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samedi 17 avril 2021

Exposer les hésitants à de belles personnalités


Oui, il faut que nous exposions aux étudiants à les industriels beaucoup plus enthousiasmants que nous ne le faisons  !
Dans nos masters,  je vois  beaucoup trop d'étudiants qui disent vouloir se diriger vers la recherche, alors qu'ils n'en n'ont pas l'once d'une possibilité, en termes de connaissances, comme en termes de compétences.

Pourquoi ont-ils cette ambition ? Parfois, il y a de  la prétention, mais, parfois aussi la peur d'aller vers le "vrai monde" (je rappelle qu'un pays, c'est de l' "industrie", au sens où l'entendent nos amis canadiens : artisanats, petites ou grosses entreprises). Et, parfois, il y a des a priori idéologiques mal pensés : ces mêmes personnes qui  consomment ordinateurs, voitures,  aliments, cosmétiques, loisirs, etc. disent détester cette industrie qu'ils cautionnent par leurs comportements de consommations très peu civiques, et, en tout cas, irréfléchis.

Mais le but de ce billet n'est pas de dénoncer l'imbécillité de certains (d'autant qu'il y en a une proportion... habituelle de merveilleux), mais bien plutôt d'aider nos  jeunes amis à mieux se déterminer, et, notamment, à comprendre que c'est dans l'industrie qu'ils trouveront un travail, un salaire...

La question donc, c'est de faire comprendre à des étudiants qu'il y a lieu de bien se diriger vers l'industrie.
Pour cela, je crois qu'il n'y a rien de mieux que l'émulation :  pas l'émulation au sens de la concurrence, mais l'envie de bien faire, en montrant à des étudiants ce qu'ils n'ont jamais vu, à savoir les "industriels" qui font des choses merveilleuses.

Oui, il faut montrer des Jean Muller,  qui construisent les grands ponts du monde, mettant en oeuvre l'idée du béton précontraint.
Oui, il faut montrer des Eiffel, qui construisent le viaduc de Garabit ou la célèbre tour.
Oui, il faut montrer ce Joseph Black qui a reçu le prix Nobel de chimie alors qu'il travaillait dans un laboratoire pharmaceutique, où il a mis au point les premiers agents retroviraux.
Oui, il faut montrer, plus récemment, ces deux chercheurs turcs qui ont produit les premiers vaccins à ARN contre le covid 19.
Oui, il faut montrer ces ingénieurs de l'industrie cosmétique qui, utilisant leur connaissance de l'Université, ont mis au point des systèmes de transfert de principe actif.
Oui, il faut montrer les ingénieurs de l'industrie alimentaire qui mettent au point des nanoparticules pour délivrer des composés odorants, qui résolvent ds problèmes aussi difficile que de faire des pizza surgelée avec du basilic sur la tomate (croyez-vous vraiment qu'on met les feuilles à la main, quand on produit des millions de pizza  par an ?),  qui sont confrontés au terrible le problème de l'emballage, qui ne doit pas laisser migrer des composés vers l'aliment, alors que l'ensemble est stocké longtemps, qui se préoccupent de la sécurité sanitaire des huiles alimentaires, lesquelles ne doivent pas contenir trop d'hydrocarbures aromatiques polycycliques  ni de métaux lourds. Et ainsi de suite.

Oui, il faut exposer nos jeunes amis à des personnalités industrielles remarquables, leur donner l'ambition de changer le monde en mieux.

vendredi 16 avril 2021

Faire d'emblée une séance de choix de carrière


On voit trop d'étudiants, en master, qui ne savent pas vers quelle carrière ils se dirigeront... alors que la seconde année de master est celle qui les mettra dans le "monde du travail".

"Je verrai", disent certains que l'on interroge. Bon, mais tu verras quand ? Et, inlassablement, j'observe des décisions qui ne sont pas prises. Les plus aisés (ceux dont les parents marnent et payent) enchaînent un deuxième master derrière le premier ; d'autres échouent à des postes qui n'ont rien à voir avec les études qu'ils ont faites ; d'autres encore cherchent à se réfugier en thèse, acceptant des propositions qui les condamnent ensuite à  ne pas trouver de travail ni dans l'industrie ni dans la recherche scientifique.

C'est évidemment intolérable, et les efforts d' "orientation" de la classe de Troisième sont complètement insuffisants ! Non seulement nos amis ne sont pas décidés, mais tout leur temps a été passé à ne pas se renseigner, afin d'être en mesure de choisir.

