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dimanche 8 décembre 2024

La science ? Théorie et expérience : cela s'apprend.

Ce matin, alors que je recevais au laboratoire un étudiant venu faire des expérimentations, j'ai mieux compris l'étendue des explications à donner. 

En l'occurrence, j'avais imaginé produire des mousses en soufflant de l'air par la partie inférieure d'un liquide susceptible de mousser. Quand j'avais initialement expliqué à l'étudiant, j'avais compris qu'il voyait mal comment nous pourrions faire, et c'est à ce moment-là que j'ai compris que mon idée "évidente" était celle d'une colonne de chromatographie où l'on soufflerait de l'air par la base n'avait rien d'évident. 

Rien d'évident...  parce que mon jeune ami ne savait pas ce que c'est une colonne de chromatographie. Une colonne de chromatographie ? C'est une colonne en verre qui comporte à sa base un "fritté". Un fritté ? Il s'agit de particules de silice agglomérées pour faire comme un filtre solide. 

La colonne de chromatographie était le premier objet inconnu de mon ami et le fritté était le second. 

Comment souffler de l'air dans cette colonne ? Il me semblait évident que l'on utiliserait de l'air comprimé, mais j'ai bientôt compris que mon ami ne savait pas qu'il y avait des systèmes d'air comprimé mutualisés dans les laboratoires. Je lui ai donc montré cela (c'est un robinet qui arrive sur les paillasses), en ajoutant "évidemment" qu'il fallait régler le débit. 

Comment régler le débit ? Pas en ouvrant plus ou moins la vanne, mais en faisant passer cet air du circuit mutualisé vers un débitmètre, tel que nous en avons dans les placards. Je lui en ai trouvé un deux : il s'agit simplement de faire passer l'air dans un système qui fait monter plus ou moins une bille dans une échelle graduée, laquelle doit être calibrée. 

Comment brancher ces divers éléments ? Il me semblait "évident" que nous utiliserions des tuyaux en caoutchouc, mais comment notre jeune ami aurait-il su que nous avions de tels tuyaux de différents diamètres dans nos réserves ? 

Je lui ai donc trouvé ce qu'il fallait et j'ai fait les branchements. Restait à raccorder le tuyau de caoutchouc à la sortie mutualisée d'air comprimé. Pour cela il fallait un système vissable sur la sortie d'air. Mais ce système fuyait, et la solution était d'enrouler sur le raccord vissable un "ruban de Téflon". Un ruban de téflon ? Là encore, notre ami ignorait l'existence d'un tel objet, et nous lui avons montré ce dont il s'agissait. 

Finalement, le montage étant fait, j'ai expliqué qu'il fallait laver la colonne de chromatographie qui, sortant des réserves de verrerie, n'était pas d'une propreté parfaite, ce qui risque de fausser les mesures, les mousses étant particulièrement sensibles à la présence de certains composés qui souillent les équipements. 

Comment laver ? Là c'était plus facile, parce que j'avais un document tout fait ayant précisément ce titre. Mais en réalité, une bonne réflexion aurait suffi : un matériel est souillé parce que des composés sont à sa surface. Pour enlever les composés soluble dans l'eau, on utilisera de l'eau, mais pour enlever les composants l'eau ? On prendra "évidemment" un solvant organique. 

Bref,  on lavera d'abord  à grande eau froide, puis à l'eau chaude, pour éliminer  les composés solubles. "Évidemment" on terminera avec de l'eau distillée. Et on passera ensuite à l'acétone qui dissoudra les composés insolubles et on le fera trois fois parce que si l'on enlève 90 pour cent des souillures au premier lavage, il en restera 10 pour cent ;  mais le deuxième lavage enlèvera 90 pour cent de ces 10 pour cent, de sorte qu'il ne restera qu'un pour cent et l'on comprend pourquoi la troisième opération s'impose. 

Ayant lavé à l'acétone, on repassera à l'eau pour ne pas laisser de trace sur le verre et là encore, on aura intérêt à faire grande eau froide, eau chaude, eau froide et eau distillée. 

Le lavage de l'intérieur du fritté pose une question particulière parce qu'il ne s'agit pas de faire simplement un nettoyage de surface, mais un nettoyage profond. Et c'est là qu'on sera amené à pousser les liquides nettoyants à travers le fruité... à l'aide d'air comprimé, que l'on utilisera pour pousser les liquides lavant. 

Et c'est ainsi que, disposant d'une colonne bien propre, nous pourrons pousser de l'air avec un débit connu, faible ou fort. 

Surtout, j'y reviens, je vois qu'il n'y avait rien d'évident dans tout cela, et qu'il a fallu en quelque sorte bricoler : nos étudiants sont mieux formés à la théorie qu'au bricolage, et quand ils savent bricoler, ils n'imaginent pas toujours que la recherche scientifique puisse se fonder sur de telles bricolages. 

Bien sûr, on bricole mais avec rigueur :  par exemple, pour notre système, s'imposait absolument de le calibrer, de le tester, de voir la répétabilité du foisonnement, etc. 

La recherche scientifique est donc un jeu constant entre l'expérimentation et la théorie, je l'ai déjà dit souvent, c'est précisément cette vie simultanée dans deux mondes parallèles qui me fascine

mercredi 4 décembre 2024

À la réflexion, je suis étonné que tant de discours théorique soit donné avec tant d'aplomb... mais si peu de bases solides.

À la réflexion, je suis étonné que tant de discours théorique soit donné avec tant d'aplomb... mais si peu de bases solides. 

Je considère par exemple l'amollissement des légumes lors d'une cuisson. La théorie stipule que les échauffement (la "cuisson") dégradent les molécules de pectine, qui seraient comme des cordages entre les fibrilles de cellulose. 

Pourquoi pas, mais cherchons qui a établi cela ? On découvre alors qu'il existe des travaux sur la réaction de "bêta élimination" des pectines, mais cela a été fait en milieu basique et, et non pas en milieu acide, ce qui est le cas général des aliments. 

Cela étant, les pectines sont des polysaccharides avec une liaison O-glycosidique, dont on sait qu'elle peut se faire en milieu acide. Bref, il y a des hydrolyses par des mécanismes différents, et, à ma connaissance, on n'a pas regardé ce qui se passait vraiment, mécanistiquement, dans les carottes que l'on cuit. 

Sans compter que je réclame des études quantitatives, et non pas seulement de vagues descriptions : de combien les pectines sont-elles hydrolysées, en pratique culinaire ? Ces polymères que sont les pectines  sont composés de centaines ou des milliers de résidus, et il faut savoir après combien de temps on obtient des monomères.  

Bref, ce tableau que l'on avait brossé rapidement et négligemment est bien plus passionnant qu'il n'y paraissait, et il faut être honnête, et reconnaître que  l'état de que nos connaissances est bien plus embryonnaire que les publications ne le laissaient penser.
 

Il y a lieu de consacrer de nombreux travaux à cette question. Et il faut ajouter que ce n'est pas un cas isolé et que par exemple, je répète depuis des années voire des décennies qu'il est paradoxal que nous ayons des milliers d'articles consacrés au thé, à ses différents goûts selon les variétés, l'environnement, etc., mais je ne connais aucun article  consacré au mécanisme par lesquels les composés qui forment le goût du thé sont libérés dans l'eau à partir des feuilles. 

Je cite deux cas, mais il y en a  une infinité : toutes nos connaissances sont dans cet état très rudimentaire et c'est pour cette raison que la gastronomie moléculaire et physique s'impose absolument, urgemment : à un moment où l'on ne cesse de nous parler d'innovation, il y a vraiment lieu de comprendre ce que l'on fait pour faire différemment, et mieux. 

jeudi 29 août 2024

L'enseignement supérieur a la responsabilité de produire les données théoriques qui permettront à la pratique de se dépasser.

 
Je reviens sur une idée que j'avais discutée il y a quelque mois, à propos de remarques des étudiants d'AgroParisTech à propos de leur stage. Il y a lieu de bien expliquer que oui, ils pourraient se former pendant les stages, mais il faut observer sans attendre qu'ils n'auraient qu'une compétence limitée,  au sujet de leur stage. 

Il ne faut pas s'émouvoir de leurs idées : souvent, ils sont si intéressés de pouvoir faire quelque chose pratiquement qu'ils en viennent à considérer que les stages pourraient être l'alpha et le méga de leur formation. 

Mais c'est méconnaître les relations entre l'université et l'entreprise. 

 

L'université est précisément là pour donner des idées théoriques que ceux qui sont "dans la boîte" de la production ne peuvent pas avoir ou, disons,  qu'ils peuvent avoir difficilement. 

C'est sur la base des productions pratiques des entreprises que peuvent s'élaborer des réflexions théoriques, qui se font par définition à l'université. 

De sorte que les stages pourraient donc être considérés plutôt comme des moyens de s'interroger sur la théorie qui permettra d'effectuer les sauts pratiques, ensuite, quand on appliquera ladite théorie. 

L'université a donc en quelque sorte la mission identifier les notions théoriques qui peuvent aider l'industrie à progresser, et de former les étudiants à ces matières théoriques qui par définition ne sont pas développé dans l'industrie. 

Il y a lieu que les étudiants voient donc les stages ainsi, comme un tremplin vers l'université et non l'inverse. 


