Oui, j'ai oublié de vous dire que vient de paraître l'article suivant :
J'y discute la question de la rédaction scientifique, et, plus précisément, l'emploi des adjectifs et des adverbes.
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
Oui, j'ai oublié de vous dire que vient de paraître l'article suivant :
J'y discute la question de la rédaction scientifique, et, plus précisément, l'emploi des adjectifs et des adverbes.
La mauvaise littérature fait un usage déraisonnable des adjectifs et des adverbes, tombant facilement dans le cliché ou la périssologie (la forme fautive du pléonasme) : « le blanc manteau immaculé de la neige », « un terrible drame »…
L'épithétisme non voulu est redoutable, et les auteurs naïfs ne doivent pas s'étonner que leurs manuscrits soient si facilement refusés : une lecture d'un paragraphe suffit souvent à se faire une idée de la médiocrité des textes médiocres.
Evidemment, en écrivant ce qui précède, je me surveille : n'ai-je pas écrit « mauvaise », « déraisonnable », « facilement », « redoutable », « naïfs », etc. ?
Oui, je m'en suis amusé, et l'on me connaît assez pour bien comprendre que cet amusement est pure joie de vivre, et non ironie caustique. Il s'agit d'aider mes amis à vivre mieux, et, en l'occurrence, à mieux maîtriser l'usage de la langue.
Pourquoi cet accès soudain ? Parce que je viens de commencer la lecture critique d'un manuscrit scientifique soumis à une revue de chimie, et que je ne cesse d'écrire dans le rapport : « précis », combien ? « grande sensibilité analytique », combien ? « bien connu », de qui ? « forte proportion », combien ?
La méthode des sciences de la nature faisant usage de la caractérisation quantitative des phénomènes, puis imposant que les mécanismes proposés pour les phénomènes soient « encadrés » par les lois quantitatives, on comprend que les adjectifs et les adverbes soient des mots difficiles à manier.
Petit ? Jolitorax venu voir Astérix et Obélix disait que son canot était plus grand que le casque de son neveu mais plus petit que le jardin de son oncle. Et si l'on riait d'une telle déclaration, vu la différence important de taille des trois objets, il y avait le germe d'une saine pratique de la description scientifique.
Oui, une gouttelette d'huile dans une sauce mayonnaise, avec un diamètre compris entre 0,001 et 0,1 millimètre est « petite » (sous-entendu, par rapport à nous), mais elle est énorme par rapport aux lipoprotéines qui sont dispersées dans le plasma d'un jaune d'oeuf, et, a fortiori, dans la sauce mayonnaise.
Il faut répéter que la description scientifique n'est pas de la littérature, de la poésie ; l'information doit être aussi précise que possible, mais aussi succincte… et c'est la raison pour laquelle notre Groupe de gastronomie moléculaire s'est fait une règle de ne pas utiliser adjectifs et adverbes.
Bien sûr, parfois, ils s'imposent, surtout quand la question est la communication, mais chaque fois que nous rédigeons un rapport, un article…, nous faisons, en fin de travail de rédaction, un balayage pour éliminer ces mots épineux. Et si cette règle que j'ai introduite il y a quelques décennies à mon usage était imposée à tous ?
Et si elle figurait dans les « conseils aux auteurs » ? Merci de m'aider à penser que ma proposition est insensée.
A propos de réflexions sur l'intégrité scientifique, je tombe sur une discussion relative au "saucissonnage" des articles.
Les auteurs de cette expression considèrent que c'est une faute de publier de nombreux articles peu différents, sauf un élément mineur... et évidemment je suis approximativement d'accord avec eux.
Mais oublions les cas pathologiques pour se préoccuper des cas généraux. D'abord la question de ce saucissonnage est tout en nuances, car même quand on est honnête, on hésite sans cesse entre publier de gros manuscrits, transmettant une foule de rrésultats, de données, d'interprétations (cela fait des textes indigestes, trop denses, que personne ne lit bien) et de petits articles courts, concis, focalisés.
Pour presque chacun de mes manuscrits, j'hésite entre ces deux possibilités !
On voit d'ailleurs à la façon dont je formule la question combien je suis plutôt en faveur des petits articles concis et bien faits, mais pourquoi ?
Pas pour augmenter mon nombre de publications, ce dont je me moque parfaitement (puisque c'est la production scientifique qui m'intéresse), mais surtout parce que la division en petits morceaux facilite, suscite même, les interprétations. Si nous partons d'un résultat, d'un petit groupe de données, et que nous cherchons des interprétations, nous aurons au total plus de ces dernières... avec de surcroît la possibilité de chercher ensuite des synthèses, donc du méta-méta-résultat, en quelque sorte.
Bref, je ne veux pas manquer une occasion de me stimuler créativement, de me lancer sur des calculs qui feront voir dans les données autre chose que des nombres.
