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jeudi 21 novembre 2024

Colloque Vigne et vin demain, le 28 novembre, à l'Académie d'agriculture de France

 

Colloque « Vin et Vigne demain »



28 novembre 2024


Lieu :

Académie d’agriculture de France, rue de Bellechasse, Paris

(salle des séances pour les interventions, puis bibliothèque pour le déjeuner)




Comité d’organisation

Frédérique Pelsy, Nicole Roskam Brunot, Guilhem Bourrié, Yves Brunet, Hervé This




Le thème du colloque répond à une urgence : l’humanité doit aujourd’hui faire face au changement du climat terrestre. À cette fin, les initiatives politiques à l’échelle mondiale doivent être complétées par des actions individuelles, en vue de stopper les évolutions du climat et de pérenniser l’habitabilité de la planète. Des changements infrastructurels, organisationnels et juridiques sont nécessaires pour évoluer vers un mode de vie à faibles émissions de carbone : il faut apprendre à mieux utiliser l’énergie, mieux construire, mieux gérer l’eau et, surtout, maîtriser la démographie mondiale.

L’agriculture, dont on doit rappeler qu’elle produit nos aliments et qu’elle gère une large partie de notre environnement, fait face à des défis nouveaux. Le climat est évidemment décisif dans les productions agricoles, en termes de quantité comme de qualité. Depuis les débuts de l’humanité, l’adéquation entre climat et agriculture a déterminé le développement culturel et économique des régions, créé des cultures locales et influencé les migrations des populations.

La viticulture est particulièrement sensible à la conjonction entre enjeux agronomiques, économiques et culturels. Depuis des centaines d’années, la culture de la vigne a façonné les paysages des régions viticoles, leurs organisations sociales et la typicité de leurs vins qui résulte de l’adéquation entre la culture de cépages particuliers et des pratiques œnologiques spécifiques. La notion de terroir intègre des paramètres environnementaux, notamment pédologiques et géomorphologiques, dans la délimitation des régions viticoles, selon des cadres juridiques anciens, qui ont perduré jusque dans les textes de l’Union européenne.

Certes, l’agriculture en général et la viticulture en particulier contribuent aux émissions de gaz à effet de serre et à la pollution de l’environnement, mais, en stockant le carbone, les plantes et les sols atténuent ces émissions. En France, les pratiques viticoles sont strictement encadrées avec notamment la reconnaissance de conditions mésoclimatiques (régionales), la délimitation des terroirs, la spécification des cépages autorisés, des méthodes culturales et des types de produits conférant des identités régionales et locales.

Dans un tel contexte, les études de l’effet des changements climatiques sur la viticulture prennent une importance particulière. Le changement climatique mondial n’étant pas encore évident pour beaucoup (malgré des signes d’accélération évidents), il est essentiel de convaincre l’ensemble du secteur qu’une réaction immédiate est nécessaire. L’urgence résulte notamment du fait que les plantations d’aujourd’hui préparent la viticulture des prochaines décennies, quand les effets du changement climatique seront bien plus prégnants que ceux observés aujourd’hui.




Le programme du Colloque :



9.00

Introduction Philippe Mauguin, président directeur général d’INRAE


9.30-10.15 (30 min + 15)

Nathalie Ollat (INRAE, ISVV, UMR EGFV, Bordeaux) : La viticulture face au défi du changement climatique

Q/A


10.15-10.45 (20 min +10)

Thierry Simonneau (INRAE, UMR LEPSE, Montpellier) : Maîtriser les besoins en eau de la vigne pour faire face aux contextes de demain.

Q/A


10.45-11.15 (20 min + 10)

Lionel Ranjard (INRAE, UMR Agroécologie, Dijon) : La microbiologie des sols au service d’une viticulture durable

Q/A


Pause


11.25-11.55 (20 min + 10)

Guillaume Arnold (INRAE, UMR SVQV, Colmar) : Les variétés de vigne pour demain

Q/A


11.45-12.15

Marc-André Selosse (MNHN, UMR ISYEB, Paris): Des microbes pour soigner et protéger la vigne

Q/A


12.30-14.00 Buffet sur place (bibliothèque), sur inscription




14.00-14.30

Philippe Darriet (Université de Bordeaux, ISVV, UMR Oenologie) : Quels vins demain ?

Q/A


14.30-15.00

Vin et santé Nutrition 

Q/A


15.00-15.30

Jean-Marie Cardebat (Université de Bordeaux, ISVV, UMR BSE)  : Quelles évolutions à venir pour le marché mondial du vin ?



16.00

Synthèse, Frédérique Pelsy, ancienne présidente du Centre INRAE de Colmar

16.30

Conclusion (le « bouquet du vin »), Hervé This, membre de l’Académie d’agriculture de France





Les intervenants et les interventions, en détail :



Philippe Mauguin : Introduction



Philippe Mauguin est président directeur général d’INRAE et membre de l’Académie d’agriculture de France




Nathalie Ollat (INRAE, ISVV, UMR EGFV, Bordeaux) : La viticulture face au défi du changement climatique


Résumé de l’intervention : Des températures moyennes plus élevées et des précipitations aléatoires, avec des extrêmes toujours plus marqués, des aléas climatiques successifs ou combinés, avec des conséquences secondaires importantes sur la fertilité de sols et l’environnement biotique. Même si le changement climatique a pu avoir, jusqu’à présent et dans certains vignobles, des conséquences positives, la viticulture doit se préparer à des conditions de production plus complexes et plus variables pour les décennies à venir. Certains vignobles, notamment dans le Sud de la France, pourraient voir leur potentiel se réduire alors que d’autres plus septentrionaux pourraient se développer. L’ensemble de ces changements doivent être anticipés. La nature des impacts déjà avérés et à venir doit être décrite finement et sur un large spectre, notamment en ce qui concerne les sols, les interactions biotiques et les combinaisons de stress. Il est également important de rassembler des connaissances sur les leviers potentiels d’adaptation, qu’ils soient techniques, spatiaux, organisationnels ou réglementaires. L’évaluation de ces leviers doit se faire à l’échelle de la culture, de l’environnement et la durabilité de la production à l’échelle d’une exploitation ou à plus grande échelle. Pour toutes ces études, les approches de modélisation s’avèrent déterminantes. Elles le sont également comme outil d’anticipation pour contribuer à l’accompagnement des acteurs à la définition de stratégies d’adaptation.



