Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
jeudi 19 juin 2025
Les progrès de la chimie
mercredi 14 mai 2025
Intelligente ardeur, ou ardente intelligence ?
Ce matin, alors que je décris la vie de Louis Joseph Gay-Lussac, j'évoque Nicolas Vauquelin, et j'indique le zèle dont il faisait preuve et qui lui valut l'amitié de Claude Geoffroy.
Mais j'hésite à parler d'ardente intelligence ou d'intelligente ardeur.
On comprend bien que dans un cas, il y a d'abord de l'intelligence, tandis qu'il y a de l'ardeur dans le second.
L'ardeur, je sais bien ce dont il s'agit mais l'intelligence ? Je suis de ceux qui considèrent que labor improbus omnia vincit, un travail acharné vient à bout de tout ; je suis de ce qu'ils veulent encourager des étudiants à penser que leur intelligence résultera de leur travail et qu'il y a donc beaucoup d'espoir. Je suis de ceux qui aiment le labeur, même si le mot parait pesant.
Inversement, je n'aime guère la mousse qui, en matière d'intelligence s'apparente plutôt à une écume (en bon français : une mousse faites d'impuretés).
Bref, je suis de ce qui maintiennent que l'on est ce que l'on fait et que nos prétentions à l'intelligence n'ont guère d'intérêt. Je suis de ceux pour qui ce qui est intrinsèque est essentiel dans les activités, et ce qui est extrinsèque parfaitement secondaire, voire nul.
Pour en revenir à Vauquelin, je ne sais pas s'il était un enfant intelligent, mais je sais qu'il eut l'intelligence d'être travailleur et, mieux encore, d'être intéressé par la chimie et par l'étude en général.
N'ayant pas eu de formation initiale en latin, à une époque où cette langue s'imposait, Vauquelin l'apprenait, emportant avec lui les pages de mots qu'il apprenait par coeur tandis qu'il était chargé de diverses commissions, comme si nos actuels livreurs d'Amazon délivraient leurs colis en lisant des livres de mécanique quantique.
Vauquelin fit mentir les idées de classe, et ce fils de petit paysan, par son intelligente ardeur, devint un des grands chimistes de son temps.
vendredi 9 mai 2025
Rissoles et ravioles
En 1934, le pâtissier Pierre Lacam désigne sous le nom de « rissoles à l’anglaise » de la pâte feuilletée accompagnée de confiture d’abricot, mais c’est un pâtissier.
En 1906, le Guide culinaire est plus explicite :
« Rissoles. — Nom générique d'un Hors-d'œuvre chaud qui comporte essentiellement : 1° un salpicon, lié exactement comme un appareil à croquettes et bien refroidi, dont l'élément principal, soit : volaille, gibier, foie gras, etc., détermine la dénomination; 2° Une enveloppe de pâte, soit pâte à foncer fine, demi-feuilletage ou rognures, ou pâte à brioche commune sans sucre.
Les rissoles se traitent invariablement par la friture et se dressent sur serviette, avec persil frit bien vert, sans accompagnement. Chaque genre de rissoles prend une forme différente. »
Pourquoi pas, mais on sait que le Guide culinaire est plein d'erreurs, et, en tout cas, il ne donne aucune référence, avec, en outre, des auteurs qui se contredisent. Mieux vaut le Dictionnaire universel de cuisine pratique de Joseph Favre, antérieur de quelques années. Et là, on trouve que le mot viendrait de roussoler, même sens que brésole, brésoler, faire prendre une couleur dorée : ce qui est juste !
La définition ? De la viande hachée et saucée, enveloppée dans de la pâte et frite. Favre ajoute même que « La différence qui existe entre les ravioles et les rissoles consiste dans l'enveloppe, la forme et la cuisson : les ravioles se distinguent par une enveloppe à pâte ferme (nouilles) par sa forme carrée et par sa cuisson à l'eau, tandis que les rissoles comportent une enveloppe de pâte délicate, le plus souvent de feuilletage de forme ovale ou demi-cercle, panées et frites. Quant à la garniture, elle est absolument facultative et c'est elle qui en détermine le nom. Les rissoles diffèrent des cromesquis en ce sens que l'enveloppe de ces derniers est du pannequet ou de l'hostie, de forme carré-long, également panés et frits. »
C’est donc bien mieux, mais la mention (1889) reste récente. Pour Urbain Dubois, en 1876, il y a des rissoles de pâte fine (pas nécessairement feuilletée), et une panure à l’anglaise (œuf, farine, friture). Pour André Viard, au début du 19e siècle, c’est à nouveau du feuilletage, et une forme de chausson, avec une simple friture. Encore avant, le Dictionnaire des aliments et des boissons, en 1750, est réputé pour avoir colligé des informations anciennes, antérieures à lui. Et l’on y trouve finalement :
« Sorte de pâtisserie faite de viande hachée & épicée, enveloppée dans de la pâte & frite dans du sain-doux ; on fait d'abord de petites abaisses en forme de petite pâte ovale, on les remplit d'un godiveau fait de blanc de chapon, moëlle de boeuf, sel & poivre, le tout bien haché ; les rissoles faites, on les confit dans le sain-doux. On peut en faire en maigre avec de la farce de poisson bien hachée, & même des mousserons ; on les fait cuire auparavant avec beurre, fines herbes & épices, si c'est aux épinards ; si c'est aux mousserons on les fait cuire à l'ordinaire, on les hache bien menu, on les assaisonne d'un peu de sel, sucre, écorce de citron pilée ou râpée, & on les sert cuites au four avec sucre & eau de fleur d'oranger en servant. On appelle aussi les rissoles "oreilles de Parisien", parce qu'elles sont faites en forme d'oreille. »
Ici, on voit que la cuisson n’est pas nécessairement la friture ; le four est possible. En revanche, la forme semble bien déterminée, ainsi que le type de cuisson.
vendredi 14 mars 2025
Jean Jacques et les textes à charge
Alors que je relis un texte du chimiste Jean Jacques consacré à Archibald Scott Couper, je m'aperçois que notre homme avait tendance à prendre des contre-pieds. Il avait notamment rédigé un livre pour montrer que le chimiste Marcelin Berthelot n'était en réalité pas aussi grand qu'il le prétendait, un livre à charge certainement, mais fondé sur des recherches historiques assurées.
En revanche, dans sa volonté de descendre Berthelot de son piédestal, il avait oublié quelques éloges qui auraient donné plus de force à sa démonstration.
Là, je retrouve un de ses articles publié aux Comptes rendu de l'Académie des sciences à propos d'Archibald Scott Couper, qui aurait été injustement oublié au profit d'August Kékulé, lequel publia quelques semaines auparavant Couper, et cela parce que Würtz, le patron de Cooper, n'aurais pas transmis suffisamment vite le manuscrit de ce dernier à l'Académie des sciences.
Là encore virgule Jean-Jacques n'a pas entièrement tort mais il n'a pas entièrement raison parce que les notions débattues à l'époque avaient des interprétations difficiles, et que Kekule et Couper n'ont pas publié exactement la même chose.
D'autre part, on peut aussi imaginer que Kekule ait pu être retardé un peu par les contingences.
Et puis surtout, il y aurait eu lieu de plus fouiller la démonstration,
car les notions chimiques de l'époque n'était pas celles d'aujourd'hui et
les représentations étaient également différentes.
On sortait à peine
du congrès mondial des chimistes qui avait eu lieu en 1860 et au cours
duquel avait été semée la graine qui avait permis plus tard de mieux
comprendre la notion de molécule. Acette époque, on confondait
particules, molécules, atomes : tout cela était très petit et on avait bien
des difficultés à imaginer des molécules d'aujourd'hui.
