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jeudi 8 février 2024

Les symptômes sont des pistes pour nous améliorer

Épisode amusant récemment : un stagiaire de notre groupe de recherche arrive après l'heure convenue, parce que dit-il son réveil n'a pas sonné. 

Je lui explique que, pour mes rendez-vous importants, je mets deux réveils afin que le second pallie le premier le cas échéant. 

En réalité, cette stratégie que j'ai est très générale. Pour un calcul, il y a lieu de faire une validation, pour une mesure, il y a lieu de faire des répétitions, et ainsi de suite : pour que mon pantalon ne tombe pas, je mets une ceinture et des bretelles. 

En réalité, l'épisode est tout à fait bienvenu, parce qu'il permet d'expliquer à cet étudiant un point méthodologique qu'il avait négligé. Je me moque complètement que l'étudiant arrive à 8h ou à 9h ou à 10h et cetera, et c'est simplement pour lui que je vois, grâce à cet épisode, la possibilité de changer quelque chose dans sa vie, de grandir en quelque sorte. 

Le réveil qui ne sonne pas est une métaphore du calcul faux, de l'expérience biaisée, et cetera. Très généralement, je propose à mes jeunes amis, en fin de journée, d'identifier les "symptômes", à savoir tous ces petits moments où ils ont défailli. Cela peut aller d'un mot qu'on n'a pas lu dans une phrase,  à trébucher dans les escaliers parce qu'on était insuffisamment attentif, à un lapsus dans une discussion scientifique, à la confusion de deux notions scientifiques voisines, à la détection d'une connaissance que nous n'avons pas et que nous nous aurions dû avoir, une compétence que nous avons insuffisamment... 

Pour tout cela, il est question d'être de bonne foi, et d'être à l'affût de tous ces petits symptômes car leur analyse permet ensuite de mettre en œuvre des soins, et remèdes, des corrections, des améliorations. 

 

Très généralement, je préfère observer que je suis insuffisant et trouver des moyens de supprimer mes insuffisances les unes après les autres. Je ne prétends pas pouvoir les supprimer toutes, mais je j'aime assez faire mienne la phrase que le chimiste Michel-Eugène Chevreul disait : il faut tendre avec effort à l'infaillibilité sans y prétendre.

jeudi 11 mai 2023

Tu sais quelque chose ? Quelle est ta méthode ? Fais-le, et, en plus, fais-en la théorisation.

 Le titre de ce billet est affiché sur les murs de notre laboratoire. Pourquoi ? 

 Pour répondre, il convient d'abord d'évoquer les documents que nous nommons les « Comment faire ?», et qui sont une façon d’améliorer la qualité de nos recherches. Il convient également d'évoquer la méthode que nous mettons en œuvre pour notre travail scientifique. 

 

La question de la stratégie

 

Tout est fondé sur l'observation selon laquelle un travail doit avoir un objectif, lequel détermine une stratégie, une méthode, un chemin. Une métaphore s'impose : étant à Paris, si nous ne savons pas que nous voulons aller à Colmar, nous n'arriverons jamais à Colmar, mais nous risquons d'arriver à Rennes, ou à Bordeaux. Il faut donc que l'objectif soit parfaitement clair pour que nous ayons une chance de l'atteindre. L'objectif étant clair, c'est-à-dire Colmar étant décidé comme notre destination, alors nous pouvons chercher un type de chemin, c'est-à-dire la voie ferrée, la voie des airs, la route… 

Cela, c'est la stratégie, la "méthode", du mot grec {methodon}, qui signifie le chemin. Une fois le chemin déterminé, alors il devient possible de déterminer les différentes étapes dudit chemin, et cela est la tactique, l’analyse détaillée des étapes qui nous conduiront à l'objectif. 

 

En sciences de la nature il en va de même, à savoir qu'il faut que notre objectif soit clair pour que le chemin puisse être défini. Bien sûr, l'objectif général des sciences de la nature est de faire des découvertes, mais il y a aussi les différentes étapes de cette recherche, qui sont l'identification des phénomènes, leur caractérisation quantitative, la réunion des caractérisations quantitatives en lois synthétiques (des équations), la recherche de mécanismes par induction, à partir de ces lois, la recherche de prévisions théoriques qui découlent des théories proposées, le test expérimental de ces conséquences, et ainsi de suite. 

Pour chacune de ces opérations, il y a des sous-objectifs, des sous-tâches. Pour chacune, modeste ou pas, il y a lieu de bien identifier l'objectif correspondant et, donc, de déterminer la méthode, le chemin qui y conduit. 

