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dimanche 19 janvier 2025

À propos d'évaluation par les pairs


Il y a quelques temps, j'ai publié un éditorial pour la publication intitulée Notes académiques de l'Académie d'agriculture de France, où j'ai discuté la question de l'évaluation par les pairs, en réfutant des arguments qui sont classiquement donnés : le processus seraient lent, il bloquerait l'innovation, il n'éviterait pas toutes les fautes, il permettrait à des concurrents de voler des idées, et cetera. 

Tout cela étant mis sur la table, il y a lieu de répondre à ces critiques, mais, d'abord, à signaler que l'introduction de l'évaluation par les pairs fut un progrès extraordinaire de la publication scientifique, parce que, bien conduite, ces évaluations permettent d'améliorer les manuscrits. On a pas assez dit qu'il ne s'agit pas pour les rapporteurs de dire si les manuscrits soumis sont mauvais, médiocres, passables, bons, excellents... 

Non, cela n'a aucun intérêt. Il s'agit surtout de contribuer à améliorer les articles pour que, finalement, les articles qui sont publiés comportent le moins de fautes possible. 

Car il faut dire que le travail scientifique, et la rédaction d'articles scientifiques, sont peut-être moins difficiles par chaque travail élémentaire qui les constitue que par le nombre considérable de ces travaux. Par exemple, dans le manuscrit d'un article scientifique, il y a tout à surveiller. Bien sûr, il y a la typographie, l'orthographe, la maquette, mais il y a surtout à voir que, dans les expérimentations, par exemple, on n'a pas manqué un point essentiel qui annihilerait le résultat ; il y a lieu de vérifier que les interprétations ne dépassent pas les faits établis et cela faites façon quantitative. Il y a lieu de vérifier que tout ce qui est dit est référencé, c'est-à-dire en réalité établi par les précédents, ou établi (correctement) par nous-même... 

Bref, c'est faire un travail énorme et je vois mal pourquoi nous pourrions refuser de l'aide par des rapporteurs, à condition bien sûr que ces collègues soient bienveillants et qu'ils aient pour objectif de nous aider à faire mieux. 

Dans un billet précédent, je me suis interrogé sur les raisons qui poussent certains à refuser l'évaluation par les paires, en évoquant cette anecdote d'Albert Einstein qui, arrivé aux États-Unis, proposa un manuscrit à une revue américaine qui envoya le manuscrit à un rapporteur, en l'occurrence un jeune physicien brillant ; ce dernier vit grosse difficulté théorique dans l'article et la signala, mais Einstein, qui était habitué à ce que ses manuscrits soient directement publié, retira son manuscrit : une occasion ratée de ne pas publier une erreur ! 

Je préconise également que les échanges entre éditeurs, rapporteurs et auteurs soient anonymes, non pas pour que certains en profitent pour tenir des propos désobligeants, mais plutôt pour que seule paraisse finalement en public un document de bonne qualité, dont les auteurs n'auront pas à rougir. Je pense en particulier aux jeunes scientifiques qui apprennent progressivement à rédiger des articles scientifiques, avec les canons professionnels qui s'imposent. On sait bien que les premières rédactions sont difficiles et c'est la raison pour laquelle certains au moins de nos amis les plus jeunes (mais les vieux aussi) laissent souvent des erreurs qu'il y a lieu de corriger. 

Les sites de dépôt libre de manuscrit sont en réalité terribles, parce qu'ils mettent le scientifique face à son entière responsabilité. Je m'empresse d'ajouter que j'ai trop vu de ces textes qu'un travail d'édition n'aurait pas paraître avec tant d'imperfections évidentes ! 

Bref, je préconise une évaluation qui ne soit pas ouverte, en double anonymat, conduite dans un esprit positif d'amélioration du manuscrit en vue de sa publication.

samedi 18 janvier 2025

Il faut peler les carottes à l'économe

Lors de notre dernier séminaire de gastronomie moléculaire, nous avons exploré l'épluchage des carottes et confirmé que les carottes grattées au couteau brunissent considérablement, tandis que les carottes épluchées à l'économe gardent leur fraîche couleur. 

Simultanément, nous avons observé qu'il y avait plus de liquide libéré quand on gratte et au couteau que quand on utilisait l'économe. 

Tout cela est parfaitement cohérent quand on sait que les carottes sont des assemblages de petits sacs pleins d'eau, vivants, que l'on nomme des cellules. Quant au gratte au couteau ou quand on épluche, on enlève la partie externe du tissu végétal sur quelques millimètres, ce qui signifie que le nombre de couches de cellules concerné est de l'ordre de 100 à 1000. Si l'on gratte, toutes les cellules de ces couches peuvent être endommagées, libérant leur contenu. En revanche, quand on utilise un économe, alors seule la couche de cellules sur le passage de la dame est concernés, et l'on comprend que la quantité de liquide libérée soit moindre. Pour le brunissement, il faut savoir que les cellules végétales contiennent, bien séparés, des enzymes "phénolases", et des composés phénoliques. Une cellule qui est endommagée laisse ces composés venir au contact, et au contact de l'air : les trois ingrédients d'une réaction moléculaire qui fait du brunissement sont réunis. 

On comprend donc que le grattage au couteau puisse faire cent à mille fois plus brun que l'utilisation de l'économe.

Lors du séminaire, nous avons aussi cherché si le grattage ou l'épluchage à l'économe conduisaient à des goûts différents, notamment du point de vue de l'amertume, mais les tests sensoriels que nous avons fait n'ont pas montré cela. 

Finalement, je propose d'abord de conserver l'idée éplucher les carotte, non pas pour éliminer les pesticides artificiels que les agriculteurs auraient pu mettre, mais bien plus tôt pour éliminer les pesticides naturels que les carottes produisent dans leur partie corticale pour se protéger contre les agresseurs : vers, insectes, et cetera. 

D'autre part, vu l'effroyable couleur des carottes grattées au couteau, je crois qu'on peut recommander de pas utiliser cette technique pour les carottes, mais plutôt d'utiliser un économe aussi affûté que possible : c'est ainsi que l'on minimisera à la fois la libération d'eau et le brunissement, mais peut-être aussi, dans certains cas la formation de composés qui pourraient être amer. 

Et on n'hésitera pas à laver les carottes épluchées pour éliminer tous les composés qui auraient été libérés.

mercredi 15 janvier 2025

Vous avez dit "texture" ?

 À propos d'aliments, il est parfois question de leur "texture", mais, la plupart du temps, ceux qui disent ce mot le  confondent avec consistance. 

