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samedi 22 novembre 2025

Comment à continuer à se former quand on est déjà engagé dans la vie professionnelle ?

 
Comment à continuer à se former quand on est déjà engagé dans la vie professionnelle ?

La question ne se pose pas seulement à ceux qui arrêtent leurs études au brevet, car il n'y a pas de réelle différence par rapport à ceux qui arrêtent au baccalauréat, ou à la licence, ou au master, où à la thèse, par exemple.

La question est la même pour tous, et pour tous les métiers. D'ailleurs, dans mon énumération précédente, je me suis arrêté à la thèse, mais il faut évidemment poursuivre avec l'activité professionnelle : bien sûr, on peut exercer un métier et vouloir l'exercer toujours de la même façon, mais je ne parviens pas à penser que, dans nombre de cas, cela soit assez amusant pour qu'on y passe une vie.

Certes on peut vouloir s'améliorer progressivement, tel le tailleur de pierre qui devient progressivement mieux capable de doser le coup de maillet, tel le peintre qui maîtrise de mieux en mieux la peinture... Mais même ces métiers où l'habileté nécessite un entraînement constant ne peuvent échapper à un mouvement de transformation.

Par exemple, le peintre ne broie plus ses couleurs, et les produits qu'il achète évoluent... sans compter des évolutions indispensables : le blanc de céruse, épouvantablement toxique, a été heureusement remplacé, interdit, et un peintre qui voudrait l'utiliser ne le pourrait plus et ne le devrais pas.

Un tailleur de pierre ? Dans la mesure où il travaille en communauté, il est comme un laborantin qui expose les autres à ses propres actions, de sorte qu'il a une responsabilité : ne pas dégager des poussières comme jadis, à ne pas mettre en danger ses collègues par des pratiques ancestrales...

Bref, il y a donc la nécessité de connaître les transformations du monde, et c'est cela a minima, la formation continue. Je sais, d'autre part, qu'il existe des personnes qui font leur travail, et cela seulement ; oui, des personnes qui travaillent, qui s'arrêtent à la fin de la journée et reprennent leur travail à l'identique le lendemain... mais que font-ils de cette citation de Brillat-Savarin "L'âme, cause toujours active de perfectibilité" ?

Je ne parviens pas à penser que je puisse admirer les individus routiniers, et je préfère consacrer ce billet à la question méthodologique de la formation continuée : comment faire cette formation ?

Et là , je m'émerveille qu'au 21e siècle, le partage de l'information ne permette plus à des "castes" de préserver leur secret. Cette question des secrets techniques n'est pas ancienne, puisque Joseph Favre, auteur du Dictionnaire universel de cuisine, au 19e siècle, reçut des menaces de ses collègues parce qu'il donnait aux "ménagères" la possibilité d'évaluer le travail de leur cuisinier et d'éviter la valse de l'ance du panier.

Il donnait de la connaissance, alors qu'une caste voulait protéger ses secrets. Et ce que je dit d'hier demeure aujourd'hui, en cuisine notamment, comme je peux en témoigner.

Mais bref, il y a maintenant des possibilités merveilleuses de trouver de l'information... mais il y a la nécessité de savoir ce que vaut cette information à disposition de tous.

Nombre de podcasts culinaires avancent des idées techniques fausses : cela va de la pincée de sel dans les blancs d'oeufs que l'on monte en neige à la réalisation de mayonnaise, et, toutes ces "précisions culinaires" que nous testons depuis des décennies.

De même pour le jardinage, où n'importe qui pourra se rendre compte de la cacophonie : par exemple, à propos de bouturage de rosiers, on s'amusera de voir que certains proposent de l'hormone de bouturage, d'autres préconisent de ne pas en mettre, certains proposent d'enterrer à un oeil, d'autres à deux yeux, certains proposent de planter la tête en bas, d'autres pas, et ainsi de suite quasiment à l'infini.

Comme en cuisine, chacun a sa recette... et personne ne donne de justification à l'exception d'une expérience très idiosyncratique, très limitée, sans référence, avec seulement des arguments d'autorité qui ne valent donc rien.

En réalité il y a lieu de prendre les choses de plus loin et de poser deux questions. Tout d'abord qu'apprendre ? Ensuite où trouver la bonne information ?

La nature de ce qu'on va apprendre est bien difficile à définir, comme je l'avais indiqué dans un billet précédent, sur les lois de la réfraction, mais on pourra quand même observer qu'il n'est peut-être pas nécessaire de refaire un travail de sélection qui a été fait par les inspecteurs de l'éducation nationale et les commissions des programmes : si l'on a arrêté ses études au brevet des collèges, alors on peut avoir l'envie d'apprendre ce qui a été donné à d'autres par la suite, au lycée.