Voir la suite ici : https://hervethis.blogspot.com/2024/08/les-relations-theoriques.html

Les relations "théoriques"

Il y a quelques jours, je proposais une réflexion sur les stages et leurs relations avec l'enseignement des matières théoriques à l'université. 
Ce matin, je trouve un article intéressant de ce point de vue :  les auteurs ne se sont pas limités à des mesures un peu "locales" en vue de répondre à une question scientifique qu'ils se posaient, mais ils ont profité de l'occasion pour explorer de nouvelles méthodes d'études. 

C'est évidemment plus intéressant -pour leurs lecteurs et pour eux-  que s'ils étaient restés cloués au sol. Filons la métaphore : ils ont pris de la hauteur, sont sortis grandis de l'exercice. 

Au fond, n'est-ce pas ce que nous devrions tous faire toujours, à savoir prendre de la hauteur, du recul, et résoudre les questions ponctuelles que nous nous posons en agrandissant le champ de la connaissance ?
Ne devons nous devrions-nous pas profiter de chaque question que nous nous posons pour faire ainsi ? 

 

Dans mon billet précédent, j'évoquais la question de l'état d'esprit que les étudiants gagnaient à avoir pendant leur stage, mais pourquoi les ingénieurs confirmés ne seraient-ils pas dans ce mouvement ? Pourquoi l'université serait-elle toujours mise en position de nourrir l'industrie alors que l'industrie pourrait-elle même s'adresser à l'université, lui poser des questions, l'inviter a des théorisations utiles ? 

C'est au développement de nouvelles relations industrie université que j'appelle.

mercredi 3 juillet 2024

Nous devons comprendre !


Dans beaucoup de mes enseignements, je recommande aux étudiants de ne pas supporter de ne pas comprendre mais cette injonction est en réalité épineuse, parce que personne ne comprend tout bien sûr. Quand nous conduisons une voiture, comprenons-nous vraiment ce qui se passe sous le capot ? Savons-nous le détail de tout ce que nous faisons ? De même, quand nous utilisons un ordinateur, comprenons-nous bien tout ce qu'il fait ?
Derrière cette question, il y a la différence que je fais entre le conducteur et le mécanicien.
De fait, si nous supportons de ne pas comprendre comment fonctionne notre ordinateur, pourquoi devrions-nous nous comporter différemment au laboratoire ?
D'abord, parce que, pour le travail de laboratoire, c'est nous le mécanicien ! Mais, surtout, parce que, au delà de nos expérimentations, il y les "questions que nous posons à la nature" : nous devons lui parler dans sa langue, et sa langue est subtile. En outre, au-delà de la compréhension elle-même, il y a la compréhension que nous avons, la théorie que nous nous faisons des gestes que nous faisons, des phénomènes que nous observons.

Par exemple, quand nous préparons une solution, nous avons besoin d'un modèle pour nous demander si les molécules du soluté vont se disperser dans le solvant, ou bien s'agréger en microscopiques agrégats, ou bien se coller aux parois du récipient.

À tout moment, nous devons voir plus que le macroscopique : nous devons interpréter ce dernier en termes microscopiques, puis interpréter le microscopique en termes physiques, et interpréter le physique en termes moléculaires, chimiques.

Mais comprendre, cela signifie aussi avoir une idée quantitative des phénomènes, ce qui revient à calculer autant que nous ne pouvons à propos des divers paramètres pertinents des expérimentations.
Pour reprendre l'exemple de la concentration  d'un soluté dans une solution, combien y a-t-il de molécules de solvant pour une molécule de soluté ?

J'évoque ces questions, parce que je viens d'assister une soutenance où les étudiants n'ont pas fait très fort  : alors que nous avions commencé le semestre par de longs cours pendant  lesquels nous explorions les mécanismes des phénomènes, les travaux de laboratoire (en stage) qu'ils ont fait sont souvent des travaux techniques, sans référence aux phénomènes, aux mécanismes. Ils ont manifestement "conduit une voiture" :  ils ont montré des expérimentations en restant à l'apparence des phénomènes, sans chercher à comprendre. Ce qui est pire, n'ayant pas considéré les mécanismes des phénomènes, ils ont accumulé des expériences insensées, effectué d'innombrables tests sans intérêt, perdant temps, argent, énergie...  alors qu'une réflexion théorique très simple leur aurait permis de guider leurs expérimentations dans la bonne direction et, notamment de les conduire à des hypothèses qu'ils auraient pu tester.

La faute est partagée :  elle doit être attribuée aux étudiants, d'une part, mais aussi aux  enseignants, d'autre part,  puisqu'il n'a pas été clair aux étudiants qu'il s'agissait, dans ces deux cours, d'aller apprendre à chercher les mécanismes des phénomènes.

Comptez sur moi pour que, l'an prochain, cela soit indiqué en très grosses lettres !

Pour terminer, signalons que, après avoir accueilli des centaines d'étudiants au laboratoire, je peux certifier que les meilleurs d'entre eux étaient ceux qui s'interrogaient sur les mécanismes des phénomènes. Bien sûr, il y a une question de culture : ces étudiants là avaient connaissance des possibilités théoriques :  pour la capillarité, le transfert d'électrons, la pression de la place, le log P, et cetera. Mieux encore, certains étaient capables de mettre en œuvre ces connaissances pour en faire des compétences, comme le revendique le référentiel des stages à l'échelon national.

Pour être plus bref et mieux entendu, disons que les meilleurs étudiants sont comme des pitbulls de la connaissance : ils plantent les dents dans un objet intellectuel et ne le relâchent qu'après avoir parfaitement compris l'ensemble de la question.
 

lundi 22 avril 2024

Méfions-nous des théories culinaires, même par les plus grands des chefs

Le livre signé par Paul Bocuse, La cuisine du marché, est intéressant a bien des égards, et notamment parce qu'il dit souvent bien les techniques employées. 

 En revanche, consultant la partie consacrée aux rôtis, je suis atterré par l'accumulation d'erreurs. Je n'aime guère toucher aux idoles, mais je pense surtout aux plus jeunes, aux apprenants, et si on peut leur éviter de gober des fadaises, c'est d'utilité publique. Voici donc le texte : 

 Les rôtis
Rôtir, griller ou sauter une pièce de boucherie, une volaille, un gibier, c'est cuire par concentration de la chaleur qui pénètre peu à peu vers le point central du morceau en traitement. Cette pénétration calorique refoule devant elle les sucs des substances et les emprisonne dans une enveloppe rissolée. Ce premier temps de l'opération de rôtissage est suivie d'un phénomène inverse qui constitue le second temps.
La pénétration calorique étant accomplie, la pièce est retirée de l'action directe de la chaleur nue (broche) ou rayonnante (four) et mise à reposer. Alors, les sucs emprisonnés et refoulés, qui étaient soumis à une forte compression, se libèrent et refluent lentement vers l'extérieur jusqu'à l'enveloppe rissolée. Ils s'insinuent dans les tissus, achèvent leur cuisson en leur communiquant une jolie couleur rosée.
L'enveloppe rissolée elle-même s'amollit légèrement, son épaisseur tend à disparaître pour ne devenir qu'une mince ligne brune qui cerne à peine et souligne la tranche de viande rouge ou blanche, de laquelle s'échappent des perles de jus grassouillet, rosé ou doré suivant la nature de la viande. 


Où sont les erreurs ? 

Rôtir, sauter, griller, ce n'est pas "cuire par concentration" : cette terminologie fautive a été supprimées des programmes ("référentiels") de l'Education nationale depuis plusieurs décennies. 

Et, de surcroît, le "calorique" n'existe pas : c'était une idée de physico-chimie fautive, introduite vers l'époque de la Révolution française ! 

Parler de chaleur ? Pourquoi pas : cela est maintenant clairement défini par la thermodynamique... mais il ne peut pas exister de "concentration de la chaleur". Pourquoi évoquer une notion que l'on ne maîtrise pas ? Pour être simple et juste, il suffirait de dire que, quand on chauffe la pièce, elle s'échauffe par "conduction", avec une température à coeur qui augmente progressivement, l'échauffement à coeur étant plus lent que sur les bords. 

Cet échauffement "refoulerait" les "sucs des substances" ? D'abord, il n'y a pas de place, au coeur de la viande, pour quoi que ce soit. Donc impossible de refouler quoi que ce soit. Et pour ceux qui ne restent pas convaincus, je les invite à s'interroger sur le fonctionnement des vérins hydrauliques ! 

D'ailleurs, lisons lentement : ce fameux calorique qui n'existe pas refoulerait quoi ? Les "sucs des substances" ? Savez-vous bien ce qu'est un "suc", d'une part, et, d'autre part, de quelles substances s'agit-il ? La phrase est incompréhensible, ou, plus exactement, elle est insensée. 

L'enveloppe rissolée, maintenant : le fait que de la fumée s'élève d'une viande qu'on rissole suffit  à démontrer que cette couche superficielle n'est pas imperméable, qu'elle n'emprisonne rien du tout. D'ailleurs, le mot "emprisonné" est connoté, sans raison : littérairement, cette phrase est mal conduite, en plus d'être erronée.
Ajoutons aussi que la cuisson de la partie externe produit la contraction de cette partie, ce qui a pour effet de faire sortir les jus des parties contractées : c'est ce liquide qui fait le brun (du jus dont l'eau a été évaporée) que l'on déglace ensuite.

