vendredi 19 juillet 2024

Sécurité alimentaire

 

Tétrabromobisphénol A – Mise à jour de l’avis de l’EFSA 

L’EFSA a publié un avis révisé sur le tétrabromobisphénol A (TBBPA) - substance utilisée en tant que retardateur de flammes - et ses dérivés dans les aliments. Ainsi, le groupe scientifique CONTAM a conclu avec une certitude de 90 % à 95 % que l’exposition alimentaire actuelle au TBBPA ne soulève aucun problème de santé pour aucun des groupes de population considérés. Il n’y avait pas suffisamment de données sur la toxicité de l’un ou l’autre des dérivés du TBBPA pour établir des points de référence ou pour permettre une comparaison avec le TBBPA qui justifierait l’affectation à un groupe d’évaluation aux fins de l’évaluation combinée des risques. 

Nouvelles des fraudes

 

Food Fraud – Rapport mensuel de la Commission  

Le rapport de mai 2024 de la Commission sur les suspicions de fraudes agroalimentaires a été publié : Lien. 

 

A propos de compléments alimentaires

 

QUALITE NUTRITIONNELLE ET COMPORTEMENT ALIMENTAIRE 

 

ANSES – Compléments alimentaires et aliments enrichis en protéines 

Des compléments alimentaires et aliments enrichis en protéines, acides aminés ou extraits de plantes sont consommés par les sportifs, professionnels ou amateurs, pour développer la masse musculaire ou réduire la masse grasse. Après une première alerte émise en 2016, l’Agence met à nouveau en garde les sportifs, les encadrants et les professionnels de santé sur les risques induits par la consommation de ces produits, tant pour la santé du sportif qu’en cas de contrôle antidopage. 

Source : ANSESLien. 

mercredi 17 juillet 2024

A propos de données ouvertes

Données ouvertes ? L'expression fait lentement son chemin, parmi une communauté qui ne comprend pas toujours bien ce dont il s'agit, et notamment parce que les "explications" sont truffées d'anglicismes, d'acronymes, et pas toujours bien faites, comme si celles et ceux qui promeuvent ce mouvement voulaient en réalité ne rien ouvrir du tout, mais un peu confisquer leurs avancées dans ce champ. 


Personnellement j'aurais dû depuis longtemps évoquer le mouvement des données ouvertes si j'avais mieux compris leur intérêt. 

En réalité j'ai basculé quand j'ai eu l'occasion de lire, dans un texte qui évoquait ce mouvement à l'université d'Oxford, cette phrase  : pourquoi laisser des spectres dormir sur des disques durs ? 

Renseignements pris, du temps passé à décoder ce qui a été publié à ce propos, le mouvement des données ouvertes consiste à contribuer aux progrès scientifiques comme on y contribue en publiant des articles scientifiques classiques. 

Normalement, quand on soumet une note de recherche, on doit indiquer les matériels et  les méthodes qui ont été mis en oeuvre, ainsi que les résultats que l'on discute. Mais depuis plusieurs années, je déplorerais que les données n'apparaissent pas bien et que seuls des résultats figurent.
De même, dans les thèses, au moins pour les époques récentes, les données me manquaient et pour moi qui revendique toujours de juger des travaux scientifiques à partir de sections de "Matériels et méthodes" précis, la publication des jeux de données dans des articles de données me paraît une évidence absolue. 

Ayant mieux compris comment expliquer l'intérêt de la chose, je le fais maintenant. Et je le fais aussi parce que j'ai également que il ne s'agit pas de publier des données de façon anonyme, mais de les publier tout comme on le ferait pour un article scientifique, avec une référence attachée à ce jeu de données qui pourra être cité : il n'y a pas de perte de paternité dans cette affaire mais bien plutôt la possibilité de prolonger les publications, de les faire dans des conditions où elle serait toujours être du faites. 

 

Pour expliquer la chose simplement, il y a maintenant  : 

1. des "entrepôts de données" où l'on peut donc déposer des données d'une façon réutilisable, avec un lien vers ce jeu de données, qui constitue  une reconnaissance de paternité du travail. 

2. puis il y a des "articles de données", qui sont cette fois des articles qui indiquent les circonstances de la production de ces données : qui expliquent le contexte, les questions étudiées, qui insistent sur les méthodes et les matériels employés, et qui décrivent en détail les jeux de données. 

3. et puis il y a les articles classiques, qui  pourront maintenant être débarrassés de leur "matériels supplémentaires" puisque ces derniers seront des articles de données. 

Apparaît donc un triptyque entrepôts de données / revues publiant des articles de données / revues publiant des articles scientifiques complets, avec les résultats et les discussions.
 

Ayant combien compris tout cela je vais militer sans tarder, auprès des revues scientifiques auxquelles je contribue, pour qu'elles publient des articles de données à côté de notes de recherche plus classique. Ces articles de données renverront vers des jeux de données ce qui signifie que nous contribuerons au progrès scientifiques, technologique et technique. 

mardi 16 juillet 2024

La question de la critique et de l'esprit critique

 
Nous demandons souvent aux étudiants de faire preuve d'esprit critique... mais nous ne leur disons pas ce que c'est, ni comment faire. Cet enseignement ne nous revient-ils pas ? J'entends déjà des collègues me répondre que les étudiants sont grands, et qu'ils peuvent chercher cela par eux-mêmes, mais, alors, ne devons-nous pas donner des sources fiables ? Après tout, enseigner, c'est faire un signe... pour désigner des sources, par exemple.

Là, je trouve dans quelques sources que le terme critique dériverait du terme grec kritikē (κριτική), signifiant « (l'art de) discerner », c'est-à-dire le fait de discerner la valeur des personnes ou des choses.  Sans référence ?
Le Trésor de la langue française informatisé indique que "la critique" serait la "Capacité de l'esprit à juger un être, une chose à sa juste valeur, après avoir discerné ses mérites et défauts, ses qualités et imperfections." Et notamment "Esprit de libre examen qui, dans ses jugements, écarte, rejette l'autorité des dogmes, des conventions, des préjugés."
Mieux, cette définition : "Méthode d'examen mettant en jeu des critères variables selon les domaines, d'après lesquels il est possible de discerner les parts respectives des mérites et des défauts d'une entreprise, d'une œuvre, d'un système de pensée. Critique biblique, expérimentale, sociale, théologique. La critique, cet art précieux d'apprécier les productions scientifiques (MARAT, Pamphlets, Les Charlatans mod., 1791, p. 271).
Il y aurait aussi "Jugement de valeur qui constitue la seconde phase de la capacité de l'esprit à juger un être, une chose à sa juste valeur."

Et, surtout, il y a l'étymogie :
Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. I. 1. 1580 subst. fém. « art de juger les œuvres de l'esprit » et « jugement porté sur ces œuvres » (J. SCALINGER, Lettres, 109 ds R. Hist. litt. Fr., t. 8, p. 502); d'où 1810 « ensemble de ceux qui font métier de cette critique » (CHATEAUBR., Martyrs, préf., p. 27); 2. 1663 « action d'émettre des jugements défavorables » (MOLIÈRE, École des femmes, I, 1). II. 1. 1637 subst. masc. « celui qui juge » (J. CRESPIN, Thresor des trois langues); 2. spéc. 1674 « celui qui juge des ouvrages de l'esprit » (BOILEAU, Ep., I ds LITTRÉ). III. 1667 adj. « qui est porté à émettre des jugements (œuvre littér.; idées) » esprit critique (BOILEAU, Sat., IX ds LITTRÉ); 1694 péj. « qui trouve à redire à tout » (Ac.); 1678 (RICHARD SIMON, Histoire critique du vieux Testament ds CIOR. 17e). Empr. au lat. class. criticus subst. masc. (empr. au gr. « qui juge les ouvrages de l'esprit », dér. de « juger, estimer »).

Dans le domaine de la philosophie, Kant a utilisé le terme pour désigner un examen de réflexion de la validité et les limites de la capacité de l'homme ou d'un ensemble de revendications philosophiques.
En philosophie moderne, le terme "critique" désigne une enquête systématique sur les conditions et conséquences d'un concept, la théorie, la discipline, ou une approche et une tentative de comprendre ses limites et la validité.
Un point de vue critique, en ce sens, est le contraire d'un dogmatique.

Je vois dans un texte non référencé que les capacités propres à la pensée critique seraient :
    La concentration sur une question.
    L’analyse des arguments.
    La formulation et la résolution de questions de clarification ou de contestation.
    L’évaluation de la crédibilité d’une source.
    L’observation et l’appréciation de rapports d’observation.
    L’élaboration et l’appréciation de déductions.
    L’élaboration et l’appréciation d’inductions.
    La formulation et l’appréciation de jugements de valeur.
    La définition de termes et l’évaluation de définitions.
    La reconnaissance de présupposés.
    Le respect des étapes du processus de décision d’une action.
    L’interaction avec les autres personnes (par exemple, la présentation d’une position à l’aide d’une argumentation orale ou écrite).

Mieux, un autre texte cite Boisvert, qui inclut sous le nom d'"esprit critique", les attitudes suivantes  :
    Le souci d’énoncer clairement le problème ou la position.
    La tendance à rechercher les raisons des phénomènes.
    La propension à fournir un effort constant pour être bien informé.
    L’utilisation de sources crédibles et la mention de celles-ci.
    La prise en compte de la situation globale.
    Le maintien de l’attention sur le sujet principal.
    Le souci de garder à l’esprit la préoccupation initiale.
    L’examen des différentes perspectives offertes.
    L’expression d’une ouverture d’esprit.
    La tendance à adopter une position (et à la modifier) quand les faits le justifient ou qu’on a des raisons suffisantes de le faire.
    La recherche de précisions dans la mesure où le sujet le permet.
    L’adoption d’une démarche ordonnée lorsqu’on traite des parties d’un ensemble complexe.
    La tendance à mettre en application des capacités de la pensée critique.
    La prise en considération des sentiments des autres, de leur niveau de connaissance et de leur degré de maturité intellectuelle.

Dans cette hypothèse, moi enfant, pour avoir de l'esprit critique, dans une circonstance particulière, j'appliquerais les lignes systématiquement, les unes après les autres.
Mieux, je ne manquerais pas de considérer tout ce qui précède... de manière critique.

Le bleu du ciel


Il y a ce moine chinois du 18e siècle, Shitao (ce qui signifie citrouille amère) qui produisit un extraordinaire traité de peinture intitulé L'unique trait de pinceau. Le livre est merveilleux et l'un de ses arguments est que l'on ne peut peindre correctement que si l'on est capable de faire du premier coup un trait qui ne sera pas corrigé, l'unique trait de pinceau.
L'auteur prétend qu'il n'y a pas de correction possible et il dit en également que, pour arriver à cette maîtrise, il est nécessaire de méditer beaucoup et de se débarrasser de ce qu'il nomme la poussière du monde. 


Évidemment, tout ce qui n'est est écrit dans les livres n'est pas nécessairement juste, et, d'autre part, il n'est pas suffisant de dire des choses pour les faire exister : on pensera au Père Noël ou au carré rond, par exemple. 


Bien sûr, on connaît cette certaine catégorie de discours qui nous abaissent, nous salissent : certaines personnes sécrètent la poussière du monde... mais je me reprends car faut-il conserver l'expression "poussière du monde" ou bien simplement poussière ? Poussière du monde ne se soutiendrait que si le monde avait une acception comme le "grand monde", par exemple. 

Mais on me connaît et je n'aime pas avoir le nez vers la boue ; je suis de ceux qui proposent de montrer le bleu du ciel. 

 

Certes, je ne dis pas que le ciel est toujours entièrement bleu mais je propose d'apprendre à voir le bleu qui est dans le ciel, je propose d'apprendre à faire bleuir le ciel, je propose d'apprendre à voir le bleu derrière d'éventuels nuages, je propose d'apprendre à chasser les nuages pour voir le bleu.


