dimanche 30 avril 2023

En marchant rue Saint Jacques

 Nous sommes partis de la Seine ;  nous avons monté la rue Saint-Jacques, laissant sur la gauche le Collège de France, le lycée Louis le grand, traversant la rue Gay-Lussac, passant devant  l'église Saint-Jacques du Haut Pas, et, peu après sur la droite, un bâtiment qui n'a vraiment rien de particulier. 

Toutefois,  la beauté est dans l'oeil de celui qui regarde. Ce bâtiment, au quatrième étage, était occupé par Françoise et Boris Dolto. 

Tout le monde  connaît la psychanalyste Françoise Dolto, qui s'intéressa notamment aux enfants. 

Elle épaula mon père, Bernard This,  quand celui-ci créa d'abord le Centre Etienne Marcel (le premier centre de psychopédagogie), puis la première Maison verte, dans le 15e arrondissement, près de Dupleix, ce lieu d'accueil des futurs parents, des très jeunes enfants, des enfants in utero même, maison qui préfigura l'ensemble des autres lieux analogues, aujourd'hui répartis dans toute la France. 

Françoise Dolto se fit  connaître  par l'intelligence de ses réponses à  la radio, et aussi par le courant qu'elle suscita, les énergies qu'elle contribua à à canaliser... 

Toutefois on oublie  souvent que son mari, Boris Dolto, était un personnage au moins aussi remarquable. Il fut notamment le créateur d'une grande école de kinésithérapie, rue Cujas, pas loin de son domicile. 

A certains intellectuels, la kinésithérapie semble moins prestigieuse que la psychanalyse, mais elle est sans doute bien plus répandue en France et dans les autres pays. Tout  village a  son kinésithérapeute, à côté de son médecin,  mais tous les villages n'ont pas de psychanalyste, qu'on le regrette ou non.  Et  cela explique pourquoi Boris Dolto fut si important.

 Tout cela pour un bâtiment obscur de la rue Saint-Jacques ! Décidément, la beauté est dans l'oeil de celui qui regarde

samedi 29 avril 2023

Cannelés

Nous avons  déjà souvent envisagé les soufflés, mais aujourd'hui, je propose de considérer des cousins de ces derniers : les cannelés. 

Ce sont des  petits gâteaux, de forme tronconique, avec des ondulations de la surface (dues au rainurage du moule),  de couleur superficielle très soutenue, avec un bel  alvéolage. Ils coûtent une  fortune, alors que leur préparation est d'une simplicité extrême. 

 

En effet,  il s'agit simplement de pâte à crêpe  que l'on dépose dans des moules et que l'on fait  cuire pendant très longtemps  (presque une heure) dans un four très chaud. 

 

Comment  une pâte à crêpes peut-elle faire des cannelés gonflés ? Pourquoi sont-ils d'une couleur soutenue ? Pourquoi sont-ils alvéolés ? 

Pour la couleur, c'est le plus simple : puisque les moules à cannelés sont en métal, la matière qui est en contact des bords des moules  est portée à une température quasi égale à celle du four, par conduction, soit entre 160 à 200 degrés selon les recettes. Pas étonnant qu'il y ait de la couleur. 

Pour l'alvéolage, l'analyse des soufflés nous  donne la clé du phénomène   : la pâte à crêpes contenant beaucoup d'eau, cette dernière est évaporée à bien plus de 100° au contact des parois, de sorte qu'une croûte se forme et que beaucoup de vapeur apparaît  ;  un gramme d'eau liquide évaporée fait un litre de vapeur, de sorte qu'il y a largement de quoi faire gonfler les cannelés. 

De plus, la pâte étant un peu épaisse, les bulles de vapeur sont piégées dans l'intérieur de la préparation, ce qui fait l'alvéolage. La recette ? 

 

De la pâte à crêpes, dans un moule, dans un four chaud, pendant longtemps, presque une heure. Tout simple, n'est ce pas ? 

PS. Sans oublier le sel, le sucre et le rhum !

vendredi 28 avril 2023

Le travail ?

Oui, le mot "travail" est un mot extraordinaire, à la fois merveilleux et terrible. 

Mais je ne veux pas "verser" dans le jeu des connotations idiosyncratiques, et je propose de revenir au "bon" sens, que je trouve le plus souvent dans le Trésor de la langue française informatisé (TLF, en ligne), avec l'étymologie : TRAVAIL1, -AUX, subst. masc. TRAVAIL2, -AILS, subst. masc. TRAVAIL, , subst. masc. Étymol. et Hist. A. 1. 1130-40 traval d'enfant « douleurs de l'accouchement » (Wace, Vie de Ste Marguerite, éd. E. A. Francis, 645); 2. ca 1140 « tourment » (Gaimar, L'Estoire des Engleis, éd. A. Bell, 16); 3. fin xiies. « fatigue, peine supportée » (Moniage Guillaume, éd. W. Cloetta, II, 5205). B. 1. a) Ca 1130 « peine que l'on se donne, efforts » (Lois de Guillaume, éd. J. E. Matzke, 28); 1209 (Guiot de Provins, Bible, éd. J. Orr, 2305); b) mil. xiiies. « peine que l'on se donne dans l'exercice d'un métier artisanal » [associé à painne] (G. Fagniez, Doc. rel. à l'hist. de l'industr. et du comm. en France, t. 1, p. 204 ds Gemmingen Arbeit, p. 104); 2emoit. xiiies. (Dit des Fevres ds Jongleurs et trouvères, éd. A. Jubinal, 129 ds T.-L.: De lor labor, de lor travail Vivent les fevres lëaument); 2. a) 1362-63 désigne le résultat de l'activité accomplie (Dehaisnes, Doc. [...] concernant l'hist. de l'art dans la Flandre, t. 1, p. 445 ds Gemmingen Arbeit, p. 107); b) 1676 « qualité de l'exécution d'un ouvrage » (Félibien, p. 760); 3. 1600 « activité professionnelle quotidienne nécessaire à la subsistance » (doc. ds H. Hauser, La Liberté du comm. et la liberté du travail sous Henri IV, p. 289 ds Gemmingen Arbeit, p. 109). C. Au plur. 1. 1611 désigne des actions difficiles, périlleuses, qui sont un titre de gloire pour leur auteur (J. Bertaut, Œuvres poét., p. 20); 2. 1616 « ensemble des recherches effectuées dans un domaine intellectuel donné » (A. d'Aubigné, Les Tragiques ds Œuvres, éd. E. Réaume et de Caussade, t. 4, p. 150: je veux [...] Me livrer aux travaux de la pesante histoire); 3. 1721 « activités propres à un domaine technique déterminé » (Montesquieu, Lettres persanes, p. 99: travaux des mines);1741 travaux domestiques (A.-C. Caylus, Féeries nouvelles, p. 571); 4. 1727 travaux publics (A.-M. de Ramsay, Les Voyages de Cyrus, p. 92); 5. 1768 travail forcé (Voltaire, L'Homme aux quarante écus, p. 72: Il faut effrayer le crime, oui sans doute; mais le travail forcé et la honte durable l'intimident plus que la potence); 1795 travaux forcés (Code pénal, tit. I, art. 6 d'apr. Brunot t. 9, p. 1042, note 3). D. 1. 1769 « modification interne que subit une matière, une substance » (Lemierre, La Peinture, p. 221: C'est elle [la nature] qui [...] Nuance au vaste sein de la terre en travail Le jaspe, le porphyre); 2. 1783 « action progressive exercée par un élément, un phénomène naturel » (Buffon, Hist. nat., Minéraux, t. 1, p. 152); 3. 1829 mécan. (G. Coriolis, Traité de la mécanique des corps solides..., Avertissement à la 1èreéd., p. IX ds Quem. DDL t. 41: je désigne par le nom de travail la quantité qu'on appelle assez communément puissance mécanique, quantité d'action ou effet dynamique). Déverbal de travailler*. Jusqu'au déb. du xvies. travail est souvent associé à peine (v. Gemmingen Arbeit, pp. 104-105) car le sens dominant est « fatigue, peine » qui peut avoir pour contrepartie une rétribution. Le sens de « activité professionnelle » devient très rare au xvies. pour revenir en force au xviies. sous l'infl. de travailler*. FEW t. 13, 2, p. 298, 290a; Gemmingen Arbeit, pp. 103-109.

jeudi 27 avril 2023

Mes inventions : les liebigs et les gibbs

Dans un précédent billet,  nous avons considéré une de mes anciennes inventions, que j'avais nommée des liebigs, des émulsions gélifiées. 

Toutefois, il y a gélification et gélification ;  certaines sont réversibles, dites « physiques », tandis que d'autres sont « chimiques ». 

 

Les gélifications chimiques sont des gélifications irréversibles, assurées par la formation de liaisons chimiques plus fortes que dans les gélifications physiques. 

Un type particulier résulte de la formation de liaisons chimiques particulières nommées ponts disulfures, telles qu'il s'en forme lors de la coagulation de l'oeuf. 

De ce fait,  on entrevoit aussitôt  que l'on peut obtenir une émulsion gélifiée chimiquement en émulsifiant de l'huile dans une solution qui contient des protéines capables de coaguler, telles qu'il y en a dans le blanc d'oeuf, puis en faisant coaguler les protéines. 

 

La recette est extrêmement simple : fouetter de l'huile dans du blanc d'oeuf, jusqu'à obtenir  une préparation épaisse comme une mayonnaise, mais blanche, puis cuire quelques secondes cette préparation  au four à micro-ondes, afin d'obtenir la coagulation les protéines restées à la surface des gouttes d'huile. 

Et c'est ainsi que l'on obtient  rapidement une émulsion gélifiée blanche et insipide. J'ai nommé de ce système un « gibbs ». 

Blanche et insipide : est-ce rédhibitoire ? Pas du tout :  il suffit de donner de la couleur et du goût. Pour la couleur, tous les pigments ou colorants comestibles font l'affaire :  les chlorophylles engendrant le vert, jusqu'aux caroténoïdes qui font le jaune, rouge, orange, en passant par les composés phénoliques des fleurs et fruits, qui font aussi du bleu, ou en passant par les bétalaïnes des  betteraves. 

Du goût : cela signifie de la saveur et de l'odeur. Comme il y a de l'huile dans la préparation, on conçoit facilement qu'il soit facile d'y dissoudre des composés odorants, le plus souvent solubles dans l'huile. 

Pour la saveur, les composés sont solubles dans l'eau, ce qui tombe précisément bien, puisque le blanc d'oeuf initialement utilisé est composé de 90 % d'eau. 

 

On le voit :  finalement, il n'est pas difficile de faire des  gibbs au goût merveilleux ! 

 

note : je vous recommande un blanc d'oeuf que vous sucrez, puis vous émulsionnez une huile où vous avez fait macérer des gousses de vanilles, et vous passez au four à micro-ondes dans de jolies tasses. A servir avec un élément croustillant ou croquant, tuile aux amandes ou autre.

mercredi 26 avril 2023

Les piquants, les frais

 Cette fois, nous évoquerons les questions  relatives aux sensations trigéminales : les piquants, les frais. 

 

Supposons que l'on construise un aliment de cuisine note à note, et que nous voulions donner des odeurs, des saveurs, des consistances, des piquants, des frais  et autres sensations trigéminales (parce qu'elles sont détectées par les récepteurs associés au nerf trijumeau, un nerf à trois branches qui vient de l'arrière du cerveau),  comment ferions-nous ? 

La réponse la plus évidente consiste explorer le monde naturel, et à repérer les piquants et les frais dans des ingrédients alimentaires connus, les poivres, les piments, les menthes, par exemple... 

Puis, connaissant ces composés, on  pourrait les utiliser pour les mettre  dans un plat que l'on construit. Pour l'instant, on est encore loin d'avoir fait ce travail, et le monde des composés à action trigéminale est bien mal connu. 

J'avais bien proposé -un peu naïvement- d'établir une banque d'information sur ces composés, mais j'ai fini par comprendre que ces connaissance sont un trésor de guerre de l'industrie alimentaire, qui n'est pas prête à le livrer pour rien. Il faudrait donc que des laboratoires publics s'emparent de la question, mais est-ce une grande question scientifique ? 

