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lundi 25 septembre 2023

Plus sur la vulgarisation scientifique

Aucun de mes billets n'a suscité autant de discussions que celui qui concernait la vulgarisation scientifique, une indication qu'il y avait là une préoccupation commune. Il faut donc y revenir. 

Ayant largement propagé l'idée selon laquelle la cuisine est d'abord du lien social, puis de l'art, puis de la technique, et ayant généralisé cet idée à l' enseignement, notamment l'enseignement des sciences, je ne peux évidemment pas proposer une méthode unique pour la vulgarisation, puisqu'il s'agit de littérature, d'art, donc. 

Or l'art, par définition, échappe aux règles. Tout est d'exécution, et il n'y a pas un une méthode meilleure de vulgarisation. Autrement dit, toute analyse qui conclurait avec des recommandations serait fautive par principe. 

Il faut donc le répéter, le répéter encore : l'art de la vulgarisation est un art, en cela qu'il doit vraiment produire de l'émotion. Ou, plus exactement, on peut sans doute faire de la vulgarisation artisanale, pour laquelle des canons techniques devront être respectés, et de la vulgarisation artistique, pour laquelle la technique est importante bien sûr, mais pas primordiale. 

Je m'explique : si Rembrandt n'avait pas évité les coulures de la peinture sur ses toile, il n'aurait jamais fait oeuvre d'art, de sorte que l'artiste devait être un bon technicien. En revanche, éviter les coulures n'était pas son principal objectif, mais seulement une technique à l'appui d'une idée. Idem pour Proust, Mozart, Rabelais... 

Tout cela étant dit, je me laisse maintenant aller à une analyse : je propose de bien repérer les moments de la science quantitative, en vue de chercher des méthodes de vulgarisation (de la technique, donc). 

Je crois avoir bien identifié que les temps essentiels de la recherche scientifique sont :
l'observation du phénomène,
sa caractérisation quantitative,
la réunion des données en équations synthétiques,
la recherche de mécanismes, par induction, à partir de ces équations, qui cadrent les divagations,
la recherche de déductions à partir de la théorie en vue d'identifier un aspect que l'on pourrait tester,
et le test expérimental de cette conclusion ;
puis, on repart à l'infini, en focalisant de plus en plus. 

Si l'on admet la description précédente, donc -et je n'ai entendu de contradicteurs-, alors on voit le grain que la vulgarisation doit moudre tient dans les temps identifiés : observation des phénomènes, caractérisations quantitatives, réunion des données en lois, etc. 

De ce fait, on est conduit à penser que, s'il y a vulgarisation, il y a présentation d'un travail scientifique, de sorte que chaque aspect peut être montré... ce qui conduit à identifier des vulgarisations concernant les divers temps de la science quantitative. Evidemment on peut mêler des explications de plusieurs d'entre eux ! 

Faut-il que le discours vulgarisateur soit divisé en autant de parties qu'il ya de temps dans la science ? La réponse a été donnée plus haut : s'il y a art, chacun fait comme il veut... mais l'ouvrier sera finalement jugé à son ouvrage. 

En tout cas, je ne fais pas preuve d'originalité en maintenant que ce qui se conçoit bien s'énonce clairement, de sorte que je ne crois pas inutile d'avoir tenu le raisonnement précédent. Certes, un grand artiste, un grand orfèvre n'a pas besoin de conseils élémentaires, mais je connais bien peu de telles personnes, de sorte que je ne saurais trop, au moins pour moi-même, utiliser le précédent raisonnement. 

 

Post scriptum : quand aux analyses a posteriori, par les nombreux exégètes de la science, qui passent leur vie à analyser les productions des autres au lieu de produire eux-mêmes, je me souviens avec hilarité de ce très long article où l'une de ces personnes avait analysé... un de mes articles de vulgarisation. C'était dans une vie antérieure, mais je me souviens très bien comment j'avais fait l'article, levé un matin du pied droit plutôt que du pied gauche, et comment rien de ce qui était décrit ne correspondait à la réalité ! De là à généraliser au autres œuvres : littéraires, musicales...

mercredi 2 août 2023

"Recherche culinaire"...


Aujourd'hui,  un correspondant me signale vouloir faire de la "recherche culinaire". 

 

Très bien, mais de quoi s'agit-il ? 

 

J'ai proposé d'analyser les faits culinaires en distinguant trois composantes : une composante technique, une composante artistique, une composante sociale. 

De ce fait, la recherche culinaire peut être une recherche technique : par exemple, chercher les conditions de meilleur gonflement d'un soufflé ; explorer des conditions de rôtissage d'une volaille en vue d'obtenir une couleur jugée désirable... A ce stade, une première question s'impose : qui paiera cette recherche ? Dans la pratique, les cuisiniers professionnels me signalent manquer de temps au point de ne pas pouvoir explorer les techniques... d'où l'intérêt du séminaire de gastronomie moléculaire, payé par l'Etat, donc les contribuables, qui fait ces études pour eux, et, mieux, qui montre la rigueur nécessaire en vue d'obtenir des résultats fiables... mais on pourrait imaginer une société de conseil qui vende de telles études, l'Etat ayant fait sa mission en créant le mouvement. 

D'autre part, une recherche culinaire peut être artistique : là, n'est-ce pas le travail de tous les cuisiniers, au quotidien ? N'est-ce pas leur compétence, de faire "bon" ? Peut-on imaginer un "conseil en art culinaire" ? Pourquoi pas... Et faut-il habiller cette activité sous le nom de recherche culinaire ? C'est précis, mais peut-être  un peu pléonastique ; à réfléchir... 

Enfin il y a la composante du lien social, car il faut répéter qu'un plat n'est bon que s'il est communiqué dans des conditions humaines, sociales, bien précises. Là  aussi, il y a une recherche culinaire à  faire. Une recherche passionnante... et que tous les cuisiniers font empiriquement. Mais, évidement on peut aussi imaginer de la consultance. 

 

Derrière tout cela, on a vu que j'ai éludé la discussion du mot "recherche", qui est terrible parce que connoté, et souvent vaguement confondu avec la "recherche scientifique" ; j'ajoute d'ailleurs que le mot "science," dont je fais ici un adjectif, est également ambigu, en ce qu'il confond les sciences de la nature, et les sciences humaines et sociales... ou les autres savoirs. Il y a une recherche en science de la nature, à  propos de la cuisine, et elle se nomme "gastronomie moléculaire". 

Là , l'objectif est de chercher les mécanismes des phénomènes, et non pas de cuisiner, de sorte que mon interlocuteur serait bien déçu de faire cette activité qui l'éloignerait des  casseroles, dont son fantasme personnel veut le rapprocher. 

Entre la science de la nature et la technique, il y a la technologie, le travail de l'ingénieur, et il est bon de rappeler que la technologie n'est pas la technique, et que, de ce fait, mon interlocuteur ne cuisinera pas, au sens de donner à  manger aux autres, puisqu'il devra chercher des améliorations soit techniques, soit artistiques, soit sociales. 

En écrivant cela, je vois notamment la question de la technologie artistique, qui est très intéressante ; je vois aussi que la technologie passe probablement par la production d'aliments, puisqu'il est vrai qu'il faudra comparer des aliments améliorés à  des aliments de référence. Bref, il y a du travail à faire, et du travail passionnant. 

Toutefois la question que je pose, après avoir essayé de faire un peu d'ordre dans toute cette affaire est la suivante  :  de quoi me parle-t-on,  et qui le paiera ?

vendredi 23 juin 2023

Savoir lire, c'est savoir relire

J'ai (re)lu pour vous le petit  livre consacré à l'art contemporain d'Anne Gauquelin 

Pardon pour le paradoxe : alors que je propose de relire un livre, j'ai en tête cette phrase  « Savoir lire, c'est savoir relire »... mais je ne sais plus où, récemment encore, je l'ai... relue... 

Peu importe, parce que la vérité est en question en sciences quantitative (observez que je me suis bien gardé de dire que la vérité était l'objectif!), et parce que d'un tel concept platonicien, on passe vite à celui du beau, je relis machinalement le petit traité d'art contemporain d'Anne Gauquelin. 

L'auteur tourne autour de la phrase  « ce n'est pas de l'art »  que certains profèrent devant les tableaux dont ils ne comprennent pas le sens, en entendant des musiques dont ils ne saisissent pas la structure, le phrasé... 

Vous me voyez venir, avec ma cuisine note à note ? Je ne veux pas  paraphraser ici le livre, et je me contenterai de rappeler qu'il y eut une bataille entre les Anciens et les  Modernes à propos d'une oeuvre aujourd'hui classique intitulée Hernani

A la fin de la guerre, de même, ceux qui entendaient du jazz disaient « Ce n'est pas de la musique ». Plus tard, ceux qui étaient nés avec le jazz et l'aimaient beaucoup disaient à propos du rock « ce n'est pas de la musique ». 

Une fois que l'on a bien repéré ce processus, il devient facile de l'identifier et de s'apercevoir que, bien souvent, le « c'est beau » ou le « c'est bon » ne signifient rien d'autre que « j'aime ». Un individu particulier aime, ou n'aime pas ? On s'en moque : une appréciation personnelle, un jugement de valeur n'a aucune portée générale... en général;-). 

Récemment, lors d'une présentation de plats de cuisine note à note, des amis, pourtant gastronomes éclairés, ont ainsi jugé certains plats en les critiquant, mais le fait qu'ils ne les aient pas aimés n'a aucun intérêt. De toute façon, dans un demi siècle, leurs réticences auront été balayées... par leur mort ! Qui d'entre eux aura laissé une trace sur la terre ? En quoi leur opinion personnelle aura-t-elle été importante, pour l'histoire de l'humanité ? De ce fait, je ne suis pas prêt à entendre des « c'est bon », lors de nos tentatives qui, elles, sont vraiment historiques, et s'impose alors une réflexion approfondie sur la qualité d'une oeuvre culinaire. Il n'est guère utile d'être complètement ignorant, et l'on serait bien avisé de savoir que cette question a été largement discutée par des artistes, plasticiens, peintres, musiciens... 

 

Pour en finir, la cuisine note à note est un mouvement de l'art culinaire qui suscite donc des « ce n'est pas de l'art ». Balayons-les aussitôt, et cherchons immédiatement à dépasser les jugements à l'emporte-pièce, pour appliquer des critères d'évaluation plus intéressants.

jeudi 22 juin 2023

Quelles relations entre la cuisine et la chimie ?

