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jeudi 14 juillet 2022

A propos de "traditions culinaires"

 En cuisine, le traditionnel est-il  bon ?

Il y a une première difficulté, dans cette question : le "traditionnel" n'est pas bien défini, pas clair, de sorte que, dans une discussion publique de la chose, il y a le risque que chacun y mette ce qu'il y met... sans d'ailleurs bien savoir ce qu'il y met. 

 

Car, pour commencer,  le traditionnel des uns n'est pas le traditionnel des autres. Par exemple, le traditionnel des Alsaciens n'est pas celui des Provençaux, et, même, le traditionnel des Haut-Rhinois n'est pas celui des Bas-Rhinois. Mieux encore, dans mon village, il y  a une tradition des crécelles (Ratscha)  d'avant Pâques, qui n'existe pas dans les villages voisins, mitoyens. 


Bref, "le" traditionnel n'existe pas. De sorte qu'il ne peut être bon (les "carrés ronds" ne sont pas rouges, puisqu'ils n'existent pas). 


Supposons, pour simplifier, que le "traditionnel" soit notre traditionnel à nous, individu particulier ayant une histoire particulière. Qu'il soit bon ou non, peu importe, car il est traditionnel, et cela fait des millénaires que l'on sait qu'il est inutile de discuter des goûts, car chacun a les siens,  qui n'ont aucune valeur universelle. A quoi... bon en discuter ?

 
Cela étant, dans la question, il y a aussi la difficulté du mot "bon". Dans le bon, il y a le sain, le non toxique, mais il y a aussi le « ce que j'aime ». Or nous aimons souvent ce que nous avons appris à manger quand nous étions plus jeunes, que cela soit sain ou non.
Pour l'Alsacien, le munster est bon, mais il ne l'est pas pour certains de nos amis asiatiques. Pour certaines populations, les scorpions grillés sont un régal, mais l'expérience m'a montré que mes collègues parisiens n'étaient pas prêts à en manger. D'un point de vue toxicologique, le munster ne présente pas de risque quand il a été « « bien fait », pas plus que les scorpions grillés quand ils ont été bien grillés. 


Reste alors la question  toxicologique : manger sain. Là, encore, difficile de généraliser. Il est vrai que certains groupes humains ont appris à rendre comestible des ingrédients qui ne l'étaient pas.
Par exemple, les haricots blancs contiennent des composés toxiques que la cuisson détruit. Le manioc, également, est toxique, quand il n'est pas préparé, et les êtres humains ont trouvé une façon traditionnelle d'assainir le tissu végétal. En revanche, il est de nombreux cas où l'humanité croit manger sainement parce qu'elle mange traditionnellement, mais s'intoxique sans le savoir. Dans nombre de remèdes dits fautivement "naturels", il est proposé des ingrédients dangereux.
Mais cela, personne ne veut le savoir. Et il y a aussi les cas où l'on mange du malsain en ne voulant pas le savoir (barbecue, par exemple).
 

Bref, bien des difficultés pour une simple question !

samedi 2 juillet 2022

"Maladresse de style"



L'évaluation par les pairs peut être la meilleure ou la pire des choses. Elle est la pire quand les collègues sollicités n'ont pas toute la grandeur qu'ils devraient avoir,  et elle est la meilleure quand elle est faite par des personnes de qualité.

Aujourd'hui, je rencontre un cas qui m'émeut un peu  : nous avions envoyé un manuscrit à un rapporteur scientifiquement compétent, mais cet homme a produit un texte de rapport parfaitement inadmissible :  au lieu de seulement critiquer factuellement les phrases du manuscrit, il évoque des "maladresses de style". Non seulement l'expression est déjà contestable, mais, surtout, notre homme écrit comme un pied, avec des relatives emboitées mal maîtrisées, et autres... maladresses.