Puisque ce n'est pas à moi de décider, je continue la  discussion de la façon suivante : nous avons donc posé qu'il y a cette possibilité, mais il y en a une autre, qui consiste à explorer les récepteurs sensoriels, à les cartographier moléculairement, et à identifier les composés qui pourraient se lier à eux. 

La physico-chimie moderne commence  à bien apprendre  à trouver ces relations. La question n'est pas résolue, et il y a besoin de beaucoup de talents pour  améliorer les choses, mais il est également vrai que l'enjeu est considérable :  il y aura, derrière les progrès effectués,  une cascade d'applications  dans des champs très fondamentaux, notamment en physiologie. 

Car la découverte de composées à action trigéminale, permettant de stimuler certains récepteurs, permettra peut-être aussi  de détecter d'autres récepteurs, d'autres voies sensorielles... 

 

Quel dommage que je n'ai qu'une vie et que je ne puisse pas me lancer dans cette recherche !

mardi 25 avril 2023

Je viens de passer devant le 16 de la rue Claude Bernard, à Paris.

A cette adresse, il y  a un grand bâtiment en brique, qui était celui de l'Institut des sciences et technologies du vivant et de l'environnement, AgroParisTech. A priori rien de particulier ; un bâtiment comme les autres, en brique rouge. Pourtant, à l'intérieur, que de fourmillement intellectuel il y a eu, que de beautés de l'esprit ! 

AgroParisTech, c'est l' « Agro », cette école qui, depuis plus d'un siècle, forme les élèves ingénieurs agronomes, et, plus généralement, les spécialistes des sciences et des technologies du vivant et de l'environnement. 

Le titre ne ment pas : ces élèves sont sélectionnés sur un concours difficile, et ils sont donc parmi les meilleurs. Pendant trois ans, ils suivent ici des cours donnés par des enseignants chercheurs qui, eux-mêmes,  doivent être les meilleurs. Tout y passe, de la physique, de la chimie, de la biologie, mais aussi de l'agronomie, de l'économie... 

On le voit, il y avait donc bien plus que des briques rouges, au 16 de la rue Claude Bernard,  avant que l'école ne parte s'installer à Palaiseau, mais laissez-moi vous dire aussi qu'il y a toute une histoire derrière ces murs. 

Après la guerre de 1870, alors que les engrais s'introduisaient en agriculture, augmentant les rendements, indispensables pour nourrir les populations, le chimiste Charles Adolphe Würtz, de Strasbourg, s'efforça de créer l'Institut national agronomique, qui était l'ancêtre d'AgroParisTech. 

Cette école était donc une école de chimie,  puisque la chimie était la clé des développements agricoles de l'époque. Pour autant, Würtz n'était pas un esprit obtus, et c'est un ensemble pédagogique cohérent qu'il contribua à bâtir : la chimie avait sa place,  mais elle n'était pas isolée. L'institut fut donc créé dans un triangle, au coin de la rue de l'arbalète et de la rue Claude Bernard. 

Ce triangle, auparavant, était occupé par  la faculté de pharmacie, qui avait là ses « simples », les herbes médicinales indispensables à la préparation des remèdes. 

Tout cela pour quelques briques rouges !

lundi 24 avril 2023

Bon pour la santé...

« Bon pour la santé » ? C'est soit de l'ignorance, soit de la malhonnêteté, soit de la mauvaise foi. 

L'ignorance est évidemment... la chose la mieux partagée du monde, et, pour anticiper certains des commentaires qui me sont adressés et que je publie pas quand ils sont outrés ou inutilement désobligeants (j'accepte les critiques polies, toutefois), je dirais volontiers que,  personnellement, je suis dans le lot commun, hélas. J'essaie de me soigner, mais c'est un travail de chaque instant. Bref, on est souvent ignorant, quand on dit « bon pour la santé », parce que rien n'est parfaitement bon pour la santé. Parmentier contribua à sauver la France de la famine avec les pommes de terre, mais celles-ci contiennent des glycoalcaloïdes toxiques. Tous les composés sont toxiques, à des doses variées certes, mais ils sont « toxiques ». 

Pis, on a découvert, avec les SERM, médicaments introduits ces dernières décennies contre le cancer du sein, que les composés bio-actifs pouvaient avoir une action bénéfique sur un tissu, et maléfique sur un autre, car les récepteurs sont variés, et les réactions qu'ils déclenchent n'ont aucune raison d'être toutes souhaitables ; la « panacée » est une vielle lubie. Même l'eau est toxique : que l'on pense au supplice de l'eau, ou aux chocs osmotiques auxquels sont exposés ceux qui boivent de la neige fondue. 

 

Derrière l'ignorance, il y a parfois la malhonnêteté : c'est celle d'un certain commerce prêt à tout pour nous refiler ses produits (qui, selon les cas, sont bons ou non). Et, par les temps qui courent, je vois hélas bien trop de « bon pour la santé » sur les conditionnements alimentaires ! Luttons, luttons sans relâche contre les prétentions fausses. 

 

Enfin, il y a la mauvaise foi. Dans ce cas, il y a un sourire, parfois, de l'humour. Et la mauvaise foi est bien trop complexe pour que je puisse en juger de façon fiable. Certes, il y a la mauvaise foi qui consiste  à dire froidement quelque chose de faux en sachant que c'est faux, mais la mauvaise foi est compliquée, parce que l'on peut être de mauvaise foi en disant quelque chose de juste et en sachant que c'est juste. Pensons à une réunion où l'on doit choisir des candidats : si l'on met le doigt sur une caractéristique éliminatoire d'un des candidats, c'est quelque chose de juste qui est dit... et, pourtant, c'est très hypocrite, de mauvaise foi que l'on dit cela.

dimanche 23 avril 2023

On me dit que la cuisine de synthèse n'est pas de la "vraie" cuisine.

  La "vraie" cuisine ? Qu'est ce ? 

Pour moi, la cuisine, c'est l'activité qui consiste à préparer des aliments. Une pâtisserie n'est déjà plus du légume ou de la viande, mais c'est un "vrai" aliment, non ? Je me demande si l'on ne pourrait pas réinterpréter par référence aux autres arts : que serait la "vraie" musique ? Le chant ? Pourquoi se priver de la flûte et du piano... Que serait la "vraie" peinture ? La vraie sculpture ? Jetterons nous au panier tout l'art abstrait ? Et en littérature, resterons nous aux aèdes grecs ? Et puis, j'aimerais avoir des certitudes !

samedi 22 avril 2023

Des questions, à propos de cuisine de synthèse

Des questions, il peut y en avoir de sciences ou de technologie. 

Aujourd'hui je propose que l'on s'interroge d'abord sur la nature des questions qui sont posées, sur le champ dont elles relèvent. 

 

Partons de de la  cuisine de synthèse, surnommée "cuisine note à note", cette cuisine qui, au lieu d'utiliser des fruits, des légumes, des viandes et des poissons, utilise des composés purs. 

Ce billet est une sorte d'introduction à toutes les questions que pose la cuisine note à note. 

 

Puisque les plats de cuisine note à note doivent avoir une consistance, une odeur, une saveur, une couleur, des piquants, des frais, etc., s'imposent une série de questions relatives à chacune de ces modalités. Comment construire les consistances ? Lesquelles viser ? Pourquoi ? Comment construire les  couleurs ? Lesquelles choisir ? Comment construire les saveurs ? Et là encore, lesquelles choisir et pourquoi ? Les piquants, et les frais... 

Supposons maintenant que cette cuisine note à note s'impose  quotidiennement, pour mille  raisons  primordiales, telle  une population croissante dans le monde, une crise de l'énergie, une crise de l'eau. Comment manger quotidiennement note à note. 

Oui, la nutrition  (je veux dire la science de la nutrition, et non pas son application,  pour laquelle on devrait réserver le nom de "diététique") a progressivement appris l'importance des diverses catégories de nutriments, des macronutriments, des  micronutriments, l'importance des vitamines... On se dit donc  que l'on commence à connaître le contenu de ce que l'on doit manger, mais …  est-ce  vrai ? Un être humain qui mangerait tous les jours note à note, exclusivement de la cuisine note à note, serait-il en bonne santé ? en mauvaise santé ? ou en santé améliorée par rapport à l'état actuel ? La  toxicologie  : là encore, il y a beaucoup de faire. Il y a beaucoup de découvrir...  car de nombreux composés  que nous consommons aujourd'hui dans les tissus végétaux ou animaux ont des toxicités connues, avérées, établies (pensons aux hydrocarbures aromatiques polycycliques des viandes grillées, à l'estragole de l'estragon ou du basilic, à l'acrylamide formé lors de la cuisson du pain, etc.). Souvent, les toxicités n'apparaissent pas, ou, du moins, pas considérablement, et l'on peut vraiment se demander quoi manger, pour manger "sainement". 

Il va donc falloir apprendre, progressivement, à répondre à toutes ces questions. Quel bonheur !

Les Hautes Etudes de la Gastronomie

 En juin, les Hautes Etudes de la Gastronomie recevront la promotion 2023, avec une semaine de cours à Paris, puis une semaine à Reims. 

Des professionnels venus du monde entier, pour une nouvelle aventure : comme d'habitude, les enseignants sont sélectionnés sur une compétence unique, un rayonnement international, plutôt que pour "faire cours sur des matières prédéfinies". Cela fait maintenant de nombreuses années que nous restons sur cette belle idée... et les inscriptions nombreuses sont la preuve que cette stratégie n'est pas mauvaise.
Le "coût" ? Il est élevé (quoique... un adjectif appelle la réponse à la question "combien", et, surtout, doit être comparé à d'autres données ; inscriptions sur le site <a href="http://www.heg-gastronomie.com">

vendredi 21 avril 2023

Merveilleux Pierre Duhem !

Traversant le Quartier latin, je passe devant le Collège de France, et, notamment, devant la place Marcellin Berthelot.  

Berthelot ? Ce savant eut tous les honneurs, au point que son décès fut une journée de deuil national qui le conduisit au Panthéon, accompagné de son épouse décédée quelques heures avant lui. 

 

Au fait, qu'a fait Berthelot ? 

 

Enfant, quand j'allais à ce merveilleux Palais de la découverte, on y voyait en fonctionnement l'expérience de ce qui était nommée "oeuf de Berthelot", où l'envoi d'hydrogène entre deux morceaux de graphite reliés par une étincelle électrique, un arc électrique, conduisait à la synthèse de l'acétylène. 

C'était là une expérience éblouissante qui laissait imaginer combien Berthelot avait été un grand savant. 

Toutefois on ne devient pas plus bête si on lit ou si on relit à ce propos  le merveilleux livre de Jean Jacques, qui fut chimiste au Collège de France. Le livre est une biographie de Marcellin Berthelot  sous-titrée « Autopsie d'un mythe » : Jean Jacques, qui était féru d'histoire de la chimie, et compétent puisqu'il avait les pièces originales, "de l'intérieur",  montre très bien combien Berthelot usurpa sa réputation. L'oeuf de Berthelot, en particulier, n'est pas de lui, et beaucoup des travaux dont il s'est vanté avaient des antécédents dont il n'a guère reconnu la paternité. 

Le personnage était prétentieux, et, d'ailleurs, il a fini ministre ! Pensez-vous qu'un Einstein aurait accepté d'être ministre ?  Un Poincaré ? Un Faraday  ? Un Gauss ? Non, mais Berthelot avaient les dents qui rayaient le parquet, et il sut parfaitement construire son mythe. 

Mythe d'ailleurs repris allègrement par la famille,  qui s'enorgueillit d'avoir un ancêtre célèbre. 

 

Ce qui est extraordinaire, c'est que, quand des collègues étrangers viennent à Paris, ils passent  devant cette place Marcellin Berthelot, ils ignorent tout de  Berthelot   dont l'écho  des travaux n'est absolument pas parvenu jusqu'à eux. C'est troublant, n'est-ce pas ? 

En revanche, tous les physico-chimistes du monde connaissent Pierre Duhem, qui, vivant à la même époque que Berthelot, fit des travaux extraordinaires de physico-chimie. 

