samedi 27 décembre 2025

Que peut faire l'enseignement supérieur ?

La mission de l'enseignement supérieur est bien compliquée, mais on aurait intérêt à bien identifier les objectifs, avant de décider d'enseignements, voire de les dispenser.

Et pour cet enseignement, je crois utile de distinguer différents destinataires :
- les "curieux"
- les "conducteurs de voiture"
- les "mécaniciens"
Je me propose ici de tourner autour de cette question en considérant une idée élémentaire : le pH d'une solution diluée d'acide acétique.

1. Pour les curieux

Commençons par les premiers, ces "étudiants" qui veulent être au fait des connaissances et des compétences. J'ai ainsi rencontré un garagiste, à Québec, qui allait à l'université après son travail en fin de journée. Le recevoir était une "mission" de l'université. On se souvient aussi que le physicien Pierre Duhem, à Bordeaux, avait organisé des cours qui faisait venir la ville à l'université  : cela fait partie de la mission de l'université, également, que de diffuser des connaissances justes sur le monde. Et cette initiative de Duhem n'est guère éloignée des Friday Evening Discourses ou des Christmas Lectures organisés par le chimiste anglais Michael Faraday, à la Royal Institution, à Londres : des conférences assorties d'expérimentations.
Car il est important que le public puisse comprendre les évolutions scientifiques, technologiques et techniques, afin de les "accueillir", notamment par l'intermédiaire de ses "députés", lesquels sont mandatés pour décider des modalités de cet accueil (ou d'un rejet, le cas échéant). Un état ne peut confier à des entreprises privées (journaux, radios ou télévisions privées) le soin de le faire, quand bien même les journalistes seraient parfaitement compétents et intègres.
Et pour le pH de la solution d'acide acétique ? La notion de pH (qui mesure l'"acidité") est presque dans le langage courant, mais avec un flou qui mérite d'être levé. Certes, les solutions d'acide acétique sont peu visibles dans la vie quotidienne... mais n'y a-t-il pas des "acidifiants", parmi ces "additifs alimentaires" qui suscitent souvent du rejet ? N'y a-t-il pas du mystère derrière l'utilisation du vinaigre blanc, dans des applications domestiques ? Pourtant, on aurait intérêt à savoir que l'utilisation de ce produit (sans danger pour notre santé) risque de dissoudre un dessus de cheminée en marbre, par exemple. Inversement, le pH d'une solution de cet acide acétique peut être supérieur à celui d'une framboise, ce qui signifie qu'une framboise peut être plus acide qu'une solution d'un tel acide.
Et, à ce propos d'acidité, je propose d'avoir en tête deux épisodes dont je peux témoigner personnellement :
- un ami physicien qui avait eu une batterie de voiture renversée dans son coffre avant lavé à grande eau... diluant l'acide (sulfurique, dans ce cas), et exposant le métal à de l'acide, qui pouvait attaquer la carrosserie ; il fallait au contraire ajouter du bicarbonate pour neutraliser l'acide !
- ayant fait coaguler un oeuf par de l'acide, puis ayant neutraliser cet acide à l'aide d'une base, j'avais donc obtenu un oeuf coagulé et sans acidité (ni basicité)... mais personne, dans mon laboratoire, n'a accepté de le goûter, alors même que les acide et base utilisés étaient de qualité alimentaire.
Preuve que la notion de pH n'est pas "citoyenne".
En pratique ? Il est évidemment hors de question d'imposer à ce groupe d'être capable d'établir le calcul du pH d'une solution diluée d'acide acétique, notamment dans la mesure où il n'y a pas de nécessité de le faire. Il n'est pas non plus question d'imposer à ce groupe d'être capable de calculer le pH de telles solutions. D'ailleurs, il est hors de question d'imposer quoi que ce soit, car c'est l'enseignement supérieur qui est demander, et c'est en quelque sorte lui qui devrait être évalué sur l'efficacité de son dispositif.