Agronome de formation, Nathalie Ollat est spécialiste de la physiologie de la vigne. Elle s’est particulièrement intéressée aux porte-greffes et est actuellement responsable du programme d’innovation variétale « porte-greffe » vigne en France. Elle a coordonné de 2012 à 2021 un programme national sur les impacts et les adaptations de la filière Vigne et Vin française au changement climatique. Elle continue à accompagner la filière dans la mise en œuvre de sa stratégie d’adaptation. Depuis 2018, elle dirige l’UMR « Ecophysiologie et Génomique Fonctionnelle de la Vigne » à l’ISVV, Bordeaux.




Thierry Simonneau (INRAE, UMR LEPSE, Montpellier) : Maîtriser les besoins en eau de la vigne pour faire face aux contextes de demain.


Résumé de l’intervention : Avec la hausse des températures, l’évapotranspiration va continuer d’augmenter dans les vignobles jusqu’à dépasser largement le stockage d’eau de pluie dans les sols, notamment l’été. Des périodes de déficit hydrique vont s’ensuivre et le vigneron va devoir adapter ses choix et ses pratiques dans une perspective d’économie d’eau et de production durable.

Le problème n’est pas tout à fait nouveau pour les vignerons qui cultivent depuis longtemps dans des conditions de contrainte hydrique modérée, souvent favorables à la qualité des vins, notamment les rouges. A ceci s’ajoutent les fortes variations climatiques interannuelles passées qui ont déjà exposé les vignobles à des années exceptionnellement sèches et chaudes. Les solutions adoptées par les vignerons pour y faire face méritent donc d’être examinées. Le référentiel bibliographique s’est également enrichi pour préciser les impacts positifs et négatifs d’une contrainte hydrique plus ou moins sévère. L’ensemble permet d’affiner la notion de parcours hydrique idéal, c’est-à-dire l’évolution idéale du contenu en eau du sol qui permet d’atteindre des objectifs de production donnés.

Pour suivre ce parcours hydrique idéal dans un contexte pédoclimatique soumis à imprévus, le vigneron peut revoir ses objectifs de production et adopter des systèmes de conduite économes en eau. Il peut aussi augmenter la disponibilité de l’eau avec une gestion du sol adaptée. Enfin, quand les apports par irrigation sont possibles, il importe là encore de choisir des techniques économes en eau et toujours ajustées à l’objectif de production.

Différents leviers sont donc actionnables pour maîtriser les besoins en eau au vignoble, y compris à la plantation, avec des conséquences plus ou moins immédiates, réversibles ou durables. Les leviers à mobiliser sont à raisonner de manière systémique, sur de longs pas de temps, au sein de paysages complexes et multi-acteurs, où l’usage de l’eau est compétitif, réglementé et évolutif.



Thierry Simonneau a étudié à l’INA Paris-Grignon (devenu AgroParisTech) et est aujourd’hui directeur de recherche INRAE au Laboratoire d’Ecophysiologie des Plantes sous Stress Environnementaux, à Montpellier, où il conduit des recherches sur l’utilisation de l’eau par les plantes. Depuis une dizaine d’années, il anime une équipe composée de cinq autres chercheurs INRAE ou enseignants-chercheurs de l’Institut Agro qui étudient plus particulièrement la vigne dans le but d’adapter les vignobles au changement climatique. A ce jour, Thierry Simonneau a publié près de 70 articles scientifiques qui vont de l’étude de gènes impliqués dans l’économie d’eau par les plantes, jusqu’à la détection d’une contrainte hydrique sur les vignes par imagerie hyperspectrale ou de l’impact de vagues de chaleur par satellite. Ses travaux récents ont montré qu’il était possible d’améliorer l’efficience d’utilisation de l’eau au vignoble en sélectionnant des variétés qui transpirent moins la nuit, ou bien en taillant et en palissant la vigne pour maximiser le pourcentage de feuilles exposées au soleil, ou encore en pilotant l’ombre portée par des panneaux photovoltaïques mobiles pour atténuer les pics de transpiration. Dernièrement, il a coordonné la rédaction d’un chapitre d’ouvrage à paraître sur la gestion de l’eau dans les vignobles (Simonneau T., Van Leeuwen C., Coulouma G., Saurin N., Lajeunesse I. (à paraître) La gestion de l’eau. In : La vigne, le vin et le changement climatique, QUAE Editions).





Lionel Ranjard (INRAE, UMR Agroécologie, Dijon) : La microbiologie des sols au service d’une viticulture durable


Résumé de l’intervention : La viticulture est un secteur d‘activité agricole stratégique pour la France, car elle représente le premier poste exportateur du secteur agroalimentaire pour seulement 3 % de la surface agricole utilisée française. Toutefois elle est aussi une forte consommatrice de produits phytosanitaires avec environ 20 % des pesticides utilisés en France à elle seule, couplé aussi a une forte mécanisation. Tout cela entraîne une dégradation de la qualité des sols, qu’elle soit physique par des processus d’érosion ou biologique par une altération de la biodiversité. Si 80 % du vignoble est en conduite conventionnelle (CV), on note une conversion de 3-4 % par an des surfaces vers des conduites biologique (AB) et biodynamique (BD), non consommatrices de pesticides de synthèse. Toutefois, à ce jour nous manquons encore de connaissances précises sur les impacts de ces conduites sur la qualité des sols viticoles.