J'ignore si la considération du bleu permettra effectivement de faire de meilleurs traits de pinceau mais je sais que l'observation du bleu du ciel nous met dans un état d'esprit plein d'entrain qui nous permet de nous mettre en chemin. Une fois en route, nous cheminons, nous nous préoccupons du chemin et nous oublions l'état d'esprit initial (le bleu du ciel) pour nous concentrer sur le chemin, ses aspérités, et cetera. 

Mais au moins nous serons en route au lieu de craindre la poussière. Décidément, je préfère voir le bleu du ciel

lundi 15 juillet 2024

Soxhlet ?

 Une idée amusante, que je publie ici au cas où elle ne l'aurait pas été : habituellement, pour des tissus vivants ou des cellules (par exemple des levures) on extrait des lipides en utilisant un appareil de Soxhlet. Mais broyer et extraire par une méthode liquide liquide ? Ca irait plus vite. 

Reste à ce que je fasse la recherche bibiliographique pour savoir si quelqu'un n'a pas eu cette idée avant moi. 

Ensuite, il faudra valider.

Chercher les mécanismes des phénomènes


Il y a peu, je me suis étonné que nos étudiants de Master, visant des postes d'ingénieurs, se laissent si facilement transformer en techniciens, alors que nous nous décarcassons à leur enseigner les mécanismes des phénomènes. Être physico-chimiste, c'est pourtant cela : se questionner sur les mécanismes des phénomènes, tout autant du point de vue de la chimie que de la physique.

La question m'est revenue hier dans un colloque où un ingénieur que je connais depuis longtemps se plaignait à moi que sa société n'aille pas jusqu'à la compréhension des phénomènes.
Mais je me suis étonné que cette personne ne fasse pas cela d'elle-même et je propose de prendre un exemple pour bien montrer comment, même au cours de l'expérience la plus pratique qui soit, on peut faire de la physico-chimie...  à condition d'en être bien imprégné.
Cet exemple est venu juste après la discussion avec l'ingénieur que j'évoque précédemment, alors que l'on me montrait des résultats d'expérience : dans une verrerie de laboratoire, j'observais que du produit avait laissé une trace sur le verre. Comme il était question d'analyser le produit, je demandais si l'on avait évalué la quantité de produits qui était ainsi perdue, et de combien les mesures étaient faussées.

Un tel calcul  n'est pas difficile à condition d'aller voir plus loin que l'apparence : en l'occurrence, il s'agissait d'une mousse qui avait séché, il fallait donc comprendre qu'il y avait là initialement des bulles d'air dans le liquide.
En regardant bien, on avait des indices pour faciliter le calcul. Notamment, on pouvait voir que la couche de mousse déposée était d'une bulle d'épaisseur. On pouvait voir que ces bulles étaient visibles à l'œil nu, ce qui indique que leur taille était de l'ordre de 0,1 mm le diamètre,  et ainsi de suite : on pourrait faire un calcul à condition de comprendre la structure qui était envisagée, de l'interpréter.
Il n'y a pas besoin d'un grand programme industriel pour mettre en œuvre nos connaissances, pour chercher des mécanismes : il suffit d'observer d'avoir l'esprit tendu vers ses analyses physico-chimiques passionnantes

J'ajoute d'ailleurs que la terminologie physico-chimie mérite toujours d'être divisé en physique et en chimie. Précédemment, je discutais des questions de microstructure, et  il y avait également lieu de discuter des questions de chimie car des molécules tensioactives  qui nous intéressaient pouvait-elle coller au verre ? Ne fallait-il pas se souvenir que ce dernier est fait de silice que seules des molécules particulières peuvent facilement y adhérer pour des raisons qui restent à interpréter ?
Allons plus loin  : puisque la chimie est une science au même titre que la physique, tenant sur deux pieds que sont l'expérience et le calcul,  quel calcul de chimie pourrait-on mettre en œuvre dans un tel cas ? S'il est question d'adhérence, pourquoi ne pas chercher des valeurs d'énergie à propos de ce dernier phénomène ? Y aurait-il eu lieu de comparer cette énergie d'adhérence au support et les forces de gravité ? Notamment en sachant que les composants actifs sont partiellement solubles dans  l'eau, ce qui correspond à des interactions, donc des énergies d'interaction avec les molécules d'eau ?

On le voit, nous sommes lancés sur la piste infinie de l'exploration scientifique des phénomènes, et les plus simples ne peuvent manquer d'être des torchons rouges devant les taureaux de la science.

dimanche 14 juillet 2024

Selon



Dans des articles, dans des thèses, je vois écrit, à répétition,  des phrases du genre "Selon Machin et Truc (année de publication), la teneur en caféine et de 0,2 mg".

Je crois qu'il y a là une erreur et que le "selon" n'est pas approprié. En effet, il introduit un doute sur l'information qui est donnée. Or quand on consulte les références qui sont données ensuite, on voit  que Machin et Truc ont effectivement mesuré une teneur en caféine précise, et ils l'ont mesurée avec des matériels et des méthodes bien particuliers, répertoriés, qui ont conduit à un résultat effectif. Ce n'est pas une imagination, ue illusion, et, mieux, si l'article de Machin et Truc a été publié, c'est que les rapporteurs ont jugé que la mesure était fiable.

Imaginons par exemple que l'on extraie des lipides d'une graine. La quantité mesurée est alors... la quantité qui a été mesurée, un point c'est tout. Certes, la quantité mesurée n'est pas peut-être la quantité effectivement présente dans la graine,  mais c'est bien celle qui était mesurée, et la formulation introduite par un "selon" est mauvaise parce qu'elle ne dit pas tout cela.

Oui, on a le droit de douter d'un résultat, surtout quand la partie des matériels et des méthodes est insuffisante, mais c'est à ce propos qu'il convient d'être précis et de dire ce que l'on peut reprocher éventuellement à cette partie, d'expliquer pourquoi. Bref,  je crois qu'il y a lieu d'utiliser une  formulation bien plus précise que ce "selon".

samedi 13 juillet 2024

A propos d'esprit critique : donnons-nous le temps de réfléchir, d'analyser ce que nous faisons, ce que nous pensons

Je viens d'analyser la présentation faite par un étudiant, à l'issue d'un stage, et la chose la plus intéressante que j'aie dépistée est  le manque d'esprit critique à la fois sur les méthodes mises en œuvre dans l'institution où il faisait son stage et,  aussi, à propos du contexte de ce stage.
Certes, notre étudiant est tombé dans une institution un peu médiocre, qui l'a conduit à se comporter en technicien amélioré, mais il faut quand même observer qu'il aurait pu faire ce qu'on lui demandait et, par ailleurs, avoir un esprit critique.

Car c'est que ça donc il était question dans toute cette aventure : le manque d'esprit critique.

Il y avait un manque d'esprit critique sur ce qu'il avait fait, sur ce qu'on lui demandait de faire, mais, aussi, sur les circonstances générales dans lesquelles il travaillait. Critique est un mot compliqué et souvent mal compris : il ne s'agit moins de faire des critiques que d'avoir un regard analytique, factuel sur ce que l'on pense, ce que l'on fait...

En l'occurrence, pour faire un bon stage, il y avait lieu de bien analyser d'abord :
- la question posée certainement
- mais aussi les méthodes mises en œuvre pour y répondre.

Par exemple, l'étudiant a été mis en situation d'utiliser un logiciel. Pourquoi pas... mais que valent les résultats donnés par ce programme ? Recopier le baratin commercial des fabricants du logiciel, c'est manquer d'esprit critique. En revanche,  il aurait  fallu s'interroger sur la validité des résultats donnés, les valider. Il n'était pas indispensable de conclure que des résultats donnés sont invalides, mais il y avait lieu de poser la question de la validité.
Car oui, on n'a pas toujours assez de temps pour déterminer la validité que l'on vient de discuter mais, en tout cas,  il y a lieu de poser soi-même la question de cette validité et d'envisager qu'elle puisse être testée.

 Plus généralement, il est donc question d'avoir de l'esprit critique. Bien sûr dans un stage, la demande formelle est de se transformer des connaissances en compétences mais puisque pourquoi ne pas analyser cette question, et, surtout, montrer qu'ils y ont répondu, avant de plonger dans la discussion particulière du sujet qu'ils ont traité ?

Très généralement, il faut donc considérer ce que nous faisons avec un esprit critique, analytique, factuel.
Il y a longtemps, dans ce blog, j'avais discuté cette phrase qui est : « Tenir le probable pour faux jusqu'à preuve du contraire ». J'avais alors cité Henri Poincaré, qui relativisait cette idée ("Douter de tout ou tout croire sont deux solutions également commodes, qui l'une et l'autre nous dispensent de réfléchir."), mais faisons simple pour commencer : examinons - sans tout gober naïvement- ce que le monde extérieur nous apporte.

Être capable de trier sur la base d'une analyse critique. Voilà en tout cas un des conseils que je donnerais aux stagiaires, en les invitant également à chercher sans cesse les perfectionnement, ce qui, au fond, va bien avec la première idée.

Pour moi...



Je viens encore d'entendre un interlocuteur me répondre "Pour moi" et embrayer avec une assertion qui était manifestement fausse. Il y a une espèce de prétention paresseuse à ce "Pour moi" que j'entends bien souvent ces temps-ci. Que  signifie le mot "rutilant" ? Je ne veux pas entendre de "Pour moi cela signifie brillant"... car... le mot signifie rouge (comme le minéral nommé rutile), et nous perdons notre temps à entendre une acception aussi idiosyncratique qu’erronée. Que signifie "glauque" ? Il n'y a pas non plu de "Pour moi, c'est "boueux", car  le mot signifie vert.
Il y a des cas plus intéressant comme le "Pour moi, on apprend bien quand on écrit" : là, c'est  une façon paresseuse de ne pas s'être demandé comment bien apprendre, et, en tout cas, la personne qui le dit n'a jamais fait la comparaison raisonnable de méthodes différentes d'apprentissage ,de sorte qu'elle se réfugie dans une méthode idiosyncratique qui ne vaut peut-être rien.
En  cuisine, le "Pour moi est constant" :  il y a tous ces cas où l'on fait quelque chose dont l'efficacité n'est pas assurée : ajouter une pincée de sel à du blanc en neige pour le fait pour le faire tenir plus longtemps, dit-on, ajouter du vinaigre bouillant à une mayonnaise pour la faire tenir. A ce propos, il faut que je donne des statistiques sur 24 ans de séminaires de gastronomie moléculaire : 87 % des "pour moi" ont été réfutés.

Bref, je propose de répondre à ces "pour moi" par "prétention et paresse".


A propos de "chantillys"

On m'interroge à propos de foisonnement de matière grasse, et je comprends qu'il y a lieu de bien expliquer. Cela fait donc l'objet d'un cours que je dépose dans une partie "Applications technologiques et techniques" du Centre international de gastronomie moléculaire

- pour le site général du Centre : https://icmpg.hub.inrae.fr/

- pour la partie "Application technologiques et techniques" :  (lien à venir)

 

En rappelant que des discussions détaillées sont données : 

- en français, dans mon livre Mon histoire de cuisine (Belin)



- en anglais, dans le Handbook of molecular gastronomy (CRC Press)



mercredi 10 juillet 2024

Une phrase souvent citée... mais fautive !

 
Voici une phrase très fausse, hélas répétée sans critique : "La cuisine, sans cesser d’être un art, deviendra scientifique et devra soumettre ses formules à une méthode et une précision qui ne laisseront rien au hasard." 