Ce cas n'est pas isolé : j'ai moi-même reçu, il y a peu de temps, des évaluations qui comportaient de telles appréciations aussi désobligeantes que déplacées, par des collègues qui, ignorant mon identité, ne savaient pas que chaque mot que je pose a été mûrement choisi, non seulement pour son sens mais aussi pour ses connotations.
Ma naïveté est totale : plus j'y pense et moins je comprends comment certaines personnes peuvent se laissert aller à des appréciations blessante. Qui pis est, l'anonymat que je fais régner dans les évaluations est un motif supplémentaire de délicatesse que nos rapporteurs devraient avoir :  c'est une lâcheté que d'en profiter.

Naguère, je déplorais que Dieu n'ait pas réserveé l'intelligence aux individus bons et droits. J'ai fini par comprendre que si cela avait été le cas, la vie en communauté aurait été impossible, car il y  aurait eu les bons d'un côté, et les méchants de l'autre... sans compter qu'on est jamais parfaitement bon ni parfaitement méchant. Je n'oublie pas le "Il faut tendre avec effort vers l'infaillibilité sans y prétendre" de Michel Eugène Chevreul.

Mais, quand même, quel dommage que des individus compétents n'aient pas grandi au point d'être bons et droits ! Quel dommage que, comme en rêvait le merveilleux Michael Faraday, la science ne rende pas plus aimable !

jeudi 6 mai 2021

Etourdi ? Maladroit ? Non, paresseux.

 Non, tu n'es pas incapable... mais il faudra travailler. Non tu n'est pas maladroit, mais il faudra travailler. Non, tu n'est pas "nul en maths", mais il te faudra travailler...



Note : pour ne blesser personne, je ne parle pas ici de personnes réelles, et j'ai composé avec des centaines d'exemples.


Un jeune ami me dit avoir oublié le chargeur de batterie de son ordinateur, et il est obligé de repartir chez lui pour travailler, ce qui dérange considérablement son programme de travail. Personnellement, cela m'indiffère absolument,  parce que son travail n'est pas le mien: son "insuffisance" n'empiète pas sur ma liberté. Mais je lui fais quand même observer que c'est la quatrième fois en deux semaines qu'il lui arrive une aventure analogue. Et, la fois précédente, cela n'avait pas non plus de raison particulière de m'ennuyer, puisque cela ne concernait pas mon propre travail... mais pourquoi ces oublis à répétition qui séparent en réalité le bon professionnel du mauvais ?
Il me fait penser à ce jeune ami en stage dans notre groupe, il y a quelques années, qui était "maladroit", et l'on verra pourquoi.

A vrai dire,  je ne devrais pas me mêler de cela, puisque, comme je l'ai expliqué, cela n'a pas de conséquences pour moi, mais je n'oublie pas que ce jeune ami est venu de loin pour que je l'aide à grandir en intelligence, en méthode... De sorte que je dois dire quelque chose de ces oublis.

D'ailleurs, ce cas précis que je rencontre n'est pas isolé, et c'est bien la raison pour laquelle il y a lieu d'évoquer la question.

Chaque fois, on me dit que, depuis tout petit, on est tête en l'air... Mais ne sommes-nous pas tous tête en l'air ? Pour moi, j'oublie tout ce qui ne m'intéresse pas... mais je le l'oublie pas, puisque je me suis mis des tas de systèmes d'alertes, sur mon agenda électronique : ma tête est libre pour penser à ce qui m'importe, à ce qui m'intéresse, sans subir les conséquences d'étourderies.
D'ailleurs, ne serait-ce pas cela que ne pas être étourdi : avoir mis en place des systèmes pour ne pas oublier ce que l'on ne doit pas oublier ?

Cette question de l'étourderie n'est qu'une partie émergée de l'iceberg. Le même jeune ami me dit avoir une orthographe déficiente, ne pas être assez bon en mathématiques, en chimie...

Et là, je réponds invariablement que ne sont bons que ceux qui ont appris !