C'est d'ailleurs amusant qu'ils ne fassent pas le rapprochement avec la texture visuelle qui désigne non pas une quantité moyenne mais plutôt une variation régulière. Texture désigne d'abord la disposition et le mode d'entrecroisement des fils dans un tissage; état de ce qui est tissé. Dès 1260, tisture désigne l'action de tisser.

En réalité, un aliment a d'abord une consistance, et la texture est définie comme ce que nous en percevons, dans des conditions particulières où nous mangeons l'aliment. 

Là, il faut ajouter que nous mangeons de façon très différentes selon les individus :  certains mastiquent longtemps et n'avalent que quand tout l'aliment est divisé ; d'autres mastiquent et avalent progressivement ce qui est divisé à chaque instant  ; et ainsi de suite. 

Au-delà de ces comportements, il y a des différences de perception de l'aliment  selon que l'on est à la première mastication ou bien aux mastications suivantes, car l'aliment, réchauffé, évolue. 
Ainsi, on observera qu'un chocolat est croquant quand on le croque, mais fondant quand on le laisse fondre. De même, quand on plonge joliment dans une piscine, l'eau s'écarte devant nous tranquillement et sans bruit, mais elle est comme du béton en me faisant un plat. L'eau c'est toujours de l'eau, mais sa consistance est perçu différemment selon la façon dont on plonge. 

On comprend donc la différence entre la consistance et la texture  : la consistance est constante, propre à l'aliment, mais la texture est ce que nous percevons de la consistance, selon notre approche de l'aliment.

mardi 14 janvier 2025

Ce n'est pas toujours de la procrastination

 Ne mettons pas la procrastination à toutes les sauces. 

 Beaucoup d'entre nous s'accusent de procrastiner et d'ailleurs, ils le font parfois avec une certaine fierté dont je m'étonne. 

Mais là n'est pas l'objet de ce billet. Ce que je veux discuter ici, c'est le fait  que ce que l'on désigne parfois par procrastination c'est-à-dire repousser au lendemain quelque chose que l'on hésite à faire, n'en est pas toujours : il y a parfois simplement de l'embouteillage. 

Je vois cela ces jours-ci, alors que j'avais de trop nombreux travaux à effectuer, et, en particulier, la relecture d'un volumineux manuscrit. Je savais bien que, derrière, il fallait que je corrige des devoirs d'étudiants,  que je finalise une publication, et cetera. 

Mais on peut pas tout faire à la fois et il a donc fallu décider d'un ordre et de me tenir rationnellement à cet ordre qui a dépassé des délais impossibles à tenir. 

Car on peut pas faire deux choses à la fois. 

Il ne s'agissait donc pas de procrastiner mais simplement de bien faire les choses au fur et à mesure, les unes après les autres, dans un ordre bien décidé. Il s'agissait de ne pas perdre de temps, mais il n'y avait certainement pas de ma part une faute qui aurait consisté à procrastiner.  À l'impossible nul n'est tenu.

vendredi 10 janvier 2025

L'effet cafétaria ? L'effet campus ? Je n'y crois guère

 Discutant avec le directeur d'un institut de recherche, nous évoquons la question du campus de Palaiseau, sur lequel sont venues s'installer plusieurs grandes écoles, à côté de l'université. 

Les bâtiments ont été construits, les routes sont devenues à peu près praticables et il n'est plus complètement impossible d'arriver jusqu'à nos laboratoire et à nos salles de cours. 

Pour autant, la question est plutôt de savoir si cela sert à quelque chose d'avoir ainsi déménagé tant de monde. 

Bien sûr, l'opération a permis de  vendre des locaux parisiens à prix d'or, mais pensons quand même à l'activité de recherche et l'enseignement supérieur : quel bénéfice ? 

Si l'on n'a fait que transposer les institutions en un lieu, alors, du point de vue de la production scientifique, c'est bien inutile. 

Si c'est pour favoriser les "collaborations", alors j'ai des doutes, parce que je sais trop bien que le prétendu "effet cafétéria" joue très peu. Quand j'étais au collège de France, je voyais les physiciens s'agréger aux physiciens, les chimiste aux chimistes, et les biologistes aux biologistes, qu'il s'agisse de prendre l'ascenseur ou d'aller à la cafétéria. 

Puis, rue Claude Bernard, j'ai vu les membres des laboratoires ne pas franchir les portes qui les séparaient des laboratoires voisins. 

Evidemment les institutions s'en émeuvent, et elles cherchent à favoriser des collaborations en leur sein, mais au fond, pourquoi ? 

Pour l'enseignement, on voit que les professeurs de laboratoire différents pourraient utilement être invités à des cursus qui ne soient pas trop focalisés, qui ouvrent l'esprit vers des objets différents, variés. 

Mais pour  la recherche ? La question est différente, car, bien souvent, nous collaborons avec des gens de l'autre bout de la terre plutôt qu'avec nos collègues proches pour la simple et bonne raison que ces collègues éloignés partagent nos goûts, nos idées, nos cultures scientifiques, et que les collaborations sont "faciles".  

En revanche, le laboratoire voisin n'est pas nécessairement de ceux qui pourront nous apporter beaucoup. Bien sûr on peut faire des efforts mais à faire des efforts, on se détourne de sa recherche et on en vient à perdre notre temps. Le faut-il vraiment ?

mercredi 8 janvier 2025

Les dormeurs

Professeur de piano et de composition, de musique en un mot, Nadia Boulanger, qui fut mondialement célèbre en son temps, recevait des musiciens parmi les meilleurs du monde dans ses cours public et elle avait une idée très haute de sa responsabilité de professeur. 

Ses entretiens avec Bruno Monsaingeon montrent qu'elle faisait une véritable différence entre des musiciens de génie comme Stravinsky et d'autres, qui ne déméritaient pas, mais qui n'avaient pas de  feu, de puissance créatrice, de style...

Elle utilise le mot de "dormeur" pour désigner ces personnes qui ne sont pas enflammés. Elle ne les critique pas mais elle les juge quand même. Par ces temps politiquement corrects, je ne suis pas sûr qu'elle emporterait l'adhésion de tous avec sa classification. 

D'ailleurs, personnellement, je ne pense pas que l'on puisse ainsi classer les étudiants selon un axe unique car comme disait Confucius,  l'homme n'est pas un ustensile, il n'a pas une seule dimension mais de nombreuses. 

Tel étudiant qui manie bien les équations ne sera peut-être pas celui qui comprendra le mieux les concepts. D'ailleurs, depuis plusieurs années, je m'étonne que les étudiants qui me semblent les plus brillants ne soient pas nécessairement ceux qui ont les meilleures notes quand une évaluation est proposée. C'est pour moi une énigme, parce que je trouve cela en quelque sorte injuste que les plus attentifs ne soient pas les meilleurs. 