 

Un exemple simple (en apparence)

 

Par exemple, peser : cela semble élémentaire, mais nous verrons que, au contraire, il y a lieu d'y passer du temps. Peser semble simple, puisqu'il s'agit « seulement » de déterminer la masse d'un objet avec une balance. Toutefois une balance est nécessairement imparfaite ; elle vibre, elle est « bruitée », de sorte que la valeur cherchée est en réalité inaccessible. Si l'on se représente les valeurs que l'on peut obtenir par la balance, de précision limitée, on a des graduations sur une règle. De sorte que l'on ne pourra jamais trouver la valeur vraie de la masse pesée, car la probabilité que cette valeur corresponde exactement à une graduation est mathématiquement nulle. 

Autrement dit on cherche une valeur sans avoir la moindre chance de l'atteindre, de sorte qu'il faut mieux savoir d'emblée que l'on cherche moins la masse exacte qu'une valeur approchée. Du coup, la méthode peut changer, et le chemin aussi. Dans un tel cas, pour l’utilisation d'une balance, il y a de nombreuses choses à savoir. Par exemple, qu'il faut mettre la balance bien d'aplomb grâce au niveau à bulles dont elle est équipée. Il faut aussi contrôler la balance à l'aide d'un étalon que l'on conserve au laboratoire, la "tarer" correctement, etc. 

 

Les "Comment faire"

 

Nos documents intitulés « Comment faire » sont précisément des descriptions de tout ce que nous devons faire pour avoir une chance d'obtenir un résultat admissible. Ces document concernent la totalité des actions que nous faisons, et c'est une des règles de notre groupe de recherche que de proposer à chacun de ne jamais se mettre en chemin sans avoir réfléchi à la stratégie et à la tactique. C'est cela que j'entendais par « théorisation », et il est remarquable d'observer que chaque acte intellectuel ou manuel mérite un « Comment faire », une réflexion théorique. 

Par exemple, quand nous présentons un poster : comment bien faire ? Par exemple quand nous préparons une solution : comment bien faire ? Par exemple quand nous encadrons un stagiaire, comment bien faire ? Pour chaque tâche, un document intitulé « Comment faire ? » s'impose. 

Mieux encore, ces documents méritent d'être le résultat d'un travail collectif, progressif, à savoir que la proposition d'un membre de l'équipe peut être améliorée par d'autres, ce qui conduit à une proposition améliorée, qui sera encore améliorée par d'autres, et ainsi de suite à l'infini : car tout ce qui est humain est imparfait, de sorte que si nous ne sommes pas paresseux, nous avons une sorte d’obligation morale d'améliorer.

mercredi 2 septembre 2020

De la méthode, de la méthode, de la méthode



science/études/cuisine/politique


1. Nous sortons d'une journée passionnante, merveilleuse: une journée de cours avec les étudiants d'un master qui me fait l'honneur de penser que je puisse rendre service, & je fais ici le bilan de cette journée, au-delà du détail de certaines questions du travail que nous avons entrepris en commun.

2. Parmi les points essentiels que nous avons abordés, je vois,  par exemple,  la discussion à propos d'un "journa"l, à savoir un cahier que l'on tient, comme un journal de bord d'un navire, où l'on consigne les mouvements de la journée. Aucun de mes jeunes amis n'en avaient, de sorte qu'ils vivaient un peu comme des feuilles mortes au gré du vent :  à gauche, à droite... J'ai donc proposé de structurer, j'ai donné une méthode pour le faire.

3. Puis, à un moment, nous étions face à des listes interminables, et j'ai proposé de nous retrousser les manches & de structurer ; mieux, de structurer dans un tableau pour y voir plus clair, de répartir les informations,  de les organiser et, par la structure même, de voir surgir du nouveau, de faire des rapprochements,  de faire des commentaires, d'y mettre en quelque sorte de l'intelligence. Là encore il s'est agi de méthode, donc.

4. Puis il y a eu des questions de choix, à un moment, et d'évaluation à un autre moment: dans les deux cas, il nous faut des critères. Des critères de choix, des critères d'évaluation, mais en tous cas des critères analytiques sans quoi le choix est arbitraire et l'évaluation aussi d'ailleurs. La discussion est donc remontée à la méthode, avant de se lancer dans le choix et dans l'évaluation.