Un phénomène inverse, qui serait le second temps ? Voyons le paragraphe suivant, pour comprendre ce dont il peut s'agir (l'inverse de quelque chose de faux pouvant être faux !). 

On nous parle de pénétration calorique "accomplie" : qu'est-ce que cela veut dire ? Accomplir, selon le dictionnaire, c'est mener à son terme. Mais qu'est-ce que peut être ce terme ? Que la température serait partout égale ? Certainement pas, puisque la viande d'un rôti, à coeur, reste rouge. Alors ? Alors cela n'a toujours pas de sens. 

On nous dit alors de retirer la  pièce de l'action directe de la chaleur nue ou rayonnante. Disons simplement que l'on arrête de chauffer, non ? Car stricto sensu, en bon français, on ne retir pas la pièce de l'action de la chaleur. 

La broche correspondrait à de la chaleur nue ? Ouille ! Le feu cuit par rayonnement. Et, dans un four, c'est bien le rayonnement qui cuit, à moins que ce soit par contact avec de l'air chaud, ce qui n'est donc pas rayonnant : tout faux, à nouveau ! 

Bon, on met la viande à reposer. Là, je comprends, même si ce n'est guère précis : combien de temps ? 

Les auteurs enchaînent en parlant à nouveau des sucs "emprisonnés et refoulés", dont nous avons vu qu'ils n'existent pas. La seule chose qui soit juste, c'est que les jus aient été évaporés dans la partie superficielle, mais pas dans la partie interne, et que la partie interne soit restée quasi crue, alors que la partie superficielle est "cuite" (coagulée).
Oui, les zones périphériques étaient contractées, comme dit plus haut, et oui, elles se détendent, de sorte qu'elles peuvent aspirer des jus du coeur.
Et comme, de plus, les fluides migrent souvent, en moyenne, des zones où ils sont abondants vers les zones sèches, les jus du coeur peuvent migrer vers l'extérieur, quand la viande se détend. 

Le mot "insinuer" est connoté, mais passons, et la question de la couleur pourrait être discutée, mais la faute est mineure. 

En revanche, quand la viande se détend, il n'y a pas ce perlage dont on nous parle : celui-ci se fait dans la première phase, et pas ensuite. 


Bref, c'est du charabia. Pourquoi un cuisinier qui n'est ni physicien ni chimiste, et l'auteur du livre (celle qui a tenu la plume), qui n'avait pas non plus les connaissances nécessaires, se sont-ils laissés aller à dire n'importe quoi ? Leur nom est entaché à jamais, en quelque sorte.

mardi 12 septembre 2023

Les gonflements en cuisine

Naguère les livres de cuisine indiquaient que c'était l'oeuf qui faisait « souffler ». Il aurait fait souffler les soufflés, les choux, les petits choux, les cannelés, les quiches, etc. 

 

Toutefois le physico-chimiste a de quoi s'étonner : pourquoi donc les œufs auraient-ils eu cette vertu soufflante ? 

 

Le blanc d'oeuf, c'est 90 pour cent d'eau et 10 pour cent de protéines. Si le blanc fait souffler, c'est soit en vertu de son eau, soit en vertu de ses protéines, soit en vertu d'une combinaison des deux. Pourtant l'expérience est simple : l'ajout de protéines à une préparation culinaire, ne produit pas de gonflement ; en revanche, avec de l'eau, la préparation gonfle... si elle est chauffée par le bas. En effet, l'eau qui s'évapore fait bien plus de volume de vapeur que le liquide initial (environ un gramme d'eau fait un litre de vapeur). 

Et c'est ainsi que l'on ne voit pas les soufflés gonfler si on les chauffe par le grill du four, par le dessus, alors qu'ils se développent considérablement si on pose le ramequin sur la « sole » du four, en bas. La vapeur formée au fond du ramequin pousse le soufflé vers le haut, et l'on voit le soufflé gonfler. Il y avait donc bien lieu de rénover l'enseignement culinaire, en balayant toutes les scories de son développement, dans les décennies précédentes. 

Ce fut la réforme du CAP, réforme qu'il faut poursuivre aujourd’hui, tant il est vrai que les idées fausses ne meurent jamais, mais que ceux qui les soutiennent finissent pas disparaître (partir en retraite, mourir, se désintéresser de le question). 

Progressivement, en nous fondant sur des expérience répétables, que les professeurs produiront devant leur élèves, on arrivera à des théories plus justes de la technique culinaire. 

 

La conclusion est qu'il semble bien essentiel de poursuivre les expériences, et d'encourager les enseignants à en faire avec leurs élèves, dans les établissements d'enseignements de la cuisine.

mardi 18 octobre 2022

Les scientifiques sont payés pour réfuter les théories anciennes et en produire de nouvelles

 
À quoi bon payer des scientifiques ? Essayons honnêtement de répondre à cette question au balayant d'un revers de main les déclarations honteuses d'un ancien président de la République qui disait préférer des trouveurs à des chercheurs.
 
D'ailleurs, cet homme, qui maniait plus l'idéologie que la vérité,  utilisait le mot "chercheur", qui correspond mal à ce qu'il voulait désigner.
En effet, un chercheur, c'est quelqu'un qui cherche : il peut y avoir des chercheurs tout aussi bien dans le milieu industriel que dans le milieu artistique. Un ingénieur qui fait autre chose que la coordination, qui se préoccupe de technologie est un chercheur. Un artiste qui veut faire autre chose que reproduire est également un chercheur. Et un historien, à géographe qui font des travaux de recherche sont des chercheurs.

Ce ne sont pas des scientifiques au sens des sciences de la nature :  physique, chimie, et cetera. Ces scientifiques-là, quelle est leur mission ? pourquoi l'État les paye t-il ?

La mission principale d'un scientifique, c'est la recherche scientifique, c'est-à-dire l'exploration des mécanismes des phénomènes.
Ces explorations conduisent à des théories, mais on n'a pas assez dit que les scientifiques sont moins intéressés par produire des théories que par réfuter des théories anciennes, en vue d'en installer de nouvelles... dont ils savent que ces nouvelles théories  restent insuffisantes, et qu'il faudra continuer à les améliorer.
Bien sûr, il y a aussi la mission de découverte :  identifier dans le monde des objets que l'on ne connaissait pas.

Au fond, ces deux missions sont absolument parallèles :  les découvertes se font alors que l'on teste les théories ; c'est parce que l'on voit des particularités du monde échapper aux théories anciennes que l'on peut identifier les pistes d'amélioration.

Bien sûr, derrière tout cela, il y a des possibilités de transfert technique, par la technologie : celle-ci doit être au fait des dernières découvertes scientifiques pour aller améliorer la technique.
Mais les scientifiques, doivent rester dans le rôle d'exploration des théories, de découverte de particularités du monde.

Albert Einstein disait : lever un coin du grand voile.


samedi 18 décembre 2021

L'impossible théorique et l'impossible pratique



La considération de l'existence des molécules nous permet d'imaginer des choses quasi impossibles :  pas impossibles en théorie, mais impossibles en pratique.

Je m'explique en considérant un cristal de sel posé sur une table.

Un tel cristal est un empilement régulier, dans les trois directions de l'espace, d'atomes alternés de sodium ou de chlore.  Pensons à de petits cubes empilés... mais qui vibrent, dans les trois directions de l'espace.

On entend parfois parler d' "ions" pour un tel cristal, mais débarrassons-nous pour l'instant de cette notion : c'est seulement que les atomes de chlore et de sodium se sont échangés des particules nommées "électrons", et le fait qu'un électron de chaque atome de sodium ait été donné, que chaque atome de chlore ait capté un tel électron, rend les atomes électriquement chargés, de sorte qu'ils s'attirent mutuellement : c'est cela qui donne la cohésion au cristal de sel, qui le rend dur.

Mais revenons à notre cristal, avec les atomes dans des positions fixes, aux noeuds d'un réseau. Les atomes vibrent, avons-nous dit, autour de leur position moyenne : cela signifie que, à un moment donné, certains sont décalés vers le haut, ou vers le bas, ou vers la gauche, ou vers la droite, ou vers l'avant, ou vers l'arrière.

Considérons seulement le mouvement vers le haut ou vers le bas, car on pourrait faire le même raisonnement pour les autres directions. A un moment donné, il y a une chance sur deux qu'un atome particulier aille vers le haut, et une chance sur deux qu'il aille vers le bas. Pour deux atomes, il y a quatre possibilités : les deux atomes vont vers le haut, ou les deux atomes vont vers le bas, ou bien un atome va vers le bas tandis que l'autre va vers le bas, et encore le dernier cas, avec le premier atome vers le bas tandis que l'autre va vers le haut.

Imaginons que le cristal soit fait seulement de deux atomes : avec les deux atomes qui vont vers le haut, ce serait le cristal tout entier qui irait vers le haut, qui se soulèverait de la table.

Et, en supposant un changement de direction toutes les secondes, on aurait un soulèvement toutes les quatre secondes.

Mais le cristal n'est pas fait de seulement deux atomes, mais d'un nombre considérable : environ 10 milliards  de milliards. Et la probabilité que plus d'atomes soient vers le haut que vers le bas serait considérablement diminuée, d'autant que les changements ne sont pas toutes les secondes, mais bien plus rapidement.