Ce matin, je reçois le message suivant : 

Mon petit fils m'offre un bonbon pour enfant (jusque la, rien d'anormal), emballé dans un bout de papier avec une pensée imprimée. Je cite : "La cuisine, ce n'est pas de la chimie. C'est un art qui requiert de l'instinct et du goût plutôt que des mesures exactes", réflexion attribuée à  Marcel Boulestin. C'est stupide !

 

Ma réponse rapide : 

 

Que ton petit fils t'offre un bonbon est la chose la plus importante. Qu'il apprenne très tôt que ce qui est imprimé ou dit n'est pas toujours juste, c'est une leçon essentielle qui vient à son point.

Et, du coup, tu me donnes de l'inspiration pour faire un utile billet de blog, conformément au point N° 8 de mes "voeux circulaires et automatiques" qui font ma signature jusqu'au 15 janvier. Donc merci. 

Ma signature automatique ? Pour mémoire, elle est ainsi libellée : 

Chers Amis

Le monde ne se résume certainement pas à mon petit environnement, 2022 n'a pas été si mal :

- nous avons continué ces "séminaires de gastronomie moléculaire" mensuels, commencés il y a 23 ans... et reçu beaucoup de messages reconnaissants du monde culinaire

- la cuisine note à note s'est développée explosivement, et c'est un mouvement qui s'amplifie

- nous avons réfléchi (activement) à lutter contre les marchands de peur, notamment dans le cadre de l'Académie d'agriculture de France

- nous avons largement expliqué que la science (quantitative) ne se réduit pas à la technologie ou à la technique, que les "technosciences" n'existent pas

- nous avons testé des méthodes pédagogiques adaptées à ce monde moderne où la connexion est possible, et eu l'occasion de proposer des rénovations de l'enseignement scientifique

- nous avons vu les "Pôles régionaux "science & culture alimentaire" poursuivre leur action socialement utile

- nous avons poursuivi la promotion de l'Etude, de la Connaissance, de la Gourmandise raisonnée

- nous avons cherché plus de Lumière par des blogs, des sites....</em></div> <div><em>- nous avons poursuivi nos études scientifiques, avec de nombreux collègues du monde entier, et des étudiants qui avaient envie d'apprendre (quel bonheur !)

- nous avons poursuivi le développement de la gastronomie moléculaire, dans des pays variés du monde

- nous avons reçu une nouvelle promotion de l'Institut des Hautes Etudes du Goût

- nous avons poursuivi ces publications mensuelles de la revue Pour la Science, avec de bons échos de lecteurs-amis

Beaucoup de ces actions ont bénéfié de votre aide, de votre soutien, et je vous adresse un grand merci. Continuons à marcher d'un pas rapide vers plus de Lumière. Je vous souhaite une EXCELLENTE ANNEE

 

Cela dit, analysons un peu la pensée de ce Boulestin que je connais pas. La cuisine, est-ce ou non de la chimie ? Pour répondre, il faut d'abord bien voir que la cuisine est une activité qui vise à produire des aliments, c'est-à--dire des objets qui ont des fonctions sociales (il y a du lien entre celui ou celle qui donne à manger, et celui ou celle qui reçoit les mets), artistiques (le "bon", c'est le "beau à manger" ; et la question du beau est une question purement artistique) et techniques (il y a les nutriments, l'organisation des composés en vue d'obtenir des effets sensoriels, nutritionnels, etc.).

 

Pour la chimie, j'ai longtemps erré (parce que le reste du monde est encore plus dans le brouillard que moi), mais je suis arrivé à la conclusion que la chimie est bien une étude scientifique. Clairement, cuisine et chimie sont donc des activités distinctes, et oui, Boulestin a raison de dire que la cuisine n'est pas de la chimie 

Cela dit, Boulestin a tort de dire que la cuisine est un art. Tout comme la peinture peut être un barbouillage d'enfant, la protection d'un mur ou l'activité de Rembrandt, la cuisine peut être soit l'activité qui vise à satisfaire un besoin physiologique, soit un passe temps d'amateur, soit une activité artistique. La cuisine peut être un art, mais ce n'est pas toujours un art !

Enfin, quand la cuisine est un art, requiert-elle de l'instinct et du goût plutôt que des mesures exactes ? Certes, la forte variabilité des ingrédients nécessite une sorte d'instinct, pour pallier l'imprécision dont souffre le technicien (l'artiste doit d'abord être un excellent technicien, s'il veut que son objectif artistique soit atteint, n'est-ce pas ?). Evidemment, il doit avoir du goût, au sens d'un sens artistique bien développé. Des mesures exactes ? Avec les ingrédients classiques, ce serait une perte de temps... mais il faut aussi ajouter que la "cuisson à basse température" qui s'est imposée universellement ces dernières années a bien montré l'importance de la plus grande précision, et des mesures : les sondes de température sont dans toutes les cuisines professionnelles. 

Donc Boulestin avait tort.

 

Et puis, demain, tout va changer avec la cuisine note à note. Enfin une cuisine qui ne souffrira plus de l'imprécision des ingrédients, et qui permettra aux artistes des oeuvres précises, tout comme la flute Boehm fut un immense progrès par rapport à la flute baroque, toujours fausse.

 

Vive l'art culinaire exécuté avec précision !

vendredi 11 février 2022

je n'aime pas les pâtes al dente

Que mes amis italiens me pardonnent ce titre : j'espère qu'ils seront d'accord avec moi, quand ils auront fini la lecture de ce billet, si ce sont de vrais amateurs de pâtes.

Le point de départ, c'est un oukase que l'on répète en France : il faudrait que les pâtes soient cuites al dente.

Mais on me connaît  : je n'aime guère les oukases, ces ordres qui viennent d'on ne sait où et qu'il faudrait suivre sans réfléchir.

D'ailleurs, cela fait bien longtemps que je me demande pourquoi il faudrait cuire les pâtes al dente.

Et l'on verra qu'il est très fautif de considérer que les pâtes al dente sont "meilleures".

Bien sûr, mes amis italiens sont  des amateurs de pâtes, parfois des connaisseurs de pâtes... mais moi aussi  ! Et je vois bien mal comment on pourrait mesurer l'expertise, et, surtout, pourquoi la connaissance des pâtes devrait dicter mon goût.

Car parfois, j'aime les pâtes bien cuites, parfois je les veux al denté, parfois je les veux si cuites qu'elles se défont... Oui, mon goût est changeant, d'heure en heure, de jour en jour, de saison en saison, selon les convives, le temps qu'il fait... Et seul mon goût compte, pour ce que je mange. Si je veux des pâtes bien cuites, je me fiche de savoir que d'autres les veulent al dente, et vice versa.

Pis encore, la répétition les mêmes plats est lassante, et l'être humain, sans doute pour des raisons  de biologie de l'évolution, veut des changements, sans doute parce que ces derniers garantissentqu'il mangera de façon diversifiée et qu'il évitera d'accumuler des composés toxiques qui proviendraient d'un aliment particulier. Manger varié, c'est limiter la concentration de certains composés... ce qui est essentiel, car  tous les composés de nos aliments sont toxiques à haute dose.

Finalement, j'invite mes amis à ne jamais céder au terrorisme intellectuel du "meilleur" : le meilleur, c'est ce que nous préférons hic et nunc, rien de plus.

De surcroît, le conseil de cuire les pâtes al dente est est idiot parce que les pâtes ne se mangent pas seul, mais en accompagnement :  a minima d'une sauce,  mais aussi d'autres ingrédients, d'une viande ou d'un poisson etc., et chaque association impose une consistance particulière des pâtes.
Si l'on a une consistance de la garniture qui est celle d'une pâte al dente, alors on aurait deux fois la même consistance en appropriant la garniture de pâtes al dente. Est-ce vraiment intéressant ? Certainement pas si l'on considère que notre appareil sensoriel est biologiquement fait pour reconnaître précisément les contrastes, et les contrastes de consistance en particulier.

Mais on se souvient que le bon, c'est le "beau à manger". Et en art culinaire, comme dans les autres arts, il n'y a pas de loi.

Je reviens à mes pâtes, à mes pauvres pâtes, et j'avais bien raison de me méfier de cette loi tombée du ciel, ou plutôt de l'Italie,  qui voudrait m'imposer ses goûts, nous imposer ses goûts. Nous valons mieux : cuisons les pâtes comme nous avons décidé de les cuire, agrémentons-les comme nous avons décidé de les agrémenter. Comme en musique, c'est seulement l'aléatoire, l'à peu près, qui empêchent d'atteindre le beau.

Oui, pour nos pâtes, sachons les cuire de la consistance que nous voulons, et dans le liquide que nous voulons, pour leur donner la consistance et le goût que nous aurons décidé.

samedi 5 février 2022

Apprendre la confection du Kugelhopf, en séparant technique, art et amour

 

Mettons en oeuvre notre idée sur la séparation des trois composantes de la cuisine pour son enseignement, sa transmission.

Nous partirons aujourd'hui de l'exemple d'un Kugelopf, car les questions techniques, artistiques et sociales sont très imbriquées.
Et ce sera l'occasion de montrer pourquoi il faut les séparer.

Pour un Kugelopf, comme pour une brioche, il y a la question technique de la fermentation, mais aussi celle de la consistance : il faut arriver à faire une pâte de consistance approprié,  et il faut qu'elle lève.

Il faut donc examiner ces deux objectifs  -deux objectifs techniques d'ailleurs- , et je propose d'examiner  la recette, mais d'abord sans les quantités, qui sont accessoires et que nous discuterons ensuite.

Nous partons donc d'un peu de lait et de levure, puis nous ajoutons de la farine, puis  du beurre, puis  de l' œuf entier, puis du sucre, et  un peu de sel.
Dit ainsi, c'est tout simple, n'est-ce pas ?  

Ayant réglé la question "au premier ordre", nous pouvons maintenant aller plus dans les  détails.

Ainsi, il est bon de commencer par le lait et la levure pour bien voir que cette dernière est active :  il faut que l'ensemble ne soit ni trop froid,  sans quoi les levure ne se multiplient pas, ni trop chaud,  sans quoi elles sont tuées.
Et l'on pourra passer à la suite dès que l'on observera la formation de bulles, qui marquent le début de la fermentation.