Certes, il y
avait eu Le Bel et van t'Hoff, qui avaient proposé la tétralence du carbone, mais la communauté des chimistes était loin d'être convaincue : jusque après
le début du 20e siècle, certains esprits pourtant grands n'admettaient
toujours pas l'hypothèse moléculaire et plutôt que de les critiquer, il y a
lieu de bien comprendre pourquoi ils hésitaient.
Au fond, Jean-Jacques, qui savait beaucoup de choses, qui avait beaucoup lu , n'a pas suffisamment pris la peine de bien fouiller les matières qu'il explorait, de bien se les expliquer à lui-même avant de les expliquer aux autres et c'est la raison pour laquelle il a été si peu suivi je crois
Il y a là une leçon : dans nos démonstrations, nous ne pouvons pas faire
l'économie d'explications et surtout quand les matières sont encore
confuses pour nous.
Nous ne parviendrons pas à convaincre
quiconque si nos idées ne sont pas déjà entièrement claires pour nous-même. Nous ne pouvons pas expliquer les points d'histoire des sciences si
nous ne comprenons pas parfaitement comment les choses ont évolué à l'époque que nous discutons sans quoi ferons des textes plein
d'arguments d'autorité et qui ne convainquent pas.
mardi 5 novembre 2024
La découverte des molécules et des atomes
On dit parfois qu'Albert Einstein a découvert atomes et molécules. Ou le physicien Jean Perrin. Bref, les physiciens créditent les physiciens de cette découverte. Pourtant, c'est oublier des images comme celles de "La chimie dans l'espace", de Jacobus Henricus Van't Hoff, un texte paru en... 1875, soit bien avant qu'Einstein ne fasse ses travaux ou que Jean Perrin n'étudie le mouvement brownien.
Et vous avez bien lu le titre ! Quatre ans avant, d'ailleurs, Van't Hoff avait publié un article où il représentent les atomes de carbone d'une molécule de glucose, en indiquant même les angles entre les liaisons chimiques, et les distances interatomiques.
Mais, plus généralement, la France était terriblement en retard, sur le reste du monde chimique, notamment depuis que Marcellin Berthelot s'était opposé à cette idée de molécules composées d'atomes. En France, il avait eu quelques opposants, avec Charles Adolphe Würtz, Gerhardt, Auguste Laurent, mais Marcellin Berthelot et sa clique, qui verrouillaient les postes, considéraient avec retard que la théorie était abusive. D'ailleurs, alors que Berthelot se vantait d'être un pionnier de la synthèse organique, la France était très en retard de ce point de vue (et Berthelot n'était certainement pas le pionnier qu'il prétendait être). Bref, il ne faut pas reconnaître à Perrin d'avoir montré l'existence des atomes, puisque les chimistes la connaissait déjà depuis plus de 40 ans !
lundi 17 juillet 2023
A propos d'albumine... et de la merveilleuse salle des actes de la faculté de pharmacie
Le Quartier latin est évidemment un enchantement pour celui qui sait voir derrière les murs, puisque c'est un lieu important de l'histoire de la France savante, pas en totalité bien sur, mais quand même.
Dans des billets précédents, j'ai déjà évoqué la Faculté de pharmacie au moins deux fois, une fois avec le triangle des simples, au croisement de la rue de l'arbalète et de la rue Claude Bernard, à l'emplacement de l'actuel AgroParisTech, et une fois pour son musée du deuxième étage, qui réunit des échantillons de matières végétales ou animales ayant des propriétés bio-actives remarquables.
Cette fois, je voudrais vous faire part de l'émerveillement qui m'a pris un jour, alors que j'avais été invité à faire une conférence la société d'histoire de la pharmacie. Le lieu de la conférence était la salle des actes de la Faculté de pharmacie, avenue de l'observatoire.
Dit ainsi, on ne s'attend à rien de particulier. On entre dans la faculté par une porte qui fait face au jardin, on traverse une cour et l'on arrive à la salle des actes, au rez-de-chaussée. La porte de la salle des actes n'a pas d'intérêt manifeste, pas plus que le couloir où donne la salle... mais quand les appariteurs ouvrent les battants... et c'est l'émerveillement !
Une salle tout en lambris dorés, avec d'extraordinaires tableaux encadrés, une moquette bleue, une restauration peaufinée. Les grands pharmaciens des temps passés y sont représenté : Moissan, Vauquelin, Parmentier (je ne cite pas dans l'ordre)...
Ils sont tous là, dans des cadres dorés, superbe. Bien sûr, la chimie d'alors n'était pas celle d'aujourd'hui, et, d'ailleurs, les chimistes étaient souvent des préparateurs, tel que le disent bien le livre consacré aux pharmaciens du Muséum d'histoire naturelle, ou le livre du cinquantenaire de l'Ecole Supérieure de Physique et de Chimie Industrielles de Paris (ESPCI).
Comment était la chimie de l'époque ? Prenons un extrait d'un article de Charles-Louis Cadet (Dictionnnaire de chimie, en 1803) :
« ALBUMEN ou ALBUMINE. On a donné le nom d’albumen à la matière du blanc-d’œuf, à cause de sa blancheur, lorsqu’elle est coagulée par la chaleur. Depuis qu’on a reconnu la présence de cette substance das différens liquides animaux et végétaux, on l’a appelée albumine, réservant le mot albumen comme l’expression latine qui désigne seule le blanc d’œuf. Le sérum du sang, l’humeur vitrée de l’œil, la lymphe, l’eau des hydroponiques, la sinovie, les membranes blanches, les parois des viscères, contiennent de l’albumine qui doit être regardée, à cause de son abondance, comme un des matériaux les plus importas à connoitre des corps organisés. Le citoyen Fourcroy, qui s’en est fort occupé, lui donne les caractères suivans : L’Albumine est ordinairement sous la forme d’un liquide plus ou moins visqueux, collant comme la gomme, d’une couleur blanche, tirant sur le jaune, d’une saveur légèrement salée ou un peu âcre, lorsqu’on la goûte avec beaucoup d’attention ; elle verdit constamment la teinture et le sirop de violettes ; elle fait repasser au bleu la teinture de tournesol, rougie auparavant par le contact des acides : cette propriété dépend de la soude qu’elle contient. La liquidité, donnée comme un caractère de l’albumine, tient à ce qu’elle est toujours combinée avec une certaine quantité d’eau, dans les fluides elle fait la principale base ; mais, lorsque par l’effet de la circulation et des autres fonctions qui constituent la vie, l’albumine est devenue partie intégrante des organes solides, alors elle est sous forme concrète, et ne peut plus être reconnue par ses propriétés physiques, sa saveur, sa consistance, etc. ; elle a même un peu changé de nature ; de sorte que, pour en déterminer les autres caractères, il faut continuer à l’examiner sous la forme liquide. L’albumine éprouve de la part du feu, ou plutôt du calorique libre (chaleur), une action qui fait son caractère propre et distinctif. Lorsqu’on élève sa température au dessus de 45 degrés [56,25°C] et jusqu’à 48 [60°C] au thermomètre à mercure, portant 80 degrés [100°C] à l’eau bouillante, sa liquidité disparaît avec sa transparence ; elle devient blanche, opaque, concrète, solide ; on dirait qu’elle prend tout-à-coup la forme d’un tissu ; un grand feu en dégage de l’ammoniaque et une huile très-fétide, comme de toutes les substances animales ; en la séchant lentement, elle devient transparente et cassante. L’albumine liquide est soluble dans l’eau. Elle se délaie bien dans ce liquide froid et peu aéré ; lorsqu’on l’unit à de l’eau aérée, la dissolution ne s’opère qu’imparfaitement, et l’albumine, qui était d’abord entièrement transparente, forme quelques stries blanches ou se trouble en totalité, suivant