Mais c'est là une grande naïveté de ma part et puisque les faits sont les faits, je dois en tenir compte plutôt que de vouloir imposer mes propres idées fausses.

mardi 7 janvier 2025

L'attention

 

Lisant les interviews de Nadia Boulanger par Bruno Monsaingeon, je trouve une foule d'idées intéressantes. Par exemple, apparemment, la mère de la professeur de piano et de composition avait inculqué à ses filles que tout était dans l'attention : on n'existe que si l'on est attentif, selon elle. 

Pour l'enseignement supérieur, la question est essentielle :  bien souvent, les erreurs des étudiants découlent d'une attention insuffisante. Il faut une attention à tout, aux concepts, aux détails. Notamment en sciences tout compte. Dans une formule, un seul signe erroné et tout s'effondre. 

C'est l'occasion ici de redire que j'ai eu le bonheur de voir le cahier de laboratoire du physicien Pierre Gilles de Gennes, prix Nobel de physique en 1991, et il m'avait  émerveillé tant il était précis, soigneux. Manifestement, il y avait la plus grande attention portée à tout ce qui était écrit. La calligraphie,  au fond, était un révélateur de cette attention extrême, de cette focalisation sur l'objet. 

Oui, il faut être attentif . Je ne vais pas virer vieux con qui dénonce des écrans, les moyens modernes de communication, mais il est vrai que quand je veux me concentrer, j'évite que des alertes électroniques ne me sollicitent toutes les secondes, que des images mobiles ne captent mon regard. Quand je fais une expérience, je nettoie par avance la paillasse, pour n'y laisser, de façon organisée, structurée, planifiée, que les  objets importants que j'utiliserai. 

Et je me rends disponible, attentif, car la nature interrogée a beaucoup à dire.



lundi 6 janvier 2025

Blaise Pascal, Montaigne, et l'amidon

Amusant de savoir que Blaise Pascal était si farouchement opposé à Montaigne, parce que ce dernier faisait état de ses doutes, réservait prudemment son jugement. 

La même position de retrait a valu à Socrate d'être condamné à boire la cigüe : il doutait, et, pis encore, il faisait douter, il montrait les contradictions, empêchant ses interlocuteurs de se reposer sur des certitudes (la foie de Pascal). 

 

Et l'on a la même chose en science,  où certains veulent savoir... ou,  plus exactement , ne veulent pas ne pas savoir :  la différence est essentielle, car tout scientifique veut savoir, bien sûr, et c'est pour cette raison qu'il ou elle explore. Mais les bons scientifiques savent qu'il y a des limites à leur recherche et ils éviteront de tomber dans des théories provisoires par principe ! 

En science des aliments, j'ai encore récemment vu ce besoin de certitudes à propos de l'hydratation de l'amidon. Interrogeant des collègues, à propos de l'hydratation éventuelle des grains d'amidon dans l'eau froide, j'ai eu des réponses parfaitement tranchées et donc parfaitement idiotes : l'amidon se serait empesé. 

En réalité, l'empesage, qui correspond au gonflement des grains, par introduction de l'eau entre les molécules d'amylopectine, a lieu à chaud, mais pas à froid. 

A froid, de la fécule dans de l'eau ne se dissout pas, et l'eau reste claire. En revanche,  si l'on met de la semoule avec de l'eau alors on voit que celle-ci gonfle, absorbe l'eau. Que s'est-il passé ? On n'en sais rien et c'est cela qui est merveilleux...  pour certains, car pour les autres c'est désastreux c'est intolérable c'est impossible.

vendredi 3 janvier 2025

Si on a raté le foie gras chantilly :

 

Il y a trois façons de rater le foie gras chantilly... mais on peut toujours le récupérer :
1. si c'est trop dur : on le fond à nouveau, on ajoute un peu de liquide, et on recommence à fouetter sur glace (ou dans l'eau froide, ça suffit)
2. si c'est trop liquide et que ça ne prend pas : on refond en ajoutant un peu de foie gras supplémentaire, et on bat à nouveau
3. si on avait trop battu et que ça a grainé : on refond et on bat à nouveau
bonne année !

mardi 17 décembre 2024

Les inscriptions pour le Colloque « Chimie et Alimentation » du 12 Février 2025 sont ouvertes.

 

Chers Amis


Les inscriptions pour le Colloque « Chimie et Alimentation » du 12 Février 2025 sont ouvertes.

 Afin que ce colloque rencontre tout le succès qu’il mérite, nous vous remercions de bien vouloir nous aider à en faire la promotion la plus large possible en diffusant le lien https://actions.maisondelachimie.com/colloque/chimieetalimentation.


Par ailleurs, dans le cadre de la réglementation RGPD, vous êtes cordialement invités à vous inscrire en ligne via le lien https://inscriptions.maisondelachimie.com/evenements/chimieetalimentation.

Ce processus est très simple et ne nécessite pas de création de compte.

 

 

lundi 16 décembre 2024

Cherchons de bonnes références

La méthode, en sciences de la nature et, plus généralement, pour la totalité des travaux de l'esprit, qui consiste à s'assurer de nos incertitudes et de nos certitudes est vraiment merveilleuse. 

Quand on écrit un texte, un minimum de conscience nous impose de nous assurer de ce que nous écrivons. Et la pratique de la recherche scientifique, notamment de la rédaction d'articles scientifiques, impose de chercher sans cesse des références. Des "bonnes" références ! 

Quand nous citons un fait, une idée, nous devons, de façon éthique, faire référence à la première publication qui a établi ce fait, qui a proposé cette idée. 

Certains collègues médiocres se limitent à chercher la première référence qu'ils trouvent à ce propos, mais ce n'est pas éthique, car cela prive les véritables découvreurs ou inventeurs de la reconnaissance de paternité qu'on leur doit. 

Il y a donc lieu de faire une recherche sérieuse. Mais, au delà de l'aspect extrinsèque de cette recherche, il y a surtout l'intérêt intrinsèque de faire ce bon travail car, cherchant de bonnes références, nous trouvons des documents généralement passionnants que nous pouvons citer correctement certes, mais dont nous pouvons aussi faire notre miel. 

Une recherche sérieuse de références sérieuses est toujours merveilleuse parce que, faisant le tri entre des publications médiocres et des publications remarquables, nous identifions les publications remarquables, et le fait est que nous ne manquons pas d'être généralement émerveillé de ce qui s'y trouve. Nous corrigeons ainsi nos idées fausses, nos a priori, nous supprimons nos incertitudes, nous voyons mieux les travaux à effectuer pour faire avancer la connaissance. 

