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mercredi 11 décembre 2024

Tests charcutiers : assaisonnement et malaxage

Nous venons de terminer le séminaire consacré à la charcuterie et, plus exactement  à l'assaisonnement et au malaxage. 

Nous avons fait une première expérience qui consistait à prendre de la viande (poitrine de porc), à la couper en morceaux et à diviser ces morceaux en deux moitiés : 

- une moitié était assaisonnée de sel et de poivre avant le hachage

- et l'autre moitié était d'abord hachée avant d'être assaisonné. 

Nous avons utilisé une grille de 10 conformément à la pratique de la confection des saucisses de Toulouse. Nous n'avons pas mélangé, toujours conformément à la pratique de la confection des saucisses de Toulouse. Et nous avons formé de petites galettes que nous avons cuites ensemble, dans la même poêle, au même endroit de la poêle et pendant le même temps. 

Puis nous avons organisé un test triangulaire et nous n'avons pas perçu de différence gustatives entre la viande assaisonnée avant ou après le hachage. 

 

Puis nous avons fait une deuxième expérience qui consistait hacher de la viande, à l'assaisonner, puis à diviser la viande hachée en deux moitiés 

- l'une était malaxée  (à la main, en triturant, jusque environ 7 minutes)

- et l'autre moitié n'était pas malaxée. 

Le résultat a été parfaitement clair : visuellement, il y a une différence considérable et au bout de 6 minutes de mélange à la main, l'opérateur a senti comme de l'eau qui sortait de la masse malaxée. Mais l'aspect visuel suffisait à montrer combien il y avait de changement. 

Puis à la cuisson, nous avons vu une autre différence  : la viande qui avait été malaxée gonflait plus que l'autre. Après cuisson, elle se tenait bien mieux : elle formait une masse homogène tandis que pour la viande hachée et non malaxée, les parties se défaisaient, se séparaient,  avant ou après la cuisson d'ailleurs. Au test triangulaire, nous avons vu une belle différence non pas de goût mais évidemment de consistance.

Parfois, dans nos séminaires, les expériences sont préliminaires et il y a lieu de les répéter ultérieurement, mais cette fois-ci, les effets sont si clairs qu'il n'est sans doute pas nécessaire de répéter les tests... sauf évidemment avec des apprenants, afin qu'ils voient par eux-mêmes les effets qu'on leur annonce.

mercredi 4 décembre 2024

Beurre blanc, beurre nantais, sauce blanche

Alors que je faisais hier une sauce pour poisson, j'ai voulu savoir ce qu'en disaient les internautes, et c'est ainsi que j'ai vu la plus grande confusion entre le beurre blanc, le beurre nantais, la sauce blanche.
J'ai déjà consacré un billet terminologique à cette question, dans les Nouvelles gastronomiques (https://hervethis.blogspot.com/2023/12/beurre-nantais-beurre-blanc-non-sauce.html),   et j'ai montré combien il y avait de confusions et d'erreurs à propos de ces sauces.

Mais ce sont surtout les commentaires des internautes qui m'ont intéressés hier, parce que j'ai vu combien il manquait à celles et ceux qui cuisinent les bases chimiques et physiques pour comprendre que tout cela... est vraiment très simple.  

Il y a donc ces sauces qui sont faites d'une première réduction d'un liquide (du vin, du jus de citron, etc.) avec des échalotes, par exemple, et auxquelles on ajoute du beurre que l'on fouette pendant qu'il fond. 

Avec cette description qui reste à la pratique, sans compréhension des gestes, il est presque certain que l'on est conduit à une sauce qui tourne parce qu'il manque les informations physico-chimiques élémentaires pour obtenir une sauce bien faite, bien liée. 

De fait, les conseils culinaires classiques sont variés : il est dit de réduire à sec ;  mais il est aussi parfois conseillé d'ajouter une cuillerée d'eau ;  il est dit d'ajouter le beurre par petites quantités, il est dit de le faire bouillir, et ainsi de suite. Mais pourquoi toutes ces prescriptions incompréhensibles et pas nécessairement justes ?

Pour comprendre, il faut savoir l'objectif  : ce dernier est la production d'une émulsion, c'est-à-dire la dispersion de gouttelettes de matière grasse fondue dans un liquide aqueux (on parle de "solution aqueuse", ou de "phase aqueuse"). 

Cela impose d'avoir au minimum 5 pour cent  d'eau environ,  et de disperser dans cette eau la matière grasse liquide sous la forme de gouttelettes microscopiques : c'est parce que les gouttelettes seront finalement nombreuses, tassées, coincées les unes contre les autres, qu'elle bougeront difficilement et que la sauce s'écoulera difficilement, qu'elle aura une certaine viscosité, une certaine fermeté, qu'elle sera "liée". Plus généralement, l'émulsification  est un des procédés de la liaison des sauces. 

D'où viendra l'eau ? D'où viendra la matière grasse ? Pour la matière grasse, il est évident qu'elle vient du beurre qui fond. En effet, le beurre est fait en général de 82 pour cent  de matière grasse et de 18 pour cent d'eau... de sorte que l'on pourrait très bien faire une émulsion avec du beurre seulement : si chauffe doucement le beurre, on obtient  une phase aqueuse au fond du récipient et une phase grasse liquide par-dessus, le beurre clarifié ; si l'on décante ce système "biphasique", c'est-à-dire à deux phases, alors on peut récupérer  la phase grasse liquide à part, puis l'ajouter en fouettant dans la phase aqueuse restée dans la casserole, ce qui produire une émulsion très différente du beurre... et qui peut être une sauce pour des poissons. 

Toutefois cette sauce n'aura que le goût du beurre et l'on peut vouloir le rehausser un peu. C'est la raison pour laquelle on fait classiquement réduire des échalotes avec du vin blanc, de jus de citron ;  au cours de cette réduction, les composés odorants sont éliminés mais il reste des composés sapides, des ions minéraux, des acides, etc. 

Mais quand on fait une réduction à sec, il n'y a alors plus l'eau nécessaire  pour obtenir une émulsion, pour permettre la dispersion des gouttelettes de matière grasse. Sachant qu'il y a 18 pour cent d'eau dans le beurre, on pourrait s'en tirer, mais la cuisine classique, ignorant cela, a proposé plutôt d'ajouter une cuillerée d'eau à la réduction initiale : rappelons-nous qu'ils faut un minimum de 5 pour cent d'eau  pour obtenir une émulsion de type huile dans eau. 

Ensuite, c'est tout simple : il suffit de mettre le beurre dans la casserole et de chauffer doucement en fouettant. Le  beurre qui est chauffé fond, et le fouet divise la matière grasse fondue en gouttelettes qui viennent se disperser dans l'eau. Attention toutefois que ce travail se fait à chaud et que de ce fait, l'eau s'évapore, de sorte que, si l'on n'y prend pas garde, si on chauffe trop, trop longtemps, on risque de ne plus avoir assez d'eau pour faire l'émulsion, qui viendra à tourner.

Il y a un point important à savoir encore  : une émulsion à petites gouttelettes est plus visqueuse, plus épaisse, plus ferme qu'une émulsion avec de grosses gouttelettes. 

On peut voir ce phénomène si l'on donne un coup de mixeur plongeant dans une mayonnaise qui aurait été faite à la fourchette : à l'endroit où l'on a mixé, la sauce devient ferme et blanche. 

Cet effet peut s'obtenir ici, pour notre sauce chaude pour poisson : une fois la sauce terminée, si elle est un peu trop liquide, alors on la passe au chinois afin d'éliminer les morceaux d'échalotes, et dans l'émulsion récupérée, on donne un coup de mixeur plongeant qui va affermir la sauce. 

Évidemment, il y aura lieu de goûter la sauce terminée et surtout celle-là, parce qu'une émulsion à petites gouttelettes n'a pas le même goût que la même que la même sauce à grosses gouttelettes, ayant les mêmes ingrédients : pour expliquer la chose, je renvoie à ma discussion sur les sauces au vin montées au beurre, vannées ou fouettées (https://www.pourlascience.fr/sd/chimie/vannee-ou-fouettee-3166.php), mais en tout cas, une fois la sauce terminée, on la goûtera et on assaisonnera en se souvenant des conseils du merveilleux chef alsacien Emile Jung : une partie de violence, trois parties de force et neuf parties de douceur. Ici, la douceur est donnée par le beurre, la force est donnée par l'acidité, et il reste à régler la violence, qui peut-être celle du poivre, ou du piment de Cayenne, ou du piment d'Espelette, par exemple.

Consultation à propos de sauce

 Je suis consulté par un cuisinier professionnel à propos d'une sauce, et je m'aperçois que la solution est très simple à condition de bien comprendre ce qu'est une émulsion. 

Quand il y a de la matière grasse et de l'eau réunies, sans effort particulier, la matière grasse liquide vient flotter au-dessus de la phase aqueuse. 

Mais si l'on bat un peu d'eau avec beaucoup de matière grasse liquide, alors on disperse l'eau dans la matière grasse liquide. 

Tandis que si l'on bat un peu de matière grasse liquide avec beaucoup d'eau, alors on disperse le matière grasse liquide dans l'eau. 

Évidemment, en cuisine, on n'utilise pas de l'eau mais une solution aqueuse, c'est-à-dire un liquide qui contient de l'eau :  du bouillon, du vin, une viande hachée, un légume réduit en purée...

Et l'huile peut être toute matière grasse liquide : de l'huile habituelle, mais aussi du beurre fondu, du chocolat fondu, etc. 

 

Bref, notre cuisinier voulais obtenir une émulsion et, mieux, une émulsion chaude. Dans les deux émissions que je décrit plus haut, l'émulsion eau dans huile n'est pas très stable alors que l'émulsion huile dans eau l'est plus : c'est le cas des hollandaises, des béarnaises,  des mayonnaise ou des rémoulade en version froide. 

Dans tous les cas, pour les obtenir, il faut partir de l'eau et ajouter ensuite l'huile par petites quantité en fouettant pour bien  disperser l'huile. 