la quantité d’air contenue dans l’eau, et par la fixation de l’oxigène qui rapproche l’albumine de l’état concret ; on peut, en forçant la quantité d’eau chaude, empêcher entièrement la concrétion de l’albumine, et rapprocher sa combinaison de l’état du lait écrêmé ; car on verra, à l’article lait, que cette liqueur animale, séparée du beurre, est formée, en grande partie, d’eau et d’albumine dans un état particulier ; l’albumine oxigénée ou solide n’est pas soluble dans l’eau. Les alcalis caustiques dissolvent l’albumine, même oxigénée ; tous les acides la coagulent ; l’acide sulfurique la brûle et la charbonne en lui fesant répandre une odeur infecte ; l’acide nitrique, aidé de la chaleur, en dégage de l’azote et de l’acide prussique, ensuite du gaz carbonique, et il se forme un peu d’acide oxalique. [...] Le citoyen Fourcroy a reconnu que l’albumine existant dans le suc du cresson, du chou, du cochléaria, de la racine de patience : en fesant chauffer au bain-marie ces sucs préalablement filtrés, on voit se former des flocons albumineux que l’on recueille par une seconde filtration, c’est à la décomposition de l’albumine qui se trouve dans les crucifères, que l’on doit attribuer la formation de l’ammoniaque qu’ils dégagent pendant leur fermentation. « Cette substance, dit le cit. Fourcroy, que nous avons indiquée déjà dans un assez grand nombre de végétaux, mais dont nous avons trouvé des traces dans un beaucoup plus grand nombre d’autres, existe en général dans toutes les plantes vertes, & dans toutes les parties molles et succulentes ; il paroît qu’elle se condense, s’épaissit par le travail de la végétation, & qu’elle contribue à la formation de leurs parties solides. En effet, j’en ai obtenu des quantités notables des bois jeunes, des tiges vertes, mais le bois sec n’en donne plus sensiblement, parce que cette matière a pris la consistance solide ; c’est sans doute à son existence qu’est due l’odeur putride & manifestement ammoniacale que prend l’eau dans laquelle on a laissé infuser un bois quelconque ; je suis d’autant plus porté à le croire, que je suis sûr, d’après mes expériences, que le bois flotté ne donne pas autant d’ammoniaque à la cornue que le bois neuf. »
Ce que cet extrait ne dit pas explicitement, c'est qu'il s'agit là de protéines, et, mieux, que l'on identifie des protéines d'origine végétale, ce qui fut une révolution à l'époque : malgré la Bible, on trouvait des composés (mot moderne) identique dans les animaux et dans les végétaux ! On observe aussi que l'oxygène, de découverte récente, est déjà largement utilisé. Mais, pour conclure, on reste estomaqué par la beauté de la Salle des Actes.
Courez la voir !
mardi 18 avril 2023
On enseigne "les sciences" ?
Dans les collèges, dans les lycées, dans les universités et les grandes écoles, on enseigne « les sciences », ou, plus exactement, on prétend enseigner les sciences.
Les sciences ? Vraiment ?
Considérons la physique : par exemple les résultats d'électromagnétisme. L'activité scientifique consiste à chercher des mécanismes des phénomènes. De ce fait, un enseignement scientifique, véritablement scientifique, consiste à enseigner aux étudiants à chercher les mécanismes, et non à gober les résultats obtenus précédemment.
Un enseignement de la science doit donc se focaliser sur les méthodes qui conduisent aux mécanismes, et non seulement aux résultats obtenus dans le passé.
On comprend donc qu'une approche historique, avec sa composante analytique, est essentielle dans un enseignement des sciences.
Supposons maintenant que pour des raisons variées -contraintes de temps, par exemple- on soit conduit à n'enseigner que les résultats. Pourquoi ferait-on cela ? Parce que l'on souhaiterait, évidemment, que les étudiants aient la connaissance de ces résultats, sans quoi il serait bien utile de l'enseigner, vu la masse des connaissances qui méritent de l'être utilement.
Si les étudiants doivent donc connaître des lois, des mécanismes, c'est pour en faire usage. Non pas un usage scientifique, car là, ces résultats sont un peu inutiles, vu que, ce qui compte, c'est d'obtenir des résultats, non pas les connaître.
Il faut donc conclure que, dans ce second cas, l'enseignement vise à donner une connaissance de lois qui seront appliquées, utilisées. Là, on arrive dans la technologie. On conclut donc que, dans ce second cas, on effectue un enseignement technologique et non scientifique.
Faudrait-il donc parler de « physique pour la technologie », par exemple, ou simplement de technologie ?
Évidemment, le monde réel est plus complexe que le monde idéal, et l'on trouve dans la même classe des élèves qui se destinent à la science quantitative et d'autres qui se destinent à la technologie, par exemple, ou à la technique, etc. Les enseignements sont donc nécessairement hybrides, mais vu le nombre de futurs scientifiques et le nombre de futurs ingénieurs, technologues, techniciens, il serait sans doute bon de ne pas être trop prétentieux, et de dire clairement que les enseignement que nous nommons actuellement scientifiques sont en réalité des enseignements technologiques.
Mais il y a la question politique !
La, on tient compte de faits externes, à savoir qu'il faut renouveler les populations des scientifiques, ingénieurs, techniciens. Il y a aussi le fait que les étudiants aspirent à « faire carrière », à avoir des emplois auquel tous ne pourront accéder, vu leurs « capacités ».
Que l'on me comprenne bien : je ne dis pas qu'un individu ne puisse, à force de travail, parvenir à des résultats, bien au contraire (labor improbus omnia vincit) ! Je dis seulement que, dans la vraie vie, il y a des étudiants qui ont un véritable amour de la connaissance, d'autres qui se cultivent en vue d'obtenir une situation qui leur fera gagner beaucoup d'argent, et, donc, qui se moquent des résultats scientifiques ; il y a ceux qui, en raison de leur environnement familial, culturel, social, ont plus de facilités à se concentrer, travailler, étudier, et il y a les autres, qui ont plus de mal (je me souviens d'étudiants d'étudiants qui, devant travailler -pour payer leurs études et pour vivre- pendant la nuit, avaient du mal à ouvrir les yeux dans la journée).
Je dis donc que la vie est bien difficile, et que nos systèmes d'enseignement, recevant des étudiants en très grand nombre, n'ont pas le temps ni les moyens de se consacrer autant qu'ils le pourraient à l'élévation de chacun.
Inversement, je n'oublie pas non plus une certaine veulerie dont nous sommes tous plus ou moins affligés, qui consiste à regarder la télévision alors que l'on pourrait se plonger dans un livre de calcul différentiel et intégral ; je sais que, le soir, certains trouvent plus facile de lire un roman minable que d'explorer les mécanismes des réactions chimiques (et je ne suis pas blanc !).
D'ailleurs, les raisons de ces comportements sont à analyser. Tout comme l'état d'esprit à propos des « vacances » : quand j'entends « je vais me vider la tête », j'ai toujours tendance à me demander s'il ne voudrait pas d'abord la remplir, et à la remplir de choses belles, de connaissances qui font grandir au lieu d'avilir. Panem et circenses, du pain et des jeux : l'idée n'est pas nouvelle, et l'on peut sans doute considérer qu'elle perdurera. Pour autant, on peut aussi espérer que beaucoup d'enthousiasme public, manifeste, pour la connaissance permettra à un nombre croissant d'entre nous de nous améliorer l'esprit, régulièrement. Nous améliorer l'esprit ?
