Je reçois un message :
C'est quoi le principe de la tenue de la vinaigrette ?
car je cherche toujours les proportions parfaite pour qu'elle tienne bien ferme
moutarde ancienne
eau
vinaigre
huile olive
huile d'arachide
Je vais commencer par discuter le mot vinaigrette, avant de répondre à la question.
Qu'est-ce que la vinaigrette ?
Nous
sommes bien d’accord : la dénomination des mets doit revenir à ceux qui
l’on initialement utilisée, n'est-ce pas ? C'est, en effet, une
question d'éthique, que de reconnaître la paternité des inventions, des
idées, des découvertes.
De ce fait, pour savoir ce qu’est une vinaigrette, il faut donc remonter dans le temps.
Commençons au Larousse gastronomique,
qui dit simplement, et sans référence, que la vinaigrette est une
émulsion d’un corps gras et d’un produit acide. Définition idiote,
puisque l'on pourrait faire une émulsion de jus de citron (acide) et
d'huile : sans le mot "vinaigre" présent, ce n'est manifestement pas une
vinaigrette ! D'ailleurs le Larousse gastronomique confond tout,
puisqu’il admet aussi bien de la crème et du jus de citron, que du
vinaigre et de l’huile. Décidément, oublions un texte aussi peu
éclairant.
Le Guide culinaire ? Ce n’est guère mieux,
puisqu’il confond la « Ravigote (ou Vinaigrette) », pour une sauce qui
réunit de l’huile, du vinaigre, des câpres, du persil, cerfeuil,
estragon et ciboulettes, oignon, sel et poivre.
Oui, la présence des
herbes fait la ravigote, et le seul mérite que l’on puisse reconnaître
ici, c’est de ne pas avoir confondu avec la rémoulade, qui, elle,
contient de la moutarde.
Remontons donc dans le temps, pour voir si
nous trouvons mieux que ce livre que je n’aime pas, parce qu’il a donné
l’apparence d’un livre savant, en entérinant des définitions fautives.
Au
19e siècle, le cuisinier Urbain Dubois, par exemple, écrit ainsi : «
Vinaigrette : Délayez dans une terrine, une cuillerée de moutarde, avec
de l'huile et du vinaigre; ajoutez sel et poivre, oignon, échalote,
persil, cerfeuil et estragon hachés; ajoutez quelques câpres entières. »
Pas terrible : cela, c’est une rémoulade en ravigote !
Allons, montons plus loin encore, avec le Ménagier de Paris, publié vers 1393… qui dit ainsi que la vinaigrette est une « sauce faite d'huile, de vinaigre et de divers condiments » (Ménagier de Paris, II, p. 108).
Voici
qui est plus clair… à cela près que l’on trouve aussi « Prenez la
menue-haste d’un porc, laquelle soit bien lavé et eschaudée, puis rostie
comme à demy sur le greil : puis minciez par morceaux, puis les metez
en un pot de terre, du sain et des oignons coupés par rouelles, et
mettez le pot sur le charbon, et hochiez souvent. Et quand tout sera
bien frit ou cuit, si y mettez du boullon de beuf, et faites tout
boulir, puis broiez pain halé, gingembre, graine, saffran, etc., et
deffaites de vin et de vinaigre, et taites tout bouilir, et dit être
brune. »
En traduisant, il s’agit de prendre de la viande de porc
rôtie, avec de la graisse, des oignons ; on cuit, on ajoute du bouillon,
puis du pain grillé, des épices, et du vin et du vinaigre, avant de
faire bouillir : rien à voir avec ce que nous disons aujourd’hui être
une vinaigrette.
Cette recette est-elle une particularité exceptionnelle ? Non, car c’est presque la même que celle du Viandier,
de Guillaume Tirel. C’est si l’on peut dire la véritable recette ! Et
notre vague mélange moderne de vinaigre et d’huile, parfois agrémenté de
moutarde, n’est qu’une piètre préparation… qui mérite d'être améliorée.
Comment cela tient-il ?
Partons
de la recette qui a été donnée par mon correspondant, et qui est donc
plutôt une rémoulade, puisqu'il y a de la moutarde et de la matière
grasse.
La moutarde est faite de graines, donc de tissus
végétaux, qui contiennent notamment des phospholipides et des protéines,
de sorte que la broyer finement avec de l'huile permet la dispersion de
l'huile sous la forme de gouttelettes, ce qui est une "émulsion".
Plus
on mélange énergiquement, plus les gouttelettes sont petites, et plus
l'émulsion est stable. Simultanément, la couleur s'éclaircit, comme on
le voit en faisant l'expérience de préparer une mayonnaise (jaune
d'oeuf, vinaigre et huile) à la fourchette, puis en passant un coup de
mixer plongeant dedans : à l'endroit mixé, la sauce est bien plus ferme,
et bien plus blanche.
Plus ferme : cela signifie d'autre
part que les gouttelettes d'huile bougent plus difficilement... et donc
que la sauce est stabilisée.