De sorte que si l'on part d'herbes broyées, de jaune d'œuf, de viande ou de poisson broyés, etc.,  alors on peut ensuite ajouter du beurre qui fera huile en chauffant et qui sera dispersé par le fouet.
Car pour disperser des gouttelettes d'huile dans l'eau, il faut de l'énergie. Le fouet doit diviser l'huile ajoutée en gouttelettes de plus en plus petites qui vont s'entasser dans la phase aqueuse. 

Une émotion chaude ? Cela ne pose aucun problème mais on n'oubliera pas que des protéines peuvent coaguler : c'est d'ailleurs ce qui se passe quand on produit une crème anglaise, une béarnaise ou une hollandaise : la phase initiale de la préparation, qui consiste à chauffer le jaune d'œuf avec un liquide qui est souvent du vin, conduit à l'épaississement du système parce que les protéines forment des petits agrégats coagulés. C'est ensuite que l'on ajoute le beurre en fouettant, afin de disperser des gouttelettes de beurre fondu dans l'eau. 

Le goût de l'ensemble ? C'est au premier chef le goût des ingrédients utilisés. Si l'on y a mis deux fois de volaille broyé, alors on aura un goût de foie de volaille ; si l'on a mis des herbes,   alors  on aura le goût des herbes ; si on a mis du jus de citron, alors on aura un goût citronné ; et l'on aura un goût vinaigré si on a mis du vinaigre, etc. 

Il y a une petite différence pourtant selon que l'on bat très fort ou pas : les émulsions avec des grosses gouttelettes de matière grasse dispersées font sentir plutôt le goût de la phase aqueuse tandis que les émulsions avec de très petites gouttelettes font sentir surtout le goût de la matière grasse. La façon de travailler la sauce doit donc en quelque sorte déterminer le choix des ingrédients.
 


lundi 25 novembre 2024

Les recettes de ce genre

Je trouve une recette de mousse au chocolat que je vous livre : 

 

Ingrédients pour quatre à six personnes :
    200 g de chocolat noir
    Trois œufs
    50 g de beurre
    110 g de crème fraîche
    25 g de sucre glace

    Faire fondre le chocolat et le beurre au micro-ondes.
    Séparer les blancs des jaunes.
    Monter les blancs en neige ferme, mais pas trop.
    Mélanger les jaunes d’œufs avec la crème et le sucre glace.
    Ajouter le beurre et le chocolat fondus. Mélanger.
    Ajouter les blancs en neige petit à petit en mélangeant très délicatement.
    Réserver au réfrigérateur pendant quatre heures au minimum.


 

Cela me paraît bien indigent, et pour de nombreuses raisons.
Fondre le chocolat et le beurre au micro-ondes ? Et pourquoi pas dans une casserole ? Et comment s'y prendre ?
Les blancs "en neige ferme mais pas trop" : combien ? Et pourquoi cette fermeté-là  ?
Mélanger les jaunes avec la crème et le sucre glace ? Mieux vaut battre les jaunes et le sucre jusqu'à ce que l'appareil soit lisse et blanchi. D'ailleurs, le sucre glace est bien inutile, et du sucre en poudre ordinaire va très bien.
Ajouter le beurre et le chocolat fondu : oui, mais il aurait fallu ajouter qu'il faut le faire quand ils sont tièdes (on peut mettre la main sur le bord du récipient), mais pas chaud, sans quoi les jaunes cuisent et la température est granuleuse.
Mélanger "très délicatement" : on fait comment ? Et, surtout, on doit arriver à quel résultat ?
Et pourquoi quatre heures minimum au réfrigérateur ? 

Si on me le demande, je ferai une recette rénovée ;-)

vendredi 20 septembre 2024

Comment ne pas s'ennuyer quand on enseigne la même chose pendant des années, voire des décennies.

Hier, avec des étudiants d'un Master International en sciences et technologie de l'aliment, j'ai refait ce que je faisais naguère, à savoir faire un cours expérimental. Par cours expérimental, j'entends que nous avons fait des expériences qui ont servi de support du cours, avec des explications théoriques autour, et le succès a été grand : nos amis étaient plein de gratitude à la fin du cours. 

Il est vrai que cette méthode a de nombreux atouts et, notamment, elle fixe les idées en même temps qu'elle invite à faire de la pratique ; elle  soutient efficacement un discours théorique, lequel est mieux perçu, mieux compris, mieux appréhendé.
Par exemple, quand on évoque le gluten,  on le prépare à partir de farine et d'eau. Quand on parle de l'effet sucre, alors on enchaîne une expérience qui montre cet effet au lieu de le dire simplement. Et ainsi de suite. 

Bref nous avons passé l'après-midi à expérimenter. De petites expériences, en concept théorique, en petites expériences, en concept théorique, et ainsi de suite,  l'après-midi a passé si vite que nous sommes restés debout sans même prendre une pause ! 

Je vois donc qu'il y a une vertu particulière dans cette méthode pédagogique et je m'interroge maintenant sur le fait que cette extraction du gluten, cet effet sucre, ces autres expériences que nous avons faites, je les connais parfaitement. 
Mais moi qui m'ennuie de la répétition, j'aurais pu être lassé d'avoir à reproduire avec mes amis ces manipulations. En réalité, je m'aperçois que j'ai fait quelque chose de très nouveau pour moi, puisque il s'agit que je ne m'ennuie pas non plus, à savoir que tout le travail scientifique que j'avais fait depuis le dernier cours a permis de présenter les expérimentations et les théories qui les accompagnaient de façon complètement renouvelée.
Par exemple un étudiant a parlé d' "hydratation de la farine", et il se trouve que je m'étais préoccupé ces jours derniers de savoir ce que  cela signifiait exactement : oui bien sûr hydrater de la farine c'est lui ajouter de l'eau,  mais cela est idiot et la question est plutôt de savoir comme comment cette eau s'introduit dans la farine : simplement par capillarité ? Ou en se liant aux protéines ? Où on s'introduisant dans les granules d'amidon qui constituent la farine ? 

En réalité, ces questions sont celles que les étudiants avaient  également, et le fait que j'ai fait une belle recherche bibliographique à ce propos m'a permis de mieux répondre que je ne l'aurais fait dans le temps. 

Et ainsi de suite, tout était à l'avenant : le cours a été en réalité la présentation de tout ce que j'avais découvert récemment. Je ne me suis pas ennuyé donc une seule seconde, et je vois maintenant pourquoi l'enseignement peut-être passionnant : il peut l'être à condition de faire briller les yeux de nos amis en même temps que nous voyons le résultat de nos efforts personnels et que nous nous posons des questions renouvelées. 

 

Quel bonheur que d'enseigner dans ses circonstances !

mardi 9 juillet 2024

Les six conseils de Michael Faraday

 
Vérifier ce que l'on nous dit. 

Ne pas généraliser activement. 

Avoir des collaborations. 

Entretenir des correspondances. 

Avoir tout sur soi un soin calepin pour noter les idées.

Ne pas participer à des controverses. 

 

Voilà les six conseils que le physicien anglais Michael Faraday avait trouvé dans un traité d'amélioration de l'esprit du clergyman Isaac Watson. Ces six conseils furent essentiels, pour lui, dont le père était mort quand il était encore jeune. 

On n'a pas assez dit l'importance des groupes de réflexion, et je ne suis pas sûr que tous les élèves, dans les écoles, connaissent l'existence de ces groupes. Voilà pourquoi, parmi mille autre raison, l'histoire de Michael Faraday est importante. Le mercredi soir, ce jeune apprenti relieur qu'était Faraday rejoignait un groupe de personnes du même âge que lui, dans la City, à Londres, et ils discutaient de divers sujets, un peu comme cela se fait dans les loges maçonniques. Chacun devait travailler un thème et l' exposer aux autres, qui en discutaient la qualité, l'intérêt et la pertinence... 

Personnellement, j'ai eu la chance de voir mes parents faire de même, le soir, après le travail, après le dîner, partir en ville retrouver des collègues devenus des amis pour discuter de leur métier, mais non plus dans la pratique de ce dernier ; plutôt dans son analyse. C'est ce qui fait toute la différence entre la technique et la technologie, entre le technicien et le technologue. À l'époque de Faraday, la science était en vogue, parce qu'elle était encore accessible à n'importe qui dans sa pratique. C'était la grande mode de l'étude de l'électricité, pour laquelle il suffit d'une boussole, pour détecter un champ magnétique, d'une pomme de terre et de deux fils métalliques pour faire une pile... Et c'est ainsi que Faraday, ayant entre les mains le livre The improvement of the mind, en tira des règles de vie qu'il s'appliqua toute la vie. 

L'histoire de Faraday montre comment l'application de ces règles fut à l'origine de son immense succès. 

 

1. Ne pas généraliser hâtivement : c'est bien là une règle essentielle en sciences, où, certes, il faut voir la généralité à partir de cas particulier, ce qui se nomme induction, mais où il faut prendre garde à ne pas prendre ses désirs pour des réalités. La nature a ses voies, qui ne sont pas celles de nos désirs. La science explore les phénomènes, et elle ne confond pas ces derniers avec nos idées sur le monde. Cela fait toute la différence entre la science et la pensée magique, exposée dans d'autres billets. Oui, il faut généraliser, mais non, il ne faut pas généraliser hâtivement. En sciences, il faut des répétitions, des expériences, des répétitions des mesures, des répétitions des observations, l'accumulation d'un très grand nombre de données pour finalement arriver à quelques conclusions, qui permettront de bâtir des théories. 

