Affichage des articles dont le libellé est terminologie. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est terminologie. Afficher tous les articles

jeudi 7 novembre 2024

Avançons avec les mots

L'écriture, surtout scientifique ou technique, n'est pas nécessairement difficile mais demande beaucoup de soins. Dans ces rédactions, il n'y a pas de place pour l'à-peu-près et même l'emploi de mots habituels doit nous faire réfléchir. 

Par exemple, l'expression "capacité calorifique", que j'ai apprise quand j'étais étudiant, est légitimement à remplacer par l'expression "capacité thermique", parce que le calorique est une notion ancienne, une scorie du développement de la thermodynamique. Si le concept de chaleur peut être conservé, avec une approche quantitative qui l'a bien délimité, il n'en est pas de même de la question du calorique. Et c'est à ce titre que l'on évitera le mot calorifique, périmé. 

Dans la même veine, la terminologie dioxygène pour désigner une classe de molécules formées chacune de deux atomes d'oxygène, agace un peu les scientifiques âgés, mais elle s'impose absolument parce qu'elle permet de ne pas confondre le gaz dioxygène et l'élément oxygène. 

Ce grand mouvement de clarification terminologique des sciences va de pair avec son développement théorique  : tout progrès est bienvenu même s'il impose aux plus paresseux ou  aux plus réactionnaires des efforts qu'ils n'ont pas envie de faire. 

Au fond, les choses n'ont pas changé depuis que Lavoisier a écrit dans son Traité élémentaire de chimie, à savoir que l'on ne pourra pas perfectionner les sciences sans perfectionner le langage, et vice-versa. Utilisons les bons mots pour penser bien.

lundi 19 août 2024

dimanche 3 décembre 2023

Du lièvre à la royale ?

 

Qu'est-ce qu'un lièvre à la royale

Méfions-nous de Wikipédia, car la consultation des sources précises montre que cette remarquable encyclopédie en ligne mérite d'être souvent corrigée... et nous verrons qu'il faut que je le fasse sans tarder, pour l'article consacré au lièvre à la royale.

En effet, il est parfois écrit que les préparations "à la royale" qualifient des plats dont la finesse et la qualité de préparation sont à la mode du roi, mais cela est bien insuffisant, comme nous le verrons, et, d'abord, en commençant en 1643, avec le livre de l'auteur qui n'a signé que de ses initiales "LSR". Je trouve ainsi un " Gigot de mouton farcy à la Royalle", qui s'obtient de la façon suivante :

1. prendre un gigot

2. casse le manche

3. lever la peau

4. lever les chairs et les hacher avec veau, lard, moelle, graisse de boeuf, fines herbes, champignons, œufs durs, assaisonné d'épices et de sel menu

5. fariner et faire sauter dans le beurre ou le lard

6. puis mettre en casserole avec du bouillon et un morceau de boeuf qui donnera plus de goût, quelques clous de girofle et des oignons

7. après environ une heure de cuisson, retirer de la casserole et réduire le liquide.

L'expression "à la royale" s'applique non seulement à des viandes, mais également à des potages : dès 1656, le cuisinier Pierre de Lune propose une recette qui consiste à hacher du blanc de volaille et à cuire avec bouillon, pistaches, jus de veau ; on garnit de crêtes et rognons de coq, jus de citron et veau.

Puis, en 1722, François Massialot reprend la recette du gigot, et avec la même recette que LSR. Tout comme d'autres qui le suivent. A cette époque, pas de lièvre à la royale !

Passons donc les décennies et arrivons à Jules Gouffé, qui, en 1867, qui donne à nouveau un potage à la royale... qui est en réalité une « julienne garnie de crème au consommé ». C'est en réalité une crème prise, faite de consommé et d'oeufs entiers, que l'on cuit au bain marie ; et l'on verse de la julienne par dessus. Il y a là une vraie cohérence à utiliser le mot "royale", parce qu'il est vrai que les "royales" sont des cubes de flans que l'on ajoutait aux potages. C'est donc une autre acception que pour le gigot à la royale, ou pour le lièvre à la royale que je ne trouve toujours pas dans les livres anciens… De même, quand il parle de « glace royale », il s’agit de cette préparation de pâtisserie que l’on fait avec des blancs d’oeufs et du sucre : rien à voir.

Mais Gouffé nous met sur la piste avec une " Sauce à la Royale" dont voici la recette :

"Déposez dans une petite casserole 3 douzaines de petites truffes crues, tournées en olives, mouillez-les avec un demi-verre de champagne sec, ajoutez un bouquet de persil; faites réduire le liquide en cuisant les truffes. —

D'autre part, versez dans un sautoir 7 à 8 décil. de velouté, ajoutez les parures crues des truffes, réduisez la sauce d'un tiers, en incorporant, peu à peu, 2 décil. d'essence concentrée de gibier ou de volaille; en dernier lieu, additionnez un demi-verre de vin du Rhin et la cuisson des truffes; donnez encore quelques bouillons à la sauce, passez-la à l'étamine dans une casserole, vannez-la, ajoutez les truffes cuites."

D'ailleurs, il nomme "petites timbales de volaille à la Royale" des quenelles qui sont accompagnées d'une telle sauce. Idem pour des "petites chartreuses à la royale". En revanche, son "salpicon royal" est une préparation différente, composé avec du foie-gras, des blancs de volaille, des ris d'agneau et des champignons cuits coupés en petits dés fins, mêlés, puis liés avec une sauce béchamel réduite, finie au beurre d'écrevisses. Mais ce salpicon est "royal", et non pas "à la royale".

Pas de lièvre à la royale dans le Guide culinaire, en 1901, mais, à la même époque, Joseph Favre discute un « appareil à la royale pour les potages de gibier », avec de la purée de gibier un peu liquide dans laquelle on a ajouté un peu de glace de viande pour brunir. Cet appareil peut servir pour les potages de gibier, ou comme garniture.


Tout cela montre que les deux recettes couramment nommées "à la royale", pour le lièvre, sont bien illégitimes et ignorantes de l'histoire de la cuisine : oui, du civet cuit avec ail et échalotes dans du vin rouge, effiloché au dernier moment, ou bien une galantine chaude farcie au foie gras et truffes, servie en tranche nappée d'une sauce au vin rouge également liée au sang, sont des préparations merveilleuses, mais elles usurpent le nom " à la royale".