Oui, ne savent écrire les mots que ceux qui ont appris à les écrire. Écrire sans faute d'orthographe ? Il suffirait de le faire un peu plus lentement que notre ami ne le fait, de faire un peu attention aux mots que l'on pose, aux phrases que l'on construit, aux lettres que l'on trace. Michael Faraday, par exemple, notait tous les mots nouveaux qu'il rencontrait, et passait du temps, le soir, à les explorer à l'aide de dictionnaires : du temps passé à apprendre.
Oui, ne savent calculer que ceux qui ont appris à calculer. Et le remède est simple : on prend un cours de mathématiques et l'on travaille. Du temps passé à apprendre.
Oui, ne savent la chimie que ceux qui l'ont apprise... Il y a des cours par milliers en ligne. Et il faut passer du temps à les lire, pour avoir la moindre chance de les connaitre.
Enfin, j'arrive aux "maladroits" : nous le sommes tous, surtout quand nos mains vont plus vite que notre tête... et d'ailleurs, notre ami qui oublie est un peu maladroit.
Et ainsi de suite !

Bref, être "bon en", être adroit c'est du travail ; pas des heures passées dans des bars, dans des stades, que sais-je... Oui, quelqu'un qui sait, c'est quelqu'un qui a appris, et tout le reste, les histoires idiotes de dons ou d'insuffisances, c'est du baratin, de la paresse, de la mauvaise foi.

Au fond, il n'est pas question d'aller, tel un psychanalyste, chercher bien loin les raison des déficiences de notre ami, et ce serait même faire fausse route : il faut lui conseiller de travailler, d'étudier, d'apprendre.

Sans passer des heures à regarder des séries, des "infos", à chater, à sortir, et ainsi de suite.

La vraie difficulté est là : il est tellement plus facile -et paresseux- d'accepter, telle une fatalité, que l'on soit "insuffisant en".

Mais là est la question : ne peuvent apprendre ceux qui ont la capacité d'apprendre, que ceux qui parviennent à ne pas se disperser, à se focaliser...

Certes, nos jeunes amis ont des excuses, parce que nombre de professeurs ne les aident guère. Je me souviens que l'on m'a dit "Concentrez-vous". D'accord, je veux bien, mais comment faire ? Dans mon cas, j'avais la chance d'être de ceux que les matières étudiées fascinaient, de sorte que je n'avais pas d'effort à faire pour y passer du temps.
Mais pour quelqu'un de plus "évaporé" ?

lundi 12 octobre 2020

Qu'est-ce que le "bon" ?

 Le bon ?

Encore rencontré quelqu'un pour qui "les choses sont bonnes quand elles ont le goût de ce qu'elles sont". C'est trop facile !

Qu'est-ce qui est bon ? La question vaut pour tous les arts  :  pour la cuisine, le bon, c'est ce qui est beau à manger ; pour la musique, le beau,  c'est ce qui est beau entendre ;  pour la littérature, il y a le  beau à lire ; pour la peinture, le beau est à voir,   et ainsi de suite.

Le beau ? La question est évidemment difficile, et la théorie du beau se nomme esthétique. Car l'esthétique, ce n'est pas la beauté à voir seulement ;  et, en tout cas en cuisine,  le beau à voir n'est pas la question, même si on ne doit certainement pas négliger l'apparence des plats.

Mais, surtout, en cuisine, la question du bon,  c'est la question du  goût.

Et sont bien faibles, ceux qui appliquent des formules toutes faites comme la trilogie (trois éléments dans l'assiette), le nombre d'or,  ou nombre d'idées simplistes telles que "dans une sauce à l'estragon, on doit chercher l'estragon".

Pour discuter la question du "bon", j'ai fait un livre entier qui s'intitule La cuisine, c'est de l'amour, de l'art de la technique. A ma connaissance, c'est le premier traité d'esthétique culinaire de l'histoire, et j'y discute notamment cette théorie que je crois très fausse selon laquelle les choses seraient bonnes quand elles ont le goût de ce qu'elles sont. 




