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mardi 3 octobre 2023

La question des mots, en science

Prenons un moment pour discuter de la relation entre les mots et les sciences. 

Pendant longtemps, j'ai dit, en substance, que l'on ne pouvait faire de bonne science qu'avec de bons mots, et que la pensée et le bon maniement des mots allaient de pair. 

Je le crois encore, même si j'ai mis de l'eau dans mon vin, non pas que j'admette que les mots puissent être approximatifs, mais surtout parce que je reconnais aujourd'hui que la science peut se faire sans mots : le grand Henri Poincaré, qui semble avoir été un exemple d'honnêteté, n'a-t-il pas dit que sa plus grande difficulté était de mettre des mots sur les idées mathématiques qui se formaient en lui, et non pas d'avoir ces idées ? 

Et puis, surtout, je m'en veux d'avoir répété sans esprit critique l'introduction du Traité élémentaire de Lavoisier. Lavoisier disait que la science, c'était les phénomènes, et que, pour étudier des phénomènes, il fallait les penser, et donc mettre des mots. Lavoisier concluait qu'il n'y avait pas de progrès de la science sans progrès de la nomenclature, et vice versa. 

J'étais ébloui par Lavoisier, notamment parce que Lavoisier citait Condillac, pour lequel Lavoisier et ses contemporains avaient la plus grande admiration. 

Mais je n'ai pas de véritable excuse, et je m'en veux, aujourd'hui, d'avoir si longtemps propagé l'idée de Lavoisier. 

Certes, des géants tels que Michael Faraday ont également insisté sur l'importance des mots : pour ses découvertes, Faraday ne cessa d'introduire de nouveaux mots : cathode, anode, cation, anion, ion... Plus près de nous, le chimiste Jean-Marie Lehn fut à l'origine de plusieurs grandes avancées intellectuelles, notamment quand il proposa de nomme «  chimie supramoléculaire » cette chimie qui se fonde sur des liaisons plus faibles que la liaison chimique classique, covalente.

mercredi 22 août 2018

Les scientifiques publieraient trop ? (suite)

J'avais prévu une suite à mon billet précédent, à propos de la publication possiblement (selon des interlocuteurs) excessive des scientifiques... et je reçois un amical commentaire qui me conduit à modifier le texte que j'avais prévu.

Voici donc ce que m'envoie un ami internaute :
"De ce que je lis souvent, il est quand même considéré comme problématique la pression à la publication, le "publish or perish". Cela aboutirait à des publications de qualité médiocre, aboutissant à plus de "bruits" qu'autre chose, voir à des publications plus médiatiques que scientifiques (Séralini and co). De plus, c'est souvent une pression à la publication de résultats positifs, les négatifs (qui sont utiles pour connaître une voie qui mène à un échec) passant souvent à la trappe. Qu'en pensez-vous ?"
 

Oui, mille fois oui ! Il n'était pas dans mon idée d'avoir la naïveté de certains "mesureurs d'activités scientifique" à qui l'on doit des publications excessives et médiocres. Oui, il me semble inapproprié (terme politiquement correct) d'imposer aux doctorants un certain nombre de publications pour la fin de leur thèse, ou aux scientifiques un certain nombre de publications par année. D'ailleurs, l'Académie des sciences a très justement pointé cette question, et l'on ne cesse, ces temps-ci, de voir débouler des articles qui font état des dégâts du "facteur d'impact", que certains tordent à leur avantage en publiant trop et  mal. D'ailleurs, j'avais moi-même fait plusieurs billets à propos de ces questions, et notamment https://hervethis.blogspot.com/2018/07/a-propos-de-revues-predatrices.html.

Mais quand même, avec intelligence, nous devons publier nos résultats... en nous interrogeant de surcroît sur les nouvelles formes de publication permises par l'internet.
Ainsi, dans le temps, on a alterné entre de gros articles, ou au contraire de petits textes bien ciblés. Il va de soi que l'on ne fait pas un gros et bon article par an, parce que cela signifierait que l'on a produit un gros travail théorique dans l'année : les meilleurs (Einstein, Faraday, etc.) sont des hommes ou des femmes de deux ou trois idées dans une vie, et cela est déjà bien, si les résultats sont importants. Mais inversement, on ne peut plus supporter une dispersion de trop nombreux petits articles par trop de chercheurs. La vraie question est donc de réinventer la publication scientifique... Et, quand même, on n'enlèvera pas le bon principe qu'une idée dans un tiroir n'est pas une idée : nous devons publier les résultats de nos travaux !






vendredi 29 décembre 2017

Une idée dans un tiroir n'est pas une idée


On a évidemment compris ce dont il s'agit. Bien sûr, une idée, c'est une idée, mais ce que cette phrase signifie, c'est qu'une idée doit être partagée. 

