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vendredi 8 novembre 2024

Qu'est-ce que la science (de la nature) ? Il n'y a qu'une seule méthode

Ces temps-ci, je vois nombre d'amis qui confondent rigueur et science.  La rigueur, c'est la rigueur, et Flaubert était rigoureux, ou Mozart, par exemple... mais ils n'étaient pas scientifiques pour autant. De la rigueur, on peut en mettre dans toute activité humaine, et c'est d'ailleurs le propre des gens que j'aime que de ne pas être des tas de viandes avachis, mais au contraire des êtres dressés autour d'une "colonne vertébrale" (quelle est la vôtre ?). Pour la science, j'ai discuté dans mon livre Cours de gastronomie moléculaire N°1 : Science, technologie, technique (culinaires), quelles relations ?, la question du mot "science", que les sciences de la nature ont eu tendance à "confisquer"... mais il y a des sciences de l'humain et de la société, qui ne se confondent pas avec elles. 

Et l'on a le droit de parler de la "science du cuisinier", ce qui ne signifie pas que les cuisiniers soient des scientifiques... au sens des sciences de la nature. Focalisons nous donc à partir de cette phrase sur les sciences de la nature. Quel est leur objet, leur unique objet  ? <h3><b>Chercher les mécanismes des phénomènes, par l'emploi de la "méthode scientifique". </b></h3> Et qu'est-ce que cette méthode ? Elle tient en six points : <b>1. identifier un phénomène</b> 2.<b> le quantifier</b> (tout doit être "nombré", disait déjà Francis Bacon) 3. <b>réunir les données de mesure en équations</b> nommées "lois" 4. <b>produire des "théories" </b>en regroupant les lois et en introduisant des "mécanismes", assotis de nouvelles notions, concepts... ; à noter que, évidemment, tout doit être quantitativement compatible avec ce qui a été mesuré en 2 5. <b>recherche de conséquences logiques, testables,  des théories</b> 6. <b>tests expérimentaux de ces prévisions théoriques</b> 7. <b>et ainsi de suite </b>à l'infini en bouclant, car une théorie n'est qu'un modèle réduit de la réalité, pas précis à l'infini (un exemple : Georg Ohm, à partir de ses mesures imprécises, a identifié la loi d'Ohm, mais quand, un siècle après, on y a regardé de plus près, on a vu que la relation entre la différence de potentiel et l'intensité électrique était plutôt sous la forme de marches d'escalier... et c'est l'effet Hall quantique). Tout cela étant clair, on pourrait me demander : comment êtes-vous sûr que cette méthode est la méthode scientifique ? Ma réponse est que je soumets cette vision à tous les scientifiques du monde entier, dans les pays du monde, à raison d'environ 200 conférences par an, et jamais je n'ai eu de réfutation. Cela est publié... mais, surtout, c'est tiré de l'analyse des travaux des Lavoisier, Faraday, Pasteur, Einstein, etc. Bref, ce n'est pas une invention personnelle. 

D'autre part, on observera que la science (de la nature) ne se confond pas avec la technologie ou ingénierie, ni avec la technique. La technologie a une visée applicative que la science n'a pas. Je rappelle que la science cherche seulement les mécanismes des phénomènes ; elle ne cherche ni à produire des médicaments, ni à faire des ordinateurs, etc. La technique, elle, est la production. Elle est améliorée par la technologie, qui prend les résultats de la science pour les transférer. C'est notamment pour cette raison qu'il faut absolument combattre des terminologies comme "technoscience", qui sont aussi absurde que "carré rond". Et pour terminer, j'ajoute que chaque champ - science, technologie, technique- est merveilleux... quand il est bien fait. Il n'y a pas de hiérarchie, la science qui serait mieux, ou la technique, ou la technologie : on ne compare pas des pommes avec des bananes. Et il faut les trois pour que nous parvenions, dans la plus grande clarté intellectuelle, à faire demain un monde meilleur qu'aujourd'hui. Vive la Connaissance produite, partagée, utilisée pour le bien de l'humanité !

mardi 5 novembre 2024

La bonne foi est fructueuse : analysons nos erreurs

Alors que je sors d'une séance expérimentale avec un étudiant intelligent et intéressé, je le vois faire des erreurs qui sapent son travail, annihilent ses efforts.
Plus exactement, l'envie de faire bien l'a conduit à se lancer trop vite dans la partie expérimentale, et c'est ainsi que des phénomènes non anticipés se sont ajoutés à ceux qu'il voulait analyser.  

L'analyse de son échec ne vise pas à lui mettre la tête dans la boue, mais à lui permettre d'éviter ce type d'erreurs pour le futur.

Car on ne considère pas assez qu'une expérimentation est moins un travail technique local d'une sorte d'ascèse, de recherche d'amélioration personnelle, et c'est d'ailleurs ainsi que l'expérimentation prend tout son intérêt.

À la réflexion, je m'aperçois que nous avons déjà rencontré souvent des erreurs du type de celle d'hier, et cela a  a constitué la base de ce que nous avons donné des "DSR", des documents structurants de recherche qui visent précisément à éviter les erreurs, à nous prémunir contre les complexités inattendues, à nous permettre de mieux anticiper.

La première leçon, la leçon la plus immédiate de l'analyse de l'erreur d'hier, c'est que nous devons avoir un programme expérimental clair avant de nous lancer. Ce programme doit être fondé sur une analyse, de même que dans un calcul, s'impose un libellé clair et explicite des objectifs, puis un schéma sur lequel apparaissent les grandeurs d'intérêt.  L'expérimentation doit commencer par l'établissement d'un modèle théorique qui sera exploré expérimentalement.
Au fond, que l'on calcule que l'on expérimente, il y a des quantités à considérer, et rien ne vaut un schéma faire apparaître, les identifier

J'y reviens : on aurait beau jeu de critiquer l'étudiant pour une sorte de légèreté, car je suis presque sûr que, sans la méthode que je propose, la plupart des étudiants seraient tombés dans le piège.
J'ai bien raison de dire que le diable est caché derrière tout geste expérimental, tout calcul




samedi 19 octobre 2024

La... recherche ?

 Alors que des amis industriels sont venus parler à nos étudiants, j'ai à nouveau rencontré la confusion entre recherche, recherche et développement, développement, recherche appliquée... 

Commençons par le mot développement, qui est un anglicisme qui signifie mise au point. Quand quand on cherche à faire un million de pizza par jour avec, sur chacune, quelques feuilles de basilic, il y a certainement lieu de faire une recherche pour savoir comment déposer les feuilles et car on ne les mettra pas à la main.
Il y a d'abord la recherche d'un procédé, qui est une recherche technologique, et ensuite une mise au point du procédé qui se fait sur la ligne de production. Dans les deux cas, il s'agit de rechercher mais pas avec la même profondeur et, au fond, on pourrait dire qu'il y a une recherche technologique globale pour la mise au point,  et une recherche technologique locale pour la mise au point. 

Mais la recherche technologique se distingue de la recherche scientifique, qui est  l'exploration des mécanismes. 

Et nous arrivons ici à cette question de la recherche scientifique  : elle n'est ni pure ni académique, mais simplement scientifique. 

Pour cette dernière, on cherche à faire des découvertes, à lever un coin du grand voile, comme le disait Albert Einstein et non pas à trouver des applications, des produits, des améliorations des technique. 