C'est, je crois, une obligation qui est faite aux équipes universitaires que d'organiser, répétitivement, jusqu'à ce que chacun soit décidé, des séances d'orientation.

En tenant compte des connaissances et des compétences ! Croit-on qu'il soit bien responsable de laisser s'engager vers l'astrophysique quelqu'un qui n'a que des notes médiocres en physique ? De laisser s'engager vers la chimie quelqu'un qui confond molécules et composés, qui ignore (en seconde année de master) des réactions aussi élémentaires que celle de Diels-Alder ? De laisser s'orienter vers les sciences quelqu'un qui ne sait pas résoudre un système de deux petites équations à deux inconnues ?

Mon objectif n'est pas de faire une collection d'insuffisances, mais bien, plutôt, d'inviter mes collègues à être très actifs, non seulement dans leurs enseignements, mais, aussi, dans l'aide qu'ils peuvent apporter à nos jeunes amis indécis. Je le répète : il est irresponsable de les laisser aller au casse-pipe. Il est de notre devoir de les alerter, non pas une fois, mais dix, cent, mille...

Inversement, plus positivement, nous devons présenter des possibilités. Non pas des possibilités théoriques, mais des possibilités concrètes, pratiques, assorties de descriptions des activités quotidiennes qui sont -en réalité, sont- les métiers possibles, accessibles avec les études qui sont faites.

Bien sûr, labor improbus omnia vincit, un travail acharné vient à bout de tout ; bien sûr, chacun d'entre nous peut se réveiller un jour, se retrousser les manches, changer, devenir capable de tout... mais il faudra quand même se retrousser les manches, et plus tard on le fait, plus il y aura de travail pour récupérer les années perdues.

Perdues : je viens d'entendre un jeune ami me dire que ce temps n'était pas perdu, qu'il avait appris plein de choses... Mouais : interrogé sur ce qu'il avait appris, j'ai vu surtout qu'il avait beaucoup oublié... en supposant qu'il ait vraiment appris.

Non, sans un objectif clair, nos amis n'ont pas de motivations à étudier, à rester chez eux, seul, à la table de travail, pour apprendre, c'est-à-dire retenir ces connaissances qu'il faudra ensuite transformer en compétences pour exercer un métier.

mercredi 7 août 2019

Sortir par le haut de l'opposition entre les professeurs et les "étudiants"

Un préambule : j'ai décidé de ne plus parler d'étudiants, mais seulement de collègues, de ne plus parler de cet impossible enseignement, mais d'études. Cela figure dans des billets précédents, mais, ici, je me tords le bras pour que mes amis aient plus de facilité à me comprendre.


Dans tous les systèmes d'enseignement que je connais, universités ou grandes écoles, je vois la même antienne : les étudiants se plaignent des professeurs,  et les professeurs se plaignent des étudiants ;  les étudiants revendiquent de l'autonomie, des systèmes d'étude nouveau,  et les professeurs répondent qu'ils ont déjà mis tout cela en œuvre,  et ainsi de suite à l'infini.
Cette interminable double litanie, avec la pénible énumération des torts respectifs  n'a aucun intérêt, et d'abord parce que les reproches sont inexacts dans leur généralité,  ce qui vaut à la fois pour les professeurs et pour les étudiants.

Ma proposition est que nous sortions de cette lutte des classes par le haut.

De quoi s'agit-il ? Il s'agit d'abord que, dans la discussion entre les parties (on invitera évidemment le personnel administratif, aussi),  on interdira désormais les critiques d'un corps vers un autre, et l'on ne recevra que des propositions positives.
D'autre part, on devra justifier les propositions, et l'on oubliera pas de confronter les nouveautés aux dispositifs du passé.

Finalement, je propose de revenir à l'objectif qui est celui de l'université et les grandes écoles, à savoir que ce sont des institutions construites pour que les étudiants apprennent. De sorte que la vraie question, la seule question, est de savoir comment organiser notre système de telle façon que les étudiants apprennent de façon optimale.