Terminons ce billet en évoquant Michael Faraday, orphelin de père à 11 ans, enfant d'une famille extrêmement pauvre, qui, en plus de son travail, allait une fois par semaine dans un club d' « amélioration de l'esprit ». Cela est possible, et les exemples de ce type doivent absolument être montrés à tous. Ne laissons pas la poussière du monde nous ensevelir ! Vive la connaissance produite et partagée !
PS. Evidemment, comme on ne doit pas être insensé au point d'être assuré de ses propres certitudes, je continue à m'interroger : enseignons nous vraiment les "sciences", notamment dans le Second Degré ? Faut-il continuer à nommer les enseignement : physique, chimie, biologie ?
mardi 28 mars 2023
L'ambiguité Duhem
Quand on explore la vie de Pierre Duhem, extraordinaire physico-chimiste français du siècle dernier, on ne peut manquer de retenir quelques faits saillants.
Tout d'abord Duhem était très opposé à Marcellin Berthelot, lequel s'était posé en chimiste du parti laïque et, à une époque où cela était bien porté (Jules Ferry, Renan...), avait réussi à s'imposer comme un mandarin absolu.
Duhem, opposé puisque fervent catholique et aussi bon scientifique, fut broyé par le système. Il n'eut pas de poste à Paris, fut envoyé à Lille, puis à Rennes, et enfin à Bordeaux, où il finit sa carrière, mourant jeune. On lui avait dit que Bordeaux était une étape pour Paris, mais il n'en fut rien.
Duhem était un fervent catholique, et d'un caractère qui n'était pas facile. Par exemple, à Lille, il avait été jusqu'à vouloir faire renvoyer un préparateur qui ne l'avait pas salué, et alla jusqu'à se brouiller avec le doyen de l'université pour cette raison, considérant qu'une lettre d'excuses était insuffisante. Scientifiquement, aussi, il était dogmatique : il s'opposa à l'existence des atomes (comme Berthelot), à la relativité d'Einstein, et ainsi de suite. Un homme extraordinairement intelligent et cultivé, bloqué par son dogmatisme.
A un moment de son existence, voulant créer une revue de combat pro-religion, il avait discuté les questions de l'opposition entre science et religion, et avait été jusqu'à conclure que tous les progrès de la science étaient dus à la religion catholique ! Pour un historien des sciences, c'était borné : si le monde chrétien peut effectivement s'enorgueillir que des penseurs catholiques aient développé les sciences modernes, Duhem oubliait que le savoir des Grecs (mathématique, notamment) était passé à l'Islam avant de revenir en Europe, après le Moyen-Âge ! Et il oubliait aussi de dire que l'Europe avait une pensée unique, et que l'inquisition envoyait au bûcher quiconque osait discuter la Bible et les Evangiles. On sait ce qu'il advint de Giordano Bruno ou de Galilée, et l'on peut imaginer que des individus intelligents aient été prudents et se soient dits catholiques pour éviter de finir au bûcher ! De tout cela, Duhem ne disait rien.
En revanche, Duhem avait raison de signaler que religion et sciences parlent des langages différents entre lesquels il n'y a pas de "correspondances". Les deux champs de savoir sont strictement "perpendiculaires". D'autre part, Duhem aurait même pu ajouter que la foi n'est pas en contradiction avec l'étude scientifique : par le passé, des gens de foi, tel le grand physico-chimiste britannique Michael Faraday, considéraient que la science permettait de déchiffrer l'un des deux livres que Dieu nous a donnés, le premier étant la Bible et le second la nature. Explorer la nature par la méthode scientifique, c'est bien essayer de comprendre le langage divin, au moins pour ceux qui font l'hypothèse de l'existence de Dieu.
Que faire face à un personnage aussi ambigu que Duhem ? Comment l'aimer ? Comment le détester ?
La question est ancienne, et elle vaut pour la plupart des scientifiques : Faraday, Lavoisier, Einstein, Planck, Heisenberg¦.
Tous ont eu leurs bons et leurs mauvais côtés, même si les hagiographies n'en disent évidemment que du bien. Tous ont eu cette capacité remarquable de pousser les limites des connaissances humaines plus loin que leurs contemporains, et tous ont contribué à la montagne des connaissances.
On disait dans le temps, que, des morts, on disait du bien ou rien. Je ne suis pas sûr que cette idée soit bonne, parce que l'on est finalement déçu quand on finit par découvrir le pot aux roses ! Et puis, l'hagiographie est un mensonge. Pour les "enfants" tels que moi, et les autres, il y a malaise à découvrir les fautes des grands anciens. Je me souviens avoir été désespéré d'apprendre que Jean Perrin avait eu des maîtresses. Quoi, ce Jean Perrin qui avait fait le Palais de la découverte que j'aime tant ! Il trompait sa femme ! De surcroît, son attitude avait été vraiment contestable face à Breton, qui distinguait bien mieux science et technologie. Faraday était bien plus vertueux, mais également en contradiction avec ses paroles. Par exemple, quand il mettait en avant les collaborations, alors qu'il n'en avait pas. Einstein abandonna sa première épouse, enfant compris, et ainsi de suite.
L'observation des grands scientifiques contemporains montre aussi que ce serait une erreur d'idéaliser le souvenir que nous avons des grands anciens. Hommes et femmes de science n'ont pas changé, et de même que les panacées n'existent pas, je doute de l'existence de "parfaits scientifique", fussent-il scientifiques.
Parmi les innombrables théories que j'ai, il y en a une qui stipule que nous avons peut être tous les défauts de nos qualités, et vice versa, ce qui conduit à penser que nous avons tous des qualités et des défauts, mais, pis encore, que de grandes qualités sont peut-être associées à de grands défauts ? Finalement, comment se positionner face à cette question de l'hagiographie et du devoir de mémoire+reconnaissance que nous devons avoir (pour plein de raisons, mais je n'entre pas dans les détails) ?
Ma proposition est la suivante : peut-être devrions nous cesser d'avoir de l'admiration pour les grands scientifiques, et réserver notre admiration pour un couple personne-travail. On ne dissocierait pas le résultat de la personne, et l'on éviterait ainsi de se focaliser soit sur des résultats désincarnés, soit sur des personnes imparfaites. Et c'est ainsi que la réfutation du phlogistique par Lavoisier est belle, que la relativité d'Einstein est extraordinaire, et ainsi de suite. Ayons de l'admiration pour des couples travaux+personnes, sans oublier que "personnes" peut être au pluriel : plusieurs individus peuvent avoir contribué à un travail extraordinaire, et il est bon et juste de le reconnaître.
mardi 28 février 2023
A propos d'Edouard de Pomiane
Sur twitter, j'ai été interpelé à propos d'Edouard de Pomiane, un merveilleux personnage, un extraordinaire poête de la cuisine, qui publia des interprétations des phénomènes culinaires et fut, en quelque sorte, un personnage de la préhistoire de la discipline nommée gastronomie moléculaire et physique.
Pomiane tint l'une des premières émissions de cuisine à la radio, et il fut l'auteur de nombreux best-sellers, mais, sur twitter, j'ai mis en garde des interlocuteurs quant à la fiabilité de ses textes.
Car oui, on est finalement jugé au résultat de ses actions... et les livres de Pomiane fourmillent d'erreurs. Il écrit, par exemple, que l'on ne pleure pas si l'on mord une cuiller en bois en épluchant des oignons... et j'ai vérifié expérimentalement que ce n'est pas vrai. Il écrit, par exemple, qu'il faut un fouet en fils de fer et une bassine en cuivre pour monter les blancs en neige... mais nous n'avons pas vu - expérimentalement- de différence entre ce système et un fouet en plastique dans un bol en verre... pour lesquels il n'y a pas cet "effet pile" dont parle Pomiane.