Cette phrase fut écrite par un restaurateur célèbre... mais n'ai-je pas vu assez de phrase fausses sous la plume de chefs triplement étoilés ? On m'a dit que l'eau salée met plus longtemps à bouillir... et c'est faux. On m'a dit que les soufflés gonflent mieux quand les blancs en neige ne sont pas fermes... et c'est faux. On m'a dit que masser les viande avec du beurre fait entrer le gras dans les chairs... et c'est faux. On m'a dit que des navets glacés se gorgent de beurre... et c'est faux. 

Vraiment, je déteste les arguments d'autorité, surtout quand ils sont faux. Mais je déteste surtout être mis en position de réagir négativement, moi qui ne veux voir que du ciel bleu, qui veux toujours être positif. Je préfère discuter d'idées justes que d'idées fausses, mais à ce compte, on n'est jamais en position d'aider nos amis à bien voir les erreurs et les fautes. Je vais donc commencer par expliquer pourquoi la phrase précédente est fautive, puis je chercherai un moyen très positif de débattre de belles idées justes, histoire de me remettre le cœur d'aplomb. 

 

Pourquoi cette phrase est idiote

Commençons par montrer pourquoi la phrase précédente est fausse. Si on parle d'art culinaire, c'est bien que l'on parle d'art. Et l'on sait assez combien je milite pour qu'une partie de l'activité culinaire soit bien reconnue comme artistique. D'ailleurs, je propose de faire bien la différence entre les artisans et les artistes, mais c'est là un autre débat que j'ai longuement présenté dans un de mes livres (La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique), et sur lequel je propose de ne pas revenir. Il y a donc l'art culinaire, qui est un art comme la peinture, la musique, la littérature... D'ailleurs, quand je dis "la peinture", je ne pense qu'à la peinture artistique, et non pas la peinture des murs et façades, qui relève de l'artisanat. Même chose pour la musique ou pour l'écriture. N'importe qui muni d'un stylo peut raconter une histoire, mais ce ne sera pas un artiste pour autant. 

Il y a donc l'art culinaire, qui est une activité artistique, à savoir qu'il est question de susciter, de partager des sentiments, des émotions... Bien sûr, on peut discuter à l'infini la notion d'art, mais ne jouons pas trop sur les mots quand il s'agit d'aider nos amis : soyons clairs et simples. C'est pour cette raison que je me résous à réduire l'art culinaire à la production d'aliments qui nourrissent plus l'esprit que le corps. Le second terme de la phrase fausse dénoncée ici est relatif à la science. 

Dans la phrase discutée, il ne s'agit pas simplement de savoir, mais de science de la nature. Nous mettons de côté les sciences de l'être humain et de la société, car, dans la phrase que nous critiquons, il est question de précision, de rigueur. Immédiatement j'ajoute que précision et rigueur ne sont pas l'apanage des sciences de la nature, toutefois : toute activité humaine peut être faite avec précision et rigueur, et l'art le plus grand (celui des Rembrandt, Bach, Mozart, Proust, Flaubert...) est tout fait de rigueur et de précision. Impossible de changer un mot dans une œuvre de Flaubert. Impossible de changer une note dans une œuvre de Bach. D'autre part, les sciences de la nature ne se réduisent pas à la rigueur et à la précision, mais ce sont plutôt des activités qui ont un objectif et une méthode bien déterminés, que l'auteur de la phrase discutée ignorait manifestement : l'objectif est de chercher les mécanismes des phénomènes, et la méthode a été discutée dans tant de mes billets précédents que je vous y renvoie. 

On voit donc mieux maintenant les deux termes de la phrase fautive que nous critiquons, à savoir l'art d'un côté, et les sciences de la nature de l'autre, ce qui revient à mettre d'un côté l'activité qui suscite des émotions, et de l'autre l'activité qui cherche les mécanismes des phénomènes. Rien à voir, ni hier, ni aujourd'hui, ni demain. Non, l'art culinaire ne sera jamais scientifique ! 

 

Quelques précisions

Cela étant posé, on peut ajouter quelques précisions. Par exemple, les phénomènes qui surviennent lors de l'activité culinaire peuvent être explorés par les sciences de la nature, et l'activité scientifique qui fait cela a pour nom "gastronomie moléculaire". D'autre part, on peut espérer que le praticiens, artisans ou artistes culinaires, aillent progressivement vers plus de rigueur et de précision, et c'était d'ailleurs l'un des objectifs de la réflexion technologique qui a présidé à la proposition de la "cuisine moléculaire", dont la définition est de rénover les techniques culinaires. 

Par exemple, avec des œufs à 67 degrés, on est bien plus précis que quand on met des œufs à l'eau froide, qui est ensuite portée à ébullition. Pour autant, les œufs à 67 degrés n'ont rien de scientifique ! Il sont issus d'une réflexion technologique fondée sur les progrès de la gastronomie moléculaire, mais la production d’œuf à 67 degrés est une activité entièrement technique, et non pas scientifique. A me relire, je vois que les plus idolâtres viendront critiquer mon discours, avec l'argument ad hominem qui consiste à dire que je chipote, que je pinaille. Puisque l'argument ad hominem est moralement condamnable, je vais me laisser aller à répondre par un argument également fautif... puisque ad hominem : ceux qui font un usage indistincts des mots en viennent vite à confondre les chats et les chiens, les tournevis et les marteaux ; aucun d'entre eux ne fera jamais de bon travail, parce que nos actes sont souvent accordés à nos mots (comme je l'ai récemment discuté à propos de crème fouettée). Quand nos mots sont erronés ou fautifs, alors il y a de fortes probabilités que nos actes conduisent à des résultats médiocres. Évidemment, il y a des génies intuitifs, des artistes qui ne savent pas les raisons de ce qu'il font, en termes de mots posés sur des actes, et qui font très bien. On peut même penser qu'il peut exister des personnes qui mettent des mots faux sur des actes qu'ils font très bien, mais imaginez qu'ils aient en outre les bons mots ! Et puis, l'enseignement consiste-t-il à dire des choses fausses ou bien plutôt à aider nos jeunes amis avec des idées justes décrites par des mots justes ? Finalement, non, mille fois non, un million de fois non ! L'art culinaire ne sera jamais scientifique ! 

 

Soyons positifs 

Soyons maintenant positifs. Il y a l'art culinaire, d'un côté, et les sciences de la nature de l'autre. Il est exact que si Rembrandt n'avait pas su tenir un pinceau, que si Bach n'avait pas su le contrepoint, alors aucune œuvre d'art ne serait née ni de l'un ni de l'autre. L'artiste a une obligation technique terrible, supérieure ; non seulement il doit être un parfait technicien, mais il doit avoir en plus la capacité de parler à l'esprit des autres. Éviter des coulures sur un tableau, c'est bien, mais faire pleurer d'émotion c'est mieux. Même chose pour la musique, la littérature... et l'art culinaire. Que mes amis cuisiniers me pardonnent, mais je me satisfais mal d'une cuisine simplement techniquement satisfaisante. En revanche, je chéris encore le souvenir de ces rares plats où des larmes me sont venues aux yeux, où j'ai eu cet éblouissement intérieur devant la beauté (en goût !) des mets qui m'étaient servis. Cela, c'est quelque chose que nos jeunes amis méritent de connaître, et, à défaut qu'ils l'aient vécu eux-mêmes, nous avons une sorte d'obligation de leur en montrer l'existence. Oui, il y a des artistes culinaires, qui éblouissent, et pas seulement par l'usage de l'argument d'autorité, mais par l'exercice de leur art ! Maintenant, pour les sciences de la nature, il y a donc la gastronomie moléculaire, qui a été formellement créée en 1988, et qui se développe dans le monde entier, à la recherche des mécanismes des phénomènes : un soufflé gonfle, un viande brunit, une crêpe se perce de petits trous, un haricot vert jaunit un peu... Pour tous ces phénomènes, il y a des mécanismes, et, depuis quelques décennies maintenant, la gastronomie moléculaire explore ces phénomènes, à la recherche des mécanismes. Évidemment il faut commencer par établir les phénomènes. Par exemple, récemment, nous avons observé que des navets caramélisés à blanc perdaient 40 pour cent de leur masse, de leur eau : il y a lieu d'explorer ce phénomène, de l'établir pour des légumes de diverses sortes, et c'est quand cette première étape sera faite, laborieusement, que nous pourrons passer à la suite, à savoir l'établissement d'équations qui décriront le phénomène, avant de passer à la suite, laborieusement, à savoir la recherche de mécanismes quantitativement compatibles avec les équations. Puis viendra l'étape suivante, laborieuse encore, qui consistera à chercher des conséquences de notre théorie pour nous mettre nous-mêmes à en chercher une réfutation, et ainsi de suite. On voit bien, à cette description, que la gastronomie moléculaire n'a en réalité que faire de l'art culinaire ; elle a suffisamment à faire avec la composante technique de la cuisine, tant le nombre de phénomènes inexplorés reste considérable. On a vu, d'autre part, combien les explorations sont longues, laborieuses, de sorte qu'avant d'avoir terminé l'examen des phénomènes, de la technique culinaire, il se passera sans doute des siècles. Aurons-nous fait quelque chose d'inutile ? Certainement pas, car tout fait établi est un fait établi, et constitue un socle sur lequel peuvent s'ériger science, technologie et technique. La gastronomie moléculaire est une science merveilleuse, et les enjeux sont si grands (agrandir le territoire du connu) que cela vaut la peine que nous nous y consacrions sans relâche. Jamais cette activité ne se confondra pour autant avec l'art culinaire. 

Vive la Connaissance (bien) produite et (bien) partagée !

mardi 9 juillet 2024

Les six conseils de Michael Faraday

 
Vérifier ce que l'on nous dit. 

Ne pas généraliser activement. 

Avoir des collaborations. 

Entretenir des correspondances. 

Avoir tout sur soi un soin calepin pour noter les idées.

Ne pas participer à des controverses. 

 

Voilà les six conseils que le physicien anglais Michael Faraday avait trouvé dans un traité d'amélioration de l'esprit du clergyman Isaac Watson. Ces six conseils furent essentiels, pour lui, dont le père était mort quand il était encore jeune. 

On n'a pas assez dit l'importance des groupes de réflexion, et je ne suis pas sûr que tous les élèves, dans les écoles, connaissent l'existence de ces groupes. Voilà pourquoi, parmi mille autre raison, l'histoire de Michael Faraday est importante. Le mercredi soir, ce jeune apprenti relieur qu'était Faraday rejoignait un groupe de personnes du même âge que lui, dans la City, à Londres, et ils discutaient de divers sujets, un peu comme cela se fait dans les loges maçonniques. Chacun devait travailler un thème et l' exposer aux autres, qui en discutaient la qualité, l'intérêt et la pertinence... 

Personnellement, j'ai eu la chance de voir mes parents faire de même, le soir, après le travail, après le dîner, partir en ville retrouver des collègues devenus des amis pour discuter de leur métier, mais non plus dans la pratique de ce dernier ; plutôt dans son analyse. C'est ce qui fait toute la différence entre la technique et la technologie, entre le technicien et le technologue. À l'époque de Faraday, la science était en vogue, parce qu'elle était encore accessible à n'importe qui dans sa pratique. C'était la grande mode de l'étude de l'électricité, pour laquelle il suffit d'une boussole, pour détecter un champ magnétique, d'une pomme de terre et de deux fils métalliques pour faire une pile... Et c'est ainsi que Faraday, ayant entre les mains le livre The improvement of the mind, en tira des règles de vie qu'il s'appliqua toute la vie. 

L'histoire de Faraday montre comment l'application de ces règles fut à l'origine de son immense succès. 

 

1. Ne pas généraliser hâtivement : c'est bien là une règle essentielle en sciences, où, certes, il faut voir la généralité à partir de cas particulier, ce qui se nomme induction, mais où il faut prendre garde à ne pas prendre ses désirs pour des réalités. La nature a ses voies, qui ne sont pas celles de nos désirs. La science explore les phénomènes, et elle ne confond pas ces derniers avec nos idées sur le monde. Cela fait toute la différence entre la science et la pensée magique, exposée dans d'autres billets. Oui, il faut généraliser, mais non, il ne faut pas généraliser hâtivement. En sciences, il faut des répétitions, des expériences, des répétitions des mesures, des répétitions des observations, l'accumulation d'un très grand nombre de données pour finalement arriver à quelques conclusions, qui permettront de bâtir des théories. 

