Alors que nous finissons une journée scientifique en hommage au chimiste Christian Ducauze, avec une dernière partie consacrée à la médiation scientifique, qui lui tenait à cœur, je rumine un peu les différentes interventions (sans qu'il y ait d'ailleurs de connotation péjorative à "ruminer") : j'y pense, j'y pense encore, et je pense à un point en particulier, à savoir cette expression que j'ai entendue plusieurs fois: « réconcilier les citoyens avec la science ».
Cela me fait souvenir d'une erreur que j'ai moi-même faite il y a quelques années, qui était de "réconcilier les citoyens avec leur alimentation". J'ai fini par comprendre qu'il n'y avait rien à réconcilier, car, parmi les citoyens, il y a ceux qui aiment leur alimentation, ceux qui sont indifférents, et quelques activistes fanatiques que nous devons considérer avec intelligence, sans tomber dans la discussion de leurs délires ni dans les pièges de la malhonnêteté que certains nous tendent.
Pour le citoyen et la science, c'est à peu près la même chose, et l'on aurait intérêt à se souvenir, dans les milieux intellectuels, que beaucoup de personnes arrêtent leur études à la fin du collège, et qu'ils bénéficient donc de très peu de cours de science, surtout quand ces derniers sont donnés à un moment où l'adolescence ne laisse plus la possibilité de penser aussi bien qu'on aurait voulu (je parle pour moi).
L'expérience des conférences grand public dans toute la France et dans le monde entier m'a bien montré qu'en réalité, il y a une grande méconnaissance de ce qu'est la science, d'autant que certaines "élites" la confondent même avec la technologie !
Et pour la science comme pour l'alimentation, il y a nombre de citoyens qui ne sont pas fâchés du tout, et même assez contents (ceux qui savent notamment s'émerveiller de la rapidité avec laquelle on a mis au point des vaccins contre le virus covid).
Il y en a d'autres qui ignorent tout de la chose et qu'il n'y a pas donc à réconcilier non plus. Et il y a enfin quelques fanatiques activistes pour lesquels, il y a lieu de ne pas attacher trop d'importance : il faut les combattre pour éviter que leurs messages ne soient trop audibles, mais pas frontalement, car cela est inutile : on ne fait pas boire un âne qui n'a pas soif et on ne convainc pas quelqu'un qui ne veut pas être convaincu.
Si l'on devait discuter avec ces personnes là, il y aurait lieu de faire surgir leurs contradictions et d'essayer de révéler leurs délires ou leurs mensonges.
Mais pour le discours public, je crois que la meilleure stratégie est de montrer beaucoup d'enthousiasme pour une activité intellectuelle merveilleuse : les sciences de la nature. Et je répète que les sciences ne sont pas la technologie : l'arbre n'est pas le fruit.
D'ailleurs, les sciences de la nature ne se réduisent pas à la technique... même si l'on utilise des techniques pour faire les travaux d'analyse, les travaux expérimentaux qui sont le socle du travail théorique. Les sciences de la nature ont pour définition : la recherche des mécanismes des phénomènes.
C'est cette phrase là qu'il faut donner d'emblée à tous les étudiants qui s'inscrivent dans des cursus qui sont dits scientifiques (abusivement, puisqu'ils réunissent aussi bien des gens qui se destinent aux sciences de la nature que des gens qui visent la technologie ou la technique).
Donc la science cherche les mécanismes des phénomènes. Elle le fait par une méthode qui doit être absolument répétée, expliquée, et qui est la suivante :
1. on identifie un phénomène qui nous intéresse
2. on le quantifie, on mesure, on produit une foule de "caractérisations quantitatives
3. on réunit ces résultats de mesures en équations, ou en d'autres objets mathématiques (éventuellement statistiques ; on parle ainsi de modèles)
4. on regroupe les équations en leur adjoignant des concepts nouveaux, afin d'avoir des "théories", qui font une cohérence à l'ensemble de la description du phénomène ; c'est là qu'il y a véritablement la recherche de "mécanismes"
5. on cherche des conséquences testables des théories
6. on teste expérimentalement les conséquences du 5, en vue de réfuter les théories : puisqu'on les sait par nature insuffisantes, c'est en réfutant que l'on pourra progresser.
Bien sûr, il y a des dérogations à cette méthode générale, pour des disciplines scientifiques particulières, mais n'aurions-nous pas intérêt à commencer par donner des idées simples, claires, avant d'ajouter des fioritures, du détail ? Et je pense aux citoyens, notamment, qui méritent des explications qui fassent de la lumière, au lieu de plonger dans l'obscurité... qui conduit à l'obscurantisme.
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
lundi 29 décembre 2025
Réconcilier les citoyens avec les sciences de la nature ? Non, seulement les concilier ;-)
samedi 13 décembre 2025
Pour faire de la recherche scientifique, il faut... faire de la recherche scientifique
Dans les milieux de science et technologie des aliments (souvent plus de la technologie que de la science), il y a une faute de pensée constante qui consiste à modéliser une situation pour la décrire, car cela nous met dans une position tout autre que celle de la recherche scientifique.
Avec un collègue qui s'intéresse à la libération de composés bioactifs, j'envisage l'encapsulation d'une molécule odorante dans une molécule d'amylose, ou au centre d'une micelle de phospholipides, par exemple. Mon collègue l'ignorant, je discute jusqu'au fait que la structure encapsulante puisse être dynamique, mais je vois surtout que c'est là une description un peu dogmatique et, en tout cas, qui ne me met pas dans la position de la recherche scientifique, laquelle doit précisément ne pas être capable de faire une description avec les outils intellectuels dont nous disposons.