Là, la réponse à la seconde question est vite trouvée : le contenu des référentiels est public, sur le site de l'Education nationale, et la présentation des notions fait l'objet des manuels, qui ont été préparé par des équipes de professeurs qui ont longuement discuté la présentation, la façon didactique de transmettre les notions.

Cette analyse vaut tout aussi bien pour ceux qui sont arrêtés au baccalauréat et qui voudraient poursuivre : ils trouveront en ligne, sur les sites universitaires, les référentiels des licences, des masters, à savoir les informations qu'ils peuvent avoir à cœur d'apprendre, chacun selon leurs envies, leurs goûts, le temps disponible... Dans ces formations continuées, les revues de vulgarisation sont importantes, parce qu'elle présente les notions les plus actuelles, mais assorties des informations nécessaires pour arriver à la compréhension des nouveautés.

Il y a là un travail très important et une grande responsabilité pour ces revues, et c'est la raison pour laquelle j'y ai travaillé pendant si longtemps, avec une volonté politique très ferme, très semblable à celle des philosophes des Lumières qui ont élaboré l'Encyclopédie.

À ce propos de la vulgarisation, il y en a deux sortes : celle qui vise à dire (en substance) "la fusée à décollé" et celle qui explique comment on a réussi à faire décoller une fusée. On comprend que je préfère de beaucoup la seconde manière, car non seulement elle donne les moyens de la preuve, mais de surcroît elle donne des informations complémentaires, qui évitent de nous entraîner à supporter des faits plats et bêtes. Le fait qu'une fusée ait décollé relève surtout de la formation politique que technologique, et ne nous pas beaucoup grandir. D'ailleurs, je ne parviens pas à penser que la vulgarisation soit utile si elle ne donne pas aussi une "compétence", en plus des connaissances. Bien sûr, toute cette réflexion doit être poursuivie !

vendredi 21 novembre 2025

La structure des articles scientifiques

 
C'est amusant de voir qu'aujourd'hui, pour les sciences de la nature, la structure conventionnelle des articles scientifiques est parfois considérée comme un carcan, alors que sa mise au point progressive a été un progrès extraordinaire, une innovation merveilleuse.

Jadis, les articles scientifiques étaient de très longues descriptions d'expériences, avec des mots, des phrases interminables, et chacun devait en quelque sorte inventer la structure de son récit.

Progressivement, on en est arrivé à une structure qui est la suivante : les articles ont un titre ; puis on indique les auteurs, assortis de leur affiliation ; suit un résumé, des mots clés, puis une introduction, une partie qui décrit les matériels et les méthodes, avant d'arriver aux résultats, ces derniers étant ensuite discutés avant que l'on conclue, que l'on imagine des perspectives, et que l'on termine par des références indispensables.

Je propose d'observer que cette structure est rationnelle.

Tout d'abord, il y a le titre, qui est "efficace" : on sait aussitôt ce que l'on pourra trouver, on sait si le sujet est celui qui nous intéresse. Ensuite les indications des auteurs sont importantes, parce qu'elles reconnaissent la paternité d'un travail, qu'elles le remettent dans un contexte d'une oeuvre, qu'elles nous signalent un collègue intéressant, dont nous irons éventuellement lire d'autres articles.

Je ne saurais dénoncer assez énergiquement les revues qui indiquent les auteurs en fin d'article, ce qui force les lecteurs à s'y reporter avant de revenir lire le texte.
Et puis, il y a un peu de mépris, en quelque sorte, à ne pas reconnaitre immédiatement les auteurs d'un travail.

Le résumé en début de document est utile, on s'en aperçoit quotidiennement, car il précise un peu le titre, de façon rapide, et permet d'éviter de se lancer dans des lectures qui nous intéresseraient pas vraiment. Les mots clés aussi, sont importants, car ils permettent les indexations, les rangements dans des bibliothèques, mais leur place est de moindre importance, car ils correspondent maintenant à des objets numériques.

L'introduction est manifestement indispensable en début de texte, parce qu'elle annonce la question, le travail, la structure du texte : ne pas donner ces informations, ce serait comme tirer derrière nous des personnes sans leur expliquer où l'on veut les conduire et pourquoi.
Bref, il y a lieu d'expliquer le contexte, de situer la question étudiée dans un ensemble de connaissances plus vaste, de montrer des relations entre les expériences effectuées et la question posée, et ainsi de suite, mais je n'insiste pas ici, parce que j'ai déjà traité cela ailleurs.