Bref, on voit que, en théorie, le cristal peut se soulever spontanément, sans miracle, mais que, en pratique, nous ne le verrons jamais faire ce qui serait considéré comme miraculeux.


samedi 17 juillet 2021

L'intérêt de la théorie



"De la théorie"... L'expression est parfois péjorative, alors que ce sont bien les considérations théoriques qui permettent au praticien de progresser !

A ce propos, je me souviens des revendications d'élèves d'AgroParisTech, qui disaient qu'ils auraient préféré que leurs études soient des stages, puisque c'est là -disaient-ils- qu'ils apprenaient le plus.
Pour répondre métaphoriquement à ce propos, je propose de considérer la confection de sablés : j'espère que l'on me pardonnera d'être si prosaïque, en considérant que je sais au moins ce dont je parle.

Bref, restons au niveau pratique, et cherchons à faire des sablés. On trouve mille recettes, et d'autant plus que n'importe qui, aujourd'hui, fait un site et y met son "savoir". En matière de cuisine, il y a donc de tout, des amateurs, des étudiants qui valorisent des travaux, des professionnels, des institutions... Et finalement, on est bien perdu... d'autant que le nombre d'erreurs est considérable. A ce propos, on reviendra vers mon analyse des pâtes à foncer pour bien voir combien la cacophonie est assourdissante, avec des manuels... qui ne méritent pas d'être préconisés pour l'enseignement tant ils sont erronés.

Si l'on reste au niveau pratique, comment séparer le bon grain de l'ivraie ? L'expérience ? On ne pourra en faire que quelques unes, alors que la diversité des paramètres est considérable : la quantité de farine, la quantité de beurre, la quantité de sucre, la quantité d'oeuf, l'ordre d'incorporation des ingrédients, leur température, leur qualité, leur emploi, leur travail, leur cuisson... Manifestement, il y a trop de possibilités pour que les praticiens puissent s'y retrouver... sans théorie !

Or, en l'occurrence, les idées théoriques sont simples :
- de l'eau ajoutée à de la farine permet de ponter les protéines et de faire un réseau visco-élastique de "gluten"
- l'oeuf coagule à la chaleur
- le sucre permet de capter l'eau, jusqu'à défaire le réseau de gluten
- le sucre chauffé caramélise, brunit, prend du goût
- le beurre chauffé brunit (pensons au beurre noisette), parce que les protéines sont dégradées
- et quelques autres.

Muni de ce bagage théorique, on comprend que le travail de la farine avec l'eau, ou l'oeuf (puisque le blanc, c'est 90 pour cent d'eau, et le jaune 50 pour cent) produit ce réseau de gluten qui donne de la fermeté. Inversement, le travail de la farine avec le beurre permet d'éviter la formation de ce réseau, d'où une friabilité supérieure. On comprend que l'ajout de sucre contribue à la friabilité. Et l'on comprend que le chauffage peut donner du goût.

Bref, la théorie donne des possibilités d'actions rationnelles, qui, non seulement, permettent de faire le tri dans les prétentions des praticiens, mais, de surcroît, conduisent à des possibilités de choix.

Il en va de même pour les travaux de l'ingénieur. Certes,  on pourrait se limiter à savoir utiliser un appareil d'analyse (spectroscopies UV-visible, infrarouge, de résonance magnétique nucléaire, chromatographies...), mais la capacité théorique permettra de faire meilleur usage de ces équipements. Ou encore, oui, on peut savoir confectionner une émulsion, en suivant un protocole, mais la connaissance des composés tensioactifs particuliers, des effets de stabilisation ou de déstabilisation (coalescence, déplétion...) permet de mieux faire, de gérer les cas difficiles, de mieux doser.

Au fond, il y a souvent, dans ces questions, à distinguer le conducteur de voiture et le mécanicien. On peut conduire... jusqu'à ce que la voiture tombe en panne, et, là, le mécanicien - celui qui a les connaissances "théoriques", en quelque sorte, s'impose !

dimanche 18 avril 2021

Prévisions culinaires

 Que peut-il bien se passer... 


Nous sommes bien d'accord : avant d'avoir fait une expérience, on n'a que des hypothèses. Et ceux qui comprennent bien le mécanisme de la recherche scientifique savent combien un scientifique est plus intéressé de voir ses prévision réfutées que confirmées.
Pour autant, la science produit quand même des théories extraordinairement précises, et c'est pourquoi il y a peu de doute dans les suivantes :

1. Que se passe-t-il quand on met un échaudé (pensons gnochi, par exemple) au four ?
Un échaudé, cela peut être de la farine et de l'oeuf, possiblement additionnés de matière grasse (beurre), de fromage, etc., que l'on fait tomber dans de l'eau bouillante : l'oeuf coagule, et le "pochage" produit donc une "poche", à savoir une couche externe coagulée, qui enferme le reste de la préparation, laquelle peut aussi coaguler ; la farine s'empèse.
Au four après le passage à l'eau bouillante ? La partie externe séchera, et l'on aura le même produit, mais avec une croûte externe. Possiblement un soufflage, et, donc des fissurations.

2. Un échaudé que l'on frit ?
Il y a deux cas : la pâte à échaudé que l'on frit, sans avoir échaudé (et le nom est donc erroné), ou bien l'échaudé qui a été formé et que l'on frit.
Dans le second cas, on aura le même résultat que ci dessus, mais, avec une pâte à échaudé que l'on frit, ce sera... un beignet, n'est-ce pas ? De sorte que la "pâte à échaudé" peut être plus justement nommée pâte à beignet ;-)

3. Peut-on frire une pâte ?
Observons qu'une cuillerée de farine dans de l'huile chaude ne fait rien de bien : les grains de farine ne sont pas solidarisés, et pourquoi le seraient-ils ?
Inversement, si l'on a déjà une structure, et notamment une structure empesée, alors le séchage de la couche externe fait une croûte dure, qui maintient la structure. Evidemment, si la préparation contient de l'oeuf cru, alors la cuisson de l'oeuf ajoute sa solidité à celle de la préparation... à condition bien sûr que l'oeuf soit initialement cru, et non cuit sans former un gel, comme dans une crème anglaise.
Mais on n'oubliera pas, aussi, le phénomène de capillarité qui fera venir l'huile à coeur, s'il y a des a porosités : rien de pire qu'un beignet mal fait, gorgé d'huile de friture, n'est-ce pas ?
Une pâte à tarte ? On peut faire des rissoles. Une pâte à choux ? Au fond, elle s'apparente à une pâte à beignets, sauf que la farine est déjà empesée. Un pâte à génoise ? Cette fois, attention à la porosité. Et ainsi de suite.

vendredi 5 mars 2021

Comment réussir un soufflé

 Comment réussir un soufflé

La question de la réussite des soufflés est aujourd'hui posée dans la culinosphère,  et l'on se reportera sans hésiter au travaux de la gastronomie moléculaire.
En effet, les souffléss sont les préparations que j'ai commencé à explorer dans les années 1980 et pour lesquelles j'ai fait mes premières découvertes.

Tout tient en trois points

Pour réussir des soufflés, l'essentiel est de :  
1. battre les blancs en neige très ferme
2.  passer le soufflé sous le grill avant la cuisson afin d'avoir une surface non seulement d'un joli aspect mais qui de surcroît retient les bulles de vapeur et augmente le gonflement
3. troisièmement, et c'est là le plus important, chauffer le soufflé par le fond, par exemple en plaçant le ramequin sur la sole du four, sa partie  inférieur, et en chauffant le four par le fond seulement si l'on peut.

Avec ça, le soufflet gonfle sans aucune difficulté, mais pourquoi  ?

Pour comprendre pourquoi les soufflés gonflent, il faut abandonner l'idée fausse de naguère, selon laquelle les soufflés auraient gonflé en raison d'une dilatation des bulles d'air à la chaleur. La preuve que c'est faux, c'est que, au séminaire de gastronomie moléculaire, j'ai montré des soufflés qui gonflaient parfaitement avec des blancs d'oeufs qui n'avaient pas été battus !
Non, en réalité, j'ai découvert que les soufflés gonflent parce que l'eau de l'appareil s'évapore. Un ordre de grandeur : un soufflé de 100 grammes perd 10 grammes à la cuisson, ce qui correspond à 10 litres de vapeur ! De quoi faire largement gonfler les soufflés, non ?
Et c'est évidemment au fond que la vapeur doit se former : elle pousse alors les couches du soufflé vers le haut.
La fermeté des blancs ? Les blancs fermes retiennent mieux les bulles de vapeur. Le passage sous le grill ? Il donne un joli aspect, en même temps qu'il retient des bulles.

Après, il y a bien des détails : la préparation du moule, la convection éventuelle, la température, la durée... Mais ce sont des détails.




mercredi 10 février 2021

Oublions définitivement ces idées fautives de "concentration" et d' "expansion"... pour les légumes comme pour les viandes ou les poissons !



Oui, décidément oui, la "théorie culinaire" doit être révisée, quand elle est fautive. Ce matin, j'ai le bonheur de recevoir un premier message, qui me permet de donner à tous nombre de commentaires... qui permettront de réfuter une fois de plus cette classification tout à fait fautive qui parlait de "concentration" quand il n'y en a pas, et d' "expansion" quand il n'y en a pas non plus.