2. Avoir toujours sur soi un calepin pour noter les idées : cette fois, il y a un conseil absolument essentiel. Dans cette proposition, l'objectif semble de noter les idées. Mais pourquoi noter les idées ? Pour plusieurs raisons. Tout d'abord, les idées sont fugaces, et il arrive bien souvent qu'une idée qui n'est pas notée disparaisse. C'est vraiment dommage si cette idée est bonne, si l'on s'est échiné à la trouver. D'autre part, nous devons avoir l'esprit libre pour penser, et une difficulté que j'analyse chez certains étudiants, c'est que leur vie est pleine de complexités (familiales, sentimentales, financières...), ce qui les gêne pour manier les idées qui sont au centre de leur travail. Quand les parents divorcent, quand on n'a pas assez d'argent pour payer le loyer, quand on a des problèmes de coeur…, comment avoir l'esprit libre pour penser ? Il se trouve que le simple fait de noter les choses permet à la fois de s'en vider la tête et de les avoir ensuite sous les yeux à volonté. Aristote, le grand Aristote, disait que l'écriture était la mort de la pensée, et je ne suis pas d'accord avec cette proposition, car sa généralité est excessive. Bien sûr, écrire et penser sont deux choses différentes, mais précisément poser par écrit est une bonne façon de conserver les idées pour plus tard. Il y a la question de la production de la pensée, et celle de sa conservation. De surcroît, écrire les idées impose de les formuler, et, là, on doit penser au mathématicien Henri Poincaré, qui a clairement expliqué que sa difficulté n'était pas de produire des nouveautés mathématiques, mais de trouver les mots pour décrire ces nouveautés qui étaient spontanément nées en lui. On retrouve avec une telle déclaration le grand débat agité par Condillac et Lavoisier sur les rapports entre la science le langage, avec cette idée selon laquelle on ne peut pas améliorer les sciences sans perfectionner le langage et vice versa. On le voit, les grands anciens se sont préoccupés de cette question des mots, car il est bien vrai que nos théories scientifiques s'expriment en équations c'est-à-dire in fine en mots, puisque ce fut l'apport de penseurs comme Descartes et Leibnitz que de forger un langage plus facilement manipulable que les mots du langage naturel ; mais un langage quand même. Ce fut d'ailleurs la grande question de la création de la chimie moderne avec Lavoisier que de savoir les relations entre les dénominations et les objets de la chimie, question qui fut reprise avec brio par le chimiste français Auguste Laurent quelques décennies plus tard. 

3. Ne pas participer à des controverses : dans la mesure ou la science n'est que proposition de théories et évocation de mécanismes, on comprend qu'il puisse y avoir des théories concurrentes, des mécanismes différents pour décrire le même phénomène. Et l'on comprend que certains individus qui sont dans l'acte de création puissent parfois avoir une fierté (on aurait pu dire ego) qui déborde un peu. Après tout certains ont besoin de s'affirmer avant de pouvoir affirmer, prétendre, proposer des idées. Le monde scientifique, fait de créateurs comme le monde artistique, est composé de beaucoup d'individus à l'ego puissant. Il faut faire avec, mais il est vrai que la rencontre de deux théories concurrentes risque de tourner à la controverse. Pourtant, les belles personnes qui se préoccupent avant tout d'étendre le royaume du connu, plutôt que de s'affirmer personnellement, n'ont pas de raison de participer aux controverses. Si le but est véritablement de trouver les mécanismes des phénomènes, alors il vaut bien mieux considérer avec intérêt des théories concurrentes avant de trancher abruptement et de se faire des ennemis. Nous avons beaucoup trop besoin d'amis, et surtout d'amis merveilleux (pléonasme ?) pour en perdre quelques uns en route. Nous avons besoin de discuter avec nos amis, d'analyser les propositions, d'en peser les intérêts et les failles, en vue de trouver finalement celles qui s'imposeront, parce qu'elles conduiront à des meilleures descriptions du monde. On doit se rappeler avant tout que voilà l’objectif : ne pas s'affirmer, mais plutôt identifier les mécanismes des phénomènes, mieux comprendre le monde. De là l'idée de Faraday : ne pas participer à des controverses, mêmes si l'on participe à des discussions scientifiques. Mieux encore, nous devrions être capables de préférer être réfuté à voir nos théories s'imposer si elles sont par trop insuffisantes. Pour ce qui est de Faraday, il avait résolu la question en travaillant seul ou avec un technicien qui l'aidait. Mais il n'allait guère dans les cercles scientifiques après avoir été nommé directeur de la Royal Institution. Certes il assistait à toutes les conférences du vendredi qu'il avait initiées, mais il invitait les collègues à les faire. Là, il ne discutait pas de théories opposées, mais il voyait des expériences et les choses de façon plus détachée. Et puis il y avait les faits… car les expériences montraient les faits. C'était sa façon, parfaitement respectable, et qui allait avec cette phrase. 

4. Avoir des collaborations. Là Faraday a retenu cette idée, mais il l'a peu mise en pratique. En réalité, il a peu collaboré. Sa timidité, sa gentillesse, ou peut-être sa sagesse l'ont éloigné des collaborations, et il travaillait dans le calme, se parlant à lui même, notant ses idées dans ses carnets, pouvant passer des jours dans son laboratoire, tout entier consacré à sa recherche, sans un mot. Pour autant, on peut aussi également imaginer l'inverse : des travaux d'équipe. Cela est aujourd'hui très à la mode : le mot "collaboratif" est partout, peut-être trop. Dans bien des travaux de science moderne, nous avons besoin de collaborations, ou nous pensons en avoir besoin. Nous en avons besoin, par exemple, pour la détection du boson de Higgs ou des ondes gravitationnelles. Mais il y a toute une place où ces collaborations ne sont pas nécessaires. Bien sûr, les scientifiques confirmés ont un devoir de transmission (ce qui n'est pas une « collaboration »), à savoir que, ayant bénéficié d'une formation par de plus anciens, nous avons le devoir de former de plus jeunes, ou, disons le mieux, d'aider de plus jeunes à se former, car pourquoi penserons nous que notre modèle est bon ? Surtout, dans cette discussion, je propose de ne pas perdre de vue l'idée qu'il existe divers sports : individuels comme la gymnastique, ou collectifs comme le rugby. Il y a des individus qui se sentent mieux à jouer au rugby, et d'autres à faire de la gymnastique. Les divers sports nécessitent différentes capacités, et il n'y a pas de raison pour laquelle nous devrions tous faire du rugby, ou tous faire de la gymnastique. Après tout, des Faraday, Einstein, Planck, ont été très individualistes, et je ne vois pas en quoi on pourrait leur reprocher, vu les résultats admirables qu'ils ont obtenus. Donc, avoir des collaborations, pourquoi pas, mais cela n'est pas une obligation,et, j'y reviens, Faraday donnait ce conseil sans se l'appliquer à lui-même. 

5. Vérifier ce que l'on nous dit : là, Faraday donne encore une règle générale de vie, mais je ne peux m'empêcher de la prendre dans le cadre scientifique, ce qu'il fit également. Pour la gastronomie moléculaire, il a été essentiel, au début, de savoir résister aux arguments d'autorité, et ne pas accepter des idées qui n'étaient pas testées. Le monde de la cuisine est plein d'idées fausses qui se sont propagées avec les siècles. Il a été très important, en de nombreuses circonstances, d'apprendre à tester les idées avant d'en chercher des interprétations. Parfois, nous avons été heureusement surpris de voir que des idées qui semblaient fausses étaient en réalité justes, mais nous avons aussi vu de nombreux cas où des idées qui semblaient justes, ou simplement plausibles, était très fausses. Tout cela, c'est le groupe des "précisions culinaires", ces ajouts techniques à ce que j'ai nommé des définitions. Il y a des précisions culinaires de toutes sortes, et, avec les années, j'ai bien appris à ne jamais chercher d'interprétations à des phénomènes qui n'avaient pas été avérés préalablement grâce à des expérimentations, car que je me mords encore les doigts de cette expérience que j'avais faite en 1992 et qui consistait à emporter une bouteille de diazote gazeux jusqu'en haut d'une montagne où nous avions un colloque, afin de voir pourquoi les blancs d’œufs montés en neige et redescendus ne remontaient pas. J'avais cru, à cette idée qui m'avait été donnée par des chefs triplement étoilés, et j’avais fait l'expérience de battre des blancs neiges sous diazote, de les laisser redescendre, et de les battre à nouveau ensuite. Il étaient remonté, de sorte que j'avais hâtivement conclu que c'était l'oxygène qui étais responsable du fait que des blancs de battus en neige et redescendus ne remontent pas. Pourtant, de retour au laboratoire, au calme, j'ai simplement battus des blancs, je les ai laissé redescendre, et ils ont parfaitement remonté, de sorte que tous les ennuis associés au transport d'une grosse bouteille de diazote en haut d'une montagne auraient été évités si le phénomène avait été d'abord testé simplement. Avec les années, j'ai vu se multiplier les réfutations des idées écrites par des chefs étoilés, et aujourd'hui je sais combien la phrase de Michael Faraday est juste. 

6. Entretenir des correspondances : on retrouve ici la discussion sur l'emploi des mots, et le petit calepin que l'on a sur soi pour noter les idées. Les correspondances sont un autre moyen d'exprimer clairement les choses, et cela peut être une aide que de s'adresser à autrui, au lieu de se parler à soi même en prenant pour acquis des choses qui ne sont pas assurées. Mais ce n'est pas le seul intérêt des correspondances. Les échanges scientifiques sont aussi une façon de partager le bonheur de la recherche scientifique, de se convaincre quotidiennement que la recherche scientifique est quelque chose de merveilleux, d'avoir des amis à qui l'on peut parler de ce bonheur, ce qui l'augmente encore, et d'avoir parfois un regard critique sur nos propres travaux. Dans mon cas, j'ai toujours considéré comme important d'avoir quelqu'un qui me donne des coups de pieds aux fesses. Pendant longtemps, ce fut Nicholas Kurti, puis quand il est mort, Georges Bram, chimiste de l'Université d'Orsay, avait accepté de jouer ce rôle. C'est un rôle amical, évidement, puisqu'il faut l'attention d'un ami qui observe nos travaux avec bienveillance, qui y passe du temps. Bien sûr, avec les années, j'ai appris à me donner à moi-même des coups de pied aux fesses. Reste que la correspondance, c'est aussi un moyen de dire les choses de formuler des concepts, d'expliciter les notions, de décrire les méthodes.

lundi 8 juillet 2024

A propos de vulgarisation

 Ce matin, on m'interroge sur la vulgarisation, ce que je préfère nommer "diffusion des connaissances scientifiques, technologiques et techniques". Les questions sont essentielles, et j'y réponds donc publiquement... en commençant par expliquer pourquoi la terminologie "vulgarisation scientifique" ne me convient pas. Le TLIF définit la vulgarisation comme le "fait de diffuser dans le grand public des connaissances, des idées, des produits". 

Ce qui me gène, c'est ce "grand public", que l'on identifie mal. Je vois surtout que des amis professeurs de droit connaissent aussi mal les sciences de la nature que je connais le droit, par exemple. Font-ils partie du "grand public" ? Et moi, fais-je partie du "grand public" ? Certains utilisent le terme de "médiation", mais c'est une fonction spécifique, que de servir d'intermédiaire (sous-entendu entre les scientifiques et les non scientifiques). Et puis, dans "médiation scientifique" (comme d'ailleurs dans "vulgarisation scientifique", il y a cette faute, ou ambiguïté pour être plus indulgent, du partitif) : la médiation n'est pas "scientifique" : c'est une médiation entre le monde scientifique et le public. 