5. A propos d'un autre travail, il s'agissait de prendre des décisions. Là, nous avons dû être analytiques pour bien décortiquer la question posée, ce qui en soi est une méthode, mais il y avait lieu de faire plus : nous poser des questions sur la façon dont nous décomposition. Là encore, il s'agissait de se mettre un pas en arrière de soi-même afin de ne pas se lancer dans le travail sans l'avoir cadré, et rien que cela est une méthode, qui nécessite des sous méthodes

6. En réalité, si je regarde bien notre journée, à propos de tout, nous avons cherché une méthode. Toute la journée,  nous avons cherché à interpréter, à comprendre, à organiser... À propos de tout, nous avons posé clairement la question de l'objectif, nous avons posé la question des raisons de l'objectif, avant de nous  poser la question des valeurs qui sous-tendaient ces raisons. Cela, enfin, relève d'une saine méthodologie.

7. Oui, prendre du recul sur les questions que nous examinons, c'est d'abord faire oeuvre méthodologique.

mercredi 22 mai 2019

À propos de la méthode scientifique


Un collègue à qui je montre mon schéma de la méthode scientifique m'oppose une autre description où il sera question d'une hypothèse et d'un test expérimental.
Cela est bien insuffisant, car l'hypothèse... d'où sort-elle ? Je crois quand même bien plus explicite de considérer que l'on part d'un phénomène que l'on veut explorer, puis que l'on caractérise quantitativement, ce qui permet de réunir les données en lois après des "ajustements", et c'est la réunion de ces lois qui conduit à une théorie, avec l'introduction de nouveau concept, de nouvelles notions... Je suis d'accord qu'il y a là une étape d'induction, d'ailleurs bien décrite par le mathématicien et physicien Henri Poincaré, qui est le point difficile de la méthode scientifique. Une fois la théorie constituée, il n'est donc pas difficile de chercher des conséquences théoriques que l'on va tester point et c'est à cet endroit qu'il y a comme une hypothèse mais on voit que celle-ci arrive au terme d'un très long chemin et que se contenter de décrire la méthode par "faire une hypothèse" est quelque chose de bien insuffisant,  qui n'aide pas les collègues plus jeunes... ni nous-même !


samedi 5 septembre 2015

L'idée essentielle

On a interrogé des scientifiques pour savoir quelle serait l'idée scientifique qu'ils proposent de transmettre. Richard Feynman aurait répondu que, pour lui, l'hypothèse atomique était la clé de voûte des sciences. Puis d'autres scientifiques ont été questionnés, et c'est mon tour.

Ce qui est amusant, dans la question, c'est moins la question que la forme du questionnement : mes enfants jeunes se mettaient en colère quand ils me demandaient si je préférais les fraises ou les mûres que  je répondais  "le cassis". Pourquoi répondais-je ainsi ? Pas parce que je refusais de jouer avec eux, mais, surtout, parce que crois que la question est mal posée,  comme pour ce vote du "meilleur cuisinier du monde" dont on parle tous les ans, à l'occasion de la publication des résultats (par une firme industrielle, qui fait en réalité de la publicité).
Le meilleur ? Quels critères, d'abord ? Ensuite, le meilleur en termes de moyenne de préférences n'a aucun intérêt pour ce  qui me concerne, car mes choix ne sont pas déterminés par les choix des autres. Et, surtout, les choix peuvent varier avec le jour, le temps qu'il fait... et ils ne sont pas possibles, dans bien des cas. Par exemple, si un objet est caractérisé par plusieurs  propriétés, on peut le représenter dans un espace à  plusieurs dimensions. Si ce nombre de dimensions est supérieur à 1, on peut évidemment ranger les objets par ordre de distance par rapport à un point origine, mais pourquoi ferait-on ainsi ?
Pour les idées scientifiques, il en va de même, et il faut donc interpréter la question avant d'essayer d'y répondre, autrement qu'en donnant un choix. En réalité, je crois comprendre que, ce qui est en  jeu, c'est la volonté de discuter de ces  choix, de nos critères.
Jouons donc : naïvement, j'aurais tendance à penser que la constitution de la matière est essentielle, car si l'humanité a mis si longtemps à se débarrasser de la théorie des quatre éléments d'Aristote, c'est que  ce dépassement était difficile. Toutefois, vaut-il mieux donner des clés méthodologiques, ou le résultat de la mise en oeuvre de ces clés ? Il me semble que la méthodologie est préférable, et, en l'occurrence, la méthodologie est la méthode scientifique... car la méthode scientifique a mis longtemps à apparaître sous la forme que nous  connaissons. Cette méthode a des racines au nombre de trois, principalement : (1) il faut préférer l'expérience ; (2) les phénomènes doivent être quantifiés ; (3) le  monde est écrit en langage mathématique. Le  point 2 semble pouvoir découler du  troisième, et le premier peut-être aussi. Amusant, d'ailleurs, que telle était l'idée de ces Grecs où la science est née, dans un état très embryonnaire qui fut d'abord étouffé par la religion, avant de prendre son essor quand des idées telles que celles des lumières (sapere aude, aies l'audace de penser par toi-même) purent éclore.