Personnellement, je parle plus justement de "lièvre à la façon du sénateur Couteaux" ou de "lièvre Babinski", voire "lièvre Alibab" dans le dernier cas, car le livre de cuisine d'Alibab est une collection de recette par l'ingénieur Henri Babinski.

mardi 22 août 2023

Pourquoi garder des mots pourris ?

Je m'amuse -sérieusement- à critiquer publiquement des terminologies telle que paté en croûte (si c'est en croûte, c'est un pâté), pâté croûte (une contraction du premier), pâté de campagne (quand il n'y a pas de pâte). 

Je suis bien sûr que ces terminologies sont fautives, puisque, de tout temps, les livres de charcuterie ou de pâtisserie ont justement parlé de pâté froid pour les deux premiers, et de terrine de campagne pour les seconds. 

J'ajoute que les terminologies fautives le sont parce qu'elles sont incohérentes à savoir qu'un pâté est toujours dans une croûte, et qu'une terrine qui ne contient pas de croûte n'est pas un pâté, mais une terrine. 

Mais ce qui m'amuse aujourd'hui, c'est d'observer que je rencontre régulièrement des contradicteurs qui me baratinent en évoquant l'usage. L'usage : lequel ? Le leur ? Cela me fait penser immanquablement à la tradition, au terroir, auquel j'ai consacré un livre, pour montrer que chacun y met plus ou moins illégitimement ce qu'il veut y mettre. 

 


Qu'est-ce que cette affaire d'usage ? L'usage de qui ? Aujourd'hui un contradicteur lyonnais fait pire, en quelque sorte, en écrivant que l'idéal pour les Lyonnais c'est pâté croûte. Comme si les Lyonnais avaient une particularité qui leur permettrait  d'éviter de parler de façon incohérente. 

Mais je ne veux pas entrer ici dans ce débat puisque ce n'est pas l'objet et je veux surtout m'interroger sur la raison pour laquelle des individus refusent des terminologies cohérentes. Car au fond, évoquer un usage de certains, cela ne légitime en rien l'appellation et cela constate seulement qu'une certaine communauté, fut-elle petite, utilise la langue de façon médiocre, sans véritablement faire attention aux mots qui sont prononcés.

Est-ce une peur du changement ? Est-ce la paresse qui les retient ? Est-ce un attachement enfantin à une erreur qui gagnerait à être corrigé ? 
 
Je me souviens avoir appris un jour que, quand on cuisait une viande, par exemple dans une poêle, on ne poêle pas, mais on "saute", car le poêlage se fait, lui, dans un  poêlon (et d'ailleurs, ce que nous nommons poêle est souvent un sautoir). L'imparable logique terminologique m'a fait  immédiatement changer mes habitudes de parole.  Certes, avec un peu de difficulté quand même : il y avait l'habitude. 
De même pour "ciseler" : il a fallu que je comprenne que l'on peut effectivement ciseler avec un couteau puisque des ciseaux sont "des" ciseaux c'est-à-dire deux lames. On me cisèle donc pas avec les ciseaux, mais avec un couteau.
Et ainsi de suite  :  on rencontre en cuisine, comme ailleurs, des terminologies qui doivent être utilisées différemment de nos usages personnels, qu'il s'agisse d'usages communautaires, d'usage enfantins, d'usage par ignorance... 
 
Et en tout cas, on ne perdra jamais rien à apprendre les mots justes et à les utiliser. Car, au fond, quelqu'un qui parle initialement de pâtes en croûte, faisant donc cette périssologie que je que je déplore, qu'a-t-il à perdre à parler de pâté froid ? Quelqu'un qui parle de pâté de campagne alors qu'il devrait parler de terrine de campagne, qu'a-t-il à perdre à changer ?
 
Personnellement, je cherche toujours à prendre le point de vue des apprenants, qui ont besoin de règles claires, logiques. 
Nous avons besoin de nous dégager du jour des traditions quand elles sont mauvaises,  de combattre l'esclavage, de combattre les comportements humains qui ne respectent pas des valeurs essentielles de droiture, de respect, de solidarité, de justesse, de liberté, de démocratie...
 
Et cela commence par les mots car bien souvent, nos idées et nos actes vont de pair avec eux.


lundi 21 août 2023

Techniques avancées


“Haute technologie”, “hautes technologies”...

 Il s'agit en réalité de techniques avancées, et pas de technologie, puisque la technique produite des objet, tandis que la technologie explore cette production, souvent en vue de l'améliorer.

Bref, la technique n'est pas plus de la technologie que le potage n'est de la soupe (la soupe, c'est une tranche de pain, que l'on mouille avec du potage), ou que les gourmets ne sont des gourmands (les gourmets sont les amateurs de vins, et les gourmands des amateurs de chère ; on a le droit d'être à la fois gourmand et gourmet !). 

Le monde technologique ne sort pas grandi de la faute qui consiste à nommer “technologie” ce qui est en réalité une technique, et le monde technique, non plus, d'ailleurs. 

Pourquoi cette faute ? Parce que les technologues ou ingénieurs n'ont pas suffisamment réfléchi à la différence entre technique et technologie ? Impossible de tenir une telle hypothèse, à l'encontre de personnes intelligentes, qui font un métier aussi important. 

Parce que la dénomination “technique” semble moins “élevée” que “technologie” ? Une sorte de politiquement correct qui fait un usage exagéré de la litote et de l'euphémisme ? Pour un métier... technique comme celui de la technologie, il y aurait là quelque paradoxe à confondre des notions qui sont au coeur de l'activité. 

Parce que les techniciens auraient honte de leur métier et se seraient accaparés indûment le titre de technologue ? S'il y a des question d'argent ou de statut, pourquoi pas... mais j'ai du mal à y penser, parce que je crois les métiers techniques extraordinaires. Pensons à un bon ébéniste, à un bon électricien, à un bon bourrelier... à un bon cuisinier ! 

 

Alors, pourquoi ? Parce que la langue française est contaminée par l'anglais ? Difficile à imaginer, car le mot “technique” existe en anglais, ainsi que le mot “technologie”, et c'est ici l'occasion de répéter que le MIT, institution qui forme des ingénieurs parmi les meilleurs, a un nom qui est Massachusetts Institute of Technology, institut de technologie du Massachusetts. Y aurait-il une acception généralisante du mot technologie, qui regrouperait des techniques apparentées. Je viens de relire plusieurs articles de … technologie, et je n'ai pas vu le mot employé régulièrement dans ce sens. 