D'ailleurs, le collègue à qui j'expose les descriptions théoriques me répond qu'il y a la libération de la molécule odorante par l'amylose dans la bouche quand les enzymes amylases attaquent la molécule d'amylose, qui est enroulée en hélice autour de la molécule odorante. Or, ayant fait une recherche bibliographique à ce propos, je lui signale que l'attaque complète prendrait 40 heures et qu'il n'est donc pas dit que cette idée commune d'une libération par l'amylose puisse faire dans les temps d'une dégustation, où les composés ne séjournent en bouche que quelques secondes ou dizaines de secondes.
À quoi bon nos description théoriques, alors ? La réponse est claire et elle doit être distribuée largement : à proposer une possibilité de réfutation.
Chaque fois que nous modélisons, nous devons aussitôt chercher une prévision expérimentale pour la réfuter au lieu de propager paresseusement des idées qui sont en réalité convenues.
Et par exemple à propos de l'encapsulation dans l'amylose : nous avons l'idée d'une molécule unique, dans une molécule en hélice, mais combien de molécules se logeraient-elles ? Peu solubles dans l'eau pourquoi des molécules d'amylose ne s'associeraient-elles pas ? Et pourquoi ne viendraient-elles pas à plusieurs autour d'une même molécule odorante ?
À propos d'une molécule hydrophobe dans une micelle de phospholipides, quelle est la cinétique d'incorporation ? Quelle est la force qui tient la molécule odorante encapsulée ? Et mille autres questions.
Oui, je vois que nous restons avec nos modélisation classiques, au lieu d'aller plus loin : quels sont les concepts qui nous manquent ? Comment peuvent-ils nous venir ? Sommes-nous à un endroit du savoir où nous pourrions repousser les limites ?
samedi 18 octobre 2025
Je n'ai pas été clair à propos de la "chimie" ? J'essaye de faire mieux.
Ce matin, un commentaire sur ce blog :
Je n'ai rien compris à l'introduction tendant à prouver que la cuisine n'est pas de la chimie. Celle-ci couvre les réaction intra comme intermoléculaires. Dès qu'il y a transformation d'une substance en une autre, c'est de la chimie. Et qu'est-ce que c'est que cette histoire de chimie, "science de la nature" ? Le plexiglas, les colorants azoïques, le Tergal ce n'est donc pas de la chimie ?
Bon, ceci dit j'ai apprécié la suite de l'article, c'est l'essentiel !
Décidément, il faut que j'explique pas à pas, car je ne veux certainement pas laisser planer des doutes quant à la chimie, et mon objectif est de ne pas laisser subsister des confusions, qui sont toujours la source de conflits.
Commençons par définir la cuisine, d'une part, et la chimie, d'autre part.
La cuisine pour commencer
Pour la cuisine, je suis resté longtemps dans l'incertitude, jusqu'au jour où je suis devenu capable de dire (et d'expliquer à tous) que "la cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique". Certes, la cuisine, c'est une activité de préparation des aliments à partir d'ingrédients, mais cette activité a trois composantes :
(1) La composante technique : il faut battre des blancs d'oeufs pour obtenir des blancs d'oeuf en neige ; il faut chauffer un steak pour avoir un steak cuit ; etc. Comme pour la peinture (qui ne doit pas couler), comme pour la musique (il ne doit pas y avoir de fausses notes), comme pour la littérature (il ne doit pas y avoir de fautes d'orthographe, de grammaire, etc.), la composante technique est évidemment essentielle, et cela d'autant plus que notre vie est entre les mains de ceux qui nous nourrissent.
(2) La composante artistique : je dis bien "artistique"... parce que n'est pas l'époque si lointaine où des individus bornés refusaient de donner à la cuisine, au moins pour celle de certains cuisiniers, le statut d'art, à égalité avec la peinture, la musique, la littérature, etc. Pour bien comprendre, ici, il faut observer que le "bon", c'est le beau à manger. Il n'y a pas de bon général, sauf à considérer que le sucré, le gras, le salé, sont appréciés par les enfants nouveaux-nés, tout comme des primates nouveaux-nés. De même que certains préfèrent les peintures de Jérome Bosch, et d'autres celles d'Hokusai, il y a ceux qui préfèrent le style de Pierre Gagnaire, et ceux qui préfèrent des cuisines plus "classiques", voire plus "populaires". Et, tout comme on distingue les peintres en bâtiment et les Rembrandt, on distingue des cuisines d'artisans, d'artisans d'art et d'artistes. Le steak grillé frites du midi, c'est (le plus souvent) de l'artisanat : il faut que ce soit "bon", mais on ne cherche pas à pleurer d'émotion.
(3) Enfin, il y a une composante de lien social : le meilleur des plats, le mieux exécuté, ne vaut rien s'il nous est jeté à la figure. Cuisiner, c'est cuisiner pour quelqu'un... tout comme peindre, c'est faire une peinture pour qu'elle soit vue, et écrire, c'est écrire pour être lu (ne finassons pas, s'il vous plaît : je donne ici une explication succincte de dont j'ai fait tout un livre !).
La chimie, maintenant
La chimie, maintenant, puisque c'est surtout là que je suis en désaccord avec mon ami lecteur. Allons-y doucement, parce que, là, j'ai eu encore plus de difficultés à comprendre que pour la cuisine.
Tout a commencé quand je me suis demandé ce qu'était au juste cette activité. Une technique ? Une technologie ? Une science ?
On trouvera dans la revue L'Actualité chimique ma recension d'un excellent livre sur l'alchimie (D. Kahn), qui montre excellemment que l'alchimie est devenue la chimie avant Lavoisier, progressivement.
Mais il s'agissait toujours d'une exploration de ce que l'on ignorait être des réorganisations d'atomes, des transformations moléculaires (je prends des précautions parce que, à côté des molécules, il y a les ions).