Et ainsi de suite. Le pire, selon moi, est sa confusion entre technique, technologie et science, confusion qui le conduisit à introduire une sorte de chimère qu'il nomma "gastronotechnie".
Mais, pour autant, Pomiane eut une oeuvre intéressante historiquement, et j'ai publié un article où je cherche plus de justesse dans les appréciations : il est ici : https://seafile.agroparistech.fr/f/eea3fb23125346d29a19/?dl=1
samedi 30 octobre 2021
Des normes de publication scientifique ? Bien volontiers
Dans une présentation sur l'histoire des mathématiques, Catherine Goldstein corrige un épisode de l'histoire, à propos du mathématicien Evariste Gallois, et elle évoque notamment que, à son époque (le 19e siècle), l'Académie des sciences avait coutume de renvoyer leurs manuscrits aux auteurs afin qu'ils le formatent comme ils imaginaient que cela devait être fait. Elle évoque une "normalisation".
Souvent, le terme est connoté péjorativement, surtout dans le milieu scientifique, où chacun veut être original, mais un article que j'avais consacré à l'amélioration des pratiques scientifiques montre, au contraire, combien la norme à laquelle nous sommes arrivés est utile, combien elle nous porte ! En sciences de la nature, les progrès méthodologiques sont merveilleux, et cela est sans doute dû, en partie, à ces efforts de nos anciens... dont il serait naïf de croire qu'ils étaient des imbéciles obtus : regardez la composition de l'Académie à cette époque !
Grâce à leurs efforts, nous sommes arrivés à une structure assez classique, qui comprend une introduction, une description des matériels et des méthodes, la description des résultats, la discussion de ces derniers, et des références. C'est clair, et même si l'on peut faire autrement, cela aide les jeunes scientifiques à rédiger leurs articles.
Bien sûr, en mathématiques, par exemple, ou bien en chimie organique, par exemple, on peut imaginer autre chose. Bien sûr, des êtres de talents peuvent imaginer et bâtir des structures d'articles merveilleuses, mais la "norme" actuelle a le mérite de bien commencer par poser la question, puis de donner les conditions d'obtentions des résultats, de séparer les faits des interprétations. J'aime !
Oui, j'aime, tout comme j'aime ces définitions internationales données par l'Union internationale de chimie (IUPAC), qui évitent les confusions, comme j'aime toutes les initiatives qui vont dans le sens de plus de clarté, de plus de communication facilitée entre les communautés.
Bref, je suis reconnaissants aux académiciens du passé d'avoir oeuvré pour que nous en soyons où nous en sommes aujourd'hui, grâce à leurs "normalisations".
Et puis, quand même, je signale quand même que ceux d'entre les scientifiques qui ne savent pas mettre un article au "moule" d'une revue ne verront jamais l'article accueilli, et encore moins publié. On peut être rebelle, mais pourquoi, au fond, perdre son temps à cela ?
jeudi 10 juin 2021
Comment expliquer ?
Comment expliquer ? Il faudra que j'examine aussi la question "Comment comprendre ?", car elle me semble bien proche : si je ne sais pas expliquer parfaitement, cela ne signifie-t-il pas que je ne comprends pas "parfaitement" ?
Cela étant, il faut commencer par poser la question "Pourquoi expliquer ?", ou encore "Faut-il expliquer ?", avant de se demander "Comment expliquer ?" ! Car si l'on vise l'autonomie de nos amis, pourquoi ne les pousserions-nous pas à compendre par eux-mêmes, en autonomie ?
Bien sûr, cela suppose des documents pour que nos amis puissent comprendre par eux-mêmes, mais :
- il y en a plein internet
- laisser nos amis chercher, c'est les habituer à aller chercher, sans se reposer sur quelqu'un qui leur donne la béquée.
Bref, faut-il vraiment expliquer ? Je propose de laisser la question sans y répondre vraiment.
Quand je fais un inventaire des explications, je vois quand même que la plupart semble partir du connu pour aller vers l'inconnu.
Evidemment, on peut concevoir de donner à nos interlocuteurs une phrase incompréhensible que l'on décortique ensuite, mais alors, puisqu'ils ne la comprennent pas, qu'ils ne comprennent donc pas l'objectif de l'explication, pourquoi la donner ?
Décidément, je n'arrive pas à penser que l'on doive faire ainsi, et je préfère de loin aller lentement du connu vers l'inconnu.
Oui, lentement, car on nous suit difficilement si nos pas sont trop grand. Autre façon de le dire : les petites bouchées sont plus faciles à avaler que les grosses, raison pour laquelle on mastique pour diviser l'aliment avant de déglutir.
D'ailleurs, je crois préférable, quand on emmène quelqu'un avec soi vers l'état "une explication donnée", que l'on fasse suivre un chemin peut-être expliqué à l'avance, mais, en tout cas, pour lequel les pas ne seront pas de géants. Nous devons marcher lentement, et nous assurer qu'ils nous suivent. Mieux dit : il vaut mieux marcher à leur rythme, pas au nôtre.
Cela dit, je vois que reprendre le chemin historique qui a conduit à la découverte de ce que l'on veut expliquer est parfois c'est une bonne chose, à condition d'être capable de ne pas se perdre dans les méandres de l'histoire.
Bien sûr, comme pour la consultation d'un dictionnaire, on s'amusera des méandres de l'histoire, on admirera en chemin les avancées des scientifiques du passé, on ne perdra pas son temps si l'on entre un peu dans le détail de l'histoire... mais on ne devra jamais oublier que l'objectif est que nos amis comprennent le point que l'on tente d'expliquer. Et puis, il faudra prendre garde de ne pas allonger trop le chemin, sans quoi nous fatiguerons nos amis. Bref, souvent, il est important d'arriver aussi vite que possible au point visé.
D'autant que, le plus souvent, nos amis ne comprennent pas parce qu'il leur manque des bases, c'est-à-dire la connaissance d'objets ou de notions qu'ils sont découverts il y a longtemps, mais qu'ils n'ont pas toujours bien compris alors, et dont ils ont même oublié l'existence. Là, c'est grave, car on ne peut pas construire sur des sables mouvants, et il faut reprendre à la base, commencer par établir des fondations solides.
Une autre façon d'expliquer consiste à simplifier le problème, à prendre un exemple aussi simple que possible, à réduire le nombre de dimensions du problème considéré...
Cette stratégie est excellente quand on calcule, car elle permet de mieux percevoir la méthode, le chemin.
Avec une question récente sur la mécanique quantique, j'analyse maintenant que la présentation d'expériences fondatrices est également utile : pour la mécanique quantique, c'est l'expérience des fentes d'Young, qui fut un obstacle terrible à la constitution cette mécanique quantique.
Cette explication pourrait venir en plus de la présentation historique de ce que l'on a nommé la "catastrophe ultraviolette" qui a conduit le physicien allemand Max Planck à découvrir les quanta, le fait que l'énergie puisse être communiquée de façon discontinue, et non pas continue.
Évidemment, quelle que soit l'explication, la question des mots est essentielle, car il est certain que nos amis auront du mal s'ils ne captent pas les mots individuels des explications. Ce matin même, l'un d'entre eux hésitait sur "irrémédiablement", un autre sur "glauque", un troisième sur "rutilant", un quatrième sur "énergie"... Il y a donc lieu de s'assurer que chaque mot est bien compris.