Dans ce contexte, le projet EcoVitiSol® est la première étude menée à grande échelle pour évaluer la qualité physico-chimique et microbiologique des sols de vigne cultivés selon différents modes de production (CV, AB et BD). L’originalité de ce projet est d’aborder cette problématique avec des approches participatives en impliquant directement les viticulteurs au sein d’un territoire défini.

A ce jour quatre territoires viticoles ont été investigués : l’Alsace, La Bourgogne du nord (Côte de Nuits, Côte de Beaune), la Bourgogne du sud (Côte Chalonnaise, Mâconnais) et les côtes de Provence. Dans chaque territoire, environ 50-60 viticulteurs ont été impliqués. Chacun a mis à disposition une parcelle sur lesquelles les chercheurs sont venus échantillonner le sol. Les outils modernes utilisés pour évaluer la qualité des sols dans ce projet ont permis de caractériser l’abondance, la diversité et les interactions microbiennes par des approches moléculaires ainsi que la qualité de la matière organique par la technique Rock-Eval® en plus des caractéristiques physico-chimiques classiques (pH, texture, C/N, teneur en Cu…). Cette conférence présentera les résultats obtenus sur l’impact des modes de production sur la qualité physico-chimique et microbiologique des modes de production, et aussi des pratiques de gestion des sols comme le travail du sol, l’enherbement et la fertilisation afin d’identifier les pratiques viticoles les plus durables.




Loïc Ranjard est directeur de recherches à l'INRAE de Dijon dans l'UMR Agroécologie. Il est spécialiste en écologie microbienne du sol et anime des travaux sur la distribution spatiale des microorganismes dans le sol sur de grandes échelles spatiales et sur l'impact des pratiques agricoles sur la qualité microbiologique des sols. Il coordonne différents projets collaboratifs et participatifs dans ce domaine.




Guillaume Arnold (INRAE, UMR SVQV, Colmar) : Les variétés de vigne pour demain


Résumé de l’intervention : La notion de matériel végétal fait référence à l’ensemble des composantes du plant de vignes qui constituent un levier d’adaptation puissant face aux changements climatiques et aux évolutions sociétales.

La vigne cultivée appartient au genre Vitis, ce dernier est composé de plusieurs espèces réparties à l’état spontané en Amérique du Nord et centrale, en Asie et en Europe. La domestication de la vigne à conduit à valoriser la diversité de l’espèce Vitis vinifera par la sélection des variétés les mieux adaptés aux objectifs de productions en fonction des conditions pédologiques et climatiques des vignobles.

L’arrivé du phylloxera marque un tournant dans les stratégies de domestication de la vigne à travers la mobilisation d’autres espèces que Vitis vinifera par la création de porte greffes ou de nouvelles variétés dite hybrides. Progressivement, les avancés scientifiques permettent de mieux comprendre et valoriser la diversité génétique de la vigne. Que ce soit à l’échelle des porte-greffes ou de l’exploitation de la diversité variétale les champs d’investigations sont nombreux. A travers cette présentation nous illustrerons à partir de cas concrets qu’elles sont les possibilités d’adaptations qu’offrent ces différents leviers.



Guillaume Arnold est ingénieur en innovation variétale au sein de l’équipe de génétique et d’amélioration de la vigne d’INRAE Colmar. Il débute ses activités de sélection de la vigne dans les années 2000 auprès du conseil interprofessionnel des vins d’Alsace pour y développer des programmes d’amélioration végétale des principales variétés cultivées en Alsace. Après avoir assuré la responsabilité du service technique, il créé en 2018 sa société de sélection « Synergie Vigne et Terroir » et développe plusieurs projets de collections privées auprès des entreprises des vignobles de France et d’Allemagne, contribuant ainsi à la préservation de plusieurs milliers de génotypes d’intérêts. En 2021 il rejoint INRAE pour poursuivre et développer des programmes de créations variétales avec pour objectif de réduire drastiquement l’usage des produits phytosanitaires tout en maintenant un potentiel qualitatif et une adaptation aux évolutions climatiques. Guillaume Arnold est ingénieur diplômé d’état dans la spécialité « agriculture », à travers ses expériences il propose une vision intégrative de la sélection à travers la valorisation des ressources génétiques de la vigne pour créer les variétés de demain.




Marc-André Selosse (MNHN, UMR ISYEB, Paris): Des microbes pour soigner et protéger la vigne


Résumé de l’intervention : La vision des plantes comme holobiontes, c’est-à-dire avec l’ensemble de leur microbiote  (bactéries, champignons et virus) dans leur physiologie et leur adaptation, s’applique bien sûr à la vigne. Elle inclut les champignons et les bactéries mutualistes associés aux racines, aidant à la nutrition et à la défense contre les agressions du sol. Leur présence a une influence systémique qui se répercute jusque dans les parties aériennes et les baies, par exemple dans la teneur et la composition tannique. Les parties aériennes sont aussi accompagnées de microbes, des feuilles aux baies (mais, bien qu’on crédite ces derniers de contenir les levures « spontanées », celles-ci proviennent plutôt de l’environnement de la cave). Nous devons adapter nos itinéraires techniques, surtout dans un contexte d’usage de pesticides pour lutter contre les maladies de la vigne, à la présence du microbiote. Celui-ci pourra être spontané ou introduit (en particulier pas pulvérisation foliaire) pour capitaliser sur le rôle de la symbiose dans la gestion du vignoble. 