Pourquoi Duhem est-il si mal connu des Français et Berthelot si encensé ? La réalité est que Marcellin Berthelot fut le chimiste du parti laïc, extraordinairement puissant à son  époque, qui est celle des Jules Ferry, des  Ernest Renan... Chimistes laïc, Berthelot fut promu, reçut les honneurs, les postes,  les responsabilités...  Pierre Duhem, au contraire était extrêmement croyant, et cela lui valut  de ne pas avoir de poste à Paris, d'être envoyé à Bordeaux, qui à l'époque, n'avait pas les conditions scientifiques d'aujourd'hui. Duhem fut « enterré » scientifiquement. 

Je ne dis  pas mon sentiment personnel  sur l'existence éventuelle de Dieu (d'un dieu), mais je dis qu'il y eut une injustice, et dans les deux sens : un excès d'honneur pour l'un, une insuffisance de reconnaissance pour  l'autre. 

Je me limite à constater que, un siècle après ces deux hommes,  le monde est admiratif du travail de Pierre Duhem, et n'a, à l'exception de quelques uns, dont les descendants,  que peu d'admiration pour Berthelot. Je ne cherche pas ici à abaisser Berthelot pour rehausser Duhem, car c'est une attitude que je combats, mais je propose que chacun soit jugé selon ses mérites propres, et non pas selon une réputation entretenue par l'intéressé. Et puis, Berthelot est enterré, n'en parlons plus. 

En revanche, répétons que Pierre Duhem fit une oeuvre scientifique remarquable. Célébrons Pierre Duhem, découvrons son oeuvre de pionnier !

jeudi 20 avril 2023

Enseigner ? Faire cours ?

Alors qu'une nouvelle promotion  du master Erasmus Mundus FIPDes (food innovation and product design) est lancée, il semble important  de donner aux étudiants  une excellente bibliographie. 

 

C'est important pour de nombreuses raisons, mais, en particulier, parce que c'est la condition pour que les étudiants puissent apprendre par eux-mêmes, puissent considérer l'enseignant  comme un soutien et un guide, plutôt que comme un gaveur d'oies, un salaud de patron contre lesquels les bons ouvriers organisent une lutte des classes. 

J'insiste un peu  : ma proposition  est de réformer l'enseignement, en vue  de conduire les étudiants à l'autonomie,  en vue  de les rendre capables d'apprendre par eux-mêmes, sans « maître », sans « professeur », parce que, plus tard, ils n'auront pas ces soutiens. 

Cela a évidemment des conséquences sur l'enseignement lui-même, ses objectifs, et donc ses moyens, ses méthode, ses pratiques... 

La tentation est grande,  même dans cette idée, d'enseigner, au sens de dérouler l'ensemble du cours ;  je crois que nous devons résister,  tout comme nous devons faire attention à des détails. 

Par exemple, les enseignants en viennent souvent à dire  « mes étudiants », alors que ces  étudiants ne leur appartiennent pas. Voilà un symptôme, un symptôme léger certes, mais un symptôme,   une volonté de pouvoir de l'enseignant sur des étudiants. 

Il y a aussi la tentation de "faire cours", dérouler l'ensemble des informations,  mais pourquoi, au fait ? Pour être en position d'étaler son savoir personnel insuffisant ? Pour une sorte de compassion pas toujours bien comprise (on voit que je prends des tas de précautions oratoires, notamment parce que les idiosyncrasies et les généralisations sont des fautes) ? 

 

Bref  l'enseignement des sciences ne semble devoir être rénové... et cela passera en  particulier par l'usage de livres, d'articles, et aussi par usage d'Internet, dont nous disposons aujourd'hui, et qu'il serait une faute de ne pas utiliser. 

D'ailleurs, à ce sujet,  les enseignants feraient bien de se méfier, car les étudiants sont  souvent plus habiles qu'eux, voire plus expérimentés, pour aller dénicher  les informations dont ils ont besoin. 

En revanche, je ne vois pas d'inconvénient (mais dites moi s'il vous plaît si vous en voyez) à ce que les enseignants fassent état de leur admiration  pour certains documents, livres, articles, sites... 

Pour l'enseignement de la  physico-chimie, le livre  de Jacob Israelachvili (Academic Press) m'a été proposé il y a longtemps, comme un remarquable ouvrage, et il est vrai que, à l'époque,  je l'avais beaucoup apprécié, parce qu'il était un peu au-dessus de mes connaissances. 

Le relisant ces jours-ci, je me vois capable d'en  dégager la stratégie,  laquelle est intelligente  : l'auteur montre la voie du calcul de physico-chimie par des ordres de grandeur, montre des méthodologies de calcul, entre peu dans les détails, et donne nombre d'enseignements sous forme d'exercices. 

 

Connaissances et compétences : voilà deux notions que je crois utile de bien distinguer pour l'enseignement, les connaissances étant... des connaissances, alors que les compétences sont la capacité de mettre en oeuvre  les connaissances. 

Dans le cas de ce livre, on n'est guère embarrassé des détails, de sorte que l'on voit mieux les articulations, ce qui est utile pour un enseignement. 

La stratégie de l'auteur n'est pas complètement explicite (sauf avec cette introduction très anglo-saxonne, où l'on se débarrasse d'une explicitation du sommaire), et elle pourrait l'être, ce qui améliorerait encore l'ouvrage. Relisant donc ce livre, je le vois utile, parce qu'il invite à aller chercher par soi-même, et c'est cela qui me plaît le plus.

mercredi 19 avril 2023

Je reformule une question pour y répondre

Je reçois la question "Qu’est-ce que l’amylose-lipide complexion ?".

Dit ainsi, cela n'a pas de sens, mais vue la structure de la phrase et vus les éléments qui la composent, je pense que la question devrait être : "Qu'est-ce que la complexation des lipides par l'amylose ?".

Faisons-en l'hypothèse, et répondons à cette nouvelle question, qui, elle, a un sens. Et, pour commencer, examinons les divers éléments.

Les lipides, ce sont... les lipides : il s'agit là d'une catégorie de composés très vaste, très hétérogène : des composés hydrophobes (pas solubles dans l'eau) des aliments.
Ainsi, dans les huiles, les composés présents sont essentiellement des "triglycérides" : ce sont des lipides. Autre exemple : les cellules vivantes sont limitées par des membranes qui sont composées par des molécules de lipides : des "phospholipides".
Et l'on pourrait citer d'autres lipides tels que le cholestérol, les acides gras, et cetera.

D'autre part, l'amylose est un des deux principaux composés des grains d'amidon. Mais prenons la chose à rebours : la farine broyée libère de petits grains blancs, qui sont des "granules d'amidon".
Et ces granules  sont de petits grains durs, insolubles dans l'eau et  formés de couches concentriques, comme des cernes d'arbres.
Chaque couche est faites de molécules de deux sortes : des molécules ramifiées (comme de petits arbres) et des molécules linéaires. Les molécules ramifiées sont l'amylopectine, et les molécules linéaires sont l'amylose.
 
Enfin, la complexation (et non pas la complexion) est l'attachement d'une molécule à une autre, sans qu'il y ait de réaction chimique.

Avec ce bagage nous pouvons maintenant répondre à la question initiale...
 

Oui, nous pouvons répondre... à condition de savoir que les molécules d'amylose se mettent en hélice quand elles sont dans l'eau : la partie centrale est hydrophobe, et de petites molécules hydrophobes peuvent s'y loger.

C'est ainsi que certains lipides peuvent se mettre dans les hélices d'amylose (à condition d'avoir une petite taille).
Et cette complexation est la raison pour laquelle les sauces "bâtardes", avec de la farine, ont moins de goût : les composés odorants peuvent être complexés par l'amylose.
Etant complexées par l'amylose, les molécules de ces composés odorants ne sont pas libres de venir monter vers le nez (par les fosses rétronasales, entre la bouche et le nez), et stimuler les récepteurs olfactifs. Il y a moins d'odeur, donc moins de goût.


Eloge de la technologie

 Une sorte de paradoxe que de faire l'éloge de la technologie le dimanche, alors que la technologie est le métier de l'ingénieur, dont le nom a la même étymologie qu' "engigner" : le diable, raconte-t-on, engigna la mère de Merlin l'enchanteur, en vue de faire un pendant à Jésus Christ, de faire un fils qui perdrait l'humanité (mais un prêtre présent baptisa l'enfant à la naissance, de sorte qu'il perdit sa "malice", ne gardant que des pouvoirs surnaturels.

 Vive la technologie ? La technologie permet la réalisation de l'utopie qu'est la science quantitative. 

D'accord, mais plus précisément ? La technologie, c'est l'activité  qui cherche à appliquer les sciences quantitatives pour perfectionner les techniques. 

C'est un métier très particulier, et très extraordinaire puisqu'il transforme des connaissances en objets nouveaux du monde. 

Ces temps-ci, une partie frileuse du public refuse les avancées technologiques, les innovations techniques (et, même,  frémit à l'idée que la science poursuive son travail). Pourtant ces mêmes frileux utilisent des ordinateurs, des voitures, prennent le train, l'avion,  se brossent les dents avec des dentifrices dont ils ignorent tout de la constitution (pourtant bien perfectionnée par la technologie), portent des lunettes dont les verres sont des chefs-d'œuvre techniques... 

Oublions donc ceux-là pour le moment et concentrons-nous sur la technologie. Elle doit être un état d'esprit,  comme je vais essayer de le montrer avec un exemple personnel. Un exemple qui a l'inconvénient d'être personnel (pardon, le moi est haïssable), mais qui, de ce fait, a l'avantage d'être attesté (alors que beaucoup de ce que l'on entend est douteux, de seconde main, etc.). 

Cela se passe dans les années 1980 :  ayant compris que les protéines sont d'excellents  tensioactifs, qui permettent donc de faire des émulsions,  je vois une feuille de gélatine sur ma paillasse, au laboratoire. La gélatine ? C'est une matière faite de protéines. Peut-on  donc  faire une émulsion à partir d'eau, de gélatine et d'huile ? L'expérience n'est ni difficile ni longue,  et la réponse est immédiatement donnée : on obtient une émulsion. Toutefois on n'a pas fait là une grande découverte scientifique, et une saine méthode scientifique doit nous pousser à quantifier les phénomènes, en l'occurrence à caractériser quantitativement l'émulsion. Un microscope fut donc utilisé : apparurent des gouttelettes d'huiles dispersées dans l'eau. Sur de telles images, les molécules de gélatine n'apparaissent pas, évidemment, mais on sait  (pour 1000 raisons chimiques) qu'elles sont soit aux interfaces, soit dissoutes dans l'eau. Où sont-elles ? Il faut passer du temps à cette question, répéter l'expérience, regarder,  regarder encore et... ... soudain, on voit deux gouttelettes d'huile voisines fusionner, puis deux autres, deux autres,  et ainsi de suite, mais contrairement à une coalescence telle qu'il s'en produirait si l'on avait fouetté de l'huile dans l'eau pure, la coalescence particulière des émulsions d'huile dans l'eau stabilisées par de la gélatine cesse de coalescer à partir un certain moment. 

 Pourquoi ? Parce que l'émulsion est prise dans un gel physique. Une émulsion prise dans un gel  physique ? Et si l'on en faisait de la cuisine ? Cela, c'est mon invention des « liebigs » (du nom du chimiste allemand Justus von Liebig, évidemment). 

Remplaçons l'eau par un liquide qui a du goût, ajoutons  de la gélatine, ou tout autre composé qui permettra à la fois une émulsification et  une  gélification physique, utilisons de l'huile ou tout  autre corps gras sous forme liquide, et nous pourrons reproduire l'expérience, obtenir une espèce de sauce nommée liebig, un nouveau système, tout comme l'ont été mayonnaise,  crème fouettée,  parmentier, caramel, etc.. 

 

Moralité : les liebigs  sont une préparation nouvelle, maintenant bien comprise, fruit d'un transfert technologique. Il résulte de ce moment particulier  où l'on s'est demandé : "et en cuisine, qu'est-ce que cela donnerait ?" Ce moment particulier n'est pas un moment scientifique, mais un moment technologique. Vive la technologie !

mardi 18 avril 2023

On enseigne "les sciences" ?

