Voir le billet ici : https://scilogs.fr/vivelaconnaissance/pour-regler-des-questions-de-consistance/
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
jeudi 10 mars 2022
En cuisine, pour régler des questions de consistance
vendredi 11 février 2022
je n'aime pas les pâtes al dente
Que mes amis italiens me pardonnent ce titre : j'espère qu'ils seront d'accord avec moi, quand ils auront fini la lecture de ce billet, si ce sont de vrais amateurs de pâtes.
Le point de départ, c'est un oukase que l'on répète en France : il faudrait que les pâtes soient cuites al dente.
Mais on me connaît : je n'aime guère les oukases, ces ordres qui viennent d'on ne sait où et qu'il faudrait suivre sans réfléchir.
D'ailleurs, cela fait bien longtemps que je me demande pourquoi il faudrait cuire les pâtes al dente.
Et l'on verra qu'il est très fautif de considérer que les pâtes al dente sont "meilleures".
Bien sûr, mes amis italiens sont des amateurs de pâtes, parfois des connaisseurs de pâtes... mais moi aussi ! Et je vois bien mal comment on pourrait mesurer l'expertise, et, surtout, pourquoi la connaissance des pâtes devrait dicter mon goût.
Car parfois, j'aime les pâtes bien cuites, parfois je les veux al denté, parfois je les veux si cuites qu'elles se défont... Oui, mon goût est changeant, d'heure en heure, de jour en jour, de saison en saison, selon les convives, le temps qu'il fait... Et seul mon goût compte, pour ce que je mange. Si je veux des pâtes bien cuites, je me fiche de savoir que d'autres les veulent al dente, et vice versa.
Pis encore, la répétition les mêmes plats est lassante, et l'être humain, sans doute pour des raisons de biologie de l'évolution, veut des changements, sans doute parce que ces derniers garantissentqu'il mangera de façon diversifiée et qu'il évitera d'accumuler des composés toxiques qui proviendraient d'un aliment particulier. Manger varié, c'est limiter la concentration de certains composés... ce qui est essentiel, car tous les composés de nos aliments sont toxiques à haute dose.
Finalement, j'invite mes amis à ne jamais céder au terrorisme intellectuel du "meilleur" : le meilleur, c'est ce que nous préférons hic et nunc, rien de plus.
De surcroît, le conseil de cuire les pâtes al dente est est idiot parce que les pâtes ne se mangent pas seul, mais en accompagnement : a minima d'une sauce, mais aussi d'autres ingrédients, d'une viande ou d'un poisson etc., et chaque association impose une consistance particulière des pâtes.
Si l'on a une consistance de la garniture qui est celle d'une pâte al dente, alors on aurait deux fois la même consistance en appropriant la garniture de pâtes al dente. Est-ce vraiment intéressant ? Certainement pas si l'on considère que notre appareil sensoriel est biologiquement fait pour reconnaître précisément les contrastes, et les contrastes de consistance en particulier.
Mais on se souvient que le bon, c'est le "beau à manger". Et en art culinaire, comme dans les autres arts, il n'y a pas de loi.
Je reviens à mes pâtes, à mes pauvres pâtes, et j'avais bien raison de me méfier de cette loi tombée du ciel, ou plutôt de l'Italie, qui voudrait m'imposer ses goûts, nous imposer ses goûts. Nous valons mieux : cuisons les pâtes comme nous avons décidé de les cuire, agrémentons-les comme nous avons décidé de les agrémenter. Comme en musique, c'est seulement l'aléatoire, l'à peu près, qui empêchent d'atteindre le beau.