J'ajouterai quand même que le modèle paternaliste n'était pas bon, et qu'il n'est pas tenable  : les étudiants doivent se déterminer eux-mêmes et le corps professoral est là pour les aider à étudier et les évaluer. Les professeurs doivent définir le cursus, ou, plutôt, l'éventail des matières qui donnent lieu à l'attribution de diplômes, en même temps qu'ils sont à la disposition des collègues plus jeunes en termes de connaissances, compétences, savoir faire, savoir être, savoir vivre.
Les matières ne sont pas arbitraires, ne sont pas le fait d'un Prince-professeur, mais sont discutées dans des instances de formation, mais, finalement, c'est quand même aux étudiants d'étudier !

J'ai utilisé le terme "paternaliste", et il est bon de comparer avec la médecine, où ce terme est récusé. Dans le temps, les médecins décidaient pour les patients, sur la base de leur compétence. Mais des questions de "valeur" viennent déranger cette proposition insoutenable :  imaginons la présence de certains gènes qui augmentent le risque du cancer du sein ou du testicule. Ce n'est pas au médecin de décider qu'il faut enlever les deux seins ou les testicules, mais à  la personne, au patient à risque : ce dernier  doit être informé des différentes possibilités... qui peuvent être tout aussi bien l'ablation des seins ou des testicules qu'un suivi régulier. Certains patients pourront vouloir l'ablation, d'autres pas. Et le médecin n'est pas là pour dire ce qu'il faut faire, mais pour guider la décision par les patients responsables. Ce ne sont pas des enfants pour qui l'on stipule !
De même pour les jeunes collègues : à eux d'étudier, en prenant leurs responsabilités, mais avec l'éclairage des collègues plus âgés que sont les professeurs. Doit-on introduire dans le cursus d'élèves ingénieurs de la philosophie et de la littérature, par exemple ? Pourquoi pas, mais il faut savoir que cela se fera au détriment d'autres matières : la chimie, la physique, que sais-je ?
Bref, on ne peut pas tout avoir, et il est bon de faire des choix éclairés, et notamment sur la base d'un projet personnel clair... de sorte que j'aurais tendance à dire que l'institution doit aider nos jeunes collègues indécis à se décider aussi vite que possible, afin de choisir en responsabilité quelles matières s'imposent absolument, et lesquelles ont moins d'importance.



Ce qui me conduit, décidément c'est une rengaine, à vous conseiller  un autre billet sur "la formation matricielle".

jeudi 1 août 2019

Enseignement, actualités et culture générale


De jeunes collègues me signalent à quel point ils apprécient les séances publiques de l'Académie d'agriculture de France, et cela me fait évidemment plaisir, car je vois que nous ne nous donnons pas du mal pour rien. D'une part, nos podcasts sont visionnés, et, d'autre part, ils sont appréciés. Cela étant, ce qui m'est dit mérite analyse.

Partons donc d'un verbatim :

Enfin, un dernier point un peu plus global. La première année étant une année de tronc commun, elle est censée nous fournir une culture générale sur les différentes thématiques dans lesquelles s’inscrit notre école ;  or, nous avons clairement l’impression que ce n’est pas le cas à bien des égards.
En effet, nous n’avons qu’une culture générale modérée sur les grands enjeux que sont l’agriculture durable, le changement climatique et l’agro-alimentaire et la santé humaine, d’autant plus que nos connaissances sur ces sujets proviennent plus de lectures personnelles que des cours.
Nous pensons qu’il serait important de développer cela pour fournir à chacun un bagage culturel solides sur toutes les problématiques globales auxquelles s’intéresse notre école.
Cela pourrait être fait un peu sur le modèle des séances de l’Académie d’agriculture en proposant des conférences sur un thème précis (par exemple, quelle place pour l’agro-écologie dans l’agriculture durable ?) et en fournissant aux étudiants des états de l’art sur les controverses qui agitent notre sociétés (par exemple, un état de l’art sur les arguments POUR et CONTRE l’utilisation des OGM).
Cette dernière remarque est un peu la synthèse des précédentes au travers d’un exemple : transmettre aux étudiants une culture scientifique solide sur les grands enjeux de notre temps par le biais de cours visant à répondre à une question, les faire intervenir en posant volontairement des questions faisant débat et leur fournir des documents rédigés faisant la synthèse des arguments évoqués serait très enrichissant, aussi bien pour les étudiants que pour les professeurs.