Je pose en préalable que les mots ont un sens défini par le dictionnaire, et non pas par nos envies individuelles. Et pour ceux qui ont besoin d'un bon dictionnaire, je recommande absolument https://www.cnrtl.fr/. J’ajoute que, pour de la transmission (ce qui prend parfois la forme d’ « enseignements »), cette question de l’inter-compréhension est évidemment essentielle : non seulement nous devons parler justement, mais, de surcroît, nous devons nous assurer que nos interlocuteurs nous comprennent bien, alors même que leur capacité à comprendre bien les mots n’est peut-être pas de beaucoup supérieure à la nôtre ( ;-) : on comprend que, même pour un sujet aussi sérieux que celui que je traite aujourd’hui, je reste souriant).



Voici donc, d'abord, le message général, que je vais reprendre ensuite, ligne à ligne, phrase à phrase, mot à mot :


Vous avez contribué, il me semble, à remettre en cause la classification traditionnelle des modes de cuisson : concentration/expansion/mixte. En effet cette classification ne marche pas pour une cuisine à base de viande.

Mais pour la cuisine végétale, celle-ci ne garde-t-elle pas encore toute sa pertinence

Je n’ai en tout cas pas encore trouvé d’affirmations qui montre que cette classification ne marche pas pour le végétal. Mon choix de garder cette classification pour une cuisine à base d'ingrédients végétaux se base sur le fait que :

Cuisson par concentration

o La cuisson d'un aliment dans un milieu sec (rôtir, sauter, deshydrater…) concentre les goûts et certains parfums par évaporation de son eau de constitution.

o Durant une friture l’aliment aqueux va « se fermer » au contact de l’huile chaude et il va se colorer.

o Jeter un aliment dans de l’eau chaude à tendance à le saisir et à le fermer et à ainsi freiner la sortie de ses composés chimiques. Bien sûr dans la cadre d’une cuisson rapide.

Cuisson par expansion

o La cuisson longue d’un aliment dans un liquide fait sortir ses composés chimiques dans ce liquide.

o La cuisson du froid vers le chaud (pocher départ à froid) favorise la sortie les composés chimiques des aliments.



Et voici mes commentaires :


Pour ces commentaires, quelques indications préalables :

- je ne cherche pas à "dénoncer" quiconque, mais à diffuser de l'information juste : oui, me rendre un peu utile, aider mes amis...

- j'ai des dizaines, voire des centaines de publications scientifiques pour valider ce que j'avance : mais on comprendra que je ne les cite pas, que je ne les joins pas ici, sans quoi le texte deviendrait très indigeste ;

- je ne touche pas un centime à propos de ces questions, de sorte que je n'ai aucun "intérêt" à ne pas dire la plus stricte vérité : pas de conflit d’intérêts, pas d’intérêts… sauf peut-être les mêmes que ceux des philosophes des Lumières, car on sait mon admiration pour Denis Diderot ;

- en revanche, je reste un enfant très en colère contre certains professeurs qui ne se remettaient pas en question, ou contre ceux qui transmettent sans vouloir changer leurs pratiques quand elles sont mauvaises… et très reconnaissants envers les professeurs qui ont su se remettre en question (l'on voit que j'apprécie d'être questionné par mon interlocuteur dont je conserve l'anonymat), qui ont travaillé pour défricher le chemin de connaissance sur lequel je marchais. Oui, il y a une vraie belle responsabilité des professeurs !



1. "Vous avez contribué, il me semble, à remettre en cause la classification traditionnelle des modes de cuisson : concentration/expansion/mixte."


Oui, effectivement, j'ai combattu de toutes mes forces la théorie fautive des cuissons qui étaient dites « par concentration », « par expansion » ou « mixtes », précisément parce que cette théorie était très fautive et qu’il me semblait tout à fait déplacé de l'enseigner depuis des décennies. Quelle honte de l'avoir transmise à des jeunes ! Quelle paresse de l'avoir acceptée sans esprit critique !

Mais qu'importe, l'affaire est faite : grâce au soutien de l'inspection générale de l'Education nationale, grâce au soutien du ministre, nous avons réussi à changer les référentiels du CAP du BEP, après un passage par la Commission paritaire. Cela a pris plusieurs années, mais c'est fait : quel bonheur !



Pour expliquer la chose à ceux qui ne sont pas au courant, disons d'abord que l'on parlait (fautivement, donc) de "cuisson par concentration" pour évoquer les cuissons de type rôtissage au four. Et certains ajoutaient même que "les jus se réfugiaient à coeur".


Pourtant, il n’est pas possible que le jus migrent vers l’intérieur de la viande, parce qu’il n’y a pas de place pour cela. Une viande, c'est de l'eau prise dans la structure fibrillée de la viande. Où les jus (de l'eau, essentiellement) seraient-ils allés ? D’autant que l’eau est incompressible : la meilleure indication de ce fait, c’est que les garagistes parviennent à lever des voitures avec leur vérins hydrauliques, ce que l’on apprend dans les cours de physique du Collège, à condition de les suivre, bien sûr


D'autres disaient que les goûts se concentraient... mais ce n'est pas vrai : dans les rôtissages, les composés odorants ou sapides (et autres) qui sont formés par des transformations moléculaires (que certains nomment des « réactions chimiques ») sont à l'extérieur, cet extérieur brun qui est atteint par la forte chaleur du four (à l'intérieur des viandes ainsi cuites, la température est partout inférieure à 100 °C).


Enfin, pour mettre l’estocade finale à cette théorie fautive, il suffit de peser une viande que l'on rôtit : elle perd jusqu’à un tiers de sa masse (plus de 300 grammes pour un kilogramme initial)… parce qu’elle se contracte. Si l'on était de très mauvaise foi, on pourrait dire, vu que les jus sont exclus de la masse par la contraction du tissu collagénique, que la viande se concentre en viande... mais on verra plus loin que cela n'est pas une caractéristique du rôtissage et des autres types de cuisson qui étaient fautivement désignés par « concentration »... puisque l'on mesure la même contraction dans un pot-au-feu ;-)


J’y pense : avez-vous déjà regardé ce que signifie le mot « concentration » ?

La même théorie fautive faisait état de l’également fautive dénomination de "cuisson par expansion", pour les cuissons de type pot-au-feu.

Et là encore, c'était une erreur... puisque la viande se contracte quand on la chauffe, dans l’eau comme dans un four ! Et, comme précédemment, c’est le « collagène » qui fait cette contraction, laquelle presse la viande comme si l’on pressait une éponge, ce qui fait sortir les « jus ».

On le voit, donc, il n'y a pas d' « expansion » (de la viande), mais une sortir de certains composés en phase aqueuse, qui correspond à cette même expulsion des jus par la viande que la chaleur contracte.


D'ailleurs, dans un pot-au-feu, il n'y a pas seulement une contraction de la viande et une expulsion des jus : dans le bouillon, il y a des réactions, tout comme dans le fond du plat de cuisson au four (ce qui fait le résidu brun que l'on déglace parfois). J'ajoute que ces réactions ne sont pas les mêmes pour la viande rôtie et dans le bouillon, ce qui est évident quand on compare, à la dégustation, une viande bouillie et une viande rôtie... et j'ajoute que je propose que l'on considère qu'il y a nombre de réactions pour expliquer ce brunissement :

- des réactions de glycation (oubliez s'il vous plaît la terminologie « réactions de Maillard » qui est bien trop souvent enseignée de façon erronée)

- des déshydratations intramoléculaires des hexoses

- des thermolyses et pyrolyses variées.


Bref, s'il n'y a pas de concentration de quoi que ce soit dans les cuissons au four, dans les rôtissages, et s'il n'y a pas d'expansion dans la cuisson des viandes quand on fait un pot-au-feu, par exemple, alors, il n'y a rien de mixte, et toute cette théorie entièrement fantasmagorique doit être oubliée... et elle l'est, puisque l'Education nationale y a merveilleusement mis bon ordre. Ce qui appelle deux commentaires :

1. la France est pionnière de ce point de vue

2. si un professeur continuait (pourquoi, au fond ?) à l'enseigner ou à le faire dire à un examen ou à un concours, il pourrait être attaqué, et l’examen ou le concours annulé.



Cela, c’était pour les viandes, mais nous allons voir que, pour les légumes aussi, ces théories sont fausses, et d'ailleurs, elles n'ont jamais été établies par personne... puisque l'on serait bien incapable de les établir, étant donné qu'elles sont fausses.

Mais avant de passer à cela, j'ajoute -bien plus positivement- que l'on a recommandé, pour ceux qui veulent faire des catégories (mais faut-il vraiment en faire ?), de parler de cuissons avec brunissement ou sans brunissement.




2 "En effet cette classification ne marche pas pour une cuisine à base de viande."


Il ne s'agit pas qu'une théorie "marche" ou qu'elle ne marche pas... et d'ailleurs une théorie ne marche jamais, puisqu'elle n'a pas de jambes.

Une théorie décrit correctement ou non les phénomènes, et, dans le cas des viandes, notamment, elle ne les décrit pas du tout.