Oui, pour nos pâtes, sachons les cuire de la consistance que nous voulons, et dans le liquide que nous voulons, pour leur donner la consistance et le goût que nous aurons décidé.
mercredi 8 juillet 2020
La fusion du beurre
A propos de changement d'état, nous avons précédemment considéré la cristallisation du sel, mais pas la congélation de l'eau. Dans le cas le plus simple, de l'eau que l'on refroidit se transforme en glace solide à la température de zéro degré. On peut faire l'expérience de placer une casserole d'eau dans un bain d'azote liquide, à -196 degrés, et de voir que l'eau dans la casserole congèle. Pas d'un coup, évidemment, mais un peu comme le sel dans la casserole d'eau salée que nous avions chauffée : il y a le même type de phénomènes, à savoir qu'un refroidissement rapide fait de tous petits cristaux, alors qu'un refroidissement lent fait des cristaux plus gros.
C'est la raison pour laquelle les sorbets à l'azote liquide sont si merveilleux : les cristaux sont tout petits, et la consistance est merveilleusement souple.
Cela étant, il y a deux précisions à apporter. La première, c'est que notre eau peut rester liquide à une température inférieure à zéro degré. Ce n'est toutefois pas un état stable : une poussière qui tombe dans cette eau déclenche une congélation brusque, et tout prend en masse d'un coup.
En effet, il faut des espèces de "support" (on parle de "germes") pour que la cristallisation s'opère et ces supports peuvent être à peu près n'importe quoi : des poussières, du sel, des rayures de la casserole...
La deuxième précision qu'il faut apporter concerne la fixité de la température de fusion de la glace : tant que de la glace solide est en présence d'eau liquide, la température est 0 degré, constante.
C'est là une propriété qui est utilisé pour l'étalonnage des thermomètres : on les plonge dans un mélange d'eau et de glace que l'on agite un peu pour que la température soit homogène, et la température es alors fixe, de 0 degrés
Avec le beurre, nous n'avons plus un composé pur, mais un mélange de très nombreux composés.
D'abord, le beurre contient une solution aqueuse, comme on s'en aperçoit en le clarifiant : on chauffe doucement, et l'on voit alors trois parties (si l'on fait l'opération dans un récipient transparent :
1. à la partie supérieure, on voit une petite écume
2. dessous, environ 80 pour cent de la masse fait une couche jaune liquide, qui est le beurre clarifié
3. à la base, il y a le "petit lait", qui est une solution aqueuse où sont dissous le lactose (le sucre du lait), des sels minéraux et des protéines (celles qui font noircir le beurre ordinaire quand on le cuit).
Préparer du beurre clarifié, clarifier du beurre, cela consiste à éliminer la couche supérieure, à décanter le récipient pour récupérer la couche liquide intermédiaire, et à séparer donc le petit lait qui est en bas du récipient.
On notera que c'est dans la couche inférieure que se trouvent nombre de protéines qui peuvent être utilement employées en cuisine, d'autant que cette couche inférieure un goût remarquable.
Mais enfin, maintenant que nous avons clarifié le beurre, nous pouvons étudier expérimentalement le beurre clarifié.
La première des choses à faire, c'est de le refroidir, et nous le voyons reprendre une consistance solide et molle. Si nous refroidissons davantage, alors la consistance devient plus fermes et oui, il y a une évolution de la consistance entre les hautes températures et les basses températures, et inversement. Pour ce beurre clarifié, la fusion commence à - 10 degrés, et elle se termine à environ 55 degrés.
Car il a des composés du beurre qui fondent à -10 degrés, d'autres à -9 degrés, d'autres à moins 8 et ainsi de suite jusqu'à 55. Évidemment, plus il fait chaud, plus la proportion de composés fondus dans la masse du beurre augmente, de sorte que le beurre devient de plus en plus mou.*
* Des collègues me font observer que les mélanges ne se comportent pas comme des sommes de composés isolés... mais c'est une naïveté de leur part de croire que j'ignore cela, car c'est un phénomène important pour la confection du chocolat. On lira avec intérêt : Kiyotaka Sato, Crystallization behaviour of fats and lipids ; a review, Chemical Engineering Science 56 (2001) 2255-2265.
Et cela doit nous faire souvenir de la blague selon laquelle Dieu aurait créé le professeur d'université pour couronner la création... mais le Diable aurait créé le "cher collègue" ;-)