Il y a donc d'un côté la recherche scientifique, puis la recherche technologique dans la mesure où elle améliore les techniques, et cette recherche technologique peut être plus ou moins profonde. 

mercredi 11 septembre 2024

Science pure versus technologie

Il y a périodiquement des personnes qui viennent dire que la séparation entre la science pure et la "science appliquée" est périmée, que ce sont des idées d'un autre temps... mais rien qu'une telle déclaration montre à la fois une volonté idéologique et une mauvaise perception de la science, sans compter un usage médiocre de la langue, ce qui a des conséquences sur la pensée. 

 

J'invite donc ces personnes à lire ou à relire la biographie de Max Planck intitulée "Planck, une conscience déchirée",  par John Heilbron (Editions Belin) : elle y verront des discussions entre Planck et Starck,  alors que l'industrie allemande, très lié à certains milieux technologiques, poussait pour que l'Académie des sciences accueille en son sein une division de "sciences appliquées". Ce sont là les mots de Heilbron,  mais je ne suis pas sûr que Planck aurait adhéré à cette description, et notamment  parce que il n'existe pas plus de "science pure" que de "sciences appliquées" :  la science, c'est la science, à savoir une activité de recherche des mécanismes des phénomènes, et les applications de la science sont... des applications de la science. L'expression "science appliquée" est fautive, parce que si une science était appliquée, ce serait de la technologie, et non plus de la science.

Cette question de regrouper des activités technologiques avec des activités scientifiques est récurrente. Elle s'est donc posée dans les années 1920 en Allemagne, mais elle s'est également posée en France, vers la Seconde Guerre mondiale, puis à nouveau il y a quelques petites décennies à l'Académie des sciences en France : Guy Ourisson, qui était alors président de l'Académie, fut un artisan de la création de l'Académie des technologies à partir de ce qui se nommait naguère le CADAS,  le comité des applications de l'Académie des sciences. 

 

J'insiste un peu parce que j'ai encore rencontré des amis qui auraient voulu que j'admette que la science moderne avait bien changé qu'elle était nécessairement liée à l'industrie ou à l'armée ;  que les idéaux de Planck  ou d'autres, à propos de la science, étaient devenus périmés, etc. 

En réalité, je m'étonne que de telles personnes se croient, dans la discussion, à la hauteur de Planck ou même d'Albert Einstein, dont le texte de discours pour l'anniversaire des 70 ans de Planck montrait combien il adhérait à ces idées que d'aucuns prétendent périmés. 

 Oui, il y a la science, qui est merveilleuse, et les applications des sciences qui sont merveilleuses quand elles sont faites pour le bien de l'humanité. 

Et rien n'y fera  : une recherche d'application est une recherche d'application et une recherche de mécanismes est une recherche de mécanismes. Certes, certains individus balancer entre les deux  ; ils peuvent à un moment chercher des applications, et chercher des mécanismes à un autres, mais  pour autant, ces deux activités ne se confondent pas. Il y a la science, d'une part, et les applications des sciences d'autre part.

vendredi 6 septembre 2024

Cherchons toujours les mécanismes !

Lors de la dernière année universitaire, j'ai eu l'occasion d'observer que nos élèves ingénieurs n'avaient pas suffisamment le réflexe d'aller chercher les mécanismes des phénomènes qu'ils considéraient.
De sorte que, cette année, au moins pour ce qui me concerne, je serai très insistant à ce propos car je crois que c'est là la clé du bon exercice du métier d'ingénieur. 

Je ne méconnais pas que ce métier a une composante strictement technologique au sens de l'amélioration des techniques, de la résolution de problèmes techniques, de la mise au point des produits, et une composante d'encadrement d'équipe, de gestion de projet. Ici, c'est bien la question technologique qui m'intéresse et l'expérience montre amplement que des maniments superficiels des questions ne mènent à rien, font perdre du temps... 

La clé du succès, c'est la compréhension des phénomènes et la mise en œuvre de solutions guidées par cette compréhension.
Il faut chercher le mécanisme en terme de chimie, de physique, de biologie et c'est ensuite, quand on a une description des phénomènes, une analyse des questions en ces termes scientifiques, que l'on peut résoudre les problèmes de façon efficace. 

Je prends la précaution d'ajouter que je ne cherche pas à transformer nos ingénieurs en scientifiques, en personnes qui cherchent les mécanismes des phénomènes. Non, il s'agit plutôt que nos élèves ingénieurs aillent chercher la connaissance des mécanismes produites par les scientifiques et mettent en œuvre cette connaissance pour les questions qu'ils traitent. 

D'ailleurs, celles et ceux qui ont concocté les programmes de préparation aux écoles d'ingénieurs ont bien compris tout cela puisqu'ils ont mis au programme des matières fondamentales telles que mathématiques, chimie, physique, biologie.
Nos élèves ingénieurs bénéficient de ce socle très ferme , et nous avons la mission de les faire avancer plus loin. Ils auraient tort s'ils pensaient pouvoir ne plus traiter ces questions, et d'ailleurs, beaucoup aiment ces matières. Poursuivons donc sur la lancée, incitons-les à ne pas oublier les connaissances qu'ils ont acquises et, au contraire invitons les à développer leur connaissance dans tous ces champs car c'est ainsi qu'ils feront d'excellents ingénieurs. 

Cela a été bien compris notamment par l'Ecole de physique et de chimie de Paris, où  l'enseignement « scientifique » est très poussé, sans négliger  pour autant les questions pratiques : il y a des séances expérimentales tous les après-midi pendant 4 ans. 

 

Aidons nos amis à devenir d'excellents ingénieurs ! 

samedi 31 août 2024

A propos de sociologie des sciences (heureusement, un cas particulier ne fait pas une discipline)

Est-il utile de passer quelques mois dans un laboratoire pour comprendre ce que sont les sciences quantitatives ? Oui et non. 

Oui, car on voit ce qu'est vraiment la science (à condition que ce ne soit pas de la technologie).
Non si l'on se contente de regarder, sans plonger dans le calcul. 

Pour bien cadrer la discussion, je rappelle que les sciences de la nature  fonctionnent par : 

- identification d'un phénomène 

- caractérisation quantitative du phénomène 

- réunion des données de mesures en "lois" synthétiques, c'est-à-dire en équations 

- recherche de mécanismes quantitativement compatibles avec les lois (parfois, les mécanismes ne sont autre que des noms collés sur des groupes de comportements) 

- recherche de conséquences de la théorie constituée par l'ensemble des mécanismes retenus 

- test expérimental de la conséquence théorique, en vue de la réfutation de la théorie, afin de l'améliorer. 

A part le tout début du travail, le reste fait usage du calcul, et rien de la science de la nature ne se comprend sans comprendre le calcul. Dit autrement, comprendre les sciences de la nature, c'est comprendre la description précédente, ce qui est vite fait, mais, surtout, comprendre les relations entre les mesures et les mécanismes, par les équations qui sont au coeur de l'activité. 

Alors oui, on peut venir passer quelques mois dans un laboratoire, pour en comprendre le fonctionnement, mais si l'on ne plonge pas dans les calculs, si ces calculs ne sont pas au centre de l'investigation, alors il y a le risque que l'on ne voie pas vraiment la science, mais seulement son aspect technique, moins d'une moitié d'elle. Cela n'a aucune importance si l'on veut simplement satisfaire une curiosité, mais cela le devient si l'on fait de cette connaissance la base d'un travail ultérieur. 

Or trop de commentateurs des sciences de la nature sont restés aux mots (de plus de trois syllabes, bien entendu : cela fait plus sérieux, plus "intellectuel"), sans plonger dans les équations. 