Avec "diffusion de connaissances scientifique, technologiques et techniques", on a une terminologie bien meilleure de nombreux points de vue. D'une part, il est juste de dire que l'on diffuse des connaissances ; il est juste de reconnaître des différences entre les sciences de la nature, la technologie, la technique. 

 

Pourquoi vulgarisez-vous ?

Pourquoi me suis-je astreint à cette diffusion qui prend du temps à ma recherche scientifique ? C'est mon action politique ! Depuis 1980, date à laquelle j'avais commencé à collaborer à la revue Pour la Science, j'ai cette idée que le monde a besoin de plus de rationalité, d'un idéal plus élevé que le panem et circenses méprisant qui fait la devise de media hélas trop nombreux, populistes, démagogues, honteux en un mot. 

Je veux que la bonne monnaie chasse la mauvaise, parce que je sais que chacun d'entre nous risque toujours d'être happé par son animalité : le sexe, la "bouffe", les drogues (alcools, tabac, gras, sucre, sel...), la socialité mal digérée... Être humain, cela s'apprend, cela se travaille, cela s'élabore, par un effort de tous les instants... Enfin, "effort".... Il faut surtout que des "amis" nous aident à découvrir les beautés du monde : j'aime le guide de musée qui nous fait voir la petite mouche peinte en bas à gauche d'un tableau (je ne prends pas l'exemple par hasard, mais ce serait trop long d'expliquer) ; j'aime le musicien qui me montre l'endroit où la partition reprend la tonalité initiale, qui m'explique ce qu'est le contrepoint, sur des exemples simples... ; j'aime l'écrivain dont les mots me font chavirer le coeur ; j'aime le botaniste qui me montre, au bord du chemin, des fleurs sur lesquelles j'aurais marché par mégarde... Le monde n'est pas ennuyeux par uniformité, mais par désinvolture et ignorance. 

Pour les sciences de la nature, il en va de même, et c'est un des objectifs de mes billets de blogs, de mes articles, de mes livres, de mes vidéos, de mes podcasts audio que de chercher à montrer combien la vie est belle, combien le monde est beau. On m'a offert comme cadeau, le jour de ma remise de Légion d'honneur, cette phrase "L'enthousiasme est une maladie qui se gagne"... que j'ai commentée ici : http://hervethis.blogspot.fr/2016/08/lenthousiasme-est-une-maladie-qui-se.html. 

Oui, à moi de montrer que le trouble de l'eau de chaux par le souffle est quelque chose de merveilleux. C'est ce à quoi je m'astreins... sans prétention, avec un enthousiasme d'enfant, pas supérieur. D'ailleurs, je ne cesse de me lamenter de ce que je ne sais rien : je suis imparfait, mais je me soigne... en découvrant moi-même combien le monde est merveilleux. Ce fut la teneur de mon livre "La sagesse du chimiste". 

Surtout je crois que le siècle des Lumières n'a pas encore vraiment commencé, si je puis dire. Il faut de la rationalité, il faut de la tolérance, il faut abattre les idoles, les pouvoirs indus, il faut promouvoir de l'idéal et de la paix ! La diffusion des connaissances scientifiques, technologiques, techniques, en plus de contribuer au bien être de nos sociétés, vise à plus d'harmonie dans ce monde. Pardon d'être naïf, mais c'est un parti pris... qui va d'ailleurs avec l'une de mes devises : "Le summum de l'intelligence, c'est la bonté et la droiture". 

 

Que pensez-vous de la vulgarisation faite par des non-scientifiques ?

 Qui peut distribuer des connaissances scientifiques ? Ceux ou celles qui le peuvent ! Tous... à condition de travailler. Chacun peut faire l'effort, mais il ne suffit pas de claquer des doigts, et, surtout, il vaut mieux avoir fait le travail de savoir de quoi l'on parle, afin d'éviter de dire des choses fausses.

 Cela fut le début d'une amitié avec le chimiste belge Jacques Reisse : lors d'un colloque organisé par Georges Bram et Alain Fuchs, j'avais été chargé d'une présentation sur cette question, et je soutenais que les scientifiques peuvent faire de l'excellente diffusion des connaissances... à condition de ne pas se raidir dans une rigueur excessive qui fait tomber à plat leur discours (pour expliquer quelque chose à quelqu'un, il faut quand même s'assurer qu'il nous comprend, non ?), et que des non scientifiques peuvent effectivement faire de la diffusion des connaissances scientifiques... à condition de comprendre ce dont ils parlent. C'est d'ailleurs l'idée de la revue <em>Pour la Science</em>, à laquelle j'ai contribué pendant 20 ans : il y a moins de "journalistes scientifiques" que d'éditeurs, à savoir que je préfère la position de celui ou celle qui aide les scientifiques à produire des discours clairs, traquant les difficultés, les obscurités... 

Une sorte de maïeutique, comme je l'explique ici : <a href="http://www.agroparistech.fr/Une-presentation-scientifique-De-quoi-s-agit-il.html">http://www.agroparistech.fr/Une-presentation-scientifique-De-quoi-s-agit-il.html</a>. 

Pour en revenir à la question posée, je crois que tout est possible à deux conditions : - il faut la volonté de bien faire - il faut du travail (ne rien lâcher, jamais, et se souvenir de choses simples, à savoir que les mots ont un sens!) 

 

Quel est selon vous le critère principal d’une bonne vulgarisation ? 

Qu'est-ce qu'une bonne diffusion de connaissances ? Celle qui donne du bonheur ! Il faut ce moment où l'esprit s'illumine. Et, notamment, ce sentiment de devenir capable. J'aime moins apprendre que la fusée a décollé, que de comprendre comment elle a décollé, comment des efforts importants ont fait décoller la fusée. 

Cela, c'est pour de la technologie, mais pour de la science, je veux comprendre l'idée de fond de la théorie de la renormalisation, je veux voir les électrons s'échanger lors d'une réaction chimique, je veux comprendre la dualité onde-particule, je veux comprendre la structure de la matière... # Plus généralement, je veux devenir demain plus intelligent qu'aujourd'hui, et cela passe, me semble-t-il, moins par des données que par des notions, concepts, méthodes. C'est d'ailleurs la structuration de beaucoup de mes cours : je propose aux auditeurs de distinguer, dans mon discours, les informations (on le trouve sur internet, et l'on n'a pas besoin de moi), les notions et concepts (l'énergie, la température, l'électron, l'entropie...), les méthodes (essentielles ! ), les anecdotes, et les valeurs (j'y reviens : la diffusion des connaissances est politique, essentiellement politique). 

Mais, surtout, je crois hélas que nous avons manqué notre but, pour l'instant, et l'un de mes billets de blog explique quelle devrait, je crois, être l'ambition de la diffusion des connaissances scientifiques et techniques, à savoir expliquer les calculs qui font que la science n'est pas réductible à un discours un peu poétique. 

Surtout, je rappelle que les sciences de la nature progressent par la méthode suivante : - observation d'un phénomène (il faut l'identifier, le circonscrire...) - caractérisation quantitative du phénomène : d'innombrables mesures - réunion des caractérisations quantitatives en "lois", c'est-à-dire en équations - recherche des mécanismes par "induction" : les théories sont guidées quantitativement par les lois - recherche de prévisions expérimentales déduites des théories proposées - tests expérimentaux des prévisions - et ainsi de suite. 

Dans cette description (je renvoie vers mon livre "Cours de gastronomie moléculaire N°1 : Science, technologie, technique (culinaires): quelles relations?"), on voit que le calcul est partout, que les équations sont partout, et que la science, sauf à n'être qu'une descriptive collection de papillons, n'est que du calcul. D'où mon idée que la "vulgarisation" fait rarement le vrai travail qu'elle devrait faire, à savoir donner l'idée de ces équations, de ces calculs. A ne donner que des mots pour décrire des résultats, on fait du dogme inutile. 

D'où la difficulté de la bonne diffusion des connaissances scientifiques, technologiques ou techniques, dont l'ambition, je le répète, est de contribuer au développement de "l'intelligence".

dimanche 7 juillet 2024

Tout fait d'expérience, tout résultat de calcul, gagne à être considéré comme un cas particulier de cas généraux que nous devons inventer


Tu sais quelque chose ? Quelle est ta méthode ? Fais-le, et, en plus, fais-en la théorisation. Le titre de ce billet est affiché sur les murs de notre laboratoire. Pourquoi ? 

Pour répondre, il convient d'abord d'évoquer les documents que nous nommons les « Comment faire ?», et qui sont une façon d’améliorer la qualité de nos recherches. Il convient également d'évoquer la méthode que nous mettons en œuvre pour notre travail scientifique. Tout est fondé sur l'observation selon laquelle un travail doit avoir un objectif, lequel détermine une stratégie, une méthode, un chemin. 

Une métaphore s'impose. Etant à Paris, si nous ne savons pas que nous voulons aller à Colmar, nous n'arriverons jamais à Colmar, mais nous risquons d'arriver à Rennes, ou à Bordeaux. Il faut donc que l'objectif soit parfaitement clair pour que nous ayons une chance de l'atteindre. L'objectif étant clair, c'est-à-dire Colmar étant décidé comme notre destination, alors nous pouvons chercher un type de chemin, c'est-à-dire la voie ferrée, la voie des airs, la route… Cela, c'est la stratégie, la "méthode", du mot grec methodon, qui signifie le chemin. 

Une fois le chemin déterminé, alors il devient possible de déterminer les différentes étapes dudit chemin, et cela est la tactique, l’analyse détaillée des étapes qui nous conduiront à l'objectif. 

En sciences de la nature il en va de même, à savoir qu'il faut que notre objectif soit clair pour que le chemin puisse être défini. Bien sûr, l'objectif général des sciences de la nature est de faire des découvertes, mais il y a aussi les différentes étapes de cette recherche, qui sont l'identification des phénomènes, leur caractérisation quantitative, la réunion des caractérisations quantitatives en lois synthétiques (des équations), la recherche de mécanismes par induction, à partir de ces lois, la recherche de prévisions théoriques qui découlent des théories proposées, le test expérimental de ces conséquences, et ainsi de suite. Pour toutes ces opérations, il y a des sous-objectifs, des sous-tâches. Pour chacune, modeste ou pas, il y a lieu de bien identifier l'objectif correspondant et, donc, de déterminer la méthode, le chemin qui y conduit. 

Par exemple, peser : cela semble élémentaire, mais nous verrons que, au contraire, il y a lieu d'y passer du temps. Peser semble simple, puisqu'il s'agit « seulement » de déterminer la masse d'un objet avec une balance. Toutefois une balance est nécessairement imparfaite ; elle vibre, elle est « bruitée », de sorte que la valeur cherchée est en réalité inaccessible. Si l'on se représente les valeurs que l'on peut obtenir par la balance, de précision limitée, on a des graduations sur une règle. De sorte que l'on ne pourra jamais trouver la valeur vraie de la masse pesée, car la probabilité que cette valeur corresponde exactement à une graduation est mathématiquement nulle. 

Autrement dit on cherche une valeur sans avoir la moindre chance de l'atteindre, de sorte qu'il faut mieux savoir d'emblée que l'on cherche moins la masse exacte qu'une valeur approchée. Du coup, la méthode peut changer, et le chemin aussi. Dans un tel cas, pour l’utilisation d'une balance, il y a de nombreuses choses à savoir. Par exemple, qu'il faut mettre la balance bien d'aplomb grâce au niveau à bulles dont elle est équipée. Il faut aussi contrôler la balance à l'aide d'un étalon que l'on conserve au laboratoire, la tarer correctement, etc. 

