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vendredi 29 septembre 2023

Les calculs de pH ? Aussi périmés que l'extraction de racines carrées à la main

Les calculs de pH aujourd'hui sont l'équivalent des extractions de racines carrées à la main, quand sont apparues les calculatrices.

 Quand j'étais collégien, en classe de sixième, nous n'avions pas de calculatrice électronique, et nous devions faire des calculs à la main. A ce stade de nos études, nous n'avions pas encore de règle à calcul, ni de table de logarithme. On nous enseignait donc laborieusement à calculer des racines carrées par un algorithme, pas très difficile d'ailleurs, qui rebutait la majorité des élèves, la séparation entre les littéraires et les scientifiques n'étant pas encore faite, à ce stade de nos études. Nous y avons passé des heures, parce que certains avaient le plus grand mal, et, une fois la découverte de l'algorithme faite, il n'y avait rien de grisant à effectuer mécaniquement ces calculs. 

Les calculettes sont arrivées, et, les quatre opérations se sont bientôt accompagnées de l'extraction des racines carrées ; Il est alors apparu inutile de continuer à occuper des dizaines d'heures avec quelque chose d'aussi inutile que le fameux algorithmes, qui est donc tombé aux oubliettes, sauf à titre de curiosité, pour ceux qui aiment les mathématiques (et nous sommes bien peu !). 

 

Le calcul du pH pour des solutions ? L’expérience me montre quasi quotidiennement que les étudiants, cette fois au niveau universitaire, ont la même difficulté que les collégiens avec les raines carrées. Ces calculs sont d'ailleurs ennuyeux, car ils veulent faire calculer ceux qui préféreraient s'intéresser à la chimie (on a compris que j'utilise ici la distinction, faite par moi ailleurs, entre chimie et chimie physique). Leurs faiblesses en calcul les mettent en difficulté, alors même qu'elles détournent l'intérêt de l'objet considéré. 

L'objet considéré, c'est le pH de solutions. Quand on met un acide dans l'eau, que ce soit un acide dit faible comme l'acide acétique ou un acide fort comme l'acide chlorhydrique, ce qui compte, c'est d'abord de penser que cet acide est faible ou fort. S'il est fort, il se dissocie immédiatement quand on le met dans l'eau, libérant des protons qui vont s'hydrater. Si l'acide est faible, alors il y a un équilibre entre la forme dissociée et la forme non dissociée. 

Cet équilibre est caractérisé par une constante de dissociation, mais cette caractérisation doit évidemment venir bien après la connaissance du mécanisme lui-même. 

Aujourd'hui, les étudiants sont face à une double difficulté : (1) analyser le phénomène du point de vue physico-chimique, puis (2) poser les équations du phénomène et (3) les résoudre. Les points 2 et 3 posent tant de problèmes aux étudiants... qu'ils en oublie l'analyse du mécanisme chimique. 

Pourtant, l'analyse chimique des problèmes conduit très simplement aux équations... qu'un logiciel de calcul résoudra aujourd'hui aussi simplement qu'une simple calculette calculait une racine carrée. Faut-il donc passer des heures, voire des journées, à enseigner la résolution des équations établies pour déterminer l'usage d'une solution ? Plus j'y pense, moins j'en suis convaincu. De même que nous nous n'allons pas à cheval poster notre propre courrier, de même que nous n'utilisons plus des plumes d'oiseaux et de l'encre pour tracer des mots sur des peaux raclées, de même, je crois que les enseignants ne doivent pas céder au fétichisme ou à la nostalgie et qu'ils doivent proposer aux étudiants de focaliser leur intelligence sur la partie la plus intéressante de la chimie, à savoir la chimie, et non le calcul. Il semble plus intéressant d'enseigner le maniement des outils modernes de calcul, et d'éviter les contorsions calculatoires que l'on devait faire jadis, quand on calculait à la main. Et puis, reconnaissons quand même que, pour les calculs de pH par exemple, la détermination d'ordres de grandeur s'impose. Que signifie la constante de dissociation ? Voilà la seule vraie question, et donc la seule qui doive être évaluée. En tout cas, notre système est dans l'erreur s'il conduit aux étudiants à ne même plus savoir qu'un acide faible est un acide faible ! D’ailleurs, pour être honnête, les étudiants que je rencontre ont appris à faire des calculs, ils ont passé les examens... et ils ont oublié ce qu'ils avaient appris. A quoi bon, alors ? 

J'ajoute que, si le cas des calculs de pH est particulièrement intéressant, en ce qu'il relève d'un mécanismes j'ai identifié dans l'enseignement, il n'est pas exceptionnel. Ainsi, je m'amuse à demander aux impétrants s'ils connaissent la réaction de Diels-Alder, une des quelques réactions essentielles de la chimie organique. Je pourrais tout aussi bien poser la question pour les réactions de Grignard, de Cannizzaro : il y a ainsi quatre ou cinq réactions essentielles qu'il serait bon de connaître, et, surtout, de ne pas oublier ! 

Des collègues me répliquent que les étudiants qui ont oublié ces réactions en connaissent l'existence, qu'ils sauront les retrouver. Pourquoi pas, mais ce n'est pas ce que montre l'expérience. Oui, quelqu'un qui dispose d'internet peut taper « diels alder »... mais à condition qu'il connaisse l'orthographe du mot, et l'expérience, malheureusement, me montre que l'on ne trouve pas cette réaction si l'on écrit « dilssaldère ». 

A la réflexion, c'est surtout l'accumulation des strates qui noie nos amis les plus faibles en calcul (si l'on peut utiliser une métaphore aussi osée). N'y aurait il donc pas lieu d'identifier les éléments prépondérants des programmes scolaires ou universitaires, afin de nous assurer que ceux-là sont maîtrisés ? 