Bien sûr, les sociologues peuvent s'intéresser au groupe social constitué par les scientifiques et les relations qu'ils entretiennent avec le reste du monde, mais cela ne dit rien du contenu des sciences quantitatives : la validité de leurs travaux est limitée aux comportements humains... qui ne sont que peu différents des comportements dans d'autres groupes humains : avant d'avoir une activité scientifique, les scientifiques sont humains. 

Oui, il y a l'humain, et le professionnel. Pour l'humain, c'est dit, mais pour comprendre le fonctionnement du professionnel, il y a des règles particulières, qui s'enracinent plus profondément dans les sciences, ou, dit plus clairement, qui ne se comprennent que si l'on comprend mieux les sciences, c'est-à-dire dans les équations. 

Considérons par exemple la chimiométrie, qui est une discipline qui fait usage de mathématiques à propos de données d'analyse chimique. Il y a des débats pour savoir si seules les méthodes statistiques sont au coeur de la discipline, ou bien si d'autres types de mathématiques peuvent être utilisées. Il y a des débats pour savoir si la chimiométrie est une science ou une technologie, ou encore une technique. Il y a des débats pour savoir si les espoirs qu'on y met correspondent aux mots posés dans des appels d'offres, par exemple.
Discuter de tout cela ? Comprendre les relations entre scientifiques quand elles sont centrées sur ces débats ? Il faut manifestement savoir de quoi l'on parle, plonger dans le détail des calculs, en comprendre la mécanique, la nature. 

Je sais bien qu'un cas isolé ne fait pas une règle générale, mais j'ai du mal à m'empêcher de penser que le monde de la sociologie des sciences (faut-il un monde entier pour cela ?) devrait faire du ménage dans ses rangs. Et, comme les autres disciplines scientifiques, raidir un peu les règles de publication. 

J'ai, en effet, reçu dans mon groupe de recherche une sociologue des sciences d'une des principales université du monde, dirigée par un ponte de la sociologie des sciences (on verra pourquoi je ne nomme personne précisément!). La personne était venue pendant six mois au laboratoire, et, mieux même, dans mon propre bureau. Je la tenais au courant de tout, je partageais avec elle les feuilles de calcul (qu'elle ne comprenait pas), les ébauches d'article, je l'emmenais avec moi quand je faisais des conférences, je répondais à ses questions en voiture, dans le métro… Évidemment quand on passe beaucoup de temps en compagnie de quelqu'un, iil est bien difficile de rester  longtemps sans « sourire », sans faire de l'ironie, de l'antiphrase… surtout moi ! Et j'ai eu finalement la stupéfaction de voir imprimé dans sa thèse des blagues que je lui avait dites... et qu'elle avait prises au sérieux. Mais ces blagues n'étaient pas assorties de point d'ironie, et elles n'étaient pas prises comme telles : notre amie avait mis au pied de la lettre des idées évidemment insoutenables. Pis encore, je crois qu'elle n'avait rien compris à la science quantitative, parce qu'elle voyait cette dernière comme une sorte de récit, assorti de signes incompréhensibles pour elle, alors que les sciences de la nature sont précisément cela, le maniement d'équations qui tiennent si bien au phénomène. Notre "collègue" aurait passé dix fois plus de temps avec nous que ses a priori n'auraient pas été changés. 

Pour comprendre la science, il faut donc faire l'effort de comprendre les équations qui sont véritablement la science, qui la structure, qui la déterminent… Oui, des explications patiemment données permettent de comprendre, à n'importe qui, mais seulement si ce n'importe qui a envie de comprendre le formalisme, s'y plonge. 

Pour les autres, la science est un récit, un conte qui, évidemment, n'a pas plus de validité que n'importe quelle histoire de fée ou de revenant. Ce cas n'est pas isolé, et l'on voit trop d'articles ou de livres de sociologie ou de philosophie des sciences qui passent à côté de ce que sont vraiment les sciences quantitatives, ou qui présentent des "élaborations" où les scientifiques n'y retrouvent pas leur activité. 

Comment améliorer les choses ? En introduisant du calcul dans le cursus des sciences de l'humain et de la société, en n'acceptant pas que la rigueur soit moindre que dans d'autres disciplines. Mais faut-il être plus exigeant dans ce champ que dans d'autres ? La question est épineuse, et compliquée par le fait que le discours de certaines sciences de l'homme et de la société est un discours en langage naturel, qui, de ce fait, peut être entendu par l'homme et la femme de la rue.
 

mardi 20 août 2024

Qu'est-ce que la science ?


L'enseignement doit s'inspirer de la mythologie alsacienne, qui reconnaît que les héros conduits par Odin doivent sans cesse lutter contre les géants, sous peine d'une dévastation du monde nommée Ragnarok : chaque groupe d'âge est ignorant de ce que les précédents ont appris, de sorte que nous devons les aider à obtenir cette connaissance. D'où l'idée commune, en pédagogie, selon laquelle la répétition est la base de l'enseignement ? Pour le mot "science", nous sommes bien d'accord que le mot désignait naguère simplement un savoir (on parlait de la science du cordonnier), et, aujourd'hui, dans l’enseignement supérieur, on confond par ce mot les sciences de la nature, et les sciences de l'humain et de la société. Ici, ce sont les sciences de la nature que j'évoque. Elles sont dites parfois "expérimentales", mais c'est trop réducteur, parce qu'il peut y avoir des théoriciens. Parlons de sciences de la nature. Que sont ces sciences ? Des activités de culture, et, plus précisément, de recherche de connaissances. Mais, plus précisément, je propose de caractériser les activités humaines par - un objectif - le ou les chemins (methodon, en grec : méthode) qui y mènent (le choix du chemin, c'est la stratégie). En l'occurrence, l'objectif des sciences de la nature, c'est la recherche des mécanismes des phénomènes. Et le chemin me semble être le suivant : - identification d'un phénomène (parmi l'immensité de tous les phénomènes qui se présentent à nous à chaque instant) - caractérisation quantitative du phénomène (si possible sur des variables pertinentes) - recherche de "lois" synthétiques, qui regroupent les données numériques obtenues lors des caractérisations - recherche de mécanismes par "induction", à partir des lois synthétiques précédentes ; cela constitue une "théorie" (on lira avec intérêt les textes de Henri Poincaré à ce sujet) - recherche de conséquences de la théorie obtenue, en vue de faire un test expérimental de ces conséquences (c'est en vertu de tels tests que les théories scientifiques sont dites "réfutables", et que les théories non réfutables ne méritent sans doute pas d'être nommées "scientifiques") - tests expérimentaux des conséquences- et ainsi de suite, en repartant sur les caractérisations quantitatives. C'est clair et simple, non ? Alors pourquoi cela ne m'a-t-il pas été enseigné, quand j'étais étudiant en sciences ? Et pourquoi continue-t-on de parler de "carrières scientifiques" pour désigner les métiers de l'ingénieur, qui n'ont de rapport ni avec l'objectif précédent, ni avec la méthode décrite ? Il faut changer rapidement !

mardi 18 juin 2024

Les Ateliers expérimentaux du goût

 Hier, lors de la réunion des professeurs de physique et de chimie de l'Académie de Bordeaux, j'ai été remis en position de présenter les Ateliers expérimentaux du goût ainsi que les Ateliers science et cuisine, que j'avais introduits dans l'Education nationale au début des années 2000. 

Force est d'observer, avec le recul, que la méthode pédagogique introduite alors n'a pas démérité et qu'elle n'est pas périmée : au bénéfice des élèves, les collègues peuvent parfaitement mettre en œuvre des ateliers de ces deux types. 