3. "Mais pour la cuisine végétale, celle-ci ne garde-t-elle pas encore toute sa pertinence ?"


Commençons par observer que l'expression "cuisine végétale" est fautive : cuisiner des végétaux, ce n'est pas faire une "cuisine végétale" (c'est ce que l’on nomme la faute du partitif, en français).

Mais surtout, non, désolé, mais la théorie de la concentration et de l'expansion (dont je rappelle qu'on ne sait pas d'où elle sort, puisque personne ne l'a établie, ce qui aurait été impossible) n'a aucune pertinence, ni pour les viandes, ni pour les végétaux, comme on va le voir plus loin.

Et évidemment, je ne connais aucune publication scientifique qui montrerait que cette classification s'appliquerait aux ingrédients culinaires végétaux… puisqu’elle ne s’applique pas.




4. "Mon choix de garder cette classification pour une cuisine à base d'ingrédients végétaux se base sur le fait que :"


Je répète que, moi qui fait mes études bibliographiques tous les matins, je n'ai encore trouvé aucune indication que la classification fautive qui a été abandonnée pour les viandes puisse s'appliquer végétaux.

Et pourtant, je cherche : je passe mes journées à cela !


J'ajoute que "se baser sur" est un anglicisme, à prohiber, donc, devant des élèves.


Et je pose à nouveau la question : faut-il vraiment une classification, pour évoquer un nombre de procédés de cuisson qui tient sur les doigts des deux mains ? Et en quoi une telle classification aidera-t-elle les élèves ?

Et si l'on veut une classification, alors je recommande celle que j'ai évoquée dans mon livre "Casseroles et éprouvettes", ou dans "Mon histoire de cuisine". Elle est toute simple (et juste), puisqu’elle considère la manière dont on transmet la chaleur à l’aliment, viande ou légume.


Mais surtout, pourquoi conserver cette théorie, si elle est douteuse ? Quelle indication pourrait nous la faire conserver ?

Le fait qu’on nous l’a enseignée ? Ne répétons surtout pas les erreurs de nos prédécesseurs : nos élèves seraient en droit de nous le reprocher.

J'entends bien que mon interlocuteur va énoncer des "faits"... mais a-t-il fait des mesures ? des analyses ? des observations au microscope ? Non, non et non. Donc il ne devrait certainement pas adhérer à une idée qui traîne... d'autant qu'elle est ancienne et que, en science comme en médecine, ce qui est ancien est périmé, et pas emprunt d'une grande sagesse : nos anciens n'avaient aucune des bases intellectuelles que nous avons aujourd'hui. Ils ignoraient l’existence des protéines, de la structure de la viande, des réactions de glycation, ils avaient des idées fausses à la pelle, que nous réfutons expérimentalement une à une depuis vingt ans dans les Séminaires de gastronomie moléculaire. N’ai-je pas vu des chefs triplement étoilés qui écrivaient que l’on pouvait atteindre 130 °C dans une casserole avec un couvercle ? Ou que le fait masser une viande avec du beurre aurait fait entrer le beurre dans la viande ? Ou que des bouchons de liège auraient attendri les poulpes ? Ou que les mayonnaises rateraient si les jaunes et l’huile n’étaient pas à la même température ? Ou que l’on cesserait de pleurer en épluchant des oignons si l’on mordait une cuiller en bois ?

Et, pour revenir aux « anciens », n’oublions pas trop vite qu’ils s'éclairaient à la bougie, mouraient quand des micro-organismes pathogènes les attaquaient, que les femmes mouraient en couches d'infections, et les enfants n’atteignaient pas souvent l’âge adulte, que l’on vivait dans des espaces sans autre chauffage que du feu de bois... Ce n'est pas un monde que j'envie !




5. "Cuisson par concentration"


Ah, débarrassons-nous vite de cette expression détestable ! Vite ! Pour les légumes comme pour les viandes !




6. "o La cuisson d'un aliment dans un milieu sec (rôtir, sauter, deshydrater…) concentre les goûts et certains parfums par évaporation de son eau de constitution."



Mon interlocuteur écrit que la cuisson dans un milieu sec concentrerait les goûts. Mais que veut-il dire par "concentrer les goûts" ?

Veut-il dire que les goûts sont plus puissants ? D'ailleurs est-ce quelque chose qu'il a mesuré ? Il faut surtout observer que le goût change : une carotte revenue, brunie par le caramel qui s’est formé par réaction de ses sucres (glucose, fructose, saccharose) a plus de goût de caramel à l’extérieur, et moins de goût de caramel à l’intérieur, mais elle a évidemment plus de goût (faible!) de carotte à l’intérieur qu’ à l’extérieur. .


Cela étant établi, il faut questionner les mots "goûts" et "parfums".


Un goût, c'est la sensation qui résulte de très nombreuses perceptions :

- les saveurs (et il y a plus que quatre saveurs, car la théorie ancienne, à nouveau, est tout à faire erronée!)

- les odeurs (perçues quand des molécules odorantes passent dans le nez, quand on met l’aliment en bouche, puis à nouveau perçues quand on mastique l’aliment, ce qui libère les molécules odorantes au rythme de la mastication, leur permettant de passer de la bouche au nez par les fosses rétronasales, en arrière de la bouche)

- des perceptions "trigéminales" (les piquants, les frais...)

- des perceptions des acides gras insaturés à longue chaîne (découvertes par des physiologistes de Dijon il y a une vingtaine d’années)

- des perceptions des ions calcium

- la température

- la consistance

- et ainsi de suite.


Oui, le goût change quand on cuit... mais que signifie "concentrer les goûts" ? Imaginons que la saveur soit réduite et l'odeur augmentée (cela m'arrache la bouche de parler ainsi, mais c'est pour expliquer) : le « goût » serait-il « concentré » ?

Et entre une carotte crue ou une carotte rôtie : le goût de carotte crue est moindre, dans la carotte rôtie... Alors, quel goût est « concentré » ?


Le mot « parfum », maintenant. C’est une appréciation « agréable », donc qui n’a rien à faire ici, puisque le bon des uns n’est pas le bon des autres. Parlons éventuellement d’odeur… qui ne se concentre pas. Et évitons de parler d'arôme, puisque l'arôme est l'odeur d'un aromate, ce que ne sont pas un poireau, un artichaut ou une pomme de terre. Il y a des odeurs (anténasales) et des odeurs rétronasales.


D'autre part, si mon interlocuteur avait disposé de moyens de mesure, il aurait observé qu'il y a des goûts qui disparaissent, et des goûts qui apparaissent.

Par exemple (un parmi mille !), une étude a bien établi que certains composés importants pour le goût de tomate disparaissent entièrement lors de la production de concentrés de tomate, en même temps que l'eau. Est-ce une "concentration", cela ?


Et puis, mettons simplement notre nez au dessus d'un plat de carottes que l'on fait sauter : oui, il y a des "jus" qui sont éliminés, notamment de l'eau avec les trois sucres principaux des végétaux que sont D-glucose, D-fructose et saccharose (et ces sucres caramélisent : j'utilise le mot dans une acception parfaitement juste, dans ce cas tout particulier), mais il y a aussi des composés odorants, des composés à action trigéminale, etc.


D'ailleurs, ce cas est intéressant, puisqu'il me permet d'ajouter que la « bioaccessibilité » de certains composés est modifiée : par exemple, le carotène bêta est plus assimilable, plus "libre", dans une carotte cuite que dans une carotte crue... et cela n'a rien à voir avec les jus, mais seulement avec la modification de la consistance.


J'ajoute à ce propos que la cuisson des tissus végétaux amollit ces derniers (parfois) en modifiant les pectines, ce qui forme de nouveaux composés, qui ont « du goût » : les pectines sont des polysaccharides, et des sucres sont libérés.


Tout cela étant dit, mon interlocuteur me donne aussi la possibilité d'évoquer le phénomène nommé « entraînement à la vapeur d'eau », avec lequel les sociétés de parfumerie extraient des composés odorants des matières végétales. Pour ne pas me répéter, je renvoie à mon livre Mon histoire de cuisine, où j'ai expliqué la chose en détail.


Oui, une partie de l'eau des légumes est évaporée quand les légumes sont chauffés... mais, cette fois, pas de contraction, puisqu'il n'y a pas de tissu collagénique. Seulement l'eau des cellules (je rappelle qu'un tissu végétal est fait de petits « sacs vivants » agrégés, les « cellules ») qui s'évapore des zones où la température est supérieure à 100 °C. D'où la formation d'une croûte... qui a une couleur et un goût qui résulte des transformations moléculaires associées à cette formation de croûte.


J'insiste : dans les cuisson, il y a les composés qui restent, les composés qui partent, et les composés qui se forment. Il serait simpliste de raisonner seulement en terme des deux premières catégories... puisque les composés nouvellement formés sont essentiels, surtout dans les cuissons avec brunissement.




7. "o Durant une friture l’aliment aqueux va se fermer au contact de l’huile chaude et il va se colorer."


Un « aliment aqueux » ? Qu'est-ce que cela signifie ? Les aliments ne sont pas « aqueux », mais ils renferment de l'eau. J'insiste un peu sur la correction du langage, surtout dans l'enseignement : si nous voulons nous faire comprendre des apprenants, ne nommons pas « chien » un animal qui fait « miaou ».


