Affichage des articles dont le libellé est sauce. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est sauce. Afficher tous les articles

mercredi 4 décembre 2024

Beurre blanc, beurre nantais, sauce blanche

Alors que je faisais hier une sauce pour poisson, j'ai voulu savoir ce qu'en disaient les internautes, et c'est ainsi que j'ai vu la plus grande confusion entre le beurre blanc, le beurre nantais, la sauce blanche.
J'ai déjà consacré un billet terminologique à cette question, dans les Nouvelles gastronomiques (https://hervethis.blogspot.com/2023/12/beurre-nantais-beurre-blanc-non-sauce.html),   et j'ai montré combien il y avait de confusions et d'erreurs à propos de ces sauces.

Mais ce sont surtout les commentaires des internautes qui m'ont intéressés hier, parce que j'ai vu combien il manquait à celles et ceux qui cuisinent les bases chimiques et physiques pour comprendre que tout cela... est vraiment très simple.  

Il y a donc ces sauces qui sont faites d'une première réduction d'un liquide (du vin, du jus de citron, etc.) avec des échalotes, par exemple, et auxquelles on ajoute du beurre que l'on fouette pendant qu'il fond. 

Avec cette description qui reste à la pratique, sans compréhension des gestes, il est presque certain que l'on est conduit à une sauce qui tourne parce qu'il manque les informations physico-chimiques élémentaires pour obtenir une sauce bien faite, bien liée. 

De fait, les conseils culinaires classiques sont variés : il est dit de réduire à sec ;  mais il est aussi parfois conseillé d'ajouter une cuillerée d'eau ;  il est dit d'ajouter le beurre par petites quantités, il est dit de le faire bouillir, et ainsi de suite. Mais pourquoi toutes ces prescriptions incompréhensibles et pas nécessairement justes ?

Pour comprendre, il faut savoir l'objectif  : ce dernier est la production d'une émulsion, c'est-à-dire la dispersion de gouttelettes de matière grasse fondue dans un liquide aqueux (on parle de "solution aqueuse", ou de "phase aqueuse"). 

Cela impose d'avoir au minimum 5 pour cent  d'eau environ,  et de disperser dans cette eau la matière grasse liquide sous la forme de gouttelettes microscopiques : c'est parce que les gouttelettes seront finalement nombreuses, tassées, coincées les unes contre les autres, qu'elle bougeront difficilement et que la sauce s'écoulera difficilement, qu'elle aura une certaine viscosité, une certaine fermeté, qu'elle sera "liée". Plus généralement, l'émulsification  est un des procédés de la liaison des sauces. 

D'où viendra l'eau ? D'où viendra la matière grasse ? Pour la matière grasse, il est évident qu'elle vient du beurre qui fond. En effet, le beurre est fait en général de 82 pour cent  de matière grasse et de 18 pour cent d'eau... de sorte que l'on pourrait très bien faire une émulsion avec du beurre seulement : si chauffe doucement le beurre, on obtient  une phase aqueuse au fond du récipient et une phase grasse liquide par-dessus, le beurre clarifié ; si l'on décante ce système "biphasique", c'est-à-dire à deux phases, alors on peut récupérer  la phase grasse liquide à part, puis l'ajouter en fouettant dans la phase aqueuse restée dans la casserole, ce qui produire une émulsion très différente du beurre... et qui peut être une sauce pour des poissons. 

Toutefois cette sauce n'aura que le goût du beurre et l'on peut vouloir le rehausser un peu. C'est la raison pour laquelle on fait classiquement réduire des échalotes avec du vin blanc, de jus de citron ;  au cours de cette réduction, les composés odorants sont éliminés mais il reste des composés sapides, des ions minéraux, des acides, etc. 

Mais quand on fait une réduction à sec, il n'y a alors plus l'eau nécessaire  pour obtenir une émulsion, pour permettre la dispersion des gouttelettes de matière grasse. Sachant qu'il y a 18 pour cent d'eau dans le beurre, on pourrait s'en tirer, mais la cuisine classique, ignorant cela, a proposé plutôt d'ajouter une cuillerée d'eau à la réduction initiale : rappelons-nous qu'ils faut un minimum de 5 pour cent d'eau  pour obtenir une émulsion de type huile dans eau. 

Ensuite, c'est tout simple : il suffit de mettre le beurre dans la casserole et de chauffer doucement en fouettant. Le  beurre qui est chauffé fond, et le fouet divise la matière grasse fondue en gouttelettes qui viennent se disperser dans l'eau. Attention toutefois que ce travail se fait à chaud et que de ce fait, l'eau s'évapore, de sorte que, si l'on n'y prend pas garde, si on chauffe trop, trop longtemps, on risque de ne plus avoir assez d'eau pour faire l'émulsion, qui viendra à tourner.

Il y a un point important à savoir encore  : une émulsion à petites gouttelettes est plus visqueuse, plus épaisse, plus ferme qu'une émulsion avec de grosses gouttelettes. 

On peut voir ce phénomène si l'on donne un coup de mixeur plongeant dans une mayonnaise qui aurait été faite à la fourchette : à l'endroit où l'on a mixé, la sauce devient ferme et blanche. 

Cet effet peut s'obtenir ici, pour notre sauce chaude pour poisson : une fois la sauce terminée, si elle est un peu trop liquide, alors on la passe au chinois afin d'éliminer les morceaux d'échalotes, et dans l'émulsion récupérée, on donne un coup de mixeur plongeant qui va affermir la sauce. 

Évidemment, il y aura lieu de goûter la sauce terminée et surtout celle-là, parce qu'une émulsion à petites gouttelettes n'a pas le même goût que la même que la même sauce à grosses gouttelettes, ayant les mêmes ingrédients : pour expliquer la chose, je renvoie à ma discussion sur les sauces au vin montées au beurre, vannées ou fouettées (https://www.pourlascience.fr/sd/chimie/vannee-ou-fouettee-3166.php), mais en tout cas, une fois la sauce terminée, on la goûtera et on assaisonnera en se souvenant des conseils du merveilleux chef alsacien Emile Jung : une partie de violence, trois parties de force et neuf parties de douceur. Ici, la douceur est donnée par le beurre, la force est donnée par l'acidité, et il reste à régler la violence, qui peut-être celle du poivre, ou du piment de Cayenne, ou du piment d'Espelette, par exemple.

lundi 18 mars 2024

De la délicatesse des liaisons

Les sauces ne sont pas des jus, et elles sont plus "fluides" que des purées. Il s'agit de liquides qui ont une certaine "épaisseur", obtenue par une "liaison". 