  Dans  les collèges, dans les lycées, dans les universités et les grandes écoles,  on enseigne « les sciences », ou, plus exactement, on prétend enseigner les sciences. 

Les sciences ? Vraiment ? 

Considérons la physique : par exemple  les résultats d'électromagnétisme. L'activité scientifique consiste à chercher des mécanismes des phénomènes. De ce fait, un enseignement scientifique, véritablement scientifique, consiste  à enseigner aux étudiants à chercher les mécanismes, et non à gober les résultats obtenus précédemment. 

 

Un  enseignement de la science doit donc se focaliser sur les méthodes qui conduisent aux mécanismes, et non seulement aux résultats obtenus dans le passé. 

On comprend donc qu'une approche historique, avec sa composante analytique, est essentielle dans un enseignement des sciences. 

Supposons maintenant  que pour des raisons variées -contraintes de temps,  par exemple- on  soit conduit à n'enseigner que les résultats. Pourquoi ferait-on cela ? Parce que l'on souhaiterait,  évidemment,  que les étudiants aient la connaissance de ces résultats, sans quoi il serait bien utile de l'enseigner, vu la masse des connaissances qui méritent de l'être utilement. 

Si les étudiants  doivent donc  connaître des lois, des mécanismes, c'est pour en faire usage. Non pas un usage scientifique, car là, ces résultats sont un peu inutiles, vu que, ce qui compte, c'est d'obtenir des résultats, non pas les connaître. 

Il faut donc conclure que, dans ce second cas, l'enseignement vise à donner une connaissance de lois qui seront appliquées, utilisées. Là,  on arrive dans la technologie. On conclut donc que, dans ce second cas, on effectue un enseignement technologique et non scientifique. 

Faudrait-il donc parler de « physique pour la technologie », par exemple, ou simplement de technologie ? 

 

Évidemment, le monde réel est plus complexe que le monde idéal, et l'on trouve dans la même classe des élèves qui se destinent à la science quantitative  et d'autres qui se destinent à la technologie, par exemple, ou à la technique, etc. Les enseignements sont donc nécessairement hybrides, mais vu le nombre de futurs scientifiques et le nombre de futurs ingénieurs, technologues, techniciens, il serait sans doute bon de ne pas être trop prétentieux, et de dire clairement que  les enseignement  que nous nommons actuellement scientifiques sont en réalité des enseignements technologiques. 

 

Mais il y a la question politique  ! 

 

La, on tient compte de faits externes, à savoir qu'il faut renouveler les populations des scientifiques, ingénieurs, techniciens. Il y a  aussi le fait que  les étudiants aspirent à « faire carrière », à avoir des emplois auquel tous ne pourront accéder,  vu leurs « capacités ». 

Que l'on me comprenne bien :  je ne dis pas qu'un individu ne puisse, à force de travail, parvenir à des résultats, bien au contraire (labor improbus omnia vincit) ! Je dis seulement  que, dans la vraie vie, il y a des étudiants qui ont un véritable amour de la connaissance, d'autres qui se cultivent en vue d'obtenir une situation qui leur fera gagner beaucoup d'argent, et, donc, qui se moquent des résultats scientifiques ; il y a ceux qui, en raison de leur environnement familial, culturel, social, ont plus de facilités à se concentrer, travailler, étudier, et il y a les autres, qui ont plus de mal (je me souviens d'étudiants d'étudiants qui, devant travailler -pour payer leurs études et pour vivre- pendant la nuit, avaient du mal à ouvrir les yeux dans la journée). 

Je dis donc que  la vie est bien difficile, et que nos  systèmes d'enseignement, recevant des étudiants en très grand nombre, n'ont pas le temps ni les moyens  de se consacrer autant qu'ils le pourraient à l'élévation de chacun. 

Inversement, je n'oublie pas non plus une certaine veulerie dont nous sommes tous plus ou moins affligés, qui consiste à regarder la télévision alors que l'on pourrait se plonger dans un livre de calcul différentiel et intégral ; je sais que, le soir, certains trouvent plus facile de lire un roman minable que d'explorer les mécanismes des réactions chimiques (et je ne suis pas blanc !). 

D'ailleurs, les raisons de ces comportements sont à analyser. Tout comme l'état d'esprit à propos des « vacances » : quand j'entends « je vais me vider la tête », j'ai toujours tendance à me demander s'il ne voudrait pas d'abord la remplir, et à la remplir de choses belles, de connaissances qui font grandir au lieu d'avilir. Panem et circenses, du pain et des jeux : l'idée n'est pas nouvelle, et l'on peut sans doute considérer qu'elle perdurera. Pour autant, on peut aussi espérer que beaucoup d'enthousiasme public, manifeste, pour la connaissance permettra à un nombre croissant  d'entre nous de nous améliorer l'esprit, régulièrement. Nous améliorer l'esprit ? 

 

Terminons ce billet en évoquant Michael Faraday, orphelin de père à 11 ans, enfant d'une famille extrêmement pauvre, qui, en plus de son travail, allait une fois par semaine dans un club d' « amélioration de l'esprit ». Cela est possible, et les exemples de ce type doivent absolument être montrés à tous. Ne laissons pas la poussière du monde nous ensevelir ! Vive la connaissance produite et partagée ! 

 

PS. Evidemment, comme on ne doit pas être insensé au point d'être assuré de ses propres certitudes, je continue à m'interroger : enseignons nous vraiment les "sciences", notamment dans le Second Degré ? Faut-il continuer à nommer les enseignement : physique, chimie, biologie ?

lundi 17 avril 2023

Pas de religion, pas de politique, pas d'armée à table

Pardon, mais aujourd'hui, je touche à un sujet terrible : la religion (dans les dîners bourgeois des siècles passés, il était exclu de parler de religion, de politique et d'armée à table). Je sais que je suis souvent incorrect, de sorte que je vais faire de mon mieux. 

 

Il est souvent déclaré que science et religion ne peuvent s'accorder. Certes, les mesures de l'âge de la Terre par les géophysiciens réfutent les indications de la Bible, par exemple, et  d'autres résultats scientifiques réfuteront le Coran, le Talmud, les légendes bouddhiques,  les Védas... 

 

Doit-on donc considérer que science et religion sont très opposés ? Posons la question plus crûment  : peut-on  être croyant et  faire de la recherche scientifique ? 

 

La question n'a pas grand sens, puisque je connais des scientifiques croyants ;  la réponse est donnée, en pratique ; le noeud gordien est tranché.

Toutefois, la question de la nature de la réconciliation demeure : comment concilier  les deux champs alors qu'ils semblent bien inconciliables ? Doit-on refuser les résultats des sciences qui s'opposent aux textes religieux? Ou, au contraire, refuser les textes religieux qui sont réfutés par les sciences ? Ou encore se détacher de la littéralité des textes pour se mettre à les interpréter ? 

L'abbé Lemaître, qui fut un excellent cosmologiste, avait dû considérer cette question, et, notamment la position de l'église chrétienne vis-à-vis de Galilée, dont un pape, infaillible donc, avait déclaré que les idées étaient hérétiques. Alors que faire ?  L'abbé Lemaître avait agité cette question en tous sens, et il avait finalement considéré qu'il y avait la religion d'un côté, la science de l'autre, et que la science ne pouvait rien dire de la religion ni la religion de la science. 

C'était une façon de botter en touche. Je crois plus utile de rappeler  que Michael Faraday,  un des plus grands physico-chimistes de tous les temps, était profondément croyant, mais, plus encore, il était sandemanien : cette secte considérait que la Bible est juste  dans sa littéralité. 

Là, les contorsions du style de celle de l'abbé Lemaître ne valent plus rien. Comment faire ? La réponse est donnée dans une position vis-à-vis du monde :  Dieu (qu'il s'agisse de celui des Juifs, de celui des Chrétiens, de celui des Musulmans, etc.) aurait donné  deux messages à l'humanité  : la Bible (le Coran, le Talmud, etc.) et la nature. Pour comprendre la parole de Dieu, les hommes et les femmes ne pourraient faire mieux que de lire la Bible (le <em>Coran</em>, le Talmud, etc.) et d'aller explorer la nature, c'est-à-dire se lancer dans la recherche scientifique. 

Faraday considérait-il que la littéralité du message de Dieu qu'il fallait accepter était celle de la nature ?

dimanche 16 avril 2023

Vous avez dit "recherche"

 

 En  sciences, en technologie, en technique, et ailleurs, il y a ce mot « recherche ». 

C'est un mot merveilleux, bien sûr :  au lieu de se contenter passivement de ce que l'on a, on fait l'effort de l'activité, et l'on cherche, plutôt d'ailleurs qu'on ne recherche, autre chose, sous-entendu quelque chose « de mieux ». 

De nombreux métiers sont l'occasion de faire de la recherche, mais, je ne sais pourquoi, les sciences de la nature se sont un peu accaparé ce mot, au point que l'on ne spécifie même plus  "recherche scientifique ». 

 

La recherche serait-elle l'apanage de la science,  et de la science quantitative en particulier ? Non ! 

 

Il y a de la recherche presque partout. La technologie, d'ailleurs, est par définition de la recherche : observons le mot  grec logos qui fait le suffixe. 

La technologie est la recherche  d'améliorations de la technique. Autrement dit,  quand les étudiants en sciences de la nature et en technologie déclarent vouloir se diriger vers de la recherche, cela semble bien naturel. 

Les techniciens peuvent-ils  faire la recherche ? Si le technicien cherche à améliorer la technique, il fait de la technologie, de sorte que la technique semble être condamnée à être exclue du domaine de la recherche.

 Pourtant,  les techniciens ont parfaitement le droit d'être intelligents, bien évidemment, d'être actifs, de ne pas être des machines. Confucius disait d'ailleurs que l'homme n'est pas un ustensile ; contrairement à une cruche, il n'a pas une seule fonction, mais plusieurs. 

Autrement dit,  la technique n'a pas d'intersection avec la recherche,  mais les techniciens peuvent faire autant de recherche qu'ils veulent (d'ailleurs, ne peut-on être technicien ET musicien, scientifique ET potier, etc.) 

 

Pour les sciences de la nature, le problème est inverse, d'ailleurs pour la technologie aussi. 

Cette fois, c'est une sorte de pléonasme que de parler de recherche scientifique ou de recherche technologique, puisque les sciences quantitatives sont par définition une recherche, la technologie aussi. 

A ce sujet, il me faut répéter ici qu'un pléonasme n'est pas une faute, ou une erreur ; c'est une  répétition voulue, contrairement à la périssologie, qui, elle, est un pléonasme fautif. Descendre en bas, monter en haut,  une obscurité bien sombre... Il y a là du pléonasme, qui, si l'on est négligent en parlant ou en écrivant devient une périssologie, mais le poète peut en faire des éléments de la beauté. 

 

 Vive  la recherche !

samedi 15 avril 2023

La première semaine de septembre prochain, nous accueillerons à nouveau des étudiants, venus du monde entier, pour le Master Erasmus Mundus Food Innovation and Product Design... en même temps que nous remettrons les diplômes à la  promotion sortante. 

Cette semaine sera bien pleine. Il y aura notamment un "FIPDes Day", avec des conférences, des présentations d'étudiants... 

Et je peux difficilement faire mieux que vous donner ici l'introduction d'un livret réalisé il y a quelque temps : 

 

Welcome to the  FIPDes Day!

This wonderful adventures of FIPDES began some years ago. Let me tell you the story. Once upon a time, there were students from all over the world who wanted to study in the field of food, cooking, science, innovation... At that time, the link between sciences and culinary creativity had been more broadly recognized, and  it was clearer that this link was important for the food industry; within the food industry, and in the public, it was felt that food engineers really needed some understanding of the three components of food : technique, art, social link. 

 

Students wanting to learn? Wonderful!  Students ready to cross the world to get a first class education in food engineering?  

Obviously an answer was needed. And this is how the four core partners of FIPDes met. All of them  were facing the same question, and it was felt that each of the four partners could contribute with specific, and complementary forces to a first class educational programme. It is quite remarkable that within two proposals only, the European Community accepted our common programme. This could even be considered as a sign for something important. 

