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mardi 19 mars 2024

La cuisson des légumes et des fruits

 
Nous cuisons de la choucroute? des endives ? Comment nous y prendre ? 

 

Quand on regarde en ligne des recettes de cuisine, on reçoit des protocoles qui nous disent comment faire mais qui ne nous disent pas pourquoi faire comme ils le proposent. 

Et de fait, leurs indications sont  souvent illégitimes, ou prétentieuses, voire fausses. 

Je crois qu'il est  préférable de réfléchir un peu, et de commencer les recettes par une réflexion sur les objectifs et les moyens de les atteindre. 

Par exemple, la cuisson d'endives (pour des endives braisées au jambon par exemple) :  c'est un légume de fort diamètre, ce qui signifie qu'il faudra un temps notable pour que la chaleur parvienne jusqu'au centre et qu'elle ait quelque chance d'attendrir le tissu végétal.
Car c'est bien là l'objectif : dans la recette que nous visons, on ne mange pas une salade d'endives mais bien plutôt des endives braisées, cuites, attendries. 

Inversement, avec de la choucroute, le chou est déjà divisé en petits filaments, de sorte que cette fois, l'objectif est moins d'atteindre le cœur du tissu végétal que de l'attendrir. 

Et la comparaison de ces deux cuissons montre qu'il y a deux phénomènes essentiels dont il faut tenir compte très généralement pour la cuisson de légumes : 

- faire augmenter la température jusqu'au coeur du tissu, d'une part

-  et assurer son attendrissement d'autre part.


Pour le premier ; les cuissons par conduction sont lentes parce que les tissus végétaux sont faits essentiellement d'eau, qui n'est pas un bon conducteur de la chaleur. Mais on peut imaginer évidemment d'autres modes de cuisson où la chaleur ne sera pas communiquée par conduction, telle la cuisson dans un four à micro-ondes, où l'énergie est déposée dans tout l'ingrédient. 


D'autre part, il y a l'amollissement des tissus végétaux, et cela correspond cette fois à une réaction qui s'appelle beta élimination des pectines : car les tissus végétaux sont faits de cellules (de petits sacs emplis essentiellement d'eau), jointoyés par une sorte de ciment, la paroi cellulaire, qui est faite de sorte de pylônes indestructibles, les molécules de cellulose, réunis par des "câbles", à savoir les molécules de pectine. 

La dégradation par la chaleur des molécules de pectine, qui permettra ensuite la séparation des cellules, est une réaction chimique lente, et c'est la raison pour laquelle, si même la chaleur arrive rapidement dans la choucroute, il faut un certain temps de cuisson pour que cette dégradation de la paroi cellulaire ait lieu.

Combien de temps faudra-t-il ? La réponse dépend à la fois du type de tissu cellulaire et de notre goût. Il y a des tissus plus durs que d'autres, pour lesquelles une cuisson doit être prolongée (comparons du coing, d'une part, et de tendres petits pois, d'autre part) et il y a notre goût qui veut des légumes plus ou moins tendres.

lundi 18 mars 2024

De la délicatesse des liaisons

Les sauces ne sont pas des jus, et elles sont plus "fluides" que des purées. Il s'agit de liquides qui ont une certaine "épaisseur", obtenue par une "liaison". 

Et il y a des liaisons variées : 

- à l'aide de farine ou d'amidon, comme dans les veloutés ;

- à l'aide d'œuf, comme dans les hollandaises, les béarnaises ou les crèmes anglaises ; 

- à l'aide de sang comme dans les civet ; 

- par émulsion comme dans les mayonnaise ; 

- par dispersion de particules solides, ce qui se nomme des suspensions, comme dans les purées étendues ou les velours (avec la carotte) et ainsi de suite.

Mais beaucoup de ces systèmes sont opaques ou translucides,  pas transparent,  et il y a des vertus à napper les pièces de l'assiette par une belle sauce limpide et transparente, ce qu'on n'obtiendra pas avec les systèmes précédents, même en passant un velouté au chinois. 

 

Comment nous y prendre ? 

 

Une clé est la dissolution de gélatine ou de molécules analogues dans un liquide clair. Partons d'un jus clairs, limpoides, réduisons-le et ajoutons lui beaucoup de gélatine : alors la sauce prend de l'épaisseur et garde une transparence parfaite. 

Évidemment, une telle sauce figera si sa température est inférieure à environ 30 degrés mais en tout cas, pour une sauce chaude , il n'y a pas de problème et on obtiendra un résultat tout à fait merveilleux.

lundi 5 février 2024

Faire une mousse

Les mousses sont à la mode, en cuisine, au point qu'un fabriquant de matériel de cuisine vient de produire un système pour en produire : il s'agit d'un mixer dont l'extrémité n'est pas une double lame, mais une sorte de pale qui brasse les liquides pour y introduire de l'air. 

Certains nomment « écume » une telle mousse, parce qu'elle est très légère, faite de grosses bulles d'air, mais il s'agit bien d'une mousse, et, à la réflexion, ce sont plutôt les mousses classiques (de poisson, par exemple) qu'il faudrait renommer, tant elles sont peu foisonnées. 

Quel nom trouver à ces dernières pour les distinguer des mousses « normales », que l'enfant obtient en agitant l'eau savonneuse de son bain, que le cuisinier obtient en battant des blancs en neige ? Souvent, ce sont des pâtes, faites de chair broyée, un peu foisonnées. Ce sont donc très peu des mousses. 

« Pâte foisonnée » ? L'expression est aussi laide qu'encombrante, et, en tout cas, elle n'est pas alléchante. Souvent, ces préparations sont obtenues par mélange de crème fouettée et de chair broyée (avec d'autres ingrédients secondaires), de sorte qu'il s'agirait de « mousses au poisson », plutôt que de « mousses de poisson ». De sorte que la distinction serait faite. 

Et, si ces préparations sont cuites dans une mousseline, ce seront des mousselines, tout comme elles seraient des terrines si elles étaient cuites en terrine, et des quenelles si elles avaient la forme appropriée. 

 

La question étant environ réglée, concentrons-nous sur la question posée en titre : faire une mousse. 

A cette fin, il faut un liquide, un gaz, des composés qui permettent de disperser le gaz dans le liquide. De tels composés sont dits « tensioactifs », et la cuisine en regorge : les protéines du blanc d'oeuf sont parfaites pour cet usage. La différence entre un émulsifiant et un tensioactif ? Elle est souvent faible, mais le mot « tensioactif » est plus général, car il désigne tout composé dont les molécules ont une partie soluble dans l'eau et une autre partie insoluble : ces molécules se disposent à l'interface (la limite) entre de l'eau et une phase qui ne soit pas de l'eau : huile ou air, par exemple. 

Les émulsifiants, eux, sont des tensioactifs renommés pour désigner leur utilisation dans des émulsions, mais, avec leur constitution de tensioactifs, ces composés peuvent souvent produire des mousses. Les lécithines, par exemple, peuvent tout aussi bien faire une mayonnaise qu'une mousse : dans le premier cas, on les ajoute à de l'eau, avant de battre de l'huile ; dans le second, on les dissout dans de l'eau que l'on fouette, sans matière grasse. Autrement dit, pour obtenir une mousse à partir d'un liquide, c'est tout simple : ajoutons des protéines dans le liquide. 

C'est ainsi que tient la mousse de la bière, et c'est ainsi que nous ferons tenir nos mousses de cuisine.

samedi 3 février 2024

Faire de la bonne choucroute ? Raisonnons

 
Je dois avouer ici que j'ai très longtemps mal cuit la choucroute parce que je suivais des recettes au lieu de chercher à comprendre comment faire. Raisonnons, plutôt.

La choucroute, c'est-à-dire le chou fermenté, c'est d'abord du chou cru, détaillé en filaments. De sorte que la choucroute crue a la fermeté d'un chou cru, même si la fermentation a conduit à quelques modifications.
De ce fait, il faut cuire la choucroute comme on cuit du chou cru.

On n'oubliera pas que souvent, la choucroute est acide et salée, de sorte que, avant la cuisson, il faut  faire tremper la choucroute crue dans de l'eau, voire la cuire ainsi dans de l'eau (la "blanchir"), afin d'éliminer une partie de l'acidité et du sel. On jette cette première eau de cuisson.

Puis vient la cuisson proprement dite, qui va permettre d'obtenir un chou de consistance appropriée, et de goût bien "composé". Là, on peut ajouter un liquide qui s'évaporera, se concentrant, tel du bouillon de volaille, ou du vin (sans excès sans quoi on risque de renforcer l'acidité). C'est à ce moment-là que l'on pourrait ajouter des baies de genièvre, du cumin, et certainement aussi une matière grasse bien choisie pour son goût et non pas seulement pour assurer un contact entre la casserole et l'aliment à cuire.