Ayant vérifié l'action des levure, nous ajoutons la farine, qui fait l'essentiel de la pâte. Puis nous ajoutons du sucre, du sel, les oeufs, et nous devons introduire le beurre.
Sachant qu'il faudra bien travailler la pâte, pour des raisons qu'on pourra expliquer ensuite, il n'est pas interdit de mettre le beurre d'un coup et de travailler ensuite pour le disperser correctement. Ou bien de le tiédir préalablement.

C'est alors qu'il faut bien travailler la pâte pour avoir une consistance très lisse, et, éventuellement, ajouter un peu de lait si l'on voit que la pâte est trop dure : il faut que la pâte se tienne mais soit un tout petit peu filante, à savoir qu'elle doit pouvoir elle devra pouvoir couler de la terrine de préparation vers le moule du Kugelopf.

Le travail de la pâte a l'intérêt de former un réseau de gluten, avec les protéines de la farine, et c'est pour cette raison que l'ajout de beurre peut se faire d'un coup :  il est important de bien travailler la pâte et c'est une cause d'échec de ne pas la travailler assez.

Ayant une pâte bien lisse, il s'agit maintenant de faire fermenter, de sorte que les bulles de gaz formées puisse alvéoler la pâte.
On observera ici, mais c'est tout à fait secondaire,  que les bulles d'un baba, d'un Kugelopf, d'un quatre-quart, d'un soufflé, etc.,  sont bien différentes de celles que l'on obtiendrait avec de la poudre levante.

Oui, ici, c'est bien de la levure qu'il faut employer. Des micro-organismes vivants, qui, en se multipliant, forment des bulles de gaz (du dioxyde de carbone)... et des composés qui contribuent au goût.

Et là, j'ai proposé un innovation : au lieu de faire comme dans les recettes classiques, avec une fermentation, un rabat, la mise en moule et la deuxième fermentation avant la cuisson, je propose de considérer que la fermentation engendre notamment un composé qui est nommé sotolon et qui donne ce merveilleux goût de brioche.
De sorte que j'ai proposé non pas une fermentation mais trois, quatre, cinq, six...

Rabattre,  cela signifie dire simplement que quand la pâte a gonflé, on la travaille un peu pour la faire redescendre.

Et les fermentations doivent se faire avec la terrine couverte d'un linge pour éviter un croûtage, et à une température un peu tiède car les levure sont comme nous : elles ne se développement bien  ni dans le froid ni dans le trop chaud.

Ah, les quantités maintenant disons que, pour 250 g de farine, on aura un bon résultat avec un oeuf, 100 g de beurre, 100 g de sucre et du sel, un quart de litre de lait. Pour ce dernier, on l'ajoute pour avoir une pâte comme décrite précédemment : qui doit se tenir mais qui peut un peu couler.

La pâte ayant bien fermenté, la dernière fermentation se fait dans le moule. Un moule qui aura été beurré et sucré afin que la pâte n'y attachs pas à la cuisson.

Et c'est évidemment avant la dernière fermentation qu'on aura mis des raisins secs gonflés dans la pâte, avant de mettre cette dernière dans le moule de cuisson.

La cuisson, elle, se fera 180 degrés pendant 50 minutes : c'est le temps nécessaire que la chaleur atteingne le cœur d'une préparation dans le diamètre est important et qui doit un peu crouter : le contraste de cette croûte avec la tendreté de la mie est une composante essentielle du Kugelopf... mais cela relève des qualités artistique.


Tout cela étant dit, on a déjà un Kugelopf, mais il y a lieu de faire mieux, et de considérer la question esthétique, artistique.

Bien sûr, la quantité de sucre est importante. Bien sûr il faut du sel en quantité  suffisante c'est-à-dire environ un quart de cuillerée à café pour la préparation que nous avons décrite. La fermentation engendre différent composés, mais il y a de l'éthanol, l'alcool des eaux-de-vie et des vins, et bien d'autres composés, tel ce sotolon que j'ai évoqué précédemment.
Or je sais que certains amis ne veulent pas le côté un peu acide  des fermentations longues et c'est donc un choix esthétique que de faire deux, trois, quatre, cinq, six fermentations.

Tout comme l'ajout des raisins éventuellement. Ces raisins, qui auront été pris secs, auront été gonflés : on les met dans un peu d'eau que l'on porte à ébullition avant de laisser reposer un bon moment.

Il y en a qui veulent des amandes, et d'autres qui n'en veulent pas  : tout est possible et c'est votre choix, votre choix artistique, le même que celui d'un peintre qui décide de faire un bleu plus clair ou plus sombre sur une partie de sa toile.

J'ai dit que la cuisson était longue et j'insiste un peu en signalant qu'elle produit donc une croûte, qui fait contraste de consistance avec la mie : cela me donne l'occasion de rappeler que notre système sensoriel detecte les contrastes et donc les apprécie. Ces contrastes peuvent être de couleur, de saveurs, de consistance, d'odeur...

Personnellement, je conserve l'eau des raisins, je la sucre, j'ajoute du kirsch et je porte à ébullition. Puis quand le Kugelopf est refroidi dans son moule, je le démoule et je l'arrose avec ce liquide.

Bien sûr, avec tout ce qui précède, on n'a pas épuisé le sujet : on n'a pas discuté la matière du moule, ni le choix de la farine, du beurre, et ainsi de suite : de sorte que je conclus que, même pour une simple préparation, même si l'on facilite l'apprentissage en séparant le technique de l'artistique, vita brevis, ars longa (l'art est long, la vie est brève).



jeudi 3 février 2022

Apprendre à cuisiner

 
Je viens de comprendre qu'il y a lieu de mieux apprendre la cuisine que comme on le faisait par le passé,  et cela tient dans cette phrase : la cuisine, c'est la de technique, de l'art, de l'amour.

Je sais bien que le titre du livre que j'ai publié précédemment, c'est l'inverse : la cuisine c'est de l'amour, de l'art, de la technique. Mais quand même, on ne pourra rien exprimer artistiquement si l'on n'a pas la technique nécessaire pour le faire.

J'ai l'habitude de comparer la cuisine à la peinture, à la musique ou à la littérature : un peintre qui ne saurait pas éviter à la peinture de couler ne pourrait pas réaliser une toile ; un musicien qui ne saurait pas poser correctement les doigts sur le piano ne pourrait pas jouer une musique ; un écrivain qui ignorerait l'orthographe, la grammaire, la rhétorique ne pourrait pas produire une œuvre littéraire.
En cuisine, il en va de même et je crois que nous devrions séparer les différentes composantes quand nous découvrons une recette.

Par exemple, imaginons que vous nous voulions faire des pâtes aux couteaux.
Bien sûr, il peut y avoir un protocole que l'on suivrait machinalement, mais c'est quand même mieux de bien comprendre que les couteaux restent tendres quand ils sont cuits 5 minutes seulement dans un four, auquel cas ils s'ouvrent spontanément. Pour les pâtes, il y a lieu de comprendre qu'il suffit d'une dizaine de minutes de cuisson dans une grande quantité d'eau salée pour qu'elles restent al dente.

Là, on a un bon début. Mais on n'a pas réglé la question du goût,  et cette question du goût nous imposera peut-être d'utiliser des oignons et de l'ail. Pour avoir un bon goût avec ces produits, on pourra par exemple considérer des questions techniques, à savoir que les oignons prennent une odeur envoûtante quand on les cuit, ou que le sel peut contribuer à changer leur couleur. Du point de vue technique, il faut de la matière grasse soit doucement chauffée. Si on veut un goût plus puissant, alors on pousse le feu et l'on obtient une couleur plus soutenu. Pour l'ail, il y a lieu de savoir que l'ail cru donne un goût bien différent de l'ail grillé, que l'on peut obtenir des pétales grillés en chauffant des lamelles d'air dans de l'huile jusqu'à ce qu'elles brunissent.

Mais le choix de la pratique est "artistique" : il faut avoir son idée du "bon".
Choisir de l'ail cru ou de l'ail grillé ? Un choix artistique. Apporter de la douceur ? Un choix artistique. L'apporter par l'oignon plutôt que par la tomate, ou bien l'inverse ? Un choix artistique.

Et là, il faudra de l'inventivité, car des pâtes à l'eau, c'est triste  : le goût se construit, et il est naïf de croire qu'il est donné par un ou deux ingrédients. Pensons à des pistaches, des raisins secs gonflés, des anchois, etc.

L'accumulation des ingrédients, toutefois, ne doit pas faire perdre la ligne artistique... qui doit donc être créée antérieurement. S'impose une volonté qui guide l'ensemble de nos choix.
Pour la musique, au lieu de mettre des notes au hasard, il faut donner une organisation musicale. Pour la cuisine  il en va de même : au lieu de mettre des goûts au hasard, il faut faire plus que se contenter de penser en termes de contraste, et il faut une raison pour employer un ingrédient plutôt qu'un autre.

On n'oubliera pas, enfin, que j'ai parlé d'amour, de lien social  : tout ce que nous préparons devrait être composé en vue du bonheur de nos amis.
Par exemple, faut-il mélanger tous les ingrédients ou, au contraire, les répartir de façon visible, afin qu'il constatent que nous avons fait quelque chose pour eux ? Ma réponse est surtout de ne pas choisir entre les deux options mais, au contraire, de les employer toutes les deux.
Par exemple, si l'on choisit de disperser les oignons brunis dans les pâtes, alors pourquoi ne pas aussi en faire un petit tas visible par-dessus, ou sur les bords ?
Par exemple, il n'est pas certain qu'il faille disperser les couteaux pour faire une masse indistincte, mais on pourra peut-être soit les aligner avec des spaghettis, soit les placer au-dessus des pâtes pour qu'ils soient bien visibles, et ainsi de suite.

L'organisation du plat est essentielle parce qu'elle dit beaucoup. Mon ami Pierre Gagnaire, par exemple, met souvent un chapeau par-dessus ses plats, quelque chose qui cache ce qu'il y a dessous, qui prépare une surprise. C'est plus délicat, évidemment,  que de montrer directement ce dont qu'il s'agit... mais je suis bien sûr que même Pierre ne proposerait pas de systématiser cette solution car précisément la variété s'impose aussi.
L'art ne se réduit pas à les principes mécaniques.

Mais pour en revenir et conclure sur l'enseignement, j'observe que c'est bon de bien séparer les composantes de la cuisine, quand on apprend à la faire !

mardi 2 mars 2021

A propos des accords mets-vin



Ce soir, je reçois ce message :

Je travaille actuellement sur un sujet de science alimentaire sur les accords mets et vins.  
Je suis aujourd'hui en recherche d'informations scientifiques sur les accords mets et vins, à savoir quelles sont les composantes chimiques et/ou organoleptiques qui régissent ces accords ? Avez-vous déjà étudié ces relations, si oui auriez-vous des articles à me suggérer ?