Nos documents intitulés « Comment faire » sont précisément des descriptions de tout ce que nous devons faire pour avoir une chance d'obtenir un résultat admissible. Ces documents concernent la totalité des actions que nous faisons, et c'est une des règles de notre groupe de recherche que de proposer à chacun de ne jamais se mettre en chemin sans avoir réfléchi à la stratégie et à la tactique. 

C'est cela que j'entendais par « théorisation », et il est remarquable d'observer que chaque acte intellectuel ou manuel mérite un « Comment faire », une réflexion théorique. Par exemple, quand nous présentons un poster : comment bien faire ? Par exemple quand nous préparons une solution : comment bien faire ? Par exemple quand nous encadrons un stagiaire, comment bien faire ? Pour chaque tâche, un document intitulé « Comment faire ? » s'impose. Mieux encore, ces documents méritent d'être le résultat d'un travail collectif, progressif, à savoir que la proposition d'un membre de l'équipe peut être améliorée par d'autres, ce qui conduit à une proposition améliorée, qui sera encore améliorée par d'autres, et ainsi de suite à l'infini : car tout ce qui est humain est imparfait, de sorte que si nous ne sommes pas paresseux, nous avons une sorte d’obligation morale d'améliorer.

samedi 6 juillet 2024

Le soliloque et le calcul


En discutant de simplicité, il m'est venue une idée : celle d'un soliloque « mathématique ». De quoi s'agit-il ? Pour mieux cerner la notion, il faut revenir à l'idée de départ, qui était celle du soliloque. 

Le soliloque est une méthode que j'ai proposée il y a plusieurs années et qui consiste à développer successivement une idée, exprimée par une phrase, à partir de chacun des mots utilisés dans la phrase, puis on répète l'opération. On part de l'énoncé d'une idée, on discute chaque terme, puis on discute alors les termes nouvellement énoncés, et, se construit ainsi, quasi automatiquement ; un discours buissonnant, et donc nécessairement un peu baroque, que l'on peut ensuite « mettre au carré ». 

J'aime assez la comparaison avec un buisson, où des tiges croissent, un peu en désordre, s'entourent de rameux, de feuilles, de sorte qu’immanquablement on arrive à une touffe désordonnée, sans beaucoup de construction apparente, et qu'il faut ensuite rabattre, pour donner une forme voulue. 

Cette méthode du soliloque, nous l'utilisons largement au laboratoire, mais avec des mots du langage naturel, et je n'oublie pas que certains d'entre nous sont si familiers avec les équations, le calcul, les mathématiques, qu'ils en viennent à calculer comme le rossignol chante. 

L'idée qui m'est venue hier, c'est celle d'un soliloque « mathématique », avec des équations que l'on enchaîne ainsi, les unes à la suite des autres. On sait que je distingue deux activités, à savoir les mathématiques et le calcul, la différence portant sur l'objectif : pour les mathématiques, il s'agit de développer… les mathématiques; pour le calcul, il s'agit d'utiliser les mathématiques pour décrire des phénomènes de la nature. Bien sûr, on peut faire de la physique "avec les mains" (cela signifie "avec des mots du langage naturel"), mais il y a alors deux cas : la vulgarisation, que je ne considère pas ici, et pour laquelle les équations sont hors sujet, et cette physique telle que la faisait Pierre-Gilles de Gennes, où presque tout tient dans des lois générales telles que « la surface varie comme le carré du rayon ». Dans un tel cas, on peut y mettre des mots, mais ils sont en réalité inutiles, où, plus exactement, ils ne semblent servir qu'à définir les objets mathématiques que l'on utilise ensuite : on aurait ainsi pu dire A ∼ r2. C'est pour cette activité-là qu'un premier soliloque mathématique est possible. 

 

Mais il y en a un deuxième, un soliloque mathématique proprement dit, pour des mathématiques, et l'on ne saurait en discuter sans se souvenir que Henri Poincaré proposait que les mathématiques ne soient pas déductives, mais inductives. Quel nom pour ces soliloques-là ? Stricto sensu, on ne doit nommer « soliloque mathématique » que celui que je viens de considérer, où il est question de mathématiques, et non de calcul. Pour les sciences de la nature ? Cette fois, il ne s'agit pas de mathématiques, mais de calcul. Devrions-nous dire soliloque calculatoire ? La terminologie n'est guère jolie. Soliloque équationnel ? Là encore, ça sent un peu la transpiration. Soliloque théorique ? Ce serait un peu idiosyncratique, avec l'hypothèse implicite que nous ne considérons que la nature. Soliloque formel ? Cette fois, c'est plus conforme à l'idée que les sciences de la nature font usage de formalismes. 

Je propose de rester à cette terminologie, et à l'envisager maintenant plus en détail. Comment faire un soliloque formel ? Je propose que nous considérions d'abord un cas particulier, et notamment un cas tout récent d'un calcul effectué hier sur la quantité de graisses perdues lorsqu'on extrait ces dernières à l'aide d'un solvant organique. La description initiale consiste à décrire le "modèle", par exemple de façon simple, en imaginant un "compartiment" avec de l'eau et de la graisse, un solvant que l'on pose dessus, et qui extrait la matière grasse en laissant une partie de celle-ci dans le compartiment aqueux. Chaque compartiment est alors caractérisé quantitativement, formellement, par une masse d'eau, de solvant, de graisse présente dans ce compartiment particulier. Ce premier calcul étant fait (il est simple), on développe, en revenant sur chaque notion : par exemple, on considère que la graisse initiale peut-être sous trois forme : surnageant, en solution, en suspension sous la forme de gouttelettes... et l'on écrit les équations de ces trois formes, tout au long du processus d'extraction. Ce second "modèle" étant fait, on peut faire mieux, en considérant que les graisses sont de plusieurs sortes, de sorte que l'on divise la partie "graisses", et attribuant des comportements différents aux graisses solubles dans le solvant, et aux graisses qui ne sont que partiellement solubles. Et ainsi de suite à l'infini. 

Ce soliloque se distingue-t-il d'autres formes plus classiques de modélisation ? Oui... mais je le discuterai une autre fois.

vendredi 5 juillet 2024

Soyons simples : qu'est-ce qu'une mousse ?

Hélas la familiarité avec les objets de mes études me font parfois oublier d'être simple, d'expliquer correctement ce dont je parle.
Et là on vient de me faire observer très justement que les mots "mousse" et "émulsion", que j'utilise sans cesse et que je croyais bien connus, ne le sont pas. J'ajoute que je vois comme très  légitime que certains de mes amis veuillent être fixés sur des mots que nous utilisons souvent. 

Commençons par le mot mousse, qui désigne ce qui apparaît dans de l'eau savonneuse que l'on agite. Si l'on regarde, simplement, on voit des bulles à la surface de l'eau. Ces bulles forment donc une mousse :   une mousse est définie comme une dispersion de bulles de gaz dans un liquide. 

On trouve cela dans du blanc d'oeuf que l'on bate en neige, où l'on voit bien les bulles au début du battage, même si, à la fin, elles sont trop petites pour être visible à l'oeil nu. 

On les voit moins bien dans de la crème que l'on fouette, mais elles sont encore bien présentes, et c'est leur introduction dans la crème qui donne du volume à cette dernière. 

Les bulles d'air sont également présentes dans diverses préparations alimentaires liquides, telle de la tomate broyée pour faire un gaspacho  : on ne voit pas les bulles mais elles sont présentes, et notamment quand on utilise un siphon. 


Les émulsions sont des systèmes différents : cette fois, il s'agit de disperser un liquide dans un autre liquide avec lequel il ne se mélange pas.

Par exemple de l'eau et de l'huile. Ainsi, si l'on met de l'eau dans un verre et si l'on ajoute de l'huile par-dessus, alors l'usage d'un pied mixeur fait apparaître une sorte de "crème", qui est donc une dispersion de gouttelettes d'huile dans l'eau : c'est une émulsion. 

Dans un tel cas, l'émulsion est très instable : on voit, dès que le battage cesse, des gouttes d'huile remonter vers la surface, fusionner et reformer une couche continue. On dit que l'émulsion a été déstabilisé par "coalescence" des gouttes d'huile. 

Dans d'autres cas, l'émulsion est beaucoup plus stable. Par exemple, si l'on fait la même expérience mais avec un blanc d'oeuf et de l'huile, on forme une espèce de crème blanche que j'ai nommée "geoffroy" et qui est une émulsion de gouttelettes d'huile dispersées dans l'eau. 

La mayonnaise est une émulsion également  : cette fois, c'est le jaune d'œuf qui apporte à la fois l'eau et les molécules qui permettront la stabilisation - relative d'ailleurs- de l'huile. 

La mayonnaise et le prototype de l'émulsion culinaire mais il y en a bien d'autres : le lait, la crème sont des émulsions naturelles, et il n'est donc pas étonnant que l'on puisse ajouter de la matière grasse à du lait ou de la crème pour obtenir des préparations encore plus épaisses. 

Le gaspacho, que nous avons évoqué, peut devenir une émulsion si l'on mixe  de l'huile d'olive dans la tomate broyée  : on voit la couleur rouge s'éclaircir, rosir,   signe que des gouttelettes d'huile ont été dispersées. 

La ganache également est une émulsion  : à de la crème chauffée, on ajoute du chocolat fondu qui vient se disperser en une myriade de petites gouttelettes qui s'ajoutent à celle des gouttelettes de matière grasse du lait. 

Mousses et émulsions sont cousines : dans les deux cas, il y a dispersion de structures dans une phase continue : soit des gouttelettes de liquide, soit des bulles d'air, mais toujours dispersées dans un liquide. 

Il existe un troisième cousin, à savoir les suspensions, mais  ce sera pour une autre fois

mercredi 3 juillet 2024

Nous devons comprendre !


Dans beaucoup de mes enseignements, je recommande aux étudiants de ne pas supporter de ne pas comprendre mais cette injonction est en réalité épineuse, parce que personne ne comprend tout bien sûr. Quand nous conduisons une voiture, comprenons-nous vraiment ce qui se passe sous le capot ? Savons-nous le détail de tout ce que nous faisons ? De même, quand nous utilisons un ordinateur, comprenons-nous bien tout ce qu'il fait ?
Derrière cette question, il y a la différence que je fais entre le conducteur et le mécanicien.
De fait, si nous supportons de ne pas comprendre comment fonctionne notre ordinateur, pourquoi devrions-nous nous comporter différemment au laboratoire ?
D'abord, parce que, pour le travail de laboratoire, c'est nous le mécanicien ! Mais, surtout, parce que, au delà de nos expérimentations, il y les "questions que nous posons à la nature" : nous devons lui parler dans sa langue, et sa langue est subtile. En outre, au-delà de la compréhension elle-même, il y a la compréhension que nous avons, la théorie que nous nous faisons des gestes que nous faisons, des phénomènes que nous observons.

Par exemple, quand nous préparons une solution, nous avons besoin d'un modèle pour nous demander si les molécules du soluté vont se disperser dans le solvant, ou bien s'agréger en microscopiques agrégats, ou bien se coller aux parois du récipient.

À tout moment, nous devons voir plus que le macroscopique : nous devons interpréter ce dernier en termes microscopiques, puis interpréter le microscopique en termes physiques, et interpréter le physique en termes moléculaires, chimiques.

Mais comprendre, cela signifie aussi avoir une idée quantitative des phénomènes, ce qui revient à calculer autant que nous ne pouvons à propos des divers paramètres pertinents des expérimentations.
Pour reprendre l'exemple de la concentration  d'un soluté dans une solution, combien y a-t-il de molécules de solvant pour une molécule de soluté ?