Pourquoi ? Pour de nombreuses raisons, mais tout d'abord parce que la  présentation de nos idées à nos amis nous oblige à des formulations plus claires… pour nous mêmes et pour les autres.
Cela force à satisfaire des conditions particulières de communication, à éviter les coqs à l'âne, à préparer l'exposition,  à utiliser des mots parfaitement clairs...

Tout cela est en réalité un atout et une garantie. Une garantie que l'idée est  parfaitement valide, car il arrive que l'examen soigneux des idées vagues que nous avons conduit finalement à leur réfutation. Un atout, parce que, alors, les idées sont affinées, prennent plus de force.

En sciences de la nature,  cette phrase « Une idée dans un tiroir n'est pas une idée » fait écho à cette règle que le physico-chimiste  britannique Michael Faraday s'était donnée : Work, finish, publish (travailler, fignoler, publier). Nous  devons effectivement publier les résultats que nous obtenons, qu'ils soient d'ailleurs négatifs  ou positifs. Faire une expérience et obtenir un résultat négatif, c'est d'ailleurs en réalité très positif,  puisque cela nous conduit observer que notre théorie est contredite par les faits.
Ainsi, nous pouvons progresser, chercher en quoi notre théorie est fautive, proposer une théorie améliorée :  tel est  précisément l'objectif des sciences de la nature. Bien sûr, cette réfutation nous conduit à d'autres travaux, et  il faut savoir où s'arrêter pour la  publication, mais quand même, il y a quelque chose de sain dans l'affaire. Et, finalement, ce sera une question de travail que d'arriver à un manuscrit publiable.

Une idée dans un tiroir n'est pas une idée : cela signifie aussi que, dans notre monde, nombre de personnes prétendent avoir beaucoup d'idées, mais ils les montrent peu. 

Je propose de considérer que ces idées cachées n'existent pas.
Il y a notamment, avec l'industrie et son secret industriel, cette incertitude constante à propos de ce qui est su et de ce qui  est ignoré : je déteste cette prétention qui consiste à dire que l'on aurait des idées qu'on n'a pas publiées, et je décide de penser que ces idées n'existent pas.

Je me souviens ainsi d'un épisode amusant : alors que j'avais réussi à « décuire » des œufs, en 1997, un capitaine d'industrie à qui je racontais la chose m'avait dit que cela était connu depuis longtemps de ses services… Mais, deux semaines après, alors que je faisais une conférence où je présentais le résultat, il avait envoyé des ingénieurs pour apprendre comment j'avais fait !  Ce cas n'est pas isolé : je l'ai rencontré souvent, et ma religion est maintenant faite : sauf à voir le fruit d'idées que ces gens prétendent avoir,  je considère qu'ils n'ont pas les idées dont ils ont la prétention.

A l'inverse, on voit parfois des résultats extraordinaires, qui correspondent à des idées qui n'ont pas été présentées. Par exemple,  je me souviens de biscuit d'apéritifs apparemment anodins… qui étaient comme de petits ballons creux.



Des petits ballons ? On peut obtenir de tels soufflement par « cuisson extrusion », avec la brusque détente d'une pâte (farine et eau) que l'on pousse dans un cylindre, à l'aide d'une vis d'Archimède. Mais des ballons percés ? Essayez donc de souffler dans un ballon de baudruche, et vous verrez que c'est très difficile ! Je ne sais absolument pas comment ces biscuits ont été produits, mais je propose d'admirer le tour ce force.

Il y a de nombreuses façons de sortir une idée d'un tiroir, de la publication à la matérialisation, en passant par l'évocation orale, et, tout cela permet  que nos idées ne restent pas dans les tiroirs.






Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine) 

mardi 19 juillet 2016

Une idée dans un tiroir n'est pas une idée

Une idée dans un tiroir n'est pas une idée...