Et ma réponse


Merci pour votre message amical.
La question est d'autant plus intéressante qu'elle est plombée par des gens (je connais au moins un sommelier dont les dents rayent le parquet)  qui disent n'importe quoi, parce que :
1. ils cherchent à paraître savants (ce qu'ils ne sont pas)
2. ils le font parce qu'ils vendent leurs compétences
3. ils ne "cadrent" pas bien la question.

Il faut commencer par observer que l'appréciation gustative (mets ou boissons, ou les deux) est d'abord une question sociale, ensuite une question artistique, et seulement enfin une question technique.
Par exemple, l'appréciation de l'amertume est une question de culture, ces saveurs étant rejetées par les jeunes enfants. Et c'est ainsi que certains en viendront à aimer le durian, et d'autres la boulette d'Avesnes.
Donc surtout pas ne pas mélanger les phénomènes physico-chimiques avec les questions du "j'aime" ou du "je n'aime pas". Et ne pas chercher du côté de la théorie du "food pairing", qui est très pourrie (à venir, dans le Handbook of molecular gastronomy, parution avril, un chapitre qui fait le constat de façon serrée, scientifique).

Ensuite il y a la question artistique : on aurait fait entendre du Debussy à Mozart qu'il serait sauté au plafond d'effroi. Là encore, une question difficile, culturelle... et qui était à l'origine de mon meilleur livre "La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique", lequel est à ma connaissance le premier traité d'esthétique culinaire jamais publié.

Enfin, il y a la question technique, et là, il y a des faits :
- par exemple, la complexation des protéines salivaires par des tanins (seulement certains des polyphénols)
- par exemple, des phénomènes à base de pH
- par exemple, la force ionique qui provoque le relarguage des composés les plus hydrophobes
- par exemple...
Et c'est ainsi que j'avais fait une quotidienne sur ce thème, il y a plus de dix ans, sur France Inter, l'été, avec Philippe Faure Brac.

Cela étant, vous avez vu que j'ai mis le social et l'art avant la technique... car on a le droit d' aimer la sensation bizarre du bordeaux tannique avec de la salade bien vinaigrée (et je connais des gourmands qui l'aime).
Autrement dit, il n'est pas nécessaire de vouloir justifier des accords, mais, surtout, il y a lieu de bien séparer les faits et les interprétations. Ce qui signifie poser les faits physiologiques, biologiques, sociaux... et ne pas aller plus loin.
Tout cela, bien sûr, doit être fondé sur une bonne appréciation de ce qu'est le goût : saveur (un nombre infini de saveurs), odeur (ne parlez svp pas d'arôme mais de composés odorants), trigéminal, oléogustation, sensation du calcium, couleur, nom (pour les réflexes conditionnés type acidité, gras ou amidon), consistance, température, et autres.

Un point de méthode, maintenant : comment allez vous faire pour trouver les bonnes sources ? A la réflexion, je partirai de l'analyse de la question, avec (pour les professeurs qui en sont bien ignorants), un état de la perception sensorielle du goût ; puis un état des phénomènes connus sur des influences en bouche (température, pH, salinité, etc) ; puis un état des influences mutuelles ; puis une rechercher de l'évolution artistique de la question (un travail difficile, jamais fait), et enfin un état des effets sociaux (pour ce que l'on en sait, sans jamais dépasser les faits, et, surtout, sans vouloir des conclusions quie ne sont pas accessibles).

Pas opposé à vous aider à bien faire, car cela serait utile que quelqu'un pose tout ce que je vous ai dit par écrit.
bien à vous

lundi 22 février 2021

C'est de la chimie

1. A propos de l'expression "c'est de la chimie",  je vois aujourd'hui la même discussion qu'avec le "ce n'est pas de l'art", qui a été si bien discuté par Anne Gauquelin dans un livre de ce titre.

2. Pour l'art, il y a la question de l'art moderne,  provocateur, échappant précisément aux règles de l'art plus classique, et qui ne semble pas de l'art pour ceux qui ont sont restés précisément aux règles classiques.
Mais l'artiste n'est pas un suiveur ;  c'est un créateur, qui peut se donner les règles qu'il veut.

3. En cuisine, là où je connais assez bien les choses, j'ai vu mille fois des créations culinaires qui était récusées au nom d'un clacissisme que je trouve étriqué. Quand on dit "les choses sont bonnes quand elles sont au goût de ce qu'elles sont", on édicte une loi artistique , ce qui est idiot, puisque cela cantonne les artistes culinaires à de l'artisanat. Pas étonnant que cette injonction soit reprise à l'envi par les artisans qui ne savent pas être des artistes, par ceux qui sont limités par la répétition, par ceux qui ne sont pas des créateurs...
Conserver cette idée, ce n'est pas de l'art -et là j'utilise l'expression correctement. Oui, ce n'est que de l'interprétation, et pas de la création, que de refaire un plat qui a été fait 1000 fois. Et, d'ailleurs, pourquoi l'interprétation se limiterait-elle à une idée seulement, à savoir donner le goût de ce que c'est ? Sans compter que cette idée est bien impossible : cuire du veau, de la volaille, ce n'est pas donner le goût du veau, parce qu'il y a tout le reste, dans le plat !
L'art culinaire consiste précisément à faire autre chose, y mettre un sentiment personnel, une touche personnelle, imaginer les émotions et orchestrer le travail  pour les faire surgir.
Il en va de même en peinture, en littérature et l'on ne saurais trop rappeler que tous nos classiques ont été des révolutionnaires. Rabelais Flaubert, Hugo, Rembrandt, Picasso...

4. "Ce n'est pas de l'art" est une déclaration réactionnaire, étriquée, inculte en quelque sorte.

5. Pour le "c'est de la chimie", je vois une déclaration d'un type analogue, à l'emporce-pièce, une formule qui n'invite pas à réfléchir, bêtement péremptoire. Le plus souvent, ceux qui la profèrent sont les mêmes qui ont une idée naïve de la nature, du naturel et de l'artificiel.
Espérant toujours le salut du pécheur, je ne cesse de citer le dictionnaire, qui dit justement que l'artificiel (entendons le mot "art" dans ce terme) est le produit de l'intervention d'un être humain, alors que le naturel ne fait pas intervenir l'humain.
Rien de naturel dans la cuisine, donc, puisqu'il y a - a minima !- l'intervention de la cuisinière ou du cuisinier !

6. Mais il y a autre chose, dans ce "c'est de la chimie", à savoir une crainte de phénomènes qui seraient mal connus, ou mal maîtrisés... Mais cette crainte n'est-elle pas surtout fondée sur l'ignorance ? Mal connus par qui : par celui ou celle qui parle ! Mal maîtrisés... par celui  ou celle qui parle... puisqu'il ou elle ne les comprend pas.

7. Et l'on voit les mêmes se comporter de façon "chimique" idiote : ils consomment des compléments alimentaires pas évalués quand ils critiquent des additifs qui le sont, ils recourent à des préparations "naturopatiques" excessivement dangereuses (les huiles essentielles, qui font de plus en plus de dégats) quand ils récusent des aromatisants bien réalisés, ils fument, boivent, se tatouent avec des encres cancérogènes, mangent sucre et gras en disant vouloir manger sainement.

8. Oui, la mauvaise foi est parfois terrible... et à ce jour, je n'ai entendu du  "c'est de la chimie" que par des ignorants, des craintifs, des idéologues, des malhonnêtes, des paresseux.

jeudi 20 août 2020

Le paradoxe artistique

1. Dans mon livre intitulé "La cuisine c'est de l'amour de l'art de la technique",  je fais état du "paradoxe artistique de la Grèce antique" : l'art était (évidemment ?) porté aux nues par les Grecs, qui s'émerveillaient notamment que des dessins de grappes de raisins aient été si bien rendues que des oiseaux s'y faisaient prendre, mais ils récusaient l'art, parce que c'était un double éloignement du réel (je ne redonne pas toute la discussion qui est dans mon livre).



2. Là, aujourd'hui, la discussion est différente,  mais je retrouve un paradoxe : d'un côté, je m'émerveille que des artistes (même étymologie qu'artisan) puissent créer des choses aussi remarquables, aussi subtiles, aussi fines, aussi merveilleuses que les mélodies de Jean-Sébastien Bach, les peintures de Martin Schongauer, les textes de Gustave Flaubert...  ; de l'autre, je vois dans ce qui nous émeut un mouvement animal tel que celui qui fait dire "C'est beau" à des milliards d'humains qui observent un rond rouge (le soleil couchant) dans le ciel.

3. Cela me gêne, non pas d'être comme tous les humains, mais que ce "c'est beau" soit si analogue au "c'est bon" que l'on dit quand on mange du gras et du sucre : je ne peux m'empêcher de voir là un diktat de mon corps, au détriment de mon esprit. Et pourtant, je le répète, quel superbe travail que celui des plus grands artistes ! 

4. D'ailleurs, je ne suis pas méprisant de la composante animale de l'humain, puisque, de toute façon, elle est constitutive, mais comment ne pas être plus heureux qu'on puisse la maîtriser ! D'ailleurs, c'est bien cela que je reconnais aux grands artistes : cette capacité de recréer de la "beauté", que ceux qui la perçoivent soit manipulés ou non par leur composante animale.

5. Du côté de la réception, j'entends qu'il peut y avoir de la culture, et que, précisément, il ne soit pas inné d'aimer certaines perspectives, certains courants qui, précisément, échappent vers le haut à de l'art "primitif". Et il y a cette discussion à propos de sensiblerie et de sensibilité... mais je propose plutôt que l'on me parle de culture, du travail d'apprentissage de l'appréciation artistique. Aimer l'art ? Et si cela revenait à l'apprendre afin de le connaître ?

6. Dans le doute, je me réfugie dans ma passion pour les sciences, qui, elles, ne me semblent en rien "animales". A propos de mathématiques, par exemple, on parle de l' "honneur de l'esprit humain". A quoi servent-elles ? A quoi servent les sciences de la nature ? A obtenir un peu d'honneur, quand notre animalité nous tire vers l'animal. Et là, je n'y vois pas de paradoxe qui me mettrait en danger. M'aidera-t-on en me réfutant ?

dimanche 12 avril 2020

A propos d'associations d'ingrédients


Ici, je mets en pratique ma nouvelle idée de constitution des textes. N'hésitez pas à me dire si cela vous paraît plus clair (icmg@agroparistech.fr)


1. On me parle encore de food pairing... La clé du bon  ! La clé du bon ? Je n'ai pas assez de points d'interrogation, afin de mettre en garde mes amis.