Puis, entre la publication du premier et du dernier tome de l'Encyclopédie, les choses se sont clarifiées, et la "chimie" est clairement devenue une activité scientifique. Pas une technologie, pas une technique.
D'ailleurs, à l'époque, on n'aurait pas parlé de chimie pour désigner l'industrie qui usurpe ce nom aujourd'hui. Non, la chimie est bien une science. Allons un pas plus avant : la chimie est une "science de la nature". Oui, car, parmi les "sciences", il y a des activités de différentes natures : l'histoire, la sociologie, la chimie, la physique, la biologie... Parfois, on a utilisé la terminologie "sciences exactes", mais on verra dans mon livre "Cours de gastronomie moléculaire N°1 : science, technologie, technique, quelles relations ?" pourquoi je récuse cette terminologie.
Pour faire vite, disons ici que :
1. l'objectif des chimie, physique, biologie... est de chercher les mécanismes des phénomènes
2. à l'aide d'une méthode qui passe par : - identification d'un phénomène - caractérisation quantitative de ce dernier - réunion des données de mesure en "lois", c'est-à-dire en équations - production d'une "théorie" (on parle parfois de modèle) par réunion des lois et introduction de nouveaux concepts - recherche de conséquences testables de la théorie - tests expérimentaux de ces prévisions théoriques - et ainsi de suite, à l'infini, parce que les modèles réduits de la réalité ne peuvent aucunement prétendre à une description parfaite.
Bref, les sciences que sont la chimie, la physique, la biologie, et qui étaient nommées jadis "philosophie naturelle" (relisons Michael Faraday, par exemple) sont plutôt des "sciences de la nature", terme bien plus juste que "sciences exactes".
Lavoisier l'avait bien dit : pour perfectionner les sciences, perfectionnons les mots, et vice versa
Terminons rapidement par la réponse à la question "Le plexiglas, les colorants azoïques, le tergal ce n'est donc pas de la chimie ?".
Avec ce qui précède, on comprend que non, les colorants azoïques ne sont pas "de la chimie". Ce sont des produits qui ont été découverts par les chimistes, et qui sont produits par une industrie des colorants. Certains, d'ailleurs, sont synthétisés, mais d'autres peuvent être extraits de plantes. Pour le plexiglas ou le tergal, ce sont sans doute des produits synthétisés qui n'existe pas naturellement, mais ils ne sont pas "de la chimie".
On sera particulièrement attentif à la faute du partitif, que l'on explique souvent avec l'expression "le cortège présidentiel" : le cortège n'est présidentiel que s'il est lui-même le président ; sinon, c'est plus clair de parler du "cortège du président". Et cela est particulièrement important de bien veiller à cette faute quand on utilise le terme "chimique". Quand on dit "produit chimique", que dit-on au juste ? D'un produit découvert par la science qu'est la chimie ? D'un produit fabriqué par une industrie d'application de la science qu'est la chimie ? D'un composé particulier (ne pas confondre svp le terme "composé" avec celui de "molécule", comme je l'explique dans un article récemment paru : https://www.academie-agriculture.fr/publications/notes-academiques/la-rigueur-terminologique-pour-les-concepts-de-la-chimie-une-base) ?
La cuisine n'est certainement pas de la chimie
En tout cas, ce qui est clair, c'est que l'activité de production d'aliments à partir d'ingrédients n'a rien à voir avec une activité d'exploration du monde moléculaire : dans le premier cas, on produit des aliments, tandis que l'on produit des connaissances dans le second. Soyons bien clairs ! L'ai-je été ?
mercredi 24 septembre 2025
A propos de rapporteurs et d'évaluation des manuscrits pour des revues scientifiques
samedi 6 septembre 2025
Un gros document consacré à l'éthique, la déontologie, les bonnes pratiques
Je finis un énorme document à propos d'éthique, déontologie et bonnes pratiques, en sciences de la nature. À quoi peut bien servir un tel document ?
En caricaturant, je vois devant moi des gens honnêtes et des gens malhonnêtes.
Pour les malhonnêtes, tout ce que j'écris est sans doute inutile.
Mais je m'intéresse surtout aux autres et je me souviens, en pensant à eux, à quelques circonstances où j'ai fait des fautes par ignorance ou par insuffisance de réflexion, n'ayant pas les éléments qui m'auraient permis d'avoir cette dernière.
Par exemple, pendant longtemps, j'ai exprimé les incertitudes en utilisant une valeur absolue sur les dérivés secondes de la fonction que je considérais, et j'ai appris ensuite, avec retard d'ailleurs, que la convention internationale préférait la racine carrée du carré de la dérivée. En pratique, cela revient au même, puisqu'il s'agit d'ordre de grandeur, mais je n'étais pas dans les clous en quelque sorte.
Autre exemple, pendant longtemps, j'ai exprimé les incertitudes sur des diagrammes par la valeur minimum et la valeur maximum des mesures des différents échantillons que je faisais, mais cela n'est pas juste car si l'on a 10 valeurs au maximum et une seule au minimum, on comprend bien que la représentation d'un intervalle partout égal ne donne pas une idée fiable du résultat et c'est pour cette raison que l'écart-type s'impose.
Or le travail scientifique et le travail technologique sont faits de mille détails importants et d'une foule d'information qui dépasse largement le "tu ne tueras point, tu ne voleras, etc". La question de la déontologie, de l'éthique, de la morale, des bonnes pratiques mérite un examen qui ne soit pas moralisant mais au contraire qui nous conduise à réfléchir en vue évidemment de se perfectionner.
mercredi 13 août 2025
Comment faire de la meilleure science ?