Sans compter que je ne suis pas très intelligent, et que, pour moi (comme pour les autres en réalité), les petites bouchées sont plus facile à absorber que les grosses.
Mais je le répète : il faut se concentrer sur le contenu, pas sur la forme. Et publier point à point conduit à mieux évaluer le chemin que l'on parcourt, nous oblige à imaginer plus que ce que nous faisons, nous donne du temps pour maturer des idées plus difficiles.
D'ailleurs, c'était la stratégie de Pierre-Gille de Gennes, qui partait fréquemment le vendredi soir avec une pile de résultats, et revenait le lundi avec un projet de publication et les calculs correspondants.
C'était aussi la stratégie de Louis Pasteur, un homme que je n'aime pas, mais qui, même s'il a répété jusqu'à des paragraphes entiers de communication en communication, a avancé comme un rouleau compresseur scientifique, avec pugnacité.
Je le répète : Pasteur s'est beaucoup répété, mais ses publications apportent toutes quelque chose, et c'est cela qui compte, non ?
Bien sûr, il n'a pas été honnête rhétoriquement, n'a pas reconnu tous les apports, s'est mis en avant de façon exagérée, n'a pas toujours utilisé son intelligence avec toute la droiture qu'on aurait pu souhaiter, mais ses publications (je parle surtout de la période 1846-1850) ont fait avancer son travail vers la solution de grands mystères.
Enfin, je concluerais qu'il en va ici comme des teintes comprises entre le noir et le blanc : il y a toutes les graduations de gris, et il faut évidemment s'efforcer d'être du bon côté... en conservant cette idée forte : le summum de l'intelligence, c'est la bonté et la droiture.
Dans un texte que j'ai publié dans les Notes académiques de l'Académie d'Agriculture de France (N3AF), j'évoquais la question du rejet des manuscrits par les publications scientifiques. Et c'est là un sujet dont il est important de parler, parce que, même si nous savons que cela arrive à tous, et pas seulement à nous-mêmes, il est très désagréable qu'un éditeur nous dise, se fondant sur des rapporteurs, qu'un manuscrit que nous proposons n'est pas publiable, alors que nous y avons passé beaucoup de temps, que nous sommes passés sous les fourches caudines de la préparation particulière et de la soumission, que nous avons fait de notre mieux.
Dans mon article aux N3AF, je commence par observer que, aujourd'hui, la question de limiter les publications -qui s'imposait quand on imprimait les revues scientifiques sur du papier- ne tient plus. D'ailleurs, il s'agit moins de journaux que de publications, et de publications en ligne.
En outre, il faut se souvenir de l'histoire de la publication scientifique pour comprendre pourquoi nous en sommes arrivés à une situation paradoxale.
Jadis, les auteurs recopiaient leurs manuscrits à la main pour les distribuer.
Puis les académies et des scientifiques ont créé des revues pour éviter cela. Initialement, les auteurs touchaient des droits d'auteur, parce que les journaux étaient vendus, ce qui rapportait de l'argent.
Progressivement, l'édition scientifique a évolué vers un nouvel état où les auteurs ne touchaient plus d'argent pour leur texte, cédant gratuitement la propriété de leurs textes aux éditeurs, ce qui est sans doute un peu léonin.
Puis est venu le temps où les auteurs ont dû payer pour être publiés...
Alors que les scientifiques font tout le travail :
- l'écriture des textes
- la préparation des manuscrits selon des normes fixes
- l'évaluation des textes des collègues.
L'abondance excessive (plus exactement : excessive pour le système d'il y a plusieurs décennies) des manuscrits a conduit des éditeurs internationaux à s'engraisser indûment sur la communauté scientifique. Il est temps que cela cesse... car le numérique a donné un coup de pied dans la fourmillière.
D'autre part, dans mon texte, je dis que l'heure n'est plus aux rejets, qui font perdre le temps de tout le monde, et qui abattent le moral des courageux qui veulent publier. Notamment les "rejets", qui étaient souvent fondés sur de mauvaises excuses, en vue de limiter les soumissions, doivent cesser. Non pas qu'il faille éviter de publier des manuscrits impubliables, bien sûr.
Non, il est temps que les rapporteurs apprennent d'autres manières, à savoir une bienveillance qui doit permettre aux auteurs d'améliorer leurs manuscrits.
D'ailleurs, il faut absolument que les "évaluations" soient doublement anonymes : que les auteurs ignorent qui sont les rapporteurs, et que les rapporteurs ignorent qui sont les auteurs... car ils seront ainsi plus prudents : je me souviens d'un de mes manuscrits à propos duquel un des rapporteurs avait eu des mots douteux, et je peux assurer qu'il l'a regretté, ensuite, quand il a su que j'étais l'auteur et que, surtout, il avait outrepassé ses droits de rapporteur, faisant des demandes indues.