 

Bref, pourquoi la confusion ? 

 

Je crois la question importante, contrairement à des personnes à qui je m'en suis ouvert récemment, et qui la balayaient rapidement (c'est généralement de la mauvaise foi) en disant que seul compte le travail que l'on fait, et que ces détails terminologiques n'ont pas d'importance. 

A quoi je réponds aussitôt que tout compte : tout travail qui mérite d'être fait mérite d'être bien fait, et plus encore quand de la transmission est en jeu, ou , plus exactement, quand est en jeu de la transmission à des jeunes, c'est-à-dire de l'enseignement. La mission de l'enseignant n'est-elle pas de clarifier ? D'aider à comprendre ? 

De ce point de vue, la confusion des mots est très nuisible, donc critiquable. Et c'est ce qui motive évidemment ce billet. Certains adultes me disent que les combats terminologiques sont toujours perdus, mais c'est là un défaitisme auquel je ne veux pas céder, parce qu'il n'y a pas de démonstration que cela soit vrai. Faraday n'a-t-il pas réussi à introduire l'usage des mots “anode”, “ion”, “électrode”, etc. ? La grande entreprise de rénovation de la chimie, autour  de la révolution française, par  Louis Bernard Guyton de Morveau, avec Antoine Laurent de Lavoisier et quelques autres, n'a-t-elle d'abord pas été une rénovation terminologique, un bouleversement de la nomenclature ? Les grandes questions de la mécanique quantique n'ont elle pas porté sur l'interprétation, c'est-à-dire le sens, des mots que l'on utilisait ? Henri Poincaré, ce génie des mathématiques, n'a-t-il sans cesse insisté sur le fait que sa plus grande difficulté consistait à trouver des mots pour transmettre ses pensées, inconsciemment formées en lui, maniées sans l'usage des mots dans son esprit ? Ne baissons pas les bras. 

Luttons. Luttons au quotidien contre les usages galvaudés de “technique” et de “technologie”, car c'est ainsi que les techniciens feront un beau métier, et que les technologues feront aussi un beau métier, différent du précédent. Soyons vigilants à propos de technologie, et nommons technique ce qui en est. Car c'est ainsi que la Raison est grande.

jeudi 3 août 2023

Quelle différence entre un outil et un ustensile ?

Le monde technique fait-il usage d'outils ? d'ustensiles ? On parle effectivement d'ustensiles de cuisine, n'est-ce pas ? 

 

Pour des questions terminologiques si fines, rien ne vaut l'étymologie, et notamment celle qui est colligée par le Trésor de la langue française informatisé. 

 

Et c'est ainsi que l'on trouve : 

 ustensiles :  Tout ce qui est nécessaire dans une maison (meubles, outils, objets domestiques).  Objet ou accessoire de conception simple, à usage domestique, servant en particulier à la cuisine.
 

Avec l'étymologie suivante : 

Étymol. et Hist. 1. a) 1374 utencilles plur. « ensemble des objets servant à l'usage domestique » (Ordonnance au sujet des finances du duc de Bourbon ds HAVARD: tous les utencilles de linge de table, de vaisseaulx de cuisine, d'eschansonnerie); 1389-92 utenciles d'ostel (Registre criminel du Châtelet, éd. Duplès-Agier, t. 2, p. 259), a désigné également les objets servant à l'exercice d'un métier (1407, Chartes confisquées aux bonnes villes du Pays de Liège, publ. par Em. Fairon, p. 307 1508, Comptes de Dépenses de la construction du château de Gaillon, éd. A. Deville, p. 520), empl. dans lequel il a été évincé par outil* (a. fr. ostil); les formes utencile, utensile, parfois fém. (v. FEW t. 14, p. 87) sont att. jusqu'au mil. du XVIIIe s. (Trév. 1740); b) fin du XVIe s. fig. (DESHOULIÈRES, Poesies, t. 1, p. 82 ds LITTRÉ: Grands savantas, nation incivile, Dont Calepin est le seul ustensile); c) 1610 sens grivois (BÉROALDE DE VERVILLE, Moyen de parvenir, éd. H. Moreau, A. Tournon, p. 133); d) 1881 « maîtresse d'un souteneur » (RIGAUD, Dict. arg. mod.); 2. a) 1472 (en parlant de soldats en garnison dans une ville) paier les ustencilles « payer les dépenses de leur entretien quotidien » (Lettre de Louis XI, éd. J. Vaesen et E. Charavay, t. 5, p. 77); b) 1636 (MONET: Utansiles de gens de guerre [...] que l'hote leur fournit tant qu'il les loge); cf. 1680 être obligé à la fourniture de l'ustencile (RICH.). Utensile empr. au lat. utensilia, mot de la lang. parlée (v. ERN.-MEILLET) « objets nécessaires, meubles, ustensiles », plur. neutre de utensilis « dont on peut faire usage » (dér. de uti « user, se servir de, employer »); ustensile p. altér. de utensile d'apr. user*, v. aussi outil. Fréq. abs. littér.: 335. Fréq. rel. littér.: XIXe s.: a) 543, b) 500; XXe s.: a) 417, b) 442.

Pour les outils, on a :
outils : Objet fabriqué, utilisé manuellement, doté d'une forme et de propriétés physiques adaptées à un procès de production déterminé et permettant de transformer l'objet de travail selon un but fixé.
 

Puis vient l'étymologie : 

Étymol. et Hist.1. Début du XIIe s. ustilz «équipement, objets nécessaires qu'on embarque pour un voyage» (S. Brendan, éd. I. Short et Br. Merrilees, 179); 2. 1174 «objet fabriqué qui sert à faire un travail» (GUERNES DE PONT-SAINTE-MAXENCE, S. Thomas, 5408 ds T.-L.); 3. XIIIe s. «membre viril» (Fabliaux, éd. A. de Montaiglon et G. Raynaud, t.1, p.235); 4. av. 1272 fig. «moyen d'action» (JEAN BRETEL, Jeux-partis, éd. A. Långfors, 41, 45); 5. av. 1615 «personne qui sert d'instrument, d'exécutant à une autre» (E. PASQUIER, Recherches de la France, 396, 412); 6. 1808 «personne maladroite, inefficace» (HAUTEL). Du b. lat. *, sing. de *, plur. neutre, altération du lat. class. «objets nécessaires, meubles, ustensiles», dér. de «se servir de, employer». Un croisement de avec «employer» (v. user) rend compte du -s- de *, mais le passage reste inexpliqué (cf. cependant FOUCHÉ, pp.184-185). Les formes b. lat. en os- sont att. dès le VIIIe-IXe s., v. FEW t.14, p.88a. Fréq. abs. littér.: 1188. Fréq. rel. littér.: XIXe s.: a) 712, b) 1746; XXe s.: a) 1653, b) 2514. Bbg. COMTE (H.). Philos. de l'outil. Thèse, Paris-Sorbonne, 1980, pp.38-44.