Bon, oui, donner une solide culture scientifique sur les grands enjeux de notre temps n'est pas inutile, bien au contraire. Faire "intervenir les étudiants" ? Bien sûr, car il faut que les étudiants soient actifs : eux seuls peuvent apprendre. Partir de questions qui font débat ? Là, c'est plus contestable, car faut-il organiser du café du commerce ? Souvent, les débats sont des affrontements d'opinions, alors que le retour aux faits annihilerait la discussion (nos concitoyens adorent perdre leur temps à tchatcher, hélas).
Fournir des documents rédigés faisant la synthèse des arguments évoqués ? Et puis quoi encore : border les étudiants dans leur lit, aussi ? Ne peuvent-ils pas faire l'effort d'aller chercher les arguments, d'apprendre à faire la synthèse, d'étudier pour avoir à la fois les informations, les notions ou concepts, les méthodes, les valeurs relatives aux sujets traités ? Nos jeunes collègues n'en sont plus, j'espère, à recevoir la becquée !

Mais continuons différemment : nos jeunes collègues font l'éloge des séances publiques de l'Académie d'agriculture, où sont discutées des questions d'actualité : le glyphosate, les OGM, l'influence de l'urbanisation sur les inondations...
Ces sujets sont sans doute intéressants pour certains (pas tellement pour moi), mais ils sont trop éloignés de mes préoccupations pour que je puisse vraiment en faire une analyse un peu raisonnable, de sorte que je propose plutôt de considérer des séances de l'Académie d'agriculture consacrées à  l'alimentation, champ que je connais mieux... puisque je contribue à les organiser ;-). 

Les séances récentes dans ce champ ? La réévaluation toxicologique des additifs, la possible augmentation du nombre d'allergies alimentaires, la notion pourrie et chimérique des aliments prétendument "ultra-transformés" (oubliez vite ce fantasme idéologique),  les relations entre le bois et les aliments...
Tous ces sujets sont  évidemment  très intéressants... sans quoi nous n'aurions pas décidé d'en faire des séances publiques de l'Académie d'agriculture.
Mais la question n'est pas savoir si ces sujets sont intéressants dans l'absolu, mais seulement s'ils sont intéressants -disons utiles- dans le cadre de l'analyse que je fais ici. Car la vraie question est de savoir comment tout cela peut s'inscrire dans le cadre d'études, et mieux même, de savoir si cela doit s'inscrire dans le cadre d'études  :  après tout, le fait que quelque chose soit intéressant n'est peut-être pas toujours pertinent pour des études particulières. Par exemple, je peux me passionner pour l'aménagement rural des Hauts de la Réunion sans que ce sujet ne doive nécessairement faire l'objet d'études dans une école de physico-chimie.
Au fond, c'est à l'institution de déterminer ce que doives étudier les élèves d'une école ou les auditeurs de l'Université, en fonction d'objectifs affichés pour l'institution. Et avec ça, on compose avec les projets personnels des étudiants.

Donc oui, il y a les sujets d'actualités qui intéressent les étudiants... et qui ne m'intéressent pas du tout,  car je sais trop bien qu'elles sont déterminées par ceux qui la font, que la presse a pour mission de vendre du papier et que les sujets se succèdent, souvent avec des traitements catastrophistes qui sont là pour susciter de l'audience. Personnellement, cela me fait récuser l'actualité, mais je ne suis pas assez insensé pour ne pas savoir que mes contemporains s'y intéressent, même si elle leur fait perdre du temps, même si elle les abêtit, même si elle les manipule... D'ailleurs, mon entourage ne cesse de m'opposer des arguments de très mauvaise foi pour justifier  cette compulsion vers l'actualité qu'ils ont. Certains me disent que l'on a besoin d'être au courant, d'autres me disent que oui, ils savent bien que les informations données sont fausses mais ils regardent cela avec un regard critique et peuvent croiser les sources (ce qu'ils ne font pas) ; d'autres encore me signalent qu'ils ont besoin de savoir quel sujets sont discutés sur la place publique  pour inscrire leurs activités dans le cadre contemporain... Et ainsi de suite à l'infini.
Mais en réalité je crois plutôt qu'il y a une raison biologique à vouloir être au courant des choses : une raison biologique au sens de l'évolution biologique, peut-être  une raison sociale, et je sais aussi que mes semblables ont besoin de s'inscrire dans un groupe, de partager des informations même fausses : le point c'est le partage qui est important plus que l'information