2. Avoir toujours sur soi un calepin pour noter les idées : cette fois, il y a un conseil absolument essentiel. Dans cette proposition, l'objectif semble de noter les idées. Mais pourquoi noter les idées ? Pour plusieurs raisons. Tout d'abord, les idées sont fugaces, et il arrive bien souvent qu'une idée qui n'est pas notée disparaisse. C'est vraiment dommage si cette idée est bonne, si l'on s'est échiné à la trouver. D'autre part, nous devons avoir l'esprit libre pour penser, et une difficulté que j'analyse chez certains étudiants, c'est que leur vie est pleine de complexités (familiales, sentimentales, financières...), ce qui les gêne pour manier les idées qui sont au centre de leur travail. Quand les parents divorcent, quand on n'a pas assez d'argent pour payer le loyer, quand on a des problèmes de coeur…, comment avoir l'esprit libre pour penser ? Il se trouve que le simple fait de noter les choses permet à la fois de s'en vider la tête et de les avoir ensuite sous les yeux à volonté. Aristote, le grand Aristote, disait que l'écriture était la mort de la pensée, et je ne suis pas d'accord avec cette proposition, car sa généralité est excessive. Bien sûr, écrire et penser sont deux choses différentes, mais précisément poser par écrit est une bonne façon de conserver les idées pour plus tard. Il y a la question de la production de la pensée, et celle de sa conservation. De surcroît, écrire les idées impose de les formuler, et, là, on doit penser au mathématicien Henri Poincaré, qui a clairement expliqué que sa difficulté n'était pas de produire des nouveautés mathématiques, mais de trouver les mots pour décrire ces nouveautés qui étaient spontanément nées en lui. On retrouve avec une telle déclaration le grand débat agité par Condillac et Lavoisier sur les rapports entre la science le langage, avec cette idée selon laquelle on ne peut pas améliorer les sciences sans perfectionner le langage et vice versa. On le voit, les grands anciens se sont préoccupés de cette question des mots, car il est bien vrai que nos théories scientifiques s'expriment en équations c'est-à-dire in fine en mots, puisque ce fut l'apport de penseurs comme Descartes et Leibnitz que de forger un langage plus facilement manipulable que les mots du langage naturel ; mais un langage quand même. Ce fut d'ailleurs la grande question de la création de la chimie moderne avec Lavoisier que de savoir les relations entre les dénominations et les objets de la chimie, question qui fut reprise avec brio par le chimiste français Auguste Laurent quelques décennies plus tard. 

3. Ne pas participer à des controverses : dans la mesure ou la science n'est que proposition de théories et évocation de mécanismes, on comprend qu'il puisse y avoir des théories concurrentes, des mécanismes différents pour décrire le même phénomène. Et l'on comprend que certains individus qui sont dans l'acte de création puissent parfois avoir une fierté (on aurait pu dire ego) qui déborde un peu. Après tout certains ont besoin de s'affirmer avant de pouvoir affirmer, prétendre, proposer des idées. Le monde scientifique, fait de créateurs comme le monde artistique, est composé de beaucoup d'individus à l'ego puissant. Il faut faire avec, mais il est vrai que la rencontre de deux théories concurrentes risque de tourner à la controverse. Pourtant, les belles personnes qui se préoccupent avant tout d'étendre le royaume du connu, plutôt que de s'affirmer personnellement, n'ont pas de raison de participer aux controverses. Si le but est véritablement de trouver les mécanismes des phénomènes, alors il vaut bien mieux considérer avec intérêt des théories concurrentes avant de trancher abruptement et de se faire des ennemis. Nous avons beaucoup trop besoin d'amis, et surtout d'amis merveilleux (pléonasme ?) pour en perdre quelques uns en route. Nous avons besoin de discuter avec nos amis, d'analyser les propositions, d'en peser les intérêts et les failles, en vue de trouver finalement celles qui s'imposeront, parce qu'elles conduiront à des meilleures descriptions du monde. On doit se rappeler avant tout que voilà l’objectif : ne pas s'affirmer, mais plutôt identifier les mécanismes des phénomènes, mieux comprendre le monde. De là l'idée de Faraday : ne pas participer à des controverses, mêmes si l'on participe à des discussions scientifiques. Mieux encore, nous devrions être capables de préférer être réfuté à voir nos théories s'imposer si elles sont par trop insuffisantes. Pour ce qui est de Faraday, il avait résolu la question en travaillant seul ou avec un technicien qui l'aidait. Mais il n'allait guère dans les cercles scientifiques après avoir été nommé directeur de la Royal Institution. Certes il assistait à toutes les conférences du vendredi qu'il avait initiées, mais il invitait les collègues à les faire. Là, il ne discutait pas de théories opposées, mais il voyait des expériences et les choses de façon plus détachée. Et puis il y avait les faits… car les expériences montraient les faits. C'était sa façon, parfaitement respectable, et qui allait avec cette phrase. 

4. Avoir des collaborations. Là Faraday a retenu cette idée, mais il l'a peu mise en pratique. En réalité, il a peu collaboré. Sa timidité, sa gentillesse, ou peut-être sa sagesse l'ont éloigné des collaborations, et il travaillait dans le calme, se parlant à lui même, notant ses idées dans ses carnets, pouvant passer des jours dans son laboratoire, tout entier consacré à sa recherche, sans un mot. Pour autant, on peut aussi également imaginer l'inverse : des travaux d'équipe. Cela est aujourd'hui très à la mode : le mot "collaboratif" est partout, peut-être trop. Dans bien des travaux de science moderne, nous avons besoin de collaborations, ou nous pensons en avoir besoin. Nous en avons besoin, par exemple, pour la détection du boson de Higgs ou des ondes gravitationnelles. Mais il y a toute une place où ces collaborations ne sont pas nécessaires. Bien sûr, les scientifiques confirmés ont un devoir de transmission (ce qui n'est pas une « collaboration »), à savoir que, ayant bénéficié d'une formation par de plus anciens, nous avons le devoir de former de plus jeunes, ou, disons le mieux, d'aider de plus jeunes à se former, car pourquoi penserons nous que notre modèle est bon ? Surtout, dans cette discussion, je propose de ne pas perdre de vue l'idée qu'il existe divers sports : individuels comme la gymnastique, ou collectifs comme le rugby. Il y a des individus qui se sentent mieux à jouer au rugby, et d'autres à faire de la gymnastique. Les divers sports nécessitent différentes capacités, et il n'y a pas de raison pour laquelle nous devrions tous faire du rugby, ou tous faire de la gymnastique. Après tout, des Faraday, Einstein, Planck, ont été très individualistes, et je ne vois pas en quoi on pourrait leur reprocher, vu les résultats admirables qu'ils ont obtenus. Donc, avoir des collaborations, pourquoi pas, mais cela n'est pas une obligation,et, j'y reviens, Faraday donnait ce conseil sans se l'appliquer à lui-même. 

5. Vérifier ce que l'on nous dit : là, Faraday donne encore une règle générale de vie, mais je ne peux m'empêcher de la prendre dans le cadre scientifique, ce qu'il fit également. Pour la gastronomie moléculaire, il a été essentiel, au début, de savoir résister aux arguments d'autorité, et ne pas accepter des idées qui n'étaient pas testées. Le monde de la cuisine est plein d'idées fausses qui se sont propagées avec les siècles. Il a été très important, en de nombreuses circonstances, d'apprendre à tester les idées avant d'en chercher des interprétations. Parfois, nous avons été heureusement surpris de voir que des idées qui semblaient fausses étaient en réalité justes, mais nous avons aussi vu de nombreux cas où des idées qui semblaient justes, ou simplement plausibles, était très fausses. Tout cela, c'est le groupe des "précisions culinaires", ces ajouts techniques à ce que j'ai nommé des définitions. Il y a des précisions culinaires de toutes sortes, et, avec les années, j'ai bien appris à ne jamais chercher d'interprétations à des phénomènes qui n'avaient pas été avérés préalablement grâce à des expérimentations, car que je me mords encore les doigts de cette expérience que j'avais faite en 1992 et qui consistait à emporter une bouteille de diazote gazeux jusqu'en haut d'une montagne où nous avions un colloque, afin de voir pourquoi les blancs d’œufs montés en neige et redescendus ne remontaient pas. J'avais cru, à cette idée qui m'avait été donnée par des chefs triplement étoilés, et j’avais fait l'expérience de battre des blancs neiges sous diazote, de les laisser redescendre, et de les battre à nouveau ensuite. Il étaient remonté, de sorte que j'avais hâtivement conclu que c'était l'oxygène qui étais responsable du fait que des blancs de battus en neige et redescendus ne remontent pas. Pourtant, de retour au laboratoire, au calme, j'ai simplement battus des blancs, je les ai laissé redescendre, et ils ont parfaitement remonté, de sorte que tous les ennuis associés au transport d'une grosse bouteille de diazote en haut d'une montagne auraient été évités si le phénomène avait été d'abord testé simplement. Avec les années, j'ai vu se multiplier les réfutations des idées écrites par des chefs étoilés, et aujourd'hui je sais combien la phrase de Michael Faraday est juste. 

6. Entretenir des correspondances : on retrouve ici la discussion sur l'emploi des mots, et le petit calepin que l'on a sur soi pour noter les idées. Les correspondances sont un autre moyen d'exprimer clairement les choses, et cela peut être une aide que de s'adresser à autrui, au lieu de se parler à soi même en prenant pour acquis des choses qui ne sont pas assurées. Mais ce n'est pas le seul intérêt des correspondances. Les échanges scientifiques sont aussi une façon de partager le bonheur de la recherche scientifique, de se convaincre quotidiennement que la recherche scientifique est quelque chose de merveilleux, d'avoir des amis à qui l'on peut parler de ce bonheur, ce qui l'augmente encore, et d'avoir parfois un regard critique sur nos propres travaux. Dans mon cas, j'ai toujours considéré comme important d'avoir quelqu'un qui me donne des coups de pieds aux fesses. Pendant longtemps, ce fut Nicholas Kurti, puis quand il est mort, Georges Bram, chimiste de l'Université d'Orsay, avait accepté de jouer ce rôle. C'est un rôle amical, évidement, puisqu'il faut l'attention d'un ami qui observe nos travaux avec bienveillance, qui y passe du temps. Bien sûr, avec les années, j'ai appris à me donner à moi-même des coups de pied aux fesses. Reste que la correspondance, c'est aussi un moyen de dire les choses de formuler des concepts, d'expliciter les notions, de décrire les méthodes.

lundi 8 juillet 2024

A propos de vulgarisation

 Ce matin, on m'interroge sur la vulgarisation, ce que je préfère nommer "diffusion des connaissances scientifiques, technologiques et techniques". Les questions sont essentielles, et j'y réponds donc publiquement... en commençant par expliquer pourquoi la terminologie "vulgarisation scientifique" ne me convient pas. Le TLIF définit la vulgarisation comme le "fait de diffuser dans le grand public des connaissances, des idées, des produits". 