Que faut-il faire pour relancer la machine ? Sans doute en refaire des présentations à l'attention des professeurs qui, pour certains, ont oublié l'existence des ateliers, et qui, pour d'autres,  ne la connaissent pas. 

Il n'y a nulle part de mauvaise volonté, bien au contraire, et il y a surtout l'observation que, lors des préparations culinaires, il y a mille phénomènes extraordinaires qui méritent d'être considérés, analysés, étudiés, en laboratoire ou en classe. 

Souvent, un microscope fait l'affaire, mais évidemment, si l'on calcule un peu, on fait bien mieux. En tout cas, il y a cette observation que ces activités scientifiques ne coûtent quasiment rien, surtout quand on les fait à l'occasion de la préparation d'aliments que l'on va consommer. 

Mousses, émulsions, gels, suspension... Tout y passe, et ces colloïdes sont à l'interface de la physique, de la chimie, mais aussi de la biologie puisque la cuisine, c'est usage de tissus végétaux ou animaux. 

Merci aux collègues de l'académie de Bordeaux de m'avoir accueilli si chaleureusement et surtout, de m'avoir permis de présenter à des collègues des activités qui mériteraient de figurer au cœur de leurs études avec les élèves.

mardi 11 juin 2024

De bons professeurs pour les débutants ?



Je connais au moins deux très bons musiciens qui ont écrit qu'il faut surtout d'excellents professeurs pour les débutants. Dit ainsi, cela paraît logique, car ce sont les bons professeurs qui donneront des conseils avisés que les élèves pourront suivre...

Mais... Est-ce une idée juste ? On se souvient que j'ai souvent discuté la question des professeurs : je maintiens qu'il faut du travail, plus que des professeurs. A quo les professeurs servent-ils ? Peuvent-ils vraiment nous aider ? Ou bien devons-nous toujours faire des erreurs et les surmonter pour grandir ?

Plus généralement, quel est le rôle d'un professeur ? La question n'a pas été posée par les deux musiciens qui ont usé de leur autorité pour nous dire ce "Il faut", que je récuse. Il ne faut rien, sauf ce que je décide.

D'ailleurs, pour ce qui concerne la musique, je connais au moins un grand flûtiste qui  a appris par lui-même, sans professeur. En alsacien, on dit "D'Uewung macht d'Maischter", l'exercice fait le maître. Et en français : quelqu'un qui sait, c'est quelqu'un qui a appris.
Alors ?

Surtout, la notion de "bon professeur", au singulier, doit interroger : le bon professeur pour une personne ne particulier est-il bon professeur pour une autre personne ? Je ne le crois pas, d'expérience.

Et, pour terminer, le voeu de nos deux musiciens initiaux est peut-être "pieux"... car quel Rostropovitch, quel Tortelier, quel Maurice André acceptera-t-il de détourner son temps pour aller "border des enfants dans leur lit", les tenir par la main, longuement, patiemment ? Et mieux, seraient-ils de "bons professeurs" ?

Bref, je suis loin d'être convaincu à la déclaration de nos deux musiciens et je propose plutôt que nous rassemblions des conseils utiles, que nous mettrions à la portée de tous, sur un internet dont nous disposons maintenant.
Certes, certains ont besoin d'enthousiasme, et c'est aussi cela que donnent des professeurs. Le goût d'étudier, et un chemin proposé pour les travaux, les études que seul l'étudiant peut faire.

Pour les sciences, qui m'intéressent plus que la musique, il y a eu ce cas merveilleux de Richard Feynman, physicien lauréat du prix Nobel, qui a pris sur son temps pour aller faire une série de conférences dans les universités américaines, ce qui a donné lieu un très beau livre de physique. Il reconnaissait, a posteriori, que ces conférences étaient peut-être inutiles : elles passaient au-dessus de la tête des moins bons des étudiants, et elles étaient inutiles pour les meilleurs, qui étudiaient par eux-mêmes.

Mais, j'y reviens : à l'heure d'Internet, il est peut-être plus intéressant de disposer de films de très grands professeurs dont nous ferons notre miel.
D'ailleurs, Michel Debost, flûtiste, a  l'honnêteté de dire que quelle que soit la façon de faire, si elle nous convient, alors c'est la bonne. En musique, on se souviendra également du pianiste Glenn Gould,  qui jouait  ou mépris de toutes les règles, sur une sorte de petit tabouret qui faisait hurler tous les pédagogues. Il est souvent répété pour la flûte que l'embouchure devait être parfaitement centrée, mais on a vu nombre de grands flûtistes mettre l'embouchure en biais, sur le côté, parce que la forme de leurs lèvres se prêtait mieux à cette position. De même pour le violoncelle,  il faudrait une tenue particulière... qui n'est certainement pas celle d'un d'un artiste tel que Yoyo Ma, qui joue couché en arrière.

Reste-t-il des conseils certains ? Récemment, j'ai vu en ligne les carnets de Richard Feynman, et j'ai vu qu'il écrivait en majuscules... ce qui ralentit. Et, d'autre part, j'ai vue les cahiers de Pierre-Gilles de Gennes, parfaitement calligraphiés : encore une façon de se ralentir, de se laisser penser avant d'écrire ce qui est peut-être faux. On se dit que, ainsi, on évite des confusions de signes, on se laisse le temps de penser... Il faudrait maintenant croiser cela avec les cahiers d'autres grandes scientifiques du passé avant d'en tirer des conclusions... que nous pourrions alors "enseigner".

lundi 26 février 2024

A propos de bonnes pratiques scientifiques : la question des publications.

L'activité scientifique conduit à des résultats qui doivent être publiés. Ce que l'on peut dire autrement : une idée dans un tiroir n'est pas une idée. 

La publication scientifique, c'est quelque chose de très délicat, et constitutif de la science. La question est notamment que les articles sont évalués par des rapporteurs, et que c'est ainsi que la communauté produit des résultats plus fiables que s'ils étaient émis par des individus isolés. Lors du processus de publication, l'évaluation par les rapporteurs permet, quand les rapporteurs sont intelligents et bien intentionnés, d'améliorer la qualité des textes publiés. 

Tout cela, c'est dans un monde idéal, où la science rendrait meilleurs ceux qui la pratiquent, comme le disait Michael Faraday, avec une certaine naïveté que je partage, mais on sait que le monde n'est pas exclusivement composé d'individus droits, pas plus dans le groupe des scientifiques qui veulent publier que dans le groupe des rapporteurs ou même des éditeurs. 

Par exemple, je me souviens d'une très grande revue scientifique internationale, l'une des deux plus grandes, qui m'avait demandé d'expertiser un manuscrit scientifique. Ce texte était mauvais, car des calculs complexes avaient été fondés sur des prémisses fausses, et j'avais donc donné un avis négatif sans hésitation. Je ne connaissais pas les auteurs, mais le travail proposé n'était pas de bonne qualité, ou, plus exactement, il était complètement nul, puisqu'il s'agissait de faire des calculs sur des phénomènes qui n'étaient pas avérés. Quelle ne fut pas ma surprise de voir le texte finalement publié ! 