Marc-André Selosse est professeur du Muséum national d’Histoire naturelle à Paris et aux universités de Gdansk (Pologne) et Kunming (Chine), où il dirige des équipes de recherche. Ses travaux portent sur l’écologie et l’évolution des associations à bénéfices mutuels (symbioses). Mycologue et botaniste, il travaille en particulier sur les symbioses mycorhiziennes qui unissent des champignons du sol aux racines des plantes. Président de BioGée, membre de l’Académie d’Agriculture de France et de l’Institut Universitaire de France, il est éditeur de quatre revues scientifiques internationales et de la revue de vulgarisation Espèce.Il a publié plus de 230 articles de recherche et 290 articles de vulgarisation et a publié des ouvrages grand public sur les microbiotes (Jamais seul, 2017), les composés phénoliques (Les goûts et les couleurs du monde, 2019), le sol (L’origine du Monde, 2021) et la place de l’homme dans la nature (Nature et Préjugés, 2024) ainsi que ses chroniques diffusées sur France-Inter (Petites histoires naturelles, 2021), chez Actes Sud. Il est co-auteur d’une bande dessinée sur le sol avec Mathieu Burniat (Sous Terre, 2021, Dargaud). Il a reçu le prix Homme-Nature de la Fondation Sommer 2020.



Philippe Darriet (Université de Bordeaux, ISVV, UMR Oenologie) : Anticiper les évolutions dans la composition et les caractéristiques sensorielles des vins


Résumé de l’intervention : Dans un contexte de changement climatique, l’état physiologique de la vigne est modifié dans un sens pouvant fortement affecter la maturation des raisins et par voie de conséquence les caractéristiques sensorielles des vins. Il ne s’agit pas seulement d’un phénomène lié à l’accroissement de la teneur en sucres des raisins (qui conduira à une teneur accrue en éthanol dans les vins) ou d’une diminution de l’acidité. Les conséquences du changement climatique, en lien avec l’augmentation de la température et du rayonnement, du niveau de contrainte hydrique, ou autre perturbation de l’état physiologique de la vigne… seront susceptibles de modifier la teneur de nombreux composés du métabolisme secondaire des raisins. Au travers des transformations chimiques, biochimiques ou microbiologiques de ces composés (pigments, tanins, précurseurs d’arôme…) pendant les étapes la vinification, de l’élevage et du vieillissement, la perception sensorielle du vin dans ses caractéristiques visuelles, olfactives et gustatives sera modifiée. En effet, la composante organoleptique du vin résulte d’une grande diversité de composés non volatils et volatils (arôme) souvent présents à l’état de traces, qui constituent des stimuli pour notre système sensoriel avant de devenir, selon des phénomènes complexes, des sensations dans le champ de la conscience. Ainsi, la surmaturation des raisins, dans des conditions de température et de rayonnement solaire accrus conduit à un accroissement des teneurs en composés volatils odorants (famille des furanones et lactones), qui renforcent les nuances de fruits cuits et secs. En outre, ces conditions de maturation peuvent modifier les propriétés anti-oxydantes des raisins et des vins, ce qui risque d’accroître la sensibilité oxydative des vins et affecter leur potentiel de vieillissement.

Ce contexte suppose d’ajuster aussi les pratiques œnologiques pour limiter les effets non-intentionnels susceptibles d’affecter l’originalité et la typicité des vins. En fonction des conditions environnementales, il s’agit d’adapter la date, les modalités de la récolte et de la réception des vendanges, en privilégiant des récoltes matinales ou nocturnes, en limitant, par le refroidissement et l’inertage, les phénomènes chimiques et biochimiques au cours des opérations pré-fermentaires. Des travaux mentionnent l’intérêt de partitionner à des dates successives la récolte d’une même parcelle. Une attention particulière est recommandée lors des étapes de la vinification et l’élevage des vins, incluant une extraction maîtrisée des composants pelliculaires, une modulation du niveau d’acidité des moûts et des vins, ou de la révélation du potentiel aromatique, présent dans les raisins sous forme de précurseurs, par l’emploi de levures sélectionnées, selon les typologies de vins recherchées. Une limitation de la teneur en éthanol, pourra aussi être recherchée par la mise en œuvre de procédés conformes aux choix des vinificateurs et à l’attente des consommateurs. La maîtrise de l’élevage et du vieillissement des vins suppose plus encore un ajustement des pratiques, en particulier le niveau d’oxygénation des vins, afin de limiter des phénomènes chimiques favorables à une évolution oxydative prématurée. Par la compréhension des phénomènes en jeu et l’innovation, les activités de recherche conduites dans le domaine de l’œnologie visent à accompagner les choix des vinificateurs à toutes les étapes de l’élaboration des vins.

Cependant, l’anticipation de l’évolution de la composition des vins avec le changement climatique, de leurs caractéristiques sensorielles et typicité, mobilise aussi l’œnologie au travers l’évaluation de dispositifs au vignoble, ayant trait à l’adaptation du mode de conduite de la vigne, à l’alternative variétale de Vitis vinifera, et au développement de nouvelles variétés résistantes aux principales maladies cryptogamiques et adaptées à l’évolution du climat. La dimension interdisciplinaire de ces travaux constitue un enjeu important pour relever les défis inhérents à l’impact du changement climatique.


Références

Darriet Ph., Mouret J.R., Sablayrolles J.M., Samson A. (2024). Les solutions œnologiques : adapter la vinification. Vigne, Vin et Changement Climatique, Ollat N., Touzard J.M. éditeurs, Quae.

Drappier, J., Thibon, C., Rabot, A., & Geny-Denis, L. (2019). Relationship between wine composition and temperature: Impact on Bordeaux wine typicity in the context of global warming. Critical Reviews In Food Science and Nutrition, 59(1), 14-30.