Et il y a des liaisons variées : 

- à l'aide de farine ou d'amidon, comme dans les veloutés ;

- à l'aide d'œuf, comme dans les hollandaises, les béarnaises ou les crèmes anglaises ; 

- à l'aide de sang comme dans les civet ; 

- par émulsion comme dans les mayonnaise ; 

- par dispersion de particules solides, ce qui se nomme des suspensions, comme dans les purées étendues ou les velours (avec la carotte) et ainsi de suite.

Mais beaucoup de ces systèmes sont opaques ou translucides,  pas transparent,  et il y a des vertus à napper les pièces de l'assiette par une belle sauce limpide et transparente, ce qu'on n'obtiendra pas avec les systèmes précédents, même en passant un velouté au chinois. 

 

Comment nous y prendre ? 

 

Une clé est la dissolution de gélatine ou de molécules analogues dans un liquide clair. Partons d'un jus clairs, limpoides, réduisons-le et ajoutons lui beaucoup de gélatine : alors la sauce prend de l'épaisseur et garde une transparence parfaite. 

Évidemment, une telle sauce figera si sa température est inférieure à environ 30 degrés mais en tout cas, pour une sauce chaude , il n'y a pas de problème et on obtiendra un résultat tout à fait merveilleux.

jeudi 7 décembre 2023

A propos de liaison des sauces

 
À propos de liaison de sauce, j'ai déjà distingué des émulsions, des mousses, des suspensions, et cetera, mais je m'aperçois que je ne suis pas allé à la racine de la chose : l'idée, c'est qu'on part d'eau, ou plus exactement d'eau qui a du goût, ce que les chimistes nomment des solutions aqueuses, obtenue par cuisson de tissu animaux végétaux dans de l'eau, dans du vin, et cetera.
Cette solution aqueuse est souvent très fluide, avec peu de viscosité, et on voudrait lui en donner afin qu'elle nappe les morceaux en gardant une consistance plus fluide que celle d'une purée, par exemple.

Autrement dit, il faut ralentir le mouvement de l'eau.

Et cela se fait  :
- soit en dispersant dans l'eau de longues molécules qui se lit aux molécules d'eau, tels des polysaccharides ou des protéines, fautivement nommés hydrocolloides,
- ou bien en dispersant des structures variées dans l'eau afin que cette dernière soit très encombrée. C'est le cas pour les liaisons par des protéines telles que le jaune d'œuf ou le sang, qui coagulent à la chaleur, formant des structures dispersées dans l'eau
C'est le cas aussi de l'émulsification, avec des gouttelettes de matière grasse également dispersées dans l'eau, comme on le fait quand on monte une sauce au beurre.
On peut imaginer aussi la dispersion de bulles d'air, un foisonnement qui peut engendrer une mousse... et l'on sait bien qu'un blanc battu en neige, par exemple, ne coule pas.

Bref, les possibilités classiques de liaison se retrouvent toutes dans cette description. Les liaisons à la farine ou à l'amidon se trouvent dans la catégorie des suspensions, mais cette fois, ce ne sont pas des particules solides qui sont dispersés ; plutôt des grains d'amidon empesés, c'est-à-dire en réalité des petits gel.
Notons que l'on peut aussi obtenir le même type de système si l'on fabrique d'abord une gelée et que l'on mixe dans le liquide : on dispersera alors des micro-gels dans la solution aqueuse pour faire ce que j'ai nommé les "debyes".

Je dois pas oublier de revenir sur un point de détail avec les sauces "confortables", c'est-à-dire celle qui sont liées par addition de gélatine :  cette fois il s'agit d'une protéine et non pas d'un polysaccharide mais les molécules de gélatine se lient également aux molécules d'eau et donnent aux sauces une viscosité de bonne aloi.

dimanche 3 décembre 2023

A propos de rémoulade : il faut de la moutarde et de l'huile !

J'ai déjà bien exploré la question de la sauce nommée rémoulade, et j'ai parfaitement établi qu'il s'agit de sauces -en froid ou en chaud - avec de la moutarde. On pourra consulter le Glossaire des métiers du goût : https://icmpg.hub.inrae.fr/travaux-en-francais/glossaire

Cela étant je viens de trouver une confirmation de ce que j'avais établi dans  le Dictionnaire des aliments, publié par le cuisinier MCD en 1750 :

Sauce à  la rémolade
Hachez très-fin persil, ciboule, capres, anchois, une pointe d'ail ; mettez le tout dans une casserole avec une cuillerée de moutarde, sel fin, poivre concassé ; délayez avec de l'huile & du vinaigre ; que rien ne domine dans cette sauce : servez-la froide dans une saucière.
 

Sauce à la rémolade chaude
Mettez dans une casserole persil, ciboule, champignons, une pointe d'ail, le tout haché ; passez-les sur le feu avec une cuillerée d'huile, & mouillez après avec du coulis & un peu de vinaigre ; après quelques bouillons, dégraissez la sauce, & l'assaisonnez de bon goût ; avant de servir, mettez-y une cuillerée de moutarde. Faites servir la sauce sans bouillir, & vous en servez pour tout ce qui a besoin de haut goût.


lundi 4 septembre 2023

La sauce kientzheim

Vous mangez du poisson, des asperges ? Ne manquez pas de les accompagner en avec une sauce « kientzheim », une excellente sauce kientzheim dirais-je si ce n'était un pléonasme, puisqu'une sauce kientzheim est par définition excellente ;-)

 

De quoi s'agit-t-il ? D'une sauce émulsionnée, comme une mayonnaise donc, mais où l'huile est remplacée par du beurre noisette. On pourrait croire qu'il ne s'agit de rien d'autre que d'une sauce hollandaise, sauf qu'une hollandaise n'est pas une émulsion, mais une suspension émulsionnée, le jaune d'oeuf étant coagulé lors de la cuisson (laquelle change le goût, de l'hydrogène sulfuré étant formé en petites quantités). De surcroît, le beurre utilisé pour une hollandaise n'est pas un beurre noisette, ce qui est un détail du point de vue physico-chimique, mais quelque chose d'essentiel du point de vue culinaire. 

La sauce kientzheim est finalement un système qui n'a jamais été proposé par le passé, de sorte qu'il s'agit bien d'une invention, pour laquelle il fallait un nom nouveau. Celui qui a été retenu est « sauce kientzheim », du nom d'un des plus beaux villages du monde dans le Haut-Rhin, en Alsace.

 

En pratique ? 

 

Partons d'un jaune d’œuf, poivrons-le fortement, salons un peu, et ajoutons le jus d'un citron. 

Par ailleurs préparons un beurre noisette en chauffant du beurre dans une casserole jusqu'à ce qu'apparaissent une belle odeur et une belle couleur. Attention : le beurre ne doit pas charbonner. 