Cela, c'est pour des éditeurs, qui prennent des décisions de publication sur la base de rapports des rapporteurs, mais on pourrait en dire autant des rapporteurs, et je me souvient notamment de plusieurs cas, pour moi comme pour des collègues, où les rapporteurs outrepassaient manifestement leur rôle, qui était d'évaluer la qualité du travail.
Parfois, c'est simplement que leur propre niveau scientifique n'est pas suffisant, car, comme les rapporteurs ne sont ni payés ni considérés pour le travail d'évaluation des articles, les éditeurs les trouvent difficilement et doivent se rabattre sur des jeunes scientifiques (des doctorants qui travaillaient avec moi ont même été sollicités, alors qu'ils n'avaient donc pas encore leur thèse, et que leur compétence n'était pas suffisante).
Parfois aussi, il y a des contingences : naguère, quand les revues étaient imprimées sur du papier, la place était limitée, et les éditeurs recommandaient aux rapporteurs de limiter le nombre de publications acceptées. Cette contrainte économique a heureusement disparu car elle découlait d'une intrusion anormale d'éditeurs privés dans le processus de production scientifique.

 Aujourd’hui, avec les publications en ligne, la question a disparu, même s'il demeure qu'un éditeur investit du temps et du travail dans les publications : il faut trouver les rapporteurs par exemple, assurer le suivi, faire la mise en forme et la mise en ligne ; c'est du travail de secrétariat qui coûte de l'argent, mais, pour ce billet, restons sur l'idée de publication en ligne où l'on peut diffuser facilement autant d'articles que l'on veut. Il y a donc l'auteur qui envoie un manuscrit, le secrétariat de rédaction qui transmet ce manuscrit à un éditeur lequel est chargé de trouver des rapporteurs pour un contribuer à l'amélioration du manuscrit avant publication, ou éventuellement au rejet du manuscrit si celui-ci n'est vraiment de qualité suffisante. Pour les auteurs, nous pourrons y revenir une autre fois, car la préparation d'un manuscrit est une question difficile, à propos de laquelle il y a trop à dire. 

Nous nous focalisons ici sur le processus d'évaluation. 

Dans la mesure où l'on sait que des équipes scientifiques du monde travaillent sur des sujets analogues, on sait aussi qu'il existe une concurrence, et qu'il faut donc veiller à ce que celle-ci ne se manifeste pas dans le processus d'évaluation quoi on arriverait à des injustices. 

C'est la raison pour laquelle nous devons militer absolument pour l'évaluation complètement, doublement, anonyme : le secrétariat de rédaction doit envoyer aux éditeurs les manuscrits sans le nom des auteurs, sans trace de l'origine des textes, et, évidemment, les rapporteurs ne doivent pas avoir non plus cette information qui pourrait fausser leur jugement soit en bien soit en mal. Parfois on est impressionné par une grande signature et, parfois aussi, à voir l'origine d'un article envoyé par un groupe inconnu dans une province reculée, on risque de conclure hâtivement à une qualité insuffisante du travail. 

Non, il faut un double anonymat pour que le processus d'évaluation qui, on le répète, vise à améliorer la qualité des articles raisonnablement publiables puisse jouer pleinement et conduire à la publication d'articles de bonne qualité, utiles à l'ensemble de la communauté.

mercredi 20 décembre 2023

Qu'est-ce qu'un bon scientifique ?

 Qu'est-ce qu'une bonne scientifique ? Qu'est-ce qu'un bon scientifique ?

La réponse est très simple : c'est quelqu'un qui fait des découvertes, qui "lève un coin du grand voile !


N'oublions jamais cette réponse évidente, alors qu'un état d'esprit ambiant voudrait nous faire croire qu'il s'agit de diriger des équipes, d'administrer la recherche...
Non, quelqu'un qui administre est un administrateur et pas un scientifique. Et quelqu'un qui dirige est un directeur, et pas un scientifique.
Un scientifique, c'est quelqu'un qui est engagé chaque seconde dans l'identification des phénomènes, leur quantification, la réunion des données en équations, l'introduction de concepts nouveaux, la recherche de conséquences logiques de la théorie ainsi construite, le test  expérimental des prévisions théoriques.

Tout le reste, ce n'est pas de la recherche scientifique. Je ne suis pas sûr qu'il soit nécessaire d'épiloguer beaucoup, sauf à signaler que, hélas, nos institutions proposent aux chercheurs éventuellement dit brillants (les "hauts potentiel", les "chercheurs d'excellence" : quelle blague !), de prendre en charge des structures, d'administrer, de "gérer du personnel", de passer un temps infini dans des réunions dont il n'est pas dit qu'elles soient toutes vraiment utiles.
Il n'est pas  dit que ces personnes -dont je voudrais que l'on m'établisse vraiment qu'elles sont "supérieures"-  soient vraiment capables de faire ce travail administratif, et, en tout cas, si elles acceptent de se détourner de la recherche, elles démontrent ainsi qu'elles ne font plus de sciences, mais de l'administration ou de la direction. 

Or on ne répétera jamais assez que nous sommes ce que nous faisons !

 Quelqu'un qui ne fait pas de science mais qui la dirige n'est pas un scientifique, je le répète, mais un directeur. Et à ce mot de directeur, je me suis déjà exprimé dans d'autres billets en observant qu'un directeur est quelqu'un qui donne des directions. Bon. Mais diriger des scientifiques ? Cela voudrait dire que ces personnes sont capables d'identifier les directions vers lesquelles leurs ouailles puisse se diriger en ayant une garantie de faire des découvertes : ces directeurs sont-ils capables de cela ? Peuvent-ils me l'assurer, me le démontrer ?  Sans assurance de leur part, je ne suis pas prêt à emprunter des chemins qui me détournent des idées que j'ai, des stratégies véritablement scientifiques que j'élabore (et le "je" ne me désigne pas, mais s'applique à tout scientifique engagé dans sa recherche, et responsable).

Je pose à nouveau, donc,  la question de savoir ce qu'est un bon scientifique. La réponse est claire  : c'est quelqu'un qui fait des découvertes, et, mieux, des découvertes notables. Et cela seulement, et rien d'autre. Aucun climat général, aucune idée qui traîne, fut-ce dans un ministère,  ne pourra  jamais me faire penser le contraire, et je propose que cela soit bien dit aux jeunes scientifiques : ne les désespérons pas !

Et prenons des exemples :  André Wiles était-il un bon mathématicien ? Il s'est retiré chez lui pendant quatre ans, ne venant pas au laboratoire, nous prenant aucune tâche d'intérêt général, ne faisant aucune administration... et il a démontré le théorème de Fermat : son nom restera à jamais dans l'histoire des mathématiques.
Les exemples de ce type abondent et ce n'est pas le fait d'être inséré dans une équipe, de mettre son nom sur des articles qu'on a vaguement lu, afin de gonfler des CV, qui donne des compétences scientifiques. Car les compétences scientifiques se construisent seconde après seconde... et tout ce qui détourne de la science ne contribue pas à accroître ces compétences. Des esprits supérieurs qui feraient des découvertes en claquant des doigts, par une sorte de "génie" ? De la blague ! 
Cette dernière observation, à propos des CV plein de publications, doit alerter. Des personnes qui publient jusqu'à un article tous les trois jours détournent clairement les règles de l'honnêteté intellectuelle,  et cela fait des années ça aurait dû être dénoncé par les institutions scientifiques, qui, en réalité, sont responsables de ces comportements : n'ont-ils pas promu un état d'esprit où le nombre de publications était une panacée ?
Non, on ne parvient pas à mettre en œuvre raisonnablement une idée scientifique tous les jours ; il faut des semaines, des mois, des années pour arriver à des résultats un peu notable. Les scientifiques ne sont pas des techniciens producteurs de données : ceux-là sont des techniciens, et, s'ils contribuent à l'avancée des sciences, ils font un travail technique pas des "découvertes".

