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mardi 22 août 2023

Pourquoi garder des mots pourris ?

Je m'amuse -sérieusement- à critiquer publiquement des terminologies telle que paté en croûte (si c'est en croûte, c'est un pâté), pâté croûte (une contraction du premier), pâté de campagne (quand il n'y a pas de pâte). 

Je suis bien sûr que ces terminologies sont fautives, puisque, de tout temps, les livres de charcuterie ou de pâtisserie ont justement parlé de pâté froid pour les deux premiers, et de terrine de campagne pour les seconds. 

J'ajoute que les terminologies fautives le sont parce qu'elles sont incohérentes à savoir qu'un pâté est toujours dans une croûte, et qu'une terrine qui ne contient pas de croûte n'est pas un pâté, mais une terrine. 

Mais ce qui m'amuse aujourd'hui, c'est d'observer que je rencontre régulièrement des contradicteurs qui me baratinent en évoquant l'usage. L'usage : lequel ? Le leur ? Cela me fait penser immanquablement à la tradition, au terroir, auquel j'ai consacré un livre, pour montrer que chacun y met plus ou moins illégitimement ce qu'il veut y mettre. 

 


Qu'est-ce que cette affaire d'usage ? L'usage de qui ? Aujourd'hui un contradicteur lyonnais fait pire, en quelque sorte, en écrivant que l'idéal pour les Lyonnais c'est pâté croûte. Comme si les Lyonnais avaient une particularité qui leur permettrait  d'éviter de parler de façon incohérente. 

Mais je ne veux pas entrer ici dans ce débat puisque ce n'est pas l'objet et je veux surtout m'interroger sur la raison pour laquelle des individus refusent des terminologies cohérentes. Car au fond, évoquer un usage de certains, cela ne légitime en rien l'appellation et cela constate seulement qu'une certaine communauté, fut-elle petite, utilise la langue de façon médiocre, sans véritablement faire attention aux mots qui sont prononcés.

Est-ce une peur du changement ? Est-ce la paresse qui les retient ? Est-ce un attachement enfantin à une erreur qui gagnerait à être corrigé ? 
 
Je me souviens avoir appris un jour que, quand on cuisait une viande, par exemple dans une poêle, on ne poêle pas, mais on "saute", car le poêlage se fait, lui, dans un  poêlon (et d'ailleurs, ce que nous nommons poêle est souvent un sautoir). L'imparable logique terminologique m'a fait  immédiatement changer mes habitudes de parole.  Certes, avec un peu de difficulté quand même : il y avait l'habitude. 
De même pour "ciseler" : il a fallu que je comprenne que l'on peut effectivement ciseler avec un couteau puisque des ciseaux sont "des" ciseaux c'est-à-dire deux lames. On me cisèle donc pas avec les ciseaux, mais avec un couteau.
Et ainsi de suite  :  on rencontre en cuisine, comme ailleurs, des terminologies qui doivent être utilisées différemment de nos usages personnels, qu'il s'agisse d'usages communautaires, d'usage enfantins, d'usage par ignorance... 
 
Et en tout cas, on ne perdra jamais rien à apprendre les mots justes et à les utiliser. Car, au fond, quelqu'un qui parle initialement de pâtes en croûte, faisant donc cette périssologie que je que je déplore, qu'a-t-il à perdre à parler de pâté froid ? Quelqu'un qui parle de pâté de campagne alors qu'il devrait parler de terrine de campagne, qu'a-t-il à perdre à changer ?
 
Personnellement, je cherche toujours à prendre le point de vue des apprenants, qui ont besoin de règles claires, logiques. 
Nous avons besoin de nous dégager du jour des traditions quand elles sont mauvaises,  de combattre l'esclavage, de combattre les comportements humains qui ne respectent pas des valeurs essentielles de droiture, de respect, de solidarité, de justesse, de liberté, de démocratie...
 
Et cela commence par les mots car bien souvent, nos idées et nos actes vont de pair avec eux.