By the way, building this programme was (and still is) really enthousiastic, because it's an answer to the French writer Antoine de Saint-Exupery, who said once : « If you want to create harmony between men, make them do something together ». In order to create this Erasmus Mundus Master Programme, we had to overcome our idiosyncrasies, our cultural particularities, our individuals tastes for science, or for technology, or for technique... 

We have to be open to an « international culture », and this is clearly a big advantage for FIPDes  students : instead of being trapped in one particular food culture, they are now exposed to very different ideas. It is not a scoop to say that the food in the north of Europe is not the same as in the south, not only in terms of particular food items, but also in terms of relationship of the human beings and food. There is no such place as FIPDes for the giving to students an open view on food. 

What is « good food » ? French people would consider frogs and snails along with stincky cheese, whereas Italian would put much emphasis on different qualities, such as the freshness of vegetables, they would insist on oil, but Irish or Swedish would on the contrary insist on butter, milk, cream, fish, smoked products... Imagine the students in the middle of this : they can be fully aware of the specific qualities of food ingredients, in order to build more universal good food. In the army, it  was frequently said that sailors were more « intelligent » than other soldiers, because they could see more countries and cultures. 

The same for the FIPDes students, which, on top of this advantage, come from all over the world ! The multicultarily of the team is not only from teachers, but also from students ; students who live together for two years, having the feeling that they make a very particular group, being heavily selected before coming... and one should never repeat enough that the quality of institutions is based on the quality of the individuals making the group. 

 

Why a FIPDes Day ? 

FIPDes being created, we had the pleasure to get the first students in September 2012. But remember that FIPDes is very peculiar, and the partners do all that they can to improve the curriculum. Simply giving a diploma ? This would be rather dull. No, instead, we had the feeling that top engineers had to behave differently, more actively, and this is how this FIPDes Day was created.

Of course, in a family, there are different points of view, and this is what makes the family life pleasant. Within the FIPDes context, the various groups are the students, the teachers, and the various partners, from the industry or from the academy. A « feast » had to be entertaining for all ! 

For FIPDes, we have the idea that sciences and technology is the main thing, so that a feast should be focused on this. We also have a passion for results, not only words, which is why we decided that results should be shown. And as students had made projects, during their two year curriculum, why not propose them to explain what they did ? 

Here, it's probably the best place to repeat that an idea in a closed cabinet is not an idea. An idea becomes an idea only when it is implemented, shared, distributed, patented, sold, exchanged, used, improved... and this means that communication is a key factor of the education of top engineers. A feast, in the FIPDes context, had to be a day with a lot of ideas exchanged, and this is how the programme of the day was built. Sharing, sharing, sharing... At FIPFes, we have a dream : imagine a table (being systematic, isn't it a key advantage for engineers), with rows called « students », « industry partners », « academy », « teachers », « administration »... and the same for columns, and imagine that we make a cross in the cells when the two parts are discussing (on food science and technology, on food innovation and product design). We shall be proud if we succeed putting crosses in all cells of the table. 

By the way, I know that it is useful to discuss somehow the words « science », « technology », « technique ».  The last one, first, is of the utmost importance, because « technique » comes from the Greek techne, which means « to do » ; and it's true that no food exist when it is not produced. However, this is done by technicians, not engineers. For engineers, they have to practice technology, which means the improvement of technique, using science or not. Some years ago, I proposed to call these two kinds of technology « global », and « local ». 

Science ? Indeed this means only knowledge, and we shall distinguish clearly among the different kinds of sciences. There are sciences for humans and for societies, and there are «  sciences of nature », i.e. physics, physical chemistry, biology... For example, molecular gastronomy is a  science of nature, not technology, not cooking (in particular, it should not be confused with « molecular cooking », or with « note by note cooking », as we shall see later). 

Sciences of nature ? Their method is known, since Francis Bacon (to put figures everywhere) and Galileo Galilei (make experiments, think that the world is « written » in mathematical language). Indeed the whole method lies in : (1) observe a phenomenon ; (2) quantify it ; (3) summarize the data into synthetic laws ; (4) look for the mechanisms behing the laws ; (5) test the experimental consequences of the theory, in the hope that you will find how it is wrong. Indeed, this last characteristic of quantitative sciences can make us very optimistic about innovation : as science will have no end, always improving, it will bring new knowledge, of which talented engineers will make innovation. Yes, we can have faith that science will give the basis for innovation at all times... and this is why our educational programmes at FIPDEs should be always linked to the more modern scientific knowledge. 

Excellence, creativity, innovation... At this point, we have to discuss the question of excellence, because this word is in every mouth, those days, in the academic circles as well in the industry. In the end, nobody trusts the word... but if we don't say it, about FIPDes, we have the risk to be considered as less than others. And we are not, on the contrary. I know that teachers and students together do their best, in order to make a lively community of knowledge and skill ! I know that the FIPDes students are strongly selected, among hundreds of candidates. I know that their educational programme is very full. 

But all this are words. The best demonstration of the excellence of FIPDes is to be given during the FIPDes Day : the proof of the cake is in the eating. Here, there should be two demonstrations : one about the content, and one about the communication skills. Are not engineers specialists of working in teams, of dealing with the complex human material. Of course, technical skills are important ; of course scientific knowledge is the firm ground on which technology can rise, but humans, wonderful humans... If we want to built a boat, let's learn to dream about the infinite sea...

Finally, I would like to insist, about the « engineer ». Remember that Leonardo da Vinci was of this kind, always considering possibilities in the world, always trying to understand, in order to do ! For example, how could he draw trees better than others ? He analyzed that the sap was a liquid, and that liquids cannot be compressed : the rate of sap before the separation of two branches should be equal to the sum of the rates in each branch, and this leads to a particular law, in terms of diameters of the branches, on pictures. He could spend hours behind a bridge, just looking at the vortices of water, in order to understand how to represent them, i.e. trying indeed to understand liquid flows, are the visual representation is one key component of understanding in general. 

Concerning innovation, also, the world is sometimes worn. But for us, at FIPDes, it is not. It's not a sole word, but also methods, a certain way of thinking... For innovation, one needs culture, and more precisely a culture of innovation. Of course, very modern courses are needed, as this particular example shows. Imagine that you teach the «laws » of sedimentation and creaming, so important in the food industry. If you just explain how to solve the equations of motion, you teach a knowledge of the XIXth century, and the innovation that one can base on it would be XIXth century technology. If you decide to teach statistical physics, instead, then you reach Xxth century technology... but if you teach some results obtained after Boltzmann, i.e. quantum mechanics and numerical methods, then you move into the XXIrst century, and this is what we have to do. In this case, students can have the basis for real innovation. Education should be linked to lively scientific research !

Of course, today, engineers have to know a good deal of science, but they need more, for sustainability is a key issue. Moreover, companies are no longer run as before. There are new challenges, and we have to envision the future with more intelligence than by sticking only to technical questions. 

In this regard, it's important to recognize that food is not only nutrients, but also  has an art component, as well as a social one. The FIPDes community is clearly recognizing this, and we have faith that, all together, with the specific intelligence of all, from students to teachers, including administration, partners, we can envision a bright future about food !

vendredi 14 avril 2023

La cuisine abstraite

 Dans les courants culinaires que j'essaie de créer, il y en a un,  la cuisine abstraite, qui n'a pas encore trouvé son heure. 

De quoi s'agit-il ? On le comprend facilement si l'on en revient à la peinture abstraite. 

Dans le temps, les peintres étaient figuratifs : ils représentaient les objets, les personnages, les montagnes ; ils peignaient  les arbres, les fleuves, les animaux... Puis, progressivement, ils apprirent plus explicitement que par le passé à projeter dans leurs représentations des idées variées. Et,  dans les années 1910, il y eut  une révolution, à savoir qu'un génie nommé Kandinsky proposa de ne plus représenter, du moins représenter tel qu'on le verrait en ouvrant simplement les yeux, de faire sentir. Des points, des lignes, des plans, du blanc, du jaune, du rouge, du bleu... Formes et couleurs... Il s'agissait utiliser ces éléments pour donner à sentir, à penser, et ce fut le grand développement de la peinture abstraite. Et en cuisine ? 

 

Qu'est-ce qui  retient les artistes culinaires de faire de même ? Pour l'instant, on en est resté à des idées très archaïques, exprimée par le critique culinaire Curnonsky dans cette phrase célèbre et un peu bête : « les choses sont bonnes quand elles ont le goût de ce qu'elles sont. » 

C'est exactement l'opposé de la cuisine abstraite, c'est du figuratisme, et c'est une règle, c'est-à-dire l'opposé de l'idée de l'art.  Avec Curnonsky, la cuisine est assignée à rester un siècle derrière la peinture. Je propose que nous évoluions, que les jeunes cuisiniers se mettent au travail pour explorer cette cuisine abstraite. Ils devront avoir comme mission, comme idée,  de ne pas faire sentir la tomate, la courgette, l'agneau, la langoustine... 

Partant d'ingrédients classiques ou  modernes, ils devront susciter des sensations en évitant de donner des goûts reconnaissables. 

 

A ma connaissance, Pierre Gagnaire est le seul qui ait pratiqué cet art,  avec des recettes d'ailleurs étonnantes de simplicité, ce qui tendrait à prouver que la cuisine abstraite n'est pas difficile. 

Là pourtant, je me reprends, car l'utilisation d'ingrédients classiques pour faire de la cuisine abstraite, s'apparente à la marche sur un chemin de crête aussi étroit qu'une lame de rasoir (j'exagère). 

Considérons par exemple un plat abstrait qui mêlerait  de la rhubarbe et des langoustines ; un peu trop de rhubarbe, et l'on sent la rhubarbe, mais un peu trop de langoustines et l'on sent la langoustine. 

Je n'ai pas théorisé la cuisine abstraite, mais il me semble que l'ajout d'un troisième ingrédient au moins s'impose, afin de créer une autre dimension, telle celle qui fut employée par le graveur néerlandais Maurits Escher, ou  par les musiciens Shepard et Risset. 

 

Mais je m'arrête, car nous voulions analyser plus en détail la cuisine abstraite, il faudrait bien plus qu'un billet de blog. Pour ceux qui sont intéressés, je signale un chapitre de mon livre Mon histoire de cuisine à propos de « l'exploration de la cuisine ».

 


 

jeudi 13 avril 2023

Des polyphénols ? Disons simplement « phénols des végétaux »

Cela fait des années que je conseille à mes amis des métiers du goût de parler  de "polyphénols", pour de nombreux composés des vins, plutôt que de "tanins", qui ne sont que les composés qui tannent. 

Dans la même veine, j'ai largement critiqué l'emploi d'expressions comme "les tanins fondent lors du vieillissement de vins", et notamment parce que, en réalité, l'affaiblissement ou la disparition de l'astringence, dans des vins qui vieillissent, n'est pas due à des tanins qui "fondraient", mais à des association de composés phénoliques en structures plus grosses, qui perdent les propriétés tannantes.

Les tanins ? N'oublions pas que l'espèce humaine a appris, il y a très longtemps, à tanner les peaux d'animaux pour augmenter leur résistance, leur durabilité. Les tanneurs étaient dans toutes les villes, à côté de l'eau qui est indispensable pour cette opération.

 

Pour faire du cuir (https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32013D0084&from=RO et https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k99567.image)

On obtient du cuir après plusieurs étapes, en mettant en oeuvre un savoir-faire ancien, qui a bénéficié des avancées de la chimie.

La durée moyenne de l’ensemble de ces traitements est de quatre semaines. Plusieurs métiers se relaient pour donner toutes ses caractéristiques au cuir : souplesse, odeur, fermeté couleur, épaisseur, toucher, etc.

Commençons par observer que le travail des peaux doit intervenir rapidement après l’abattage, car les peaux sont fragiles : elles sont constituées de 75 % d'eau, et pourrissent en quelques heures (selon la température). Afin d'éviter cette dégradation, la méthode la plus utilisée est le salage (simple et économique), mais il peut aussi y avoir séchage ou congélation.