D'ailleurs, dans un système d'étude, plus que la formation elle-même, c'est la méthode qui est importante et en réalité à peu près quel sujet peut être discuté.  Par exemple, le glyphosate peut parfaitement faire l'objet d'une étude physico-chimique : il s'agira alors d'examiner sa constitution, sa réactivité, sa formulation, sa dispersion lors de l'emploi... Cela pour de la physico-chimie, mais pour les biologistes, on pourrait parfaitement aller regarder les questions de toxicologie, de physiologie, de métabolisme... Dans des institutions d'études politiques, il y aurait beaucoup à dire sur les discussions sociales et politiques à propos du glyphosate. Et ainsi de suite pour les diverses institutions d'études supérieures.
Au fond, si un sujet d'activité est une bonne amorce, alors pourquoi ne pas l'utiliser ? Oui, pourquoi pas... mais, d'expérience, j'entends quand même le retour des jeunes collègues  : imaginons que l'on ait pris le sujet du glyphosate et qu'on l'ait traité du point de vue physico-chimique : je suis quasiment sûr que le reproche sera fait que la toxicologie n'ait pas été abordée. Or la toxicologie n'est pas mais peut-être pas dans la cible de formation de l'institution, et l'institution  n'a pas à traiter tous les aspects de tous les problèmes. Il y a des choix à faire et ces choix doivent être pertinents, raisonnés explicitement, fondés sur les attendus et les prérequis qui conduisent parfois à exclure des sujets que certains voudraient examiner.
D'ailleurs, pourquoi ne le feraient-ils pas par ailleurs ? Après tout, si nos collègues veulent étudier, qu'ils étudient !

samedi 9 décembre 2017

De nombreux étudiants s'engagent dans des études sans savoir quel métier ils auront plus part. D'ailleurs, j'aurais dû écrire « quels métiers », car on peut toujours changer, si l'on veut (activement : il s'agit de travailler, pas de claquer des doigts).
Evidemment, c'est un lourd investissement (en énergie, volonté, temps, travail, argent...) que de faire des études, et, moi qui ai eu la chance de savoir dès l'âge de six ans que j'étais chimiste, je m'effraie qu'il ne sachent pas quelle belle charrue ils veulent tirer.

Il faut les aider, et leur donner l'anecdote vraie suivante.

Francis Crick, l'un des découvreurs de la structure en double hélice de l'ADN (avec James Watson), était initialement physicien.
Un jour, en sortant du pub, où il était allé parler de science avec des amis, il s'aperçut qu'il leur avait parlé de biologie, comme plusieurs fois lors de visites précédentes dans l'établissement de Cambridge. Il se dit alors qu'il devait ne pas faire de physique, mais de la biologie, puisque c'est manifestement cela qu'il aimait. Il changea donc d'orientation, et, travail aidant, il eut le prix Nobel quelques années plus tard.
 Crick a érigé cela en principe : c'est le test du bavardage. Quand nous ne savons pas ce que nous voulons faire, il n'est pas trop tard pour ne pas laisser passer les jours, les semaines, les mois, les années... et pour se livrer sans attendre à ce test : faisons ce que nous aimons, parce que nous ne lésinerons pas sur le temps que nous y consacrerons, de sorte que nous aurons des chances de succès dans la voie ainsi déterminée.
Evidemment, l'introspection serait sans doute médiocre si nous restions « enfant », les garçons aimant le football et les filles l'équitation, par exemple. Ne cédons pas non plus à notre ego, en croyant que la moindre petite capacité musicale fera de nous un des premiers violinistes du monde, ou que, sous prétexte que nous avons gagné une fois un championnat local de course à pied ou d'échecs, nous devons vouer notre existence à ces voies... difficiles. Et puis, la question est de savoir vraiment ce que nous aimons. Qu'aimons-nous vraiment ? Et pourquoi ?

A noter qu'il ne sera pas inutile de croiser le test du bavardage de Crick avec une évaluation claire des activités que nous envisageons : il est facile, même si c'est simpliste, de considérer qu'une activité, un métier, peut s'évaluer de trois points de vue, à savoir les avantages intrinsèques (combien cela nous intéresse de faire l'activité), les avantages extrinsèques (combien on reçoit pour cette activité), les avantages concommittants (la reconnaissance sociale, par exemple).
On comprend que cette évaluation dépend tout autant de la personne que de l'activité : je connais des gens qui détesteraient faire le métier qui me passionne, de sorte que les avantages intrinsèques que je vois ne sont pas ceux qu'ils évaluent. Bref, on fait un bilan, et l'on se demande ensuite si l'avantage global est suffisant.