Les pommes de terre éventuelles que l'on ajouterait pour agrémenter la choucroute finale ? Elles pourront cuire lors des deux phases de cuisson précédentes, parce que leur cuisson est un peu longue et que, de toute façon, il n'est pas vrai qu'elles s'imprègnent de quoi que ce soit (voir les expériences de nos séminaires de gastronomie moléculaire).

La viande et les saucisses ? S'il y a un goût de fumée, alors il sera bon de réserver viande, lard, saucisses  et boudins blancs ou noirs pour la deuxième phase de cuisson, la cuisson proprement dite, afin que l'ensemble prenne ce goût merveilleux.

Finalement, il aura lieu de dresser la choucroute, ce qui se fait classiquement en la déposant joliment dans un plat, en l'entourant d'un cordon de pomme de terre, et en la surmontant des viandes et des saucisses, de boudins, blancs ou noirs, de lard...
Il faut observer, que cette construction traditionnelle est bien rudimentaire, et l'on peut s'interroger sur des façons plus élaborées de faire. Pourquoi ne pas organiser la choucroute comme des lasagnes, avec des rondelles de pommes de terre et du chou  alternés ? Ou même avec les trois éléments que sont pommes de terre, chou et viande ? Certes, on n'ira pas jusqu'à l'extrémité de Pierre Gagnaire qui avait tressé les filaments de chou, mais il y a lieu de penser à dire à nos amis ce "je t'aime" culinaire qui s'impose absolument.


lundi 22 janvier 2024

Le Guide culinaire ne doit pas être utilisé comme manuel ! Ou alors, avec des précautions et des commentaires.

 

Voici un extrait du Guide culinaire, et un commentaire qui montre pourquoi on aura raison de ne pas croire ce qui est écrit :



Cuisson du roux : Le temps de cuisson, étant subordonné à l'intensité du calorique employé, ne peut être fixé mathématiquement,

Le « calorique » est une notion scientifique périmée depuis au moins deux siècles. Et, d’autre part, il n’y a pas de subordination.

Enfin, il ne s’agit pas de mathématiques, mais simplement de calcul.

Il aurait fallu écrire ici : Le temps de cuisson dépendant de la puissance du chauffage, ne peut être fixé


mais il est toujours préférable de conduire la cuisson plutôt trop lentement que trop vite, parce que : sous l'influence d'une chaleur trop vive, les cellules contenant les principes actifs de la farine se racornissent et emprisonnent étroitement leur contenu,

La farine ne contient pas de « principes actifs », et, même en 1900, cette description était scientifiquement périmée. Il faut plutôt considérer que la farine est faite principalement de grains d’amidon (petits grains ronds faits de molécules de deux sortes -des polysaccharides-, qui sont l’amylose et l’amylopectine) et des protéines (essentiellement des gliadines et des protéines).

Les protéines peuvent être « pyrolysées » par une forte chaleur, d’où un brunissement. Mais les granules d’amidon sont très résistants, et, en tout cas, les auteurs n’ont aucune preuve de ce qu’ils imaginent (j’insiste : c’est une supposition assez anthropomorphique).

Quant à « emprisonner étroitement le contenu »… d’objets qui n’existent pas, c’est de la pure imagination.


s'opposant dès lors à son mélange ultérieur avec l'élément de mouillement et, de ce fait, détruisant l'équilibre de liaison de la sauce.

Ici, puisque ces « principes actifs » n’existent pas, la conclusion ne peut pas tenir. Il reste à savoir s’il est exact que de la farine fortement torréfiée peut ou non s’empeser ; on observe qu’il n’y a pas un « mélange », d’une part, et qu’il ne s’agit pas de « détruire » un « équilibre de liaison (quel charabia!), mais simplement d’assurer la liaison.


Il se produit, dans ce cas, un fait analogue à celui qui se constaterait sur des légumes secs traités à l'eau bouillante. Il faut qu'une chaleur modérée d'abord, puis régulièrement progressive; provoque la distension des parois des cellules, pour que l'amidon qu'elles contiennent gonfle et, sous l'influence de la chaleur, subisse un commencement de fermentation qui le transforme en dextrine, substance soluble et principal agent de liaison.

Là encore, l’écriture est prétentieuse («  régulièrement progressive ») et les idées proposées sont fausses. Par exemple, la chaleur ne provoque pas la « distension » des parois des cellules. Pour les légumes secs, il y a bien une parois végétale, mais la chaleur provoque sa dégradation (en dégradant les molécules de pectine qui lient les fibres de cellulose), comme un ciment qui s’effriterait. Et l’amidon ne gonflera pas : les grains d’amidon pourront, s’ils sont en présence d’eau, s’ « empeser », ce qui signifie qu’ils libéreront des molécules d’amylose, tandis que des molécules d’eau migreront dans leur intérieur, créant un « gel ».

En tout cas, il n’y aura certainement pas de fermentation : les micro-organismes qui savent fermenter les polysaccharides sont tués par la chaleur. Quand à la formation de « dextrine », j’aurais bien aimé que nos auteurs m’expliquent ce qu’ils pensent que c’est. Les dextrines sont définies par l'Union internationale de chimie et des applications de la chimie (IUPAC) de la façon suivante (https://goldbook.iupac.org/terms/view/D01656) : "Poly-α-d-glucosides of intermediate chain length derived from starch components (amylopectins) by the action of amylases (starch hydrolysing enzymes).[Des poly-α-d-glucosides de longueur intermédiaire dérivés des composés de l'amidon (amylopectines) par l'action des amylases (les enzymes qui hydrolysent l'amidon)]. Ils ne faut pas les confondre avec les "dextranes". On peut imaginer que ces composés sont également obtenus obtenus par chauffage de l'amidon ou par son hydrolyse acide.

En tout cas, ce ne sont pas les dextrines (des molécules) qui assurent la liaison, mais les grains d’amidon empesés.


Une fois cuit, le roux brun doit avoir une belle teinte noisette claire, et se trouver absolument lisse et sans grumeaux.

Oui, là, on revient à du macroscopique, technique, solide (mais on revient de loin).



mardi 12 décembre 2023

Beurre nantais ? Beurre blanc ? Non, sauce blanche !

 Ce matin, une question à propos de "beurre nantais"

 

Bonjour Monsieur This,

Je suis  nantais d'origine et  adepte de la sauce au beurre blanc (parfois appelée beurre nantais).
Je m'adresse à vous car je pense que vous êtes à même d'expliquer le pourquoi du comment quant à la réussite ou le ratage de cette sauce. Je la rate plus souvent (à mon grand désespoir) que je ne la réussis ! Et j'aimerais ne pas la rater pour les fêtes de Noël...

Après moult essais et recherches sur internet, je ne trouve pas d'explications scientifiques poussées.
Chacun a son explication ou son astuce mais sans trop pouvoir la justifier :

- couper menu les échalotes ??
- réduire très lentement le mélange échalotes + vinaigre + vin ??
- ajouter systématiquement du vin au vinaigre ( pb d'acidité ? acidité du vin moins importante que celle du vinaigre ? )
- laisser refroidir complètement la réduction d'échalotes avant d'incorporer le beurre ??
- ajouter de la crème avant d'incorporer le beurre ??
- ajouter un filet d'eau froide ??
- incorporer le beurre froid  ou très froid ( il y a apparemment un consensus là dessus) ??      en petits morceaux ??
- mélanger le beurre sans jamais cesser de fouetter délicatement en formant des 8 et à feux doux ??
- beurre clarifié ??
- difficile de la réchauffer au bain-marie ??

Quelles sont dans toutes ces manipulations, les vrais gestes à faire et surtout pour quelles raisons je suis un?

Je vous ai connu par le biais de vos articles très intéressants dans la revue Pour la Science ( et gastronomie)
J'ai une formation scientifique ( baccalauréat C). J'aimerais comprendre le ou les phénomènes physico-chimiques inhérents à l'élaboration du beurre blanc.

Je crois avoir compris que le beurre est une émulsion inversée  "eau dans huile" .

Est-ce qu'une question de température (froid au départ, pas trop chaud ensuite mais quels seraient alors les seuils à ne pas dépasser)  et/ou d'acidité (vinaigre, vin), ou bien autre chose encore ?

En résumé, que se passe-t-il chimiquement pour que cette sauce au beurre blanc soit si instable ?