 

Et l'on comprend ainsi mieux : l'outil, c'est l'objet technique, et il n'y a d'ustensiles de cuisine que dans la mesure où certains objets ne sont pas d'abord des outils, mais utilisés comme des outils. 

 Corollaire : quand on parle d'objets techniques, en cuisine, on parlera plutôt d'outils que d'ustensiles. 

dimanche 14 mai 2023

Vous avez dit "science et cuisine" ?

 Je viens de comprendre que l'expression "sciences et cuisine" est un vaste fourre-tout. 

 

Car qu'est-ce que la "science" ?  

Il y a la science du cordonnier, la science du cuisinier, la science du maître d'hôtel... Et tout cela c'est du savoir. 

Comment refuser à des métiers techniques et artistiques d'avoir du savoir ? 

À côté de cela, il y a des sciences de l'humain et de la société  : de l'histoire, de la géographie, de l'anthropologie, de la sociologie, de l'économie...  Il s'agit  là bien autre chose que les sciences de la nature, lesquelles sont la chimie, la physique, la biologie... 

 

Parler de "science et cuisine", c'est donner la possibilité à tous ceux qui s'intéressent à la cuisine, plus exactement à la gastronomie, de se réunir... mais pourquoi ne pas simplement parler de "gastronomie", puisque c'est le juste terme ? 

Science culinaire ? Cette fois, il y a un risque à confondre les sciences culinaires et les sciences de la cuisine, ce qui doit nous faire penser à cette faute signalée dans les livres de grammaire : pour ceux qui parlent correctement, il y a lieu de ne pas confondre le cortège présidentiel et le cortège du président. 

Cela étant, l'histoire de la cuisine n'est pas une science culinaire puisqu'elle n'est pas culinaire  : c'est d'abord de l'histoire, et son sujet peut-être la cuisine. De même, la gastronomie moléculaire est une science de la nature et non pas une science culinaire, puisqu'elle n'est pas de la cuisine elle-même, mais plutôt de la physico-chimie. 

On comprend toutefois un mécanisme à savoir que toute initiative nouvelle doit avoir un nom, et qu'il peut être difficile de ne pas reprendre le nom juste puisqu'il est déjà pris. On invente alors un nom un peu différent, chatoyant mais qui, de ce fait devient fautif du point de vue lexical ou grammatical. 

Cela ne serait pas grave si on n'augmentait pas la confusion, au lieu de l'éviter. Or j'ai toujours l'envie que mes amis plus jeunes et moi-même apprenions à mieux parler pour mieux penser. 

Inversement, je suis toujours émerveillé de mieux utiliser l'outil qu'est la langue. Par exemple, je me souviens avec bonheur du jour ancien où j'ai compris que le mot rutilant ne veut pas dire brillant, doré mais au contraire rouge... comme ce minéral qui est le rutile.
De même, j'ai dit récemment combien j'étais heureux d'avoir compris que je m'étais trompé à propos du mot enseignement qui en réalité a l'étymologie de désigner. 

Bref, je suis heureux de mieux parler parce que parlons mieux j'espère penser mieux

dimanche 2 avril 2023

Droit et sciences de la nature

 Que viennent faire les sciences de la nature  dans les affaires de droit ? 

Voila la question qui se pose, quand il est question, dans le blog d'un scientifique, de droit alimentaire. 

 

D'abord, le livre dont il est question, aujourd'hui, a pour titre Traité pratique de droit alimentaire. Il est publié aux éditions Lavoisier Tec et Doc, et il a été assorti à la fois d'une revue, et d'une grande rencontre, à AgroParisTech, le 17 octobre 2013. 

Une rencontre où, comme pour tout ce que je fais, nous avons essayé de nous rendre utile. 

 

Car le monde "technique" de l'alimentaire a des raisons d'en vouloir au monde du droit : mon collègue Jean-Paul Branlard, de l'Université de Sceaux, ne montre-t-il pas brillamment que, en raison de diverses jurisprudences idiotes, on arrive aujourd'hui à pouvoir vendre, dans les restaurants, des "coqs au vin" sans coq ni vin ? Et le Codex alimentarius n'admet-il pas que les mayonnaises soient faites à partir de moutarde, alors que cette dernière "est le savorisme particulier de la rémoulade", comme l'explique bien le cuisinier français Philéas Gilbert, en 1934 (pour les non cuisiniers, une mayonnaise s'obtient par dispersion d'huile dans un mélange de jaune d'oeuf et de vinaigre, avec addition  de sel et de poivre ; pas de moutarde, sans quoi la mayonnaise devient une rémoulade, ce qui est aussi différent qu'un marteau d'un tournevis, étant donné que la cuisine se préoccupe d'abord, essentiellement, du goût !). 

 

Bref, il y a des raisons de s'intéresser au droit, pour le monde technique. Mais pour le monde scientifique ? 

 

Ici, je dois revenir à la première ligne de mon billet, où j'évoquais des "sciences de la nature". En ces temps de plomb où la confusion intellectuelle règne, où les science studies sont des roquets qui aboient contre les "sciences de la nature", il est plus que jamais indispensable de bien distinguer les "sciences dures" et les "sciences molles"... parce que l'on ne confond pas les tournevis et les marteaux. 

 

Les sciences de l'humain et de la société sont merveilleuses, mais elles ne se confondent pas avec les sciences de la nature, celles qui furent codifiées par des Galilée, des Bacon... 

 

Pour ces dernières, tout est dit avec : 

Le recours à l'expérience

La formalisation mathématique, qui évite les divagations théoriques.

 

D'ailleurs, les sciences de la nature se sont donné des verges pour se faire battre, en usurpant le nom de "science", car ne parle-t-on pas depuis toujours de la "science du maître d'hôtel", du cuisinier, du coordonnier ? 