Et, pour terminer sur ce point, aucun « don » ne me paraît exister, mais cela est un parti-pris : je ne crois qu'à la vertu du travail. D'r Schaffe het sussi Wurzel un Frucht, dit le proverbe alsacien modifié par mes soins : le travail a des racines et des fruits délicieux !









Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

samedi 29 octobre 2016

Ok, it's in English, but I hope that I shall be useful.

Today, questions from a young friend: which job should I choose ?

My answer (with possibles grammar mistakes, but I am Alsatian, not English):


Concerning what to do in life, it is indeed especially difficult for me to give  advices, because I never had myself to ask this question, having decided at 6 years old to become a chemical physicist (at that time, I said "chemist", but I know that this word was wrong, for describing what I had in mind).

Anyway, even if the first 20 years of my career (a word that I don't understand really) were scientific publishing and not full time chemical physics, I was very happy there... otherwise, I would have changed immediately. Indeed, I found my job interesting, because I felt that it was  useful. 

By the way, was it really "interesting"? And is chemical physics interesting ? I propose that these questions mean nothing. This is like for food: only children say the "I like" (sweets, for example) or "I don't like" (spinaches, for example); later in life, they  like all what is edible. 
 
My job then and my job now are the most important things on this earth because I decided that they are important, that they are interesting, that they are "good". And with bad faith, I find all possible reasons to explain that these activities are the most beautiful.  
When I was working as a scientific publisher, for example, I felt that I was doing something politically useful (whereas I was doing my science in my own lab, at home, during week ends and holidays), and I was already saying that this was wonderful. And because it was decided that this was "interesting", I was doing it extensively! And extensively means successful, of course: labor improbus omnia vincit, a thoroug work is always successful, said the Romans.

But coming back to job choices, I propose that we don't remain with phantasms, and that we consider  the real, practical work involved. What are the tasks to be done, second by second, from when you put you foot in the office/lab/xxx up to the end of the day ? This is very important. For sure, some people have the feeling that they have to stop in the evening or during week ends, but is this really necessary, if you do what you have to do, if you do what you like (love) most in life ?

Another analytical grid for evaluating possibilities, when you have the choice, is "intrinsec interest/extrinsic interest/concommitant interest", i.e. how you are interested, how much you get, social environment... But of course, again, the "intrinsic" is discutable, as you can learn to like or love something, and I don't like the idea of preferences falling from the heaven (his is for simple minds).

And finally, did I tell you about the "chatting test" proposed by James Watson ? It consists in choosing to do what you say to your friends. Watson, for example, was a physicst, but he realized that he was discussing biology... so that he decided to change... and discovered the triple helix configuration of DNA.

dimanche 20 mars 2016

2. Êtes-vous poisson ou viande ?

Ces questions sont analogues à celles que me posaient mes enfants quant ils étaient petits :  ils me demandaient si je préférais les framboises ou les cassis, et je répondais que je préférais les fraises des bois. Ils étaient furieux, parce que ce n'était pas le jeu auquel ils invitaient, mais il y avait (évidemment) plusieurs raisons pour lesquelles je répondais ainsi. D'une part, on devient sans doute plus malin si l'on apprend à ne pas "rester dans la boîte". D'autre part, les choix sont intransitifs et non ordonnables, de sorte qu'il n'est pas bon de répondre à une question mal posée.
Pour la question sur les poissons ou les viandes, il en va de même. Avec l'alternative proposée, il manque les crustacé, les huitres, les oursins... D'autre part,  il y a poisson  et poisson, viande et viande. Comment comparer un turbot à un faisan ? Egalement, il  y  le fait que nos choix sont changeants : si l'on a mangé beaucoup de turbot, on rêve de faisan !
Surtout il y a la façon de préparer les "ingrédients culinaires" pour les transformer en aliments. Par exemple, à propos du modeste maquereau, que l'on ne cesse de pêcher sur les côtes bretonnes au point de ne plus le considérer : j'en ai vu un chez Pierre Gagnaire qui était absolument éblouissant, un plat martien, merveilleux, inimaginable. Inversement la bavette que j'ai eu à déjeuner hier dans un bistrot près de la Gare Saint-Lazare n'étais pas extraordinaire... mais j'ai également vu, parfois, de très  belles bavettes sauce marchand de vin.
 "La" viande : cela n'existe pas ; "le" poisson n'existe pas ; il y a les poissons, les viandes, et les différentes façons de les préparer.