Dès ce stade, on trie les peaux, en fonction de leur qualité, afin de permettre, ensuite, au tanneur de proposer des lots de cuirs finis de qualités homogènes. Le prix des peaux brutes est 40 et 50 % de celui du prix du cuir fini.

Le tanneur, qui récupère des peaux sales, procède à une trempe, qui réhydrate la peau et la dessale : les peaux trempent dans environ cinq fois leur poids d’une eau à laquelle on ajoute un antiseptique. Ce bain sert aussi à éviter la putréfaction et la dégradation de la "fleur" et des fibres de la peau dans la cuve.

Vient ensuite le dépilage et le pelanage. Le dépilage est effectué par des produits qui détruisent la kératine (constituant du poil) et l’épiderme de surface. Le pelanage consiste à dégrader légèrement les fibres pour rendre la peau plus réceptive aux futurs traitements tannants. Cette étape conditionne en partie la souplesse du cuir fini, car plus les fibres seront dégradées et plus le cuir sera souple.

Les peaux passent ensuite à l’écharnage : une machine nommée écharneuse élimine l’ensemble des tissus sous-cutanés. A partir de ce moment, il ne reste que le derme, qui sera transformé en cuir.

Le déchaulage consiste à réduire le pH des peaux à 7 (il est encore trop basique) : on trempe les peaux dans des cuves emplies d’eau et des sels ou des acides. Les cuves sont agitées, pour accélérer le processus. Des contrôles réguliers sont effectués car un pH trop acide dénaturerait la peau. D’autres réactions (confitage et picklage), indispensables mais de moindre importance, sont mises en oeuvre au cours de cette opération générale, en vue d’éviter d’autres réactions lors du tannage qui se déroule en milieu acide.

Puis vient le tannage du cuir : c'est l’action de transformer en cuir une peau débarrassée des poils et autres résidus. Le tannage consiste à déshydrater une peau putrescible et à y fixer des agents pour la rendre imputrescible et résistante.
Pour arriver à ce résultat, il existe plusieurs agents tannants :
- les tannins végétaux: ils se présentent sous la forme de poudres concentrées issues de divers végétaux ; les peaux passent alternativement entre 8 et 15 jours dans 5 à 8 cuves contenant des solutions de plus en plus concentrées ;
- le chrome, dans 80 % des cas, car plus économique (le tannage se fait en 24 heures).
- d’autres types de tannage (à l’aluminium, au zirconium, etc.), permettent d’obtenir des cuirs spécifiques, mais restent moins bien maîtrisés et coûteux, donc moins courants.

Le tannage transforme donc les "peaux" en "cuir", mais ce dernier n’a pas encore les caractéristiques nécessaires à la confection d’objets en cuir. La succession de plusieurs opérations de corroyage doit encore le rapprocher du résultat souhaité.
Ainsi, au cours de l’essorage, le cuir passe entre des cylindres : comprimé, il perd une grande partie de son eau.
Puis les cuirs peuvent être refendus. On obtient deux feuilles. L’une est la fleur (côté externe) et l’autre la croûte, ce qui double la surface de produit à vendre, en fonction des utilisations.
Le cuir est ensuite neutralisé, pour supprimer une éventuelle acidité résiduelle et encore faciliter la pénétration des produits chimiques. Il peut alors être teinté et nourri : la nourriture, souvent réalisée à l’aide d’une huile de poisson, donne de la souplesse et augmente la durée de vie. En fonction de la destination prévue pour les cuirs, le pourcentage de matière grasse sera différent :
- 4 à 10 % de son poids pour du cuir à chaussure
- jusqu’à 30 % pour du cuir dit gras.
Le séchage, enfin, est une étape très importante pour la qualité du cuir. S’il est trop rapide, le cuir sera trop raide et s’il est trop lent, la tannerie n’est plus rentable. Ce séchage peut se faire de plusieurs manières : sur cadre, suspendu ou sous vide.

Il est intéressant d'observer que les mêmes tanins végétaux utilisés pour le tannage des peaux furent employés pour la confection d'encres... comme on peut en faire l'expérience en faisant bouillir de l'écorce de chêne dans de l'eau, puis en ajoutant de la rouille dans la décoction : on voit se former un beau précipité noir, que l'on peut stabiliser à l'aide de gomme arabique.
D'ailleurs, si l'on goûte la décoction avant d'ajouter la rouille, on perçoit que la solution est très astringente : les tanins se lient aux protéines lubrifiantes de la salive.
Autre expérience possible : mettre en bouche une gorgée d'un vin astringent, la faire tourner dans la bouche, et recracher doucement (pour ne pas faire de mousse qui gênerait les observations ; on voit alors un précipité que forment les protéines salivaires avec des tanins du vin.

 

Tout cela étant dit, que sont les tanins ? Et quel rapport avec les pigments phénoliques des plantes (et du vin), avec les composés astringents du bois ? Et avec des polyphénols ?

Un collègue évoque (Why bother with Polyphenols ? : Groupe Polyphenol. https://www.groupepolyphenols.com/the-society/why-b...) la question de savoir ce que sont les polyphénols. Il répond que ce n'est pas simple, et il propose une définition discutable (selon lui). Mais l'apport de son texte est surtout de faire état de définitions successives, de ce que le Gold Book de l'Union internationale de chimie (IUPAC) propose de nommer plus simplement et plus justement des "phénols" (https://goldbook.iupac.org/), comme je l'explique plus loin.

Je reprends d''abord le texte de mon collègue son texte en le traduisant, et en le transformant. Mais je me fonde aussi sur le texte Haslam E. 2007. Vegetable tannins-Lessons of a phytochemical lifetime, Phytochemistry, 68, 2713-2721.

Il y a 50 ans, Theodore White a proposé une définition fondée sur l'utilisation de composés phénoliques pour tanner, ce qui avait conduit à la terminologie "tanins végétaux". Ces composés avaient été explorés, pendant la première partie du 20e siècle, mais les outils manquaient aux chimistes entourant le chimiste allemand Emil Fischer -notamment son élève Karl Freudenberg- pour en élucider la constitution moléculaire.

Trois scientifiques prirent le relais : E. C. Bate-Smith et Tony Swain explorèrent les phénols des plantes, précisant les bases moléculaires du tannage par des composés végétaux, tandis que Edwin Haslam explorait la réactivité, la synthèse, les effets phytochimiques, biochimiques et biophysiques de diverses catégories de ces composés, ainsi que leurs interactions avec des polysaccharides ou des protéines.

Haslam proposa une première définition, en utilisant les travaux de Bate-Smith, Swain et White : les "polyphénols" auraient été restreints à des tanins végétaux qui auraient été solubles dans l'eau et auraient eu une masse molaire comprise entre 500 et 3000-4000, avec 12 à 16 groupes hydroxyles phénoliques et 5 à 7 noyaux aromatiques par 1000 unités de masse molaire, ce qui aurait permis les réactions phénoliques connues, tel la formation de complexes bleus sombres avec des sels de fer III, la capacité de précipiter des alcaloïdes et des protéines.

Avec cette définition, la lignine n'est pas un polyphénol, et trois classes de produits naturels portant des groupes phényle polyhydroxylés pouvaient être désignés par le terme "polyphénol" : les proanthocyanidines (ou tanins condensés) tels que procyanidines, prodelphinidines et profisetinidines, les gallo- et éllagitanins (les "tanins hydrolysables"), qui sont dérivés du métabolisme de l'acide gallique (ou acide 3,4,5-trihydroxybenzoïque), les phlorotanins, que l'on trouve dans les algues brunes et dérivent du couplage oxydatif du phloroglucinol (ou 1,3,5-trihydroxybenzène).

Cette définition a été élargie à des structures phénoliques plus simples, notamment en raison d'une reconnaissance de la bioactivité des phénols végétaux. Un grand nombre de ces composés n'ont pas d'action tannique, mais ils peuvent être à l'origine de composés qui en ont une. Ont alors été considéré comme "polyphénols" des composés tels les flavonoïdes, avec les flavones, les flavanones, les flavanols, les flavonols, les isoflavones, les anthocyanidines, les chalcones, les aurones et les xanthones.

 

Mais UIC, toujours l'UIC, rien que l'UIC

On comprend que la notion de "polyphénols" s'est lentement dégagée de celle de tanins, mais on se souvient que, en matière de chimie, les terminologies doivent faire l'objet d'un consensus international (sans quoi le fléau de la tour de Babel crée le désordre).
Bref, le Gold Book de l'Union internationale de chimie (IUPAC) est clair et logique : on ne parle de polyphénols que pour des composés qui sont des polymères (plus de 100 résidus environ) ou des pseudopolymères (avec des résidus qui peuvent être de plusieurs types) de phénols. Et c'est ainsi que les lignines, par exemples, sont des polyphénols... alors que nombre de tanins ne sont que des oligophénols, en vertu de la définition internationale :
Oligo: A prefix meaning 'a few', and used for compounds with a number of repeating units intermediate between those in monomers and those in high polymers. The limits are not precisely defined, and in practice vary with the type of structure being considered, but are generally from 3 to 10, e.g. oligopeptides, oligosaccharides.
Source:
PAC, 1995, 67, 1307. (Glossary of class names of organic compounds and reactivity intermediates based on structure (IUPAC Recommendations 1995)) on page 1353

Terminons avec la définitions des "phénols" : Compounds having one or more hydroxy groups attached to a benzene or other arene ring.
C'est clair, non ?

En tout cas, pour ce qui me concerne, je ne parlerai plus que de phénols, quand il s'agit de phénols, et de polyphénols quand il s'agit de polyphénols 😉

La découverte du gluten

Denis Diderot était un homme extraordinaire, qui lut immensément et écrivit en proportion. 

Il lut : pour écrire des articles de l'Encyclopédie, et aussi pour en coordonner la confection, il dut  se procurer des livres qui décrivaient les métiers, l'histoire, la géographie, les sciences... 

Il fit une œuvre qui n'est plus à présenter, et, au-delà, il fut également un auteur de romans, contes, nouvelles, pièces de théâtre... dont certains sont tout à fait merveilleux. 

Lisons, par exemple, les Bijoux indiscrets. Lisons surtout Jacques le fataliste, plein d'humour, léger... 

 

J'en étais là  de mes éblouissements, ayant récemment découvert les textes sur l'esthétique écrits par Diderot à propos des Salons, quand, intéressé par le gluten et l'amidon, je dénichais les Eléments de physiologie

Des Eléments de physiologie, rédigés par Diderot ? Le texte était largement commenté, et j'appris alors  que le gluten avait été découvert par un chimiste italien nommé Jacoppo Beccari, et,  également, par deux chimistes de Strasbourg : Kessel et Meyer. Pour le document que j'avais en main, trouvé sur Internet, le travail académique de commentaires des Eléments de physiologie ayant été faits (il y a presque autant de notes que de texte), je me reposai paresseusement sur cette information. 

Hélas... Hélas, tout récemment, devant produire un travail scientifique à propos de Parmentier, je me suis intéressé à la question de plus près. J'ai alors vu que Parmentier ne cite pas ces fameux Beccari, Kessel, Meyer,  mais plutôt Beccari, d'une part, et un certain Kessel-Meier, d'autre part. 

Qui croire ? Pour Beccari, les choses ne sont pas encore parfaitement claires, car les documents hésitent sur la date, entre 1727 et 1742. Il semble -il semble seulement- que Jacoppo Beccari ait fait une communication à l'Académie des sciences de Bologne. Toutefois, je n'ai pas le texte de cette communication, et je ne peux donc me prononcer pour l'instant. 

D'autre part, j'ai trouvé l'existence d'un Kessel-Meier,  même si le commentateur des Eléments de physiologie décrit bien un Kessel et un Meier. Une recherche approfondie m'a procuré une dissertation de Kessel-Meier, à propos de la question de la farine, mais je n'ai pas de trace de documents écrits d'un Kessel et d'un Meier sur ce thème. 