2. Tiens, j'observe que c'est de l'anglais : un peu snob,  un peu idiot, un peu simplet ? Nous aurions raison de nous souvenir de cette phrase hélas souvent juste : "à beau mentir qui vient de  loin" ! Oui, les termes étrangers, "ça en jette" ; ou disons plus justement que certains malhonnêtes ou prétentieux pensent que ça en jette, ou veulent faire croire qu'ils sont plus habiles que les autres. Oui, puisque non seulement ils ont des connaissances  (ou plus exactement ils prétendent les avoir) que les autres n'ont pas, et, de surcroît, ils sont allés les chercher si loin que, dans ces contrées, on ne parle même pas le français.

3. Le food pairing, c'est comme le nombre d'or : de ces petites règles simplistes qui sont prétendument la clé du beau. Le food pairing ? Il s'agit de penser que l'on peut faire quelque chose de bon  si l'on mêle deux ingrédients qui ont un composé odorant en commun. Enfin, disons que c'est la théorie actuelle, ou une des théories, parce que cette affaire de food pairing est complètement foireuse, et change tous les deux jours. On a d'abord dit, un composé odorant en commun, puis un composé odorant essentiel en commun, puis...

4. Au fait, et le nombre d'or  ? C'est un nombre, comme le nombre pi, que l'on trouve dans des circonstances faciles à décrire, mais ce serait un peu long. Disons seulement que des esprits mathématiquement un peu "légers"  y voient la clé de la construction des cathédrales, des pyramides, que sais-je... La clé du Beau, en tout cas. Et là encore, cette numérologie peut être largement réfutée.

5. Dans mon livre La cuisine c'est de l'art, de l'amour de la technique, je discute également la question du nombre-d'or qui était proposé en cuisine comme pour la construction des cathédrales. D'une part, les cathédrale ne sont jamais vraiment construites au nombre d'or,  qui est un nombre avec un nombre infini de décimales : une construction en pierre, elle, pourrait avoir certaines de ces proportions qui approchent le nombre d'or, mais pas toutes les proportions : ce serait idiot. De sorte que le choix des proportions au nombre d'or est arbitraire.

6. Dans les deux cas, du nombre d'or et du food pairing, une question : si le Beau était à ce compte enfantin du food pairing ou du nombre d'or, ne croyez vous pas que tout le monde l'atteindrait ? Oui, s'il suffisait de règles aussi simples, pourquoi tous les articles ne les utilisent-ils pas ? Pourquoi tout le monde n'est-il pas Mozart, Rembrandt, Rodin, Flaubert, Carême ? 

7. D'ailleurs, pour en revenir plus précisément  à la cuisine, observons que, trop souvent, il y a la confusion entre la technique et l'art. La technique, c'est le fait d'être capable d'assembler des ingrédients, de les préparer, et c'est très simple, même si c'est parfois long. L'art, d'autre part, c'est le fait de faire du bon, c'est-à-dire du beau à manger. Et là, il ne s'agit pas d'une question physiologique, mais sans doute d'une question culturelle, et on aura toujours intérêt à comparer la cuisine avec les autres arts que son la musique, la peinture, et cetera.

8. Aujourd'hui, le correspondant qui suscite ce billet est un cuisinier qui me parle d'associer les huîtres avec l'huître végétale, cette plante dont les feuilles ont un goût d'huîtres. Un goût d'huîtres ? D'abord, toutes les huîtres n'ont pas le même goût, et, d'autre part, le goût de cette plante ressemble au goût de certaines huîtres. Pas celles qui ont "un goût de noisette", par exemple.  Alors, lesquelles : huîtres de Marennes ? d'Oléron ? de Normandie ? claires ? ? petites ? grosses ? Mais, surtout, pourquoi associer un goût d'huîtres avec un goût d'huîtres ? Ce serait comme mêler du vin rouge à du vin blanc : pourquoi faire ?

9. Comparons avec la musique : associer un fa avec un fa dièse, par exemple :  pourquoi pas ? mais d'abord pourquoi ? Je propose que l'objectif soit toujours premier : avant de nous demander si le prétendu "food pairing" permettrait d'associer une huître avec une feuille d'huître végétale, demandons-nous ce que nous visons : quel effet veut-on obtenir ?  Le fait que mon correspondant s'aperçoive que l'association ne fonctionne pas ne condamne pas l'association pour autant.

10. D'ailleurs,  il est rare d'avoir seulement deux ingrédients dans un plat, et pourquoi ne pas mettre tout cela avec un œuf poché ? Et une mayonnaise dans laquelle il y aura donc du jaune d' œuf, du vinaigre de l'huile ? Et du sel, et du poivre... Dailleurs, ne pourrait-on pas y mettre du sucre, du piment ? Se limiter à deux ingrédients, c'est bien faible et sans intérêt a priori, car je le répète pourquoi vouloir associer deux ingrédients et deux seulement alors que ce n'est jamais cela que l'on fait en cuisine ?

11. Tout cela me fait souvenir d'un cuisinier qui prétendait faire du beau en mettant toujours dans l'assiette trois éléments  : règle simplissime, simpliste, car pourquoi trois, et pas deux (le yin et le yang), et pas quatre (la beauté du carré), et pas cinq comme le voudrait la pensée coréenne, et pas six, comme l'étoile à 6 branches... Décidément les règles de valent pas grand-chose en matière artistique.

12. Et c'est d'ailleurs leur contestation qui fait grandir l'art. Suivre une règle condamne presque l'oeuvre : les artistes n'ont cessé de dérogé... mais cela est au delà des capacités de beaucoup, car il y a quand même de la règle de base, de la technique. Pour être Jean-Sébastien Bach, qui utilise l'accord du diable, il faut en être capable. Pour jouer avec la perspective, dans un tableau, il faut en maîtriser les règles. Les artistes sont d'excellents techniciens !

13. Et derrière les oeuvres d'art, il y a beaucoup de travail : derrière les oeuvres de Bach, il y a une virtuosité fondée sur d'interminables travaux. Derrière les toiles de Rembrandt, il y a toute la maîtrise technique de la peinture. Flaubert travaillait jour et nuit pour ne produire que sept phrases par jour !

14. J'alerte donc mes amis : ne vous laissez pas piéger par le "food pairing" (qui n'existe pas !).

dimanche 19 janvier 2020

Les lasagnes ? Mais c'est très simple !



Je m'étonne encore d'avoir eu cette chance de "tomber" dans la gastronomie moléculaire le 16 mars 1980 : la raison en est que je suivais une recette. Oui je suivais une recette, alors que, aujourd'hui,  je ne comprends plus pourquoi j'avais besoin de suivre une recette pour une préparation aussi simple !  Certes, c'était une recette de soufflé au roquefort,  mais la compréhension de la préparation qu'est le soufflé permet de s'affranchir de la recette, que le soufflé soit au gruyère ou au roquefort... Après tout un soufflé, ce n'est quand même que du blanc d'oeuf battu en neige que l'on mélange à une préparation un peu pâteuse et que l'on cuit. La "préparation un peu pâteuse" peut être une sauce blanche où l'on a mis des jaunes d'oeufs (pour le goût flatteur) et du roquefort. Bien sûr, on peut ajouter une foule de détails, tels que battre les blancs très fermes, ajouter les jaunes dans la sauce refroidie, etc.,  mais ces détails sont les détails, et l'essentiel vient d'être dit. Bien sûr, beurrer et fariner le moule aide le soufflé à gonfler, mais c'est quand même complètement secondaire par rapport au fait de cuire par-dessous.
Et là, on voit les progrès de la gastronomie moléculaire, qui ont bien identifié que la question essentielle, c'était donc de cuire par-dessous, et non pas tellement de beurre le moule ou de battre les blancs en neige ferme.

Donc , finalement, oui je m'étonne d'avoir eu besoin de recette, mais il faut être juste : c'est tout le travail effectué depuis 1980 qui permet aujourd'hui d'en arriver là, d'être en capacité de raisonner au lieu de suivre des recettes.

La raison pour laquelle je raconte tout cela  ? C'est que, aujourd'hui, on m'interroge à propos de la confection des lasagnes. Or là, si on reste au principe, tout est absolument simple : des lasagnes, c'est un ensemble de feuilles de pâte alternées avec  de la viande hachée et une sauce, plus éventuellement du fromage pour gratiner.
La viande hachée ? Si j'ignore la tradition, alors je peux imaginer du bœuf, du porc, du poulet... Bien sûr, traditionnellement, on hachait les viandes dures pour pouvoir les consommer, mais  toutes les possibilités sont permises aujourd'hui. D'ailleurs, il y a la possibilité de griller la viande par avance, afin de la brunir et de lui donner du goût. Il y a aussi la possibilité de l'assaisonner, bien sûr.
La sauce ? On peut trouver tout : une sauce tomate, une béchamel... Au fond, il ne tient qu'à nous de décider du goût que l'on souhaite sans compter que l'assaisonnement est infini. On pourrait t'imaginer des dés de poivrons, de la chair broyée d'aubergine...

Finalement on empile les couches les unes après les autres, on met dans un plat et on cuit : y a-t-il plus pour réussir ce plat ? Techniquement non, mais on n'oubliera pas la règle essentielle de la cuisine, à savoir que c'est de l'amour, de l'art, de la technique. Pour la technique, nous en avons parlé. Pour l'art, c'est la combinaison des ingrédients et leur dosage qui fera la chose. Et pour l'amour, c'est non seulement le choix de certains ingrédients,  mais aussi leur organisation, l'aspect que l'on donne à voir et que l'on donne à manger. Il faut s'adapter à ceux qui aiment des pâtes un peu pâteuses où à ceux qui aiment des pâtes plus al dente..
Bref, c'est en nous préoccupant de nos amis que nous avons des chances d'arriver à leur dire "Je t'aime", par un plat qu'on leur sert !

lundi 2 décembre 2019

La cuisine note à note ne serait pas de l'art ? Discutons-en

Ce matin, un message très important, auquel je réponds ci-dessous, évidemment. Cela concerne la cuisine note à note, en particulier, mais l'art culinaire en général.