D'ailleurs, puisque cette question des mots est posée, on prendra garde à n'utiliser que des mots simples, avec aussi peu de syllabes que possible, compréhensibles par tous (éviter "ontologique", "paradigmatique", etc.), mais, aussi, à éviter des mots superflus, selon le bon principe selon lequel tout ce qui est superflu est gênant.
A propos des mots, on évitera le jargon, voire les trop nombreuses abréviations, car si elles ne sont pas familières, elles imposeront des "traductions mentales" qui ralentiront nos amis, voire les feront trébucher.
Bien sûr, il y a des "clichés" qui, aussi, sont néfastes, et qui font tomber beaucoup des étudiants. Je pense à "niveau d'énergie", qui peut utilement être remplacé par "énergie".
Et des mots, passons à la structure des phrases : évidemment, on priviligiera des phrases simples (sujet-verbe-complément) et courtes.
Et là, il y a des choix à faire pour ne pas non plus se perdre dans des explications trop longues.
Dans mon examen des méthodes d'explication, je dois évidemment me souvenir du Théétète de Platon, pour lequel un ensemble de questions et réponses (la méthode nommé maïeutique) a montré à un jeune esclave avait en lui la connaissance du fait que la racine carrée de deux est irrationnelle. Je l'explique pas ce dont il s'agit, mais je veux insister sur le fait que Platon nous a beaucoup ébloui, au sens littéral du terme et que nous devrions nous méfier des mythes qu'il a construit, notamment celui qui consiste à penser que nous avons déjà tout en nous et que c'est seulement en le sortant de nous-mêmes que nous arriverons à savoir que nous le savons.
Je ne brûle pas complètement ce que j'ai adoré, mais j'observe que si la méthode de la maïeutique est extraordinaire, efficace, merveilleuse, le mythe propagé par le dialogue évoqué doit être oublié.
D'autres méthodes ? Hier, avec un jeune ami, nous avons regardé un document que j'avais rédigé pour expliquer un point de chimie, et en le lisant mot à mot, et en l'interrogeant sur chaque terme, j'ai vu combien mon document était imparfait.
Il faut dire que mon ami est une de ces personnes remarquables qui osent dire quand elle nes comprennent pas, ce qui est une qualité essentielle.
Bref, grâce à lui, j'ai considérablement amélioré mon document impartant. Bien sûr, j'avais des excuses, puisque j'avais écrit ce texte que nous avons regardé en plus de mon travail en quelques sorte, mais quand même, j'ai vu que j'étais un peu snob, un peu rapide, et que, de ce fait, mon impatience me conduisait à ne pas expliquer suffisamment. J'ai vu aussi des imperfections de détails : un mot qui manquait, une faute d'orthographe, un symbole insuffisamment présenté, expliqué... Le texte est maintenant corrigé, mais, en relisant, je vois bien mieux qu'il y aura lieu de développer encore un peu, au moins pour l'ami que j'évoque.
Bien sûr il y en a d'autres amis qui ont déjà nombre de notions que j'ai détaillées pour la personne que j'ai évoquée, et ils trouveront peut-être mes explications détaillées un peu pesantes... mais, au fond, je les invite à ne pas être rapides, impatientes, car l'histoire des sciences a trop souvent montré que c'est en revenant aux notions élémentaires que l'on faisait les révolutions scientifiques les plus profondes. Et puis, cela faire rarement du mal de s'assurer que nous avons bien compris nous-même.
Personnellement, il m'arrive excessivement souvent de reprendre des idées très élémentaires il m'interroger, je n'ai jamais regretté d'y passer un peu de temps parce que, regardant avec des points de vue différents, puisqu'ils ont changé avec le temps (pensons à Héraclite pour qui tout coule), j'ai vu les choses différemment, et j'ai mieux détecté des zônes d'ombre qu'il me fallait éclairer.
Dans les méthodes d'explication, je ne veux pas oublier la manière qui consiste à bien distinguer ces diverses catégories que sont les informations, les méthodes, les concepts, les valeurs, les anecdotes. C'est ainsi que je structurai naguère des cours, et le fait de bien situer mon discours dans ces catégories semble avoir aidé mes amis.
En prenant garde aux "histoires" que l'on raconte : certes, beaucoup aiment cela, ce qui leur permet de ne pas décrocher ("Si Peau d'Âne m'était conté, j'y prendrais un plaisir extrême, disait Jean de la Fontaine), mais on évitera que nos interlocuteurs ne soient fascinés par les histoire au point de perdre l'idée que c'est le contenu de l'explication, le fond, qui importe.
Et puisque j'évoque mes cours, je vois que j'aurais dû renvoyer vers mon blog sur la rénovation des études supérieures, car il y a un énorme groupe de billets qui discutent les différents aspects des études : n'est-ce pas la question évoquée ici ?
Voir http://www2.agroparistech.fr/-A-propos-d-etudes-superieures-mais-pas-seulement-.html
Et la s'impose une autre discussion à propos du formalisme, qui nous permet de penser un peu automatiquement, car c'est comme une machine dont on tournerait la manivelle et qui produirait automatiquement des conséquences, des conclusions, des idées qu'on avait pas et qui apparaissent merveilleusement.
J'aime évidemment beaucoup cela, et c'est la raison pour laquelle je partage avec Galilée son idées extraordinaire selon lequel le monde est écrit en langage mathématique. Au fond, c'est cette idée qui me fait lever le matin : cette adéquation les mathématiques avec les phénomènes.
Et cette question du formalisme me conduit à celle de l'abstraction : j'aurais dû me souvenir plus tôt de cas pathologiques, par exemple cette élève à qui je donnais des cours particuliers, il y a 40 ans, et qui ne parvenait pas à comprendre qu'une lettre puisse représenter plusieurs quantités à volonté. Évidemment son accès au formalisme algébrique était impossible, de sorte que j'avais dû lui conseiller de ne pas chercher à comprendre certains points particuliers, mais les accepter et faire fonctionner le formalisme automatiquement, comme un outil que serait un marteau ou un tournevis.
Je dois également me souvenir des difficultés de nombreux camarades, au moment des mathématiques modernes, notamment avec la notion de classe d'équivalence.
J'ajoute qu'il est amusant que les mêmes qui critiquaient les mathématiques modernes pour leur abstraction ne voyaient pas de difficultés à imaginer des droites, en géométrie, sans épaisseur, infiniment fines.
J'en suis là, et je vois que ce billet doit se poursuivre, à mesure que j'identifierai des méthodes d'explications, à moins que des amis ne m'en donnent pour ma "collection".
lundi 27 juillet 2020
Décomposition et synthèse de l'eau : des exemples de réactions
1. La dissociation de l'eau et la synthèse de l'eau ? Cela s'apparente à l'expérience effectuée avec la lumière par le physicien anglais Isaac Newton (oui, l'homme qui a compris que le Soleil attirait la Terre par une force qui diminue en proportion du carré de la distance entre les deux astres, qui a interprété la "gravitation"), au 17e siècle : ce dernier a en effet décomposé la lumière blanche à l'aide d'un prisme, produisant toutes les couleurs de l'arc-en-ciel ; puis il a recomposé de la lumière blanche avec les lumières colorées qui avaient été séparées.
2. L'expérience est vraiment merveilleuse et les enfants devraient tous être conduits un jour à jouer avec des prismes : ce n'est pas difficile à produire, puisque il suffit de tailler un bout le plastique ou, si l'on veut mieux, de verre. Quand on met le prisme devant un faisceau de lumière blanche, on voit ce faisceau s'étaler avec toutes les couleurs de l'arc-en-ciel qui partent dans des directions différentes.