Laissons ce beurre noisette refroidir un peu, jusqu'à ce que l'on puisse toucher le flan nu de la casserole, c'est-à-dire que la température soit inférieure à 60 °C, le beurre restant liquide. 

Puis ajoutons ce beurre noisette liquide au mélange d'oeuf et de citron, en fouettant, comme pour une mayonnaise. Progressivement, la sauce épaissit comme une mayonnaise, et l'on obtient la sauce kientzheim. 

 

Evidemment iil n'est pas interdit de l'agrémenter de câpres, par exemple. Finalement, dans ce cas particulier, le gastronome Jean-Anthelme Brillat-Savarin avait bien raison de dire que la découverte d'un mets nouveau fait plus pour le bonheur que la découverte d'une étoile... sauf qu'il ne s'agit pas ici d'une découverte, mais d'une invention. 

 

Peu importe : il y a quand même beaucoup de bonheur gourmand à la clé !

samedi 25 février 2023

Deux recettes alsaciennes :

 Là, sur l'exemple d'une merveilleuse préparation que j'avais faite à l'Hôtel Renaissance de la Défense, pour mon ami Jean-Pierre Lepeltier, je propose un dessert alsacien :


1. macérer des épices de vin chaud dans de l'huile
2. dans un blanc d'oeuf, battre en ajoutant l'huile, de sorte que l'on obtienne une émulsion blanche (comme une crème, donc)
3. mettre deux centimètres dans un verre, et passer au four à micro ondes une vingtaine de secondes (jusqu'à gonflement).
4. ajouter du marc de gewurtztraminer
5. terminer par une mousse au siphon : blanc d'oeuf et gewurtztraminer, par exemple
6. napper de noix grillées.

 
Et j'imagine une sauce poisson, qui pourrait être du type de mon invention que j'ai nommée un priestley :
1. mixer très finement de la chair de truites de Guidat (Orbey)
2. ajouter du lait, ou un autre liquide (par exemple du riesling chauffé afin que l'éthanol soit évaporé)
3. cuire comme une crème anglaise jusqu'au nappage

mardi 31 mai 2022

La crème, pour des émulsions


On m'interroge à propos de crème, pour des sauces.

Et là, il est bon de savoir que le lait et la crème sont déjà des émulsions, avec une "phase aqueuse" (de l'eau, où sont dissoutes des molécules de divers composés, tel le lactose), et avec des gouttelettes de matière grasse émulsionnées par des protéines.

Au fond, si l'on ajoute de la matière grasse en fouettant, c'est comme si l'on ajoute de l'huile, en fouettant, à un début de mayonnaise : l'émulsion continue de se faire, tant qu'il y a des composés tensioactifs en suffisance, pour enrober les gouttelettes de matière grasse, et tant qu'il y a suffisamment d'eau pour accueillir les nouvelles gouttelettes.

Oui, donc, on peut parfaitement ajouter de l'huile, du  beurre fondu, du chocolat fondu, du foie gras fondu, etc. à de la crème ou à du lait.  Et c'est ainsi que se constituent des sauces émulsionnées.  

lundi 18 avril 2022

Comment rater une béarnaise



Rater une béarnaise ? Nous allons voir que c'est bien difficile... parce que l'on peut la rattraper !

Commençons par la sauce béarnaise : de quoi s'agit-il ? Jules Gouffé, dans son Livre de cuisine,  publié en 1867 donne la recette  suivante :

SAUCE BÉARNAISE.  Mettez dans la casserole : 5 jaunes d'oeufs,  30 grammes de beurre,  1 petite pincée de sel, 1 prise de poivre. Tournez sur le feu avec la cuiller; aussitôt que les jaunes d'oeufs commencent à prendre, retirez du feu et ajoutez 30 grammes de beurre ; remuez sur le feu avec la cuiller, et ajoutez de nouveau 30 grammes de beurre ; faites deux fois la même opération ; goûtez pour l'assaisonnement, puis ajoutez une cuillerée à bouche d'estragon haché et une cuillerée à café de vinaigre à l'estragon.  Cette sauce doit être ferme et avoir la consistance de la mayonnaise.

Comment rater cela ? Bon, on peut évidemment commencer par faire tomber les blancs avec les jaunes, voire avec des morceaux de coquille... mais on parviendra sans doute à récupérer la coquille... et ce n'est pas grave d'avoir des blancs avec des jaunes, car les blancs sont faits d'eau et de protéine.

Le sel ? On peut oublier d'en mettre... mais il sera temps d'en ajouter après. En mettre trop ? Là, oui, c'est gênant.

Le poivre ? Ne pas avoir peur d'en mettre beaucoup, car mon ami Emile Jung, chef étoilé décédé, disait bien "une partie de violence, trois parties de force et neuf parties de douceur".

Cuire trop ? Cela ferait une masse coagulée.... mais on peut donner un coup de mixer pour défaire tout cela.

Faire tourner la sauce après qu'on a ajouté le beurre ? Il suffit d'une cuillerée d'eau pour qu'elle retrouve sa consistance émulsionnée.

Bref, inratable !

lundi 3 janvier 2022

Le microscope en cuisine

 

Il y a plus que ce que les yeux ne voient. Oui, nos yeux sont limités :  dans le très petit,  dans le très grand, dans les longueurs d'onde qui sont d'un côté ou de l'autre de l'étendue des couleurs visibles...
D'ailleurs, découvrir du nouveau, n'est-ce pas voir ce que l'on ne voyaient pas nos yeux d'"avant" ? De sorte que nous aurions raison de bien nous interroger sur nos méthodes d'explication.

Et toute cette introduction me fait souvenir d'une formation que j'avais faite sur la Côte d'Azur. À l'époque, je voulais montrer aux auditeurs que les mayonnaise sont des émulsions, et non pas de simples amalgames, comme cela était dit naguère.

J'ai déjà dit que le mot "amalgame" est d'utilisation risquée, parce que l'on ignore le plus souvent qu'un amalgame s'obtient quand on approche du mercure d'un autre métal et que l'on voit l'ensemble former une pâte homogène.
En cuisine, le terme a été repris pour désigner une préparation homogène, mais évidemment sans mercure puisque ce métal est très toxique. Et si l'on interroge ceux qui utilisent le mot "amalgame", on voit bien qu'ils ne savent pas très bien de quoi ils parlent.

Mais bref, j'étais avec des chefs confirmés, voire étoilés, et j'avais l'ambition de leur expliquer qu'il y a des choses justes et des choses fausses qui se disent à propos des sauces mayonnaises.

Comme rien ne vaut la méthode expérimentale, pour expliquer, j'avais décidé d'inviter un des participants à faire une mayonnaise afin que nous puissions la regarder au microscope.