Mais d'abord la question :

Cher M. This,
Je viens de regarder votre vidéo sur les soufflés :
https://www.youtube.com/watch?v=v4lRGKRbcBY
C'est une remarquable leçon de chimie et de cuisine comme d'habitude.
Vous dites que vous avez mis tous les éléments nécessaires. Je pense que vous avez mis *presque* tous les éléments nécessaires. Car il manque l'imaginaire et l'affectivité. Un être humain ça se nourrit *aussi* d'imaginaire. Vous disiez récemment que le goût est un sens *synthétique*. Vous vouliez dire que le tact et la vue participent également au goût. J'ai trouvé la formule remarquable. Mais je crois qu'il faut aussi ajouter l'affectivité et l'imaginaire à cette synthèse. J'en veux pour preuve, je ne sais pas, disons Roland Barthes, les Mythologies, le steack-frites. Ou autre preuve : l'énergie
que le marketing met à faire croire à sa clientèle, grâce à des images trompeuses,  que ses produits sont traditionnels, campagnards.
Et ça une cuisine où on n'utilisera plus que les produits synthétisés par l'industrie, il y aura peut-être tout du point de vue des nutriments, ça pourra peut-être très inventif au niveau des goûts, des textures. Ca sera peut-être
même plus écologique comme vous le faites remarquer dans votre vidéo.
Mais pour l'imaginaire, c'est loupé d'avance.
La gastronomie moléculaire restait compatible avec l'imaginaire. Le note à note, non !
Comme on n'est jamais original, toujours typique, je pense qu'on vous a déjà tenu ce discours. Mais bon, je vous envoie quand même ce mail.
Je vous prie d'agréer, Monsieur, l'expression de mes sentiments les meilleurs.


Il faut que je réponde sur plusieurs points.


1. Tout d'abord en observant que mon interlocuteur as raison sur une partie de ses remarques, et cette partie correspond d'ailleurs à la teneur mon  livre La cuisine c'est de l'amour, de l'art, de la technique.

2. Ensuite en faisant observer que cette vidéo sert simplement à présenter la cuisine note à note et à montrer que techniquement, elle est d'une facilité enfantine.

3. D'autre part,  je tiens à signaler que, quand j'apparais en public, je prends bien soin de ne jamais dépasser mes compétences,  qui sont celles d'un physico-chimiste et non pas celles d'un cuisinier : je ne veux absolument pas paraître cuisinier  (même si je sais parfaitement cuisiner)et c'est seulement alors que je discute la question du bon. Mais j'observe aussi que mes capacités artistiques sont bien loin derrière celles de mon ami Pierre Gagnaire, de sorte que ce serait une prétention exagérée de prétendre "savoir cuisiner". Inversement, j'ai la prétention de mes compétences, qui sont celles de la physico-chimie.

4. Mais reprenons tout cela en commençant par discuter la question la cuisine note à note, dont il faut quand même savoir qu'elle se développe aujourd'hui dans le monde entier, de sorte que ce serait déjà un combat d'arrière garde que de "ne pas y croire".
Pour cette cuisine, la question est de faire en cuisine l'homologue de la musique de synthèse. En musique, il y a le timbre du violon, de la trompette, de la flûte... Les capacités techniques des instruments et des instrumentistes sont limitées : par exemple, une alternance do-mi-do-mi, à la flûte, se ferait par un mouvement des clés actionnées par les doigts, et le meilleur des flûtistes ne pourras pas dépasser une certaine fréquence, alors qu'un synthétiseur pourrait faire n'importe quelle fréquence, et faire aussi n'importe quel timbre !
Du point de vue technique, la musique de synthèse est bien plus puissante que la musique classique... mais si  la technique est essentielle (un musicien qui ferait des fausses notes ne serait pas grand chose), ce n'est qu'un pré-requis, et c'est l'art qui fait tout... l'intérêt de l'art.

5. En cuisine il y a donc d'abord la question du bon, et je répète que c'est le sujet que je traite dans l'un de mes livres que je considère comme un des meilleurs. Qu'est-ce que le bon, c'est-à-dire le beau à manger ? Pour mon livre,  j'ai convoqué non pas seulement Barthes (qui est évoqué),  mais l'ensemble des philosophes du beau, c'est-à-dire ceux qui sont intéressés à cette branche de la philosophie qui est nommée esthétique. Dans mon livre, j'ai pris les théories historiquement rangées, et j'ai cherché comment on pourrait transposer tout cela à la cuisine. Je n'ai pas omis, précisément, ce que j'avais appelé l'amour et qui, en dernière analyse, devrais plutôt être le lien social, pour des raisons que j'ai déjà discutées longuement ailleurs. Bref, la cuisine, c'est d'abord du lien social, ensuite de l'art, mais seulement enfin de la technique .

6. Pour en revenir à ma vidéo sur le site d'AgroParisTech, il n'y a effectivement que l'aspect technique qui est traité, ce qui a bien perçu mon interlocuteur. Et il n'y a que cela parce que je l'ai voulu ainsi, que j'ai voulu laisser aux artistes le soin de parler d'art, aux spécialistes du lien social le soin de parler de lien social.
On se rappelle cette phrase des Jésuites : "Il ne faut pas agir en tant que chrétien mais en chrétien", et, de fait, je n'agis pas en tant que chimiste mais en  chimiste :  ma vie, c'est la physico-chimie, disons les sciences de la nature pour simplifier, et ma compétence, j'espère, est cela :  de la physico-chimie. Pas de la cuisine, même si je connais celle-ci bien mieux que nombre de cuisiniers professionnels (savez-vous, comme moi, faire 24 litres de blanc en neige à partir d'un seul blanc d'oeuf ? savez-vous les trois règles du soufflé,  "selon Hervé This" (dixit Pierre Gagnaire) ? savez-vous la différence entre une mousse et une mousseline de poisson ? savez-vous ce qu'est vraiment qu'un croquet ? une galimafrée ? Et ainsi de suite : il y a la connaissance des objets, de l'histoire de l'art culinaire, de la technique, et bien des analyses.

7. Mais qu'importe mes travaux. Surtout, il faut revenir à la cuisine note à note : quand je la présente à mes "amis" (je nomme ainsi ceux qui me font la gentillesse de croire que je peux apporter quelque chose), je les invite à poursuivre mon travail. Il faudrait donc que cette vidéo soit assortie d'une vidéo d'un ami qui ferait les compléments artistiques et sociaux...
Et c'est pour cela que je suis très heureux de vous signaler l'organisation prochaine le Master Class "Science, Technique et Art culinaire", où de jeunes cuisiniers talentueux partiront de techniques que j'ai inventées, et réaliseront des mets qui seront discutés des trois points de vue donnés dans le titre de ces Master Class. Cela se tiendra une fois par trimestre à l'Ecole du Cordon Bleu,  à Paris, et ce sera filmé et podcasté. Là, j'espère que nous aurons alors répondu à mon interlocuteur.
Car oui, mille fois oui, il manque l'humain, à ma démonstration technique.

8. Une observation de détail, maintenant, à propos de la phrase "La gastronomie moléculaire restait compatible avec l'imaginaire. Le note à note, non !"
Là, mon interlocuteur confond la gastronomie moléculaire, qui est une science de la nature, une branche de la physico-chimie, et la "cuisine moléculaire", qui est cette technique déjà ancienne, de cuisine rénovée techniquement, par l'emploi de matériels modernes, souvent venus des laboratoires.
Oui, comme cela a été montré, la cuisine moléculaire était compatible avec l'imaginaire... mais la cuisine note à note aussi ! J'invite mon interlocuteur à considérer tous les mets notes à note réalisés lors des concours internationaux, ou par des chefs individuels : son assertion est réfutée.

J'observe d'ailleurs qu'il faut se méfier du "Ce n'est pas de l'art", comme l'avait très bien expliqué Anne Gauquelin dans son petit livre entièrement consacré à cette question. Cela m'a été opposé quand je proposais la cuisine moléculaire, et cela revient pour la cuisine note à note. Pour ceux qui sont intéressés, je répète que j'ai discuté cela dans mon livre




samedi 24 août 2019

Une "efficacité" des études ?

L'efficacité des études  ?

Dans des discussions avec de jeunes collègues, je trouve cette expression "efficacité des études".
Tout d'abord, mon mauvais esprit me pousse à observer qu'il n'est pas sûr que ce soit une qualité, car des études sont des études, et je ne sais pas a priori en quoi il me sera utile de connaître telle ou telle information, à l'avenir, car souvent l'utilité ne se révèle que bien plus tard, quand, précisément sur la base des informations que nous avons eues, nous faisons une synthèse, un rapprochement, un transfert d'un champ vers un autre.

Et puis, cette efficacité me semble bien obscurantiste. Après tout qui pourrait me dire quelle est l'efficacité de l'art ? Comment pourrais-je mesurer les efficacités respectives des musiques de Bach ou des peintures de Rembrandt ? À quoi "servent" les poètes ? Sans que ce soit me défausser (je prône par ailleurs un solide socle), je crois qu'il y a un certain obscurantisme à se préoccuper d'efficacité quand il s'agit d'études. Et d'ailleurs les mêmes jeunes collègues  qui me parlent d'efficacité demandent par ailleurs des enseignements des humanités.
Mais, je me répète un peu :  qui dira l'utilité de Flaubert écrivant la Tentation de Saint-Antoine, de Rabelais ? Au fond, cette revendication d'une efficacité des études est mortifère,  et le monde industriel devrait ne pas oublier qu'il ne cesse de payer des sommes formidables pour de la créativité et de l'innovation ! Le rêve de ce qui n'existe pas, la concrétisation des idées les plus folle, la négation de  l'efficacité en quelque sorte.

De toute façon, il y a deux questions de principe. La première est de savoir mesurer cette efficacité pour pouvoir en parler correctement, pour pouvoir faire des choix. Deuxièmement  l'efficacité des études dépendra de ceux qui s'y livrent, et pas de l'énoncé des matières qu'ils étudient. La question revient donc à nos jeunes collègues, et seulement indirectement à nous-même qui voudrions les aider.

dimanche 28 juillet 2019

La recherche des contextes

Note préliminaire : j'ai résolu de considérer les étudiants comme de jeunes collègues, ou, mieux, comme des collègues, mais pour les besoins de clarté, dasn ces billets consacrés aux études, j'utilise l'expression "jeunes collègues" pour désigner les étudiants, et professeurs pour désigner les "professeurs", sans distinction de grade.