On a évidemment compris ce dont il s'agit. Bien sûr, une idée, c'est une idée, mais ce que cette phrase signifie, c'est qu'une idée doit être partagée.
Pourquoi ? Pour de nombreuses raisons, mais tout d'abord parce que la  présentation de nos idées à nos amis nous oblige à des formulations plus claires… pour nous mêmes et pour les autres. Cela force à satisfaire des conditions particulières de communication, à éviter les coqs à l'âne, à préparer l'exposition,  à utiliser des mots parfaitement clairs... Mais tout cela est en réalité un atout et une garantie. Une garantie que l'idée est  parfaitement valide, car il arrive que l'examen soigneux des idées vagues que nous avons conduit finalement à leur réfutation. Un atout, parce que, alors, les idées sont affinées, prennent plus de force.

 En sciences de la nature,  cette phrase « une idée dans un tiroir n'est pas une idée » fait écho à cette règle que le physico-chimiste  britannique Michael Faraday s'était donnée : travailler, publier. Nous  devons effectivement publier les résultats que nous obtenons, qu'ils soient d'ailleurs négatifs  ou positifs. Faire une expérience et obtenir un résultat négatif, c'est d'ailleurs en réalité très positif,  puisque cela nous conduit observer que notre théorie est contredite par les faits. Ainsi, nous pouvons progresser, chercher en quoi notre théorie est fautive, proposer une théorie améliorée :  tel est  précisément l'objectif des sciences de la nature.
# Bien sûr, cette réfutation nous conduit à d'autres travaux, et  il faut savoir où s'arrêter pour la  publication, mais quand même, il y a quelque chose de sain dans l'affaire. Et, finalement, ce sera une question de travail que d'arriver à un manuscrit publiable.

Une idée dans un tiroir n'est pas une idée : cela signifie aussi que, dans notre monde, nombre de personnes prétendent avoir beaucoup d'idées, mais ils les montrent peu. Je propose de considérer que ces idées cachées n'existent pas.
 Il y a notamment, avec l'industrie et son secret industriel, cette incertitude constante à propos de ce qui est su et de ce qui  est ignoré : je déteste cette prétention qui consiste à dire que l'on aurait des idées qu'on n'a pas publiées.  Disons que ces idées n'existent pas.
Je me souviens ainsi d'un épisode amusant : alors que j'avais réussi à « décuire » des œufs, en 1997, un capitaine d'industrie à qui je racontais la chose m'avait dit que cela était connu depuis longtemps de ses services… mais qui, deux semaines après, alors que je faisais une conférence où je présentais le résultat, il avait envoyé des ingénieurs pour apprendre comment j'avais fait ! 
Ce cas n'est pas isolé : je l'ai rencontré souvent, et ma religion est maintenant faite : sauf à voir le fruit d'idées que ces gens prétendent avoir,  je considère qu'ils n'ont pas les idées dont ils ont la prétention.

A l'inverse, on voit parfois des résultats extraordinaires, qui correspondent à des idées qui n'ont pas été présentées. Par exemple,  je me souviens de biscuit d'apéritifs apparemment anodins… qui étaient comme de petits ballons creux. Des petits ballons ? On peut obtenir de tels soufflement par « cuisson extrusion », avec la brusque détente d'une pâte (farine et eau) que l'on pousse dans un cylindre, à l'aide d'une vis d'Archimède. Mais des ballons percés ? Essayez donc de souffler dans un ballon de baudruche, et vous verrez que c'est très difficile ! Je ne sais absolument pas comment ces biscuits ont été produits, mais je propose d'admirer le tour ce force.



Il y a de nombreuses façons de sortir une idée d'un tiroir, de la publication à la matérialisation, en passant par l'évocation orale, et, tout cela permet  que nos idées ne restent pas dans les tiroirs.

Une idée dans un tiroir n'est pas une idée

Une idée dans un tiroir n'est pas une idée

On a évidemment compris ce dont il s'agit. Bien sûr, une idée, c'est une idée, mais ce que cette phrase signifie, c'est qu'une idée doit être partagée.
Pourquoi ? Pour de nombreuses raisons, mais tout d'abord parce que la  présentation de nos idées à nos amis nous oblige à des formulations plus claires… pour nous mêmes et pour les autres. Cela force à satisfaire des conditions particulières de communication, à éviter les coqs à l'âne, à préparer l'exposition,  à utiliser des mots parfaitement clairs... Mais tout cela est en réalité un atout et une garantie. Une garantie que l'idée est  parfaitement valide, car il arrive que l'examen soigneux des idées vagues que nous avons conduit finalement à leur réfutation. Un atout, parce que, alors, les idées sont affinées, prennent plus de force.