Ah, voilà une difficile question ! Et, surtout, a-t-elle un sens ? Car on ne doit jamais oublier que les mots ne correspondent pas toujours à des réalité : pensons à "carré rond" ou à "père Noël".
Commençons simplement par "faire de la science" : en réalité, cela signifie "faire de la recherche scientifique".
D'autre part, sans perdre une seconde, n'oublions pas que le mot "science" est trop large, et que l'on parle aussi bien de "science du coordonnier" ou de "science du maître d'hôtel", au sens de savoir, que de "sciences de la nature", pour désigner ces activités très particulières que sont la chimie, la physique, la biologie... que je distingue des sciences de l'humain et de la société : sociologie, psychologie, géographie, histoire...
Enfin, il y a l'adjectif "bonnne", ou "meilleure" ? Cela vaut la peine de commencer par "bonne" : que serait une "bonne science de la nature" ? Il y a mille façons d'interpréter l'adjectif, mais par exemple :
- faire activement de la recherche scientifique
- faire éthiquement de la recherche scientifique
- obtenir des résultats, c'est-à-dire faire des découvertes.
Dans la dernière acception, faire de la meilleure science serait avoir plus de chances de faire des découvertes, faire plus de découvertes qu'on n'en ferait autrement.
En conservant à l'idée qu'il y a de grandes et de petites découvertes, des découvertes plus ou moins "importantes", nouvel adjectif épineux auquel se frotte chaque année le jury du prix Nobel : comment évaluer l'importance d'un travail ? Souvent, c'est au rayonnement des travaux que l'on se raccroche, et pourquoi pas, au fond ? Mais il y a aussi les solutions à des questions difficiles (la chiralité des sucres, le boson de Higgs, etc.).
Et puis, pour les sciences de la nature, il y a tout à la fois les objets du monde, et les théories qui les décrivent, au moins pour ce qui concerne la science, et non pas ses applications.
Revenons à ce "meilleure", qui -je ne l'ai pas dit- se posait à propos de l'introduction de l'usage de l'intelligence artificielle dans la pratique de la recherche scientifique. Cet usage permet-il de faire plus efficacement des découvertes ? En tout cas, il y aura lieu de ne pas confondre la pratique scientifique et sa communication... puisque tout ce billet est en réalité motivé par la publication d'un intéressant article de la revue science : One-fifth of computer science papers may include AI content, que l'on trouve ici : https://www.science.org/content/article/one-fifth-computer-science-papers-may-include-ai-content?utm_source=sfmc&utm_medium=email&utm_campaign=ScienceAdviser&utm_content=lifeacademic&et_cid=5694877
lundi 11 août 2025
À propos d'enseignement de la chimie
La chimie est la science de la nature qui s'intéresse aux transformations de la matière, et plus exactement à leur interprétation en terme de réarrangements d'atomes, ce que certains nomment des réactions chimiques.
Déjà dans cette description, on voit qu'il y a lieu de passer du macroscopique à cette échelle de l'atome, et comme nous ne voyons pas les atomes, il y a le risque que notre science paraisse bien abstraite.
Bien sûr, il y a la possibilité de se réfugier dans l'expérimentation, mais ce n'est guère satisfaisant, car il faut alors faire un pont entre le discours que l'on tient et les phénomènes que l'on observe. D'autant que l'expérimentation n'est pas aussi féconde que la théorie qui met de l'ordre dans cette dernière.
Reste que la chimie moderne a le recours constant à deux types de formalismes : le formalisme "atomique", avec la représentation des atomes par des lettres et la construction de formules à l'aide de ces dernières, et le formalisme algébrique avec des équations pour caractériser quantitativement des phénomènes que l'on a décrits ainsi par des formules.
Hélas, là encore, cette manière reste abstraite, et il s'agit de rendre les choses plus "concrètes" pour nos étudiants.
Une solution consiste à ne pas s'arrêter aux lettres tracées sur le papier mais à donner corps aux formules : en les représentant par des barres et des boules, ou par des nuages de points, et cetera.
Evidemment, ces représentations, qui sont pourtant le fruit de calculs extrêmement précis, sont un peu trompeuses et les véritables molécules ne sont pas ces objets en couleur que nous représentons : il y a lieu de savoir interpréter ces images, de les décoder.
Un volume dans une représentation moléculaire : de quoi s'agit-il ? Une couleur : de quoi s'agit-il ? Il y a donc lieu d'inviter les
étudiants à manier beaucoup ses objets, à les examiner longuement, à les "contempler", à les analyser, à les décoder, et la familiarité viendra à bout de l'abstraction.
mercredi 30 juillet 2025
Pourquoi étudions-nous ?
Pourquoi étudions-nous ?
Certains étudient parce qu'ils aiment étudier, mais d'autres étudient parce qu'ils ont un objectif de vie et qu'ils voient dans les études de quoi leur donner les connaissances et les compétences nécessaires pour atteindre cet objectif, pour vivre comme ils le souhaitent.
Par exemple, si l'on veut être mathématicien, il faut pratiquer les mathématiques et pourquoi pas dans le cadre d'un cours de mathématiques. Bien sûr, si l'on est génial comme l'a été Srinivasa Ramanujan, on peut se former indépendamment, mais avec le risque de redécouvrir des choses qui étaient déjà connues.
Mais je reviens à mon propos : la plupart des étudiants que je rencontre étudient pour accéder à une vie professionnelle, par exemple dans l'industrie alimentaire, ou dans d'autres cadres analogues.
Pour ces étudiants-là, il semble clair que des connaissances et des compétences particulières doivent être obtenues. C'est ainsi qu'il y a très longtemps, ayant compris les besoins que j'avais pour exercer la gastronomie moléculaire et physique, je m'étais acheté le livre Food Chemistry, de Belitz et Grosch, ou le Physical Chemistry de McQuarrie.