À ce compte, le poulet serait-il bon quand il est cru et qu'il a le goût de poulet cru ? Supposons que l'on me dise que non, puisque l'on annonce un poulet rôti, et que c'est le goût de poulet rôti qu'il faut donner. Mais "le" goût de poulet rôti : lequel ? Il y a mille goûts de poulet rôti, et tous seraient légitimes, donc !
D'ailleurs,  je ferais observer que le poulet rôti, c'est un peu comme une représentation en peinture de la Vierge à l'Enfant : il y a mille peintres, et mille représentations, qu'elles soit réalistes ou non. Une Vierge à l'Enfant par Picasso n'a rien à voir avec une Vierge à l'Enfant par Rembrandt. Et, même, pourquoi voudrait-on voir même la Vierge et l'Enfant dans un tel tableau ? Car un tableau où la Vierge et l'Enfant seraient évoqués, à défaut d'être représentés, pourrait être même supérieur... s'il est beau !

Mais revenons à la cuisine : j'ai donc le poulet rôti... Mais ai-je besoin d'un cuisinier pour me faire un bon poulet rôti ? Qu'apporte ce professionnel, s'il se limite à rôtir un poulet ?
Au fond je m'ennuie terriblement avec ces cuisiniers professionnels qui me font des poulets rôtis qui ne sont autres que des poulets rôtis, conformément à la théorie très faible que je discute ici ; je n'ai pas besoin d'un professionnel pour me le donner.

Non, je demande aux cuisiniers de dépasser cette théorie simpliste selon laquelle les choses auraient le goût de ce qu'elles sont. Je leur demande d'interpréter le poulet rôti, de créer des goûts qui soient bien différents. Je veux que le poulet rôti soit une partition dans l'orchestre des goûts ; pourquoi pas un soliste, mais dans l'orchestre, se fondant avec lui, répondant. Et pourquoi pas, aussi, un instrumentiste qui ne serait pas un soliste ?

De sorte que se reprennent en pleine figure ceux qui soutiennent la théorie simpliste que je discute ici.
Qu'est-ce qui est bon ?
Et, pour répondre, il y faut de la culture, de l'intelligence, du talent... mais pas du simplisme, en tout cas.




lundi 22 octobre 2018

A propos de Helmholtz


Au sortir de la lecture du dernier numéro d'Alliage, où figure un dossier un peu ésotérique sur Helmholtz, je retiens qu'il y a, à propos de la musique, la même confusion qu'à propos de la cuisine : entre la technique et l'art.


Helmholtz et d'autres (Cornu, Mercadier) ? Ils se sont intéressés au "tempérament", à la musicalité, à savoir cette possibilité d'associer une note avec une autre, par exemple un do avec un do une octave plus haut, ou bien un do avec un sol. Derrière cela, il y avait Pythagore, et l'importance de nombres pour régir le monde : en effet, l'octave est à une fréquence double, et elle s'harmonise bien, car cette fréquence double s'entend dans les "harmoniques" du son le plus bas de l'accord. La quinte ? Les fréquences fondamentales sont dans le rapport de deux à trois, le plus simple, et l'accord est considéré comme consonant... par la musique occidentale.
Et les musiciens de débattre à l'infini de ces questions des musicologues ou des acousticiens, car le beau, en réalité, ne connaît pas la gamme, ni le tempérament, sauf quand il s'est déjà imposé culturellement.

De même pour la cuisine, où le beau à manger est le bon ! On ne répétera pas assez que ce n'est pas une question technique, mais une question de culture, d'habitude. Ceux qui sont habitués à manger du munster mangerons du munster, et les autres rejetteront ce fromage comme détestable, car hors de leur culture. Les appariements ? Des objets de culture !
Bien sûr, il y a des cas particuliers, comme quand on boit un vin astringent en mangeant de la viande, qui apporte les protéines qui se lient au tannins, au lieu que ces derniers fassent précipiter les protéines salivaires, ou le sucre qui permet de supporter l'acidité, comme dans les framboises, dont le pH peut être aussi bas que deux, par exemple, mais c'est quand même un détail !

La leçon est simple : ne confondons pas les questions artistiques et les questions techniques !