 En sciences de la nature,  cette phrase « une idée dans un tiroir n'est pas une idée » fait écho à cette règle que le physico-chimiste  britannique Michael Faraday s'était donnée : travailler, publier. Nous  devons effectivement publier les résultats que nous obtenons, qu'ils soient d'ailleurs négatifs  ou positifs. Faire une expérience et obtenir un résultat négatif, c'est d'ailleurs en réalité très positif,  puisque cela nous conduit observer que notre théorie est contredite par les faits. Ainsi, nous pouvons progresser, chercher en quoi notre théorie est fautive, proposer une théorie améliorée :  tel est  précisément l'objectif des sciences de la nature.
# Bien sûr, cette réfutation nous conduit à d'autres travaux, et  il faut savoir où s'arrêter pour la  publication, mais quand même, il y a quelque chose de sain dans l'affaire. Et, finalement, ce sera une question de travail que d'arriver à un manuscrit publiable.

Une idée dans un tiroir n'est pas une idée : cela signifie aussi que, dans notre monde, nombre de personnes prétendent avoir beaucoup d'idées, mais ils les montrent peu. Je propose de considérer que ces idées cachées n'existent pas.
 Il y a notamment, avec l'industrie et son secret industriel, cette incertitude constante à propos de ce qui est su et de ce qui  est ignoré : je déteste cette prétention qui consiste à dire que l'on aurait des idées qu'on n'a pas publiées.  Disons que ces idées n'existent pas.
Je me souviens ainsi d'un épisode amusant : alors que j'avais réussi à « décuire » des œufs, en 1997, un capitaine d'industrie à qui je racontais la chose m'avait dit que cela était connu depuis longtemps de ses services… mais qui, deux semaines après, alors que je faisais une conférence où je présentais le résultat, il avait envoyé des ingénieurs pour apprendre comment j'avais fait ! 
Ce cas n'est pas isolé : je l'ai rencontré souvent, et ma religion est maintenant faite : sauf à voir le fruit d'idées que ces gens prétendent avoir,  je considère qu'ils n'ont pas les idées dont ils ont la prétention.

A l'inverse, on voit parfois des résultats extraordinaires, qui correspondent à des idées qui n'ont pas été présentées. Par exemple,  je me souviens de biscuit d'apéritifs apparemment anodins… qui étaient comme de petits ballons creux. Des petits ballons ? On peut obtenir de tels soufflement par « cuisson extrusion », avec la brusque détente d'une pâte (farine et eau) que l'on pousse dans un cylindre, à l'aide d'une vis d'Archimède. Mais des ballons percés ? Essayez donc de souffler dans un ballon de baudruche, et vous verrez que c'est très difficile ! Je ne sais absolument pas comment ces biscuits ont été produits, mais je propose d'admirer le tour ce force.



Il y a de nombreuses façons de sortir une idée d'un tiroir, de la publication à la matérialisation, en passant par l'évocation orale, et, tout cela permet  que nos idées ne restent pas dans les tiroirs.

samedi 5 septembre 2015

L'idée essentielle

On a interrogé des scientifiques pour savoir quelle serait l'idée scientifique qu'ils proposent de transmettre. Richard Feynman aurait répondu que, pour lui, l'hypothèse atomique était la clé de voûte des sciences. Puis d'autres scientifiques ont été questionnés, et c'est mon tour.