 

Science, c'est savoir, et les sciences quantitatives doivent avoir un autre nom. Jadis, ce nom était philosophia naturalis, qui a été fautivement traduit en "philosophie naturelle", mais que l'on aurait mieux fait de nommer "philosophie de la nature". 

Ou "physique"... puisque la physis est le mot qui s'impose depuis Aristote, au moins. 

 

Physique ? Pourquoi pas. Mais la biologie, la chimie, par exemple ? P

 

our désigner l'ensemble de ces disciplines, la terminologie "sciences expérimentales" ne convient pas, car les sciences de la nature ne se réduisent pas à l'expérience, leur méthode étant : 

Identification d'un phénomène

Quantification de ce dernier (Bacon parlait de "nombrer")

Réunion des données quantitatives en lois synthétiques (et l'on lira avec intérêt le livre de Meyerson, à propos des "lois")

Recherche des mécanismes admissibles, correspondant à ces lois

Recherche de conséquences prédictives à partir des théories

Tests expérimentaux de ces conséquences, en vue de réfuter la théorie, insuffisante par nature.

 

Bref, il n'y a pas que l'expérience ! De sorte que l'expression "science expérimentale" est bien insuffisante. 

 

Alors pourrait-on parler de sciences de la nature ? 

 

C'est ma conclusion actuelle. Cela étant posé, pourquoi la science quantitative s'intéresserait-elle au droit, et au droit de l'alimentation ? 

 

En réalité, la science ne s'intéresse à rien, parce que la science n'est pas une personne, et je propose de ne pas tomber dans la faute intellectuelle qui consiste à confondre les activités et les êtres humains. 

Autant les derniers ont le droit de s'intéresser au droit, parce qu'il intervient dans le monde où ils vivent, autant la science quantitative n'a rien à voir avec le droit. 

 

Autrement dit, le scientifique (de la nature) perd un peu son temps quand il considère le droit de l'alimentation (avec "droit alimentaire", on tombe dans la même faute du partitif qu'avec "philosophie naturelle"), mais peut-il vraiment éviter d'être "dans la cité" ? 

 

Ouf, cela fait un gros billet ! Il faudra revenir sur bien des points particuliers. Mais luttons contre un certain "droit", que l'industrie utilise pour faire admettre sous le nom de "sauce béarnaise" des sauces qui ne sont pas exclusivement faites d'une réduction d'échalotes dans du vinaigre, avec émulsion de beurre, le jaune d'oeuf apportant les tensioactifs nécessaires à la liaison, et l'estragon donnant son goût très particulier à la sauce. 

 

La loi de 1905 veut que les produits alimentaires soit "sains, loyaux, marchands". Aujourd'hui, il suffit de regarder un peu le monde de l'alimentation pour s'apercevoir que nous avons beaucoup de ménage à faire en matière de loyauté, c'est-à-dire en réalité d'honnêteté des transactions, à propos d'alimentation !

mardi 24 janvier 2023

 Une émulsion ? Non, une mousse !!!!!



Il y a un débat sur Twitter, parce que j'ai dénoncé les appellations fautives de "pâté en croûte" ou de "pâté croûte" (on doit parler plus justement de "pâté froid"), tout comme la confusion de terrine de campagne et de pâté de campagne, par exemple.

Il y a pourtant des idées simples : un pâté, c'est dans une pâte, tandis qu'une terrine est cuite dans un récipient qui est nommé terrine, en terre.

Voilà donc quelque chose de tout simple, de très juste, et qui a le mérite, de surcroît, ne pas prononcer des absurdités, de ne pas confondre  le tournevis avec le marteau.

 

Mais c'est quelque chose que j'ai déjà souvent expliqué. Aujourd'hui je fais ce billet, parce que, la semaine dernière encore, un serveur m'a soutenu que ce qu'il me mettait dans l'assiette était une "émulsion", alors qu'il s'agissait d'une mousse.
Pourtant, les mots mousse et émulsion ne sont pas d'abord des mots culinaires, mais des mots venus de la pharmacie et de la chimie, voire de la physique. Leur définition est universelle... et connu même des enfants au moins pour les mousses : quand on agite l'eau du bain avec du savon, on obtient une mousse.

De fait,  dans mon assiette, il y avait des bulles parfaitement visibles dans un liquide, et il s'agissait donc d'une mousse, un point c'est tout.
Le serveur, lui, sans doute mandaté par le cuisinier qui faisait également la confusion, m'a annoncé une émulsion, c'est-à-dire un système physico-chimique très différent de la mousse, puisque constitué de gouttelettes de matière grasse dispersées dans un liquide aqueux.
Le prototype culinaire de l'émulsion, cest la mayonnaise, mais il y a également des sauces émulsionnées, tel les béarnaises, hollandaise, et cetera.

Résumons. Une mousse : c'est un système aérien, parfois diaphane, fait d'un gaz dans un liquide. Une émulsion : une matière grasse liquide dans un liquide aqueux. Ce n'est quand même pas difficile de faire la différence et de parler correctement, non ?

En réalité, je crois qu'il y a à la fois de l'ignorance, de la paresse ou du snobisme derrière l'utilisation du mot émulsion à la place du mot mousse : j'ai d'ailleurs déjà entendu des maîtres d'hôtel me dire que dire émulsion, c'était plus flatteur que de dire mousse. Ah bon ?

J'ai aussi entendu dire qu'il y avait une confusion possible entre la mousse, dispersion de bulles d'air dans un liquide, et les mousses de poisson, par exemple, où il y a de la crème fouettée mêlée à de la chair broyée. Mais est-ce une vraie raison pour nommer marteau un tournevis, chat un chien, casserole une araignée, écumoire une louche ?

Je maintiens absolument que les mots vont de pair avec la pensée et que quelqu'un qui dit les mauvais mots pense mal.

J'interprète aussi, dans l'épisode récent, que le jeune serveur avait été missionné par le chef... qui faisait lui-même la confusion.

Et j'ai tracé l'origine de cette faute, de cette confusion, à des erreurs enseignées par l'Education nationale au début du 20e siècle (elle s'est corrigée, depuis, notamment avec ma contribution, mais, aussi, avec celle de nombreux inspecteurs, professeurs...). D'ailleurs, j'en veux beaucoup aux auteurs du Guide culinaire qui, avec une immense autorité, ont été à l'origine de la confusion. et pas seulement de celle des mousses et des émulsions mais de bien d'autres !