J'en viens donc à conclure que l'hypothèse d'un Kessel-Meier l'emporte sur celle de Kessel séparé de Meyer. Finalement, il reste que, pour Beccari, je n'ai pour l'instant que le texte de sa thèse, De Fromenti, qui date de 1742 et non comme cela est dit sans preuve de 1727. Je n'ai pas trouvé en ligne la communication à l'Académie des sciences  de Bologne, laquelle n'a pas encore répondu à mes demandes. M'aiderez-vous à la trouver ?

 

Et pour plus : https://hal.science/hal-01852558/document 

mercredi 12 avril 2023

Nouvelle cuisine, cuisine moléculaire, cuisine note à note...

 Nouvelle cuisine, cuisine moléculaire, cuisine note à note... 

Voilà des tendances, plus ou moins durables, des courants qui animent ou animeront la cuisine. 

Ces dernières décennies, j'en ai proposé plusieurs qui n'ont pas eu de succès, sans doute parce que les temps n'étaient pas mûrs, que la difficulté était trop grande. 

Par exemple, le constructivisme culinaire : cette affaire repose sur l'observation selon laquelle une gelée d'agrumes posée sur du saumon fumé fait un plat moins frais, en fin de dégustation que du saumon fumé posé sur une gelée d'agrumes. Observons  d'ailleurs que les nappage des gâteaux sont souvent ainsi construits, avec la gelée par-dessus. Et si c'était une erreur ? Évidemment, dans le cas des gâteaux, ce que l'on veut, c'est faire une couche brillante en surface, le nappage s'impose par-dessus, mais le goût ? 

Autre exemple, la présence de quelques brins d'un aromate tel que la ciboulette, le persil, le cerfeuil, le basilic, au-dessus d'un plat. Ces brins n'ont pas seulement une fonction décorative, et il suffit de faire l'expérience de goûter pour s'apercevoir qu'ils forcent à mastiquer longuement, et, donc, qu'ils augmentent goût. En substance, c'est cela le constructivisme culinaire : construire le plat, en vue d'effets gustatifs particuliers. 

On dira que toute la cuisine est ainsi conçue ? Non ! Le plus souvent, la cuisine n'est que l'exécution de recettes,  et l'on aurait bien intérêt à réviser toutes ces dernières selon l'idée du constructivisme culinaire. 

Une choucroute ? Ce n'est  généralement qu'une accumulation. Un cassoulet ? Idem. Pourquoi ne pas faire mieux, pourquoi ne pas conserver les éléments et construire ? Car derrière l'idée du constructivisme culinaire, il y a cette idée essentielle selon laquelle  le construit est « bon », parce qu'il signale aux mangeurs qu'on s'est préoccupé d'eux. On leur dit « je t'aime » : n'est ce pas suffisant pour qu'il pense qu'il y a de la beauté ? 

Et c'est ainsi que je propose cette  hypothèse : le beau  serait-il le construit ? Regardons maintenant autour de nous : les arbres, les rues, les moindres éléments de notre environnement... Sont-ils beaux ? En voyons nous la construction ?

mardi 11 avril 2023

J'ai (re)lu la Logique, de Condillac ?

 Pourquoi lit-on un livre ? 

Je propose la comparaison suivante : de même l'on accroche aux murs de son appartement des tableaux, qui sont une façon de se parler à soi-même, de s'entretenir d'idées exprimées par les toiles, de même on lit des livres afin de se meubler l'esprit, afin d'y loger des idées. 

Cela n'est donc pas anodin, et il faut peut-être dire plus qu'on ne le fait aujourd'hui que le choix de ses lectures est essentiel, non seulement en termes de temps passé, mais aussi en termes d'embellissement de l'esprit : il est vrai que la lecture d'une bande dessinée minable (on voit donc que je fais la distinction entre les différentes bandes dessinées, lesquelles ne sont pas toutes de la même qualité : répétons que, pour la plupart des tâches, tout est une question d'exécution, donc d'individu) empiète sur la lecture de Condillac, par exemple. 

Et il est vrai aussi que l'intérêt d'un livre se mesure aussi au nombre d'idées qu'il fait surgir. 

 

Cela étant posé, pourquoi lire Condillac ? 

 

Bien sûr, il s'agit d'un « grand auteur », il s'agit d'un de ces noms qui restent dans l'histoire... mais cela est bien insuffisant, car cela s'apparente à un argument d'autorité, ce genre de choses contre lesquelles je propose de résister. 

Alors, pourquoi lire Condillac ? Dans mon cas, je lis Condillac, parce que Lavoisier le citait. A plusieurs reprises, Lavoisier évoque Condillac afin de discuter la relation entre une langue analytique, une langue bien faite, et la pensée, et la chimie. L'idée essentielle de Lavoisier, qu'il attribue à Condillac, c'est que les phénomènes que la science quantitative explore sont manipulés, appréhendés, par des pensées, et que ces pensées correspondent à des mouvements. 

Longtemps, j'ai proposé de prendre cette idée à la lettre, concluant qu'il fallait une langue précise pour faire de la bonne science. Toutefois, Einstein et Poincaré, notamment, discutant l'origine des idées qu'ils avaient eues, ont tous deux dit qu'ils avaient des idées sans les mots, et que c'était donc un de leurs efforts que d'aller chercher des mots pour exprimer des idées qui étaient en eux. On ne peut évidemment balayer d'un revers de la main de telles déclarations ! 

 

La conclusion de cette affaire, c'est qu'il faut aller y voir de plus près... et, donc, lire Condillac. 

 

Aujourd'hui, je ne dirais plus les choses comme je les disais, mais je continue à soutenir, évidemment, que la langue que nous utilisons doit être d'une très grande précision. 

Dans la méthode scientifique, le calcul se déroule, mais, finalement, il y aura quand même son expression en langage naturel, l'affichage au monde, et à soi-même, des mécanismes des phénomènes que l'on aura explorés. 

Là, on retrouve Michael Faraday, qui introduisit des mots pour désigner des concepts nouveaux, par exemple « lignes de champ magnétique ». Ces mots s'ajoutent à ceux qui ont été introduits pour désigner des objets nouveaux : électrode, anode, cathode, ion... Des exemples récents ? Je vous invite à lire cet article merveilleux de Jean-Marie Lehn, paru en 2005, sur les dynamères. Le mot « dynamère » désigne des objets qui étaient dans les esprits, mais qui n'  « existaient » pas véritablement tant qu'ils n'avaient pas été nommés, et c'est un des mérites de cet article (un parmi bien d'autres) d'avoir introduit un mot que nous utilisons maintenant pour désigner des objets, pour échanger à leur propos, facilement 

 

La question des mots en science est passionnante, parce qu'il y a toujours l'hésitation entre l'introduction de mots creux de mots « pleins ». 

Un mot creux est un mot inutile, redondant, un mot qui n'aide pas la pensée. Un mot plein, c'est un mot qui conduit à bien identifier des objets, à les faire apparaître comme nouveaux du simple fait qu'ils ont été nommés. Des polymères dynamiques, ce n'est pas nouveau, au fond, mais des « dynamères », c'est-à-dire la même chose, cela devient une catégorie d'objets très clairement perçus, et sur laquelle nous pouvons travailler. 

Condillac ? Il fut important au siècle des Lumières par son analyse de la pensée, du langage, et c'était un philosophe qui séduisit bien des scientifiques. Sa Logique ? Elle est certes intéressante, mais son intérêt principal n'est-il pas en ce que nous ferons, après sa lecture ?

lundi 10 avril 2023

Le lundi, il s'agit d'annoncer les événements à venir au cours de la semaine.

Évidemment, il ne s'agit pas de donner une fastidieuse liste détaillée de mes faits et gestes. D'une part, le moi est haïssable, et, d'autre part,  cela n'aurait pas beaucoup d'intérêt. 

Non, ils s'agit plutôt d'envisager  les actions à venir. Pas toutes, mais seulement celles qui sont porteuses de sens, celles qui ont un enjeu. 

Cette semaine, je dois m'occuper des publications par des  étudiants du mastère européen FIPDes, et je profite de l'occasion pour expliquer ce qu'est de ce merveilleux mastère. 

C'est un mastère européen, un mastère « Erasmus Mundus », soutenu par la Communauté européenne, construit avec des collègues des universités de Dublin, en Irlande, de Lund, en Suède, de Naples, en Italie... plus des collègues isolés qui acceptent de venir enseigner. 

Dans ce mastère, en deuxième année, il y a un module transversal de gastronomie moléculaire, qui trouve parfaitement sa place dans cet enseignement dont l'acronyme FIPDes signifie « food innovation and product design ». Innovations alimentaires et conceptions de produits.  

J'ai assez répété que la gastronomie moléculaire n'était pas de la technologie, mais de la science, pour que l'on comprenne que  la gastronomie moléculaire  est bien éloignée de l'innovation alimentaire et de la conception de produits. 

Toutefois, ces deux  types d'activités technologiques gagnent absolument à se fonder sur de la science quantitative, et, là,  la gastronomie moléculaire est véritablement à sa place, puisque,  explorant  les mécanismes des transformations culinaires, elle permet ensuite d'utiliser ces résultats. 

Je crois que l'on ne répétera jamais assez  qu'il faut faire la différence entre la science quantitative et la technologie, entre les sciences de la nature et la technique, et même entre la technologie et la technique. 

Les enseignements qui seront dispensés seront l'occasion de le répéter, pour ce qui me concerne, et de l'entendre (sans doute pour la première fois) pour ce qui concerne les étudiants de  notre merveilleux mastère FIPDes. 

Au fait : rendez vous le 8 septembre pour une matinée, où nous montreront des résultats scientifiques et technologiques obtenus par les étudiants.

dimanche 9 avril 2023

Des séminaires, depuis 23 ans !

 Ma passion publique pour les extraordinaires phénomènes qui se produisent lors des transformations culinaires me  conduit  à recevoir de nombreux messages par courriel, et, souvent, on me pose des questions sur la cuisine. Parfois,  mais parfois seulement,  j'affiche ces  questions sur le blog « gastronomie moléculaire » et je donne la réponse.

 Toutefois, pour une réponse que j'ai, il y a des millions de questions ouvertes.  Voilà notamment pourquoi nous n'avons aucune difficulté à nous réunir chaque mois depuis maintenant plus de plus de 23 ans,  à l'Ecole supérieure de cuisine française, à Paris, pour nos séminaires de gastronomie moléculaire. 

 

Dans chaque séminaire, nous considérons une question, une seulement, nous l'analysons, et nous faisons des expériences pour l'explorer.  Les comptes rendus de ces séminaires sont donnés sur le site https://icmpg.hub.inrae.fr/travaux-en-francais/seminaires, notamment. 

 

Toutefois, nous sommes amenés à sélectionner très durement les questions que nous explorons au cours des séminaires, car certaines questions sont très « locales ». Pas inintéressantes, mais locales. Par là, je veux dire que leur  étude risque  de ne pas apporter grand-chose à notre connaissance, ou, du moins, de ne pas faire effondrer un très grand pan de la montagne de notre ignorance.

 

Par exemple, on me dit que la présence de feuilles de figuier dans une daube permet d'attendrir la viande. Est-ce vrai ? 

Je n'en sais rien, et j'en doute. Oui,  le suc du figuier  contient des enzymes protéolytiques, des protéases, qui attaquent les protéines de la viande, et attendrissent cette dernière. C'est d'ailleurs pour cette même raison que certaines populations enveloppent les viandes dans des feuilles de papaye, ces dernières libérant une enzyme protéolytique, une protéase, la papaïne. 

Toutefois,  les enzymes sont elles-mêmes des protéines, c'est-à-dire comme des fils repliés sur eux-mêmes. Or l'activité  protéolytique des protéases, comme l'activité enzymatique des autres enzymes,  dépend de ce repliement. Ce repliement  très spécifique est perdu lors du chauffage,  et c'est la raison pour laquelle je doute  que des protéases puissent conserver leur action protéolytique lors d'une cuisson. 

Bien sûr le mot « chauffage » n'a guère de sens, car sortir un poulet du congélateur, c'est déjà le chauffer. Il est donc essentiel de spécifier une température de chauffage. 