Ce qui me gène, c'est ce "grand public", que l'on identifie mal. Je vois surtout que des amis professeurs de droit connaissent aussi mal les sciences de la nature que je connais le droit, par exemple. Font-ils partie du "grand public" ? Et moi, fais-je partie du "grand public" ? Certains utilisent le terme de "médiation", mais c'est une fonction spécifique, que de servir d'intermédiaire (sous-entendu entre les scientifiques et les non scientifiques). Et puis, dans "médiation scientifique" (comme d'ailleurs dans "vulgarisation scientifique", il y a cette faute, ou ambiguïté pour être plus indulgent, du partitif) : la médiation n'est pas "scientifique" : c'est une médiation entre le monde scientifique et le public. 

Avec "diffusion de connaissances scientifique, technologiques et techniques", on a une terminologie bien meilleure de nombreux points de vue. D'une part, il est juste de dire que l'on diffuse des connaissances ; il est juste de reconnaître des différences entre les sciences de la nature, la technologie, la technique. 

 

Pourquoi vulgarisez-vous ?

Pourquoi me suis-je astreint à cette diffusion qui prend du temps à ma recherche scientifique ? C'est mon action politique ! Depuis 1980, date à laquelle j'avais commencé à collaborer à la revue Pour la Science, j'ai cette idée que le monde a besoin de plus de rationalité, d'un idéal plus élevé que le panem et circenses méprisant qui fait la devise de media hélas trop nombreux, populistes, démagogues, honteux en un mot. 

Je veux que la bonne monnaie chasse la mauvaise, parce que je sais que chacun d'entre nous risque toujours d'être happé par son animalité : le sexe, la "bouffe", les drogues (alcools, tabac, gras, sucre, sel...), la socialité mal digérée... Être humain, cela s'apprend, cela se travaille, cela s'élabore, par un effort de tous les instants... Enfin, "effort".... Il faut surtout que des "amis" nous aident à découvrir les beautés du monde : j'aime le guide de musée qui nous fait voir la petite mouche peinte en bas à gauche d'un tableau (je ne prends pas l'exemple par hasard, mais ce serait trop long d'expliquer) ; j'aime le musicien qui me montre l'endroit où la partition reprend la tonalité initiale, qui m'explique ce qu'est le contrepoint, sur des exemples simples... ; j'aime l'écrivain dont les mots me font chavirer le coeur ; j'aime le botaniste qui me montre, au bord du chemin, des fleurs sur lesquelles j'aurais marché par mégarde... Le monde n'est pas ennuyeux par uniformité, mais par désinvolture et ignorance. 

Pour les sciences de la nature, il en va de même, et c'est un des objectifs de mes billets de blogs, de mes articles, de mes livres, de mes vidéos, de mes podcasts audio que de chercher à montrer combien la vie est belle, combien le monde est beau. On m'a offert comme cadeau, le jour de ma remise de Légion d'honneur, cette phrase "L'enthousiasme est une maladie qui se gagne"... que j'ai commentée ici : http://hervethis.blogspot.fr/2016/08/lenthousiasme-est-une-maladie-qui-se.html. 

Oui, à moi de montrer que le trouble de l'eau de chaux par le souffle est quelque chose de merveilleux. C'est ce à quoi je m'astreins... sans prétention, avec un enthousiasme d'enfant, pas supérieur. D'ailleurs, je ne cesse de me lamenter de ce que je ne sais rien : je suis imparfait, mais je me soigne... en découvrant moi-même combien le monde est merveilleux. Ce fut la teneur de mon livre "La sagesse du chimiste". 

Surtout je crois que le siècle des Lumières n'a pas encore vraiment commencé, si je puis dire. Il faut de la rationalité, il faut de la tolérance, il faut abattre les idoles, les pouvoirs indus, il faut promouvoir de l'idéal et de la paix ! La diffusion des connaissances scientifiques, technologiques, techniques, en plus de contribuer au bien être de nos sociétés, vise à plus d'harmonie dans ce monde. Pardon d'être naïf, mais c'est un parti pris... qui va d'ailleurs avec l'une de mes devises : "Le summum de l'intelligence, c'est la bonté et la droiture". 

 

Que pensez-vous de la vulgarisation faite par des non-scientifiques ?

 Qui peut distribuer des connaissances scientifiques ? Ceux ou celles qui le peuvent ! Tous... à condition de travailler. Chacun peut faire l'effort, mais il ne suffit pas de claquer des doigts, et, surtout, il vaut mieux avoir fait le travail de savoir de quoi l'on parle, afin d'éviter de dire des choses fausses.

 Cela fut le début d'une amitié avec le chimiste belge Jacques Reisse : lors d'un colloque organisé par Georges Bram et Alain Fuchs, j'avais été chargé d'une présentation sur cette question, et je soutenais que les scientifiques peuvent faire de l'excellente diffusion des connaissances... à condition de ne pas se raidir dans une rigueur excessive qui fait tomber à plat leur discours (pour expliquer quelque chose à quelqu'un, il faut quand même s'assurer qu'il nous comprend, non ?), et que des non scientifiques peuvent effectivement faire de la diffusion des connaissances scientifiques... à condition de comprendre ce dont ils parlent. C'est d'ailleurs l'idée de la revue <em>Pour la Science</em>, à laquelle j'ai contribué pendant 20 ans : il y a moins de "journalistes scientifiques" que d'éditeurs, à savoir que je préfère la position de celui ou celle qui aide les scientifiques à produire des discours clairs, traquant les difficultés, les obscurités... 

Une sorte de maïeutique, comme je l'explique ici : <a href="http://www.agroparistech.fr/Une-presentation-scientifique-De-quoi-s-agit-il.html">http://www.agroparistech.fr/Une-presentation-scientifique-De-quoi-s-agit-il.html</a>. 

Pour en revenir à la question posée, je crois que tout est possible à deux conditions : - il faut la volonté de bien faire - il faut du travail (ne rien lâcher, jamais, et se souvenir de choses simples, à savoir que les mots ont un sens!) 

 

Quel est selon vous le critère principal d’une bonne vulgarisation ? 

Qu'est-ce qu'une bonne diffusion de connaissances ? Celle qui donne du bonheur ! Il faut ce moment où l'esprit s'illumine. Et, notamment, ce sentiment de devenir capable. J'aime moins apprendre que la fusée a décollé, que de comprendre comment elle a décollé, comment des efforts importants ont fait décoller la fusée. 

Cela, c'est pour de la technologie, mais pour de la science, je veux comprendre l'idée de fond de la théorie de la renormalisation, je veux voir les électrons s'échanger lors d'une réaction chimique, je veux comprendre la dualité onde-particule, je veux comprendre la structure de la matière... # Plus généralement, je veux devenir demain plus intelligent qu'aujourd'hui, et cela passe, me semble-t-il, moins par des données que par des notions, concepts, méthodes. C'est d'ailleurs la structuration de beaucoup de mes cours : je propose aux auditeurs de distinguer, dans mon discours, les informations (on le trouve sur internet, et l'on n'a pas besoin de moi), les notions et concepts (l'énergie, la température, l'électron, l'entropie...), les méthodes (essentielles ! ), les anecdotes, et les valeurs (j'y reviens : la diffusion des connaissances est politique, essentiellement politique). 

Mais, surtout, je crois hélas que nous avons manqué notre but, pour l'instant, et l'un de mes billets de blog explique quelle devrait, je crois, être l'ambition de la diffusion des connaissances scientifiques et techniques, à savoir expliquer les calculs qui font que la science n'est pas réductible à un discours un peu poétique. 

Surtout, je rappelle que les sciences de la nature progressent par la méthode suivante : - observation d'un phénomène (il faut l'identifier, le circonscrire...) - caractérisation quantitative du phénomène : d'innombrables mesures - réunion des caractérisations quantitatives en "lois", c'est-à-dire en équations - recherche des mécanismes par "induction" : les théories sont guidées quantitativement par les lois - recherche de prévisions expérimentales déduites des théories proposées - tests expérimentaux des prévisions - et ainsi de suite. 

Dans cette description (je renvoie vers mon livre "Cours de gastronomie moléculaire N°1 : Science, technologie, technique (culinaires): quelles relations?"), on voit que le calcul est partout, que les équations sont partout, et que la science, sauf à n'être qu'une descriptive collection de papillons, n'est que du calcul. D'où mon idée que la "vulgarisation" fait rarement le vrai travail qu'elle devrait faire, à savoir donner l'idée de ces équations, de ces calculs. A ne donner que des mots pour décrire des résultats, on fait du dogme inutile. 

D'où la difficulté de la bonne diffusion des connaissances scientifiques, technologiques ou techniques, dont l'ambition, je le répète, est de contribuer au développement de "l'intelligence".

dimanche 7 juillet 2024

Tout fait d'expérience, tout résultat de calcul, gagne à être considéré comme un cas particulier de cas généraux que nous devons inventer


Tu sais quelque chose ? Quelle est ta méthode ? Fais-le, et, en plus, fais-en la théorisation. Le titre de ce billet est affiché sur les murs de notre laboratoire. Pourquoi ? 

Pour répondre, il convient d'abord d'évoquer les documents que nous nommons les « Comment faire ?», et qui sont une façon d’améliorer la qualité de nos recherches. Il convient également d'évoquer la méthode que nous mettons en œuvre pour notre travail scientifique. Tout est fondé sur l'observation selon laquelle un travail doit avoir un objectif, lequel détermine une stratégie, une méthode, un chemin. 