Pons, A., Allamy, L., Schüttler, A., Rauhut, D., Thibon, C., & Darriet, P. (2017). What is the expected impact of climate change on wine aroma compounds and their precursors in grape? ŒNO one, 51(2), 141-146.

Thibon C., Roland A., Darriet Ph., Teissedre P.L., Jourdes M., Pons A. (2024). Les impacts sur la qualité du vin. Vigne, Vin et Changement Climatique, Ollat N., Touzard J.M. éditeurs, Quae.

Van Leeuwen, C., & Darriet, P. (2016). The impact of climate change on viticulture and wine quality. Journal of Wine Economics, 11(1), 150-167.



UMR 1366 Œnologie, Université de Bordeaux, Institut des Sciences de la Vigne et du Vin. 210 Chemin de Leysotte, 33140, Villenave d’Ornon cedex.




Vin et santé (à venir




Jean-Marie Cardebat (Université de Bordeaux, ISVV, UMR BSE)  : Quelles évolutions à venir pour le marché mondial du vin ?


Le marché du vin traverse une crise mondiale sans précédent. Des facteurs conjoncturels et structurels coïncident et conduisent à une baisse combinée de la production et de la demande mondiale. Comment faire face à cette crise ? Les réponses sont multiples. Elles touchent au renouvellement en profondeur des gammes proposées, au changement de logiciel dans la façon de penser le marché ou encore à une remise en cause de l’organisation même de la filière. Les réponses sont aussi sociétales, pour comprendre la déconsommation d’alcool. Elles sont économiques, pour mieux identifier les cycles conjoncturels. Elles sont, enfin, géopolitiques pour appréhender le grand export dans un contexte de fermeture progressive de certains marchés clefs, comme le marché chinois. La filière vin doit mieux appréhender son environnement global tout en luttant contre les effets délétères du changement climatique. On le comprend, la décennie qui s’ouvre sera celle d’une mutation profonde de cette filière.



Jean-Marie Cardebat est professeur d'économie à l'Université de Bordeaux et professeur affilié à l'INSEEC Grande Ecole, où il dirige la Chaire Vin & Spiritueux. Très intégré dans les réseaux de recherche internationaux, il est président de l'Association européenne des économistes du vin et membre de la délégation française à l'OIV (Organisation Internationale de la Vigne et du Vin), de l'ISVV (Institut Scientifique de la Vigne et du Vin), de l'AAWE (American Association of Wine Economists), et du comité éditorial du Journal of Wine Economics (Cambridge). Enfin, il est affilié au Wine Economics Research Centre de l'Université d'Adélaïde (Australie) et au Center for Wine Economics du Robert Mondavi Institute, UC Davis (USA). Il est l’auteur de "Économie du vin", éd. La Découverte, 2017. (Traduit en chinois en 2019) et de "The Palgrave Handbook of Wine Industry Economics", prix 2019 du meilleur livre en économie de l'OIV.




Synthèse, Frédérique Pelsy.



Ancienne présidente du Centre INRAE de Colmar, Frédérique Pelsy est membre de l’Académie d’Alsace.



Conclusion, Hervé This : le « bouquet  du vin »



Hervé This est directeur de lInternational Centre for Molecular and Physical Gastronomy, chimiste INRAE dans lUMR SayFood (Campus Agro Paris Saclay), professeur consultant AgroParisTech, membre de l’Académie d’agriculture de France, de l’Académie royale des sciences, arts et lettres de Belgique, de l’Académie d’Alsace et de l’Académie de Stanislas.



mardi 2 avril 2024

Le 31 mai, à Colmar : une "visite" de l'Académie d'agriculture de France à l'IUT de Colmar (Université de Haute Alsace) et au Centre INRAE de Colmar

 Le vendredi 31 mai 2024,  l'Académie d'agriculture de France ira en visite à Colmar : une série de conférences sur le thème la vigne et le vin demain seront donnés par Didier Merdinoglu (INRAE Colmar), Marc André Selosse (Muséum national d'histoire naturelle), Jean-Louis Schlienger (Université de Strasbourg et Académie d'Alsace) et Jean-Louis Vézien (ancien directeur du CIVA). 

Puis, après une dégustation des vins Jean-Baptiste Adam, le Bibliothécaire de l'Académie d'agriculture de France, André Fougeroux, présentera les extraordinaires planches ampélographiques de Pierre Joseph Redouté.

 L'après-midi, sera consacré à la visite du centre INRAE de Colmar, célèbre pour ses travaux sur la vigne le vin. Cette visite est organisée par Frédérique Pelsy, ancienne présidente du Centre INRAE de Colmar.

Puis à 18h, au Koifus, l'Académie d'Alsace, avec son président Bernard Reumaux,  accueillera Marion Guillou, présidente de l'Académie d'agriculture de France, et ancienne présidente directrice générale de l'INRAE, pour une conférence sur l'influence des changements climatiques sur la vigne et le vin.  Cette conférence sera suivie d'une autre conférence, par Jean-Robert Pitte,  président de la Conférence nationale des académies, et qui présidera le  colloque inter-académique du lendemain (organisé par l'Académie d'Alsace).

mardi 7 décembre 2021

Du vinaigre à partir de vin ? Certainement pas ainsi


Dans le livre Trucs de cuisinier par Bernard Loiseau et Gérard Gilbert. Editions Marabout, 1996, on lit, page  233 :
"Vinaigre (de vin) en quelques minutes
On peut très bien faire du vinaigre avec du vin. L'astuce consiste à réduire le vin aux 3/4 sur feu vif, de manière qu'il s'épaissit tout en restant liquide. Selon la quantité et la qualité du vin on peut éventuellement ajouter une pincée de sucre pour chasser l'acidité
".

