Comment faire de
bons documents qui expliquent aux étudiants des points
scientifiques ? Je me demande s’il n'y a pas lieu de
commencer par réfléchir, et, notamment, analyser de mauvais
documents, en vue d'identifier les caractéristiques que nous devrons
absolument éviter. Bien sûr, il y a d'innombrables mauvais cours,
de sorte que le travail est immense, mais je me propose, dans les
mois qui viennent, de prendre des exemples successifs, afin de
constituer progressivement un corpus qui pourra servir ultérieurement
de guide avant la rédaction, puis de check list après qu'elle aura
été faite.
Ainsi j'ai sous les
yeux un cours de statistiques que j'avais lu trop rapidement par le
passé, et que j'avais mis de côté parce que je le trouvais « trop
difficile ». Là, ayant pris le temps de le lire lentement,
j'ai compris qu'il n'était pas difficile, mais mauvais !
Dans les 20
premières pages, je trouve toute une série de définitions :
je comprends qu'il faut les connaître, et, en me mettant dans la
position de l'étudiant, je consens évidemment à bien les
comprendre, puis à bien les apprendre. Mais vient bientôt, sans que
le livre ne signale de changement de régime, une série de formules
qui sont en réalité des résultats qui ne sont pas présentés
comme tels, mais simplement énoncés, négligemment, sans aucune
mention du fait qu'il faut les démontrer. C'est comme s'ils étaient
parfaitement évidents, au même niveau que des définition.
Pourtant, je viens
de m'assurer, en y passant du temps, que la démonstration de
plusieurs d'entre eux nécessite plusieurs pages de calcul pour
chacun ! Autrement dit, la compréhension de ce texte nécessite
des pages de lecture supplémentaire, éventuellement à l'aide de
documents que j'ai dû chercher moi-même, sans aucune indication de
l'auteur du livre !
Le livre est donc
ainsi fait de phrases, suivies de formules, il n'y a aucune
explication. Or c'est un livre universitaire proposé à un niveau
« élémentaire », de sorte que je sais bien que les
étudiants qui l’auront en main ne pourront absolument pas -sauf
exception bien sûr- comprendre ce qui est écrit ! Que pourront-ils
faire alors ? Simplement répéter tels des perroquets ce qu'ils
auront appris par cœur, sans savoir d'où cela vient… ni si c'est
juste ! A moins bien sur qu'ils ne fassent comme moi, à savoir
qu'ils passent beaucoup de temps à chercher ailleurs les
démonstrations qui ne sont pas données.
Je trouve qu'il y a
malhonnêteté de la part de l'auteur à livrer ainsi un simple
squelette dont il n'est pas signalé qu'il s'agit d'un squelette. Il
n'y a pas de mode d’emploi donnée en introduction, ni même des
phrases qui signaleraient que les résultats sont démontrés par
ailleurs. L'auteur a vraisemblablement recopié les résultat d’un
autre cours. Il n'y a ni traitement nouveau de la matière, ni
explication. Ce livre est un mauvais livre d’enseignement.
Un collègue qui
faisait de tels cours m'a expliqué un jour qu'il attendait que les
étudiants fassent le travail d'aller chercher eux-mêmes les
démonstrations qu'il ne donnait pas. Pourquoi pas, si tel est le
jeu, et si ce jeu reste raisonnable en terme de temps passé. Mais
quand même, n'y a -t-il pas une certaine paresse à faire ainsi ?
Pourquoi ne pas donner directement les détails ? Pourquoi se
contenter de donner des listes de résultats démontrés, au lieu de
donner les résultats et leur démonstration ?
Plus positivement,
je vois que cette analyse nous conduit à non seulement donner la
suite des résultats, correctement enchaînés, mais à choisir des
options. Soit on peut indiquer aux étudiants où ils trouveront les
démonstrations. Soit on peut donner celles-ci dans des sections ou
dans des annexes, si l'on souhaite conserver une lisibilité du
chemin que l'on fait parcourir eaux étudiants.
Mais en tout état
de cause, je crois que l'enseignant a l'obligation d'être
parfaitement clair, sans quoi il ne mérite pas sa position.
Sourions un peu avec
cette anecdote du professeur qui écrit au tableau une suite de
résultats. Un étudiant interrompt : « Monsieur, comment
passez-vous de la litre 3 à la ligne 4 ? » Le professeur
répond : « C'est évident, voyons, c'est évident. »
L'étudiant insiste : « Pardonnez moi, mais je comprends
pas. » Le professeur s'arrête cette fois, contemple longuement
le tableau noir et dit : « Mais si, c'est évident. Oui,
c'est évident… Oui, bon, enfin, donnez-moi une seconde ». Il
quitte la salle et ne revient qu'après une demi heure, se campe
devant le tableau, et commente : « Et bien oui, c'est
évident… »
Je n'arrive pas à
croire que cette stratégie soit bonne, et j'attends de mes collègues
de bons arguments avant que j'imagine son utilisation.
Personnellement, quand j'étais étudiant, j'ai toujours été
extrêmement reconnaissant aux enseignants qui prenaient le temps et
la peine de mettre toute leur intelligence au service des
explications les plus limpides, les plus claires. Cela nécessitait
du temps d'étude de ma part, mais au moins, je n’étais pas une
vieille chaussette dont on se débarrasse dans un panier de linge
sale. J'ai le plus grand mépris pour les enseignants paresseux, ou
prétentieux, ou négligents, et je vois donc ainsi une règle
absolue pour la préparation des textes d’enseignements des
sciences de la nature, résumée dans cette formule de François
Arago :
« La clarté est la politesse de ceux qui
s'expriment en public ».