Concluons :  un scientifique, c'est quelqu'un qui fait de la recherche scientifique, et un bon scientifique, c'est quelqu'un qui fait des découvertes lors de ses recherches scientifiques. Un point c'est tout.
N'oublions pas : nous sommes ce que nous faisons !

vendredi 3 novembre 2023

"Mon parcours : il tient tout entier dans "quel travail passionnant vais-je faire demain" ?"

 
Pour des raisons qui restent à comprendre, de nombreux collégiens m'interrogent sur mon « parcours », et j'y vois le même questionnement que, récemment, quand de jeunes camarades de l'ESPCI ont voulu visiter mon laboratoire : au fond, quel intérêt ? 

 

Dans les deux cas, de quoi s'agit-il ? Pour les élèves de l'ESPCI, l'analyse était simple, parce que ces personnes connaissent très bien les équipements que nous avons dans notre laboratoire : spectroscopie infrarouge, ultraviolette, chromatographies, spectrométrie de masse, résonance magnétique nucléaire... 

Alors, « visiter » ? J'ai répondu à la question en leur faisant un « discours » à propos de quelques lieux particuliers du laboratoire ; bref, j'ai pris prétexte de quelques lieux, de quelques appareils, pour essayer de communiquer des idées, des méthodes. Les lieux m'ont servi de prétexte à faire de la pédagogie, de l'enseignement, et, mieux, de l'enseignement sous la forme de discussions méthodologiques. 

 

Bref, j'ai essayé de «mettre de l'intelligence dans le monde », d'acclimater intellectuellement des lieux. L'effort était analogue à ce que n'a pas réussi à faire André Breton dans Nadja : mettre de l'enchantement dans le quotidien. 

Pour la question des collégiens et lycéens, il y a une possibilité analogue... mais il faut lutter contre le diable qui nous met le nez dans la poussière, chaque seconde : il faut beaucoup d'efforts pour mettre de l'intelligence dans le monde. C'est un effort passionnant, et je vois surtout que, au lieu de nous taper sur la poitrine, nous avons un devoir de modestie qui tient plutôt dans l'observation suivante : peu importe ce que nous avons fait, et c'est ce que nous faisons, ce que nous ferons, qui a quelque intérêt. D'où finalement une réponse succincte  : mon parcours ? il tient tout entier dans « Quel travail passionnant vais-je faire demain ? »

lundi 30 octobre 2023

Science ou technologie ? Le "ou" n'est pas exclusif !

 
Dans The Analytical Chemist, le physico-chimiste George Whiteside discute la question de la science et de la technologie, avec un intérêt manifeste pour cette dernière. 

En substance, il dit qu'il a fait de la science, mais que la technologie est bien mieux. Il veut ainsi faire entendre un goût personnel, qui rejoint celui qu'avait le chimiste allemand Justus von Liebig, quand il programma l'enseignement de la chimie en Allemagne (ce qui est devenu une force nationale), au tournant du XIXe siècle. Liebig, alors, n'avait pas de mots assez durs contre la science, parce qu'il voulait promouvoir la technique et la technologie. Avait-il raison ? De promouvoir technique et technologie, sans doute, mais fallait-il rabaisser la science pour autant ? Politiquement, il fut habile, mais intellectuellement, l'usage de l'argument d'autorité était bien faible ! 

« Autorité », le mot est lâché : pour Whiteside comme pour Liebig, l'argument d'autorité est mis en avant : « puisque je suis si bon, écoutez ce que je vous dis ». 

Et, pour revenir à la question, puisque l'autorité ne doit être en rien dans nos choix, y a-t-il lieu de choisir entre science et technologie ? Certains peuvent faire de la science, parce que c'est la base de ce qui nous fait humain. Certains peuvent faire de la technologie, parce que c'est... la base de ce qui nous fait humain. Assez de pensée unique ! Assez d'alternatives inutiles, assez de mauvaise foi, arguments justifiant des choix personnels et qui voudraient imposer aux autres des chemins souvent décidés de façon très conjecturale. Je ne dis pas que Whiteside n'a pas réussi dans son domaine, au contraire, et j'ai souvenir de merveilleux travaux qu'il a faits, un des plus extraordinaire ayant consisté « à cracher dans la soupe ». 

J'explique. Les fullérènes sont des molécules faites uniquement d'atomes de carbone, en forme de ballon de football ou de tubes grillagés. Ces molécules sont insolubles dans l'eau, mais Whiteside a utilisé de l'amidon pour solubiliser les fullérènes. L'amylose mis avec les fullérènes dans un bac à ultrasons conduit à l'enroulement en hélice de l'amylose autour des fullérènes et à la mise en solution de l'ensemble, grâce aux nombreux groupes hydroxyle (-OH) de l'amylose. Ultérieurement, quand on crache dans la solution, la salive apporte des enzymes nommées amylases, qui, coupant progressivement les molécules d'amylose, libèrent progressivement les fullérènes. On imagine que l'on puisse faire ainsi avec des composés odorants. 

 

Concluons : j'ai beaucoup d'admiration pour certains travaux de G. Whiteside, mais je crois qu'il a tort d'opposer science et technologie : il faut les deux, pour que les deux se développent harmonieusement.

Vive la technologie !

dimanche 29 octobre 2023

La loi n'est pas la fin de la science

 
L'avantage, quand on est « insuffisant », c'est que l'on a la possibilité de s'améliorer. L'avantage, quand on n'a pas de maître, c'est que, certes, on fait des erreurs qu'il nous aurait peut être évitées, mais que, si l'on traque le « symptôme », on peut progresser. 

 

Je me souviens ainsi d'un jour où je lisais un manuscrit d'article scientifique qu'une revue m'avait demandé de « rapporter ». Je lisais donc d'abord l'introduction, m'assurant que la question posée était claire, que la bibliographie avait été bien faite. Puis je regardais attentivement la partie « Matériels et méthodes », afin de m'assurer que les informations étaient suffisantes, que toutes les précautions méthodologiques avaient été bien prises par les auteurs. Je passais aux résultats, et m'assurais que rien d'exagéré n'était produit, que les résultats correspondaient donc bien aux méthodes mises en œuvre, que le traitement statistique était bien fait. Puis je lus la discussion, pour voir si tout était cohérent. Tout allait bien. Certes, il y avait des détails à corriger, mais rien de bien grave... sauf que je trouvais l'article médiocre. 

Logiquement, j'aurais dû dire à l'éditeur que l'article était acceptable, mais quelque chose me retenait. Quoi ? Je ne savais pas. De sorte que je décidais de lire une fois de plus, et je ne retrouvais que bien peu de choses supplémentaires à corriger. Je mis le manuscrit dans mon cartable, et décidai de laisser passer la nuit. Le lendemain matin, dans l'autobus, je le sortis de mon cartable, je le relus... et tout s'éclaira ! Les auteurs avaient caractérisé un phénomène, et ils n'avaient en réalité pas considéré les mécanismes compatibles avec les lois qu'ils avaient dégagées ! Ce n'était donc pas un travail scientifique, en quelque sorte, mais seulement une étape sur le chemin scientifique. 

A la réflexion, ma réaction était injuste* : tout ce qui figure sur le chemin de la science (observation de phénomènes, caractérisation quantitative, réunion des mesures en lois synthétiques, recherche de mécanismes, prévision théorique, test expérimental de ces prévisions) est un bout de science, et mérite donc publication, parce que cela fait avancer le travail. 