 

Les questions que je pose ne sont pas simples, mais naïves. D'ailleurs, elles s'assortissent de graves considérations politiques : la première étant de savoir ce que nos jeunes amis feront ultérieurement de ces notions ? Un peu d''analyse de la question indique aussi que la difficulté est l’hétérogénéité des amphithéâtres, des promotions. Bien sûr la culture n'est jamais inutile, mais le temps passé à apprendre certaines notions se fera toujours détriment d'autres. Je ne milite évidemment pas pour une spécialisation à outrance, mais je m'interroge sur les savoirs et les compétences que nous pouvons proposer à des groupes étudiants. 

Si ces étudiants ont des parcours différents, les uns devenant ingénieurs, les autres scientifiques et d'autres enfin banquiers, en vertu de quoi serait-il bon de leur donner le même enseignement à tous ? Les moyens modernes ne permettent-ils pas -vraiment- de construire des parcours un peu plus à la carte ? 

Poursuivons l'analyse : dans le schéma éducatif jusqu'ici considéré, on imaginait que le corps enseignant décide pour les étudiants des notions qu'ils devaient apprendre, retenir, maîtriser... Mais si l'on se décidait à accompagner les étudiants dans un parcours qu'ils se seraient choisi eux-mêmes ? Un étudiant qui apprend par lui-même, des matières qu'il a lui-même choisies, devient responsable de son savoir et de ses compétences, de sorte que nous éviterions cette espèce de lutte des classes idiotes, qui se poursuit depuis des siècles, entre les bons étudiants et les salauds d'enseignants, ou entre les bons enseignants et les paresseux étudiants. Quand on va dans le mur, il semble important de s'en apercevoir à temps : perservare diabolicum !

samedi 15 juin 2013

Samedi 15 juin 2013 : Les beautés du calcul (suite et pas fin)


On n'a pas assez dit combien l'outil informatique était merveilleux, pour les sciences et pour l'enseignement des sciences.
Ici je voudrais faire état d'un  constat et d'une proposition.

Le constat, d'abord : il y a une trentaine d'années, des calculettes sont apparues ; à l'époque elles coûtaient le prix d'une mobylette, elles étaient grosses comme un téléphone, et faisaient seulement les quatre opérations : addition, soustraction, multiplication, division. Les  quatre opérations avec une dizaine de chiffres significatifs et en un clin d'oeil, alors que jusqu'à présent, on était réduit à poser l'opération sur une feuille de papier, à se tromper souvent,  à utiliser une règle à  calcul un ou une table logarithme... Les opérations à la main étaient laborieuses, et sans beaucoup d'intérêt, passé celui de la découverte du principe de la règle à calcul ou de la table  de logarithme.  Les calculettes furent un progrès immense !

Toutefois, je me souviens qu'à l'époque certains enseignants se lamentaient, disant que les étudiants qui utiliseraient des calculettes deviendraient incapables de calculer. L'expérience a prouvé qu'il n'en a  rien été.
Puis, quand la fonction « extraction de racines carrées » est apparue sur ces calculatrices, les enseignants ont à nouveau redouté la disparition des capacités de calcul des étudiants, quand on a supprimé l'enseignement à la main de ces extractions de racines carrées. Pourtant, avec le recul, je ne vois pas pourquoi, le jeu étant un peu sans intérêt.

En physico-chimie, nous sommes aujourd'hui dans le même type de  transition, avec des logiciels de calcul formel comme Maple (mon préféré), Mathematica, Matlab, etc. Quand on utilise de tels logiciels, les calculs sont justes, et le nombre de décimales affichées est aussi grand que l'on veut : 50, 100, 1000...  Dans ces conditions  je crois qu'il est utile de reprendre  l'enseignement du calcul, et notamment le calcul du pH des solutions aqueuses.

Pour faire de tels calculs,  il y a des faits chimiques qu'il faut connaître.

Par exemple,  la conservation de la masse dans un équilibre chimique : si on ajoute, par exemple, de l'acide acétique à de l'eau, certaines molécules d'acide acétique perdront un proton, formant un ion acétate ; la quantité totale ajoutée est alors égale à la quantité dissociée et à la quantité non dissociée.
D'autre part,  il y a la conservation de la charge électrique, c'est-à-dire que la solution est à tout moment  électriquement neutre. Là encore, cela conduit à une équation qu'il n'est pas difficile d'écrire.
Et puis il y a  la conservation de l'énergie, que j'aurais dû indiquer  en premier, parce que  l'énergie est la notion essentielle pour décrire les transformations du monde.  Là encore, on obtient une équation.
Et c'est ainsi que, dans les cas les plus simples, l'analyse chimique du problème conduit à trois ou quatre équations. Pour des cas plus compliqués, on a plus d'équations.

Vient donc le moment où il faut quitter l'analyse des phénomènes pour faire les calculs, résoudre les équations.
Jusqu'à présent, l'enseignement de cette chimie des solution était laborieux, les étudiants avaient du mal... parce qu'ils étaient gênés par les calculs. Les enseignants passaient l'essentiel du temps à enseigner à résoudre les équations, ce qui était du calcul, pas de la compréhension des phénomènes chimiques. Aujourd'hui, les logiciels de calcul formel font les résolutions en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, de sorte que ce qui était laborieux est supprimé !

Il faut donc, sans doute, modifier profondément l'enseignement des calculs de pH.

Les étudiants perdront-ils des compétences ? Je crois que non, et, de toutes  façons,  il faut vivre avec son temps. Profitons-en donc pour considérer des notions plus modernes : la chimie quantique, par exemple, puisqu'elle est la clé de la compréhension des nouveautés conceptuelles des sciences quantitatives !