Pour comprendre pourquoi cette indication est fausse, il faut savoir que le vin est principalement fait d'eau et d'un alcool nommé "éthanol", à raison de 10 à 15 pour cent. Et que le vinaigre est principalement fait d'eau et d'un acide nommé "acide acétique".
L'éthanol est un composé dont la molécule a la formule CH3CH2OH, où les lettres C, H, O représentent respectivement des atomes de carbone, d'hydrogène et d'oxygène. 




L'acide acétique, lui, est un composé dont la molécule a la formule CH3COOH, différente, donc. 




Pour la confection du vinaigre, elle se fait par une "oxydation" due à des micro-organismes, qui utilisent le dioxygène de l'air (formule O2) pour transformer l'alcool.

Lors d'une réduction, telle qu'elle est proposée plus haut, on ne fait certainement pas du vinaigre, mais seulement un vin réduit. L'éthanol s'évapore dès 70-80 dégrés, et l'acide acétique qui est parfois présent en très petite quantité est également évaporé.

D'autre part, le sucre ne « chasse pas l’acidité », mais il réduit l’acidité perçue en  bouche.

Bref, tout faux !


samedi 1 février 2020

La véritable et merveilleuse sauce au vin d'Alsace


En Alsace, coq au riesling, avec, donc, une merveilleuse sauce au riesling ; il y a des poissons avec une sauce un régal, encore au vin...





J'ai cherché longtemps comment les faire,  j'ai tourné autour des recettes des uns et des autres, orales ou écrites, et j'ai vu des liaisons à l'oeuf, des liaisons à la farine...  Mais, finalement, l'amitié de quelques cuisiniers alsaciens m'a donné la cé du mystère  : ces sauces merveilleuses sont des réductions de fond de poisson (ou de volaille), de vin et de crème.
Évidemment, tout tient dans la qualité des trois ingrédients  :  le fond de poisson (ou de volaille, ou le fumet de champignons), le vin et la crème.

Ainsi,  plus d'une sauce que j'ai testée était un peu vulgaire parce que le fond était médiocre. Non, il faut un beau fond de poisson, à partir d'un poisson pas trop gras ;  il faut que le fonds soit dégraissé.
Pour le vin, aussi, il faut aussi un  bon vin, qui apporte de la structure à la sauce, qui viennent équilibrer la puissance du fond de poisson. Enfin il faut la crème, et là, il faut quand même dire qu'il y a toute la différence du monde entre la crème des Vosges et des crèmes plus standard telles qu'on les trouve trop souvent en région parisienne. Pour preuve, d'ailleurs, la crème Alsace lait monte en chantilly en 22 secondes montre en main !  Alors qu'avec la crème de supermarché que je trouve à Paris, il me faut plusieurs minutes...

Finalement, quand les ingrédients sont bons, on produit une sauce nappante, onctueuse, délicieuse, qui n'a pas la lourdeur d'une sauce liée à la farine, qui garde un chant bien clair sans que l'exubérance du jaune d'œuf ne vienne s'imposer, comme dans les sauces liées à l'oeuf. La recette  ?
1. faire un fond de poisson
2. le dégraisser
3. ajouter autant de vin que de fond
4. réduire beaucoup
5. ajouter beaucoup de crème
6. réduire jusqu'à consistance nappante
7. rectifier l'assaisonnement

Mais surtout, n'hésitons pas : choisissons les bons ingrédients pour faire une bonne sauce. 





 

vendredi 31 janvier 2020

Tout compte


Dans un billet précédent,  j'ai évoqué la confection du vin, et plus exactement l'obtention de vins de très grande qualité par « serrage de tous les boulons ».
Oui, c'est à chaque instant que l'on peut perfectionner le procédé pour arriver à des produits aussi merveilleux que possible : en sélectionnant les sols, en plantant correctement les poteaux, en taillant bien la vigne, en travaillant correctement le sol, en palissant, en surveillant, en récoltant quasi grain par grain à parfaite maturité, en soignant le transfert vers les chais, en pressant sans attendre dans des matériels propres, en chouchoutant le moult, en  mettant en bouteille, en stockant les bouteilles... Tout compte !


Et là, passant dans une pâtisserie, j'ai bien vu sur une tartelette au chocolat et aux framboises que les framboises étaient parfaitement mûres et choisies, que l'aspect de la pâte était lisse, régulier, bien abaisse et entonné, qu'il y avait eu du soin. Sur la pâte, il y avait une belle ganache de chocolat : je n'ai pas eu l'occasion de goûter cette tartelette, mais, quand même, vu les framboises et la pâte, je me doute que le pâtissier avait apporté beaucoup d'attention à la qualité de son chocolat, à la réalisation de sa ganache...
Ce qui est vrai pour la confection du vin l'est aussi pour la cuisine, pour la pâtisserie, pour la charcuterie, etc., et ce n'est pas seulement l'aspect visuel qui compte mais le goût, bien sûr, l'organisation des saveurs, des odeurs, des couleurs...


D'ailleurs cela n'est pas l'apanage des métiers de bouche, car quand on écrit un texte, tout compte aussi : l'orthographe, la grammaire, la rhétorique, l'originalité des sujets traités, le traitement, la mise en page...
Et quand on fait de la science, également : il faut que les expériences soient aussi parfaites que possibles, et que  les calculs ne soient pas seulement justes, mais aussi élégants !