Ce qui est amusant, dans la question, c'est moins la question que la forme du questionnement : mes enfants jeunes se mettaient en colère quand ils me demandaient si je préférais les fraises ou les mûres que  je répondais  "le cassis". Pourquoi répondais-je ainsi ? Pas parce que je refusais de jouer avec eux, mais, surtout, parce que crois que la question est mal posée,  comme pour ce vote du "meilleur cuisinier du monde" dont on parle tous les ans, à l'occasion de la publication des résultats (par une firme industrielle, qui fait en réalité de la publicité).
Le meilleur ? Quels critères, d'abord ? Ensuite, le meilleur en termes de moyenne de préférences n'a aucun intérêt pour ce  qui me concerne, car mes choix ne sont pas déterminés par les choix des autres. Et, surtout, les choix peuvent varier avec le jour, le temps qu'il fait... et ils ne sont pas possibles, dans bien des cas. Par exemple, si un objet est caractérisé par plusieurs  propriétés, on peut le représenter dans un espace à  plusieurs dimensions. Si ce nombre de dimensions est supérieur à 1, on peut évidemment ranger les objets par ordre de distance par rapport à un point origine, mais pourquoi ferait-on ainsi ?
Pour les idées scientifiques, il en va de même, et il faut donc interpréter la question avant d'essayer d'y répondre, autrement qu'en donnant un choix. En réalité, je crois comprendre que, ce qui est en  jeu, c'est la volonté de discuter de ces  choix, de nos critères.
Jouons donc : naïvement, j'aurais tendance à penser que la constitution de la matière est essentielle, car si l'humanité a mis si longtemps à se débarrasser de la théorie des quatre éléments d'Aristote, c'est que  ce dépassement était difficile. Toutefois, vaut-il mieux donner des clés méthodologiques, ou le résultat de la mise en oeuvre de ces clés ? Il me semble que la méthodologie est préférable, et, en l'occurrence, la méthodologie est la méthode scientifique... car la méthode scientifique a mis longtemps à apparaître sous la forme que nous  connaissons. Cette méthode a des racines au nombre de trois, principalement : (1) il faut préférer l'expérience ; (2) les phénomènes doivent être quantifiés ; (3) le  monde est écrit en langage mathématique. Le  point 2 semble pouvoir découler du  troisième, et le premier peut-être aussi. Amusant, d'ailleurs, que telle était l'idée de ces Grecs où la science est née, dans un état très embryonnaire qui fut d'abord étouffé par la religion, avant de prendre son essor quand des idées telles que celles des lumières (sapere aude, aies l'audace de penser par toi-même) purent éclore.

L'idée essentielle

On a interrogé des scientifiques pour savoir quelle serait l'idée scientifique qu'ils proposent de transmettre. Richard Feynman aurait répondu que, pour lui, l'hypothèse atomique était la clé de voûte des sciences. Puis d'autres scientifiques ont été questionnés, et c'est mon tour.
Ce qui est amusant, dans la question, c'est moins la question que la forme du questionnement : mes enfants jeunes se mettaient en colère quand ils me demandaient si je préférais les fraises ou les mûres que  je répondais  "le cassis". Pourquoi répondais-je ainsi ? Pas parce que je refusais de jouer avec eux, mais, surtout, parce que crois que la question est mal posée,  comme pour ce vote du "meilleur cuisinier du monde" dont on parle tous les ans, à l'occasion de la publication des résultats (par une firme industrielle, qui fait en réalité de la publicité).
Le meilleur ? Quels critères, d'abord ? Ensuite, le meilleur en termes de moyenne de préférences n'a aucun intérêt pour ce  qui me concerne, car mes choix ne sont pas déterminés par les choix des autres. Et, surtout, les choix peuvent varier avec le jour, le temps qu'il fait... et ils ne sont pas possibles, dans bien des cas. Par exemple, si un object est caractérisé par plusieurs  propriétés, on peut le représenter dans un espace à  plusieurs dimensions. Si ce nombre de dimensions est supérieur à 1, on peut évidemment ranger les objets par ordre de distance par rapport à un point origine, mais pourquoi ferait-on ainsi ?
Pour les idées scientifiques, il en va de même, et il faut donc interpréter la question avant d'essayer d'y répondre, autrement qu'en donnant un choix. En réalité, je crois comprendre que, ce qui est en  jeu, c'est la volonté de discuter de ces  choix, de nos critères.
Jouons donc : naïvement, j'aurais tendance à penser que la constitution de la matière est essentielle, car si l'humanité a mis si longtemps à se débarrasser de la théorie des quatre éléments d'Aristote, c'est que  ce dépassement était difficile. Toutefois, vaut-il mieux donner des clés méthodologiques, ou le résultat de la mise en oeuvre de ces clés ? Il me semble que la méthodologie est préférable, et, en l'occurrence, la méthodologie est la méthode scientifique... car la méthode scientifique a mis longtemps à apparaître sous la forme que nous  connaissons. Cette méthode a des racines au nombre de trois, principalement : (1) il faut préférer l'expérience ; (2) les phénomènes doivent être quantifiés ; (3) le  monde est écrit en langage mathématique. Le  point 2 semble pouvoir découler du  troisième, et le premier peut-être aussi. Amusant, d'ailleurs, que telle était l'idée de ces Grecs où la science est née, dans un état très embryonnaire qui fut d'abord étouffé par la religion, avant de prendre son essor quand des idées telles que celles des lumières (sapere aude, aies l'audace de penser par toi-même) purent éclore.