Vient ensuite la partie qui dérit les matériels et les méthodes. Là, c'est tout à fait indispensable, parce qu'un résultat sans la description fine des matériels des méthodes qui y ont conduit ne vaut rien.
Donner un résultat de mesure sans indication de l'incertitude de mesure, par exemple, c'est nul, et notamment parce que l'on ne pourra pas rapporter ce résultat à un autre, à le comparer.

Les résultats : il faut les donner, mais on aurait peut-être intérêt à le faire en deux fois : d'abord exposer rapidement, au premier ordre, les résultats, puis entrer ensuite plus dans les détails. Les discussions ne peuvent venir qu'après, et être séparées des résultats, car ce sont des interprétations, d'un autre ordre que des résultats.

Là, c'est le moment de faire véritablement œuvre scientifique, et ne pas se contenter de dire que l'on retrouve des choses qui ont déjà été observées... sans quoi le travail ne sert pas à grand chose... mais je me suis exprimé à ce propos.

Vient alors le moment de conclure, ce qui se fait mieux si l'on envisage positivement des perspectives. Et l'on termine avec les références qui doivent être nombreuses : chaque fait, chaque idée, chaque résultat qui est donné doit être parfaitement justifié, et part de bonnes références.

Je suis très opposé aux revues qui limitent le nombre des références que l'on peut donner, car si beaucoup de référence s'imposent, elle s'imposent ; et autant les questions de place, de papier à imprimer, étaient importantes naguères, autant elles sont devenues obsolètes aujourd'hui.

Bien sûr, on pourrait s'amuser à changer l'ordre de tout cela mais j'espère avoir montré qu'il y a une grande cohérence, un grand progrès. Il faut dire et redire que l'analyse des publications du passé montre combien notre structuration moderne est utile pour les lecteurs, efficace en terme de communication scientifique.

Je ne dis pas qu'on peut pas faire mieux, mais j'observe quand même que nos amis les plus originaux ont fort à faire avant de trouver mieux. Et s'ils trouvent vraiment mieux, je serai le premier a populariser leurs idées.

Car il y a des tas de questions que l'on peut se poser : à propos de la représentation des molécules, à propos de la communication des résultats d'un spectre...

Au fond, pour chacune de ces questions, il faut de l'intelligence, afin de faciliter la lecture : pour nos amis qui nous lisent, déroulons le tapis rouge.

jeudi 20 novembre 2025

Tel est pris qui croyait prendre... mais on sort par le haut



J'ai souvent dit que la science ne doit servir à rien (on va voir ce que cela signifie) et j'entends un ami, qui m'a écouté, me dire que la science ne sert à rien.

Je suis évidemment offusqué, car, étant de ceux qui sont soucieux de la façon dans l'argent public est dépensé, je ne peux évidemment pas admettre que l'on puisse croire que les sciences de la nature dépensent l'argent du contribuable en pure perte !

C'est donc une mauvaise formulation que j'utilisais, et que je me promets de corriger.

Mais il faut aussi expliquer à mes amis qui m'avaient mal interprétés pourquoi la science est utile, et ce que je voulais dire en ne lui attribuant pas d'objectif... autre que la découverte !

Enfin, nous chercherons une formulation améliorée, qui ne conduira plus à des confusions.

Commençons donc par expliquer ma déclaration.

Et précisons tout d'abord que je ne considère ici que les sciences que je connais, à savoir les sciences de la nature. Ma déclaration se fonde sur le fait que, suivant de nombreux Grands Anciens (Lavoisier, Pasteur, Einstein, etc.), je fais une différence très nette entre les sciences de la nature et les applications de ces sciences.

Ainsi la technologie, qui vise les applications techniques, se soucie non pas de chercher le mécanisme des phénomènes, mais des perfectionnement des techniques. Et les questions posées par la technologie sont inspirés de ce questionnement de la rénovation des techniques.

Pour les sciences de la nature, il en va différemment, puisque l'objectif est de faire des découvertes : de trouver ce que l'on n'imagine même pas !

J'ai expliqué ailleurs, dans des billets relatifs à la stratégie de la recherche scientifique, pourquoi il était difficile de savoir a priori où chercher et, de fait, il ne me semble pas légitime de recourir à des questions technologiques pour faire des découvertes : non seulement l'objectif n'est pas le même, mais, surtout, il n'y a aucune garantie que la recherche dans les champs identifiés par la technologie puisse être couronnée par la découverte !