Alors que la mayonnaise était pas faite, qu'elle était encore très liquide (peu d'huile ajoutée au mélange de jaune d'oeuf et de vinaigre), j'ai pris une goutte de la préparation pour la mettre sur une lame de verre, que nous avons regardée au microscope.

Et chacun a  alors vu, grâce au microscope, qu'il y avait une dispersion de  gouttes d'huile dans ce que les auditeurs ont admis  être de l'eau, apportée par le vinaigre et par le jaune d'œuf.

A ce stade, j'ai fait remarquer  qu'il n'y avait donc pas d'amalgame, mais une dispersion de gouttelettes d'huile dans l'eau.

Il m'a été répondu que oui, mais que la mayonnaise n'était pas encore faite.
Dont acte : j'ai invité l'opérateur a ajouter autant d'huile qu'il voulait, à fouetter autant qu'il voulait pour arriver à une mayonnaise qui serait faite.

Et quand celle-ci a été terminée, nous en avons repris un échantillon, que nous avons à nouveau observé au microscope...

Et nous avons de nouveau bien vue qu'il y avait des gouttes d'huile dans l'eau. Des gouttes dispersées, et non pas un "amalgame" au sens d'un mélange intime.

Car l'huile ne se mélange pas à l'eau. Et le mieux que l'on puisse faire, c'est comme ici : une émulsion.

Le microscope ? Merveilleux ustensile qui permet de voir mieux qu'avec nos yeux !

dimanche 20 septembre 2020

Une sauce qui tranche ?

science/études/cuisine/politique/Alsace/gratitude/émerveillement

 

 

1. On m'envoie une recette de sauce à l'orange qui tranche et l'on m'interroge sur les causes possibles de ce désastre.

2. On réalise cette sauce en pressant des oranges, puis en faisant réduire le jus à feu doux, avec des épices; ensuite on peut mettre un peu d'alcool,  et on ajoute au dernier moment de la crème fraîche ou du beurre que l'on émulsionne.

3. La question est posée par un interlocuteur : pourquoi l'ajout de la crème fraîche conduit-il au tranchage ?

4. Une "autorité" (?)  répond dans un journal féminin que soit le mélange d'ingrédients n'a pas été suffisamment réduit, soit la crème a précipité en raisons de l'acidité du liquide, soit  la crème n'a pas été mélangée correctement, soit enfin il y a eu un choc thermique,  la crème ayant été sortie du réfrigérateur et mise directement dans la sauce au dernier moment.

5. Au fond, cette réponse est idiote, parce que tout ou presque est évoqué... alors que quelques principes simples auraient permis d'y voir vraiment plus clair, et d'aider nos amis dans le souci.

6. Commençons par balayer  l'explication du "choc thermique", car cela n'a généralement aucun sens. Cela fait chic d'utiliser cette expression, mais en général les gens qui l'utilisent ne savent même pas à quoi ça correspond, sauf peut-être à dire que il y a eu du froid et du chaud. Et alors ?

7. L'acidité ? Certainement oui :  la crème tranche quand elle est mélangée à un acide, et cela se produit avec le jus de citron,  mais aussi avec le jus d'orange ou le jus de framboise, etc.,  puisque souvent ces produits sont très acides : en bouche, cette acidité très réelle n'apparaît pas, parce qu'elle est contrebalancée par du sucre,  mais cette acidité réelle fait tourner la crème, tout comme elle ferait tourner du lait (mettez donc un jour du jus de citron dans du lait chaud ).

8. La réduction ? Il n'est pas certain qu'elle change l'acidité,  car les acides présents que sont l'acide ascorbique, l'acide citrique, etc.  ne s'évaporent pas lors de la réduction. Tiens, j'y pense : savez-vous que l'on peut réduire cette acidité à l'aide de bicarbonate ? Son ajout conduit à la formation d'une mousse sans importance, et on sale un peu... mais comme très peu de bicarbonate est nécessaire, il y a peu de sel ajouté.

9. Le "mauvais mélange" de la crème ? Ce n'est certainement pas une cause de tranchage de la crème. Certes, c'est la cause des émulsifications insuffisantes, mais le phénomène n'est pas celui qui est discuté ici.

10. La présence d'alcool, elle, n'est pas discutée, mais elle conduit à des modifications de la crème, et à sa déstabilisation.

11. Bref, on est irréfutable quand on imagine plein de causes possibles... mais on ne répond pas à la question. 

En revanche, pensons à l'acidité quand on utilise de la crème... car c'est bien l'acide dans les produits laitiers qui est à l'origine des yaourts, des fromages...

dimanche 12 avril 2020

Je rigole, mais c'est pathétique


Dans un journal, un article sur la mayonnaise, et sa "chimie", à savoir que les gouttes d'huile seraient dispersées dans l'eau apportée par le jaune d'oeuf, grâce à des molécules "tensioactives", qui seraient des protéines nommées "lécithine".
Pour quelqu'un qui ignore la chose, cela fait savant, et c'est plausible... mais c'est parfaitement faux ! Expliquons, pour démasquer les faux savants, qui abusent les rédacteurs en chef, tout comme les lecteurs.

Oui, lors de la confection d'une mayonnaise, on part effectivement de jaune d'oeuf, et oui, le jaune d'oeuf est fait d'environ 50 pour cent d'eau, de 15 pour cent de protéines, et de 35 pour cent de matière grasse, notamment des "phospholipides", dont les lécithines (il y en a plusieurs).
Et, d'ailleurs, il faut ajouter que la sauce mayonnaise se fait aussi avec du vinaigre, qui apporte plus de 90 pour cent d'eau. L'eau se mélangeant bien à l'eau, le jaune d'oeuf se mélange sans difficulté au vinaigre.

Puis, si l'on ajoute de l'huile, on voit que cette dernière flotte à la surface. Il faut donner de l'énergie, pour que le fouet divise la gouttelettes d'huile en deux, et en deux, et ainsi de suite jusqu'à atteindre des tailles microscopiques. Et les protéines, tout comme les phospholipides, sont alors essentiels pour cette division, parce que ces composés se placent à la limite des gouttelettes, une partie dans l'huile et une partie dans l'eau.

Les protéines ? Ce sont comme des fils microscopiques, en pelote, qui se déroulent quand on fouette la mayonnaise. Et certains segments se placent dans l'huile, et d'autres dans l'eau, formant une sorte de couche chevelue.
Les phospolipides ? Rien à voir chimiquement : ce sont de petites molécules, de la famille des lipides, avec une "tête" phosphate, très soluble dans l'eau.
Et ce sont bien principalement les protéines qui assurent l'émulsion.