3. On dit que Newton s'enferma dans sa chambre après avoir obturé les fenêtres avec des rideaux, ne laissant qu'un trou dans ces derniers devant lequel il mit le prisme pour faire ses expériences. Puis, ayant séparé la lumière blanche en ses diverses composantes colorées, il chercha à séparer chacune de ces composantes sans y parvenir : en quelque sorte, chaque composante colorée était donc "élémentaire".
4. En 1776, les chimistes français Macquer et Sigaud de Lafond montrèrent que l'on pouvait synthétiser de l'eau à partir du gaz dihydrogène que l'on fait brûler dans l'air, mais il fallut les travaux de Lavoisier pour que l'on refasse comme Newton, mais pour de l'eau : on peut décomposer l'eau en deux gaz, dihydrogène et dioxygène, puis recomposer ces deux gaz en eau.
5. Aujourd'hui, un enfant peut faire cela. Pour la décomposition, branchons deux fils conducteurs aux bornes d'une pile, et plaçons ces fils dans de l'eau (on peut ajouter un peu de sel pour que l'expérience aille mieux). On voit apparaître des petites bulles sur les. Captons ces gaz, à l'aide de tube retournés, empli d'eau, placés au dessus de chaque fil. Progressivement, le volume de gaz augmente dans chaque tube. Si l'on met une allumette seulement incandescente dans le tube qui contient le dihydrogène, elle se rallume vivement. Et si l'on approche une allumette du tube qui contient le dihydrogène, ce dernier brûle.
6. Enfin, si l'on mélange les deux gaz, et que l'on approche une allumette, on a une explosion et la paroi du tube se couvre de buée : on a synthétisé de l'eau.
7. Ces expériences montrent que l'eau n'est pas "élémentaire" : on peut la séparer en des éléments plus simples.
lundi 13 avril 2020
La chimie est née de l'alchimie au 18e siècle
Dans tout ce contexte, on aura raison de lire l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert , qui fut précisément publiée au moment où la chimie se dégageait plus clairement de l'alchimie, avec une transition qui a été nommée (al)chimie par Didier Kahn, et chymistry par les historiens de langue anglaise. Dans l'Encyclopédie on voit les changements à l'oeuvre, entre le début et la fin de l'entreprise : la chimie telle que nous l'entendons aujourd'hui n'apparaît que vers le volume VI.
Et dans le volume 1, voici ce que l'on trouve (p. 248, http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/article/v1-1117-0/, dernier accès 2020-03-25) :
ALCHIMIE, s. f. est la chimie la plus subtile par laquelle on fait des opérations de chimie extraordinaires, qui exécutent plus promptement les mêmes choses que la nature est long-tems à produire ; comme lorsqu’avec du mercure & du soufre seulement, on fait en peu d’heures une matiere solide & rouge, qu’on nomme cinabre, & qui est toute semblable au cinabre natif, que la nature met des années & même des siecles à produire.[on le voit : pas de mystique ici, mais seulement la reconnaissance de faits].
Les opérations de l’alchimie ont quelque chose d’admirable & de mystérieux ; il faut remarquer que lorsque ces opérations sont devenues plus connues, elles perdent leur merveilleux, & elles sont mises au nombre des opérations de la chimie ordinaire, comme y ont été mises celles du lilium, de la panacée, du kermès, de l’émétique, de la teinture de l’écarlate, &c. & suivant la façon, dont sont ordinairement traitées les choses humaines, la chimie use avec ingratitude des avantages qu’elle a reçûs de l’alchimie : l’alchimie est maltraitée dans la plûpart des livres de chimie. Voyez Alchimistes.[ici, la chimie prend sa place, et il faut d'ailleurs signaler que l'évolution vers la chimie visait notamment à se débarrasser de l'image détestable qu'avaient les alchimistes]
Le mot alchimie est composé de la préposition al qui est Arabe, & qui exprime sublime ou par excellence, & de chimie, dont nous donnerons la définition en son lieu. Voyez Chimie. De sorte que alchimie, suivant la force du mot, signifie la chimie sublime, la chimie par excellence.[dont acte, mais le 18e siècle fut quand même le moment où la quête de la pierre philosophale, par exemple, fut abandonnée, au point que Colbert interdit de considérer ces matières dans l'Académie qu'il avait créée]
Les antiquaires ne conviennent pas entre eux de l’origine, ni de l’ancienneté de l’alchimie : si on en croit quelques histoires fabuleuses, elle étoit dès le tems de Noé. Il y en a même eu qui ont prétendu qu’Adam savoit de l’alchimie.[on lira dans les bons auteurs d'histoire de la chimie que nombre de livres sont plus récents qu'ils ne le disent, et pas toujours écrits par ceux à qui on les attribue : en les enracinant, leurs véritables auteurs voulaient en accroître l'autorité]
Pour ce qui regarde l’antiquité de cette science ; on n’en trouve aucune apparence dans les anciens auteurs, soit Medecins, soit Philosophes, soit Poëtes, depuis Homere, jusqu’à quatre cens ans après Jesus-Christ. Le premier auteur qui parle de faire de l’or est Zozime, qui vivoit vers le commencement du cinquieme siècle. Il a composé en Grec un Livre sur l’art divin de faire de l’or & de l’argent. C’est un Manuscrit qui est à la Bibliotheque du Roi. Cet ouvrage donne lieu de juger que lorsqu’il a été écrit, il y avoit déjà long-tems que la chimie étoit cultivée ; puisqu’elle avoit déjà fait ce progrès.[oui, j'ai parlé de pierre philosophale, mais j'aurais dû évoquer la confection de l'or, puisque c'était un moteur essentiel de l'alchimie ; le même, en quelque sorte]
Il n’est point parlé du remede universel, qui est l’objet principal de l’Alchimie, avant Geber, auteur Arabe, qui vivoit dans le septieme siecle.[ah, voici la pierre philosophale : notre auteur prend les choses au rebours de moi, mais qu'importe, puisque c'est la même chose, la même quête]
Suidas prétend que si on ne trouve point de monument plus ancien de l’Alchimie, c’est que l’Empereur Dioclétien fit brûler tous les Livres des anciens Egyptiens ; & que c’étoient ces Livres qui contenoient les mysteres de l’Alchimie.[un peu facile : les preuves ont disparu ! Mais on se souviendra utilement de cette idée : à prétention extraordinaire, il faut des preuves extraordinaires.]
Kirker assûre que la théorie de la Pierre-philosophale est expliquée au long dans la table d’Hermès, & que les anciens Egyptiens n’ignoroient point cet art.
On sait que l’Empereur Caligula fit des essais, pour tirer de l’or de l’orpiment. Ce fait est rapporté par Pline, Hist. nat. ch. iv. liv. XXXIII. Cette opération n’a pû se faire sans des connoissances de Chimie, supérieures à celles qui suffisent dans la plûpart des arts & des expériences pour lesquelles on employe le feu.[Oui, des essais, mais il est certain qu'il n'a pas réussi ! ]
Au reste, le monde est si ancien, & il s’y est fait tant de révolutions, qu’il ne reste point de monumens certains de l’état où étoient les sciences dans les tems qui ont précedé les vingt derniers siecles ; je n’en rapporterai qu’un exemple : la Musique a été portée, dans un certain tems chez les Grecs, à un haut point de perfection ; elle étoit si fort au-dessus de la nôtre, à en juger par ses effets, que nous avons peine à le comprendre ; & on ne manqueroit pas de le révoquer en doute, si cela n’étoit bien prouvé par l’attention singuliere qu’on sait que le gouvernement des Grecs y donnoit, & par le témoignage de plusieurs auteurs contemporains & dignes de foi. Voyez An ad sanitatem musice, de M. Malouin. A Paris, chez Quillau, rue Galande.[amusant, cette idée d'un âge d'or ! bien faible, aussi : de sorte que l'on dit justement "à beau mentir qui vient de loin", on aura raison de penser que ce qui est ancien est périmé, plutôt qu'abatardi. Pensons notamment à la médecine... qui n'a jamais réussi, dans les anciens temps, ce qu'on fait les antibiotiques ou la médecine moderne. Allons, ne cédons pas à la faiblesse d'esprit du "bon vieux temps".]
