Il y a plus que ce que les yeux ne voient. Oui, nos yeux sont limités : dans le très petit, dans le très grand, dans les longueurs d'onde qui sont d'un côté ou de l'autre de l'étendue des couleurs visibles...
D'ailleurs, découvrir du nouveau, n'est-ce pas voir ce que l'on ne voyaient pas nos yeux d'"avant" ? De sorte que nous aurions raison de bien nous interroger sur nos méthodes d'explication.
Et toute cette introduction me fait souvenir d'une formation que j'avais faite sur la Côte d'Azur. À l'époque, je voulais montrer aux auditeurs que les mayonnaise sont des émulsions, et non pas de simples amalgames, comme cela était dit naguère.
J'ai déjà dit que le mot "amalgame" est d'utilisation risquée, parce que l'on ignore le plus souvent qu'un amalgame s'obtient quand on approche du mercure d'un autre métal et que l'on voit l'ensemble former une pâte homogène.
En cuisine, le terme a été repris pour désigner une préparation homogène, mais évidemment sans mercure puisque ce métal est très toxique. Et si l'on interroge ceux qui utilisent le mot "amalgame", on voit bien qu'ils ne savent pas très bien de quoi ils parlent.
Mais bref, j'étais avec des chefs confirmés, voire étoilés, et j'avais l'ambition de leur expliquer qu'il y a des choses justes et des choses fausses qui se disent à propos des sauces mayonnaises.
Comme rien ne vaut la méthode expérimentale, pour expliquer, j'avais décidé d'inviter un des participants à faire une mayonnaise afin que nous puissions la regarder au microscope.
Alors que la mayonnaise était pas faite, qu'elle était encore très liquide (peu d'huile ajoutée au mélange de jaune d'oeuf et de vinaigre), j'ai pris une goutte de la préparation pour la mettre sur une lame de verre, que nous avons regardée au microscope.
Et chacun a alors vu, grâce au microscope, qu'il y avait une dispersion de gouttes d'huile dans ce que les auditeurs ont admis être de l'eau, apportée par le vinaigre et par le jaune d'œuf.
A ce stade, j'ai fait remarquer qu'il n'y avait donc pas d'amalgame, mais une dispersion de gouttelettes d'huile dans l'eau.
Il m'a été répondu que oui, mais que la mayonnaise n'était pas encore faite.
Dont acte : j'ai invité l'opérateur a ajouter autant d'huile qu'il voulait, à fouetter autant qu'il voulait pour arriver à une mayonnaise qui serait faite.
Et quand celle-ci a été terminée, nous en avons repris un échantillon, que nous avons à nouveau observé au microscope...
Et nous avons de nouveau bien vue qu'il y avait des gouttes d'huile dans l'eau. Des gouttes dispersées, et non pas un "amalgame" au sens d'un mélange intime.
Car l'huile ne se mélange pas à l'eau. Et le mieux que l'on puisse faire, c'est comme ici : une émulsion.
Le microscope ? Merveilleux ustensile qui permet de voir mieux qu'avec nos yeux !
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
lundi 3 janvier 2022
Le microscope en cuisine
jeudi 26 août 2021
Comment regarder au microscope
Comment regarder au microscope ? En mettant son oeil devant l'oculaire, bien sûr. Mais cette réponse fait enrager les amis vraiment désireux d'apprendre, tout comme si je les renvoyais vers les manuels de microscopie, qui enseignent la pratique de la technique, en donnant les fondements, les bases, des développements, des indications précises...
Au fond, mes amis ne veulent pas cette question : ils aimeraient que je les aide de façon plus "aimable", avant de se lancer éventuellement dans la pratique du microscopie, d'une part, et, d'autre part, la découverte plus lente de la théorie. Bref, on voudrait que je fasse de la microscopie pour débutant. Pourquoi pas ?
Comme souvent, je propose de faire du simple avant le compliqué. Le plus simple, c'est de commencer par utiliser notre microscope comme "une brute", en regardant des objets de notre environnement... car je sais qu'il y a déjà lieu de les observer et de s'émerveiller.