La faute faite par la personne qui écrit dans le journal est-elle grave ? Je vous laisse juger, mais je trouve bizarre que quelqu'un qui n'est pas scientifique se pique d'expliquer la science de la cuisine... en se mélangeant les pinceaux. Imposture ?

samedi 1 février 2020

La véritable et merveilleuse sauce au vin d'Alsace


En Alsace, coq au riesling, avec, donc, une merveilleuse sauce au riesling ; il y a des poissons avec une sauce un régal, encore au vin...





J'ai cherché longtemps comment les faire,  j'ai tourné autour des recettes des uns et des autres, orales ou écrites, et j'ai vu des liaisons à l'oeuf, des liaisons à la farine...  Mais, finalement, l'amitié de quelques cuisiniers alsaciens m'a donné la cé du mystère  : ces sauces merveilleuses sont des réductions de fond de poisson (ou de volaille), de vin et de crème.
Évidemment, tout tient dans la qualité des trois ingrédients  :  le fond de poisson (ou de volaille, ou le fumet de champignons), le vin et la crème.

Ainsi,  plus d'une sauce que j'ai testée était un peu vulgaire parce que le fond était médiocre. Non, il faut un beau fond de poisson, à partir d'un poisson pas trop gras ;  il faut que le fonds soit dégraissé.
Pour le vin, aussi, il faut aussi un  bon vin, qui apporte de la structure à la sauce, qui viennent équilibrer la puissance du fond de poisson. Enfin il faut la crème, et là, il faut quand même dire qu'il y a toute la différence du monde entre la crème des Vosges et des crèmes plus standard telles qu'on les trouve trop souvent en région parisienne. Pour preuve, d'ailleurs, la crème Alsace lait monte en chantilly en 22 secondes montre en main !  Alors qu'avec la crème de supermarché que je trouve à Paris, il me faut plusieurs minutes...

Finalement, quand les ingrédients sont bons, on produit une sauce nappante, onctueuse, délicieuse, qui n'a pas la lourdeur d'une sauce liée à la farine, qui garde un chant bien clair sans que l'exubérance du jaune d'œuf ne vienne s'imposer, comme dans les sauces liées à l'oeuf. La recette  ?
1. faire un fond de poisson
2. le dégraisser
3. ajouter autant de vin que de fond
4. réduire beaucoup
5. ajouter beaucoup de crème
6. réduire jusqu'à consistance nappante
7. rectifier l'assaisonnement

Mais surtout, n'hésitons pas : choisissons les bons ingrédients pour faire une bonne sauce. 





 

vendredi 24 mai 2019

La lécithine ?

Dans une discussion relative à la couleur de la mayonnaise,  je vois évoquée la lécithine de soja. 
Je m'en étonne, car il n'y a absolument pas besoin de ce "produit" (on verra plus loin pourquoi j'utilise le mot "produit" que le mot "composé") pour faire une mayonnaise. 

Et je rappelle  : 
1. que la loi impose 8 % de jaune d' œuf dans une mayonnaise ; des sociétés qui prétendaient faire des "mayonnaises sans oeuf" viennent de se faire épingler pour tromperie
2. qu'il y a dans le jaune d'oeuf tous les ingrédients nécessaires à la production de la sauce mayonnaise, sans qu'il soit ni nécessaire ni honnête d'ajouter de la lécithine de soja, laquelle n'a rien à faire dans une telle sauce.

Mais commençons par le commencement, à savoir par dire ce qu'est une mayonnaise
La mayonnaise est une émulsion que l'on obtient en dispersant de l'huile sous forme de gouttelettes microscopiques dans l'eau présente dans le mélange initial que l'on fait à partir de jaune d'œuf et de vinaigre. 
Pour faire une mayonnaise, aucun autre ingrédient que le jaune d'oeuf, le vinaigre et l'huile (plus sel et poivre) n'est nécessaire, et mieux, aucun autre ingrédient ne doit être présent, sans quoi la sauce n'est plus une mayonnaise, mais une autre sauce. 
Et l'on se rappelle que je revendique absolument , pour les produits alimentaires, que ces derniers soit sains, loyaux et marchand. Loyal, cela signifie qu'une mayonnaise est une mayonnaise et non pas une autre sauce qui en aurait l'apparence. 
J'insiste enfin  pour rappeler qu'il n'y a pas de moutarde dans une mayonnaise, sans quoi ce n'est plus une mayonnaise mais une rémoulade. 
À propos de "la lécithine" maintenant.
Partons des bonnes sources, à savoir le Gold Book de l'International Union of Pure and Applied Chemistry: les lécithines sont des esters choliques d'acides phosphatidiques, à savoir que leur formule est du type :
L03494
Source:
PAC, 1995, 67, 1307 (Glossary of class names of organic compounds and reactivity intermediates based on structure (IUPAC Recommendations 1995)) on page 1347
Ces composés sont des "phospholipides", ce qui signifie qu'ils comportent un groupe phosphate, et une partie lipidique (représentée par la lettre R sur la figure). On aurait donc d'oublier le singulier de parler au pluriel des lécithines. 
Cela dit, les phospholipides composent les membranes de toutes les cellules vivantes, animales ou végétales, et ils sont abondants dans l' œuf, puisque le poussin qui se formera à partir dudit oeuf a besoin de phospholipides pour bâtir les membranes de ses cellules. 
Or,  puisqu'il y a des phospholipides dans le jaune d'œuf, pourquoi en ajouter ? De surcroît, on ajoutera que ce ne sont pas essentiellement les lécithines ou les phospholipides qui assurent la stabilité de l'émulsion, mais les protéines qui sont apportées également par le jaune d' œuf. 
Bref, avec le jaune d' œuf, on a de l'eau et des composés tensioactifs qui sont d'abord les protéines et ensuite les phospholipides, qui viennent tapisser la surface des gouttelettes d'huile que l'on disperse dans l'eau par le travail du fouet, ce qui produit émulsion. 
Dans le passé, on a pensé que les mayonnaise étaient stabilisées par les phospholipides, notamment par des lécithines, mais les progrès des sciences nous permettent aujourd'hui de dire que ce sont surtout les protéines qui sont utiles. 


Et les ollis

Je termine en signalant une de mes très anciennes inventions : les ollis. De même que l'on peut faire de l'aïoli en broyant de l'ail, puis en émulsionnant de l'huile dans l'ail broyé, j'ai montré que l'on pouvait obtenir des émulsion, par ce même procédé, à partir de n'importe quel tissu végétal ou animal : broyé, un tel tissu libère des protéines et des phospholipides, de sorte qu'une émulsion nommée "olli" peut être obtenue. Pas besoin de "lécithine", ni de lécithines, ni d'aucun autre ajout... mais les ollis ne sont pas des mayonnaises. 