Je suis tombé sur ce podcast, certes intéressant, mais ne fournissant pas suffisamment d'explications ( il est question du beurre blanc des minutes 10 à 18) :
https://www.franceinter.fr/vie-quotidienne/le-beurre-blanc

J'espère que vous comprendrez mon interrogation et que vous pourrez y répondre malgré votre temps précieux.

Merci d'avance.
Bien gastronomiquement.

 

Et voici ma réponse
 
Merci pour votre message.
La première des choses que je fais, quand je discute d'une recette, c'est de savoir vraiment ce dont je parle... et cela m'a conduit à faire, chaque semaine, une recherche historique que je publie dans les Nouvelles gastronomiques... avec de nombreuses surprises !
Et pour le "beurre blanc" : https://nouvellesgastronomiques.com/beurre-blanc-non-sauce-blanche/. 

Voici en clair : 

Beurre blanc ? Non : sauce blanche

Hervé This s’interroge sur l’appellation de cette sauce que tout le monde connaît… Le beurre blanc ? Ces billets terminologiques ont déjà plusieurs fois signalé des attributions erronées de termes, et il vient d’en trouver un nouveau…

Wikipédia signalait que, en 1890, au restaurant La Buvette de la Marine, dans le hameau de La Chebuette, lieu-dit de la commune de Saint-Julien-de-Concelles, situé sur les bords de la Loire, à quelques kilomètres en amont de Nantes, une certaine Clémence Lefeuvre aurait inventé le beurre blanc, pour le marier avec les poissons de Loire. On dit même que cela aurait résulté d’un ratage d’une béarnaise… mais c’est être bien ignorant de l’histoire de la cuisine que de propager cette idée, car on trouve déjà une sauce tout à fait analogue dans l’auteur du 17e siècle (deux siècles et demi avant cette cuisinière nantaise!) qui signe seulement de ses initiales « L.S.R », peut-être pour « le sieur Robert ».

Plus précisément, LSR, en 1643, propose de faire une « sauce blanche » avec beurre, bouillon, sel, poivre, qu’il sert sur du brochet, et qui insiste pour dire que l’émulsion doit être bien faite, sans « tourner en huile ».

Bref, Clémence Lefeuvre n’a rien inventé… d’autant que l’on retrouve encore cette « sauce blanche » chez Pierre François La Varenne : « faites une sauce avec du beurre bien frais, peu de vinaigre, sel, muscade, & un jaune d’oeuf pour lier la sauce. » Là, il détourne la sauce blanche de LSR, puisqu’il lie aux œufs. Massialot, en 1705, détourne encore davantage en proposant une sauce faite de persil, sel, poivre blanc, jaunes d’oeufs, filet de vinaigre, un peu de bouillon :cette fois, c’est une suspension, une sauce qui doit son épaisseur à la coagulation des jaunes d’oeufs plutôt qu’à l’émulsion du beurre fondu dans le bouillon dans le vinaigre.


 

A noter que tout cela se retrouve ensuite dans le "Glossaire des métiers du goût" : https://icmpg.hub.inrae.fr/travaux-en-francais/glossaire/glossaire-des-metiers-du-gout
(il me faut parfois un peu de temps pour rectifier le glossaire)

 

Cela étant, si votre recette consiste à faire revenir des échalotes avec du vinaigre et du vin, puis à ajouter de la crème et du beurre, alors je ne l'ai jamais ratée, considérant les principes sains suivants :
 

1. "Il faut au moins 5 % d'eau pour faire tenir une émulsion".

2. "Il faut des composés tensioactifs (protéines par exemple) pour assurer la dispersion stabilisée des gouttes de matière grasse dans l'eau". 


Ici, l'eau vient du vinaigre, du vin, de la crème, du beurre... mais elle s'évapore, et c'est souvent la cause du ratage.

Couper menu les échalotes ? C'est seulement une question de goût, mais il est vrai que plus vous coupez finement, plus vous libérez le contenu des cellules.

Réduire lentement le mélange échalotes+vinaigre+vin ? A ma connaissance, personne n'a encore comparé la réduction lente ou rapide, analytiquement en tout cas. Une expérience à faire... assortie d'un test triangulaire, comme je l'explique dans l'avant dernier numéro de Pour la Science
 

Ajouter du vin au vinaigre ? Je crois que la question de l'acidité est très secondaire. C'est la présence d'eau qui compte.
 

Laisser refroidir les échalotes ? Aucun intérêt."Il faut au moins 5 % d'eau pour faire tenir une émulsion".
 

Ajouter de la crème ? La crème apporte de l'eau, ce qui permet de mettre ensuite plus de beurre. Elle apporte aussi des tensioactifs, et cela est important (voir plus loin). 

Ajouter un filet d'eau froide : certainement, quand on met beaucoup de beurre, on risque de dépasser les 95 % fatidiques, et, tout comme on met du jus de citron ou du vinaigre dans une mayonnaise qui épaissit, un filet d'eau fait son office... mais dommage, car l'eau n'a pas de goût : pourquoi pas vin, vinaigre, jus de citron, thé, jus de légume, fond, jus de fruit, etc. ?

Le beurre froid, en morceaux : aucun intérêt, car il finit toujours par fondre et s'émulsionner.

Beurre clarifié : apporte moins d'eau, et le petit lait a un goût différent, donc une question de choix artistique (gustatif). Mais attention : pour un sauce sans crème, le petit lait devient essentiel, par les protéines qu'il apporte.
 

Réchauffer au bain marie ? Moi je réchauffe autant que je veux, et à plein feu, sans me fatiguer à faire un bain marie.

Bref rien de plus simple :
- le beurre fond, et fait "huile"
- il libère du petit lait (de l'eau et des protéines) quand il n'est pas clarifié
- et il faut 5% d'eau pour faire tenir l'émulsion, qui est d'ailleurs une émulsion de type huile dans eau.

Non, le beurre n'est pas une émulsion eau dans huile, comme cela est prétendu et fautivement enseigné jusque dans les écoles d'ingénieurs agronomes : voir à ce sujet mon livre Mon histoire de cuisine (fait pour des personnes comme vous), ou bien le Handbook of Molecular Gastronomy.

Les températures ? Peu importe... mais attention que plus on chauffe et plus l'eau s'évapore : pensons à nos 5%.

Instabilité de la sauce ? Les tensioactifs proviennent de la crème, du beurre... mais si l'on broie les échalotes, on peut aussi en extraire de ces dernières.
Car une émulsion, c'est de l'eau (phase continue), des gouttes d'huile, des tensioactifs pour les couvrir et les disperser.
Dans la crème et le beurre, il y a des tas de protéines, parfaitement tensioactives. Mais dans le beurre clarifié, elles ne sont pas présentes, d'où l'intérêt de la crème. A noter qu'on peut aussi ajouter des tensioactifs insipides : un quart de feuilles de gélatine, ou n'importe quel tissu végétal ou animal broyé finement (même du gazon), qui libérera des phospholipides et des protéines.

Bien cordialement, joyeuses fêtes


vendredi 8 décembre 2023

Bocuse nous a trompés

Le restaurant Paul Bocuse parle d'un "lièvre à la royale façon Antonin Carême"... mais je suis allé voir dans Carême (5 tomes)... et il n'y a rien de cela. 

 

Paul Bocuse nous as trompé : ce qu'il nomme "lièvre à la royale" ne mérite pas ce nom.
 
Voir https://nouvellesgastronomiques.com/tout-savoir-sur-le-lievre-a-la-royale/ et aussi https://nouvellesgastronomiques.com/cuisiner-a-la-royale/

 

jeudi 7 décembre 2023

A propos de liaison des sauces

 
À propos de liaison de sauce, j'ai déjà distingué des émulsions, des mousses, des suspensions, et cetera, mais je m'aperçois que je ne suis pas allé à la racine de la chose : l'idée, c'est qu'on part d'eau, ou plus exactement d'eau qui a du goût, ce que les chimistes nomment des solutions aqueuses, obtenue par cuisson de tissu animaux végétaux dans de l'eau, dans du vin, et cetera.
Cette solution aqueuse est souvent très fluide, avec peu de viscosité, et on voudrait lui en donner afin qu'elle nappe les morceaux en gardant une consistance plus fluide que celle d'une purée, par exemple.

Autrement dit, il faut ralentir le mouvement de l'eau.