J'évoque ces questions, parce que je viens d'assister une soutenance où les étudiants n'ont pas fait très fort  : alors que nous avions commencé le semestre par de longs cours pendant  lesquels nous explorions les mécanismes des phénomènes, les travaux de laboratoire (en stage) qu'ils ont fait sont souvent des travaux techniques, sans référence aux phénomènes, aux mécanismes. Ils ont manifestement "conduit une voiture" :  ils ont montré des expérimentations en restant à l'apparence des phénomènes, sans chercher à comprendre. Ce qui est pire, n'ayant pas considéré les mécanismes des phénomènes, ils ont accumulé des expériences insensées, effectué d'innombrables tests sans intérêt, perdant temps, argent, énergie...  alors qu'une réflexion théorique très simple leur aurait permis de guider leurs expérimentations dans la bonne direction et, notamment de les conduire à des hypothèses qu'ils auraient pu tester.

La faute est partagée :  elle doit être attribuée aux étudiants, d'une part, mais aussi aux  enseignants, d'autre part,  puisqu'il n'a pas été clair aux étudiants qu'il s'agissait, dans ces deux cours, d'aller apprendre à chercher les mécanismes des phénomènes.

Comptez sur moi pour que, l'an prochain, cela soit indiqué en très grosses lettres !

Pour terminer, signalons que, après avoir accueilli des centaines d'étudiants au laboratoire, je peux certifier que les meilleurs d'entre eux étaient ceux qui s'interrogaient sur les mécanismes des phénomènes. Bien sûr, il y a une question de culture : ces étudiants là avaient connaissance des possibilités théoriques :  pour la capillarité, le transfert d'électrons, la pression de la place, le log P, et cetera. Mieux encore, certains étaient capables de mettre en œuvre ces connaissances pour en faire des compétences, comme le revendique le référentiel des stages à l'échelon national.

Pour être plus bref et mieux entendu, disons que les meilleurs étudiants sont comme des pitbulls de la connaissance : ils plantent les dents dans un objet intellectuel et ne le relâchent qu'après avoir parfaitement compris l'ensemble de la question.
 

dimanche 23 juin 2024

De la chimie, de la chimie, encore de la chimie, toujours de la chimie



Le goût général pour la simplicité a failli me faire faire une erreur : j'avais cru comprendre que l'on pouvait distinguer les transformations culinaires selon qu'elle s'accompagnaient ou non de modifications moléculaires, mais je viens de comprendre que non, toutes s'accompagnent de modifications moléculaires, de "réactions chimiques".

Par exemple, quand on cuit une viande, il est clair qu'il y a des coagulations dans la masse et éventuellement des brunissement en surface : dans les deux cas, il y a des réactions chimiques.
Inversement, on pourrait penser que la découpe d'une carotte ou la production d'un blanc en neige ne mettent pas en œuvre de réactions chimiques... mais cette idée est fausse,  et, à ce jour, je ne connais pas de transformation culinaire pour lesquelles il n'y ait pas de transformation moléculaires.

Par exemple, quand on fait une salade de carottes, la lame du couteau détruit au moins une couche de cellules, libérant leur contenu, ce qui correspond à l'humidité qu'on voit apparaître à la surface. Mais aussi, la dégradation des cellules sur le passage de la lame de l'économe libère des composés phénoliques et des enzymes  : les enzymes réagissent avec les  composés phénoliques pour faire brunir les tissus végétaux coupés. Il y a donc  (1) une action physique, (2) une modification microscopique et  (3) des transformations moléculaires.

Bien sûr, cela ne concerne qu'une couche de cellules mais au fond, dans un rôtissage rapide où l'on ne ferait brunir que la surface, il n'y aurait également que la surface qui serait concernée.

Pourrait-on  distinguer les transformations culinaires selon les ordres de grandeur de quantité de matériaux modifiés ? Par exemple distinguer une coagulation d'un blanc d'oeuf, où toute la masse du matériau est transformée, et une modification de surface ? On peut toujours, mais à quoi cela conduit-il ?

Continuons d'explorer la question, sur des cas pratiques, notamment en considérant le battage d'un blanc d'oeuf en neige.  Cette fois, on part d'eau et de protéines, souvent globulaires (à savoir que les molécules de protéines sont repliées comme des pelotes), et l'on fouette pour introduire des bulles d'air.
L'air n'est pas modifié, mais les protéines le sont : le cisaillement exercé par le fouet déroule les protéines, et c'est parce qu'elles sont ainsi "dénaturées" qu'elles peuvent se placer à la surface des bulles d'air, à l'interface entre l'air et l'eau. Là, on peut facilement calculer la quantité de protéines qui sont ainsi nécessaires pour obtenir un blanc battu en neige (un minimum de 1/10 000), mais quoi qu'il en soit,  alors que l'on pouvait croire que l'on aurait été dans le cas d'une transformation culinaire sans modification moléculaire, on s'aperçoit que l'on s'est trompé.
Considérons le cas d'une salade, maintenant : même en se limitant à la salade elle-même, il y a des modifications et notamment quand on déchire les feuilles (la proportion de tissu modifiée est 1/10 000 000)... mais l'effet est visible !
Et, quand on fait vraiment la salade, en la "fatiguant" avec la vinaigrette, l'effet est considérable, puisque l'huile adhère aux cires de surface, les désorganisant, et permettant l'interaction du tissus végétal avec le vinaigre, mais, aussi, avec une action mécanique dont on vait bien l'effet.  

Finalement, s'il y a transformation culinaire, c'est bien qu'il y a un effet, n'est-ce pas ? Et je crois que c'est un bon conseil, face à une transformation culinaire, de toujours considérer le phénomène d'abord du point de vue macroscopique, puis du point de vue microscopique, puis du point de vue moléculaire. Toutes ces modifications sont toujours présentes.

Car on se souvient que l'importance en "quantité" n'est pas prépondérante : une viande grillée seulement en surface prend ce goût qui la fait apprécier, alors même que la "quantité de transformation est faible. Et il ne faut pas oublier (voir Mon histoire de cuisine) qu'il y  différentes "dimensions", pour les aliments : la saveur, la couleur, l'odeur, la consistance, etc. Par exemple, au premier ordre de la composition chimique, le vin n'est que de l'eau, mais la saveur brûlante de l'éthanol, présent moléculaire au deuxième ordre seulement, est prépondérante, alors que la saveur de l'eau, présente au premier ordre, est très loin dans l'ordre des saveurs.

Bref, vive la chimie !

vendredi 21 juin 2024

A propos de coagulation de l'oeuf (suite)

La coagulation du blanc d'oeuf : quel volume maximum ?

Supposons que l'on dispose d'assez d'eau pour profiter pleinement des protéines d'un blanc d'oeuf qui formeraient un gel cubique en s'étendant complètement. Quel volume obtiendrait-on ?

Soit un blanc de 40 g.
Cela correspond à 4 g de protéines.

Supposons que toutes les protéines soient, comme pour l'ovalbumine, de masse molaire égale à environ 40000.
Le nombre de moles est alors
                           "4/40000"

 c'est-à-dire 1e-4.
Le nombre de molécules serait donc 1e-4 par 1e24 environ, soit 1e20.

Avec cela, supposons qu'on fasse un réseau cubique, ce qui signifie que pour chaque cube élémentaire on aurait trois arêtes en propres (je vais vite).
Cela signifie que le nombre de cubes élémentaires serait
                          "0.1e21*1/3"

 
Le volume du gel serait le volume d'un cube élémentaire par le nombre de cubes élémentaires.
Pour un petit cube, notre hypothèse considère que le côté est une protéine entièrement étendue.
Une protéine de 40 000 de masse molaire, c'est environ 200 résidus d'acides aminés.
Un résidu d'acide aminé, c'est environ 3 liaisons covalentes.
Donc la longueur de la protéine serait 200 fois 5 fois 1e-10.  Soit 1e-7 (m).
Le volume du cube élémentaire serait 1e-21
Le volume du cube élémentaire serait alors 1/3 1e20 fois 1e-21, soit 0.03 m3 (30 L).
 

jeudi 20 juin 2024

La "qualité générale" : la notion existe-t-elle ?

 Ne pas généraliser hâtivement, disait Michael Faraday


En relisant des devoirs d'étudiants je trouve une expression intéressante : la "qualité générale des pâtes à choux",  et là,  je m'interroge sur cette "qualité", car tel chou croustillant plaira à untel alors que quelqu'un d'autre préférera un produit plus tendre. Cela pour la consistance, mais on pourrait en dire autant pour la couleur et je ne sais pas ce qu'est la "qualité générale", sauf peut-être l'appréciation que j'en ai et qui change selon les jours, selon les heures, selon le temps qu'il fait...

Je vois surtout que, de la même façon qu'une théorie est ou non scientifique selon qu'elle est ou non réfutable expérimentalement, certaines notions n'existent que si elles sont "mesurables". En l'occurrence, cette "qualité générale" est difficilement mesurable ou sans intérêt.
Imaginons que l'on fasse une mesure d'appréciation en proposant à des dégustateurs une échelle : certes, on obtiendrait un nombre, mais ce nombre est-il significatif ? L'obtiendrait-on par la même expérience sur les mêmes jurés à un autre moment  ? Et le groupe de juré est-il représentatif ? De quoi ?
Imaginons que ce groupe déclare aimer le vin rouge et que j'aime personnellement le vin blanc ; peut-on dire que le vin rouge est meilleur que le blanc ? Non, on peut dire simplement que ce groupe de personnes là, ce groupe particulier préférait le vin rouge. D'ailleurs, le vin rouge est une notion bien vague, car il y a toute la différence possible en train vin rouge qui a connu beaucoup de soleil et un vin rouge qui n'en a pas connu, sans parler des différences de cépage, de conditions de culture, de récolte, de production du vin... et même de bouteilles...
Bref j'ai souri en voyant parler de qualité générale des petits choux.

mercredi 19 juin 2024

Assez, avec les discussions idéologiques de l'alimentation !

 
Alors que le week-end se termine, que j'ai senti des odeurs de barbecue dans tout le quartier, on m'interroge sur la toxicité des aliments que l'on me dit "ultra transformés".

Je réponds évidemment en envoyant un article que j'avais publié à ce sujet et qui analysait une publication récente, scientifique, bien évaluée, montrant que les aliments "ultra transformés" n'existent pas, que ce sont des chimères au même titre que des "carrés ronds" ou les "Père Noël".

Or, avant de caractériser un objet, il s'agit d'en démontrer l'existence et oui, on peut parler de "carré rond" (la preuve  : nous en parlons ici), mais cela ne prouve pas leur existence et on aura beau en parler pendant des années, les "carrés ronds" continueront de ne pas exister.

Le mot "ultra transformé" est un mot plein de pathos, ce qui n'a rien à voir avec la rigueur scientifique ou technologique. Il a été introduit par des chercheurs brésiliens que je n'aimerait pas avoir comme collègues (je veux de l'intelligence, de la bonté, de la droiture), qui, manifestement, avaient des comptes à rendre avec ce que certains nomment l'industrie alimentaire, mettant dans le même sac les coopératives qui produisent du lait ou de la farine et les fabricants d'aliments transformés que sont ces jambon, pizza, et cetera  présents dans les supermarchés.

Une certaine idéologie veut s'opposer une cuisine plus domestique ou artisanale à l'industrie alimentaire, et cette idéologie utilise des arguments déplorables à ce propos, confondant industrie et additif, confondant également les différentes sortes d'additifs... car on n'oubliera pas que des gélifiants sont des produits de natures bien différentes des conservateurs, par  exemple.