Pour autant -j'insiste-, il ne s'agit pas de lâcher sur la qualité des textes : il doit y avoir autant d'allers-retours que nécessaire entre les auteurs et les rapporteurs, afin que les textes publiés soient de grande qualité.
Et il faut bien sûr que les auteurs entendent quand leurs textes sont fautifs. Il faut que les jeunes auteurs apprennent à mieux rédiger des textes scientifiques. Où tout soit justifié, par exemple ; où des validations sont données ; et ainsi de suite. Cela s'apprend, et les rapporteurs ont donc une mission essentielle dans notre communauté.
Et d'abord une obligation de bienveillance : vita brevis, ars longa... et il faut apprendre lentement.
Il est temps, aussi, de bien expliquer qu'il n'est pas vrai que les revues rejettent les textes qui font mention de "résultats négatifs", car les résultats sont toujours des résultats, et, quand ils sont contraire aux hypothèses que nous avons faites, ce sont des découvertes ! C'est une faute de la part des auteurs que de penser que des résultats puissent être négatifs.
Et tout résultat obtenu dans de bonnes conditions (contrôlées, reproductibles) doit être publié ! Evidemment, les interprétations sont parfois difficiles, mais j'insiste : les résultats sont là, et il faut les communiquer à la communauté scientifique.
D'ailleurs, bien plus généralement, nous devons faire nôtre la règle de Michael Faraday : work, finish and publish*... car une idée dans un tiroir n'est pas une idée !
* “The secret is comprised in three words — Work, finish, publish.”
An advice to the young William Crookes, who had asked him the secret of his success as a scientific investigator, as quoted in Michael Faraday (1874) by John Hall Gladstone, p. 123
science/études/cuisine/politique/Alsace/gratitude/émerveillement
1. J'ai peut-être effleuré la question un jour, mais il faut que j'y revienne : dans nos master internationaux, il y a un "conseil" (nous nommons cela "board", parce que c'est international) où nous réunissons des collègues étrangers, des collègues français, des industriels (notamment de sociétés susceptibles d'employer nos étudiants), des administrateurs.
2. Les industriels nous disent que tout va bien, qu'ils sont très désireux de recruter ceux que nous formons, et la seule critique qu'il fassent est que nos étudiants, en fin de Master, ne sachent pas suffisamment identifier la qualité des textes qu'ils utilisent pour leurs travaux.
Ces textes sont des articles scientifiques, et la question et bien évidemment essentielle, car de même que l'on ne construit pas sur du sable, on ne doit pas utiliser ou citer des connaissances médiocres.
3. Évidemment, nos amis ont raison, mais c'est souvent au moment de la thèse, la première année, que les docteurs apprennent bien à faire leur bibliographie. Cet apprentissage, qui se fait en une bonne année, voire plus, peut difficilement se faire à la hâte.
4. J'ajoute que le grand public ignore largement que beaucoup d'articles publiés dans des revues scientifiques, et même des grandes revues scientifiques avec rapporteur, ne valent pas grand-chose. Oui, dans un monde idéal, un article publié par une revue à comité de lecture devrait être impeccable, mais en pratique, les détails de l'édition scientifique conduisent à bien autre chose que ce dont le monde scientifique peut rêver, et cela pour mille raisons. Notamment la pression pour la publication conduit certains auteurs, d'une part, mais aussi certains éditeurs et certains rapporteurs à faire paraître des articles qui ne devraient jamais être publiés tant leur qualité est mauvaise.
5. Et les faits sont là : il y a beaucoup d'articles publiés qui valent rien et, en conséquence, nous devons tous bien nous assurer, quand nous utilisons un article, que ce dernier est de bonne qualité.
6. Comme dit précédemment, cela n'est pas facile, mais cela s'apprend. J'ai donné ailleurs des indications pour s'y repérer ; j'ai expliqué en détail à quels signes évidents on peut reconnaître les bons ou les mauvais articles. Surtout, j'ai discuté la question difficile de savoir quoi faire avec de mauvais textes, où le bon est mêlé mauvais : quelle confiance pouvons-nous attribuer à des données figurant dans des textes médiocres ?
Au fond, si les auteurs sont médiocres, ou, plus exactement, si des scientifiques ont fait un travail médiocre, alors leur bibliographie est sans doute médiocre, et les références qu'ils donnent ne doivent pas être retenues. Sur les sujets évoqués, il faut faire notre propre travail de bibliographie, sans nous reposer sur eux. A propos de leurs résultats expérimentaux, aussi, il y a lieu de tout prendre avec des pincettes. Et finalement, puisque les bases sont fragile et les constructions aussi, les interprétations ne doivent pas manquer d'être "discutées" très soigneusement, au lieu d'être acceptées.
Bref il y a lieu de ne pas trop perdre de temps avec de tels textes et de se focaliser sur les quelques articles remarquables qui paraissent au milieu de tout ce qui est médiocre.