Et cela se fait  :
- soit en dispersant dans l'eau de longues molécules qui se lit aux molécules d'eau, tels des polysaccharides ou des protéines, fautivement nommés hydrocolloides,
- ou bien en dispersant des structures variées dans l'eau afin que cette dernière soit très encombrée. C'est le cas pour les liaisons par des protéines telles que le jaune d'œuf ou le sang, qui coagulent à la chaleur, formant des structures dispersées dans l'eau
C'est le cas aussi de l'émulsification, avec des gouttelettes de matière grasse également dispersées dans l'eau, comme on le fait quand on monte une sauce au beurre.
On peut imaginer aussi la dispersion de bulles d'air, un foisonnement qui peut engendrer une mousse... et l'on sait bien qu'un blanc battu en neige, par exemple, ne coule pas.

Bref, les possibilités classiques de liaison se retrouvent toutes dans cette description. Les liaisons à la farine ou à l'amidon se trouvent dans la catégorie des suspensions, mais cette fois, ce ne sont pas des particules solides qui sont dispersés ; plutôt des grains d'amidon empesés, c'est-à-dire en réalité des petits gel.
Notons que l'on peut aussi obtenir le même type de système si l'on fabrique d'abord une gelée et que l'on mixe dans le liquide : on dispersera alors des micro-gels dans la solution aqueuse pour faire ce que j'ai nommé les "debyes".

Je dois pas oublier de revenir sur un point de détail avec les sauces "confortables", c'est-à-dire celle qui sont liées par addition de gélatine :  cette fois il s'agit d'une protéine et non pas d'un polysaccharide mais les molécules de gélatine se lient également aux molécules d'eau et donnent aux sauces une viscosité de bonne aloi.

mercredi 6 décembre 2023

Le 13 décembre

Rendez vous le 13 décembre, dans la grande nouvelle bibliothèque d'AgroParisTech : nous y explorerons des ganaches, et le massage du chocolat ! 

 


Nous cuisons une côte de bœuf ? Soyons patient et chauffons modérément.

 Comment cuire une côte de boeuf ?

Une côte de bœuf, c'est une partie de viande très épaisse, parfois plus de deux fois plus épaisse qu'un steak ordinaire. Et sa cuisson doit être très longue mais pas trop chaud évidemment sans quoi la surface noirci t exagérément. 

Combien de temps cuire une côte de bœuf ? On peut apprendre à faire cette cuisson exceptionnelle en observant d'abord un steak que l'on ne retourne pas  quand on le cuit :  la chaleur se transmet par conduction, de la poêle à la partie de la viande en contact avec celle-ci, puis progressivement vers les couches supérieures. 

Il faut se dire que la couche supérieure de ce steak que l'on me retournerait pas serait comme l'intérieur de la côte de bœuf  :  on voit bien, quand on cuit un steak que l'on ne retourne pas, que cette couche supérieure ne cuit que très lentement ! 

Voilà pourquoi il est essentiel de ne pas trop chauffer : cela n'augmente pas la vitesse de cuisson considérablement, et la surface brunit trop. 

Ce que l'on voit aussi, c'est que la contraction de la viande là où elle est chauffée, c'est-à-dire dans la partie inférieure, expulse les jus qui viennent perler à la surface.

Et, pour terminer, on analysera l'expérience qui consiste à mesurer la température sous une viande que l'on cuit. Quand le feu est doux, alors on mesure une température de 100 degrés au contact de la poêle, car la contraction de la viande fait sortir le jus, qui est essentiellement de l'eau. Or l'eau qui bout le fait à 100 degrés :  à cette température, la viande ne brunira pas. En revanche, si l'on pousse le feu, alors la température peut monter jusqu'à 300 ou 400 degrés et l'on comprend les causes du brunissement. 

 

Avec tout cela, nous avons de quoi faire cuire une bonne côte de bœuf

dimanche 3 décembre 2023

Du lièvre à la royale ?

 

Qu'est-ce qu'un lièvre à la royale

Méfions-nous de Wikipédia, car la consultation des sources précises montre que cette remarquable encyclopédie en ligne mérite d'être souvent corrigée... et nous verrons qu'il faut que je le fasse sans tarder, pour l'article consacré au lièvre à la royale.

En effet, il est parfois écrit que les préparations "à la royale" qualifient des plats dont la finesse et la qualité de préparation sont à la mode du roi, mais cela est bien insuffisant, comme nous le verrons, et, d'abord, en commençant en 1643, avec le livre de l'auteur qui n'a signé que de ses initiales "LSR". Je trouve ainsi un " Gigot de mouton farcy à la Royalle", qui s'obtient de la façon suivante :

1. prendre un gigot

2. casse le manche

3. lever la peau

4. lever les chairs et les hacher avec veau, lard, moelle, graisse de boeuf, fines herbes, champignons, œufs durs, assaisonné d'épices et de sel menu

5. fariner et faire sauter dans le beurre ou le lard

6. puis mettre en casserole avec du bouillon et un morceau de boeuf qui donnera plus de goût, quelques clous de girofle et des oignons

7. après environ une heure de cuisson, retirer de la casserole et réduire le liquide.

L'expression "à la royale" s'applique non seulement à des viandes, mais également à des potages : dès 1656, le cuisinier Pierre de Lune propose une recette qui consiste à hacher du blanc de volaille et à cuire avec bouillon, pistaches, jus de veau ; on garnit de crêtes et rognons de coq, jus de citron et veau.

Puis, en 1722, François Massialot reprend la recette du gigot, et avec la même recette que LSR. Tout comme d'autres qui le suivent. A cette époque, pas de lièvre à la royale !

Passons donc les décennies et arrivons à Jules Gouffé, qui, en 1867, qui donne à nouveau un potage à la royale... qui est en réalité une « julienne garnie de crème au consommé ». C'est en réalité une crème prise, faite de consommé et d'oeufs entiers, que l'on cuit au bain marie ; et l'on verse de la julienne par dessus. Il y a là une vraie cohérence à utiliser le mot "royale", parce qu'il est vrai que les "royales" sont des cubes de flans que l'on ajoutait aux potages. C'est donc une autre acception que pour le gigot à la royale, ou pour le lièvre à la royale que je ne trouve toujours pas dans les livres anciens… De même, quand il parle de « glace royale », il s’agit de cette préparation de pâtisserie que l’on fait avec des blancs d’oeufs et du sucre : rien à voir.

Mais Gouffé nous met sur la piste avec une " Sauce à la Royale" dont voici la recette :

"Déposez dans une petite casserole 3 douzaines de petites truffes crues, tournées en olives, mouillez-les avec un demi-verre de champagne sec, ajoutez un bouquet de persil; faites réduire le liquide en cuisant les truffes. —

D'autre part, versez dans un sautoir 7 à 8 décil. de velouté, ajoutez les parures crues des truffes, réduisez la sauce d'un tiers, en incorporant, peu à peu, 2 décil. d'essence concentrée de gibier ou de volaille; en dernier lieu, additionnez un demi-verre de vin du Rhin et la cuisson des truffes; donnez encore quelques bouillons à la sauce, passez-la à l'étamine dans une casserole, vannez-la, ajoutez les truffes cuites."

D'ailleurs, il nomme "petites timbales de volaille à la Royale" des quenelles qui sont accompagnées d'une telle sauce. Idem pour des "petites chartreuses à la royale". En revanche, son "salpicon royal" est une préparation différente, composé avec du foie-gras, des blancs de volaille, des ris d'agneau et des champignons cuits coupés en petits dés fins, mêlés, puis liés avec une sauce béchamel réduite, finie au beurre d'écrevisses. Mais ce salpicon est "royal", et non pas "à la royale".

Pas de lièvre à la royale dans le Guide culinaire, en 1901, mais, à la même époque, Joseph Favre discute un « appareil à la royale pour les potages de gibier », avec de la purée de gibier un peu liquide dans laquelle on a ajouté un peu de glace de viande pour brunir. Cet appareil peut servir pour les potages de gibier, ou comme garniture.


Tout cela montre que les deux recettes couramment nommées "à la royale", pour le lièvre, sont bien illégitimes et ignorantes de l'histoire de la cuisine : oui, du civet cuit avec ail et échalotes dans du vin rouge, effiloché au dernier moment, ou bien une galantine chaude farcie au foie gras et truffes, servie en tranche nappée d'une sauce au vin rouge également liée au sang, sont des préparations merveilleuses, mais elles usurpent le nom " à la royale".

Personnellement, je parle plus justement de "lièvre à la façon du sénateur Couteaux" ou de "lièvre Babinski", voire "lièvre Alibab" dans le dernier cas, car le livre de cuisine d'Alibab est une collection de recette par l'ingénieur Henri Babinski.

samedi 2 décembre 2023

Porc à l'ananas

 Ce matin, une demande : 


Je me souviens d'avoir vu il y a plusieurs années une émission que vous animiez en cuisine et plus particulièrement de la cuisson du porc à l'ananas. 
Je n'arrive pas à retrouver ces précieux renseignements. 