Je le répète : tout compte !


jeudi 27 septembre 2018

Les larmes et les jambes

Les larmes et les jambes ? Cette fois, ce n'est pas de la cuisine, mais de la sommellerie. Mais comme le gourmet (celui qui aime le vin) marche souvent main dans la main avec le gourmand (celui qui aime manger), je crois qu'il est utile de faire la différence, de sorte que, en salle, le cuisinier ne soit pas repris par plus savant que lui, plus précis que lui.
Dans les deux cas, larmes et jambes, il y a ces coulées de liquide dans le verre de vin ou d'alcool. Cela se produit quand le vin a une composition qui s'y prête, avec assez de l'alcool du vin, avec assez de glycérol, et d'autres composés. L'alcool du vin ? C'est un composé particulier qu'on nomme éthanol. Le glycérol ? C'est un composé également connu sous le nom de glycérine. Et les autres composés qui favorisent la formation des larmes et des jambes ? Tous sont importants, des sels minéraux en passant par les composés phénoliques, dont les tanins ne sont qu'une catégorie particulière, comme nous l'avons vu précédemment.
Bref, parfois, quand on laisse le vin au repos dans le verre,  le liquide monte spontanément au-dessus du niveau libre, puis redescend en colonnes qui se forment spontanément. Ce sont les larmes du vin.
A ne pas confondre avec les jambes, qui se forment quand on incline d’abord le verre, puis qu'on le redresse, et que le vin redescend en se séparant en traînées.

J'y pense : ces larmes ou ces jambes ne se forment que sur des verres qui ont des états de surface particulières, tout comme c'est le cas pour les bulles de champagne (ou mieux, de crémant) : dans un verre parfaitement propre, nettoyé en laboratoire protégé des poussières, les vins pétillants ou mousseux ne font aucune bulle, et c'est quand le verre a été essuyé avec un torchon, lequel a laissé de microscopiques fibres, que de la mousse et des bulles se forment… s'il n'y a pas d'agents « anti-moussants », tels les rouges à lèvres.

dimanche 10 décembre 2017

Une excellente daube


« C'est de la daube. » Le mot « daube » est souvent utilisé pour désigner de mauvais produits, alors que la cuisson à l'étouffée peut devenir une extraordinaire opération culinaire, à condition d'être bien comprise.


Comme souvent, c'est le pire qui est éclairant : ici, le pire consiste à mettre de la viande et de l'eau dans un récipient fermé et à chauffer très fort, et peu de temps. Avec cette manière, on obtient une viande bouillie et dure, un liquide bien triste, bref un désastre.

Analysons : on comprend d'abord que le liquide ajouté ne doit certainement pas être de l'eau pure, et, d'ailleurs, dans le passé, il s'agissait plutôt de vin rouge. Evidemment, il y a vin et vin... mais c'est une question de goût, souvent, et ne voulant pas empiéter sur vos choix esthétiques, je vous laisse décider lequel vous utiliserez. Cela dit, le vin n'est pas suffisant, et il vaut mieux lui ajouter nombre d'ingrédients qui corseront l'affaire, tels l'ail, le laurier...

Le cas du liquide étant considéré, passons à la viande : si c'est une viande un peu dure, à braiser, il faudra la braiser, en quelque sorte. Même si la cuisson à l'étouffée n'est pas exactement un braisage, il y a lieu de reprendre les mêmes idées, à savoir que la cuisson à basse température (entre 60 et 100 degrés) permet l'attendrissement de la viande quand la cuisson est prolongée, parce que, alors, le tissu collagénique qui fait les viandes dures se désagrège, libérant des acides aminés sapides, qui donnent beaucoup de saveurs au plat. Autrement dit, il faudra cuire non pas la viande complètement immergée dans le liquide mais juste les pieds dans l'eau, et cuire longuement, à basse température.

Reste la question du « pot » que l'on utilise pour cette cuisson. Les cuisiniers savent bien que la réduction donne souvent de bons résultats, en termes gustatifs, parce que, alors, les concentrations en composés sapides et odorants, notamment, sont augmentées. Or, dans un récipient parfaitement hermétique, la réduction n'aurait pas lieu. En revanche, dans un pot en terre pas très bien fermé, il y aura juste la bonne réduction, correspondant à une cuisson très longue. Et c'est ainsi que l'on récupérera une sauce courte, avec beaucoup de goût.

Comment faire si la sauce est trop longue en fin de cuisson ? Pas de drame : versons la sauce dans une autre casserole et terminons la réduction sur feu vif. D'ailleurs, il y aurait lieu de poursuivre les expériences pour savoir si les réductions à feu vif ou à feu lent donnent des résultats différents : malgré des annotations de certains cuisiniers, tel Jules Gouffé, les résultats à ce jour manquent de certitude.


Un mot pour terminer au cas où vous utiliseriez de l'eau pour votre daube, plutôt que du vin rouge. Des expériences sur l'influence de la qualité de l'eau sur la confection du bouillon de viande ont montré que les résultats étaient gustativement différents. Autrement dit, quand on parle d'eau, et puisque cette eau n'est jamais pure, mais chargée de sels minéraux sapides, il vaut mieux bien la choisir.













Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)


jeudi 24 août 2017

Une observation passionnante

On discute à l'infini des dangers de la chimie, et l'on confond souvent les dangers et les risques. Oui, l'acide sulfurique est dangereux, et il est vrai que cela peut faire des catastrophes quand on met de l'eau dedans (surtout, ne faites pas l'expérience !), tout comme il est vrai que cela fait des catastrophes quand on met de l'eau sur de l'huile bouillante enflammée (surtout, ne faites pas l'expérience !). Dans le premier cas, chimique, l'eau fait avec l'acide sulfurique concentré une réaction qui dégage beaucoup de chaleur, provoque une ébullition qui provoque des projections d'acide sulfurique concentré ; dans le second cas, culinaire, l'eau tombe au fond de la casserole, parce qu'elle est plus dense que l'huile, mais, chauffée par l'huile bouillante, elle s'évapore, et provoque une explosion qui projette de l'huile enflammée partout.
On pourrait multiplier les exemples, pour montrer que la question n'est pas le danger, mais le risque : courir avec un couteau la pointe en l'air, traverser la route, conduire un jour de grands départs, etc. Le danger est dans le moindre de nos actes, et il importe de minimiser les risques. Par exemple, je ne risque pas de me tuer à l'atterrissage si je ne fais pas d'ULM, et le risque de me noyer dans ma baignoire est moindre que si je suis en solitaire au milieu de l'Atlantique.
D'où les consignes de sécurité que l'on donne dans les laboratoires de chimie. Le port des blouses, des gants, des lunettes... Il y a tout un apprentissage... mais je sais que certains débutants voient mal l'intérêt de toutes ces contraintes. N'en fait-on pas un peu trop ?