C'est réflexions me sont venues alors que, hier, lors d'une telle recherche, j'ai trouvé un article qui avait analysé correctement la légende selon laquelle Catherine de Médicis aurait bouleversé la cuisine de France en venant à la cour accompagnée de ses cuisiniers italiens. L'historien, italien, à retracé à la la préface des Dons de Comus, au 17e siècle, comment le gland est devenu une citrouille. 

Ce type de phénomène est courant en histoire des sciences et je l'ai trouvé plusieurs fois moi-même en cherchant les publications primaires au lieu de répéter ce que disaient certains historiens ou soi-disant tels. 

Par exemple, la légende veut que Louis Pasteur ait "séparé à la pince, sous le microscope, des cristaux des deux formes d'acide tartrique". En réalité, il n'y a pas deux formes,  mais trois formes, d'une part. D'autre part, les cristaux étaient si longs qu'il n'y avait pas besoin de microscope. Enfin, il est bien naturel que l'on sépare les produits chimiques à la pince. 

En réalité, c'est le gendre de Louis Pasteur, excessivement fier de son beau-père, qui a contribué à construire un mythe auquel Pasteur s'est bien prêté. 

Autre exemple, dans l'étude des réactions de glycation ou des réactions amino-carbonyle, un article par des auteurs prétendument nommés Lin et Malting aurait été produit, à propos de   la confection de la bière... mais j'ai finalement découvert qu'il n'existe pas de tel article. En revanche, un certain Ling a publié un article consacré au "malting", la préparation du malt, que l'on utilise pour faire la bière. 

Ma découverte  s'est faite dans le cadre de mon étude sur les réactions fautivement attribuées à Maillard, étude à l'issue de laquelle j'ai finalement découvert que ces réactions avaient été découverte 50 ans plus tôt par un pharmacien lillois nommé Dussart. 

D'ailleurs, Louis Camille Maillard lui-même cite 91 fois le chimiste allemand Emil Fischer qui l'avait précédé d'un demi-siècle dans l'étude de ces réactions. Maillard dit bien tout ce qu'il doit à  Fischer. Pourquoi finalement a-t-on parlé de réaction de Maillard ? Je l'ignore avec certitude mais je conjecture que l'antagonisme franco-allemand qui avait cours à cette époque a conduit certains à se raccrocher à Maillard plutôt qu'à Fischer et à ses élèves. 

Et je pourrais enchaîner ainsi les exemples car chaque recherche bibliographique que je fais me montre des citations médiocres, des histoires forgées, des concepts contestables repris à nauseam. 

Décidément, il y a lieu, quand on fait une recherche, de faire une recherche précise qui nous conduit à bien mieux que ce que nous que ce que nous savions ou que ce que nous croyions savoir.

samedi 14 décembre 2024

Le 12 février à la Maison de la chimie : Chimie et alimentation

Chimie et Alimentation 2024  

 

Date : 12 Février 2025 

Horaires : 09h00 18h00 

Adresse : Maison de la Chimie, 28 bis, rue Saint-Dominique 75007 Paris 

Salle : Amphithéâtre Lavoisier 

Information : L’accès en présentiel au Colloque est gratuit mais obligatoirement sur inscription et exclusivement via le formulaire en ligne. Les INSCRIPTIONS via le formulaire en ligne sont réservées UNIQUEMENT à une participation en PRÉSENTIEL à la Maison de la Chimie : https://actions.maisondelachimie.com/colloque/chimieetalimentation/
Le colloque sera retransmis en direct toute la journée sur la chaîne YouTube de notre médiathèque mediachimie.org La fenêtre qui donnera accès au streaming sera ouverte le matin du 12 Février 2025. INUTILE de s’INSCRIRE pour suivre le Colloque en direct sur la chaîne YouTube de mediachimie.org. 

Le déjeuner, compris dans l’inscription, est gratuit mais sous réserve des places disponibles (même si réservé lors de l’inscription), les scolaires étant prioritaires. Les enseignants souhaitant venir au colloque accompagnés de leur classe sont invités à contacter le secrétariat des inscriptions : colloque@maisondelachimie.com. 

Date limite d’Inscription : 31 Janvier 2025 

 

Intervenants : 

09h10 - Chimie, biologie, métabolisme, le trio gagnant pour comprendre la nutrition. — Jean-Michel LECERF, Médecin, spécialiste en endocrinologie, maladies métaboliques et nutrition, Ancien chef du service de nutrition de l'Institut Pasteur de Lille, Membre de l'Académie d'agriculture de France 

09h40 - Manger, hier, aujourd’hui et demain : vue de la chimie. — Hervé THIS, Physico-chimiste, Centre international de gastronomie moléculaire, Inrae-AgroParisTech 10h20 - Les texturants, une aide pour la nutrition des séniors. — Gino MANGIANTE, Expert R&D produits et technologies des hydrocolloïdes, CARGILL 

10h40 - Quand la chimie et les arômes réinventent l'alimentation de demain. — Margaux CAVAILLES, Responsable Création Aromatique, Développement stratégique Arôme EMEA, MANE 

11h00 - Les protéines végétales, catalyseurs d’innovations pour une alimentation durable. — Christian CAMPARGUE, Analytical Sciences Director, Advanced Technology Ingredients Danone Global Research & Innovation Center 

14h00 - Quelles sources d'avenir pour les protéines alimentaires ? — Verena POINSOT, Directrice de recherche première classe CNRS 

14h30 - Les secrets de l’olfaction - Voyage au cœur du sens de l’odorat. — Claire de MARCH, Chargée de Recherche au CNRS - Institut de Chimie des Substances Naturelles - Université Paris Saclay 

15h00 - La sécurité sanitaire des aliments. — Georges KASS, Expert Principal, EFSA (European Food Safety Authority) 

15h30 - Les métaux dans l’alimentation : un bienfait ou un danger ? — Bernard MEUNIER, Directeur de recherche émérite au CNRS 

16h20 - La souveraineté alimentaire en France. — Christine AVELIN, Directrice Générale de FranceAgriMer 

 