 Du coup, faut-il vraiment choisir ? Moi je ne suis pas difficile, je me contente de meilleur, et le meilleur, c'est toujours la même question, ce n'est pas une question d'ingrédients, ce n'est pas une question de préparation. C'est une question de compagnie, avec qui nous mangeons.
Donc finalement je ne suis pas poisson ou viandes sauf  si on prend le "ou" comme celui dela logique, à les deux à la fois. Moi je veux les poissons, les viandes, bien cuisinés, par des amis, et mangés en superbe compagnie.

samedi 5 septembre 2015

L'idée essentielle

On a interrogé des scientifiques pour savoir quelle serait l'idée scientifique qu'ils proposent de transmettre. Richard Feynman aurait répondu que, pour lui, l'hypothèse atomique était la clé de voûte des sciences. Puis d'autres scientifiques ont été questionnés, et c'est mon tour.

Ce qui est amusant, dans la question, c'est moins la question que la forme du questionnement : mes enfants jeunes se mettaient en colère quand ils me demandaient si je préférais les fraises ou les mûres que  je répondais  "le cassis". Pourquoi répondais-je ainsi ? Pas parce que je refusais de jouer avec eux, mais, surtout, parce que crois que la question est mal posée,  comme pour ce vote du "meilleur cuisinier du monde" dont on parle tous les ans, à l'occasion de la publication des résultats (par une firme industrielle, qui fait en réalité de la publicité).
Le meilleur ? Quels critères, d'abord ? Ensuite, le meilleur en termes de moyenne de préférences n'a aucun intérêt pour ce  qui me concerne, car mes choix ne sont pas déterminés par les choix des autres. Et, surtout, les choix peuvent varier avec le jour, le temps qu'il fait... et ils ne sont pas possibles, dans bien des cas. Par exemple, si un objet est caractérisé par plusieurs  propriétés, on peut le représenter dans un espace à  plusieurs dimensions. Si ce nombre de dimensions est supérieur à 1, on peut évidemment ranger les objets par ordre de distance par rapport à un point origine, mais pourquoi ferait-on ainsi ?
Pour les idées scientifiques, il en va de même, et il faut donc interpréter la question avant d'essayer d'y répondre, autrement qu'en donnant un choix. En réalité, je crois comprendre que, ce qui est en  jeu, c'est la volonté de discuter de ces  choix, de nos critères.
Jouons donc : naïvement, j'aurais tendance à penser que la constitution de la matière est essentielle, car si l'humanité a mis si longtemps à se débarrasser de la théorie des quatre éléments d'Aristote, c'est que  ce dépassement était difficile. Toutefois, vaut-il mieux donner des clés méthodologiques, ou le résultat de la mise en oeuvre de ces clés ? Il me semble que la méthodologie est préférable, et, en l'occurrence, la méthodologie est la méthode scientifique... car la méthode scientifique a mis longtemps à apparaître sous la forme que nous  connaissons. Cette méthode a des racines au nombre de trois, principalement : (1) il faut préférer l'expérience ; (2) les phénomènes doivent être quantifiés ; (3) le  monde est écrit en langage mathématique. Le  point 2 semble pouvoir découler du  troisième, et le premier peut-être aussi. Amusant, d'ailleurs, que telle était l'idée de ces Grecs où la science est née, dans un état très embryonnaire qui fut d'abord étouffé par la religion, avant de prendre son essor quand des idées telles que celles des lumières (sapere aude, aies l'audace de penser par toi-même) purent éclore.