Une métaphore s'impose. Etant à Paris, si nous ne savons pas que nous voulons aller à Colmar, nous n'arriverons jamais à Colmar, mais nous risquons d'arriver à Rennes, ou à Bordeaux. Il faut donc que l'objectif soit parfaitement clair pour que nous ayons une chance de l'atteindre. L'objectif étant clair, c'est-à-dire Colmar étant décidé comme notre destination, alors nous pouvons chercher un type de chemin, c'est-à-dire la voie ferrée, la voie des airs, la route… Cela, c'est la stratégie, la "méthode", du mot grec methodon, qui signifie le chemin. 

Une fois le chemin déterminé, alors il devient possible de déterminer les différentes étapes dudit chemin, et cela est la tactique, l’analyse détaillée des étapes qui nous conduiront à l'objectif. 

En sciences de la nature il en va de même, à savoir qu'il faut que notre objectif soit clair pour que le chemin puisse être défini. Bien sûr, l'objectif général des sciences de la nature est de faire des découvertes, mais il y a aussi les différentes étapes de cette recherche, qui sont l'identification des phénomènes, leur caractérisation quantitative, la réunion des caractérisations quantitatives en lois synthétiques (des équations), la recherche de mécanismes par induction, à partir de ces lois, la recherche de prévisions théoriques qui découlent des théories proposées, le test expérimental de ces conséquences, et ainsi de suite. Pour toutes ces opérations, il y a des sous-objectifs, des sous-tâches. Pour chacune, modeste ou pas, il y a lieu de bien identifier l'objectif correspondant et, donc, de déterminer la méthode, le chemin qui y conduit. 

Par exemple, peser : cela semble élémentaire, mais nous verrons que, au contraire, il y a lieu d'y passer du temps. Peser semble simple, puisqu'il s'agit « seulement » de déterminer la masse d'un objet avec une balance. Toutefois une balance est nécessairement imparfaite ; elle vibre, elle est « bruitée », de sorte que la valeur cherchée est en réalité inaccessible. Si l'on se représente les valeurs que l'on peut obtenir par la balance, de précision limitée, on a des graduations sur une règle. De sorte que l'on ne pourra jamais trouver la valeur vraie de la masse pesée, car la probabilité que cette valeur corresponde exactement à une graduation est mathématiquement nulle. 

Autrement dit on cherche une valeur sans avoir la moindre chance de l'atteindre, de sorte qu'il faut mieux savoir d'emblée que l'on cherche moins la masse exacte qu'une valeur approchée. Du coup, la méthode peut changer, et le chemin aussi. Dans un tel cas, pour l’utilisation d'une balance, il y a de nombreuses choses à savoir. Par exemple, qu'il faut mettre la balance bien d'aplomb grâce au niveau à bulles dont elle est équipée. Il faut aussi contrôler la balance à l'aide d'un étalon que l'on conserve au laboratoire, la tarer correctement, etc. 

Nos documents intitulés « Comment faire » sont précisément des descriptions de tout ce que nous devons faire pour avoir une chance d'obtenir un résultat admissible. Ces documents concernent la totalité des actions que nous faisons, et c'est une des règles de notre groupe de recherche que de proposer à chacun de ne jamais se mettre en chemin sans avoir réfléchi à la stratégie et à la tactique. 

C'est cela que j'entendais par « théorisation », et il est remarquable d'observer que chaque acte intellectuel ou manuel mérite un « Comment faire », une réflexion théorique. Par exemple, quand nous présentons un poster : comment bien faire ? Par exemple quand nous préparons une solution : comment bien faire ? Par exemple quand nous encadrons un stagiaire, comment bien faire ? Pour chaque tâche, un document intitulé « Comment faire ? » s'impose. Mieux encore, ces documents méritent d'être le résultat d'un travail collectif, progressif, à savoir que la proposition d'un membre de l'équipe peut être améliorée par d'autres, ce qui conduit à une proposition améliorée, qui sera encore améliorée par d'autres, et ainsi de suite à l'infini : car tout ce qui est humain est imparfait, de sorte que si nous ne sommes pas paresseux, nous avons une sorte d’obligation morale d'améliorer.

mercredi 12 juin 2024

Un début d'explication à propos de la coagulation du blanc d'oeuf

Pourquoi le blanc d'un œuf qui cuit devient-il opaque ? Pourquoi, initialement liquide, devient-il un solide mou ?


L'œuf qui cuit se transforme  ? Le blanc,  qui est initialement jaune tirant vers le vert, visqueux avec différentes zones de viscosités différentes, devient solide, opaque et blanc (en lumière blanche) ; le jaune, qui est initialement orange, également liquide et visqueux, prends une couleur jaune plus claire et solidifie également, devenant un peu sableux... en tout cas quand on cuit l'oeuf dans l'eau, comme un oeuf dur.
Pour un tel traitement thermique (et pour les autres traitements que nous ne considérerons pas ici), il y a de quoi s'émerveiller, notamment quand on sait  que le blanc est fait de 90 % d'eau et le jaune de 50 % d'eau (pour le jaune, 35 % étant majoritairement des lipides, également liquides, donc).

Pourquoi donc les transformations de l'œuf, lors d'un traitement thermique ? Pourquoi la coagulation ? Avec les "oeufs à 6X°C", que j'ai proposés dans les années 1990, on voit que l'oeuf dur est loin d'être le cas général, mais je renvoie  vers mon livre Mon histoire de cuisine pour cela.
Ici, je me veux me limiter à considérer la coagulation la plus simple du blanc d'oeuf, qui de liquide devient un solide mou, et de transparent et jaune devient blanc... quand il est éclairé en lumière blanche.

Le blanc d'oeuf, c'est 90 % d'eau et 10 % de protéines : on en connaît aujourd'hui plus de 300, dont les principales sont les ovalbumines. Supposons donc un "modèle simplifié" de blanc d'oeuf, avec 10 % d'une protéine particulière, globulaire, dans 90 % d'eau. Pour les besoins de la comparaison, nous supposons que la séquence de la protéine comporte plus de deux résidus de cystéine, avec, par conséquent, plus de deux groupes thiols -SH, qui partent latéralement de la chaîne protéique (les autres groupes latéraux sont également intéressants, mais restons-en là).
Si l'on chauffe une telle solution, les molécules d'eau gagnent en vitesse moyenne, tandis que les protéines sont plus ou moins "dénaturées", ce qui correspond à un changement de leur forme et, donc, de leur surface, avec des possibilités différentes d'interagir avec des molécules voisines par des forces de van der Waals, des liaisons hydrogène, des ponts disulfure, des interactions électrostatiques... Je n'évoque pas de liaisons covalentes, parce que l'expérience que j'ai présentée ailleurs et que j'ai publiée pour la première fois en 1987, à propos de "décuisson" des œufs, avait établi que les ponts disulfure sont les liaisons les plus fortes qui lient les protéines, par les résidus de cystéine, donc. Il faut imaginer que les protéines dénaturées, dans des conditions oxydantes, forment des ponts de sulfures, ce qui engendre un réseau continu et l'emprisonnement des molécules d'eau dans le réseau continu formé, ce qui correspond donc à la formation d'un gel.

Mais on observera qu'une telle description est un peu simpliste, car un gel dont le réseau serait fait de "fils moléculaires" que sont les protéines serait transparent, et non opaque. C'est bien ce que l'on observe pour des blancs d'œufs cuits à 62, 63, 64 ou 65 degrés : ils sont encore légèrement laiteux et translucides,  alors des œufs cuits à plus de 65 ou 66 degrés deviennent opaques,  l'opacité augmentant avec la température de cuisson.
Pour interpréter ce phénomène, il faut se souvenir de l'idée suivante : un poteau planté verticalement ne perturbe que très peu la houle,  alors qu'une vaguelette rebondirait contre le poteau. Toute la différence tient dans la comparaison du diamètre du poteau et  de la longueur d'onde de l'onde qui interagit avec lui. Pour la lumière, les tailles à considérer sont les longueurs d'onde de la lumière, et l'épaisseur des éléments de maille du réseau coagulé.  Avec une protéine unique faisant la maille, le diamètre des éléments de réseau serait de quelques liaisons covalentes (disons 5 nanomètres), à comparer avec plusieurs de centaines de nanomètres pour la lumière visible : un gel dont l'élément de réseau serait un unique "fil protéique" serait donc transparent.
Ainsi, si le blanc d'oeuf devient opaque, c'est les protéines forment un réseau plus épais. Une piste : calculer quel volume de gel on peut obtenir si les protéines s'étendent complètement pour former un réseau cubique, par exemple (pour un ordre de grandeur), en supposant l'eau suffisante pour emplir tout le gel : on voit que c'est bien plus que les quelque 40 centimètres cubes d'un blanc d'oeuf coagulé !  
Avec cette analyse, nous sommes rapidement passés sur la solidification du blanc d'oeuf (la "coagulation"), en signalant que les protéines s'enchaînaient en un réseau continu. S'il y a un réseau continu, il n'y a plus d'écoulement, et c'est donc un solide que l'on obtient. Mais évidemment un solide mou,  puisqu'il est faite 90 % d'eau.  Un tel solide peut se déformer car la maille se déforme aussi tandis que les molécules d'eau peuvent bouger.


mardi 9 avril 2024

A quoi sert l'Académie d'agriculture de France ?

 
A quoi l'Académie d'agriculture de France sert-elle ? A mille choses, mais, notamment, à diffuser de l'information scientifique, technologique ou technique à celles et ceux qui en ont besoin ! 


Il y a plusieurs années, les clubs ECRIN permettaient notamment de diffuser de l'information scientifique et technique à de petites sociétés qui n'avaient pas les moyens de se payer des laboratoires de recherche ou mise au point de méthodes. Notamment, avec un groupe d'amis, nous animions un tel groupe pour ce qui concerne les composés aromatisants. 