Non ! 

Aujourd'hui, je viens de trouver, un peu par hasard, une merveilleuse démonstration de la nécessité de faire très attention, lors des expérimentations. Il s'agissait d'un classique  dosage du dioxyde de soufre par une solution de di-iode (je passe sur les détails expérimentaux) : dans une burette, il y avait donc la solution de di-diode, et les gouttes tombaient une à une dans un erlenmeyer (un flacon de forme conique, resserré sur le haut) où était le vin à doser. La burette était bien placée, le plus bas possible pour que les gouttes de solution de di-iode ne tombent pas de haut, et le vin à doser était agité le plus doucement possible par un agitateur magnétique.
Enfin, il faut que je signale que l'erlenmeyer était placé sur un papier blanc, conformément à la méthode officielle que j'utilisais, car cela permettait de mieux voir le changement de couleur, au moment (à la goutte près) où la solution de dosage de di-iode avait fini de consommer tout le dioxyde de soufre du fin.





En cours de dosage, alors, donc, que je manipulais avec beaucoup de précaution, j'ai soudain vu le papier blanc de teinter de noir en quatre endroits : quatre toutes petites taches de di-iode, alors que rien d'anormal n'était arrivé.

Oui, quatre petites taches, qui, grâce à la couleur de la solution de di-iode, m'ont montré que, malgré les précautions, il y a des projections, dans uner telle expérience.

En l'occurrence, il n'y a pas de risque, parce que je portais des gants, des lunettes et une blouse, et aussi parce que les réactifs utilisés n'étaient pas très dangereux, mais c'était surtout une mise en évidence : avec des produits bien plus dangereux, la possibilité de telles projections existe aussi, et, là, il faut absolument être protégé.

 J'y pense : et si, au lieu de faire la morale à nos étudiants, nous leur faisions répéter cette expérience, afin qu'ils voient d'eux-mêmes qu'il y a des projections ? Ainsi convaincus du bien-fondé des règles de sécurité, ils auraient certainement à coeur de les appliquer !

jeudi 6 juillet 2017

Quelle différence entre un composé et une molécule ?


Je serais naïf de croire que, parce que j'ai fait un jour un bon podcast sur le site AgroParisTech, j'ai résolu la question. Et je m'aperçois, jour près jour, que la difficulté demeure... qui est celle qui empêtrait mes condisciples quand, au temps des maths modernes, nous étudiions les classes d'équivalence. La question est celle des "types", des "catégories", des "classes", des ensembles. Et j'analyse que s'il y a une difficulté, c'est que l'objet est concret, alors que la catégorie est abstraite. La difficulté, pour certains de mes amis, c'est donc l'abstraction.
Mais ne baissons pas les bras, ne manquons pas une occasion de montrer à nos amis qu'ils ont -évidemment- toute la tête qu'il faut pour maîtriser ces notions  : souvent, l'exemple est éclairant.
Et commençons donc par le concret. Prenons deux objets identiques (pensons à deux boules rouges) que nous nommons atomes d'hydrogène et un objet d'une autre sorte (pensons  à une boule blanche) que nous nommons atome d'oxygène. En les "collant", nous formons un objet en forme générale de V, que nous nommons "molécule d'eau".
Puis, avec d'autres "atomes", nous formons d'autres "molécules d'eau" : elles sont identiques à la première. Et la réunion (dans un récipient) de beaucoup de molécules d'eau fait une matière que l'on nomme de l'eau.
Dit à l'envers, si nous partons d'un verre de ce liquide que nous connaissons tous sous le nom d'eau et que nous regardons à l'aide d'un très puissant microscope, nous voyons des objets tous identiques, que nous nommons "molécules d'eau". Chacun des objets est une molécule d'eau.
L'eau ? C'est une matière, mais, en l'occurrence, c'est aussi un "composé", c'est-à-dire une catégorie de molécules. Une sorte de molécules. Et peu importe qu'il y en ait beaucoup ou peu dans un récipient, le composé présent est toujours l'eau. Peu importe que l'eau soit à l'état liquide, solide, gazeux : la catégorie est celle des molécules d'eau. Et "catégorie de molécules" est synonyme de "composé".

Tiens, faisons un peu plus difficile, à "titre d'exercice". Dans le vin, il y a de l'eau : des dizaines de millions de milliards de milliards de molécules d'eau. Il y a aussi un autre composé, nommé l'éthanol, qui est l'alcool du vin et des eaux de vie : environ 10 à 15 pour cent, soit des millions de milliards de milliards de molécules d'éthanol, des molécules différentes de celles des molécules d'eau, parce que construites avec des atomes de carbone (deux par molécule), des atomes d'hydrogène (cinq par molécules) et un atome d'oxygène.
Mais, dans le vin, il y  a beaucoup d'autres composés : cela signifie "beaucoup d'autres sortes de molécules". Par exemple, pour les molécules odorantes, il y en a des milliards de milliards, mais de "seulement" quelques centaines de catégories. Il y a donc quelques centaines de composés odorants, mais un très très grand nombre de molécules odorantes. Idem pour les composés sapides, colorés, etc.

On le voit, une molécule n'est pas plus un composé qu'un individu n'est une population !