2. Les conducteurs de voiture, maintenant ? 

Un conducteur de voiture, c'est un utilisateur de la voiture, qui ne veut pas mettre les mains dans le cambouis. Il veut s'installer dans la voiture, l'utiliser pour aller d'un point à un autre, et ne pas passer de temps à des réglages mécaniques.
Pour le pH de solutions d'acide acétique, ce peut être un technicien qui devra utiliser de telles solutions, notamment dans l'exercice de sa profession : installateur de piscine, technicien dans l'industrie alimentaire, dans l'industrie cosmétique, etc.
Cette fois, il peut être question de préparer une telle solution ou de comprendre ce dont il s'agit, pour la distinguer d'une autre solution qui aurait d'autres propriétés ou d'autres effets, par exemple.
De ce point de vue l'enseignement supérieur doit s'efforcer de faire que les conducteurs de voiture puisse connaître le résultat du calcul, qu'ils sachent l'utiliser dans des cas pratiques, en connaissant les conditions de l'application du calcul.
En pratique, je vois certains étudiants sortir de licence en sachant me dire pH = 1/2 (pKa + pc), et je m'en réjouis. Mais j'en vois aussi qui ne se souviennent pas de cette formule, et je déplore qu'ils aient appris quelque chose qu'ils ont oublié, parce que, alors, à quoi bon l'avoir appris ? [en supposant évidemment que l'on ait bien fait de choisir de leur enseigner cela@
Et, pour le premier groupe, qui sait la formule, j'en vois qui l'appliquent dans des cas où elle ne s'applique pas (une solution concentrée, par exemple), et il faut conclure que les connaissances + compétences sont insuffisantes.
Au fait, pour ce groupe, ne doit-on pas considérer que l'établissement de la formule est inutile ? D'ailleurs, on constate que les étudiants de ce groupe ne savent pas faire cet établissement, et, au fond, il faut distinguer, dans cette affaire, plusieurs étapes :
- poser clairement le problème : soit une masse m d'acide acétique, que l'on met dans une masse M d'eau
- savoir la formule chimique de l'acide acétique
- décrire le phénomène d'ajout de l'acide acétique à de l'eau, avec notamment la libération d'un ions hydrogène (et la formation simultanée d'un ion acétate)
- savoir qu'il y a, dans toute transformation, des "conservations" : conservation de la masse, conservation de l'énergie, conservation de la charge éléctrique
- savoir utiliser ces idées de conservation pour établir trois équations
- savoir résoudre le système de trois équations pour déterminer la concentration en ions hydrogène
- et déterminer le pH
On voit que, pour les conducteurs de voiture, les dernières étapes ne sont pas indispensables... d'autant que ces étudiants ne sont pas ceux qui sont les plus compétents en "calcul" (un euphémisme), peut-être parce qu'on n'a pas réussi à le leur faire aimer au point que ce soit un plaisir de s'y livrer.

Et j'insiste un peu : je crois vraiment à cette dernière observation, que je vois comme une critique de l'enseignement, et, notamment, de l'enseignement supérieur.
Je renvoie à ce propos à un autre billet où j'expliquais que, enfant passionné de chimie, et alors même que j'avais d'excellents résultats en mathématiques, je "voulais" faire la différence entre la chimie, l'expérimentation, et le calcul mis en oeuvre en chimie, qui me semblait étranger à la chose. Je parle de moi, mais le cas est général, et l'on voit de nombreux étudiants se réfugier en "chimie" pour "faire de la science sans avoir à faire des mathématiques", expression idiote qui dénote une pensée un peu gauchie, voire tordue.
Il faut dire, répéter, que la chimie est une science de la nature, et qu'elle tient sur deux pieds : l'expériementation et le calcul (disons la théorie, et, plus exactement, la théorie parfaitement quantitative, algébrique, puisque c'est exactement cela que sont les sciences de la nature). Mieux encore : de la "chimie" sans calculs (algébriques, numériques, etc.), ce n'est pas de la chimie, mais une sorte d'activité technique qui n'a guère de chances d'atteindre les objectifs des sciences de la nature, à savoir explorer les mécanismes des phénomènes. Nous ne sommes plus au 18e siècle, et il faut accueillir avec enthousiasme que les sciences de la nature soient enfin quantitatives, algébriques ou autre.


3. Arrivons enfin aux mécaniciens. 

Pour ce qui concerne le calcul du pH d'une solution diluée d'acide acétique, notamment,  il s'agit cette fois que tout le cheminement indiqué précédemment (les étapes qui conduisent à la détermination d'une valeur numérique du pH d'une solution particulière, en passant par la résolution des équations qui auront été établies) puisse être maîtrisé. C'est l'objectif des étudiants d'arriver à cela, et c'est l'objectif de l'enseignement supérieur que les étudiants arrivent à cela.
L'objectif étant commun, observer que cet objectif est commun ne devrait-il pas faciliter la tâche des uns et des autres ?
D'ailleurs, dans un tel cas, à quoi bon une "évaluation" ? Au fond, les étudiants n'ont pas besoin d'une autorité extérieure pour savoir si oui ou non ils ont été capables de faire le travail. Et cette nouvelle observation devrait conduire à des relations différentes entre les étudiants et les professeurs... dont la tâche est de mener une recherche pour être en mesure de montrer aux étudiants l'état le plus avancé de la connaissance.

En restant à la question du pH de solutions diluées d'acide acétique, sommes-nous hors du cadre d'un tel travail ? Certainement pas ! D'une part, alors que les cours de chimie des solutions s'évertuaient enseigner à calculer des ordres de grandeur, à négliger des quantités, etc., l'emploi de logiciels de calcul formel permet aujourd'hui de résoudre en un clic des systèes d'équations. Il devient donc essentiel que des calculs tels que celui du pH puissent servir d'entraînement à l'emploi de tels logiciels.
Mais, surtout, le calcul numérique s'est imposé en physico-chimie, et il faut en transmettre l'idée, les compétences. Pourquoi ne pas prolonger les calculs élémentaires par des modélisations qui se feraient à propos de l'acide acétique ? D'autant que ce composé peut faire des dimères dont la structure, la stabilité peuvent être explorés aussi. Et ainsi de suite... en n'oubliant pas cet article d'il y a quelques années et qui montrait que les molécules de D-glucose s'associaient, en solution diluée. Et pour l'acide acétique ?

Bref, nous devons bien définir nos enseignements, en fonction de nos interlocuteurs. Pour les solutions d'acide acétique comme pour tout ce que nous enseignons !

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