Progressivement, nous avions appris à organiser des journées de conférences, où  des scientifiques et des industriels de grosses sociétés venaient faire état de travaux avancés et les expliquer à leurs collègues de ces petites sociétés  qui sont réparties sur le territoire national et qui produisent, embauchent, animent. 

Nous avions le sentiment d'être véritablement utiles, et je viens de comprendre que l'Académie d'agriculture, qui n'a plus la mission confiée à l'INRAE, de développement économique, ni celle qui est confié au CGAAER pour conseiller le ministre, joue ce même  rôle de diffusion de la connaissance scientifique, technologique et technique par ses travaux, et, notamment, par ses séances publiques du mercredi après midi : https://www.academie-agriculture.fr/actualites/academie/seances/seances-hebdomadaires-aaf?direct=

De surcroît, les Notes académiques de l'Académie d'agriculture de France ( https://www.academie-agriculture.fr/publications/notes-academiques ) ont tout leur sens : il s'agit un journal scientifique, technologique et technique, au  modèle diamant (gratuit pour les auteurs comme pour les lecteurs). Il s'agit toujours du même projet et l'on comprend que ce journal trouve toute sa place, notamment pour publier les textes des interventions des séances publiques du mercredi, et plus encore. 

lundi 5 février 2024

On peut faire du beurre à partir de la crème mais peut-on faire l'inverse ?

Un internaute m'interroge : 

On peut faire du beurre à partir de la crème, mais peut-on faire l'inverse, à savoir de la crème à partir du beurre ? 

Pour répondre à la question je crois que le mieux, c'est de partir du lait. 

Le lait est une émulsion,  à savoir que c'est de l'eau dans laquelle sont dispersées des gouttelettes de matière grasse. 

Cette matière grasse et celle dont on fera le beurre, et l'on sait qu'elle est entièrement solidifiée à des températures inférieures à moins de -10 °C et entièrement liquide à des températures supérieures à +50 °C.
Aux températures intermédiaires, il y a une partie de liquide et une partie de solide pour chacune des gouttelettes. 

Quand on laisse reposer le lait, les gouttelettes de matière grasse, de densité inférieure à celle de l'eau, montent progressivement vers la surface du lait, et cette couche enrichie en gouttelettes de matière grasse, mais qui est toujours une émulsion, est ce que l'on nomme la crème.
Dessous, il y a le lait écrémé, ce qui signifie qu'il contient encore un peu de matière grasse mais moins. 

 

Si l'on bat la crème en la refroidissant, ce qui constitue le "barattage", alors les gouttelettes de matière grasse finissent par se souder et faire une espèce d'échafaudage de matière grasse solide et liquide, qui emprisonne un peu d'eau, tandis que le reste de l'eau est exclu sous la forme de petit lait. Le produit obtenu par le barattage produit le beurre. 

Et le beurre et donc une sorte de gel, avec une structure solide qui comprend un peu de liquide. 

Et l'on comprend aussi que si l'on refroidit du beurre en dessous de -10 °C, l'eau qui subsiste congèle, tandis que la matière grasse liquide se solidifie entièrement, de sorte que le beurre est alors un solide complet.
Inversement, si on chauffe le beurre à plus de 50 °C environ, alors on obtient du beurre fondu c'est-à-dire un liquide à deux phases, une phase aqueuse dessous et une phase de beurre fond (on dit "huile") dessus. 

 

Abordons maintenant la question de savoir si l'on peut refaire de la crème à partir du beurre. 

Comment s'y prendrait-on ? Si l'on bat du beurre en ajoutant de l'eau, on réussit effectivement à introduire l'eau dans le beurre,  et ce dernier devient de plus en plus mou, parce qu'il comprend de plus en plus d'eau. 

Ajoutons sans tarder que cette pratique est évidemment autorisée à des fins culinaires, surtout quand l'eau a du goût comme quand c'est du café, du thé, du jus de fruits, et cetera,  mais que, pour les produits commercialisés, le beurre ne doit jamais contenir plus de 16 % d'eau selon la réglementation française.
Et cette limite est utile sans quoi des fabricants malhonnêtes vendraient du beurre plein d'eau, au prix du beurre et non au prix de l'eau. 


Mais revenons à notre  expérience qui consistait à ajouter de l'eau. On peut en mettre beaucoup, jusque 200 ou 300 % environ, mais à partir d'un moment, la matière se divise en espèces de gros grumeaux mous, et cela n'est pas de la crème ! Car la crème, c'est cette matière qui s'obtient par crémage du lait (voir la réglementation, et notamment, dans le Glossaire des métiers du goût  https://icmpg.hub.inrae.fr/travaux-en-francais/glossaire/lettre-b


Il y a une autre possibilité, qui consiste à fondre entièrement le beurre, doucement, à le "clarifier" comme il est dit en cuisine, et à décanter la matière grasse d'un côté et le petit lait de l'autre.
Si maintenant on ajoute la matière grasse en fouettant dans le petit lait, auquel on a ajouté de l'eau pour retrouver des proportions de la crème, ou du lait, alors on parvient, en s'y prenant comme quand on fait une mayonnaise, à émulsionner la matière grasse qui avait été décantée dans l'eau.
On obtient alors une sorte de reproduction de lait. Bien sûr, ce n'est pas du lait, car la structure n'est pas exactement la même, la taille et la répartition des gouttelettes de matière grasse diffèrent, par exemple... et la réglementation interdit de nommer cela du lait. 

Mais on obtient une émulsion avec les mêmes types d'ingrédients. Et si on laisse crêmer cette émulsion, alors on récupérera en surface une émulsion plus concentrée qui s'apparente à la crème... mais qui n'est pas la crème puisque cette dernière est définie  réglementairement.

 

Il y a d'autres solutions plus compliquées mais voici les principales idées que j'ai pour répondre à la question de notre ami.

mercredi 31 janvier 2024

Apprendre les sciences pour découvrir la gastronomie moléculaire et physique : réponse détaillée

Ce matin, une passionnante question, qui m'était arrivée déjà par le passé, et à laquelle j'avais jusque là mal  répondu... Mais nous avons maintenant en ligne des outils nouveaux  pour mieux répondre :

 

Bonjour Monsieur This,

Fervent lecteur de votre blog et vos articles, je me permets de vous écrire car j'aimerais acquérir les connaissances de base en physique et en chimie pour ensuite pouvoir étudier la gastronomie moléculaire de manière plus rigoureuse et exercer un regard critique sur ce que l'on peut lire dans les livres au sujet de la cuisine, du vin, du café, etc., comme vous le faites si bien.

Ainsi, quels conseils donneriez-vous pour orienter cet apprentissage en auto-didacte ? Faut-il s'astreindre à étudier les programmes scolaires ou existe-t-il d'autres manuels abordant ces matières sous un autre angle ? Est-il judicieux de se concentrer sur certaines branches spécifiques de ces disciplines pour mieux comprendre la gastronomie moléculaire ? Bien sûr, il ne s'agit pas de demander une méthode magique qui ne nécessiterait pas de travail, mais quelques conseils pour s'aiguiller dans ces matières qui peuvent effrayer les néophytes.

En espérant que je me sois exprimé clairement, je vous adresse mes sincères salutations.

 

Et voici ma réponse (provisoire : je cherche mieux) 


Bonjour et merci de votre message.
Sachant que mon blog est lu, il va maintenant falloir que je réfléchisse bien avant de poser des mots ;-)

Votre question est à la fois intéressante et difficile.

Si nous sommes bien d'accord que, quand vous dites "étudier la gastronomie moléculaire", vous pensez à la science nommée "gastronomie moléculaire (et physique"), sans la confondre avec la "cuisine moléculaire", alors il y a une question qui s'approche de celle que l'on pourrait poser pour les cours de physique ou de chimie au Collège ou au Lycée : on découvre les résultats des sciences, plutôt que les sciences, et c'est pour cette raison que l'introduction de l'histoire des sciences, il y a quelques années, a été si essentielle, à savoir que, à reproduire des études anciennes, et plus simples que celles d'aujourd'hui, l'on pouvait mettre les élèves dans une activité de recherche scientifique, de science en un mot.
Car la physique, la chimie, sont des sciences, donc des activités de production de la connaissance, et non des connaissances elles-mêmes.
Pour la gastronomie moléculaire, il en va de même, d'où la question : pensez-vous à apprendre la gastronomie moléculaire en tant que recherche scientifique, ou voulez-vous découvrir ses résultats ?


Pour la seconde option, je dois vous signaler que, précisément pour répondre à cette question, nous avons publié un énorme Handbook of Molecular Gastronomy (894 pages, 150 chapitres) qui visait non pas seulement des scientifiques, mais aussi des cuisiniers. 



Et, d'autre part, mes "cours de gastronomie moléculaire et physique" du Master international Food Innovation and Product Design sont en ligne  (ils mériteraient que je peaufine les documents, mais comme cela correspond à énorme travail un peu facultatif, je fais cela tranquillement... en privilégiant mes livres). Vous les trouverez ici, dans la pièce jointe et ici : https://seafile.agroparistech.fr/d/4e77fcbcaacc47788d28/
Mais il y a aussi tout mes livres ! 


Cela étant, la gastronomie moléculaire et physique étant une discipline scientifique, elle tient sur deux pieds :
- l'expérience
- le calcul

Pour le second, j'ai produit le livre ci dessous, afin d'enseigner à bien faire.
Pour l'expérience, il y a plein de choses, mais tout commence, dans la méthode scientifique, par l'établissement d'un phénomène, et c'est cela que nous faisons en public dans les séminaires de gastronomie moléculaire, dont les comptes rendus sont ici :

Cela dit, en revenant à vos questions, vous évoquez des "connaissances de base", et là, effectivement, les programmes scolaires de physique et chimie semblent s'imposer: il suffirait de prendre les manuels des classes successives, et de les lire méthodiquement les uns à la suite des autres, en n'oubliant pas les compétences mathématiques, notamment.