Il se peut aussi que la Chimie ait de même été portée à un si haut point de perfection, qu’elle ait pû faire des choses que nous ne pouvons faire aujourd’hui, & que nous ne comprenons pas comment il seroit possible que l’on exécutât. C’est la Chimie ainsi perfectionnée qu’on a nommée Alchimie. Cette science, comme toutes les autres, a péri dans certains tems, & il n’en est resté que le nom. Dans la suite, ceux qui ont eu du goût pour l’Alchimie, se sont tout d’un coup mis à faire les opérations, dans lesquelles la renommée apprend que l’Alchimie réussissoit ; ils ont ainsi cherché l’inconnu sans passer par le connu : ils n’ont point commencé par la Chimie, sans laquelle on ne peut devenir Alchimiste que par hasard.[Et voilà, on repart sur la même idée fausse, pour le début du paragraphe. La suite est moins claire.]
Ce qui s’oppose encore fort au progrès de cette science, c’est que les Chimistes, c’est-à-dire, ceux qui travaillent par principes, croient que l’Alchimie est une science imaginaire, à laquelle ils ne doivent pas s’appliquer ; & les Alchimistes au contraire croient que la chimie n’est pas la route qu’ils doivent tenir.[Ici, on ne sait pas bien de quelle "science" il s'agit. Et science au sens de "science de la nature moderne", ou simplement de "savoir" ? La confusion entre ces deux termes embrouille les discussions.]
La vie d’un homme, un siecle même, n’est pas suffisant pour perfectionner la Chimie ; on peut dire que le tems où a vécu Beker, est celui où a commencé notre Chimie. Elle s’est ensuite perfectionnée du tems de Stahl, & on y a encore bien ajoûté depuis ; cependant elle est vraissemblablement fort éloignée du terme où elle a été autrefois.[Amusant que notre auteur cite Stahl comme un progrès... alors que Lavoisier allait le réfuter quelques années plus tard. Pour ceux qui l'ignorent, Stahl avait promu l'idée fausse du "phlogistique", un corps de masse négative, qui aurait enlevé aux corps calcinés. Et c'est ainsi que l'on expliquait que du fer que l'on brûle dans l'air a une masse qui augmente : Stahl prétendait que la perte de ce phologistique de masse négative laissait le métal calciné, plus lourd. Lavoisier fut celui qui montra que, au contraire, le métal capte l'oxygène lors de la combustion, de sorte que l'oxyde métallique formé avait la masse du métal plus la masse de l'oxygène fixé lors de la réaction.]
Les principaux auteurs d’Alchimie sont Geber, le Moine, Bacon, Ripley, Lulle, Jean le Hollandois, & Isaac le Hollandois, Basile Valentin, Paracelse, Van Zuchten, Sendigovius, &c. (M) [Bon, pas certain qu'il faille aller lire leurs divagations si l'on n'est pas historien de la chimie ;-).]
Et je vous invite maintenant à aller découvrir la suite, dans la suite de l'Encyclopédie, et surtout dans les auteurs modernes que je vous ai cités !
vendredi 13 septembre 2019
Qu'est ce que la cuisine ?
Qu'est-ce que la cuisine, me demande-t-on ? La question mérite une réponse en ces temps d'évolution rapide du paysage culinaire, alors notamment que la cuisine note à note bouscule les mentalités.
Jadis, quand l'espère humaine ne l'était pas encore, qu'il n'y avait pas le feu, on mangeait directement les végétaux ou des animaux, sans apprêt, sans cuisine. Puis il y eut des évolutions : certains primates non humains sont ainsi capables de laver des tubercules avant de les consommer : c'est le début d'une transformation des ingrédients en aliments. Puis le feu et la fermentation se sont introduits, avec des effets importants sur la digestibilité des ingrédients, et du temps laisser pour autre chose que seulement se nourrir. Ce fut un moment essentiel, et le feu fit la cuisine. L'aliment se distingua plus nettement de l'ingrédient.
Et, progressivement, la cuisine s'est emparée des fruits, des légumes, des viande, des poissons et de quelques autres ingrédients pour leur appliquer des opérations unitaires, telles que la division, le broyage, la cuisson...
Et c'est ainsi que l'on en est arrivé à ce stade où la cuisine est une activité de préparation des mets à partir des ingrédients culinaires.
Si l'on analyse cette activité, on observe qu'il y a trois composantes : une composante technique, une composante artistique et une composante sociale. La composante sociale, tout d'abord, consiste à établir une relation de confiance avec ceux que l'on nourrit, au point qu'ils acceptent d'absorber les produits que nous avons préparés. La composante artistique consiste à faire bon, c'est-à-dire beau à manger, tout comme le musicien c'est beau à entendre, le peintre fait beau à voir, l'écrivain fait beau à lire... Enfin, la composante technique est la plus élémentaire, elle est à la base de l'artisanat comme de l'art culinaire. Il s'agit simplement de produire les mets, techniquement, physiquement.
La cuisine note à note vient bouleverser tout cela, au point que j'ai rencontré des cuisiniers, notamment professionnels, pour qui la cuisine note à note n'est pas de la "vraie cuisine". Pourtant il s'agit bien de préparer des plats, de donner à manger, de faire du beau, avec une activité technique, une activité artistique, une activité sociale.
Avec la cuisine note à note, il ne s'agit pas de changer les ustensiles, mais de changer les ingrédients : il s'agit d'utiliser les composés constitutifs des ingrédients classiques plutôt que les ingrédients classiques eux-mêmes. Au lieu d'utiliser des carottes ou des viandes, on utilisera des protéines, de la cellulose, de l'eau, des lipides.
Et c'est là que la discussion devient intéressante : nos amis apeurés ont-ils le droit de vouloir confisquer le mot "cuisine" pour le réserver à la transformation des ingrédients culinaires classique en aliment ? Après tout, l'utilisation de farine n'est pas l'utilisation de blé, et l'utilisation du beurre n'est pas celle du lait : on a fractionné, et le cuisinier a utilisé des fractions. Pourquoi ne pas prolonger le fractionnement et l'utilisation de fractions ?
Je pourrais volontiers admettre que c'est moi qui abuse de la terminologie "cuisine", mais la considération de l'histoire de la cuisine montre que, en réalité, la cuisine n'a pas toujours été comme aujourd'hui. Cicéron disait bien qu'un homme qui ne connaît que sa génération est un enfant. Le fait que la cuisine ait évolué fait penser qu'elle évoluera encore.
Considérons donc que la cuisine note à note est de la vraie cuisine, et cherchons ce qu'il y aura après ;-)
samedi 2 juin 2018
Un article qui n'est publié qu'en grec
lundi 14 mai 2018
Des faits
Habilitation à diriger des recherches, à l'Université Paris Sud, Orsay, à la demande de Guy Ourisson, alors président de l'Académie des sciences. Au jury, Pierre Gagnaire, Etienne Guyon (alors directeur de l'Ecole normale supérieure), Xavier Chapuisat, président de l'université, mon ami Georges Bram et Alain Fuchs, aujourd'hui président du CNRS.
Heston Blumenthal passe un jour au laboratoire, au Collège de France, et je lui montre plein de choses