 

 

* En réalité, pas complètement : ajuster des données par une fonction, comme les auteurs l'avaient fait, nécessite d'avoir une raison de choisir cette fonction particulière !

mardi 29 août 2023

Assez de ce terrorisme anti-technologique

 
 Alors que je me prépare à créer un nouveau site, où seront présentées des activités de gastronomie moléculaire, j'avais dans l'idée de faire une "déclaration d'intérêts", notamment parce que, récemment, des journalistes malhonnêtes me faisaient implicitement reproche de "collaborer" avec l'industrie alimentaire. 

Bref, j'avais colligé une liste (incomplète...  parce que je n'ai pas tout comptabilisé) de sociétés avec lesquelles notre laboratoire avait travaillé. Non pas que j'ai reçu de l'argent à titre personnel, mais parce que ces sociétés ont payé les stages d'étudiants, les thèses de doctorants, etc. 

Toutefois la liste est donc incomplète, tout d'abord, et, d'autre part, elle l'est nécessairement, parce que je me demande bien ce qu'est l' "industrie alimentaire" : un cuisinier qui dirige plusieurs restaurants, et a donc plus de 20 employés, est-il plus ou moins industriel qu'un industriel qui a une toute petite usine ? A partir de quand commence l'industrie ? 

Si l'on considère que cela commence dès le stade de la société avec un employé ou plus, alors la majorité des cuisiniers travaillent dans "l'industrie alimentaire" ! Et, alors, le nombre de "sociétés avec lesquelles j'ai travaillé est gigantesque... puisque notre travail a été distribué à tous les cuisiniers de France. 

 

Bref, la question est mal posée.

 

Et, surtout, la question est idiote : au fond, pourquoi avoir honte de travailler avec l'industrie ? Après tout, le fait que l'industrie s'intéresse à nos travaux n'est-il pas la preuve que nos travaux ont un intérêt ? 

Je crois qu'il faut promouvoir vigoureusement, énergétiquement, l'idée qu'un scientifique qui n'a pas d'intérêts déclarés n'a pas la compétence pour être un expert. 

Je rappelle aussi que la science est payée par les contribuables, et que les scientifiques ne sont pas de purs esprits dans un monde immatériel. Ce type de déclaration ne veut pas promouvoir la malhonnêteté, bien au contraire, mais j'en arrive au point essentiel de ce billet : je vais finalement faire une liste de sociétés avec lesquelles notre laboratoire a travaillé... parce que, agent de l'Etat français, fier de l'être, je veux pouvoir montrer à mes concitoyens que nos travaux sont utiles à la collectivité. 

Là, je renvoie à des discussions que j'ai eues publiquement à propos de la science et de la technologie : je ne crois pas que la technologie soit la seule "utilité" des sciences de la nature, mais c'en est une. Vive la technologie, même si ce n'est pas mon activité personnelle (moi, c'est la recherche scientifique) !

samedi 26 août 2023

Science et cuisine font-ils bon ménage ? Non, impossible !


 Ce matin, je reçois un commentaire amical, qui mérite une réponse. C'est le suivant :

Science et cuisine font-ils bon ménage? On peut être un bon cuisinier et utiliser de mauvais aliments... La cuisine n'est pas une science exacte!

 

Expliquons le titre de ce billet, en commençant par supposer (hypothèse) que mon interlocuteur sous-entend "science de la nature", quand il écrit "science".
Je répète  que, il y a quelques décennies, on parlait de "science du cordonnier", ce qui ne désignait pas une science physique, de la nature, mais un savoir particulier. 

Science de la nature et cuisine font-ils bon ménage ? Non. Et, plus précisément, la réponse est non, mais pour une raison simple : la science de la nature et la cuisine ne peuvent pas faire bon ménage, parce  qu'ils n'ont rien en commun. 

 

Expliquons : la science cherche les mécanismes des phénomènes, et ces phénomènes peuvent être ceux qui surviennent lors des opérations culinaires, mais la science de la nature n'a qu'indifférence pour la cuisine, puisque, une fois le phénomène identifié, elle travaillera en vue de chercher les mécanismes, qui sont en réalité, le plus souvent, de la chimie physique.
Ajoutons que la cuisine, de son côté, n'a que faire de la science de la nature : en quoi ses équations permettront-elles de faire mieux les mets ? 

Concluons : science de la nature et cuisine ne font pas bon ménage, parce qu'elles s'ignorent. Ce sont des champs disciplinaires qui n'ont en commun que ces phénomènes qui ont lieu lors des opérations culinaires. 

Peut-on, ensuite, être un bon cuisinier et utiliser de mauvais aliments ? On va dire que je pinaille, mais j'ai expliqué dans un autre billet pourquoi, au contraire, un peu de précision est importante. Pour en arriver au fait, un cuisinier n'utilise pas des aliments : il les produit. 

Cela étant dit, je suppose (hypothèse) que mon interlocuteur voulait demander si l'on pouvait utiliser de mauvais ingrédients ? Il fut alors s'interroger sur ce qu'est un mauvais ingrédient. Si c'est un ingrédient empoisonné, alors la réponse s'impose, bien évidemment. Si c'est une asperge fibreuse, par exemple, ou une viande dure, la question devient bien plus intéressante. La viande dure ? Lors d'un braisage, elle fera un goût bien plus puissant qu'une viande à griller... de sorte que la viande dure n'est pas bonne à griller, mais bonne à braiser. Bref, elle est appropriée à son usage. Pour une asperge ? Il sera plus difficile de trouver une utilisation, mais si l'on cherche bien ? 

Bref, je vous renvoie sur notre débat, podcasté sur le site d'AgroParisTech : qu'est-ce qu'un bon produit ? 

 

Reste à savoir si la cuisine est ou non une science exacte. J'ai tout dit dans mon livre "La cuisine, c'est d'abord de l'amour, ensuite de l'art, enfin de la technique" (Editions O.Jacob).

jeudi 10 août 2023

Science et concurrence


Ce matin, une question d'un étudiant : 

 

Votre travail est-il sujet à la concurrence ?

 

Je ne le sais pas, et je m'en moque, parce que j'ai des questions par milliers : la simple probabilité que quelqu'un fasse la même chose que moi est infime. 

D'autre part, imaginons quelqu'un qui s'intéresse à la même chose que moi : ce serait donc un ami, pas un concurrent. 

C'est ainsi que, en 1986, j'ai téléphoné à Nicholas Kurti, que je ne connaissais pas, et dont on m'avait dit qu'il faisait comme moi. En réalité, il était physicien, et moi physico-chimiste, et c'est devenu,  dans la seconde où je lui ai parlé,  un ami merveilleux. Enfin quelqu'un qui s'intéressait aux mêmes sujets que moi ! Nous nous téléphonions chaque jour, plusieurs fois par jour, et il refaisait à Oxford les expériences que je faisais à Paris, et vice versa. 

Nous avons ensemble créé la gastronomie moléculaire, les Congrès internationaux de la discipline, nous avons fait des conférences en commun, des livres, des articles... Quel bonheur, et quelle tristesse quand il est mort, en 1998. 

La concurrence ? C'est une question de quelqu'un qui a "peur". Pour moi, j'avance, je défriche, et qui m'aime m'accompagne. Je n'ai pas peur, au contraire, je ne supporte guère le connu, et il me faut l'inconnu. C'est cela, aussi, l'état d'esprit de la recherche scientifique. Il faut que j'apprenne sans cesse, par moi même, que je parte à la découverte du monde. 

C'est un vrai bonheur, et encore plus de bonheur quand on est entre amis. La concurrence ? Impossible, parce qu'il y a un "style", en science. Par exemple, Pierre Gilles de Gennes, que j'ai bien connu, avait un style très particulier. Jean-Marie Lehn, extraordinaire chimiste (aidez moi s'il vous plaît à militer pour qu'il ait un second prix Nobel, pour ses travaux sur l'auto-organisation)  a un style très à lui. 