D'autre part, une information : les tissus végétaux, comme les tissus animaux, sont tous faits de beaucoup d'eau... puisqu'ils sont faits de cellules, et que ces dernières sont pleines d'eau.


Posons donc la question plus justement : un tissu végétal se « fermerait »-il au contact de l'huile chaude ? Et là, notre interlocuteur le dit... mais j'aimerais bien qu'il puisse en apporter la preuve... parce que cela n'est sans doute pas vrai !

Ce que je sais, moi, c'est qu'un tissu végétal est fait de cellules groupées en différentes zones. Par exemple, pour la carotte, une rondelle est faite d'une partie corticale (autour), d'un parenchyme, d'un cambium, d'un coeur. Pour certaines zones, les cellules sont simplement agrégées, mais pour d'autres zones, il y a des « canaux » qui montent la sève brute (principalement de l'eau et des ions minéraux) et d'autres qui descendent la sève élaborée (de l'eau, des sucres, des acides aminés). Ces canaux ont pour nom xylème et phloème.


Pour les carottes, les canaux sont ouverts, quand on coupe des rondelles, et pour les « feuilles », il y a aussi des stomates. Mais ces ouvertures se ferment-elles ? Je n’en ai aucune indication.

Et puis, le fait que l'on récupère un caramel ou un corps gras qui a beaucoup de goût quand on sue des légumes montre que des échanges se font. S'il y a « fermeture », il n'y a en tout cas pas d'étanchéité... d'autant que, si l'on met un échantillon de tissu végétal dans une friture, on voit des bulles : c'est de l'eau, sous forme de vapeur, qui traverse la surface : rien d'étanche, donc.


Pour la coloration, enfin, c'est une réaction qu'il a rien à voir avec les canaux ; elle se fait partout et la surface et non pas seulement à l'endroit des canaux.




8. "o Jeter un aliment dans de l’eau chaude à tendance à le saisir et à le fermer et à ainsi freiner la sortie de ses composés chimiques. Bien sûr dans la cadre d’une cuisson rapide."


Mon interlocuteur nous dit que jeter un aliment dans l'eau chaude a tendance à le « saisir »... mais, au fait, à quoi voit-il cela ? A quoi correspond ce prétendu saisissement ? J'aimerais bien qu'il me le dise, parce que je n'ai rien vu de tel.

Il nous répète que cela « ferme » l'aliment, mais quelle preuve a-t-il ? Quant aux « bien sûr », j’aurais tendance à être prudent, non ?


« Freiner » la sortie de ses composés chimiques : là, le mot « freiner » devrait être remplacé par « ralentir », mais passons sur ce détail. Ce qui m'arrête surtout, ici, c'est « composés chimiques ». Un composé est un composé, et il n'est « chimique » que s'il est étudié par un chimiste. Donc pas de composés chimiques (ne pas confondre avec « composé de synthèse », ni avec « composé artificiel ») dans les tissus végétaux : seulement de l'eau, des pectines, des celluloses, des hémicelluloses, des sucres, des acides aminés, des protéines, des lipides, etc. De quels composés notre interlocuteur parle-t-il ?


Et puis, comment peut-il affirmer que jeter un aliment dans l'eau chaude ralentirait la sortie de composés ? Et puis, ralentir par rapport à quoi ?

De toute façon, au contraire l'eau chaude favorise la sortie des composés qui peuvent sortir : sucres, acides aminés, etc. Nous avons eu, dans mon groupe de recherche, une thèse qui explore précisément cela, et j'invite chacun à comparer les sorties de sucres aux différentes températures. D'ailleurs, on sait bien que les extractions se font mieux à chaud qu'à froid. Tiens, essayez donc de préparer du thé à l’eau froide, et vous verrez.


D'autant que, à chaud, les parois végétales (celluloses, pectines, hémicelluloses) sont dégradées, comme je l’ai indiqué plus haut.




9. "Cuisson par expansion"


Allons, oublions maintenant cette terminologie ! La carotte ne s'expand pas, quand on la cuit, et, d'ailleurs, sa masse ne change pas notablement.

Et si l'on parle des composés extraits, ce n'est pas une expansion, mais une extraction.




10. "o La cuisson longue d’un aliment dans un liquide fait sortir ses composés chimiques dans ce liquide."


Il y a maintenant une « cuisson longue » : oui, plus on cuit longuement, plus on extrait : voir la thèse sur le bouillon de carotte dont j'ai parlé précédemment.


Mais à nouveau : ne parlons pas de composés chimiques, mais seulement de composés.




11. "o La cuisson du froid vers le chaud (pocher départ à froid) favorise la sortie les composés chimiques des aliments."


Une « cuisson du froid vers le chaud » ? Notre interlocuteur veut sans doute parler de cuisson dans l'eau avec départ à froid ?


Observons d'ailleurs qu'une telle cuisson n'est pas un pochage, terme qui désigne classiquement l'inverse d'une « infusion » (pensons aux feuilles de thé, dans l'eau bouillante dont la température diminue).


Le départ à froid favoriserait la sortie des composés ? Où notre ami a-t-il vu cela ? Quelle preuve en a-t-il ? Quelles mesures a-t-il faites pour l'établir ? J’ajoute que ces questions peuvent être posées pour bien des idées culinaires, et, mieux, que l’on aurait raison de les poser plus que cela n’a été fait.




Puis, une suite à ma réponse


En substance, j'ai dit une partie de ce qui précède à mon interlocuteur par oral, en lui promettant de mettre tout cela par écrit... ce qui me prend un temps précieux, mais que je fais parce que je pense à tous les élèves qui veulent apprendre des choses justes.


Cela étant, avant même que je puisse faire ce billet, mon interlocuteur m'a envoyé un nouvel email, avec ce qui suit :


Pour être sûr d’avoir bien compris notre échange téléphonique :

Extraction en milieu humide

Si je comprends bien, les techniques de cuisson "pocher départ à froid" et "pocher et départ à chaud" n'ont pas de différences significatifs quant à l'extraction des molécules sapides et odorantes ?

Du coup concrètement :

- Le conseil d'un Régis Marcon dans son dernier livre sur les légumes (cf image en pièce-jointe) de pocher départ à froid les légumes pour leur retirer leur "goût amer" n'a pas lieu d'être ? Jeter le même légume dans de l'eau bouillante aurait retiré ce "goût amer" de la même façon, et même plus rapidement grâce à la chaleur ?

- La recette traditionnelle de la crème d'ail consistant d'abord à pocher départ à froid des gousses d'ail épluchées pour "sortir" leur piquant dans l'eau pourrait tout aussi bien marcher (et même plus rapidement) en les pochant départ à eau ?

Ainsi il vaudrait mieux dans tous les cas pocher départ à chaud pour obtenir une perte volontaire de molécules sapides plus rapide et donc de diminuer la perte des autres molécules sapides, des molécules odorantes et des nutriments dans l'eau de cuisson ?

Dans quels cas pocher départ à froid peut-il avoir une utilité par rapport à pocher à chaud ?

Si je n'ai pas encore bien compris, pourriez-vous me renvoyer vers de documents de recherche/vulgarisation m'expliquant les choses précisément ?

Choix Nouvelles Classification

Si cela vous convient, je vais opter pour la classification :

- Cuissons Humides (pocher, étuver...)

- Cuissons Sèches (sauter, rôtir, torréfier...)

- Cuissons Mixtes /ie Sèches puis Humides ou l'inverse/ (ragoût, poêler, braiser...)

Sel

Quel type de sel ralentit la cuisson des végétaux ?




Et là, il y a encore beaucoup à dire.


Oui, là encore, j'ai matière à donner des explications supplémentaires, et cela par écrit afin que chacun puisse lire lentement, à son rythme, mieux que dans une rapide conversation téléphonique.




1'. "Extraction en milieu humide"


Une extraction en milieu humide ? Je salue d'abord mon interlocuteur qui parle maintenant d'extraction, plutôt que d'expansion. Je le félicite vivement d'avoir su changer, au vu des arguments qui lui ont été donnés.


Cela dit, mon interlocuteur fait encore une confusion car une solution aqueuse n'est pas un "milieu humide" : l'humidité, c'est quand il y a peu d'eau dans un gaz, comme dans un poêlage (dans un poêlon, pas dans une poêle), par exemple. Mais ici, je vois bien à la suite de son texte qu'il parle de cuisson dans l'eau. On pourrait parler d' « extraction dans l’eau ».




2'. "Si je comprends bien, les techniques de cuisson "pocher départ à froid" et "pocher et départ à chaud" n'ont pas de différences significatifs quant à l'extraction des molécules sapides et odorantes ?"


Là, je retrouve le mot "pocher", qui n'est pas juste. Mettons le de côté, puisque j'en ai déjà parlé.


En reformulant, je n'ai certainement pas dit qu'il n'y avait pas de différence d'extraction selon que l'on extrait dans l'eau à partir d'eau froide ou à partir d'eau chaude... parce que je ne sais pas ce que l'on compare. Les ingrédients séjournent-ils, par exemple, le même temps ? Et la quantité de chaleur transmise est-elle la même ?