D'autres documents pour arriver à la même chose ? Je ne sais vraiment pas, mais, surtout, il y a lieu de penser  en :
- connaissances
- compétences.
Votre souci d'étudier la gastronomie moléculaire de manière plus rigoureuse est louable, mais c'est la "lecture critique" qui pose un problème difficile. En effet, dans nos cours de master, on voit souvent des étudiants proposer une "hypothèse"... dont on ne peut établir l'inanité ou la véracité que par le calcul.
Prenons l'exemple du gonflement des soufflés. Si l'on nous dit que les soufflés gonfleraient parce que les bulles d'air se dilatent à la chaleur, il y a une "théorie", qui, en l'occurrence, se réduit à une hypothèse, une proposition plausibles. Mais il faut utiliser l' "équation des gaz parfaits" pour calculer que, pour cette théorie, le gonflement serait limité à 30 %... ce qui est bien insuffisant pour expliquer le phénomène. Et, de fait, les soufflés gonflent bien plus parce que le vrai phénomène essentiel est l'évaporation de l'eau, ce que l'on calcule facilement par ailleurs.
Bref, en science, être critique, c'est être quantitatif.

Et il y a là tout un débat à propos de la vulgarisation vs science : dans un billet de mes blogs, j'ai expliqué que, produisant la revue Pour la Science, je m'étais fourvoyé pendant 20 ans en m'interdisant d'y faire figurer des équations, ou des formules pour la chimie. Aujourd'hui, je crois qu'il n'y a pas lieu d'être "démagogique", et qu'il vaut mieux aider nos amis à décoder équations ou formules. Sur des points particuliers, mais sans concession à cette rigueur que vous évoquez très justement.

Et je crois qu'il sera utile que je mette cet échange (anonymement) sur un blog : cela me donnera la possibilité de le relire, et peut-être d'améliorer encore ma réponse.
Mais, en tout cas, je suis à votre disposition pour des réponses complémentaires.

bien à cordialement

PS. En vous proposant d'ajouter votre email sur la liste de distribution des invitations aux séminaires de gastronomie moléculaire, ainsi que d'envoi des comptes rendus. A noter que les séminaires peuvent se suivre en visio. Si vous le souhaitez, donc, il suffit de faire la demande à icmg@agroparistech.fr (c'est gratuit)

 

samedi 28 octobre 2023

Du sucre avec de la farine


C'était une expérience que je faisais en public, lors de mes conférences, il y a une vingtaine d'années : si l'on verse une cuillerée de farine dans de l'eau bouillante, alors se forment des grumeaux. Si l'on s'y prend bien, on peut obtenir, par exemple, un gros grumeau de un ou deux centimètres de diamètre. Si on le sort à l'aide d'une cuiller, on peut le poser sur le plan de travail et le couper par le milieu : on voit alors un cœur de farine sèche, entourée d'une « coque » gélifiée, de farine « empesée ».

 

Répétons l'expérience, en mêlant une bonne proportion (environ un tiers) de sucre en poudre à la farine, avant de laisser tomber d'un coup le contenu d'une cuiller dans de l'eau bouillante : cette fois, aucun grumeau n'apparaît. Pourquoi ? 

 

Je faisais cette expérience pour expliquer ce qu'est la théorie de la percolation, dont le physicien français Pierre-Gilles de Gennes (1932-2007, prix Nobel de physique en 1991) fut un des pionniers. Pour comprendre la chose, commençons par examiner le percolateur du bistrot d'à côté : on tasse de la poudre de café dans le porte filtre, puis on envoie de l'eau sous pression. L'eau chemine entre les grains, dans le porte filtre... puis, soudain, une première goutte tombe dans la tasse : c'est le « seuil de percolation ». 

Modélisons cela avec un grillage que l'on relie en série à une pile et à une ampoule. Le courant passe, et la lampe est allumée. Puis imaginons un petit diable qui coupe des brins du grillage au hasard. Le courant continue de passer... Puis viendra un moment où l'ampoule s'éteindra, parce qu'il n'y aura plus de chemin conducteur continu, entre le haut et le bas du grillage. Ce sera le seuil de percolation. 

La même idée s'applique à la description des épidémies. Supposons un marin qui arrive en Bretagne avec une maladie, et supposons que la probabilité de contagion soit élevée : la maladie se propagera d'un bout à l'autre de la France. En revanche, avec une probabilité de contagion inférieure, on pourra éviter l'épidémie. Là encore, il y a un « seuil de percolation » (sous entendu : de la maladie dans le pays). 

 

On le voit, cette description est très générale, et Pierre-Gilles fut un de ceux qui calculèrent les caractéristiques de réseaux variés. Revenons à notre farine et à notre sucre : la gélification de la farine, la formation d'un gel, peut se décrire par la théorie de la percolation. Pour faire un grumeau, il faut que les grains voisins se lient. En revanche, si l'on a ajouté suffisamment de sucre, alors les grains voisins seront séparés par le sucre, et ils s'empèseront de façon isolée, ce qui fera une suspension de micro-grumeaux, comme un « velouté ». Et c'est ainsi que la chimie physique est une science merveilleuse !

dimanche 17 septembre 2023

Les bouillons : la viande dans l'eau froide ou dans l'eau chaude ?

 
Les livres de cuisine indiquent, depuis des siècles, que les bouillons de viande doivent toujours démarrer à l'eau froide, et jamais à l'eau chaude, sans quoi la viande, qui coagulerait en surface, ne laisserait par sortir autant le jus que si elle est plongé dans l'eau froide. 

Que penser cette prescription ? 

 

La première expérience à faire consiste à placer deux moitiés d'une même viande (pour simplifier, on fait des morceaux de même masse), l'une dans l'eau froide, et dans l'autre dans l'eau bouillante, puis on pèse à intervalles irréguliers. Analysons : s'il était vrai que la viande placée dans l'eau chaude laissait moins sortir les jus que dans l'eau froide, cela signifierait que la viande de chaude devrait avoir une masse supérieure à la viande dans l'eau froide. De fait, les mesures montrent des différences entre les viandes froides et dans l'eau chaude... mais les différences sont exactement l'inverse de celles qu'on attendait ! Dans l'eau chaude, la masse de la viande à l'eau froide est inférieure à la masse de la viande à l'eau chaude ; puis, après environ une heure et demie, les deux morceaux de viande ont la même masse au gramme près ! 

Ce qui compte, c'est la température atteinte au cœur de la viande, et non pas la façon dont on atteint cette température. Certes, nous n'avons pas considéré le goût, mais seulement la masse, et l'on pourrait imaginer que les bouillons soient différents. Toutefois, dans nos essais, nous n'avons pas vu différence de goût entre les deux bouillons, ce qui est ... troublant. 

Troublant : c'est le mot important, car il est vrai que la viande dans l'eau bouillante produit un bouillon bien plus trouble que dans l'eau froide. Or le monde culinaire veut des bouillons clairs. C'est peut-être là l'origine la précision culinaire.

vendredi 15 septembre 2023

Questions de farines dans des sablés

 

Est-il vrai que, dans un sablé, plus la proportion de  farine est importante, plus la pâte sera "dense ?
Et est-ce "mieux" d'utiliser une farine pauvre en gluten ?

Dans un sablé, il y a de la farine, de l'œuf, du beurre et du sucre. Il y a mille façons de faire une pâte à sablés, mais si l'on disperse la farine dans le beurre, alors on comprend qu'on puisse faire une forte proportion de beurre ou bien une forte proportion de farine.

Et s'il y a plus de farine, c'est qu'il y aura moins de beurre : la friabilité des sablés sera différente.

Mais quand on m'interroge sur la densité, alors je ne sais pas très bien ce que cela veut dire. En réalité, la densité c'est la masse par unité de volume et oui la farine est plus dense que le beurre puisque la matière grasse flotte dans l'eau  ; et la farine  est plus dense que l'eau, puisqu'elle tombe au fond de l'eau.

Mais je me doute bien que la question qui m'est posée sur la densité des biscuits avec beaucoup de farine n'a rien à voir avec cela et je ne sais pas répondre à la question parce que je pense qu'elle n'est pas bien posée.

Maintenant, il y a aussi la question du taux de gluten dans la farine et là c'est une autre question que celle de la densité, notion que j'ai toujours du mal à interpréter.

C'est plutôt une question de friabilité et, évidemment, plus il y a de gluten, plus la pâte "risque" d'être dure. Je dis "risque" parce que selon le procédé, on peut avoir une pâte dure ou non qu'il y ait beaucoup de gluten ou pas.

Bref, je revendique des questions très bien posées, très précise, pour être capable de répondre.

jeudi 14 septembre 2023

Ne pas confondre bicarbonate et poudres levantes

 Des pâtes plus moelleuses

Un correspondant m'interroge :

"la baking powder apporte plus de legerete avec une mache plus moelleuse dans une pate a biscuit depourvus d’acide" [sic]

Quand mes amis utilisent des mots anglais, j'ai toujours peur des confusions et lorsqu'un de mes correspondants me parle de baking powder alors qu'il m'a parlé précédemment de baking soda, je crains qu'il ne fasse une confusion entre les deux.

Le baking soda, je l'ai expliqué dans un autre billet, c'est du bicarbonate. et le bicarbonate se décompose effectivement dans l'eau chauffée, en libérant du dioxyde de carbone : faites donc l'expérience de mettre un peu de bicarbonate dans de l'eau que vous chauffez au four à micro-ondes, et vous verrez une forte effervescence.

En revanche,  le baking powder est ce que nous appelons en français des poudres levantes, et j'invite mon correspondant à utiliser des mots français pour bien faire la distinction : poudre levante dans un cas, bicarbonate dans l'autre.
Et les poudres levantes sont bien plus efficaces pour faire gonfler les pâtisseries.

Tout cela étant dit, les poudres levantes donnent-elles de la légèreté aux préparation pâtissières ? Evidemment oui : il suffit de comparer la même pâte à biscuit ou à gâteau avec ou sans poudre levante pour s'en apercevoir.

