumé, qu'il ne reste plus de reste de plume dessus, auquel cas il faudrait les flamber (la flamme d'un briquet suffit), et on se limitera à le mettre dans un plat qui va au four. On aura salé le poulet à l'intérieur, et si l'on a du romarin, par exemple, on en fera un lit sur lequel le poulet reposera.
Si l'on a du thym, on pourra en mettre à l'intérieur du poulet. Et l'on peut ajouter  une tête d'ail dans le plat qui ira au four (sans éplucher).

L'ensemble sera enfourné, et l'on cuira  par exemple à 200 degrés,  jusqu'à ce que l'on voit la surface du poulet brunir.

Pour faire un peu mieux, on pourra commencer en mettant le poulet sur le dos jusqu'à ce que l'on voit cette partie brunir  ; puis on retournera le poulet pour que la peau au-dessus des deux suprêmes et des cuisses soient également brunie.

Au total, on pourra compter environ 40 minutes, à raison de 20 minutes de chaque côté.
Et si  le brunissement n'apparaît pas, on peut très bien terminer la cuisson en allumant le grill et en mettant le poulet dessous jusqu'à ce qu'il soit bruni de la couleur que l'on souhaite.

À la sortie de la cuisson, il y a certainement du jus dans le plat. On le dégraisse ou pas selon ce que l'on souhaite.

Avec quoi servir ce poulet rôti ? Je vous propose, pendant la cuisson, de peler des pommes de terre, de les couper en très petit dés, disons un tout petit peu moins d'un centimètre de côté, et de les étaler sur une plaque à four avec de l'oignon et de l'ail émincé. On verse un peu du gras du poulet dessus et l'on met juste sous le grill, que l'on allume alors.
On a donc, dans le four,  le poulet qui repose au chaud, qui se détend, et la plaque avec des pommes de terre juste sous le grill. Il suffira alors de quelques minutes pour que les pommes de terre brunissent  : elles seront alors cuites car elles sont très petites et l'on servira alors le poulet avec les pommes de terre


samedi 30 septembre 2023

La beauté est dans l'oeil qui regarde le sol

Il a plu, et les trottoirs luisent. Pourquoi ? 

Un microscope ou une loupe binoculaire s'imposent pour explorer cette question. Quand on regarde du bitume sec, on voit que la surface est très irrégulière, granuleuse, de sorte que la lumière qui arrive d'une direction, telle celle d'une lampe, est réfléchie dans toutes les directions par les diverses facettes du solide. Nous désignons cet effet par la « matteté ». 

En revanche, quand il pleut, l'eau vient combler les trous et former une couche dont la surface supérieure est très lisse, de sorte que seule la lumière venant dans la direction de la lampe est réfléchie, comme dans un miroir, toujours selon cette direction. Si nous regardons de côté, nous ne voyons rien, mais si nous regardons le sol dans la direction d'une lumière, nous voyons le reflet dans la direction de cette dernière. C'est cela, « luire », briller. 

 

En cuisine ? Les praticiens ont bien compris qu'une surface luisante est plus engageante qu'une surface matte, et c'est pour cette raison que nombre de pièces de banquets sont « glacées ». Pensons aussi aux œufs en gelée, pensons au nappage des gâteaux, où l'on dépose une couche qui gélifie (presque de l'eau, donc) sur la surface rugueuse produite par cuisson de la farine. Pensons à la dorure des croissants... 

Inversement, c'est l'évaporation de l'eau de surface des aliments cuits qui fait perdre l'aspect brillant, engageant, des mets, après quelques instants. Mon ami Pierre Gagnaire dit que ses plats ont une durée de vie de trois minutes, mais pourquoi ne pourrions-nous pas allonger cette durée (au moins pour l'aspect visuel) en brumisant un liquide, lequel pourrait être une « sauce » ?

Modèles, explications : les outils pour progresser

 
Dans des cours de Master, je fais valoir que les procédés et leurs effets peuvent s'apprécier de façon macroscopique. Plus exactement, si l'on veut comprendre les possibilités d'amélioration, donc de changement du procédé, et si l'on ne veut pas errer empiriquement dans l'infinité des possibilités, il y a lieu de "comprendre" ce qui se passe dans on effectue les opérations stipulées par le protocole, ou, plus généralement, mises en oeuvre.

Or la première "explication" des transformations macroscopique doit être microscopique.  
Par exemple, quand on coupe une carotte, la racine initiale est divisé en tronçon, par exemple, et cette division est un effet physique. Pour "comprendre" cette division, il y a lieu d'observer que la lame de certais couteaux est en forme de toit de maison renversé, et, pour d'autres, en forme ce V : dans le premier cas, il y a une compression, mais, dans le second, la coupe est plus franche. Et, finalement, dans les deux cas, le tissu végétal est séparé, la lame passant à travers une épaisseur plus ou moins grande de tissu, i.e. à travers un nombre de couches de cellules plus ou moins grand. Et cela s'accompagne d'une quantité plus ou moins grande de contenu cellulaire libéré : le tissu végétal est plus ou moins humide, et il brunit plus ou moins.

Cela étant, cette première explication mérite une explication... moléculaire : comment la lame du couteau divise-t-elle les cellules, et pourquoi la surface brunit-elle ? Là, la physique doit se fonder sur la chimie, sur la considération des molécules qui constituent les parois végétales, les membranes, les cellules.
Par exemple, le brunissement résulte du fait que des composés phénoliques sont libérés au côté d'enzymes catécholases, qui forment des composés mélanoidiques bruns. Bref, il faut de la chimie, pour comprendre les transformations du monde !