Plus récemment, quand je suis devenu responsable de cours de Master, je me suis évidemment interrogé sur les notions, concepts, méthodes, valeurs nécessaires à l'exercice du métier d'ingénieur dans les industries de la formulation.
Il y a quelques années, mes cours étaient tous intitulés "Pourquoi il est important de savoir xxxxx en vue de l'exercice de sa profession dans l'industrie de la formulation?". C'était un peu lancinant, mais, au moins, la question était clairement posée.
En fait, tout nos cours devrait être ainsi conçus : le strict nécessaire pour l'exercice du métier mais aussi des notions théoriques qui permettent de dépasser l'état de l'art dans ces industries.
Dans un autre billet, j'ai discuté l'importance des stages pour les étudiants : il s'agit de se confronter à la pratique professionnelle, notamment afin de mieux comprendre l'importance de la science (la "théorie", comme il est dit dans l'industrie) pour l'améliorer cette pratique : au lieu d'être des exécutants, nos étudiants peuvent ainsi devenir des personnes dotées de connaissances et de compétences nouvelles, que l'industrie n'a pas, et qu'ils peuvent alors introduire, mettre en œuvre, pour contribuer à faire grandir les sociétés où ils vont travailler.
Un exemple : des étudiants formés à l'utilisation de la spectroscopie par résonance magnétique nucléaire pourraient contribuer au développement de sociétés de l'industrie alimentaire alors qu'ils seraient de simples exécutants s'ils n'étaient formés qu'à la HPLC ou à la spectroscopie UV visible.
Autre exemple : des étudiants ayant appris les méthodes de décomposition par ondelettes pourrait utilement résoudre des problèmes insolubles dans des industries mécaniques qui ne disposeraient que de la transformation de Fourier.
Dans un billet précédent, j'ai même analysé qu'il serait bon que les ingénieurs de l'industrie reviennent à l'université après quelques années, avec des questions "théoriques" qu'ils auraient rencontrées : ils irrigueraient les laboratoires de recherche scientifique en même temps qu'ils pourraient y trouver des solutions qu'il n'imaginaient pas sur leur site professionnel.
Bref, il y a un renouveau des relations entre sciences et industries à trouver et à implémenter rapidement, et cela va avec une redéfinition de tous nos cours, a commencé par ceux de master, de l'école primaire.
jeudi 3 juillet 2025
Questions from a student : science or technology
I get questions from a students, about his future career and I consider important to answer in details.
Here the question
So not only would be so enriching to know you better, even for a few minutes of conversation about chemistry and life in general, but also to take advice where should I direct myself from now on, like on science, if you think is wise for me to pursue a doctorate, and a PhD, or to keep it more simple like running my business of analytical chemistry on quality control / assurance.
And my answer :
The question that you ask about the choice between science vs business is very important, but I would say that the sole fact that you ask the question should drive you toward applications of chemistry rather than chemistry itself (I mean, the science).
1. as
- positions are not many in science,
- salaries are low,
- conditions are difficult,
- there is a lot of administration and paperwork (looking for funding, etc.)
- one "fails" daily in reaching the goal (making a discovery),
- the way of science is very specific (trying to kill the theories that we build),
then very few people are cut out for science.
2. as practically the work done in technology is the same as for science, but with positions, money, society usefulness, etc. my advice is that students decide for the industry.
Many are like small birds that hesitate to flow away from the university nest, but they have to be brave.
About PhD, this is a very different question: PhD is a special educational complement, adding skills for research engineers, and it is very helpful for many students.
For example, all PhD that I had with me are now very good in the industry, and doing exciting things. For example, one is the technical director of a world food company, two are heads of the heads of laboratories of analytical companies, etc.
My interns, as well, have exciting positions in the industry (world specialist in ice cream formulation, etc.) and they are very happy.
Only two are doing science, and I knew from the beginning that they would because their interest for it makes all drawbacks out of scope.
By they way, more specifically for analytical chemistry, I have to tell you that my lab was hosted for years in such a lab, and I was fighting my colleagues about the differences :
-chemical analysis is a technique
- improving the chemical analysis (what they call analytical chemistry, often) is a technology (and why not doing it in the industry, at Bruker or Varian, for example)
- real analytical chemistry (science) is exciting, but few people do it
But coming to your business, I would say that the question is not to run it, but to develop it. I can tell you the case of Eurofins, that I know very well, because the founders were from our lab: they were so smart and active that they transformed a tiny enterprise into a very large one, succeeding to manage the many difficulties that you get on the way. I have a real admiration for these kind of people, and I urge my students to do the same... when they are able to do it.
Sometimes, an association between a "technician" and a "market man" is useful: the case of Jobs and Wosniak is well known, but personnally I know very well Jonathan Piel and Dennis Flannagan, who bought the old journal Scientific American for 200 USD, and sold it for 51 millions usd, after one life. Smart and active as well, but "twice" if I may say.
Kind regards
samedi 21 juin 2025
Des échanges avec un élève ingénieur qui cherche sa voie
mercredi 18 juin 2025
Etre "bon" scientifique ?
dimanche 8 juin 2025
Encore, à propos de "recherche"
Le mot recherche est une plaie, en quelque sorte, parce que tout le monde le met à sa sauce :
- les artistes font de la recherche, mais de la recherche artistique,
- les scientifiques font de la recherche mais de la recherche scientifique ;
- et dans l'industrie, les techniciens et les ingénieurs sont également de la recherche, en général technologique
- les enseignants, s'ils font bien leur métier sont sans cesse en position de recherche didactique
- etc.
Bien sûr, je vois la différence entre la pratique et la conceptualisation. Un médecin qui soigne bien ses patients a une bonne pratique et, s'il fait bien cette pratique, c'est qu'il se fonde sur des concepts qu'il manie clairement.