J'ajoute enfin que, pour les poudres levantes, tout est dans la poudre, les acides et les bases qui vont réagir, sans qu'il soit nécessaire que la pâte elle-même contienne des acides.

mercredi 13 septembre 2023

Pas de cautérisation pour les viandes sautées

 
De nombreux livres de cuisine indiquent que l'on doit saisir les viandes sautées afin de cautériser la chair, d'empêcher le jus de sortir. Que penser de cette prescription ? 

 

Faisons l'expérience de poser un steak dans une poêle très chaude, et observons : nous entendons du bruit, nous voyons des bulles à la base du steak, et nous voyons aussi une fumée s'élever.
Si nous mettons un verre froid dans la fumée, nous le voyons se couvrir de buée, ce qui montre que de l'eau s'évapore de la viande... ce qui est bien naturel, puisque l'on chauffe de la viande, laquelle est faite de 60 pour cent de protéines et de 40 pour cent d'eau. 

Disposant de cette première observation, nous pouvons maintenant comparer deux poêles où cuisent deux moitiés d'un même steak, l'une chauffée doucement et l'autre chauffée très fort.
Dans les deux cas, il y a de la fumée. Autrement dit, que l'on chauffe doucement ou énergiquement, de l'eau s'évapore ; autrement dit, si par hasard il y avait cautérisation, cette dernière ne préviendrait pas efficacement la sortie du jus ! D'ailleurs, prenons un steak sauté vivement et posons-le dans une assiette : rapidement, la viande surmonte une flaque de jus, preuve que la cautérisation ne prévient pas la sortie du jus. 

Pourquoi cette prescription, alors ? Parce que si l'on cuit lentement une viande, un thermocouple que l'on placera sous la viande, au contact de la poêle, montrera une température constante de 100° : c'est l'indication que le débit de sortie du jus de viande est supérieur à la vitesse l'évaporation du jus.
En revanche, si nous sautons très vivement la viande, nous pouvons observer que la température sous le steak argumente considérablement, atteignant 180, 200, 250°, signe qu'il n'y a plus d'eau liquide et que, contrairement au cas précédent, on n'est pas en train de faire bouillir la viande.
De ce fait, les réactions chimiques responsables de la formation de composés sapides, odorants, colorés ont lieu, et la surface de la viande prend un goût bien particulier. Comment rendre cela quantitatif ? Bien sur, il y a eu la mesure de la température sous la viande, mais pourrions-nous faire un modèle ? Nous pourrions vouloir calculer l'épaisseur de la croûte. A cette fin, il faudrait déterminer la puissance transmise à la viande, ce qui pourrait se faire en remplaçant la viande par une petite coupelle pleine d'eau. En mesurant la température de l'eau, on pourrait suivre l'échauffement, et déterminer la puissance de chauffage. Puis, de ce fait, on pourrait calculer l'épaisseur de la croûte formée. 

Et c'est alors le début d'une longue histoire, celle d'une exploration scientifique de la cuisson des viandes.

mardi 12 septembre 2023

Les gonflements en cuisine

Naguère les livres de cuisine indiquaient que c'était l'oeuf qui faisait « souffler ». Il aurait fait souffler les soufflés, les choux, les petits choux, les cannelés, les quiches, etc. 

 

Toutefois le physico-chimiste a de quoi s'étonner : pourquoi donc les œufs auraient-ils eu cette vertu soufflante ? 

 

Le blanc d'oeuf, c'est 90 pour cent d'eau et 10 pour cent de protéines. Si le blanc fait souffler, c'est soit en vertu de son eau, soit en vertu de ses protéines, soit en vertu d'une combinaison des deux. Pourtant l'expérience est simple : l'ajout de protéines à une préparation culinaire, ne produit pas de gonflement ; en revanche, avec de l'eau, la préparation gonfle... si elle est chauffée par le bas. En effet, l'eau qui s'évapore fait bien plus de volume de vapeur que le liquide initial (environ un gramme d'eau fait un litre de vapeur). 

Et c'est ainsi que l'on ne voit pas les soufflés gonfler si on les chauffe par le grill du four, par le dessus, alors qu'ils se développent considérablement si on pose le ramequin sur la « sole » du four, en bas. La vapeur formée au fond du ramequin pousse le soufflé vers le haut, et l'on voit le soufflé gonfler. Il y avait donc bien lieu de rénover l'enseignement culinaire, en balayant toutes les scories de son développement, dans les décennies précédentes. 

Ce fut la réforme du CAP, réforme qu'il faut poursuivre aujourd’hui, tant il est vrai que les idées fausses ne meurent jamais, mais que ceux qui les soutiennent finissent pas disparaître (partir en retraite, mourir, se désintéresser de le question). 

Progressivement, en nous fondant sur des expérience répétables, que les professeurs produiront devant leur élèves, on arrivera à des théories plus justes de la technique culinaire. 

 

La conclusion est qu'il semble bien essentiel de poursuivre les expériences, et d'encourager les enseignants à en faire avec leurs élèves, dans les établissements d'enseignements de la cuisine.

dimanche 10 septembre 2023

La cuisson du poisson

Mon goût quasi immodéré pour le poisson aurait dû depuis longtemps me faire aborder ce sujet. Pourtant, je ne sais pas vraiment pourquoi, je tourne toujours autour de la question des œufs, des légumes et des viandes, comme prototype d'explication de la cuisson. 

Du point de vue de la pédagogie, de l'explication, il est bon de situer l'étendue des variations entre le blanc d'oeuf et la viande. Le blanc d'oeuf, c'est le système le plus simple, puisqu'il est composé de 90 pour cent d'eau, de 10 pour cent de protéines, avec une structure réduite au minimum.
A l'opposé, la viande la plus dure est faite de fibres, à l'intérieur desquelles se trouve une matière analogue au blanc d'oeuf (pour l'explication, tout du moins), fibres dont l'enveloppe est un tissu collagénique, et qui sont réunies en faisceaux par du tissu collagénique.
Autrement dit, dans la viande, il y a deux composantes : du blanc d'oeuf et du tissu collagénique. 

Le poisson est intermédiaire, car c'est du tissu musculaire, comme la viande, mais la quantité de tissu collagénique est faible. Autrement dit, il y a une structure qui s'apparente à du blanc d'oeuf fibreux, ou, plus exactement, du blanc d'oeuf intégré dans des fibres. Lors de la cuisson du poisson, il y a donc la coagulation de l'intérieur des fibres, et la séparation de ces dernières, séparation facile puisque le tissu collagénique est en faible quantité.
En conséquence, la cuisson durcira le poisson, plutôt qu'elle ne l'attendrira dans le cas des viandes dures. Le durcissement sera dû à la coagulation de l'intérieur des fbires, et l'on comprend qu'on n'aura guère intérêt à beaucoup prolonger la cuisson... à cela près que les voies artistiques sont impénétrables. 

 

Contrairement aux viandes, la chair du poisson n'est pas bien rouge, mais il demeure vrai que la chair peut perdre sa transparence par le même type de mécanismes que dans la viande. La cuisson basse température pour le poisson ? Si l'on entend par « cuisson basse température » une cuisson à basse température de longue durée, généralement appliquée aux viandes en vue de dissoudre le collagène, ce procédé n'a guère d'intérêt. En revanche, si l'on entend la maîtrise de la température de cuisson appliquée à l'ensemble de la pièce en vue de commander une consistance particulière, alors les mêmes remarques que pour l'oeuf s'appliquent, et c'est ainsi que l'on envisagera des cuissons à 6X degrés, abréviation qui signifie 61, 62, 63, 64, etc. 

J'ai donc eu tort de négliger la cuisson du poisson, car, comme pour les œufs, une grande variété de résultats est accessible. Comme quoi il n'est pas bon de confondre communication et contenu. j''ai souvent utilisé l'oeuf comme support de communication, afin d'expliquer les transformations moléculaires qui survenaient lors du chauffage d'un mélange d'eau et de protéines, mais le contenu, c' est autre chose : il s'agit d'obtenir des résultats particuliers. 

Mea culpa, cet exemple me montre que je dois maintenant examiner plus en détail de nombreux sujets que j'ai négligés par le passé, et y mettre un peu d'intelligence, afin de partager avec mes amis des contenus qui en valent la peine.

mercredi 6 septembre 2023

Une "mousse tomate dattes" ?

 On m'interroge à propos d'une "mousse tomate datte". Comment produire un tel plat ?

En réalité, il y a d'innombrables façons d'y arriver, la première étant, par exemple, de cuire des tomates avec des dattes, de broyer le tout, d'ajouter des protéines (par exemple de la poudre de blancs d'œufs) et de fouetter : on obtient une mousse.

Une autre technique consisterait à commencer par broyer les tomates avec les dates, éventuellement en cuisant, de filtrer pour récupérer un liquide, d'ajouter des protéines d'œufs ou bien un œuf entier, de mettre le liquide dans un siphon et de produire la mousse... car par parenthèse je rappelle que les siphons produisent des mousses et non pas des émulsions.

Il y a aussi la possibilité de faire une mousse, de blanc d'oeuf, de meringue italienne, de crème fouettée, par exemple, et d'ajouter ensuite les tomates et les dates.
Bien sûr, dans cet ordre de choses, on peut aussi bien faire un sabayon par exemple  : bref il y a vraiment de très nombreuses façons de faire.

Car dans l'intitulé du plat, il y a seulement trois contraintes : avoir des tomates, qui en réalité sont constitués essentiellement d'eau, des dattes, qui sont un peu analogues, et des bulles de gaz, à savoir soit de l'air, soit du protoxyde d'azote (pour la majorité des cartouches de siphon)... soit du  dioxyde de carbone (une autre cartouche d'un type particulier) auquel cas on peut avoir un petit pétillant agréable.

Dans tous les cas, il y a lieu d'utiliser des molécules qui vont stabiliser les bulles : les protéines de l'œuf par exemple, mais pourquoi pas des protéines extraites de la viande, ou de végétaux, ou du lait ? Et puis il y a aussi d'autres agents foisonnants de la famille des additifs.

Bref il y a d'innombrables façons d'obtenir une "mousse tomate datte".