Je continue ma discussion d'une analyse critique d'enseignements universitaires par des collègues plus jeunes. J'insiste un peu : quelle que soit pas position par rapport à leurs déclarations, je revendique que des actions correctrices soient mises en oeuvre. Pas nécessairement celles que proposent les jeunes collègues, mais, en tout cas, quelque chose devra être fait !

Là, voici la phrase en question :

De plus, les cours sont bien souvent très descriptifs, scolaires, et quasiment jamais problématisés. Cela cause, toujours d’après nous, un ennui certain pour les étudiants qui ne sont pas vraiment incités à réfléchir dans ce cas.
En effet, un sujet intéressant pour nombre d’étudiants peut vite se retrouver ennuyeux dans un schéma classique de cours (cours magistral très descriptif ,puis exercices en TD).
Les cours de xxx sont particulièrement révélateurs de cela. Un sondage effectué cette année par les étudiants a montré que la majorité était insatisfaite de ce format (20 TD dont une majeure partie consiste en un recopiage de cours au tableau).



Oui, là, j'adhère à cent pour cent : les cours étant précisément ces moments qui lancent les études, les cadrent, la moindre des choses est qu'ils ne soient pas de ces descriptions que l'on trouve dans les (mauvaises) introduction des (mauvais) livres de science : du style "on trouvera au chapitre 1... ; puis au chapitre 2 ... ; puis au chapitre 3...". Cela est minable, et, surtout, cela révèle soit un manque de travail, soit un manque d'intelligence de la part des auteurs, ou des professeurs si les cours sont ainsi descriptifs.

Des cours "scolaires" ? De quoi s'agit-il ? Ici, la critique n'est pas claire : cela signifie-t-il que le format est "classique", avec un professeurs au tableau et des élèves qui suivent celui ou celle qui professe ? En réalité, je propose d'analyser la critique en reprenant ma grille d'analyse, selon laquelle le professorat (terme plus juste qu'enseignement) comporte une composante technique (la justesse de ce qui est dit), une composante artistique (en cercle, au tableau, les pieds au mur, sous forme de forum...) et une composante sociale. Ici, la critique porte sur la composante artistique... et j'aurais tendance à signaler à mes jeunes collègues que j'ai vu des cours du Collège de France absolument superbes, alors que le professeur était glacé, assis, sans bouger lisant un texte... d'une intelligence superbe.
Donc je ne peux retenir vraiment ce "scolaire".

Les étudiants pas invités à réfléchir.  Oui, pourquoi pas, mais ces gens qui ont passé un concours difficile sont-ils vraiment des moutons qui ont besoin qu'on les invite à réfléchir ? Ils revendiquent assez de l'autonomie pour qu'on leur en donne... à condition qu'on leur en donne vraiment, et je renvoie vers mes billets où je propose que l'on impose aux jeunes collègues une obligation de résultats, et pas de moyens (présence obligatoire, par exemple).

Bon, et oui, je pousse le bouchon parfois trop loin : du recopiage au tableau, c'est quand même un art... un peu faible ;-)

jeudi 14 février 2019

Comment expliquer

Comment expliquer ? Souvent, les collègues plus jeunes (ce que d'autres nomment des "étudiants") ont du mal à expliquer, sans doute parce que les notions qu'on leur demande d'expliquer ne sont pas entièrement claires pour eux-mêmes, mais aussi parce qu'ils n'ont pas toujours été mis en position d'expliquer.

Expliquer, c'est quand même considérer d'abord que notre interlocuteur est initialement ignorant de ce qu'on lui explique, et qu'il devra être conduit jusqu'au point où il a la notion que l'on voulait expliquer. C'est cela, l'objectif final.
Il y a un chemin à emprunter avec lui, où à lui faire emprunter, et l'on pourrait d'abord reconnaître qu'il y a une certaine logique à aller du connu vers l'inconnu.  Car comment notre interlocuteur pourrait-il admettre d'être immédiatement plonger dans l'inconnu ? Autrement dit, nous pourrions organiser une série de pas élémentaires pour parcourir le chemin, en étant sûr que le pied (l'esprit !) est sur un sol ferme, avant qu'un nouveau pas soit fait.
Mais évidemment, cela impose surtout que l'objectif soit bien clair, et pas perdu de vue pendant le parcours, et, surtout, que le point de départ soit bien clair, car si l'on part d'un chemin déjà fait, notre interlocuteur s'ennuiera, alors qu'il sera perdu si l'on part de l'inconnu pour aller vers l'inconnu.






Tout cela étant dit,  je me reprends maintenant, parce que expliquer, c'est une question de communication. Et il y a sans doute lieu de se souvenir que la communication a trois composantes  : technique, artistique et sociale. Par ordre d'importance décroissante, ce serait plutôt social, artistique et technique, mais pensons à la musique ou à la peinture : comment faire une oeuvre de d'art si l'on ne maîtrise pas d'abord la technique ?

Pour autant, si l'on maîtrise les techniques, tout est possible. Comme pour une narration, on peut très bien raconter l'histoire en partant du début ou en partant de la fin, on peut raconter en tournant le dos à nos interlocuteurs ou, au contraire les regarder dans les yeux.

Il y a mille manières de raconter des histoires, et, donc aussi, de donner des explications. Le folkloriste russe Vladimir Propp a bien analysé que, pour la littérature folklorique, cette littérature enfantine, il y a une construction en parenthèses emboîtés : c'est parce que le prince commence par sortir du château pour aller tuer le dragon (parenthèse ouvrante) qu'il reviendra finalement et qu'il épousera princesse avec qui il aura beaucoup d'enfants (parenthèse fermante).  Mais il peut y avoir d'autres façon de raconter et chacune a ses vertus, puisqu'il s'agit d'une question artistique et que c'est donc la mise en œuvre qui sera seul juge.
Un jour, j'ai fait un cours de communication scientifique par la fin, et il a tellement amusé un de mes collègues qu'il m'a dédié un cours de sciences fait de façon analogue. Autrement dit, la règle de ne pas faire de sauts dans la compréhension, d'aller à toutes petites étapes consécutives, est une manière technique, qui peut être bousculée par des considérations artistiques éventuelles, car on oublie pas que ce qui compte, surtout, c'est frapper les esprits, pas seulement de donner l'explication. Expliquer, cela est élémentaire mais on peut faire tellement mieux !






samedi 24 novembre 2018

Pourquoi aimer la cuisine ?

Pourquoi aimer la cuisine ? En posant cette question je fais déjà une différence entre "aimer la cuisine" et "aimer cuisiner".

Aimer la cuisine, par exemple, cela peut vouloir dire aimer manger de la cuisine qui est faite, ou bien s'émerveiller des travaux des cuisiniers, par exemple, comme on aime la peinture de certains grands peintres, ou la musique de certains grands musiciens. Et, d'ailleurs, je me demande toujours pourquoi se limiter à cela, sinon peut-être pour comprendre l'origine de la beauté ? Ou partager avec d'autres ce sentiment de stupéfaction que nous avons face au beau ?

En revanche, aimer cuisiner, cela signifie... aimer cuisiner. Et la question est, à nouveau, de savoir pourquoi on peut aimer cuisiner.
Pour répondre à cette question, je crois qu'on a intérêt à bien distinguer les trois composantes de la cuisine, à savoir la technique, l'art, la socialité.
Aimer la technique ? Personnellement, j'ai bien du mal à comprendre pourquoi, car je ne vois pas l'intérêt de bouger la main -une machine peut le faire- pour battre à blancs en neige  ; seul l'objectif m'intéresse. Mais, inversement, je sais de mes amis qui aiment faire ces gestes, et je respecte évidemment leurs goûts. Je peux imaginer que cela leur rappelle leur enfance,  que le travail culinaire les met dans un état d'esprit qui fait oublier leurs soucis éventuels... Je n'oublie pas,  surtout, que les techniciens ont comme objectif principal le soin, et je sais que ce dernier a en réalité partie liée avec la composante sociale, sur laquelle nous reviendrons. D'ailleurs, il faut ajouter que la technique a des rapports évident avec l'art, puisque  l'on ne saurait produire d'oeuvre sans une maîtrise parfaite de la technique. Un musicien qui voudrait jouer une pièce mais ne saurait pas bouger correctement les doigts n'arrivera jamais au niveau de l'art. Et c'est ainsi que l'on en vient à se demander si l'une des trois composantes de la cuisine peut exister indépendamment des deux autres.
Pour ce qui concerne la composante artistique, il y a la possibilité d'une communauté intellectuelle, voire spirituelle entre celui ou celle qui produit d'une œuvre  et collectivité. Et l'on sait que les sentiments partagés prennent une force qu'ils n'auraient pas s'ils restaient à l'intérieur de nous-même. Et puis il y a la fascination du beau, dont les philosophes discutent depuis des millénaires. Pourquoi le beau ? Qu'est-ce que c'est ? Pourquoi a-t-il cette action sur l'être humain ? Cuisiner, même en amateur, c'est donc une activité artistique, comme peindre, écrire, chanter, jouer de la musique...
Enfin il y a la composante sociale qui, pour certains, est véritablement essentielle. Faire à manger, c'est aussi faire à manger pour autrui et non pas seulement pour soi-même, c'est préparer des moments de partage, de convivialité, de commensalité,  et le bonheur d'être réunis vaut certainement la peine que l'on a prise par avance

Finalement, on voit que le projet culinaire est véritablement merveilleux, en ce qu'il conduit a beaucoup de socialité et que, de ce fait, il nous rend véritablement humain.
Avec la cuisine, il y a de l'art, mais surtout de la Culture, dont les ethnologues commencent à comprendre que c'est  la caractéristique essentielle de l'être humain.
Non seulement l'aliment est la base de notre survie, mais mieux encore l'aliment cuisiné est le fondement de l'humanité.








lundi 22 octobre 2018

A propos de Helmholtz


Au sortir de la lecture du dernier numéro d'Alliage, où figure un dossier un peu ésotérique sur Helmholtz, je retiens qu'il y a, à propos de la musique, la même confusion qu'à propos de la cuisine : entre la technique et l'art.