Inversement, l'activité de conceptualisation qu'il peut faire serait en quelque sorte gâchée s'il ne publiait pas des textes où il décrirait cette conceptualisation. Bien sûr, il peut la garder pour lui-même, pour améliorer sa pratique. En tout cas, il est en position de recherche technologique puisque la médecine est une pratique, donc une technique ,ainsi que l'avait très bien observé le grand physiologiste Claude Bernard.
Mais je reviens au mot recherche en restant maintenant dans ce domaine de la médecine : ce même Claude Bernard, qui expliquait que la médecine était une technique, a bien observé que la recherche clinique était une recherche technologique, et que la science, la recherche scientifique correspondant à la médecine avait pour nom la physiologie.
Dans le champ voisin de la pharmacie, il y a des recherches de médicaments : c'est de la recherche appliquée donc, et cela correspond à la recherche technologique. La recherche scientifique, pour la pharmacie, correspond manifestement à des études de biochimie ou de chimie fondamentale.
Et, en passant, on observera que s'il y a de la recherche appliquée, il ne peut y avoir de science appliquée !
Et l'ingénierie dans tout cela ? Il y a également là une technique et une technologie c'est-à-dire une pratique et une recherche. Mais pas une recherche scientifique.
samedi 7 juin 2025
Vous faites une demande ? Faites de la science !
Évaluant une proposition scientifique faite par des collègues, je vois du baratin : s'enchaînent sans relâche les mots durable, excellence, innovation, responsabilité expertise... Que veut-on me faire gober ?
Pour autant, ces mots ont un sens véritable et l'on pourrait espérer qu'ils désignent vraiment ce qu'ils doivent désigner mais en m'étant habitué à entendre parler d'excellence par les institutions toutes les secondes, alors que la réalité est autre, par exemple, je ne suis pas prêt à accepter cela de la part de collègues que j'évalue. Et puis, "excellence" : n'y a-t-il pas une prétention considérable à s'attribuer ce terme ? J'attends des faits, des preuves.
De même, la question de la durabilité est vraiment difficile, et elle ne se règle pas en quatre coups de cuillère à pot, en une phrase un peu vague qui annonce qu'on va s'en préoccuper : demain, on rase gratis.
Plus positivement
Oublions les médiocres, les malhonnêtes, et pensons à nous, à faire bien. Un jour que je plaignais de perdre du temps à faire des dossiers, le physicien Alain Aspect m'a donné le bon conseil d'utiliser ces occasions pour faire de la science... et c'est ainsi qu'un pensum se transforme en un merveilleux moment.
samedi 31 mai 2025
Je suis partagé
Rencontrant des étudiants brillants, je suis partagé quant au conseil à leur donner sur le choix de leur carrière : science, ou technologie ?
Hier,
un de mes collègues s'est avancé à pousser un de ces étudiants à faire une carrière
scientifique, et je crois que l'intention n'était pas mauvaise : il
s'agissait de recruter parmi les meilleurs pour nos laboratoires.
Mais
inversement, je me dit aussi que, dans une école d'ingénieurs, les
étudiants qui ont fait le choix d'y aller visent quand même le métier
d'ingénieur, l'industrie, la technologie, et c'est à ce titre, et également
en considération de l'intérêt national, que j'aurais tendance à inviter
les étudiants à se diriger vers l'industrie : il faut à notre pays une industrie forte, qui résulte d'une industrie bien pensée, bien dirigée. Pensons à des Eiffel, des Jean Muller, des Armand Peugeot...
A la réflexion, je crois qu'il n'y a pas lieu de pousser nos jeunes amis dans une direction plutôt que dans une autre ; il vaut bien mieux, plutôt, leur exposer aussi justement que possible les attendus sur lesquels ils pourront fonder leur choix.
Il nous faut démonter les fantasmes, montrer la réalité des travaux, inviter à connaître les aspects individuels ou les aspects collectifs, envisager les intérêts intrinsèques, extrinsèques et concommitants associés à leur personnalité particulière.
Pendant quelques instants, j'ai eu la tentation de dire ici qu'il fallait un engagement absolu pour faire de la bonne science, y penser sans cesse, et que cela aurait été la caractéristique de la vie scientifique, mais ne faut-il pas se retrousser également les manches pour être un bon ingénieur, y passer beaucoup de temps également ?
Oui, on ne fait rien de bon sans engagement, et cet engagement ne doit pas nous coûter : le psychanalyste Jacques Lacan avait cette formule "Là où Ca est, je dois advenir", et elle se rapproche du "le talent fait ce qu'il peut et le génie fait ce
qu'il doit".
Et cela quelle que soit l'activité : le musiciens passionné de musique aimera faire des gammes : le chimiste passionné de chimie sera passionné de formules, d'expériences et de calcul, l'ingénieur passionné de son métier passera tous ses moments, vacances ou week ends à exercer son métier, sa passion ; le peintre fou de peinture pendra sans relâche, le médecin passionné de médecine soignera inlassablement ; le plombier passionné de plomberie fera des chefs d'oeuvre, l'administrateur cherchera sans cesse les moyens les plus intelligents d'administrer...
jeudi 15 mai 2025
The day after the Sonning Prize ceremony
The day after the Sonning Prize ceremony, I was invited by my colleagues of the Food Science Department of the University of Copenhagen (thanks to them), and Bettina Illeman Larsen recorded this : https://www.instagram.com/p/DJrRsHFAmAk/
Happy to share, and thanks to her
Conseil à des doctorants qui vont soutenir leur thèse
Quand une soutenance de thèse est planifiée, c'est que les rapporteurs ont été mis un avis favorable et que, en réalité, l'affaire est déjà faite, que la thèse est acceptée en toute probabilité.