Pour moi qui ai comme valeur la bonté et la droiture, pour moi qui cherche à aider mes amis et moi-même à grandir, tout ce qui peut nous rabaisser me paraît honteux, insupportable, et c'est la raison pour laquelle je cherche non seulement à faire utiliser des terminologies appropriées, avec lesquelles on pourra cuisiner mieux, mais aussi à conduire la profession à s'interroger collectivement sur la transmission, l'enseignement.

Oui, je suis resté un enfant tout à fait scandalisé par les mauvais professeurs, par les professeurs paresseux,  par les professeurs méchants... et, a contrario, j'ai un immense respect, une immense admiration, une immense reconnaissance pour les professeurs qui ont su dépasser les fautes qu'il faisaient eux-mêmes grâce à du travail effectué en vue de me faire grandir.

Je crois que toute personne qui a la responsabilité de guides des collègues plus jeunes, des enfants, des adolescent, des étudiants, devrait a minima chercher à éviter des transmissions pourries.

Plus positivement, j'invite tous mes amis à contribuer au Glossaire des métiers du goût (https://icmpg.hub.inrae.fr/travaux-en-francais/glossaire), car il distribuera une information juste et référencée.

J'insiste sur le référencée, car cela est absent des livres de cuisine alors que c'est un minimum que l'on puisse justifier des connaissances que l'on transmet, n'est-ce pas ? C'est une essentielle question de confiance.

samedi 15 octobre 2022

Terminologies

 Et j'ai oublié de signaler des tas de billets terminologiques :

 

 

Hervé This, Les groseilles à maquereaux… avec des maquereaux ?, Nouvelles gastronomiques, https://nouvellesgastronomiques.com/les-groseilles-a-maquereau-avec-des-maquereaux/, 19 juillet 2022.

Hervé This, Cuire à l’anglaise : ça veut dire quoi ?, Nouvelles gastronomiques, https://nouvellesgastronomiques.com/cuire-a-langlaise-ca-veut-dire-quoi/, 28 juillet 2022.

Hervé This, La sauce tortue, qu’est-ce que c’est ?, Nouvelles gastronomiques, https://nouvellesgastronomiques.com/la-sauce-tortue-quest-ce-que-cest/, 3 août 2022.

Hervé This, Les fines herbes, c’est quoi ?, Nouvelles gastronomiques, https://nouvellesgastronomiques.com/les-fines-herbes-cest-quoi/, 24 août 2022.

Hervé This, Condiments ou appétits ?, Nouvelles gastronomiques, https://nouvellesgastronomiques.com/condiments-ou-appetits/, 29 août 2022.

Hervé This, Bavarois ou bavaroise ?, Nouvelles gastronomiques, https://twitter.com/SandrineKauffer/status/1566774013090824193, 5 septembre 2022.

Hervé This, Cuisiner à l’Argenteuil, Nouvelles gastronomiques, https://nouvellesgastronomiques.com/cuisiner-a-largenteuil/, 12 septembre 2022.

Hervé This, Tout savoir sur l’histoire de la blanquette, 19 septembre 2022, Nouvelles gastronomiques, https://nouvellesgastronomiques.com/tout-savoir-sur-lhistoire-de-la-blanquette/

Hervé This, Qu’est-ce qu’un dartois en pâtisserie ?, Nouvelles gastronomiques, https://nouvellesgastronomiques.com/quest-ce-quun-dartois-en-patisserie/, 25 septembre 2022.

Hervé This, La ballottine, ce n’est pas un ballot, Nouvelles gastronomiques, https://nouvellesgastronomiques.com/la-ballottine-ce-nest-pas-un-ballot/, 29 septembre 2022.

Hervé This, Cuisiner au bleu ?, Nouvelles gastronomiques, https://nouvellesgastronomiques.com/cuisiner-au-bleu-linterpretation-doit-etre-fidele-sans-quoi-il-faut-nommer-differemment/, 4 octobre 2022.


jeudi 5 mai 2022

Let's avoid using the word "polyphenoll"

Indeed there is no reason to speak of polyphenols, as the International Union of Chemistry decided : 


Phenols : Compounds having one or more hydroxy groups attached to a benzene or other arene ring, e.g. 2-naphthol:
Source : PAC, 1995, 67, 1307. (Glossary of class names of organic compounds and reactivity  intermediates based on structure (IUPAC Recommendations 1995)) on page 1357
https://doi.org/10.1351/goldbook.P04539

From now on, I shall speak of phenols. 

PS. By the way, tannins are very specific phenols.

mercredi 5 janvier 2022

Une idée qui date de décembre 2021

Voici une entrée qui figure maintenant dans le Glossaire des métiers du goût : 

 


FOISON :
Terme proposé par Hervé This le 12 décembre 2021 pour désigner les mousses très légères qui sont produites en cuisine, notamment par l'utilisation de siphons.
Le terme "foison d'or" est attribué à des foisons de couleur dorée. 

dimanche 2 janvier 2022

Décidément, la répétition est la base de l'enseignement ! Yes, for sure, repetition is essential for education

I get questions about some terms:

 

1.          Molecular and Physical Gastronomy, or for short Molecular gastronomy : the scientific activity (part of chemistry, physics, biology) that deals with phenomena occurring during culinary preparations (or cooking)

2.        molecular cooking : the culinary technique using modern tools (imported for science laboratories)

3.           molecular cuisine : the culinary style based on molecular cooking

4.           note by note cooking : synthetic cooking, i.e., cooking with pure compounds instead of traditional ingredients

5.        note by note cuisine : the new culinary based style based on note by note cooking

6.       synthetic cooking = note by note cooking. 


Hoping that all this is clear ?   



On me pose des questions sur certains termes :
 

1.          Gastronomie moléculaire et physique, ou en abrégé Gastronomie moléculaire : l'activité scientifique (relevant de la chimie, de la physique, de la biologie) qui s'intéresse aux phénomènes se produisant lors des préparations culinaires (ou cuisine).

2. la cuisine moléculaire : la technique culinaire utilisant des outils modernes (importés des laboratoires scientifiques)

3. cuisine moléculaire : le style culinaire fondé sur la cuisine moléculaire.