Il faut revendiquer haut et fort : la mayonnaise, c'est l'émulsion que l'on obtient en émulsionnant de l'huile dans le mélange de jaune d'oeuf, vinaigre, sel et poivre !

jeudi 2 mai 2019

Du gluten dans les sauces ? Non, mais les protéines du gluten y sont... si on ne les a pas décomposées lors de la confection du roux (ce sont les protéines qui font brunir)

Ah, ce fameux gluten ! A propos d’un roux, je lis sous la plume d'un cuisinier français étoilé (et qui, on va le voir, dépasse sa compétence):

« Mélanger rapidement avec un fouet, pour obtenir, grâce à l’élasticité du gluten contenu dans la farine, une pommade lisse et homogène ».


 Commençons par cette "pommade", qui m'a choquée. Vite, je suis allé consulter le dictionnaire, et j'ai trouvé : "Cosmétique composé d'une base grasse et d'une ou plusieurs essences parfumées, servant aux soins de la peau ou des cheveux.". Un autre sens ? "Préparation médicamenteuse de consistance molle, destinée à être appliquée sur la peau ou sur les muqueuses, composée d'un excipient gras et d'un ou plusieurs principes actifs qui y sont dissous ou émulsionnés.".
Bref, une pommade est grasse, tandis que, ici, il n'y a que de l'amidon et de l'eau. On obtient effectivement une préparation de consistance molle en mêlant de la farine et de l'eau, mais ce n'est pas une pommade. Quel nom donner ? Dans la mesure où l'on disperse des grains d'amidon dans un liquide, c'est une "suspension" que l'on obtient, une pâte délayée...

Et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle on a un système différent de celui qui se forme quand on travaille de la farine avec peu d'eau : c'est dans ce cas que le gluten se forme, réseau (filet) tridimensionnel où les grains d'amidon sont piégés. Et oui, ce gluten est "viscoélastique" : la pâte formée est visqueuse et élastique à la fois.

Mais quand on met plus d'eau, ce réseau est défait, et la suspension liquide n'est plus une suspension solide.

J'y pense : pour en savoir plus sur le gluten, je vous invite à consulter l'histoire de sa découverte dans ce  texte :
https://www.academie-agriculture.fr/publications/notes-academiques/n3af-2018-3-research-note-who-discovered-gluten-and-who-discovered-0

Et finalement, une chose est certaine : il y a tant de liquide dans un roux délayé qu'il n'y a certainement pas de réseau de gluten ! Les protéines sont là (gliadines et gluténines pour le "gluten"), mais elles ne servent à rien, du point de vue du roux. D'autre part, peu importe que l'on mélange rapidement ou pas. Et, pis, le gluten serait plutôt en défaveur de la consistance lisse.


Bref, notre ami cuisinier a largement dépassé les limites de sa compétence. Que n'est-il resté à des phénomènes visibles, bien décrits !

dimanche 31 mars 2019

La liaisons par des roux


Lors de notre séminaire de gastronomie moléculaire de mars 2019, nous avons exploré la question de la liaison des veloutés à l'aide des roux. Autrement dit,  la question était la liaison par la farine et autres produits amylacés. Car c'est cela, un velouté : un liquide auquel on ajoute une matière amylacée (le plus souvent de la farine), et que l'on cuit en vue d'obtenir un épaississement plus ou moins notable. Ainsi, dans un potage, un léger épaississement suffit, alors qu'on veut une liaison plus forte pour une sauce blanche, par exemple.

Plus précisément, nous avons cherché à savoir si la cuisson soutenue d'un roux permet - ou pas- de mieux lier un velouté, et  nous avons également cherché si le vinaigre conduisait à une refluidification des sauces.

Nous avons donc commencé par faire un roux très léger, en cuisant moitié beurre et moitié farine. Puis nous avons divisé ce roux unique en trois.

Le premier roux a été très peu cuit.
Le deuxième roux a été cuit jusqu'à apparition d'une couleur brune soutenue, et la disparition des bulles (de vapeur) dans la casserole, preuve que toute l'eau (du beurre) avait été évaporée, et que la température avait augmenté au delà de 100 degrés.

Commençons donc par expérience sur la cuisson des roux différemment cuits. Nous avons pris les deux premiers roux (léger, cuit brun) et nous leur avons ajouté la même  quantité d'eau. Puis nous avons cuit le premier velouté jusqu'à l'épaississement maximal de la sauce, et nous avons cuit le velouté à base de  roux brun dans les mêmes conditions, sur le même feu, et cette fois l'épaississement a été bien moindre :  la cuisson poussée des roux ne permet pas un épaississement des velouté aussi important qu'avec un roux léger.

Enfin  nous avons cuit  le troisième roux, mais avec du vinaigre,  et,  cette fois-ci, nos amis cuisinier professionnel ont été surpris de voir que l'épaississement se faisait très bien,  et que, même, le velouté (sauce poivrade) était  d'un aspect plus engageant qu'avec un roux ordinaire et de l'eau.
L'observation est intéressante, parce que l'aspect est très important, en cuisine. Avec de l'eau ou du vinaigre cristal, on voyait mieux les différences que si on avait ajouté un bouillon.
Mais je sais combien les différences de température peuvent changer les résultats, de sorte que nous avons attendu que les trois roux soient à la même température pour véritablement comparer. Et finalement, le roux peu cuit est celui qui a conduit à la plus grande liaison,
peu supérieure à celle du velouté au vinaigre.
Évidemment, en cuisine, ce n'est ni de l'eau ni du vinaigre cristal que l'on utilise pour faire les sauces... mais  j'ai vu des professionnels goûter deux fois la sauce poivrade,  signe qu'il y avait là une base pour un travail gustatif.



J'y pense :  nos travaux étaient-ils de nature "scientifique" ? Je réponds à cette question qui m'a été posée par un des participants du séminaire, en  observant que la méthode scientifique commence par l'observation des phénomènes. Même si toutes les conditions de rigueur expérimentales n'étaient pas réunies, nous avons fait des observations que nous allons reprendre, afin de confirmer nos premières impressions.

jeudi 2 août 2018

Comment rater une mayonnaise

 Comment rater une mayonnaise ? Souvent, l'analyse des échecs est fructueuse parce que, a contrario, elle permet d'identifier les bons gestes. Quand on suit un protocole moderne, pour la confection d'une mayonnaise,  il est rare que la sauce tourne. Mais on peut se forcer une fois, en sachant toutefois qu'on pourra la rattraper ensuite.