Il y a donc lieu de savourer ce moment de la présentation et non pas de le redouter. Il n'y a pas besoin de stresser puisque cela ne sert à rien, que tout est joué. Et il vaut bien mieux savourer ce moment-là, un moment de science et comme un repas qu'on servirait à nos amis.
J'ajoute que les membres du jury, scientifiques, sont comme des taureaux devant qui nous avons intérêt à agiter le torchon rouge des mécanismes. Ils sont avides de venir discuter de sciences, avec le doctorant et entre eux.
Bien sûr, le doctorant doit s'adresser à tous puisque la soutenance est en réalité une façon de montrer que l'on est capable de travailler dans l'enseignement supérieur, c'est-à-dire de faire cours. D'ailleurs, les questions du jury sont de ce type de : elles s'apparentent aux questions que les étudiants pourraient poser si l'on faisait un cours à l'université.
Mais il n'y a pas de doute qu'un doctorat qui a bien travaillé pendant 3 ans sera parfaitement répondre aux questions puisqu'il les aura envisagées pendant ces trois années. Et d'ailleurs, il n'est pas dit que le professeur puisse répondre à toutes les questions au sens de donner la réponse à cette question ; ce qu'il doit donner, c'est une réponse, et même peut-être qu'il ne sait pas. Il n'y a pas de honte à ne pas savoir, et, dans un tel cas, il s'agit surtout d'envisager comment on pourrait avec plus de temps répondre à la question ou comment, si un travail n'a pas été fait on pourrait le faire...
Bref il n'y a pas à stresser mais à savourer ce moment. Le doctorant ayant invité son jury, il doit lui donner du bonheur comme quand on invite des amis à dîner ; il doit avoir mis les petits plats dans les grands, ce qui signifie avoir préparé correctement le powerpoint qu'il va utiliser. Et de même que l'on met une nappe propre sur la table, on évitera évidemment les fautes d'orthographe dans les textes, par exemple. Mais ensuite, il y aura lieu de servir des mets délicat, de montrer des idées intéressantes...
Si on en est capable, on peut évidemment faire mieux, par exemple organiser un discours parfaitement élaboré, faire une sorte d'événement mais cela est en plus et en vérité la soutenance est l'occasion de pouvoir se mettre en position de faire cela.
Il faut en profiter, il faut en profiter pour grandir, il faut en profiter pour s'amuser... Bref la soutenance d'une thèse doit être un moment merveilleux
jeudi 8 mai 2025
Le récit de la science ?
Une jeune fille m'interrogeait hier à propos de phénomènes qui pourrait être discutés, en vue d'en faire des chapitres de livres : lesquels prendre, en cuisine ?
Cela part évidemment d'une idée tout à fait exceptionnelle : il faut d'abord saluer cette envie de s'intéresser à la physique et à la chimie, et notamment quand elle part de la cuisine.
Mais il y a surtout lieu d'expliquer combien la sélection est facile, car la science sécrète son objet en quelque sorte : partant des phénomènes, elle en fait l'exploration.
Ainsi il y a donc lieu, pour n'importe quel phénomène, de se lancer dans un mouvement infini qui consiste à bien identifier le phénomène, à le délimiter, puis à le quantifier, à chercher des regroupements des données en équations, puis à chercher des regroupements d'équations avec de nouveaux concepts qu'il faut alors imaginer et qui doivent être quantitativement compatibles avec les données ; il faut ensuite chercher des conséquences logiques des théories ainsi constituées et tester expérimentalement es conséquences.
Tout cela mérite d'être accompagné de longues discussions, de longues explications, et il faut souligner que le mouvement est infini puisque toute théorie est insuffisante : il faut moins les présenter que les réfuter, en chercher des réfutations.
Ce mouvement infini, c'est le mouvement de la recherche scientifique, qui se fait pour n'importe quel phénomène, et en regardant dans ma cuisine, je vois mille choses qui sont tendues à mon intérêt.
Par exemple, alors que je fais mariner les anchois dans du sel, je vois l'eau qui sort des tissus musculaire des poissons... mais comment ?
Dans le bocal, je vois une matière grasse à la surface mais d'où vient-elle et comment est-elle apparue ?
Je vois que les chairs brunissent, mais pourquoi ?
À côté du bocal d'anchois, il y a ce saumon que j'ai fumé pendant le weekend : quelles molécules de la fumée ont-elles parfumé mon saumon et où se sont-elles placées ?
Pas loin, il y a des quenelles, toujours de poisson que j'ai également réalisées pendant le weekend à partir de chair de poisson broyée avec des œufs et de la crème. Et comment le broyage a-t-il modifié la chair ? Quelle est la taille des segments de fibres musculaires finalement obtenus ? Quelle est la répartition des tailles ? Pourquoi celle-là ? Existe-t-il un rapport entre l'énergie que j'ai dépensée pour broyer et cette distribution ? Puis, lors de l'ajout de blanc d'œuf et de crème, le broyeur a-t-il introduit des bulles d'air ? Et de quelle taille ? Cette taille dépend-elle de la viscosité de la chair hachée ou plutôt du mixeur ? Et la graisse : les gouttelettes de matière grasse présentes dans la crème ont-elles été divisées lors du broyage ?
À ce stade je peux m'arrêter : je crois avoir bien montré combien phénomène pouvait donner lieu à une longue discussion. Evidemment cette discussion n'a pas été faite ici, mais il suffit de considérer tout article scientifique pour s'apercevoir que la question initiale de mon interlocutrice avait une réponse facile.
mardi 11 mars 2025
Faut-il vraiment ?
Ai-je raison de me focaliser sur la différence entre la science et la technologie ? Oui, ai-je raison, alors que des amis me disent que cela est une perte de temps, d'énergie ?