Résumé : L‘alimentation a forgé l’espèce humaine et est fondamentale pour sa survie dans un contexte de croissance de la population mondiale et de changement climatique. Tout au long de la vie, la qualité de l’alimentation est un facteur important du bien-être et de la santé. Avec l’évolution du mode de vie, l’industrie alimentaire ne cesse de progresser. Les problèmes et les défis à relever sont mondiaux, ils concernent toutes les couches de la société et sont d’ordre politiques et scientifiques. Nous nous limiterons au domaine scientifique plus généralement dans le cadre occidental européen. L’alimentation est un domaine transdisciplinaire dans lequel les sciences de la chimie sont intervenues très tôt au niveau : de la production des aliments, de leurs transformations, de leur conservation et dans l’art culinaire, car la chimie, science de l’étude des molécules et de leur réactivité, est indispensable pour comprendre et maitriser les phénomènes mis en jeu dans ces différents domaines de l’alimentation. Pour les maitriser, il faut comprendre, y compris à l’échelle industrielle, les phénomènes qui surviennent lors des transformations culinaires et lors de celles des ingrédients alimentaires en aliments. Il faut comprendre la chimie d’assimilation des molécules et des métaux des aliments pour mieux manger, pour y prendre du plaisir, pour être en bonne santé ou pour manger demain quand nous serons 9 ou 10 milliards d’individus sur la planète. L’actualité montre que la souveraineté alimentaire est un défi national. L’objectif de ce colloque est de présenter l’apport des sciences de la chimie sur ces différents points, et de tenter avec les connaissances les plus récentes, de répondre aux questions que se posent les citoyens et notamment les jeunes, y compris sur la sécurité alimentaire. Dans cet objectif, les conférenciers choisis sont des experts des domaines scientifiques universitaires et industriels et des institutions nationales et européennes concernés. La croissance de l’industrie alimentaire entraine le besoin d’une main d’œuvre multidisciplinaire bien formée et les choix d’orientation vers ces secteurs porteurs se font dès nos lycées de formation générale ou professionnelle. Un temps sera donc consacré à la réponse aux questions des scolaires dans le cadre des débats.

vendredi 13 décembre 2024

Les familles Chantilly


Dans les années 1990, j'avais inventé le "chocolat Chantilly", mais, au même moment :

- le beurre Chantilly

- le foie gras Chantilly

- le fromage Chantilly

et plus. 

Dans tous les cas, il n'y a pas de crème, et l'on reproduit une "crème", que l'on fait foisonner en Chantilly (on bat sur glace), pour avoir une consistance de crème Chantilly. 

Comment faire ? 

1. dans une casserole, mettre un liquide (vin réduit, jus de fruit, bouillon, eau, thé, café, etc.)

2. ajouter le corps gras (chocolat, foie gras cru ou cuit, beurre, fromage)

3. chauffer doucement pour que la matière grasse fonde et que l'on obtienne une émulsion (la "crème", à ne pas confondre avec une mousse)

4. poser la casserole sur des glaçons ou dans de l'eau froide et fouetter : au début, il y a des bulles qui ne tiennent pas, mais progressivement, elles deviennent de plus en plus petites, et la préparation gonfle en changeant de  consistance. C'est fait, et l'on peut conserver au réfrigérateur ou servir aussitôt. 


Les proportions ? Il faut reproduire une crème : 

- avec du chocolat : 200 grammes de liquide et 225 grammes de chocolat à croquer (250 grammes si on le fait la première fois)

- avec du beurre : 200 grammes de liquide de 250 grammes de beurre

- avec du foie gras : 200 grammes de liquide, 300 grammes de foie gras

- avec du fromage : tout dépend du fromage. 


De toute façon, les préparations sont "inratables", en ce sens que si elles ratent, on peut les rattraper. 

Par exemple, si la préparation est trop liquide, et qu'elle ne prend pas, remettre sur le feu et ajouter de la matière grasse, puis repasser sur glace et fouetter

Par exemple, si la préparation est trop dure, la remettre sur le feu pour la refondre, ajouter un peu de liquide, et reprendre le battage. 

Par exemple, si on a fouetté trop longtemps et que la préparation a "grainé", refondre et battre à nouveau. 


Bien sûr, il y a des associations de liquide/matière grasse mieux que d'autres. Par exemple, du thé avec du chocolat, ou bien du vin blanc réduit avec du roquefort, ou du jus de citron avec du beurre... et un fond de canard ou d'oie avec un foie gras. 

Pierre Gagnaire avait servi un foie gras Chantilly avec une belle huître, et un trait de vinaigre balsamique, par exemple.
 

 

A noter, pour le foie gras, que la graisse jaune peut être utilisée : elle est sortie du foie, mais c'est la même que celle qui y est à l'intérieur. Et, d'ailleurs, avec cette graisse jaune sortie d'une terrine, on peut très bien l'utiliser pour faire du foie gras chantilly.


jeudi 12 décembre 2024

Si j'étais une plante

 
Si j'étais une plante, je protégerais mes fruits. Je les protégerais contre tous les agresseurs, je les protégerais jusqu'à ce qu'ils puissent puissent se développer, et je les construirais aussi de façon que leur développement se fasse assez loin de moi pour qu'il ne me fassent pas concurrence. 

Au fond, la cerise est bien faite, avec le noyau qui contient la partie qui assure la reproduction, et la pulpe, colorée et sucrée, qui attire les animaux, lesquels iront disperser les noyaux plus loin. 

La pulpe est limitée par une peau, comme dans le grain de raisin par exemple  : il faut que la baie mûrisse sans être trop attaquée, sans quoi ses sucres seraient perdus, et des animaux ne la consommeraient pas ; elle pourrirait avant que le noyau ne soit prêt, alors même qu'elle contient de l'eau et des sucres, c'est-à-dire tout ce qu'il faut pour que des micro-organismes s'en régalent. 

La peau est donc plus dure, épaisse, et là, il n'y a pas véritablement de l'eau, mais un tégument un peu sec, hydrophobe, sur lequel l'eau glisse... ce qui est une condition intéressante, puisque les micro-organismes ont besoin d'eau pour se développer. 

Evidemment, il y a des insectes piqueurs qui peuvent percer la peau et aller se régaler du jus de l'intérieur, et les micro-organismes peuvent se développer sur les cires externes. 

Mais cela fait nombre de barrière avant d'arriver jusqu'à l'intérieur de la coque, dure et sèche, qui protège bien contre les agressions. 

Cette coque dure, il a fallu la constituer et cela ne se fait pas par miracle. La plante a donc déposé des composés successivement : ces composés qui circulent dans la plante sont majoritairement des polysaccharides, des protéines, des oligosaccharides, des acides aminés, des peptides, de l'eau bien sûr, mais aussi des composés phénoliques, par exemple. 

Il y a une hypothèse selon les laquelle les composés phénoliques, ce que certains nomment fautivement des "polyphénols",  antioxydants certes, sont protecteurs contre les micro-organisme. 