Partons donc des ingrédients de rigueur, à savoir un jaune d' œuf et du vinaigre. Combien ? Disons pour simplifier un volume de vinaigre environ égal à celui du jaune d' œuf. Pas de moutarde, sans quoi nous ferions une rémoulade et non pas une mayonnaise.
Nous avons donc le vinaigre et jaune d' œuf dans un bol, et à l'aide d'une fourchette ou d'un petit fouet, nous mélangeons les deux ingrédients. Là, aucun risque. Mais prenons quand même soin de bien mélanger les deux ingrédients, jusqu'à une apparence homogène du mélange.
Ajoutons maintenant d'un coup une grande quantité d'huile, par exemple dix fois plus que le volume total du jaune d' œuf et du vinaigre, et fouettons : c'est la catastrophe, puisque le fouet ne parvient pas à disperser le mélange de jaune d' œuf et de vinaigre dans l'huile. Plus exactement, il y parvient, mais on a une structure très hétérogène à l'oeil nu,  avec des parties visible d'une phase dans l'autre phase.
Ce qu'il faut savoir pour interpréter ce phénomène, c'est que les composés actif pour faire les "émulsions" telles que les mayonnaises, dans le jaune d'oeuf, assurent bien la présence d'huile dans l'eau, et non pas d'eau dans l'huile, comme dans cette première expérience. D'huile ? Oui, l'huile que l'on a ajoutée. Mais d'eau ? D'où vient-elle ? Le jaune d'oeuf d'est composé de 50 pour cent d'eau, et le vinaigre de  90 pour cent. Mélanger le vinaigre et le jaune d'oeuf, c'est mélanger de l'eau à de l'eau, comme dans un mélange de sirop de sucre et de saumure : l'eau se mélange à l'eau, emportant les composés qui y sont dissous.  Quand la quantité d'huile est supérieure à la quantité d'eau, alors la dispersion se fait, comme on le voit, mais ne parvient pas à faire une émulsion homogène à l'oeil nu, et elle est très instable :   on voit bientôt l'eau tomber au fond du bol, et l'huile venir surnager.

On comprend a contrario, d'un même coup,  la méthode qui permet de  rattraper la mayonnaise tournée et la méthode qui permet de  réussir une mayonnaise.

Tout d'abord, pour rattraper la mayonnaise tournée : il faut attendre que l'"eau" sédimente et que l'huile surnage : on récupère l'huile en décantant, et on l'ajoute à nouveau, comme si l'on commençait une nouvelle mayonnaise.

Pour réussir, cette fois ? Il faut ajouter l'huile par petite quantité dans l'eau afin que le fouet disperse l'huile dans l'eau au lieu de disperser l'eau dans l'huile. Le travail du fouet doit être vigoureux, pour que l'on obtienne une bonne émulsion, suffisamment stable parce que formée de très nombreuses gouttelettes très petites, si petites que le système complet est apparemment homogène, disons homogène à l'oeil nu.



On obtient alors un système beaucoup plus stable que le précédent :  celui d'une émulsion qui a quelque chance de tenir pendant les temps habituel de consommation.
Ajoutons alors encore de l'huile, petite quantité par petite quantité, toujours en fouettant afin de diviser l'huile en petites gouttes qui viennent s'accumuler, et l'on obtient finalement une émulsion bien ferme.

Gardons de toute cette analyse la règle principale  : pour réussir une sauce mayonnaise, ou une autre émulsion analogue, il faut ajouter l'huile par petites quantités et fouetter énergiquement de telle façon à chaque ajout l'homogénéité apparente, à l'oeil nu, soit assurée.

dimanche 28 janvier 2018

Peut-on conserver de la mayonnaise ?

Peut-on conserver de la mayonnaise ? J'ai décrit la sauce en détail dans un autre billet, mais on m'a fait le reproche (amical) de ne pas avoir répondu à la question.

Et pour cause : je ne suis pas microbiologiste ! 

En conséquence, comme il y a une responsabilité à proposer de conserver ou non la mayonnaise, j'ai interrogé LE spécialiste de la microbiologie alimentaire, lequel est parfaitement à jour des études scientifiques.
J'en profite pour rappeler que nous ne sommes pas des experts si nous n'avons pas travaillé pour avoir de l'expertise. Et l'expertise, ce n'est pas rien. Par exemple, le praticien qui n'a pas de théorie reste un praticien, mais il n'a pas de vision générale d'un sujet. Personnellement, je n'aimerais pas être pris en faute de naïveté inconsciente, par ignorance, quand la vie d'autrui est en jeu.

Et il faut dire au public (nous) que, contrairement aux attaques hargneuses des roquets (dans la presse, sur des réseaux sociaux), les experts de l'Etat ne sont pas "vendus". Toute personne qui me le soutiendra sera disqualifiée à mes yeux... et j'irai bien vite chercher l'idéologie malhonnête derrière ses propos... à moins que ce soit de l'imbélicité ?

En tout cas, pour la mayonnaise, la réponse m'a été donnée par mon ami (c'est mon ami non pas parce que c'est mon ami, mais plutôt parce que je veux pour ami des gens travailleurs, honnêtes, bienveillants : qui se ressemble s'assemble, non ?). La voici :


Cher Hervé,
Tu as raison, le pH de la mayonnaise commerciale (3,0 à 4,2) prévient la croissance des bactéries pathogènes et permet même de les détruire.
 Le facteur limitant à leur conservation est le développement potentiel d'organismes d'altération acidophiles de type levures ou bactéries lactiques. Ce développement est très lent au froid. Donc une mayonnaise commerciale se conserve très longtemps en réfrigération, j'ai trouvé 2 à 8 semaines pour les salades à base de mayonnaise (qui sont les seuls aliments pour lesquels on trouve de la bibliographie), donc plusieurs semaines sans problème pour la mayonnaise commerciale réfrigérée (voire à température ambiante).
En revanche, il faut recommander de consommer rapidement (2 jours max au froid) une mayonnaise maison insuffisamment acidifiée (je n'évoque même pas une conservation à température ambiante).
Amitiés


Limpide, non ? Si nous voulons conserver un peu des mayonnaises, n'oublions pas ce paramètre important qu'est l'acidité... sans oublier qu'une mayonnaise n'est pas une rémoulade (dans la mayonnaise, jaune d'oeuf, vinaigre, huile ; dans la rémoulade, jaune, moutarde, vinaigre, huile).





Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

mardi 23 janvier 2018

L'épaississement dû à l'emploi d'amidon

Une question, une réponse.

La question s'apparente à celle que j'ai traitée hier, à propos d'émulsification :

Bonjour, 
Je suis en classe de première. Avec mon groupe nous travaillons sur la cuisine moléculaire pour nos TPE et notamment sur ses différentes techniques. 
Cependant il y a certaines techniques dont nous ne comprenons que très vaguement leur processus. C'est pour cela qui j'aimerai vous nous éclaireriez un peu plus sur certains sujets comme  l'épaississement.