Dans une daube, si l'on atteint le frémissement, la température est d'au moins 80 degrés, une température à laquelle la majorité des  enzymes sont dénaturées, perdant leur activité. Et   voilà pourquoi je veux une action protéolytique des feuilles de figuier. 

Bien sûr,  il pourrait y avoir des actions d'autres sortes, en raison d'un contenu en composés phénoliques, par exemple. On peut tout imaginer,  mais si l'on peut tout imaginer, pourquoi imaginer plutôt une action qu'une absence d'action  ? Il y a une infinité d'actions possibles et une infinité d'actions impossibles. Faut-il perdre du temps à aller explorer d'abord le très improbable ? 

C'est là une question de stratégie, et aussi de circonstances, et  c'est seulement  au cas où la précision culinaire qui m'est indiquée  aurait une importance particulière que je crois  devoir me résoudre à y passer du temps. Pour les feuilles de figuier et les daubes,  la précision n'a été donné qu'une fois, et je ne l'ai pas trouvé en dans les sources écrites. 

L'imagination humaine étant infinie, je crains  devoir ne pas m'intéresser expérimentalement à cette question. Et vous ?

samedi 8 avril 2023

Qu'est-ce qu'un bon produit ?

En cuisine, qu'est-ce q'un "bon produit" ? 

 

Ce n'est pas une question rhétorique,  et je suis même allé jusqu'à organiser un débat public  entre des cuisiniers étoilés, des journalistes, des gastronomes... Nous étions des centaines dans la salle, preuve que cette question est essentielle. 

Oui, qu'est-ce qu'un bon produit ? 

Le débat fut l'occasion de comprendre qu'une viande à griller peut se manger crue ou grillée : dans les deux cas, elle est très tendre, au point que certains cuisiniers reconnaissent cette qualité en pinçant la viande entre les doigts  ; si les doigts s'enfoncent comme dans du beurre, alors la viande est tendre. 

Pourquoi les doigts pourraient-ils enfoncer ? Parce que la viande est composée de très fins tuyaux nommés fibres musculaires, lesquels contiennent de l'eau et des protéines, comme du blanc d'œuf, très tendres donc. Ces tuyaux  sont groupés en faisceaux par ce que l'on nomme le tissu collagénique, et qui est ferme, puisque ce même tissu sert à retendre la peau des visages âgés qui ne se supportent pas avec des rides. 

Dans les viandes très tendres, il y a très peu de tissu collagénique, de sorte qu'il n'est pas difficile de séparer les fibres. Quand on cuit  une telle viande, il est inutile de chauffer beaucoup : il suffit de faire une légère croûte en surface, de faire brunir la viande pour lui donner du goût. 

 

Au contraire, une viande de l'avant, par exemple du collier de bœuf en est une viande en plutôt dure, à braiser plutôt qu'à griller. 

 

Si l'on se place du point de vue de la grillade, une telle viande n'est pas un bon produit. 

Inversement, ces viandes à braiser  qui contiennent  beaucoup de tissu collagénique peuvent aussi libérer beaucoup  d'acides aminés sapides lors d'un braisage, ce qui conduit à des  bouillons d'un goût extraordinaire. 

Autrement dit,  une viande à griller n'est pas un bon produit pour le braisage et, inversement une viande à braiser n'est pas un bon produit pour la grillade. 

 

Il n'y aurait donc pas de bons produits dans l'absolu, mais relativement à un usage que l'on en fait. 

 

Cela semble être une idée saine, applicable dans d'autres champs : un marteau n'est pas le bon outil pour le vissage, et un tournevis n'est pas un bon produit pour planter des clous. 

Mais ces tomates extraordinaires que nous avons mangées sur les marchés durant l'été ? Mais ces premiers petits pois ? Mais ces haricots verts  de début de saison ? Et ces mûres bien mûres de fin de saison cette fois ? Mais ces raisins qui  poussent dans une parcelle bien déterminée, avec une exposition spécifique, un sol spécifique, une ouverture de paysage particulière ? 

 

Un minimum d'honnêteté intellectuelle doit nous conduire à reconnaître qu'il existe bien de « beaux ingrédients ». Ces ingrédients  nous plaisent alors qu'ils ne nécessitent qu'un minimum de travail. Les tomates parfaites peuvent être mangées à la croque-au-sel, les petits pois tendres ne nécessitent quelques moments de cuisson, les mûres bien mûres ne se suffisent à elles-mêmes et, lors d'une transformation culinaire de tous ces produits, on en conserve les qualités... si l'on n'est pas l'Attila de la cuisine. 

 

Je propose l'image suivante : l'ingrédient sera représenté par un carré ; la transformation culinaire sera représentée par une déformation. Et l'on aboutira donc à une forme différente, plus ou moins, de la forme initiale. Le « bon » correspondra à un jugement esthétique sur cette forme. Parfois, la physiologie guidera notre jugement  : un mets trop salé n'est pas admissible, pas plus qu'une viande trop dure. 

 

Tout semble donc réglé : c'est l'usage que nous faisons des produits qui détermine si nous les jugeons bons. À cela près que, parfois, quand  nous mangeons une crème venue  d'une de ces fermes auberges des Vosges, sans rien savoir initialement du produit, nous fermons tous  les yeux de bonheur et nous nous exclamons « Ah, c'est bon... »

vendredi 7 avril 2023

La beauté est dans l'oeil

 Hier soir, j'ai grillé des cubes d'agneau qui avaient été trempés dans une sauce tandoori. Une sauce tandoori ?  C'est un mélange d'épices avec  paprika, cannelle, sel, cumin, piment, coriandre … La liste est longue, je m'arrête là. Les morceaux de viande avaient donc été trempés dans du yaourt où  l'on avait dispersé cette poudre ; ils étaient enrobés de cette préparation, posés sur une plaque et mis directement sous le gril. Après  quelques minutes,  une odeur agréable a empli la cuisine, alors que les morceaux de viande avaient bruni... et qu'ils avaient les pieds dans du liquide. Pourquoi ce liquide ? 

 

Bien sûr, le yaourt, c'est essentiellement de l'eau, puisque c'est du lait qui a été gélifié, et que le lait est principalement composé d'eau. Le yaourt peut être dégradé par la chaleur, relâchant son eau. 

Est-ce la vraie raison ? Pour le savoir, il faudrait faire l'expérience avec des morceaux d'agneau, sans yaourt, et...  l'expérience n'a plus rien de comparable, puisque  les morceaux de viande  ne sont alors plus cuits dans les même conditions  ! 

Nous avons là un exemple typique de la difficulté de concevoir des expériences qui puissent être identiques en tous points, à l'exception d'un seul paramètre. Passons, et supposons que nous trouvions une expérience convenable ;  il est vraisemblable que nous verrons à nouveau ce liquide, parce que l'on sait par ailleurs que les viandes chauffées se contractent. Pourquoi les viandes chauffées se contractent-elles ? Les viandes sont des faisceaux de fibres nommées fibres musculaires, reliées entre elles par du tissu collagénique. Les viandes qui contiennent beaucoup de ce tissu collagénique se contractent plus à la cuisson et celles qui en contiennent moins, et la pesée d'eau où l'on a chauffé une viande très collagénique montre bien que cette viande se contracte et expulse du jus : la viande pèse moins après cuisson, et le "bouillon" pèse plus. 

Mais pourquoi cette contraction tissu collagénique ? Le tissu collagénique est un assemblage en de petites fibrilles, du collagène, lequel est un assemblage de brins polypeptidiques, un mot à rallonge pour dire que la molécule est un enchaînement de résidus d'acides aminés. Comment, lors du chauffage, ces arrangements sont-ils perturbés ? Je m'arrête là, parce que la discussion serait très longue, dépassant de beaucoup le cadre d'un petit billet de blog. 

C'est à cela que je voulais arriver  : partant d'une observation quasi insignifiante, l'esprit curieux se lance immédiatement  dans une immense promenade au royaume des mécanismes, de la science quantitative. Tout tient dans « l'esprit curieux » : la beauté est dans l'oeil de celui qui regarde, et la curiosité est dans l'esprit de celui qui contemple les phénomènes du monde, également. Et si l'on n'est pas curieux ? Alors je propose de s'entraîner à simplement décrire les phénomènes, comme le stipule la méthode des sciences quantitatives. On observe une transformation, on la décrit, avec des mots, et l'on discute ensuite ces mots. Ce « travail nous conduira immanquablement à nous interroger sur  le fonctionnement du monde. 

 

NB : des revues scientifiques viennent de publier que l'exercice de la science était corrélé à de la moralité supérieure à la moyenne. Voilà qui devrait répondre aux reproches que certains ont fait, lors des débats éthiques, et voici ce qui devrait satisfaire Faraday, qui disait que l'exercice de la science quantitative améliorait l'esprit.

jeudi 6 avril 2023

Couramment, les cuisiniers ajoutent de la crème à un liquide, puis font réduire. Pourquoi ?

 La pratique a de quoi choquer : quel belle odeur, au dessus de la casserole ! Pour le physico-chimiste, qui voit le monde microscopique avec les yeux de l’esprit, c’est du gâchis : pensons à toutes ces belles molécules odorantes qui sont perdues, et finissent dans les hottes aspirantes, au mieux dans les cuisines. Ne vaudrait-il pas mieux qu’elles finissent dans les assiettes ? 

 

La crème est une de ses meilleures armes, pour y parvenir. Oui, la crème, car elle contient de la matière grasse et de l’eau. L’eau dissout les molécules sapides, et la matière grasse dissout les molécules odorantes. Autrement dit, tout ce qui accompagne la crème, lors d’une cuisson où elle est présente, a des chances de rester piégé, à condition qu’il y ait un couvercle. 

 Considérons le cas des champignons, par exemple. La cuisson classique, dite en cassolette, est d’une remarquable intelligence empirique, car, quand on chauffe à couvert des champignons,  du champagne, de la crème, sel et poivre, alors les champignons libèrent des molécules odorantes qui vont se dissoudre dans la matière grasse de la crème ; ils libèrent aussi des molécules sapides, qui, elles, vont se dissoudre dans la « phase aqueuse » faite par le mélange du champagne et de l’eau de la crème. 

Bref, tout ce qui sort des champignons  est retenu… à condition que l’on n’ait pas chauffé et que l’on ait ajouté un couvercle ! Oui, un couvercle, contre lequel les vapeurs viennent se refroidir, et, se recondensant, remettre dans le liquide les molécules qui auraient été éliminées par l’évaporation. 

 

D’où la règle très importante à ajouter pour ce type de cuisson : il faut cuire dans la crème, sous un couvercle. 

 

Le hic, c’est la réduction ! Oui, parce que, alors, l’eau de la préparation est évaporée. Or l’évaporation de l’eau entraîne avec la vapeur les molécules odorantes. C’est même un procédé ancien de la parfumerie que l’extraction des huiles essentielles à la vapeur d’eau. Si on veut faire chic, on peut dire « hydrodistillation », mais c’est la même chose (évidemment, on recondense les vapeurs, pour récupérer une huile essentielle qui flotte sur l’eau recondensée). 

 

Alors, comment faire pour avoir une sauce liée, quand on veut crémer ? Cela paraît tout à fait évident : puisque la réduction fait partir les molécules odorantes, une première solution consiste à distiller, disons simplement à récupérer les vapeurs de la réduction, puis à remettre dans la casserole la partie « huile » qui a été récupérée : ce sont des odeurs à l’état pur ! Pas pratique pour les petites quantités. 

Alors je  propose l’analyse suivante : la réduction permet d’éviter qu’il y ait trop d’eau dans la préparation, ce qui force à réduire. Or la crème apporte de l’eau au jus ou au produit initial, ce qui force à réduire. 

Pourquoi ne pas réduire la crème par avance, doucement, en grande quantité, comme on fait pour le beurre clarifié, afin d’obtenir un produit concentré en matière grasse de la crème, que l’on ajouterait au produit ou au jus. Un couvercle, un petit chauffage qui n’élimine pas l’eau, et le tour serait alors joué ! 

 

Enfin, pourquoi ne pas imaginer que les cuisiniers réclament aux fabricants des crèmes déjà réduites, qu’il suffirait d’ajouter aux préparations, afin d’éviter les réductions ?