Pus généralement, ce qui est sûr, c'est que les parties corticales des végétaux sont chargées de composés qui sont des "pesticides" naturels, synthétisé par la plante,  capables de repousser les agresseurs, soit en les tuant,  soit par une amertume ou une astringence, par exemple. 

Évidemment, le chapitre est immense et on ne saurait évoquer toutes les possibilités, d'autant que les progrès de la biologie ont bien montré que les composés n'ont pas qu'une seule fonction, en général. Par exemple les anthocyanines qui donnent la couleur des fleurs et des fruits sont également antioxydants, comme on l'a vu, mais ils peuvent avoir bien d'autres fonctions : si  je n'étais pas chimiste,  cette fascination pour la diversité moléculaire des végétaux me capterait,  comme elle avait  apté le chimiste pharmacien Pierre Potier, qui avait mis au point le taxotère, avec lequel on combat les cancers du sein. 

Pierre Potier avait bien compris que si un composé est présent dans une plante, alors ses précurseurs le sont aussi, et  c'est en cherchant un précurseur du taxol dans les aiguilles de l'if qu'il l'a trouvé, premièrement, et qu'il l'a ensuite modifié pour faire le principe actif du taxotère. 

Dans nos études, il y a lieu de penser à toute cette complexité du vivant et mieux encore de ne pas oublier qu'il y a des questions d'évolution biologique, mais c'est-à-dire aussi des parentés qui rendent certains organismes chimiquement semblables. 

La biologie est fascinante parce que précisément elle cherche à comprendre ces regroupements et leurs raisons. On évitera bien sûr des visées simpliste sur les fonctions des molécules du vivant, mais on pensera à des questions d'économie. Par exemple, le même Pierre Potier m'avait fait observer, quand il était question de la découverte des neuromédiateurs, que le vivant ne pouvait pas se comporter comme une voiture où il n'y aurait qu'un accélérateur ; il fallait un débrayage, un frain à main, un accélérateur et un frein. De même, dans une plante, dans un organisme vivant, il ne peut pas y avoir la seule libération des neuromédiateurs et il faut aussi un recaptage qui permet d'éviter une nouvelle synthèse, énergétiquement coûteuse des molécules de neuromédiateur. 

Bref il y a lieu de penser que la biologie est une science fascinante quand on fait de la chimie et que les molécules que l'on considère viennent du vivant.

mercredi 11 décembre 2024

Tests charcutiers : assaisonnement et malaxage

Nous venons de terminer le séminaire consacré à la charcuterie et, plus exactement  à l'assaisonnement et au malaxage. 

Nous avons fait une première expérience qui consistait à prendre de la viande (poitrine de porc), à la couper en morceaux et à diviser ces morceaux en deux moitiés : 

- une moitié était assaisonnée de sel et de poivre avant le hachage

- et l'autre moitié était d'abord hachée avant d'être assaisonné. 

Nous avons utilisé une grille de 10 conformément à la pratique de la confection des saucisses de Toulouse. Nous n'avons pas mélangé, toujours conformément à la pratique de la confection des saucisses de Toulouse. Et nous avons formé de petites galettes que nous avons cuites ensemble, dans la même poêle, au même endroit de la poêle et pendant le même temps. 

Puis nous avons organisé un test triangulaire et nous n'avons pas perçu de différence gustatives entre la viande assaisonnée avant ou après le hachage. 

 

Puis nous avons fait une deuxième expérience qui consistait hacher de la viande, à l'assaisonner, puis à diviser la viande hachée en deux moitiés 

- l'une était malaxée  (à la main, en triturant, jusque environ 7 minutes)

- et l'autre moitié n'était pas malaxée. 

Le résultat a été parfaitement clair : visuellement, il y a une différence considérable et au bout de 6 minutes de mélange à la main, l'opérateur a senti comme de l'eau qui sortait de la masse malaxée. Mais l'aspect visuel suffisait à montrer combien il y avait de changement. 

Puis à la cuisson, nous avons vu une autre différence  : la viande qui avait été malaxée gonflait plus que l'autre. Après cuisson, elle se tenait bien mieux : elle formait une masse homogène tandis que pour la viande hachée et non malaxée, les parties se défaisaient, se séparaient,  avant ou après la cuisson d'ailleurs. Au test triangulaire, nous avons vu une belle différence non pas de goût mais évidemment de consistance.

Parfois, dans nos séminaires, les expériences sont préliminaires et il y a lieu de les répéter ultérieurement, mais cette fois-ci, les effets sont si clairs qu'il n'est sans doute pas nécessaire de répéter les tests... sauf évidemment avec des apprenants, afin qu'ils voient par eux-mêmes les effets qu'on leur annonce.

mardi 10 décembre 2024

A propos de feuilletages, et notamment du tourage

Je ne suis pas certain d'avoir bien expliqué les résultats du séminaire consacré à l'influence de la régularité du tourage sur le gonflement des pâtes feuilletées. 

Mais déjà, je m'aperçois qu'il faut dire les choses différemment pour me faire mieux comprendre : il s'agissait donc de faire une pâte feuilletée, et de chercher à l'obtenir très gonflée. 

Une pâte feuilletée, c'est un empilement de feuillets de pâtes séparés par des feuillets de beurre.
Et quand on cuit, l'eau de la pâte et du beurre s'évapore, ce qui repousse les feuillets les uns des autres. 

Le "tourage", c'est le fait d'étaler la pâte et de la replier sur elle-même, comme on va le comprendre en examinant la recette. 

1. On part de farine et d'eau, et l'on fait une boule de pâte, un pâton, que l'on aplatit en un gros disque. 

2. Puis on prend du beurre en quantité approximativement égale à celle de la farine, et on le malaxe pour en faire un disque également épais, mais un peu plus petit que le disque de pâtes. 

3. On pose le disque de beurre sur le disque de pâtes, et on replie la pâte sur le beurre pour l'envelopper. A ce stade, nous avons un disque composé, avec, au centre, un disque de beurre. 

4. Le tourage, c'est le fait de prendre un rouleau, d'allonger ce disque de beurre enveloppé dans la pâte trois fois plus long que large, puis de replier en trois. 

5. Cela, c'est un "tour simple", et, pour faire une pâte feuilletée on fait 6 tours de cette sorte, éventuellement deux par deux. 

On comprend que le premier tour, partant d'une couche de beurre, conduise à trois couches de beurre et donc quatre couches de farine... puisque les couches de pâtes mises les unes sur les autres se recollent. Au deuxième tour on aura donc 9 couches de beurre, puis 27 au troisième tour, puis 81, puis 243, puis 729. Après si tours, nous avons donc 729 couches de beurre et 730 couches de pâtes soit 1459 couches au total. Et 1459 couches dans l'épaisseur de la pâte, c'est-à-dire environ 1 cm : cela signifie que les couches de beurre ou de pâtes sont au maximum d'un millième de centimètre d'épaisseur, soit encore un centième de millimètre. C'est très peu. 