Et voici le retour
 
Oui, dans une émission intitulée Toques à la loupe, je faisais l'expérience d'attendrir du rôti de porc avec du jus d'ananas frais (j'insiste sur le "frais") : en effet, l'ananas frais contient des enzymes protéases (broméline) qui ont donc, comme l'indique le qualificatif "protéase", la capacité de dégrader les protéines, notamment les protéines de la viande. 
 
Et pour bien montrer cet effet j'injectais du jus d'ananas frais dans le rôti de porc, à la seringue, et je laissais la viande ainsi pendant une nuit. Le lendemain, la viande était comme une sorte de terrine, à l'intérieur. 
D'ailleurs, à côté, j'avais fait tremper un morceau de viande dans du jus d'ananas, et il était ensuite complètement défait. 

A noter que l'on peut faire la même chose avec des jus de papaye, de figue, par exemple. Et surtout, bien penser que la chaleur dégrade les enzymes protéases, de sorte que l'effet ne pourra pas se produire.

vendredi 1 décembre 2023

Tradition, innovation, patrimonial... Méfions-nous de nos acceptions exagérément mélioratives

 

Alors que nous lançons un programme européen nommé Tradinnovation, je vois que les mots tradition et innovation, qui forment la base du nom, sont très discutables.

Les traditions, en effet ne sont pas toutes bonnes :  l'esclavage a été traditionnel !
De même, ce qui est "patrimonial" n'est pas nécessairement  bon : certains gènes de prédisposition au cancer nous viennent de nos parents, certaines maladies génétiques, et un héritage est parfois une dette, comme le savent bien les notaires.

Et l'on a intérêt, également, à ne pas gober trop vite l'innovation.

En réalité, nos travaux ne doivent avoir qu'un objectif : faire un futur meilleur que le passé.
L'histoire  montre que, progressivement, l'humanité s'est débarrasée de  comportements intolérables. Nous avons évoqué l'esclavage, mais souvenons-nous aussi de  la féodalité : chaque printemps, les chevaliers partaient en guerre pour aller conquérir les terres avoisinantes.

La guerre n'a hélas pas disparu, mais au moins n'est-elle plus systématique !

Il y a aussi l'école,  qui est une innovation merveilleuse. Je ne dis pas qu'elle va parfaitement, mais,  quand même, nos efforts portent certains fruits, notamment en matière de combat contre la pensée magique, cette pensée enfantine, irréfléchie, irrationnelle, qui fait le lit des tyrannies.
Chercher à comprendre c'est déjà désobéir mais surtout c'est commencer la lutte contre les tyrannies, refuser ce qu'elles veulent nous imposer. On se souviendra de René Descartes qui proposait de "N'accepter comme principe du raisonnement que ce dont il est impossible de douter",  et "Ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle ; c'est-à-dire, d'éviter soigneusement la précipitation et la prévention, et de ne comprendre rien de plus en mes jugements que ce qui se présenteroit si clairement et si distinctement à mon esprit, que je n'eusse aucune occasion de le mettre en doute".
Bref, il faut une pensée rationnelle, claire, loyale.

L'innovation, d'autre part, a une courte vue , quelle que soit l'acception qu'on lui donne, quand elle propose seulement de considérer comme merveilleuse des méthodes, des techniques qui sont seulement nouvelles, dont on a pas évalué  l'intérêt moral. Cela doit se faire à titre individuel, mais aussi en termes collectifs, et, là encore, on ne tombera pas dans le piège d'une connotation méliorative du mot.

Et c'est l'occasion d'observer que  les connotations sont très idiosyncratiques : pour certains, le mot tradition est un repoussoir, alors que c'est un sésame pour d'autres ; idem pour innovation (avec souvent une interversion des groupes).

Bref, finalement, au  cours de nos travaux, nous aurons intérêt à passer tout ce que l'on nous proposera au filtre d'une analyse  rationnelle, intelligente.

jeudi 2 novembre 2023

La cuisson des pâtes

 
Cuire des pâtes ? La chose est si commune que l'on en oublie de s'interroger sur les mécanismes de la transformation. 

 

Ceux-là semblent tout simples : par exemple, pour un spaghetti, on part d'une tige cassante, on la met dans l'eau bouillante, et l'on obtient un spaghetti flexible qui, si l'on poursuit la cuisson, finit par se désagréger. 

 

Pourquoi cette transformation étonnante, au fond ? 

 

Pour comprendre le mécanisme du phénomène, il est bon de s'interroger sur la fabrication des spaghetti : on obtient de ces derniers en poussant un mélange de farine et d'eau dans une filière. 

Pas n'importe quelle farine toutefois : il s'agit de farine de blé dur, laquelle contient une quantité notable de protéines susceptibles de former un réseau, ce que l'on nomme le gluten (un terme bien périmé : il fut introduit au XVIIIe siècle, quand on n'avait pas encore la notion de protéines), entre lesquels les grains de l'amidon sont dispersés. L'amidon est une matière qui est très majoritairement composée de deux composés : l'amylose et l'amylopectine, dont les molécules sont, dans les deux cas, des enchaînements de résidus de glucose, mais avec une différence, à savoir que ces résidus sont enchaînés linéairement, comme une chaîne, pour l'amylose, alors qu'ils forment des sortes d'arbres dans le cas de l'amylopectine. Dans l'amidon, il y a d'autres composés : en surface des grains, par exemple, il y a des quantités faibles, mais non nulles, de composés variés, tels les phospholipides ; et puis, il y a aussi une foule de composés qui proviennent de la dégradation des grains de blé lors de la mouture... mais restons au premier ordre. 

Finalement, un spaghetti, c'est un groupe de grains enchâssés dans un réseau protéique, de gluten. Pour des nouilles, à l' alsacienne, des pâtes aux œufs, la structure est analogue, puisque ces pâtes, absolument merveilleuses et dont le goût est sans doute supérieur (;-)... mais il est vrai qu'il y a le goût du jaune, qui n'est pas présent dans les spaghetti) à celui des spaghettis, s' obtiennent par mélange de farine, d'eau et d'oeuf. 

L'oeuf apporte des protéines qui, à la cuisson, coaguleront, formant une sorte de filet, un réseau, fonctionnellement analogue au gluten. La farine apporte toujours les grains d' amidon, et l'eau, qui s'immisce entre les grains par capillarité, permet un liant qui joue son rôle tant que le réseau protéique n'est pas constitué, en début de cuisson. 

 

Considérons donc maintenant un échantillon de pâte, spaghetti ou nouille à l'alsacienne, que nous plongeons dans l'eau bouillante. Si cet échantillon est un échantillon de nouille, la température élevée de l'eau, qui devient immédiatement celle de la surface de l’échantillon conduit à la coagulation des protéines. 

Un réseau se forme ; il empêche la dégradation de l'ensemble. Puis, progressivement, quand la température augmente dans l'échantillon, en même temps que l'eau diffuse dans ce dernier, les grains d'amidon s’empèsent progressivement, à savoir qu'ils perdent des molécules d'amylose, dans l'eau entre les grains, tandis que des molécules d'eau s’immiscent dans les grains et les font gonfler. 

Simultanément les protéines coagulent à des profondeurs croissantes de l'échantillon, quand la température s’élève. 

Finalement, on obtient un ensemble de grains gonflés enchâssé dans le réseau protéique coagulé. 

 

Quand les spaghettis sont-ils cuits ? 

 

La "dimension" des spaghettis est égale à 1 quand ils sont crus : il suffit d'un nombre pour déterminer la position d'un point sur le spaghetti à partir d'une extrémité. 

Puis, au cours de la cuisson, la « dimension fractale » augmente. Par exemple, si on laisse tomber un spaghetti dans une assiette, et si l'on trace ensuite une grille n x n sur l'image, on compte le nombre N de carrés contenant une partie de l'image du spaghetti, et l'on calcule F=2 log(N)/log(n.n) ; enfin on cherche la limite de F pour n tendant vers l'infini (en pratique, on fait varier n de 2 à 10 et l'on estime la limite). Quand on reporte cette dimension en fonction du temps de cuisson, on voit qu'elle croit linéairement avec le temps , mais avec deux régimes : de 0 à 12 minutes, la croissance est rapide ; puis la croissance diminue. Or 12 minutes correspond à un temps de cuisson « raisonnable ». 

N'est-ce pas que la cuisine est une activité merveilleuse ?

jeudi 12 octobre 2023

L'oeuf parfait, l'oeuf à 65, l'oeuf moléculaire ?