Mais, surtout, la cuisson dans l'eau départ a froid fait des résultats très différents de la cuisson dans l'eau départ à chaud... comme on peut l'observer en mettant des rondelles de carottes dans l'eau froide ou tiède : les rondelles durcissent au point qu'on ne peut plus, ensuite, les amollir ! En effet, les températures chaudes mais douces activent des enzymes qui font libérer des ions calcium, lesquels sont importants pour "ponter" les pectines", et durcir les légumes.

C'est essentiel, notamment pour durcir des cornichons que l'on veut conserver longtemps dans le vinaigre sans qu'ils se défassent... et important aussi pour la moderne "cuisson à basse température", surtout quand la température est inférieure à 80 °C environ... mais c'est une autre histoire.


Quant aux effets sur les composés sapides ou odorants, il y a donc la question de la durée de la cuisson.


Mais à ce stade, je vois surtout qu'il me manque une discussion préalable des « objectifs ». Au fond, de quoi parlons-nous ? Que voulons nous ? Cuire des légumes ? Leur donner du goût ? Les attendrir ? Les faire changer de couleur ? Les faire changer de goût ? C'est seulement quand on aura répondu à ces questions que l'on pourra se préoccuper des molécules sapides, odorantes, à action trigéminale, des ions calcium, etc. Et l'on n'oubliera pas qu'il n'y a pas seulement des extractions, mais également des réactions.


Et cela me fait penser à inviter mon interlocuteur à aller voir les « 14 commandements de la cuisine » que j'avais donnés dans mon livre Mon histoire de cuisine. S’il y a enseignement, je recommande de commencer ainsi.




3'. "Du coup concrètement : le conseil d'un Régis Marcon dans son dernier livre sur les légumes, de pocher départ à froid les légumes pour leur retirer leur "goût amer" n'a pas lieu d'être ? Jeter le même légume dans de l'eau bouillante aurait retiré ce "goût amer" de la même façon, et même plus rapidement grâce à la chaleur ?"


A propos d'amertume et d'âcreté, je renvoie mon interlocuteur à un séminaire où nous avons exploré ces questions. Tout est en ligne sur le site d’AgroParisTech.




4'. "La recette traditionnelle de la crème d'ail consistant d'abord à pocher départ à froid des gousses d'ail épluchées pour "sortir" leur piquant dans l'eau pourrait tout aussi bien marcher (et même plus rapidement) en les pochant départ à eau ?"



Je ne sais pas d'où mon interlocuteur tire sa recette « traditionnelle », mais moi, j'ai une recette « traditionnelle » (un livre ancien) qui me dit de mettre les gousses d'ail cinq fois de suite dans l'eau bouillante.


De toute façon, comme je l'ai expliqué, c'est surtout le fait d'extraire bien les composés qui donnent le goût d'ail qui compte, et cela se fait plus à chaud qu'à froid (nouvelle preuve qu'il n'y a pas de « fermeture »).




5'. "Ainsi il vaudrait mieux dans tous les cas pocher départ à chaud pour obtenir une perte volontaire de molécules sapides plus rapide et donc de diminuer la perte des autres molécules sapides, des molécules odorantes et des nutriments dans l'eau de cuisson ?"


Je n'ai pas dit cela. Mais j'y reviens, quel est l'objectif ? Et là, c'est un trop gros morceau pour répondre.



6'. "Dans quels cas pocher départ à froid peut-il avoir une utilité par rapport à pocher à chaud ?"


Dans quel cas partir à froid ou partir à chaud ? J'ai expliqué que le départ à froid avait l' "inconvénient" de durcir les légumes... quand on n revanche,


Mais pensons plutôt à des objectifs, encore des objectifs, toujours des objectifs. Pour prendre une comparaison, c'est seulement après que j'ai décidé d'aller à Colmar que je peux choisir le chemin qui m'y mène... sinon je risque d'arriver à Brest !



7'. "Si je n'ai pas encore bien compris, pourriez-vous me renvoyer vers de documents de recherche/vulgarisation m'expliquant les choses précisément ?"


C'est fait : commencez par les deux livres cités précédemment.



8. "Choix Nouvelles Classification

Si cela vous convient, je vais opter pour la classification :

- Cuissons Humides (pocher, étuver...)

- Cuissons Sèches (sauter, rôtir, torréfier...)

- Cuissons Mixtes /ie Sèches puis Humides ou l'inverse/ (ragoût, poêler, braiser...)".


Enfin, pour la nouvelle classification, puisque j'ai critiqué l'expression « cuisson humide », au sens de « cuisson dans l'eau », je propose plutôt la classification qui figure dans mon livre « Casseroles et éprouvettes », mais aussi dans mon livre « Cours de gastronomie moléculaire N°1 », et, enfin, dans mon livre « Mon histoire de cuisine ». Je ne dis pas la même chose dans les trois livres.




9. "Sel. Quel type de sel ralentit la cuisson des végétaux ?"


Aucun. Enfin, plus exactement, je ne sais ce que signifie « ralentir la cuisson ». Si la « cuisson » est synonyme d’attendrir, alors le calcium n’est pas bon.

Mais commençons simplement : le sel de table, quand il est très pur, est quasiment limité à du chlorure de sodium. Mais le sel moins raffiné contient du calcium... qui durcit les légumes. Une autre histoire, à nouveau.



Tout cela étant posé, je prie mon interlocuteur de ne pas se vexer d'être ainsi réfuté : qu'il considère surtout que j'ai passé BEAUCOUP de temps à préparer cette réponse, pour l'aider, et pour aider les élèves.

Et je le félicite d’oser m’interroger, au risque que j’abatte ses idées initiales : c’est la marque d’un esprit ouvert, que j’encourage vivement, et que je remercie au nom des élèves qu’il aura.



lundi 12 octobre 2020

Qu'est-ce que le "bon" ?

 Le bon ?

Encore rencontré quelqu'un pour qui "les choses sont bonnes quand elles ont le goût de ce qu'elles sont". C'est trop facile !

Qu'est-ce qui est bon ? La question vaut pour tous les arts  :  pour la cuisine, le bon, c'est ce qui est beau à manger ; pour la musique, le beau,  c'est ce qui est beau entendre ;  pour la littérature, il y a le  beau à lire ; pour la peinture, le beau est à voir,   et ainsi de suite.

Le beau ? La question est évidemment difficile, et la théorie du beau se nomme esthétique. Car l'esthétique, ce n'est pas la beauté à voir seulement ;  et, en tout cas en cuisine,  le beau à voir n'est pas la question, même si on ne doit certainement pas négliger l'apparence des plats.

Mais, surtout, en cuisine, la question du bon,  c'est la question du  goût.

Et sont bien faibles, ceux qui appliquent des formules toutes faites comme la trilogie (trois éléments dans l'assiette), le nombre d'or,  ou nombre d'idées simplistes telles que "dans une sauce à l'estragon, on doit chercher l'estragon".

Pour discuter la question du "bon", j'ai fait un livre entier qui s'intitule La cuisine, c'est de l'amour, de l'art de la technique. A ma connaissance, c'est le premier traité d'esthétique culinaire de l'histoire, et j'y discute notamment cette théorie que je crois très fausse selon laquelle les choses seraient bonnes quand elles ont le goût de ce qu'elles sont. 




À ce compte, le poulet serait-il bon quand il est cru et qu'il a le goût de poulet cru ? Supposons que l'on me dise que non, puisque l'on annonce un poulet rôti, et que c'est le goût de poulet rôti qu'il faut donner. Mais "le" goût de poulet rôti : lequel ? Il y a mille goûts de poulet rôti, et tous seraient légitimes, donc !
D'ailleurs,  je ferais observer que le poulet rôti, c'est un peu comme une représentation en peinture de la Vierge à l'Enfant : il y a mille peintres, et mille représentations, qu'elles soit réalistes ou non. Une Vierge à l'Enfant par Picasso n'a rien à voir avec une Vierge à l'Enfant par Rembrandt. Et, même, pourquoi voudrait-on voir même la Vierge et l'Enfant dans un tel tableau ? Car un tableau où la Vierge et l'Enfant seraient évoqués, à défaut d'être représentés, pourrait être même supérieur... s'il est beau !

Mais revenons à la cuisine : j'ai donc le poulet rôti... Mais ai-je besoin d'un cuisinier pour me faire un bon poulet rôti ? Qu'apporte ce professionnel, s'il se limite à rôtir un poulet ?
Au fond je m'ennuie terriblement avec ces cuisiniers professionnels qui me font des poulets rôtis qui ne sont autres que des poulets rôtis, conformément à la théorie très faible que je discute ici ; je n'ai pas besoin d'un professionnel pour me le donner.

Non, je demande aux cuisiniers de dépasser cette théorie simpliste selon laquelle les choses auraient le goût de ce qu'elles sont. Je leur demande d'interpréter le poulet rôti, de créer des goûts qui soient bien différents. Je veux que le poulet rôti soit une partition dans l'orchestre des goûts ; pourquoi pas un soliste, mais dans l'orchestre, se fondant avec lui, répondant. Et pourquoi pas, aussi, un instrumentiste qui ne serait pas un soliste ?

De sorte que se reprennent en pleine figure ceux qui soutiennent la théorie simpliste que je discute ici.
Qu'est-ce qui est bon ?
Et, pour répondre, il y faut de la culture, de l'intelligence, du talent... mais pas du simplisme, en tout cas.