Cette fois, laissez-moi vous parler, comme promis, d'une sauce absolument extraordinaire, que j'ai nommée sauce kientzheim.
Pour comprendre la nouveauté, partons de la sauce mayonnaise.
Elle s'obtient en mêlant du jaune d'oeuf et du vinaigre, puis en ajoutant de l'huile goutte à goutte pendant que l'on fouette.
Pas de moutarde, sans quoi on obtient une sauce rémoulade,
et non plus d'une sauce mayonnaise. Les sauces mayonnaise et rémoulade
sont différentes, parce que la moutarde apporte un savorisme
particulier. Pourtant ces deux sauces sont des émulsions, elles sont
cousines.
Émulsion : cela signifie que ces sauces sont
constituées d'une myriade de gouttelettes dispersées dans la phase
aqueuse, dans l'eau apportée par le jaune d'oeuf et par le vinaigre. Le
mot « émulsion » fut introduit en 1560 par Ambroise Paré, chirurgien de
plusieurs rois de France, et le mot vient de
emulgere, qui en
latin signifie traire. De fait, on trait les vaches pour obtenir du
lait, lequel est une émulsion, composé de gouttelettes de matières
grasses dispersées dans l'eau : le lait effectivement est un cousin
physico-chimique de la sauce mayonnaise. Ou, plus exactement, la sauce
mayonnaise et une cousine artificielle (ce qui signifie : un produit de
l'art) du lait.
D'autre part les gourmands connaissent et
apprécient les sauces hollandaises et béarnaises : ces deux sauces sont
des cousines physico-chimiques, qui ne diffèrent l'une de l'autre que
par l'emploi d'estragon dans la béarnaise, pour simplifier.
En
principe, on les produit en chauffant du jaune d'oeuf avec de la matière
grasse, et il y a plusieurs procédures possibles, mais, dans tous les
cas, l'oeuf coagule, ses protéines faisant de microscopiques agrégats
qui donnent de la consistance à la sauce.
Cette fois, le système
physico-chimique n'est plus l'émulsion, mais la « suspension
émulsionnée » : « suspension », parce qu'il y a des agrégats
microscopiques solides en suspension dans le liquide ; « émulsionnée »,
parce qu'il y a effectivement de la matière grasse, le beurre fondu,
qui a été divisée en gouttelettes, dispersées également dans la phase
aqueuse.
Faisons maintenant la synthèse : dans les
sauces hollandaises comme dans les sauces mayonnaise, il y a la matière
grasse, mais cette matière grasse n'est pas la même. Dans la mayonnaise,
c'est de l'huile, mais dans la béarnaise, c'est du beurre fondu. Le
beurre fondu ? Quel délice !
Pourrait-on alors produire une émulsion où la matière grasse serait du beurre fondu ? C'est cela la sauce kientzheim.
La
recette : fondons préalablement du beurre, en le chauffant, puis
attendons qu'ils refroidisse un peu, sans quoi il ferait cuire les
jaunes d'oeufs ; on l'ajoute alors à du jaune d'oeuf en le fouettant
comme si c'était de l'huile d'une mayonnaise. La sauce obtenue est une
sauce kientzheim, une émulsion, et non une suspension ou une suspension
émulsionnée.
En pratique ? Je vous propose de partir
d'un jaune d'oeuf, de lui ajouter le jus d'un citron, beaucoup de
poivre, un peu de sel, et d'utiliser plutôt que du beurre fondu du
beurre noisette fondu et pas trop chaud. Ajoutez en fin de préparation
quelque câpres, et vous aurez une sauce tout à fait extraordinaire.
Pourquoi
ce nom de sauce kientzheim ? Pour mille raisons compliquées, mais il
suffira de dire que Kientzheim est le nom d'un village du Haut-Rhin,
situé près de Colmar. Un merveilleux village médiéval, coquet, où il
fait bon manger pour vivre. Bon appétit !
Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces
(un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de
cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)