Helmholtz et d'autres (Cornu, Mercadier) ? Ils se sont intéressés au "tempérament", à la musicalité, à savoir cette possibilité d'associer une note avec une autre, par exemple un do avec un do une octave plus haut, ou bien un do avec un sol. Derrière cela, il y avait Pythagore, et l'importance de nombres pour régir le monde : en effet, l'octave est à une fréquence double, et elle s'harmonise bien, car cette fréquence double s'entend dans les "harmoniques" du son le plus bas de l'accord. La quinte ? Les fréquences fondamentales sont dans le rapport de deux à trois, le plus simple, et l'accord est considéré comme consonant... par la musique occidentale.
Et les musiciens de débattre à l'infini de ces questions des musicologues ou des acousticiens, car le beau, en réalité, ne connaît pas la gamme, ni le tempérament, sauf quand il s'est déjà imposé culturellement.

De même pour la cuisine, où le beau à manger est le bon ! On ne répétera pas assez que ce n'est pas une question technique, mais une question de culture, d'habitude. Ceux qui sont habitués à manger du munster mangerons du munster, et les autres rejetteront ce fromage comme détestable, car hors de leur culture. Les appariements ? Des objets de culture !
Bien sûr, il y a des cas particuliers, comme quand on boit un vin astringent en mangeant de la viande, qui apporte les protéines qui se lient au tannins, au lieu que ces derniers fassent précipiter les protéines salivaires, ou le sucre qui permet de supporter l'acidité, comme dans les framboises, dont le pH peut être aussi bas que deux, par exemple, mais c'est quand même un détail !

La leçon est simple : ne confondons pas les questions artistiques et les questions techniques !

mardi 10 juillet 2018

L'orfèvre


L'orfèvrerie ? Le mot me fait penser à   deux questions :
 - quelle est la relation entre l'art et l'artisanat d'art ?
- pour la recherche scientifique, quelles conséquences l'analyse de l'activité artistique sont-elles utiles ?

Pour la question de l'art, tout d'abord, autant dire que je ne suis pas au clair. Je comprends bien qu'un peintre en batiment n'est pas Rembrandt, que les objectifs de Rembrandt et du peintre en bâtiment ne sont pas les mêmes... Mais les "métiers d'art" sont dans la zone grise, ni art à la Rembrandt ni peinture en bâtiment. Manifestement, il y a lieu d'évoquer la question de l'intention, et la question de curseur. Le peintre en bâtiment n'a pas l'intention d'émouvoir, mais de couvrir un mur de façon aussi "jolie", disons soignée, que possible. Il y a le technicien qui s'aventure vers le beau, ou, inversement, l'artiste qui applique son talent à des oeuvres plus régulièrement demandées.
En musique ? De même, il y a le musicien qui ouvre son coeur afin de "partager la pulsation cosmique", comme le dirait le chef d'orchestre Benjamin Zander, ou bien le musicien de bal, qui doit seulement faire danser, et auquel on demande principalement de donner un rythme. Et, là encore, ce qui est troublant, c'est ce tour de notes qui est "beau", que le musicien soit un musicien d'art ou un musicien de technique. Même pour un exécutant médiocre, certains enchaînements de notes d'un Mozart, par exemple, sonnent à faire fondre le coeur le plus dur. C'est d'ailleurs une étonnante leçon des cours d'interprétation du Benjamin Zander précédemment cité que de reconnaître que la musique n'est pas belle en proportion des mines compassées des exécutants, mais, bien au contraire, de l'exécution fidèle à la grammaire de l'écriture. Mais il faut expliquer davantage : dans les cours d'interprétation, on voit bien que l'application bête de la pulsation conduit à une "musique" ânonnée, alors que le simple respect des temps forts et des temps faibles, des mesures fortes et des mesures faibles, des cadences fortes et des cadences faibles (de groupes de quatre memsures) permet d'obtenir une musique émouvante.
Indépendamment de l'objectif (sans doute variable, donc) des hommes et femmes des "métiers d'art"la loi reconnaît cette catégorie : "personnes morales qui exercent, à titre principal ou secondaire, une activité indépendante de  production, de création, de transformation ou de reconstitution,  de réparation et de restauration du patrimoine, caractérisée  par la maîtrise de gestes et de techniques en vue du travail  de la matière et nécessitant un apport artistique.". Ce qui ne nous aide guère.

Passons donc à notre question scientifique. Il faut imaginer une différence entre un "scientifique technique" et un "scientifique artiste". Ce qui me ramène au billet que j'avais fait, et qui distinguait le talent, qui fait ce qu'il peut, et le génie, qui fait ce qu'il doit. Mais l'évocation n'est pas suffisante. Et les scientifiques sans talent (ni génie) ? C'est une belle question : comment imaginer cela ? qu'est-ce que cela peut être ?

La question étant difficile, je reviens à l'objectif de la science : identifier les mécanismes des phénomènes.
Bien sûr, l'ambition est considérable, et il peut y avoir des ambitions plus modestes : par exemple, caractériser quantitativement les phénomènes, ou bien réunir des données expérimentales en lois, ou encore tester des conséquences théoriques...  Mais l'idée de l'orfèvre vaut, au delà, parce qu'il y a un soin infini dans la production !

lundi 26 mars 2018

La cuisine "traditionnelle" : un art populaire

La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique, ai-je dit. Et je ne me renie pas :
- il y a certainement une question technique : tailler des légumes en brunoise, faire gonfler un soufflé, mouler des quenelles, parer un poisson...
- mais il y a la question de faire "bon", c'est-à-dire "beau à manger" : c'est là une question artistique
- et l'on cuisine pour autrui : à défaut d' "amour", qui est une volonté personnelle, il y a en tout cas du lien social, car ce n'est pas rien d'accepter de mettre dans notre corps une préparation d'autrui.


Tout cela étant dit, je reviens au deuxième terme, à savoir  la question de l'"art" culinaire, et de ses relations avec l'artisanat. Cette question me taraude depuis longtemps, car si certains cuisiniers sont certainement des artistes, avec cette volonté de produire du nouveau, bien souvent les cuisinières et les cuisiniers, domestiques ou de restaurant, restent étonnamment collés à des préparations anciennes, de sorte que l'on pourrait penser à de l'artisanat. Et là, la limite est floue, car bien des artisans veulent faire "beau", tout comme des artistes.

Où se met la limite ? Pour l'artisanat, souvent le beau se limite à du  "bien fait", mais dans certains artisanats, il y a plus : ce tour de main personnel qui fait échapper à la reproduction selon des canons strictement professionnels. Notamment, en cuisine, on voit bien le cuisinier ou la cuisinière ajouter sa "patte" : une écorce d'orange ou de pamplemousse dans une blanquette, un croûton grillé dans une daube, quelques raisins secs dans un ragoût...
De quelle nature est cette activité, alors ? Comment se situe-t-elle par rapport à l'art ? Si le bon est le beau à manger, alors c'est bien de beau qu'il est question en cuisine. Mais le beau relève-t-il seulement de l'art ? Je crois qu'une piste est l'idée d'art populaire.

Une petite recherche montre que ce que l'on qualifie d'art populaire s'applique aux objets de la vie quotidienne soit fabriqués artisanalement, soit fabriqués par le public, le "peuple".
Dans un texte, j'ai vu que les fondateurs du Musée National des Arts et Traditions populaires de Paris (1937) avaient initalement voulu le nommer « Musée du Folklore » ; ils oeuvraient  dans la continuité des éditeurs et des auteurs de l'Encyclopédie, dont la véritable innovation fut de mêler des sujets parfaitement scientifiques à des sujets plus techniques, ce que Denis Diderot nommait les « arts mécaniques », dont il voulait une description ethnographique : avec d'Alembert, Diderot insista pour que des dessinateurs représentent en détail les machines et les gestes des ouvriers, interrogent les maîtres artisans.
Dans le même esprit, André Thouin (1747-1824), qui fut jardinier du roi et professeur d'agriculture, fit fabriquer des modèles réduits d'outillages et de machines agricoles. Puis, à la Révolution,  l'abbé Grégoire (Henri Grégoire, 1750-1831) explora les patois et mœurs des gens de la campagne », afin d'accélérer les échanges entre la ville et la province.
A la Révolution française, la fin de l'Académie royale marque la fin des premières études folkloriques institutionnelles en France, tandis que la vogue des voyages conduit à des accumulations de souvenirs, observations et témoignages. Le baron Isidore Taylor (1789-1879) publie, de 1820 à 1863, vingt-quatre volumes de Voyages pittoresques et romantiques de l'ancienne France, où il décrit les monuments, les mœurs des populations et les costumes régionaux. La vie paysanne est également attestée par des peintres et par des écrivains (Millet, Balzac, George Sand...).
D'autres pays ne souffrent pas du coup d'arrêt de la Révolution française. Par exemple, l'Allemagne élabore le concept de Volk (« peuple »), accompagné du Volkstum, « pensée et sentiment populaires », et du  Volkskunde, « culture populaire ». Ici, le terme « populaire » évoque le peuple non pas comme la partie de la population exclue de la culture dominante, mais dans une acception historique.
En Angleterre, on parle de « folklore » (de folk, « peuple », et de lore, « savoir ») : ici, le mot « peuple » désigne les classes populaires de la société. Le terme « folklore » ne sera adopté par la France qu'un demi siècle plus tard.
Et, à la fin du 19e siècle, les études folkloriques fleurissent, portées par les nationalismes :  littérature orale, musique, artefacts… En France, Paul Sébillot, Pierre Saintyves et Charles de Sivry,  niment la Revue des traditions populaires, publiant un Folklore de France.
Enfin la culture populaire est  vraiment reconnue en 1937, avec la création à Paris du Musée National des Arts et Traditions populaires. Les objets considérés comme œuvres de la culture populaire appartiennent à tous les domaines, et l'on distingue que les productions populaires ont deux sources : la fabrication domestique et le savoir-faire des artisans. Après plus de 70 ans d'existence, il a fermé en 2005, et ses collections ont été transférées au Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée (MuCEM), qui a ouvert le 7 juin 2013 à Marseille.

Tout cela est éclairant : je propose de distinguer de l'art culinaire savant, et de l'art culinaire populaire, dont relèvent l'artisanat et le beau que nous produisons dans nos cuisines, à la maison. Et j'en reviens à des définitions que je donnait naguère : dans un cas, il y a l'oeuvre unique, alors que, dans l'autre cas, il y a la répétition avec des variations, mais selon des canons pas remis en cause (une blanquette, c'est du veau revenu, avec lait, crème, champignons de Paris ; du coq au vin, c'est du coq avec du vin, garniture aromatique...).