La recherche scientifique se fait, ainsi, de façon très idiosyncratique, stylée : comment voulez vous que deux individus puissent avoir le même style, puisque le style, c'est l'homme, disait Buffon.

samedi 5 août 2023

Quel est le statut d'une expérience qui rate ?

 Quel est le statut d'une expérience qui rate ?  La question a été rarement posée, alors qu'elle est sur toutes les lèvres, dans les laboratoires : certains se plaignent que les collègues qui publient aillent jusqu'à indiquer des expériences qui "ne marchent pas", incriminant souvent la malhonnêteté des auteurs. 

On trouvera dans l'article Célébrons Diderot (L'Actualité chimique, janvier 2014, pp. 7-10) une discussion de cette question, inspirée du livre Cours de gastronomie moléculaire N°2 : les précisions culinaires (Editions Quae/Belin, 2012). 

Toutefois, ici, cela vaut la peine de raconter une histoire vraie, éclairante... et qui ne résout évidemment pas la question. Cela s'est passé dans les années 1980, lors d'un séminaire que j'avais été invité à faire dans le Laboratoire de physique thermique de l'ESPCI. Je présentais alors la gastronomie moléculaire, en même temps que je faisais des expériences illustratives. Notamment je discutai ce jour-là la question de "comment faire un oeuf dur à la sauce mayonnaise avec un seul oeuf" : l'idée était de prélever une goutte de jaune d'oeuf à la seringue, à cuire le reste de l'oeuf, tandis que l'on faisait une sauce mayonnaise à partir de la goutte de jaune, laquelle contient assez de composés tensioactifs pour faire la sauce. 

Plus exactement, sachant qu'il est toujours bon de ne jamais être en position de faire en public une expérience qui peut rater, je faisais faire les expériences à des auditeurs, me réservant le soin de discuter les opérations... et de rattraper les expériences éventuellement ratées. 

Or c'est un fait que, ce jour-là, mon collègue qui avait accepté de faire l'expérience la rata. Qu'à cela ne tienne : j'analysais publiquement la chose, et, repartant de la sauce ratée, je la fis réussir, en décantant d'abord l'huile qui surnageait dans un autre récipient, avant de l'ajouter à nouveau au culot, en fouettant vigoureusement. 

Je ne dis pas cela pour apparaître tel un Sauveur, mais seulement pour donner les circonstances exactes de l'événement... et faire comprendre pourquoi son souvenir est si proche : dans ces cas-là, on ne se sent pas bien. 

La sauce rattrapée, il fallut discuter ce qui s'était passé : la plupart du temps, c'est que l'on met trop d'huile au début, ce qui contrarie la géométrie de l'émulsion qui se fait bien avec les tensioactifs présents, à savoir que ces derniers, qui courbent l'interface eau/huile vers une émulsion huile dans eau, ne stabilisent que mal une émulsion eau dans huile. 

Bref, l'émoi passé, je proposais une discussion sur le statut des expériences qui ratent : une expérience qui rate n'est rien d'autre qu'une expérience qu'on n'a  pas réussi ! De même, un château de cartes qui s'écroule ne condamne pas le principe des châteaux de carte, mais seulement le doigté insuffisant de l'exécutant.

On peut continuer à gloser à l'infini, mais voici en tout cas un sain début : il y a des recettes qui ratent parce que la latitude expérimentale n'est pas grande. Ce n'est pas une question de méconnaissance théorique, mais simplement d'organisation du monde : parfois, il y a des chemins de crête, et non de larges avenues. Pour les emprunter, il faut éviter d'aller trop sur les côtés.

samedi 29 juillet 2023

Evoquons « le père des sciences modernes »


Le père des sciences modernes ? Voilà le type d'expressions que l'on trouve dans les hagiographies, ces biographies où seuls des éloges sont donnés. Il semblerait que, pour exercer notre admiration, nous ayons besoin d'identifier une personne en particulier qui serait responsable d'un travail. 

Et si cette idée était enfantine ? Pourquoi ne pourrait-il pas y avoir plusieurs pères des sciences modernes ? Et des mères, aussi ? D'ailleurs, pour les « sciences modernes », il faut rappeler que l'expression est erronée, puisqu'il ne s'agit pas de toutes les sciences, mais des sciences quantitatives, des sciences de la nature, dont on veut parler. 

Les pères des sciences modernes ? On identifie quelques personnages : Aristote, Francis Bacon, Galilée. Toutefois je propose d'agrandir la liste, et de constituer progressivement une liste plus vaste de personnalités qui ont vraiment contribuer à forger les sciences quantitatives que nous avons aujourd'hui.

De même pour la chimie physique : on (les Français) dit que Lavoisier est le père des sciences modernes, mais les travaux de nomenclatures furent entamés par Guyton de Morveau par exemple, et Berthollet n'était pas loin, et Lavoisier utilisa les travaux de Joseph Priestley...

 

Apprenons donc à lutter contre des expressions erronées telles que « père des sciences modernes ». Apprenons à partager notre admiration entre un nombre croissant de personnes qui le méritent

mardi 25 juillet 2023

L’Académie des technologies mérite-t-elle son nom ?

Continuons sans cesse d'interroger les mots. 

 

Ce matin, j'ai lu sur un document « Académie des technologies ». 

Académie : je comprends que l'on a repris le nom de l'école de Platon, pour désigne une assemblée de savants, de gens de lettres, d'artistes... Mais c'est le mot « technologies », que je propose surtout d'interroger. 

 

Académie des technologies ? Ou de la technologie ? 

 

Dans le mot “technologie”, il y a techne, qui signifie faire, la technique, et logos, l'étude. La technologie est donc l'étude de la technique. 

Bien souvent, quand on nous parle de “haute technologie”, il s'agit souvent de technique avancée. Hautes technologies, au pluriel ? C'est une faute : il s'agit seulement de techniques avancées. 

Mais existe-t-il plusieurs technologies ? Si l'on considère la cuisine, qui comporte une activité technique, il y a effectivement une technologie, culinaire. Si l'on considère l'électronique, il y a également une technologie, d'un autre ordre. 

Si l'on prend le textile, alors il y a encore une technologie spécifique. 

La conclusion s'impose : il y a des technologies... et il est donc légitime que l'Académie des technologies porte son nom. 

 

Souvenons-nous qu'elle est né du CADAS, le comité des applications des sciences, qui était une commission particulière de l'Académie des sciences. A-t-on eu raison de transformer le CADAS en Académie des technologies ? C'est une chose que j'avais discutée avec Guy Ourisson, qui fut notamment président de l'Académie des sciences, et nous étions bien d'accord que l'évolution était nécessaire, car la technologie n'est pas toujours l'application des sciences. 

En introduisant le mot « technologie » dans le nom d'une académie spécifique, distincte de l'Académie des sciences, on a fait quelque chose d'utile, car on a reconnu l'importance de la technologie, activité séparée de la sciences avec des spécificités, des objectifs particuliers, des méthodes particulières. Je n'oublie pas que je me suis promis, en vue de faire grandir les technologies (moi dont l'activité veut être scientifique, et non technologique), d'aller explorer les méthodes des technologies. 

Je compte aussi sur touts mes amis pour m'y aider, et, au premier chef, évidemment, mes amis dont l'activité est de nature technologique : n'est-ce pas une bonne compréhension de l'objet qui permettra un bon enseignement ?