Mais surtout, s'il y a des questions de toxicité qui doivent être considérés, alors il y a lieu de les regarder honnêtement et par exemple, j'y reviens à propos du barbecue, il est utile de bien savoir que des viandes grillées au barbecue contiennent environ 2000 fois plus de benzopyrènes cancérogènes qu'il n'en est admis par la loi dans du saumon fumé vendu en supermarché.
D'ailleurs, dans le supermarché qui est près de mon domicile, le saumon fumé est produit par le poissonnier du supermarché, comme je le fais chez moi :  avec les saumons qu'il ne vend pas, il fait du saumon fumé. Je ne suis pas certain que cet homme, qui utilise des techniques bien loin des techniques industrielles mise en œuvre pour faire le saumon fumé, soit garant de moins de toxicité que l'industrie : dans son fumoir local, il n'a aucun moyen de doser les benzopyrènes de ses saumons, ni d'en limiter la quantité, contrairement à l'industrie qui elle, à l'obligation de le faire et de noter sur le paquet les quantités correspondantes,.

Plus généralement, en matière de toxicité alimentaire, il faut redire que la question est bien mal traitée, notamment par ce qui croient pouvoir dire que la tradition (laquelle) ou la "nature" serait des garants d'innocuité. Car les viandes cuites à la braise sont chargées de base de benzopyrènes cancérogènes. Et la ciguë est parfaitement naturelle et parfaitement toxique.

Bref, la question est généralement très mal traitée, et elle fait l'objet de nauséabondes discussions idéologiques, ce qui est pire, car on cache quelque chose dans le débat, on ment en réalité sur la base d'idées que l'on veut promouvoir.

mardi 18 juin 2024

Les Ateliers expérimentaux du goût

 Hier, lors de la réunion des professeurs de physique et de chimie de l'Académie de Bordeaux, j'ai été remis en position de présenter les Ateliers expérimentaux du goût ainsi que les Ateliers science et cuisine, que j'avais introduits dans l'Education nationale au début des années 2000. 

Force est d'observer, avec le recul, que la méthode pédagogique introduite alors n'a pas démérité et qu'elle n'est pas périmée : au bénéfice des élèves, les collègues peuvent parfaitement mettre en œuvre des ateliers de ces deux types. 

Que faut-il faire pour relancer la machine ? Sans doute en refaire des présentations à l'attention des professeurs qui, pour certains, ont oublié l'existence des ateliers, et qui, pour d'autres,  ne la connaissent pas. 

Il n'y a nulle part de mauvaise volonté, bien au contraire, et il y a surtout l'observation que, lors des préparations culinaires, il y a mille phénomènes extraordinaires qui méritent d'être considérés, analysés, étudiés, en laboratoire ou en classe. 

Souvent, un microscope fait l'affaire, mais évidemment, si l'on calcule un peu, on fait bien mieux. En tout cas, il y a cette observation que ces activités scientifiques ne coûtent quasiment rien, surtout quand on les fait à l'occasion de la préparation d'aliments que l'on va consommer. 

Mousses, émulsions, gels, suspension... Tout y passe, et ces colloïdes sont à l'interface de la physique, de la chimie, mais aussi de la biologie puisque la cuisine, c'est usage de tissus végétaux ou animaux. 

Merci aux collègues de l'académie de Bordeaux de m'avoir accueilli si chaleureusement et surtout, de m'avoir permis de présenter à des collègues des activités qui mériteraient de figurer au cœur de leurs études avec les élèves.

Qu'est-ce qui est bon ?

 

Qu'est-ce qui est bon ? Il y a plusieurs années, l'invention que j'avais faite des "bonbons ultimes", mélange exclusif de graisse et de sucre (tant pour tant), était une sorte de pied de nez à la diététique. De petits cubes d'une telle matière, donnés à goûter sans indication de leur nature, sont toujours appréciées, alors que du point de vue diététique, ils sont presque ce que l'on peut produire de pire. Bien sûr on pourrait rajouter du sel ou de l'éthanol, mais quand même, déjà, c'est très mauvais pour la santé quand c'est en dose excessive.
Mais, plus généralement, moi qui cuisine tous les soirs pour ma famille, j'ai bien du mal à faire quelque chose de bon sans y mettre du sucre ou du gras. Même les meilleurs radis, les meilleures asperges, nécessitent l'un ou l'autre de ses corps, et moi qui cherche à réduire le beurre, la crème, l'huile d'olive, l'huile de noix, le glucose, le sucre de table, et cetera, j'ai bien du mal à faire quelque chose de bon sans que ces produits ne soient présent.
Bien sûr, je sais faire cuire des oignons ou des carottes afin de concentrer un bouillon, mais je sais aussi, puisque c'est l'analyse qui me le montre, que je charge ainsi ces solutions de sucre, puisque les végétaux contiennent du D-glucose, du D-fructose et du saccharose.
Bien sûr je peux manger de la viande sans ajouter de matière grasse mais je n'oublie pas que la plus maigre des viandes est plus grave que le plus grand des poissons.

Bref, j'ai bien du mal à faire quelque chose de bon sans graisse ni sucre et il y a là la question que se pose d'ailleurs l'industrie alimentaire quand elle a voulu faire de l'alléger : on peut toujours introduire de l'eau ou de l'air, on peut toujours donner du goût avec des aromatisants mais cela sera-t-il bon ? L'expérience a montré la difficulté de l'exercice.

lundi 17 juin 2024

Le fond et la forme


Le fond est-il une indication de la forme ? Dans le travail scientifique, nous avons sans cesse à évaluer des informations qui nous sont transmises, notamment par des articles scientifiques. Le problème, aggravé par la prolifération des revues prédatrices, qui cherchent à gagner de l'argent en publiant n'importe quoi, c'est que nombre d'articles aujourd'hui publiés sont de mauvaise qualité.

Or il est essentiel de savoir reconnaître cette qualité et notamment parce que l'utilisation de données erronées risque de saper le travail que l'on ferait en les utilisant.

D'autre part,  des théories fausses risquent de nous induire en erreur point et ainsi de suite.

Bref, nous sommes sans cesse à devoir évaluer, c'est-à-dire juger de la valeur d'information qui nous sont transmises. D'ailleurs les articles scientifiques ne sont pas seulement concernés : dans notre propre travail, nous devons évaluer les informations que nous fournissent nos instruments de mesure.
Le cas le plus simple et celui d'une balance sur lequel on pèse un objet dont on veut connaître la masse : comment nous assurer que ce qu'affiche la balance n'est pas n'importe quoi ? C'est pour cette raison que l'on multiplie les validations. Par exemple, pour une balance, on utilisera d'abord un étalon secondaire, à savoir une masse dont on a confronté la mesure à une masse étalon certifiée.

Mais ce que je dis là pour une mesure de masse vaut tout aussi bien pour une mesure de température, de dimensions, de courant électrique, etc. Nous devons être extraordinairement prudents quand nous faisons des analyses, sans quoi il est bien certain que les conclusions scientifiques que nous pourrions en tirer seraient fautives.

Mais revenons aux articles : à leur propos, il y a deux questions essentielles:
- la première est de savoir si la forme peut indiquer le fond,
- la seconde est de savoir quel crédit on peut accorder un article scientifique imparfait.

En vérité, la première question n'est qu'un pas sur le chemin vers la seconde, et la question est donc de savoir ce que vaut un article.
Pour caricaturer, peut-on dépister la qualité scientifique d'un texte au nombre de fautes d'orthographe que l'on y trouve ? Ainsi posée, la question semble sans intérêt, car on peut très bien imaginer qu'un auteur d'un texte médiocre ait utilisé un correcteur orthographique et n'ait laissé aucune coquille. Ou inversement, qu'une personne ait fait un raisonnement très intelligent et laissé des fautes d'orthographe dans le texte où il relate son raisonnement.

Mais il y a loin de la faute typographique au contenu en passant par l'usage des unités, par la répétition des expériences, par le traitement statistique des données, et par tout ce qui fait que la recherche scientifique est en réalité quelque chose qui doit se faire avec le plus grand soin.

C'est ainsi que la partie de Matériels et de méthodes doit être d'une précision telle que n'importe qui dans le monde puisse refaire l'expérience avec l'information qui est donnée. C'est nécessaire et non suffisant, et l'on peut se demander si, voyant un protocole insuffisamment précis, l'article vaut quelque chose, si les conclusions scientifiques qui sont tirées ont un sens, une validité...

Bref il y a lieu d'apprendre à reconnaître la qualité d'un article à partir de sa forme.

À ce propos, dans un  cours c'est que j'ai publié sur cette question, les rapporteurs m'ont demandé de traiter la question suivante  : la mauvaise connaissance d'une langue étrangère empêche-t-elle de bien penser quand on s'exprime dans cette langue ? Évidemment, la réponse est non  :  on peut bien penser et mal parler si l'on ne connaît pas les mots ou étrangers, ou si on les confond, mais on se souviendra qu'il ne s'agit pas seulement d'émettre un message mais surtout de s'assurer qu'il soit bien reçu ; o si les mots sont mauvais, le message sera certainement mal reçu. Il y a donc lieu d'être précis et de ne pas parler une langue étrangère en jargonnant en quelque sorte.

Cela étant, les manuscrits publiés par les revues scientifiques le sont au terme d'une évaluation par les pairs, avec un éditeur qui sollicite des rapporteurs, lesquels sont précisément des garde-fous, des personnes compétentes qui doivent s'assurer que les conditions d'une publication de bonne qualité sont réunies.
Si un article paraît avec une grosse imperfections de forme, c'est qu'il a été mal écrit, mais ensuite mal traité éditorialement, et cela augure mal de la qualité du texte.

Passons maintenant à la seconde question qui est de savoir ce que l'on peut faire des données dans un article médiocre. Cette question est terrible, parce que nous aimerions bien disposer de données suffisantes pour fonder nos propres travaux  ; quand nous trouvons un article sur un sujet qui nous intéresse, nous aimerions avoir des informations utilisables.
Or parfois, précisément, des articles qui pourraient nous être utiles sont de mauvaise qualité et se pose véritablement la question de savoir quoi faire des données qui s'y trouvent.
J'ai bien peur que la réponse est que nous pouvons rien en faire.
Prenons l'exemple d'un article qui discuterait la question de la couleur de haricots verts, mais qui n'indiquerait pas la variété des haricots. Supposons que cet article s'intéresse à l'effet d'un traitement thermique particulier. Si la variété des haricots n'est pas donnée, alors les résultats qui seront obtenus, reliant le traitement thermique à la variation de couleur ne vaudront que pour la variété particulière qui  a été utilisée, et qui, malheureusement, n'est pas donnée. De sorte que ni localement ni globalement nous n'avons d'information fiable  : d'autres variétés de haricots pourraient se comporter différemment et cette variété-là, dans la mesure où elle n'est pas connue... n'est pas connue.
Pis encore, imaginons que les auteurs aient écrit dans leur article qu'ils ont lavé les haricots, et qu'ils les ont trié. Ce seront donc seulement certains haricots qui évolueront d'une certaine façon et, dans la mesure où le critère de tri, n'est pas donné, nous ne pouvons absolument pas savoir quel est l'intérêt de l'information qui est publiée.
Continuons en évoquant un traitement thermique. Imaginons que les haricots soient "cuits pendant 8 minutes" : cette fois, il y a vraiment lieu de savoir quelle est la vitesse d'augmentation de la température car si les haricots ont mis 5 minutes avant d'atteindre la température de consigne décidée pour le traitement, alors ce traitement n'aura en réalité pas été effectué pendant 8 minutes et même pire, si les haricots ont traîné longtemps à une température un peu basse, aux environs de 50 degrés, alors les enzymes du végétal auront peut-être produit des effets qui se répercuteront sur la couleur finale du haricot.

Bref, un article insuffisamment précis dans ses matériels et méthodes, avec un protocole insuffisamment précisé, ne vaut rien, et nous ne pouvons rien en faire. Il serait d'utilité publique que dans un tel cas, nous fassions une lettre à l'éditeur pour signaler aux collègues que l'article n'est pas utilisable, en espérant que cette lettre sera publiée et qu'elle conduira les auteurs de l'article initial à publier des précisions qu'ils auraient qu'ils n'ont pas données... en supposant qu'il les aient.