On parle beaucoup, aujourd'hui, d'oeuf moléculaire et d'oeuf parfait, et on trouve très de plus en plus fréquemment cet oeuf dans les restaurants du monde entier. De quoi s'agit-il ?

C'est une invention que j'ai faite dans les années 90, alors que je cherchais à comprendre pourquoi les œufs cuisent.
À l'époque, les physiciens prétendaient que les blancs d'oeufs cuits étaient des gel chimiques mais les chimistes disaient qu'il s'agissait de gels physiques. Finalement qu'en était-il ? C'est pour comprendre que, considérant la flèche des énergies, qui montre bien la différence entre les gels physiques (pas de liaisons covalentes entre les molécules dont l'assemblage fait un réseau qui piège le liquide) ou chimiques (des liaisons covalentes entre les éléments constitutifs du réseau), j'ai conclu que la coagulation de l'œuf était due essentiellement à des "ponts sulfure", qui lient chimiquement les protéines chauffées quand elles contiennent des groupes "thiol" ;  et j'en ai apporté la preuve expérimentale en décuisant un œuf, en faisant revenir cru un œuf cuit.

Cela était  donc établi,  mais il y avait d'autres questions et par exemple de savoir pourquoi les œufs cuits plus de 10 minutes deviennent caoutchouteux. L'expérience qui établit le phénomène est facile à faire, et on le  fait chaque fois que l'on cuit  mal un œuf dur.
Or, dans la théorie que j'avais élaborée, pour décrire la coagulation des œufs, je ne voyais pas les 10 minutes. Et je ne les voyais pas parce qu'elles n'y étaient pas : ce qui apparaissait, c'était seulement la coagulation des protéines.

A l'analyse, il m'est apparu qu'il n'y a pas une seule protéine (je parle d'une catégorie de molécules, et non pas de molécules) dans le blanc d'oeuf, mais plusieurs (environ 300 pour le blancs) et que chacune a une température de dénaturation particulière.

De sorte que j'arrivais à cette prévision : si l'on cuit un œuf à 61 degrés pendant plusieurs heures il restera liquide. Mais dès que l'on dépassera  62 degrés,  alors des transformations peuvent survenir et une première coagulation doit s'observer ; puis si on chauffe davantage, par exemple à 70 degrés, alors une deuxième coagulation sera visible et un changement apparaîtra, et ainsi de suite.

C'est la raison pour laquelle j'ai alors mis des œufs dans des fours à 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, etc. Et effectivement l'œuf à 65 degrés était tout à fait extraordinaire parce que le blanc était pris, laiteux, très tendre, tandis que le jaune restait liquide avec son goût remarquable de jaune d'œuf cru.

C'est cet oeuf à 65 degrés que j'ai nommé "oeuf parfait".

Les oeufs produits  aux autres températures n'ont pas démérité, et ils sont intéressants dans différents contextes culinaires, mais ce ne sont pas des "œufs parfaits".

D'ailleurs, le mot parfait est très contestable puisque personnellement je préfère plutôt l'œuf à 66 ou 67 degrés et que, de surcroît, nos goûts peuvent changer selon les minutes de sorte que l'oeuf qui serait pour nous parfait un jour pourrait ne pas l'être le lendemain.

Mais qu'importe, le nom d'oeuf parfait a été donné à l'œuf à 65 degrés, et pas aux autres. Et je m'amuse d'ailleurs de le voir aujourd'hui surnommé œuf moléculaire.

Pourquoi pas, puisque cet œuf est effectivement advenu grâce à des matériels culinaires perfectionnés, venu du laboratoire, tels les thermo-circulateurs, et que la cuisine moléculaire correspond très justement à cette technique culinaire qui se fait avec des matériels venus des laboratoires.

En tout cas, ce n'est pas difficile à faire : on prend un œuf, on le met dans un four et l'on chauffe à 65 degrés pendant un temps qui dépend de la taille de l'oeuf, mais que l'on choisira d'une heure ou plus.
Bon appétit

mardi 10 octobre 2023

Quand le vert des feuilles change presque de jour en jour...

 Le printemps est le moment où l'on s'aperçoit que le vert change, le moment où nous prêtons attention à ces changement, parce que le vert apparaît sur des branches jusque là dénudées. 

Puis l'été est le moment où l'on voit que le vert des feuilles change, parce que le chaud alterne avec l'humide. 

Et l'automne est le moment où l'on s'intéresse à la couleur des feuilles, parce que le vert cède la place à d'autres teintes. 

 

En réalité, le vert des feuilles change sans cesse, comme l'analyse suivante permet de le comprendre. Le vert des feuilles, c'est leur contenu en pigments que sont les chlorophylles et les caroténoïdes, notamment. Pour certains feuillages, il peut y avoir aussi des composés phénoliques, mais le raisonnement serait le même que celui que nous allons faire. 

 

Chlorophylles et caroténoïdes, donc. Dans les feuillages, les chlorophylles sont les chlorophylles a, a', b, b', et les caroténoïdes ont pour nom carotène, lutéine, violaxanthine... Chacun de ces composés a un spectre d'absorption particulier, ce qui signifie qu'il absorbe des rayonnements particuliers du spectre de la lumière visible. La lumière du jour arrive donc sur la feuille ; une partie est absorbée et le reste est réfléchi. Plus les pigments sont nombreux, et plus leurs absorptions sont différentes, plus la feuille paraît sombre. 

Imaginons que les feuilles ne contiennent que la chlorophylle a : on aurait une certaine couleur. Puis imaginons que les feuilles contiennent de la chlorophylle a et du carotène bêta : la couleur serait différente. Or les feuilles qui croissent synthétisent les pigments, mais elles ne les synthétisent pas tous à la même vitesse, parce que les voies métaboliques sont différentes pour les divers pigments. La proportion de chlorophylle a, par exemple, change avec le temps, de sorte que la couleur change, puisque tout est affaire de proportion. 

Et voilà pourquoi il n'est pas étonnant que la couleur des feuilles change avec les jours qui passent, du premier jour où elles apparaissent, jusqu'au jour où elles tomberont. J'ai dit « il n'est pas étonnant », mais je me reprends, car une telle expression banalise le phénomène, qui est bien mystérieux et merveilleux pour qui n'est pas chimiste. Au contraire, ces changements de couleur sont très étonnants ! La preuve : il a fallu que les sciences viennent donner l'analyse précédente pour que l'on y voie plus clair. Sans les éclaircissements des sciences, les mystères tels que les verts changeants des feuillages sont de ceux qui ont conduit l'humanité à imaginer des dieux, des elfes, des lutins, des feux follets. 

Naguère, ce type de phénomène appelait des puissances imaginaires, et chacun pouvait ajouter sa voix à la grande cacophonie publique des mythes, des légendes. Aujourd'hui la chimie physique a-t-elle mis fin à cet « enchantement » ? Je ne crois pas, car la théorie scientifique, bien plus fiable que l'imagination, est toujours « insuffisante » par principe (faut-il dire « incomplète » ?), de sorte que, jour après jour, notre compréhension du monde s'embellit. Ce serait une erreur de croire que la chimie physique de la couleur des feuilles ait dit son dernier mot, au contraire. La science n'a pas de fin parce qu'elle perfectionne à l'infini ses théories, ses explications, qu'elle améliore ses mécanismes, en vue de produire un discours toujours plus approprié. Il est là, l'enchantement du monde. Et puis, il faut quand même s'étonner de ces synthèses différentielles des chlorophylles et des caroténoïdes. Il y a de quoi s'émerveiller de la constitution moléculaire des molécules de ces composés qui absorbent la lumière visible. 

Les chlorophylles ? Des molécules qui sont construites autour d'un noyau « tétrapyrrolique », avec des atomes qui forment une sorte de « plaquette », et un atome de magnésium au centre, des électrons étant répartis (on dit « délocalisés ») sur tout le plan du noyau. 

Les caroténoïdes ? Des molécules également remarquables, mais différemment : elles ont un long squelette fait d'atomes de carbone, avec des liaisons simples et des liaisons doubles qui alternent, ce qui permet, à nouveau, la délocalisation des électrons, laquelle permet l'absorption de la lumière visible. 

Dans les deux cas, il y a un mécanisme analogue, et très remarquable. Ordinairement, quand il n'y a pas de délocalisation des électrons, les molécules n'absorbent que des rayonnements très énergétiques, ultraviolets par exemple. En revanche, quand les électrons de doubles liaisons sont ainsi délocalisés, ils sont moins « tenus » par le squelette moléculaire, et interagissent plus facilement avec les rayonnements, de sorte qu'ils peuvent absorber ces derniers, avant de revenir à l'état initial, souvent par réémission de rayonnement invisible, infrarouge par exemple. 