4. cuisine note à note : la cuisine de synthèse, c'est-à-dire la cuisinedont les ingrédients sont des composés purs plutôt que  des ingrédients traditionnels.

5. cuisine note par note : le nouveau style culinaire fondé sur la cuisine note par note.

6. cuisine synthétique = cuisine note par note.

 

J'espère que tout cela est clair ?    


Happy New Year

mardi 30 mars 2021

Daubes, et terminologie en général

 Les questions terminologiques sont passionnantes parce qu'elles montrent des phénomènes inédits dans l'évolution du langage,  notamment pour le langage technique de la cuisine.

Il y a des mots qui nous semblent familiers, mais qui sont très flous. Par exemple le mot "daube". Au fond, en réalité, de quoi s'agit-il ?

Si l'on explore les livres de cuisine anciens, on voit au 17e siècle des daubes chaudes et des daubes froides, mais,  quand même, les auteurs disent qu'il s'agit plutôt d'un plat froid, d'un ragoût qui prend en gelée.

Puis, rapidement,  la daube est clairement, explicitement, un plat froid en gelée, qu'il s'agisse de bœuf, de volaille, de poisson, d'anguille par exemple. Là c'est clair, la daube plat froid en gelée.

Et cet usage du mot "daube" reste ainsi longtemps, malgré quelques incohérences d'auteurs qui sont soit idiosyncratiques sans raison, soit ignorants, soit de parti pris (on n'oublie pas que les artistes ont parfois un ego considérables, ce qui a été moqué pour les artistes culinaires).

Et l'on en arrive à aujourd'hui,  où l'on ne sais plus très bien ce qu'est une daube.

Je crois q'u'il est préférable de dire qu'une daube est une viande ou un poisson en gelée... avec l'exception de la "daube provençale", terminologie abrégé de "daube à la Provençale", qui correspond en réalité des recettes anciennes de daubes chaudes.

Aujourd'hui, on est donc obligé de préciser si l'on parle d'une daube (froide, en gelée, donc), ou d'une daube à la Provençale.

Terminons en signalant que j'ai été consulté à propos de la graphie du mot "Provençale" :  majuscule ou pas ? Dans le Dictionnaire universel de cuisine de Joseph Fabre et dans d'autres ouvrages, cela est claire :  l'expression "daube provençale" est un abrègement de  " daube à la Provençale", et il doit y avoir une majuscule sur le p.

dimanche 28 mars 2021

Un ragoût, c'est quoi, au juste ?



Amusant terme que "ragoût". Dans les Nouvelles gastronomiques, je publie mon enquête sur ce mot. Cette enquête, je la fais dans les livres de cuisine anciens, traquant le mot tout aussi bien chez l'auteur qui ne signe que de ses initiales L.S.R  que chez Massialot, la Varenne, Marin, et cetera. Souvent, je m'arrête au Dictionnaire universel de cuisine de Joseph Fabre,  et je ne vais jusqu'au Guide culinaire que pour en montrer les erreurs (car on sais que je suis quelqu'un de méchant... avec les minables).

Pour le mot "ragoût", c'est amusant de voir qu'il s'agit d'un mot très ancien ;  l'accent circonflexe sur le u est un vestige du s qui se trouvait dans  "ragoust".

Mais la question du sens est bien plus intéressante   :  initialement, le mot ragoût était utilisé comme dans ragoûtant, appétissant ; quelque chose qui a du goût et un ragoût.

Progressivement, on voit apparaître l'idée selon laquelle les ragoûts sont les produits de préparations culinaires qui ne sont pas des rôtissages ; il semble qu'il faille un élément principal et une sauce. C'est ainsi que l'on parle d'un ragoût de champignons, d'un ragoût de crevettes, d'un ragoût de veau... Chaque fois, il y a un élément principale, et la cuisson donne du goût par un liquide (par exemple du bouilon) et des tas d'éléments gustatifs, herbes, aromates, épices, etc.

Il y a du ragoût à toutes les sauces si l'on peut dire.

dimanche 21 mars 2021

Pochage et enseignement de la cuisine

 

Lors de notre séminaire de gastronomie moléculaire de mars 2021, nous avons discuté de terminologie et d'enseignement. Le constat  a été fait que le milieu professionnel, qu'il s'agisse des cuisiniers en activité ou des enseignants, utilisait fautivement certains termes.
Par exemple, le mot "pochage" : de toute éternité, on a bien nommé pochage le fait de pocher, c'est-à-dire de faire une poche, notamment par la cuisson des oeufs dans l'eau bouillante.

Initialement, dans les livres de cuisine anciens, les recettes ne mentionnaient le pochage que pour les oeufs pochés, et c'est ensuite que s'est introduite la terminologie pour d'autres cas où il y a effectivement un pochage, par exemple dans une quenelle, dont la couche périphérique vient effectivement coaguler dans l'eau bouillante.

La question à propos de pochage, c'est que certains, pour des raisons incompréhensibles, se sont mis à désigner par ce terme de pochage la cuisson dans de l'eau froide que l'on porte lentement au frémissement, ce qui fait exactement le contraire d'un pochage.
Et j'ajoute que je suis de ceux qui ont suivi le troupeau sans y penser !

Que faut-il faire, maintenant que l'erreur est dépistée : entériner un usage récent (à l'échelle de la cuisine) et idiot ?  Ou bien, au contraire, éclairer les apprenants avec une terminologie juste et simple, que nous pouvons leur expliquer  ?

La question revient à celle de transmettre des idées juste  ou des idées fausses... et l'on pressent quelle est ma réponse !

J'ajoute que, expérimentalement, le séminaire de gastronomie moléculaire s'est toujours attaché  à tester expérimentalement les précisions culinaire, afin de permettre aux enseignants de ne plus transmettre que des idées justes.

En conséquence, malgré un débat sur la possibilité de conserver des terminologies fautives (au mauvais prétexte que le mileu professionnel les utiliserait), je crois qu'il serait indécent de propager des terminologies fautives ; et que le rôle du séminaire est au contraire le dire le juste, le fondé, le légitime, s'en aller vers un avilissement de l'art culinaire !

Au contraire, notre objectif est de  faire grandir l'art culinaire, et cela passe par les mots, même si certains doivent réviser leur vocabulaire et apprendre un peu !

mardi 23 juin 2020

Mon petit marché

Je déteste l'à-peu-près, notamment terminologique, parce qu'il y a le risque que ma pensée soit flottante.