Je me souviens ainsi d'avoir montré un cheveu à mes enfants tout jeunes... et je m'étais amusé qu'ils me disent qu'il "ne voyaient rien". En réalité, ils voyaient, mais ils ne savaient pas dire ce qu'ils voyaient.
Le fait est que, avec le grossissement utilisé, ils voyaient seulement une barre brune dans le champ. Ils la voyaient avec leurs yeux, mais ils n'étaient pas capables de le voir avec leur esprit, parce qu'il ne faisaient pas le rapport entre ce qu'il voyait et le cheveu qui leur était familier.
Pour leur expliquer, pour leur "faire voir", j'ai dû prendre un cheveu, le poser sur une feuille blanche, poser par-dessus une feuille blanche percée d'un disque et constater avec eux qu'il y avait un long segment noir. Puis avons réduit le disque, et nous avons continué à voir le segment noir. Nous sommes alors repassés au microscope - où l'on voyait un disque avec un segment noir-, et cette fois ils ont vu le cheveux.
Nous avons donc tout passé en revue : grain de sel, grain de sucre, farine... avant d'aborder la question des tissus animaux et végétaux... qui est quand même beaucoup plus difficile.
Si l'on veut regarder une pomme de terre, par exemple, on aura intérêt à faire simple, à savoir prendre un couteau pour retirer une mince couche que l'on pose directement sur la lame de microscope. On regardera plutôt le bord, plus mince, oui, avec des pommes de terre, en allant regarder sur les bords, et l'on verra des sacs emplis de petits objets ellipsoïdes : ce sont les grains d'amidon, dans les cellules de la pomme de terre. La limite des cellules de pomme de terre est visible, mais plus difficilement.
D'ailleurs, on pourra facilement colorer spécifiquement les grains d'amidon avec une gouttelette de teinture d'iode, pour "mieux voir".
Puis on ira vers des choses plus compliqué.
Si l'on est dans une cuisine, ce sera un merveilleux terrain de jeu microscopique : on commencera avec du blanc d'oeuf où l'on ne verra rien ; mais quand on regardera du blanc d' œuf battu en neige, alors on verra les bulles, circulaires au début du battage, puis de plus en plus nombreuses, petites et déformées quand on bat plus fort.
On pourra comparer un blanc d'œuf battu en neige avec un blanc d' œuf battu et sucré, où la taille des bulles est divisée par 10 à 100.
On pourra aussi regarder une mayonnaise, à divers stades de sa confection.
Puis une crème anglaise à toutes les étapes.
Une indication importante : les bulles d'air se voient à la présence d'un bord noir épais, alors que les gouttes d'huile sont transparentes, sans ce bord noir.
Je n'entre pas dans l'explication de ce phénomène qui tient à la réflexion et à la réfraction de la lumière, mais je me contente de dire qu'il y a là un moyen facile distinguer des bulles d'air et des gouttes d'huile.
Bien sûr, il y a lieu de ne jamais oublier ce que l'on est en train de regarder, car les grains d'amidon que j'ai évoqué plus haut sont également des formes transparentes et, sans aucune autre indication, on pourrait les confondre avec des gouttes d'huile si l'on se fondait uniquement sur leur transparence (d'où l'intérêt de la teinture d'iode).
Une information importante dans ses études qui font usage de microscopes de table : ne jamais oublier que l'on ne voit pas les molécules, et encore moins les atomes. Même les protéines individuelles, qui sont de grosses molécules, sont invisibles en microscopie optique élémentaire, et c'est seulement avec un fort grossissement que l'on verra les "granules" (agrégats de protéines et de lipides) dans le "sérum" du jaune d' œuf.
En tout cas, il y a lieu de s'amuser beaucoup avec un microscope en cuisine et je ne saurai recommander que les lycée hôteliers en aient toujours un sur le plan de travail de la cuisine, pour que les élèves ne manquent pas une occasion d'aller regarder ce qu'ils produisent.
Non seulement on évitera des confusions, entre mousses et émulsions, par exemple, mais, de surcroît, on entrera ainsi dans un monde merveilleux !