Je m'arrête là : j'avais juste esquissé la suite du récit afin de montrer qu'il y a lieu de s'étonner chaque seconde... de la couleur changeante du vert des feuilles.

jeudi 5 octobre 2023

Le combat pour la Raison : à ne jamais cesser, à amplifier


Pendant l'été, j'ai interrogé des personnes autour de moi à propos de leur "modèle intellectuel relatif à la constitution de la matière" : je mets cela entre guillemets parce que cela fait une bien difficile expression, bien abstraite.

Mais si vous vous  reportez au billet que j'avais écrit alors (https://hervethis.blogspot.com/2023/08/quel-modele-avons-nous-de-la-matiere.html), vous verrez que mes questions étaient extraordinairement pratiques et simples, compréhensibles : je voulais seulement savoir, concrètement, pratiquement, simplement, clairement,  comment des personnes de mon entourage se représentaient un cristal de sel ou de sucre, par exemple, ou la dissolution d'un tel cristal dans de l'eau.

J'avais été stupéfait de voir que même des personnes qui avaient fait des études supérieures n'avait en réalité aucune idée juste (ou fausse) de l'organisation de la matière.

De ce fait, je m'interroge sur leur place dans le monde : comment la voient-ils ? Comment perçoivent-ils les phénomènes ?

Jadis, on imaginait le monde peuplé de divinités, grandes ou petites, dieux, déesses, nymphes, gnomes, lutins, dryades, etc., qui auraient réglé l'apparence du monde : la pluie, la foudre, la surrection d'une montagne, le jaillissement d'une source, les crues d'une rivière...

D'ailleurs, il faut observer que la magie était constante et non seulement dans l'hypothèse de ces prétendus divinités mais aussi dans les relations qu'elles auraient entretenu avec les phénomènes visibles : par quelle "magie" les auraient-elles commandées ?

Des connaissances de chimie, de physique et de biologie donnent des clés pour comprendre tout cela...  à condition :
1. que l'on ait ces clés
2. que l'on sache les mettre en œuvre à bon escient.

Le second point est essentiel : savoir qu'un acide peut neutraliser une base, c'est bien, mais neutraliser effectivement un acide qui menace avec une base,  c'est mieux.

En quelque sorte, ces deux points structuraient l'Encyclopédie de Diderot, d'Alembert et leurs amis  : lutter contre les "tyrannies", par la connaissance technique, technologique et scientifique.  

La connaissance scientifique tout d'abord, ce sont bien les mécanismes des phénomènes.

Mais, comme dit, il faut les faire advenir en pratique, et c'est pour cette raison que les techniques et la technologie avaient leur place dans l'Encyclopédie.

Tout cela venait combattre donc les tyrannies, à l'époque, une royauté dévoyée, mais aussi une religion exagérément puissante : on n'oublie pas que Voltaire avait discuté largement de l'Inquisition, qui était encore présente.
Et l'on n'oublie pas non plus qu'à l'époque les charlatans étaient omniprésents :  rebouteux, prétendus guérisseurs par les herbes ou l'imposition des mains, sorciers de tous poils... 

Peu avant  l'Encyclopédie, Cyrano de Bergerac, le vrai, celui qui servit de modèle au roman d'Edmond Rostand, combattait déjà les sorciers  : " "On ne m'a quasi jamais relaté aucune histoire de Sorciers, que je n'aye pris garde qu'estoit ordinairement arrivée, à trois ou quatre cent liëues delà".

 

Aujourd'hui, avec des théories insensées, délirantes, hurluberlues, comme les croyances en un monde mu par des forces spirituelles (d'où la biodynamie, le spiritisme, la prétendue influence de la lune sur la croissance des plantes, les  prétendues énergies cosmiques, les prétendues vibrations énergétiques variées, les prétendus pouvoir de la Nature, les tables qui tourneraient, les fantômes, les feux follets, les feux de Saint Elme, les ectoplasmes, les extra-terrestres, les soucoupes volantes, les médecines les plus abracadabrantes, etc.) par exemple, on constate que le combat ne doit pas s'arrêter.
 

Trop de nos concitoyens croient naïvement à un fonctionnement spirituel du monde, alors que les sciences ne cessent d'en démontrer, au contraire, le fonctionnement "mécanique" (i.e. chimique, physique, biologique), et trop de charlatans vivent financièrement de ces lubies, profitant de la faiblesse intellectuelle d'autrui.

Et je fais maintenant le lien avec l'absence, chez de trop nombreux citoyens, de théories rationnelles de la matière  :  pour toutes celles et tous ceux qui n'ont pas les élémentaires connaissances chimiques, physiques ou biologiques, tout se vaut !
Pour ces personnes, il est tout aussi légitime de croire à des ondes cosmiques faisant pousser les haricots ou fermenter le vin dans les bouteilles qu'à n'importe quoi d'autres.
Ils sont ballottés au gré des idées les plus idiotes, les plus malhonnêtes, les plus folles, les plus insensées, les plus fausses... puisqu'ils n'ont pas les moyens de penser rationnellement, de faire le tri.  

Pour eux, pour tous ceux qui oublient que les sciences sont d'abord quantitatives et réfutables*, tout se vaut, et c'est la raison pour laquelle un grand combat pour la Raison doit être mené sans relâche.
C'est l'ignorance qui fait le lit de la charlatanerie et, a contrario, c'est l'enseignement qui doit équiper les citoyens, les débarrasser de la pensée magique qui afflige enfants et ignorants, qui doit en faire des citoyens capables d'éviter les lubies les plus variés, capables de ne pas confondre les faits et les idéologies : la négation des variations climatiques, les dangers exagérés de la vaccination, les influences des "ondes", les complots de tous ordres, et cetera.

C'est à l'école que tout se construit et c'est à l'école que les cours de sciences doivent commencer à être donnés avant de se poursuivre au collège, au lycée, à l'université et au-delà  !


* Je rappelle que la science n'est pas là pour "prouver", ou "démontrer", mais pour donner des théories quantitatives et réfutables, que les scientifiques s'évertuent à réfuter. Le mouvement essentiel est de se dire : "Si cette théorie était juste [on sait a priori qu'elle est insuffisante], alors cette expérience devrait aboutir à ce résultat particulier"

jeudi 28 septembre 2023

La quiche

Par une sorte de réflexe idiot, j'ai failli écrire « la quiche lorraine », mais je serais tombé dans la périssologie, une faute, donc, car la quiche est lorraine ! 

Dans ce billet, je propose d'examiner la raison pour laquelle il est bien peu utile d'avoir des recettes pour cuisinier, quand on a ce qu'il faut entre les deux oreilles. 

Analysons : une quiche, c'est de la pâte qui enferme une « migaine » coagulée. A ce stade, je ne peux m'empêcher de sourire, car, alors que je veux simplifier pour mes amis, j'utilise des mots comme « migaine », qui sont du patois lorrain. Rassurons-nous, il s'agit seulement d'un mélange d'oeufs, de crème, de lait, avec quelques lardons dedans. Nous y reviendrons. 

Je repars donc du début : une quiche, c'est une pâte avec une préparation coagulée par dessus (on dit « un appareil », en cuisine). Il faudra donc considérer deux parties : la pâte, d'une part, et la migaine d'autre part. 

Pour la pâte, nous savons tous qu'il y en a de sablées, brisées, feuilletées. Souvent, quand nous achetons une quiche, la pâte est feuilletée, parce que cela est le signe d'un travail plus élaboré, plus professionnel. Va pour la pâte feuilletée. 

La pâte feuilletée ? C'est tout simple. On commence par faire un pâte en mélangeant la farine et de l'eau. Combien ? Ne vous en faites pas : partez de farine, et ajoutez de l'eau en mélangeant, cuillerée par cuillerée. Vous obtiendrez une pâte qui ne colle plus aux doigts. 