Et l'on comprend aussi que si l'on s'y prend mal, deux couches de pâtes peuvent se souder à travers une couche de beurre qui fuirait. A de tels endroits, la pâte ne pourrait plus gonfler, puisque les couches de pâtes sont soudées. 

Et voilà l'hypothèse que nous voulions tester : est-ce que si l'on fait des tourages très réguliers, on évite de telles soudure et l'on obtient des pâtes feuilletées plus gonflées ? 

Le séminaire a consisté à faire une pâte, une seule pour commencer qui a été tourée 4 fois. Puis nous avons divisé le pâton en deux. Une moitié a été très régulièrement tourée, tandis que l'autre a été médiocrement tourée. Les deux pâtons ont été ensuite cuits dans le même four, à la même température et pendant le même temps, et nous avons observé le résultat : la pâte régulièrement tourée était beaucoup plus gonflée que l'autre. Mieux encore, elle était homogène à l'intérieur, ce qui signifie que les feuillets étaient régulièrement espacés, tandis que, pour la pâte mal tourée, il y avait une espèce de grosse poche vide au centre. 

Même si ce résultat doit être répété, notre hypothèse semble donc corroborée expérimentalement, et je crois qu'il n'est pas mauvais de dire à tous ceux qui font des pâtes feuilletées de tourer aussi proprement que possible. 

J'ajoute que, lors du séminaire, nous avions un couteau médiocre pour couper les bords, alors que cette découpe est absolument essentielle. Si l'on ne coupe pas les bords, les couches se repliées au bord ne peuvent pas s'écarter à cet endroit, formant une sorte de gros portefeuille un peu ouvert. 

Pour avoir un bon gonflement, il faut couper les bords le plus proprement possible et sans souder les couches lors de pâtes lors de la coupure. 

Et c'est ainsi que l'on obtient des pâtes feuilletées bien gonflées !


lundi 9 décembre 2024

Les études expérimentales doivent être en phase avec les théories, et les enseignements doivent évoluer.

Dans les années 2000, le ministre de l'Education nationale et des inspecteurs avaient décidé de rénover les référentiels des établissements d'enseignement culinaire pour supprimer des notions périmées, qui avaient été introduites dès les années 1900. 


À l'époque, j'avais rencontré une personne "importante" dans cette organisation qui savait à peu près tout, même ce qui était faux et avec un aplomb considérable. Mais avec l'appui du ministre, avec un parfait accord avec l'inspection générale, nous avons donc réformé les référentiels de cuisine, supprimé les théories fausses de "cuisson par concentration" et de "cuisson par expansion", par exemple, mais nous avons fait également nombre d'autres changements.

C'était il y a longtemps et, depuis cette époque, les séminaires de gastronomie moléculaire, chaque mois, avec la bénédiction de l'Inspection générale, contribuent à montrer qu'il y a encore  largement lieu de rénover les enseignements.
C'est ainsi que si l'on regarde les séminaires et leur compte rendu, on verra presque chaque mois que des idées techniques enseignées sont réfutés expérimentalement.

Oui, il y a donc lieu de changer à nouveau les référentiels, il y a lieu de diffuser très largement une information juste et il y a lieu d'enseigner des choses justes.

Je le répète, mais, dans nos séminaires, nous avons régulièrement la présence de professionnels et d'enseignants, et nous faisons les tests tels qu'ils doivent être faits.
Bien sûr, nous devrions multiplier ces tests mais quand même, un contre-exemple à une loi générale suffit pour abattre cette loi... surtout quand l'idée théorique sur laquelle la loi est fondée est manifestement fausses.

Par exemple, il a été écrit par des chefs triplement étoilés et il a été enseigné que le dégorgement des aubergines  par du sel les faisait mieux tenir à la cuisson. Pourtant, l'expérience a montré que, au contraire, les rondelles d'aubergines tenaient moins bien quand elles étaient dégorgées. Qu'enseigner alors ?

Je propose de ne pas continuer à enseigner les erreurs venues de chefs qui n'ont jamais fait de tests expérimentaux rigoureux et qui se sont simplement fondés sur des idées personnelles pour dire avec beaucoup d'autorité des choses qui ont été ensuite répétées.
 Je propose que les enseignement soient fondés sur des travaux référencés,  avec des références qui ne soient pas d'autorité (le Guide culinaire, plein d'erreurs !), mais sur des  tests expérimentaux fiables, répétés, rigoureux...
 
 Bref je propose une réforme assez fondamentale de l'enseignement de la cuisine et je ne doute pas que l'inspection et le ministère est à cœur de nous suivre dans cette direction.

Des voeux

Alors que des guerres font rage, alors que des vociférateurs politiques montent les groupes les uns contre les autres,  les fêtes de fin d'année, les voeux sont clairs : nous devons nous souhaiter d'être exemplaires, rassemblants, rationnels... 

Alors qu'il y a de l'obscurité et de l'obscurantisme, nous avons un devoir de profiter des ce que nous sommes au chaud pour chercher des moyens de diffuser les Lumières, d'allumer les Lumières de l'esprit. 

Lutter contre l' "obscurité" sous toutes ses formes, c'est lutter contre les Tyrannies. Mettre de la lumière partout, c'est empêcher les Tyrans, qui voudraient profiter de l'obscurité pour faire leurs coups bas, d'agir au détriment de tous. 

Le voeu que je forme à l'attention de tous, et notamment de mes amis, c'est surtout que nous soyons capables d'être dans une telle dynamique : connaître, comprendre, transmettre, expliciter, nous améliorer... Nous pouvons être meilleurs, nous devons devenir meilleurs.

La clarté est la politesse de ceux qui s'expriment en public

Je combats la confusion entre "acides gras" et "résidu d'acide gras" : dans de l'huile, les molécules constitutives sont majoritairement des triglycérides, c'est-à-dire des assemblages d'atomes où l'on trouve un "résidu de glycérol" et trois "résidus d'acides gras".

 Car stricto sensu, dans une molécule de triglycérides, il n'y a pas de glycérol et il n'y a pas d'acide gras : il y a seulement une partie de la molécule qui ressemble à du glycérol, à quelques atomes près, tout comme on trouve des groupes d'atomes qui ressemblent à des acides gras. 

Pour avoir du glycérol ou des acides gras, il faudrait des atomes en plus, il faudrait surtout que ces molécules soient séparées, car une molécule de triglycéride n'est pas un assemblage de glycérol et d'acides gras, mais une molécule particulière. 