L'idée essentielle

On a interrogé des scientifiques pour savoir quelle serait l'idée scientifique qu'ils proposent de transmettre. Richard Feynman aurait répondu que, pour lui, l'hypothèse atomique était la clé de voûte des sciences. Puis d'autres scientifiques ont été questionnés, et c'est mon tour.
Ce qui est amusant, dans la question, c'est moins la question que la forme du questionnement : mes enfants jeunes se mettaient en colère quand ils me demandaient si je préférais les fraises ou les mûres que  je répondais  "le cassis". Pourquoi répondais-je ainsi ? Pas parce que je refusais de jouer avec eux, mais, surtout, parce que crois que la question est mal posée,  comme pour ce vote du "meilleur cuisinier du monde" dont on parle tous les ans, à l'occasion de la publication des résultats (par une firme industrielle, qui fait en réalité de la publicité).
Le meilleur ? Quels critères, d'abord ? Ensuite, le meilleur en termes de moyenne de préférences n'a aucun intérêt pour ce  qui me concerne, car mes choix ne sont pas déterminés par les choix des autres. Et, surtout, les choix peuvent varier avec le jour, le temps qu'il fait... et ils ne sont pas possibles, dans bien des cas. Par exemple, si un object est caractérisé par plusieurs  propriétés, on peut le représenter dans un espace à  plusieurs dimensions. Si ce nombre de dimensions est supérieur à 1, on peut évidemment ranger les objets par ordre de distance par rapport à un point origine, mais pourquoi ferait-on ainsi ?
Pour les idées scientifiques, il en va de même, et il faut donc interpréter la question avant d'essayer d'y répondre, autrement qu'en donnant un choix. En réalité, je crois comprendre que, ce qui est en  jeu, c'est la volonté de discuter de ces  choix, de nos critères.
Jouons donc : naïvement, j'aurais tendance à penser que la constitution de la matière est essentielle, car si l'humanité a mis si longtemps à se débarrasser de la théorie des quatre éléments d'Aristote, c'est que  ce dépassement était difficile. Toutefois, vaut-il mieux donner des clés méthodologiques, ou le résultat de la mise en oeuvre de ces clés ? Il me semble que la méthodologie est préférable, et, en l'occurrence, la méthodologie est la méthode scientifique... car la méthode scientifique a mis longtemps à apparaître sous la forme que nous  connaissons. Cette méthode a des racines au nombre de trois, principalement : (1) il faut préférer l'expérience ; (2) les phénomènes doivent être quantifiés ; (3) le  monde est écrit en langage mathématique. Le  point 2 semble pouvoir découler du  troisième, et le premier peut-être aussi. Amusant, d'ailleurs, que telle était l'idée de ces Grecs où la science est née, dans un état très embryonnaire qui fut d'abord étouffé par la religion, avant de prendre son essor quand des idées telles que celles des lumières (sapere aude, aies l'audace de penser par toi-même) purent éclore.

vendredi 31 août 2012

Lavoisier était un grand homme

Un nouveau podcast vient d'être déposé sur le site d'AgroParisTech, à
http://podcast.agroparistech.fr/users/gastronomiemoleculaire/weblog/7f668/Lavoisier_et_le_bouillon.html


Il considère un article écrit par Antoine Laurent de Lavoisier, qui avait étudié les bouillons de viande, et introduit la "méthode du zéro", que l'on attribue parfois à Ampère (fautivement, donc). 

L'article de Lavoisier sert : 
- à admirer les travaux d'un grand homme
- à mesurer combien la méthodologie scientifique a progressé depuis la Révolution : nous sommes des nains perchés sur les épaules de nains, et ainsi de suite, avec quelques nains qui sont des géants, ce qui faisait dire plus justement aux Grecs : "nous nous échelons les uns les autres"

Et c'est ainsi que la chimie est belle !