L'idée essentielle

On a interrogé des scientifiques pour savoir quelle serait l'idée scientifique qu'ils proposent de transmettre. Richard Feynman aurait répondu que, pour lui, l'hypothèse atomique était la clé de voûte des sciences. Puis d'autres scientifiques ont été questionnés, et c'est mon tour.
Ce qui est amusant, dans la question, c'est moins la question que la forme du questionnement : mes enfants jeunes se mettaient en colère quand ils me demandaient si je préférais les fraises ou les mûres que  je répondais  "le cassis". Pourquoi répondais-je ainsi ? Pas parce que je refusais de jouer avec eux, mais, surtout, parce que crois que la question est mal posée,  comme pour ce vote du "meilleur cuisinier du monde" dont on parle tous les ans, à l'occasion de la publication des résultats (par une firme industrielle, qui fait en réalité de la publicité).
Le meilleur ? Quels critères, d'abord ? Ensuite, le meilleur en termes de moyenne de préférences n'a aucun intérêt pour ce  qui me concerne, car mes choix ne sont pas déterminés par les choix des autres. Et, surtout, les choix peuvent varier avec le jour, le temps qu'il fait... et ils ne sont pas possibles, dans bien des cas. Par exemple, si un object est caractérisé par plusieurs  propriétés, on peut le représenter dans un espace à  plusieurs dimensions. Si ce nombre de dimensions est supérieur à 1, on peut évidemment ranger les objets par ordre de distance par rapport à un point origine, mais pourquoi ferait-on ainsi ?
Pour les idées scientifiques, il en va de même, et il faut donc interpréter la question avant d'essayer d'y répondre, autrement qu'en donnant un choix. En réalité, je crois comprendre que, ce qui est en  jeu, c'est la volonté de discuter de ces  choix, de nos critères.
Jouons donc : naïvement, j'aurais tendance à penser que la constitution de la matière est essentielle, car si l'humanité a mis si longtemps à se débarrasser de la théorie des quatre éléments d'Aristote, c'est que  ce dépassement était difficile. Toutefois, vaut-il mieux donner des clés méthodologiques, ou le résultat de la mise en oeuvre de ces clés ? Il me semble que la méthodologie est préférable, et, en l'occurrence, la méthodologie est la méthode scientifique... car la méthode scientifique a mis longtemps à apparaître sous la forme que nous  connaissons. Cette méthode a des racines au nombre de trois, principalement : (1) il faut préférer l'expérience ; (2) les phénomènes doivent être quantifiés ; (3) le  monde est écrit en langage mathématique. Le  point 2 semble pouvoir découler du  troisième, et le premier peut-être aussi. Amusant, d'ailleurs, que telle était l'idée de ces Grecs où la science est née, dans un état très embryonnaire qui fut d'abord étouffé par la religion, avant de prendre son essor quand des idées telles que celles des lumières (sapere aude, aies l'audace de penser par toi-même) purent éclore.

jeudi 8 mars 2012

On va finir par croire que je radote...

Oui, on va finir par croire que je radote, car la question de la comparaison resurgit souvent, trop souvent. Je réponds... mais en questionnant.

Tout est venu d'une question, arrivée par email   :


"Bonjour, je suis actuellement étudiant ingénieur à XXX. Je travaille sur un projet consistant à noter différentes recettes les unes par rapport aux autres.
N'ayant que peu d'experience dans ce domaine, je ne sais pas si des critères rudimentaires comme les quatre saveurs de base, la saveur umami, doux ou épicé,  peuvent suffire à élaborer une notation. Par notation je veux dire en fonction des goûts d'une personne en particulier.
Lors de mes recherches j'ai souvent vu apparaitre certains de vos ouvrages. Me recommanderiez vous un ouvrage en particulier pour orienter mes recherches?


Ma réponse n'étonnera pas ceux qui lisent parfois ce blog : 

Noter des recettes ? il faut d'abord un critère de notation. La théorie des quatre saveurs est complètement fausse, comme je l'explique dans plusieurs de mes livres, notamment Casseroles et éprouvettes ou De la science aux fourneaux.
Attention : le goût est multifactoriel, de sorte qu'il ne se mesure pas. Pire, il change avec l'état de satiété, en vertu du réflexion d'alliesthésie négative.
La recherche d'une notation semble bien difficile ! 

D'ailleurs, pourquoi noter des recettes les unes par rapport aux autres ? Prenons, par exemple, la choucroute. Elle n'existe pas, ou, plus justement, toutes les choucroutes particulières sont différentes. Alors laquelle noter ? Celle qui est trop salée, ou celle qui l'est moins? Celle qui est un peu acide, ou celle qui est plus douce ?

Bref, il vaut sans doute mieux s'intéresser à la question en amont de la demande qui était faite : pourquoi noter ?

Ah, j'allais oublier : il y a des jours où je préfère Bach, et d'autres où je préfère Mozart. 
Enfin, les goûts sont parfois intransitifs... ce qui rend les notations bien difficiles ;-)