D'ailleurs, on peut synthétiser des triglycérides avec autre chose que du glycérol et des acides gras, et la décomposition d'un triglycérides peut produire autre chose que du glycérol et acides gras. 

Evidemment, quand des spécialistes se parlent, ils peuvent juger plus rapide de parler d'acide gras que de résidu d'acide gras, et le risque, là, est seulement qu'il y ait une confusion, qui peut-être levé par le contexte. 

En revanche, pour de l'enseignement ou pour le public, je trouve très contestable de parler d'acides gras pour désigner les résidus d'acides gras des triglycérides, car on voit, derrière, les confusions que cela engendre : en licence et même en master, je rencontre des étudiants qui ne comprennent pas la différence, et je vois même des collègues qui croient qu'il y a des acides gras dans l'huile ! 

Le public, lui, est persuadé que l'huile est faite d'acide gras. 

J'ai rencontré des collègues qui n'utilisent pas l'expression résidu d'acides gras sous prétexte qu'il y aurait le mot résidu, qui pourrait être confondu avec les résidus de pesticides. En réalité, je crois qu'ils sous-estiment l'enjeu de la clarté du discours chimique en public. 

Nous ne devons pas être démagogue, nous devons expliquer sans supériorité, mais avec autant de clarté que possible : les citoyens le méritent !
 

dimanche 8 décembre 2024

La science ? Théorie et expérience : cela s'apprend.

Ce matin, alors que je recevais au laboratoire un étudiant venu faire des expérimentations, j'ai mieux compris l'étendue des explications à donner. 

En l'occurrence, j'avais imaginé produire des mousses en soufflant de l'air par la partie inférieure d'un liquide susceptible de mousser. Quand j'avais initialement expliqué à l'étudiant, j'avais compris qu'il voyait mal comment nous pourrions faire, et c'est à ce moment-là que j'ai compris que mon idée "évidente" était celle d'une colonne de chromatographie où l'on soufflerait de l'air par la base n'avait rien d'évident. 

Rien d'évident...  parce que mon jeune ami ne savait pas ce que c'est une colonne de chromatographie. Une colonne de chromatographie ? C'est une colonne en verre qui comporte à sa base un "fritté". Un fritté ? Il s'agit de particules de silice agglomérées pour faire comme un filtre solide. 

La colonne de chromatographie était le premier objet inconnu de mon ami et le fritté était le second. 

Comment souffler de l'air dans cette colonne ? Il me semblait évident que l'on utiliserait de l'air comprimé, mais j'ai bientôt compris que mon ami ne savait pas qu'il y avait des systèmes d'air comprimé mutualisés dans les laboratoires. Je lui ai donc montré cela (c'est un robinet qui arrive sur les paillasses), en ajoutant "évidemment" qu'il fallait régler le débit. 

Comment régler le débit ? Pas en ouvrant plus ou moins la vanne, mais en faisant passer cet air du circuit mutualisé vers un débitmètre, tel que nous en avons dans les placards. Je lui en ai trouvé un deux : il s'agit simplement de faire passer l'air dans un système qui fait monter plus ou moins une bille dans une échelle graduée, laquelle doit être calibrée. 

Comment brancher ces divers éléments ? Il me semblait "évident" que nous utiliserions des tuyaux en caoutchouc, mais comment notre jeune ami aurait-il su que nous avions de tels tuyaux de différents diamètres dans nos réserves ? 

Je lui ai donc trouvé ce qu'il fallait et j'ai fait les branchements. Restait à raccorder le tuyau de caoutchouc à la sortie mutualisée d'air comprimé. Pour cela il fallait un système vissable sur la sortie d'air. Mais ce système fuyait, et la solution était d'enrouler sur le raccord vissable un "ruban de Téflon". Un ruban de téflon ? Là encore, notre ami ignorait l'existence d'un tel objet, et nous lui avons montré ce dont il s'agissait. 

Finalement, le montage étant fait, j'ai expliqué qu'il fallait laver la colonne de chromatographie qui, sortant des réserves de verrerie, n'était pas d'une propreté parfaite, ce qui risque de fausser les mesures, les mousses étant particulièrement sensibles à la présence de certains composés qui souillent les équipements. 

Comment laver ? Là c'était plus facile, parce que j'avais un document tout fait ayant précisément ce titre. Mais en réalité, une bonne réflexion aurait suffi : un matériel est souillé parce que des composés sont à sa surface. Pour enlever les composés soluble dans l'eau, on utilisera de l'eau, mais pour enlever les composants l'eau ? On prendra "évidemment" un solvant organique. 

Bref,  on lavera d'abord  à grande eau froide, puis à l'eau chaude, pour éliminer  les composés solubles. "Évidemment" on terminera avec de l'eau distillée. Et on passera ensuite à l'acétone qui dissoudra les composés insolubles et on le fera trois fois parce que si l'on enlève 90 pour cent des souillures au premier lavage, il en restera 10 pour cent ;  mais le deuxième lavage enlèvera 90 pour cent de ces 10 pour cent, de sorte qu'il ne restera qu'un pour cent et l'on comprend pourquoi la troisième opération s'impose. 

Ayant lavé à l'acétone, on repassera à l'eau pour ne pas laisser de trace sur le verre et là encore, on aura intérêt à faire grande eau froide, eau chaude, eau froide et eau distillée. 

Le lavage de l'intérieur du fritté pose une question particulière parce qu'il ne s'agit pas de faire simplement un nettoyage de surface, mais un nettoyage profond. Et c'est là qu'on sera amené à pousser les liquides nettoyants à travers le fruité... à l'aide d'air comprimé, que l'on utilisera pour pousser les liquides lavant. 

Et c'est ainsi que, disposant d'une colonne bien propre, nous pourrons pousser de l'air avec un débit connu, faible ou fort. 

Surtout, j'y reviens, je vois qu'il n'y avait rien d'évident dans tout cela, et qu'il a fallu en quelque sorte bricoler : nos étudiants sont mieux formés à la théorie qu'au bricolage, et quand ils savent bricoler, ils n'imaginent pas toujours que la recherche scientifique puisse se fonder sur de telles bricolages. 

Bien sûr, on bricole mais avec rigueur :  par exemple, pour notre système, s'imposait absolument de le calibrer, de le tester, de voir la répétabilité du foisonnement, etc. 

La recherche scientifique est donc un jeu constant entre l'expérimentation et la théorie, je l'ai déjà dit souvent, c'est précisément cette vie simultanée dans deux mondes parallèles qui me fascine