Et voici donc mon marché du jour :

critique

"Domaine des phénomènes physiol. ou naturels"
"Qui implique des suites de grande importance, dans un sens favorable ou défavorable. "
1762 « qui décide du sort de quelqu'un ou de quelque chose, qui amène un changement » (J.-J. ROUSSEAU, Émile, IV ds LITTRÉ);
"Qui a le don, le pouvoir de juger un être, une chose à sa juste valeur, de discerner ses mérites et défauts."
"Esprit critique. Esprit qui n'accepte aucune assertion sans contrôler la valeur de son contenu et son origine. "

peler

 Enlever (à quelque chose) sa partie superficielle.
Ôter la peau.


 
éplucher

Nettoyer en enlevant les déchets.


tronçon

Fragment, morceau coupé ou brisé d'un objet plus long que large.
Morceau tranché d'un animal au corps allongé et plus ou moins cylindrique.
du lat. pop. *trunceus « tronqué », dér. du lat. d'époque impériale truncus « id. ».


cylindre

Solide engendré par une droite qui se déplace parallèlement à un axe, en s'appuyant sur deux plans fixes

Hopla !

jeudi 30 avril 2020

Pourquoi s'interdire le mot "arôme" dans des acceptions fautives est en réalité quelque chose de positif et de merveilleux

1. Pourquoi s'interdire le mot "arôme" dans des acceptions fautives est en réalité quelque chose de positif et de merveilleux
Ah, le mot "arôme" ! Employé à tort et à travers, et d'abord par tous ceux qui ignorent qu'un arôme, c'est l'odeur d'une plante aromatique, d'un aromate. Il n'y a pas d'arôme de viande, puisque la viande n'est pas un aromate. Pas d'arôme de banane ou de cerise, pas d'arôme de tabac, pas d'arôme de cuir...

2. Les acceptions fautives sont nombreuses, et notamment parmi les amateurs de vins, sommeliers, oenologues. Mais aussi parmi les spécialistes des sciences et technologies du goût, qui, d'ailleurs, ont des acceptions contradictoires, certains y voyant une odeur, d'autres une odeur rétronasale (quand l'odeur monte par l'arrière de la bouche, vers le nez), d'autres encore la "somme" d'une odeur et d'une saveur (qui pourra bien m'expliquer comment on calcule une telle somme ?), et ainsi de suite : c'est une immense cacophonie.

3. Sans compter qu'une certaine réglementation très fautive, et qui conduit à de la déloyauté, au mépris de cette loi de 1905 qui veut protéger le public des marchands sans scrupules, a admis le terme d'"arôme" pour désigner des compositions ou des extraits de composés souvent odorants. Il faut absolument que ces produits soient, au minimum, nommés des aromatisants, et pas des arômes, sans quoi on verse dans la confusion, dont quelques malhonnêtes s'empareront pour tromper.

4. Restreindre le mot "arôme" à son vrai sens est-il une limitation ? Au contraire : introduisons de nouveaux mots pour désigner des entités mieux comprises aujourd'hui, et introduisons de nouveaux mots pour désigner des produits industriels qui ont leur vertus, et dont nous avons tous intérêt de comprendre les caractéristiques  !

mardi 28 avril 2020

Pourquoi critiquer le mot "flaveur" n'est pas négatif, mais au contraire très encourageant


1. L'écriture gastronomique ? On veut discuter des mets, évoquer des bonheurs gourmands, faire des promesses artistiques, évoquer des réunions amicales, joyeuses, fines, subtiles...
Et je vois que, en fin de cette phrase précédente, je suis tombé dans l'épithétisme : l'accumulation de termes (ici des adjectifs) qui voudrait faire bien sentir mon enthousiasme.

2. Le problème, c'est que les synonymes stricts n'existent pas, et qu'à force d'entasser des mots, ma pensée devient de plus en plus gauchie, au point d'être parfois médiocre ou mauvaise.
Bref, jusqu'où peut-on aller, sans tomber dans l'erreur ou la faute ?

3. L'un des mots que je critique, dans la littérature gourmande, que l'on doit plutôt dire gastronomique, d'ailleurs, ou culinaire, est "flaveur". C'est un mot qui a été introduit avec un peu de force dans les années 1950, et dont personne ne sait vraiment bien ce qu'il signifie, au point que mêmes mes collègues "sensorialistes" n'ont pas toujours la même définition.
Je suis bien désolé de vous dire que des collègues distants d'un bureau, dans la même institution de recherche, dans le même laboratoire, la même "unité", le même bâtiment, la même équipe, le même groupe, ne s'entendent pas sur ce terme, et l'on voit la cacophonie régner dans les conférences scientifiques, tout comme dans les articles scientifiques. C'est honteux !

4. Inversement, rien de contradictoire, ailleurs : à propos de température, d'entropie, d'énergie... De quoi est-ce l'indication ? Que les définitions, en sciences de la nature, doivent toujours être formelles, quantitatives, sous peine de n'être que du discours verbeux ?
Oui, chacun peut avoir sa définition, mais ce n'est pas ainsi que l'on construit des monuments. Il y a lieu de faire quelque chose.

5. Et évidemment, que peut penser le public plus large du sens de ces mots, s'ils ne sont pas bien définis par ceux qui devraient le faire ? Le flou règne, l'incohérence, l'incompréhension, la discorde.
Les poètes les plus faibles s'emparent de ces mots, pour donner un son, ou couleur, faire vibrer des cordes sensibles. Fort bien, mais finalement, de quoi parle-t-on ?

6. Oui, dans les années 1950, certains ont voulu imposer le mot "flaveur" pour le mot français "goût"... mais nous avions déjà ce mot "goût", que chacun comprend parfaitement : quand nous mangeons une fraise, nous percevons le goût de fraise. Faut-il en dire plus ?

7. Certes, si nous le voulons, nous pouvons décomposer le goût, sensation synthétique, en saveur, odeur, consistance, température, piquant ou frais... Mais où irait alors se nicher le mot "flaveur" ? Il est inutile.

8. Donc gênant  !

9. Et dire cela, c'est bien sûr critiquer ceux qui ont voulu introduire le mot "flaveur", avec toutes sortes de mauvaises raisons.
Mais c'est surtout débarrasser notre langue commune de scories.


Ne parlons plus de flaveur, mais parlons de goût !