A l'analyse, e vois premièrement qu'il y a la question
de l'usage des mots, lequel correspond à une propreté de la pensée.
Et de
ce simple point de vue, il y a donc le plus grand lieu de faire la différence.
Pour ce qui
concerne l'activité ? Je me souviens que lors des thèses financées par des
industriels, ces derniers insistaient pour que les docteurs fassent des choses «
utiles » tandis que je revendiquais de la compréhension, du mécanisme,
c'est-à-dire de la science.
Dans le dosage des activités, je me
souviens que la différence entre science et technologie (applications) aidait les doctorants à bien doser leurs activités.
Dans la mesure où la compréhension des mécanismes est toujours plus fructueuse que de simplement régler des problèmes, résoudre des questions, il y a là quelque chose d'important... pour la techologie.
Mais je me souviens aussi d'un cas où nous avions exploré l'étalement de la sauce sortie d'une buse, simplement pour nous amuser et parce que cela prenait quelques instants. Or nos amis industriels avaient été tout contents de ce résultat important pour eux alors que nous les considérions comme parfaitement anodin. Faut-il passer sa vie à faire des petites choses simples et utile ou vaut-il mieux investir les financements qui nous sont procurés pour des travaux plus difficiles mais qui conduiront à des applications bien plus nombreuses ? La réponse est évidemment dans la question.
D'ailleurs, puisque nous en sommes à évoquer des dialogues avec des amis industriels, il est bien certain que la distinction des travaux est importante dans les contrats que nous passons avec eux, ce à quoi nous nous engageons en quelque sorte.
Nous arrivons maintenant à la question scientifique et là
virgule il est bien évident que si nous nous laissons aller à des
questions d'application, nous ne ferons certainement pas le travail de
recherche scientifique que nous imaginerions. C'est donc cette fois-ci
avec nous-même qu'il y a lieu d'être rigoureux.
mercredi 19 février 2025
Rions en lisant les publications scientifiques
Je sais bien qu'il faut être charitable mais quand même : lisant des publications scientifiques, je trouve bien trop souvent des phrases dont je ne peux m'empêcher de me moquer.
Et je retrouve un document ancien qui faisait déjà de même. Comme il est en anglais, je le traduit pour mes amis francophones :
on sait depuis longtemps = je ne me suis pas ennuyé à aller chercher les références originales
Il est de grande importance théorique et pratique = cela m'intéresse
Alors qu'il n'a pas été possible de trouver une réponse à ces questions = les expériences ont échoués mais je me suis dit qu'on pourrait quand même publier
Extrêmement pur = de composition inconnue sauf en ce qui concerne les déclarations exagérée du fournisseur
Nous avons effectué une pléthore d'analyses = nous avons fait quelques mesures
3 des échantillons ont été retenus pour une étude détaillée = les autres échantillons donnaient des résultats incohérents et nous les avons donc ignorés
tachée accidentellement lors de la fixation = on la laissée tomber par terre
manipulée avec le plus grand soin pendant les expériences les expériences = on ne l'a pas fait tomber par terre
des résultats caractéristiques sont montrés = voici les meilleurs résultats que nous avons obtenus, les meilleures valeurs
les meilleurs résultats sont ceux de Jones = c'est un de mes étudiants
on pense que = points je pense
il est généralement admis que = il y a quelques collègues qui pensent comme moi
on pourrait argumenter que = j'ai une si bonne réponse à cet objection que je vais la proposer
correct pour ce qui est de l'ordre de grandeur : faux
il est clair que beaucoup de travail sera nécessaire avant d'obtenir une compréhension complète = je ne comprends rien
on espère que ce travail encouragera d'autres études du même type = cet article n'est pas très bon tout comme ceux de mes collègues qui étudient ce sujet sans intérêt
j'adresse des remerciements à x pour l'assistance pour les expériences et à y pour les discussions profitables = x a fait tout le travail et y m'a expliqué ce que ça signifiait
lundi 17 février 2025
L'invention des sciences de la nature
Dans un billet précédent, je relisais Francis Bacon pour savoir si oui ou non il avait été à l'origine de la méthode scientifique que nous avons aujourd'hui et ma conclusion était que plutôt non mais quand même oui.
Je m'explique : nos idées actuelles ont été longuement forgées et il a fallu nombre de personnes pour y parvenir.
Pour la méthode scientifique, la physique et la chimie, la biologie ont marché à des pas différents. Il est clair que c'est la mécanique et l'astronomie qui ont commencé à l'époque de l'Antiquité grecque, mais c'est donc vers la Renaissance que les sciences modernes sont lentement apparues, et notamment quand l'algèbre a été façonné.
Ce n'est pas d'ailleurs Descartes tout seul qui est arrivé à cela car il y a eu également des personnages importants comme Viete, mais progressivement, les capacités de calcul se sont augmentées et l'utilisation de ces dernières, alliée à une grande rigueur dans l'étude des phénomènes, rigueur qui se débarrassait autant que possible des préjugés philosophiques, est arrivé à une mathématisation de la physique et à sa constitution en sciences de la nature, tenant sur les deux pieds que sont l'expérience et le calcul.
Pour la chimie, c'est ensuite à l'époque de Lavoisier que les choses se sont faites mais on n'était pas encore à nos idées complètement modernes puisque Chevreul, une génération après Lavoisier, parvenait encore à faire œuvre originale avec sa méthode à posteriori expérimentale.
Aujourd'hui les choses sont bien plus claires et on voit bien la méthode scientifique repose sur le travail de nombreuses personnes tout également importante. Il y a une espèce d'idées enfantine à vouloir attribuer à une seule personne des avancées qui sont en réalité dues à plusieurs.