La réponse :

L’épaississement ? En cuisine, la question se pose surtout pour des liquides que l'on veut transformer en sauces, et j'ai indiqué dans mes livres plusieurs façon d'y parvenir : par des protéines qui coagulent, par des polymères qui se dissolvent, par de la gélification localisée... par de l'émulsification...
Dans tous les cas, il s'agit de donner de la viscosité à un liquide. Les structures en charge de cette augmentation de viscosité peuvent être de diverses tailles, de la molécule au grain d'amidon gonflé, comme sur l'image suivante, qui montre l'intérieur de cellules de pommes de terre cuites (les grains d'amidon de l'intérieur des cellules se sont empesés.



Mais, je le répète, tout cela est dans mes livres (notamment Les Secrets de la Casserole et Mon histoire de cuisine), de sorte que je perdrais mon temps à redire ce qui a été dit très bien ailleurs.





























Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

vendredi 19 janvier 2018

Du blanc dans la mayonnaise

Ce matin, une question par email :

Permettez-moi de vous importer avec une question/remarque. Je suis en train de lire, avec énormément d’intérêt et presqu’avec passion, votre livre « révélations gastronomiques ». Le chapitre sur la mayonnaise est bien explicite. Mais un collègue m'a soufflé une méthode pour la mayonnaise : mettre tous les ingrédients, l’œuf en entier avec son blanc, dans un bol et passer tous ces ingrédients aux mixer pour faire de la purée ou des soupes. Cette mayonnaise a toujours pris. Est-ce que c’est compatible avec vos explications en relation avec la production d’une mayonnaise ?
 


Notre ami cite un cas très particulier, mais il aurait pu citer nombre de livres de cuisine qui stipulent qu'il ne faut jamais la moindre "goutte de blanc d'oeuf", sans quoi la mayonnaise ne prend pas. C'est complètement faux, et, au contraire, le blanc d'oeuf facilite la réalisation de la sauce mayonnaise. J'explique.



Partons de la recette de la mayonnaise : c'est un jaune d'oeuf, une cuillerée de vinaigre, puis on ajoute de l'huile par petites quantités, en fouettant vigoureusement, et, surtout, en s'assurant que toute l'huile ajoutée est, à chaque ajout, bien intégrée à la sauce, bien "émulsionnée".

Ce que l'oeil ne voit pas, mais que révèle le microscope, c'est que l'huile, qui n'est pas miscible à l'eau (on dit "hydrophobe"), se disperse sous la forme de microscopiques gouttelettes. L'eau ? Oui, l'eau, parce que du jaune d'oeuf, c'est 50 pour cent d'eau. Et le vinaigre, c'est plus de 90 pour cent. Ce qui explique d'ailleurs pourquoi le vinaigre se mêle bien au jaune d'oeuf : l'eau se mélange à l'eau.
Quand on ajoute à ce mélange de jaune et de vinaigre un peu d'huile, celle-ci surnage. Mais le fouet divise la goutte d'huile, formant ces gouttelettes microscopiques dont je parlais. Puis, on ajoute à nouveau de l'huile, qui est donc dispersée également, et ainsi de suite jusqu'à ce qu'il y ait tant de gouttelettes qu'elles sont tassées les unes contre les autres, ce qui affermit la sauce : si les gouttelettes sont coincées les unes contre les autres, elles ne peuvent plus bouger, de sorte que la sauce tout entière ne peut pas couler.

Mais le rôle du vinaigre ? C'est surtout d'apporter de l'eau. Et du jaune d'oeuf ? Là, pour le comprendre, je propose de comparer la mayonnaise à de l'huile pure ajoutée à de l'eau pure : quand on fouette, l'huile est bien divisée, mais ces gouttes sont plus grosses, et elles remontent rapidement à la surface, où elles fusionnent, reformant une flaque d'huile qui flotte sur l'eau. Le jaune d'oeuf, lui, apporte des molécules qui viennent tapisser les gouttelettes d'huile divisées, ce qui empêche ces fusions, et stabilise donc relativement l'émulsion. Ah, j'oubliais : on nomme "émulsion" une dispersion de gouttelettes d'un liquide dans un autre liquide avec lequel le premier ne se mélange pas. La mayonnaise est une émulsion.

Quelles sont les molécules en question ? On a longtemps cru qu'il s'agissait des "phospholipides", notamment les lécithines, mais on sait aujourd'hui que les protéines sont bien plus efficaces, dans cette affaire.
Or le jaune d'oeuf contient 15 pour cent de protéines... et le blanc d'oeuf  10 pour cent. La présence de protéines dans le blanc d'oeuf permet d'ailleurs de faire une sauce que j'avais inventée il y a très longtemps et que j'ai nommée un "geoffroy" : on fouette de l'huile dans du blanc d'oeuf, et l'on obtient une émulsion.

Et voilà pourquoi il est complètement faux de penser que la moindre goutte de blanc d'oeuf empêche la prise des mayonnaises. Au contraire !








Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine) 





jeudi 18 janvier 2018

La vérité de l'aïolli



L'aïoli ?

Comme pour la mayonnaise, il y a beaucoup de confusion, avec tous ceux qui croient qu'il s'agit d'une mayonnaise à l'ail. 
 Erreur ! L'aïoli est une sauce ancienne, qui s'est toujours faite à partir d'ail et d'huile seulement. 

Historiquement, l'aïoli est très ancien, puisqu'on le trouve déjà sous le nom de « beurre de Provence », dans la Suite des Dons de Comus, paru au 18e siècle.

De l'ail dans un mortier, de l'huile ajoutée goutte à goutte que l'on incorpore au pilon. Parfois, il est dit de caler le mortier dans un linge, entre les genoux (on est assis). Parfois, il est dit que la préparation de la sauce prend un bon quart d'heure. Parfois il est dit que le pilon doit tenir debout dans la sauce, qui, donc, doit être très ferme.
Plus récemment, la sauce se dévoie avec du pain trempé dans du lait, ou avec de la pomme de terre, et, tout récemment à l'aune de l'histoire de la cuisine, on voit apparaître du jaune d'oeuf.
Mais sa présence est en quelque sorte scandaleuse, car elle change le goût de la sauce.
Bien sûr, l'aïoli peut se faire à partir d'ail blanchi, mais ne devrions-nous pas donner des noms différents à des objets différents ?

En tout cas, l'aïolli n'est certainement pas une mayonnaise à l'ail… sans quoi ce ne serait pas un aïoli… mais une mayonnaise aillée.








Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)