Ce que l'on ne sait guère, c'est qu'il vaut mieux mettre cette pâte au frais sans quoi elle se rétracte. C'est ce que nous ferons, en mettant la pâte dans une une feuille de plastique transparent, afin qu'elle ne sèche pas, ne croûte pas. Puis nous la sortirons après environ une heure, et nous l'étalerons en une galette un peu épaisse. Dessus nous déposerons du beurre malaxé pour qu'il soit mou : une masse comprise entre la moitié de la masse de pâte et la masse de pâte complète. Nous posons une sorte de disque de beurre sur le disque de pâte, et nous replions la pâte par-dessus le beurre pour l'envelopper comme une lettre dans une enveloppe. Puis, l'aide d'un rouleau à pâtisserie, nous étendons l'ensemble de sorte qu'il soit environ trois fois plus long que large, et nous le replions en trois. Nous le tournons d'un quart de tour, et nous recommençons l'opération d'allongement et de repliement. Puis nous remettons la pâte dans le film, et nous remettons au frais, sans quoi, surtout en été, le beurre risque de fondre exagérément et de fuir tous les côtés. Après une demi-heure à une heure de repos de la pâte au frais, nous reprenons l'ensemble, nous l'étendons trois fois plus long que large, nous plions en trois, nous tournons d'un quart de tour, nous étendons trois fois plus long que large, nous replions... et nous filmons, nous remettons au frais. Là, nous avons fait quatre tours. Il ne reste que deux tours à faire, juste avant la cuisson. Je n'explique donc pas comment on fera ces deux derniers tours, puisque j'ai déjà expliqué cela deux fois, mais je me limite à préciser que, finalement, nous étendrons la pâte à la taille du moule, un peu épaisse si nous voulons la voir gonfler considérablement, et très mince si nous voulons éviter le gonflement, ce qui est le cas pour une quiche. 

Pourquoi le gonflement aurait-il lieu ? Parce que la pâte contient de l'eau, et que l'eau qui s'évapore prend plus de volume que l'eau liquide ; comme la vapeur est entre des feuillets de beurre, les feuillets de pâte se séparent avant de sécher. D’ailleurs, pour éviter un gonflement excessif, on a coutume de piquer la pâte avec une fourchette, ce qui soude les couches, mais conserve une consistance feuilletée. 

La cuisson ? Un four à 180° pendant 30 à 50 minutes fait l'affaire. Faites donc des essais : vous identifierez les paramètres qui vous conviennent, et votre entourage sera ravi de participer à des expérimentations qui se concluent toujours par la dégustation. 

 

Reste l'appareil, la migaine, la préparation qui coagule. 

Nous avons vu qu'il s'agit de lait et de crème, c'est-à-dire d'eau et de matière grasse, mélange auquel on ajoute de l'oeuf, c'est-à-dire de l'eau et des protéines. À la cuisson, les protéines coaguleront, fixant l'ensemble dans une sorte de grand filet, de sorte que l'eau restera dans le réseau, tout comme les morceaux de lard qui, eux, contrairement aux molécules d'eau, sont bien visibles à l'oeil nu. Le lard ? C'est de la poitrine fumée, que vous aurez ou non fait rissoler par avance ; c'est une question de goût. 

A ce stade, il faut évoquer différentes écoles. Il y a ceux qui mettent la migaine dans la pâte, directement, et ceux qui cuisent d'abord la pâte "à blanc", sans garniture, afin qu'elle soit bien cuite, et qui, dix minutes avant la fin de la cuisson, ajoutent la préparation afin qu'elle reste tendre. 

Les bons cuisiniers lorrains ont l'habitude de dire que la quiche est prête quand elle se met à gonfler. C'est en effet le signe que la coagulation a eu lieu, et que la vapeur qui voudrait s'échapper est bloquée par la migaine juste coagulée. 

Ah, j'ai oublié nombre de détails : muscade, sel, poivre... mais rappelez-vous que je ne suis pas cuisinier. Si j'ai de bons maîtres, je propose surtout ici d'analyser la composante technique de la cuisine. Pour la partie artistique, je vous renvoie aux artistes... Mais attention : aux artistes, et non pas aux techniciens. 

Et, pour terminer, rappelons que la cuisine, c'est d'abord du lien social, avant d'être de l'art ou de la technique. La vraie question est de savoir comment donner du bonheur à nos amis. Faire une quiche, c'est bien, mais nos amis percevront-ils tout le mal que nous nous sommes données pour eux ? Cela peut apparaître si l'on a bien déposé la pâte, si l'on évité que le fond charbonne, si l'on a une surface légèrement brunie, si la quiche paraît gourmande, avec assez de lardons, coupés de la bonne taille, soigneusement désossés... Et puis, il y a tout le reste : le plat où la quiche est placée, la nappe sur laquelle le plat est posé, les couverts soigneusement disposés, le couteau avec sa lame vers le convive, et la fourchette à la française, avec les dents vers la nappe, au lieu de montrer des pointes agressives à nos vis à vis. Il y a la lumière, la couleur, l'environnement sonore, le moelleux des coussins ou la bonne assise des chaise. 

Bref, une quiche, c'est bien plus qu'une quiche, et c'est seulement si l'on a bien dit je t’aime que nos amis le percevront clairement, et qu'ils auront toutes les bonnes raisons de nous aimer en retour. La quiche ? Une occasion de ne pas manquer d'établir de merveilleuses relations entre les individus. J'aurais pu dire cela de n'importe quel plat, et nous aurons donc l'occasion d'y revenir.

mardi 26 septembre 2023

La merveilleuse histoire du sotolon.

Sotolon, qu'est que cet animal étrange ? 

Ce n'est pas un animal mais un composé, une lactone, c'est-à-dire un composé dont les molécules comprennent des atomes groupés en cycle pentagonal, avec quatre atomes de carbone et un atome d'oxygène ; sur ce cycle, s'attachent des groupes moléculaires variés. 

Le sotolon a une odeur puissante, qui dépend de sa concentration. Selon les cas, on sent (dans le désordre) la noix, la levure, le curry, le vin jaune, le porto, la brioche, le champagne, le fenugrec... 

De fait, il est présent dans tous ces produits, notamment, et il fut découvert il y a quelque années qu'il est également présent dans le vin jaune : ce composé semble produit par l'autolyse des levures, la dégradation de ces dernières qui survient quand elles meurent. 

Pas étonnant, alors, qu'on le trouve dans le pain, la brioche, le champagne, etc., puisque des levures meurent dans tous ces aliments et boissons. 

Cette observation est une clé pour le praticien : plus il mettra en œuvre de levures qui mourront, plus il favorisera la production de ce goût merveilleux qui est celui du sotolon. Une brioche ? Faisons la fermenter, puis, quand la fermentation s'arrête, rabattons la pâte, c'est-à-dire travaillons la afin que les levures restantes se retrouvent au contact de nutriments frais, et que le gonflement se produise une deuxième fois. J'ai dit deuxième et non seconde, parce que l'on aura compris qu'il n'est pas inutile de battre à nouveau afin de favoriser une troisième fermentation, une quatrième, etc. Et c'est ainsi que les pâtes fermentées prendront un goût merveilleux, pas réductible au sotolon, mais où celui-ci jouera une partie essentielle.

mercredi 13 septembre 2023

Le sucre semoule, pour des pâtes à foncer plus croustillantes ?



Le sucre semoule ferait des pâtes plus fines et plus  croustillantes ?

Dans la question que l'on me pose, je m'arrête, tout d'abord, parce qu'il y a mille sortes de pâtes différentes, et la réponse n'existe sans doute pas pour une question aussi vaste.
Et pour des pâtes à foncer ? Là encore, il y a tant de variations que je doute d'une réponse uniformes.

Et puis : "plus fines"  ? Moi, je sais "fin comme un fil, mince comme une feuille". Que veut dire mon interlocuteur ?

Enfin, croustillant, ou croquant ?

Mais si j'acceptais de répondre, je dirais... que je n'en sais rien et que je n'y crois guère à l'effet annonce. Mais peu importe ce que je crois, car, ce qui compte, c'est l'expérience, et l'expérience doit être faite dans des conditions rigoureuses.

On doit partir doit faire deux pâtes avec la même quantité de  farine, de beurre et d'eau. On doit  travailler les deux pâtes exactement de la même façon, pendant le même temps, chronomètre en main. On doit ensuite abaisser les deux pâtes de la même façon, et les cuire ensemble dans le même four.

Si l'on change rien qu'un paramètres, on n'aura aucune certitude que ce n'est pas le changement des paramètres qui est responsable du changement final.

Et voilà notamment ce qui est enseigné lors des séminaires de gastronomie moléculaire auquel je vous invite soit en présentiel soit  en ligne, avec les liens qui sont donnés à tous ceux qui les demandent.
Les séminaires de gastronomie moléculaire ont lieu au Lycée Guillaume tirel que je remercie vivement de nous accueillir, généralement le  deuxième mercredi du mois, de 16 à 19 heures.
Les expérimentations et les discussions donnent lieu à des comptes rendus rédigés, assorti de photos, qui sont d'abord soumis aux participants, afin qu'ils puissent corriger éventuelles erreurs, avant d'être diffusés très largement. Et tout est en ligne sur le site du Centre  INRAE-AgroParisTech de gastronomie moléculaire et physique.