Au mieux, on aura résolu le problème technologique, mais on n'aura pas fait ce qui relève de la mission des sciences de la nature.

Pour mieux me faire comprendre de mes amis, je prends parfois l'exemple du GPS, dont le fonctionnement repose sur la théorie de la relativité. Le questionnement d'Albert Einstein, quand il était en chemin vers la théorie de la relativité, n'était certainement pas de localiser le possesseur d'un téléphone portable sur le globe terrestre.
De façon bien plus fondamentale, sans imaginer la moindre application a priori, il voulait comprendre les phénomènes de l'inertie, la raison pour laquelle la vitesse de la lumière est maximale, comment les vitesses s'ajoutent...
J'insiste : Einstein ne voulais pas a priori, dans sa dans ses travaux, chercher les applications.
Pourtant, quand les technologue ont eu les moyens (l'électronique, l'informatique) et les idées d'améliorer la technique, ils l'ont fait, en se fondant sur les travaux de la relativité.

Avec cet exemple, on voit bien là les mouvements très différents des sciences de la nature et de la technologie. Les sciences de la nature n'ont aucun intérêt, aucune garantie de succès, dans la technologie, et la technologie d'ailleurs, n'a pas intérêt à passer son temps à faire de la science, sans quoi elle oublierait son objectif qui est le perfectionnement technique.

Cela étant dit, il faut aussi ajouter que les applications techniques ne sont pas les seules applications des sciences de la nature. Savoir que la Terre n'est pas plate est une de ces connaissances qui ont permis à l'humanité de ne plus croire le monde régi par des dieux envoyant la foudre, la tempête ; qui ont permis de lutter contre les superstitions, lesquelles font souvent le lit des tyrannies.

Il n'est pas "inutile", du point de vue de notre humanitude, de savoir que la Terre tourne autour du Soleil, et non l'inverse. Nos connaissances nous font véritablement humains, et les connaissances scientifiques sont en quelque sorte l'honneur de l'esprit humain (comme le disait le mathématicien Jean Dieudonné à propos des mathématiques).

Deux types d'applications, donc... au moins : les applications didactiques, les applications techniques... Mais j'en passe : la rationalité, les méthodes, etc. Et il faut maintenant que j'arrive à la question de dire les sciences. Au fond, au lieu d'être négatif, ne pourrait-on pas simplement dire, positivement, qu'elles cherchent les mécanismes des phénomènes, par une méthode que j'ai décrite ailleurs ? Qu'elles produisent des théories en constante amélioration ? Quel bonheur : du négatif inexact transformé en positif utile à la compréhension. Décidément, je reste sur ce point de vue.

mercredi 19 novembre 2025

L'intérêt de la théorie

 
"De la théorie"... L'expression est parfois dite péjorativement, alors que ce sont bien les considérations théoriques qui permettent au praticien de progresser !

A ce propos, je me souviens des revendications d'élèves d'une grande école d'ingénieurs, qui disaient qu'ils auraient préféré que leurs études soient des stages, puisque c'est là -disaient-ils- qu'ils apprenaient le plus.
Pour répondre métaphoriquement à ce propos, je propose de considérer la confection de sablés : j'espère que l'on me pardonnera d'être si prosaïque, en considérant que je sais au moins ce dont je parle.

Bref, restons au niveau pratique, et cherchons à faire des sablés.

On trouve mille recettes, et d'autant plus que n'importe qui, aujourd'hui, fait un site et y met son "savoir". En matière de cuisine, il y a donc de tout, des amateurs, des étudiants qui valorisent des travaux, des professionnels, des institutions... Et finalement, on est bien perdu... d'autant que le nombre d'erreurs est considérable. A ce propos, on reviendra vers mon analyse des pâtes à foncer pour bien voir combien la cacophonie est assourdissante, avec des manuels... qui ne méritent pas d'être préconisés pour l'enseignement tant ils sont erronés.

Si l'on reste au niveau pratique, comment séparer le bon grain de l'ivraie ? L'expérience ? On ne pourra en faire que quelques unes, alors que la diversité des paramètres est considérable : la quantité de farine, la quantité de beurre, la quantité de sucre, la quantité d'oeuf, l'ordre d'incorporation des ingrédients, leur température, leur qualité, leur emploi, leur travail, leur cuisson...

Manifestement, il y a trop de possibilités pour que les praticiens puissent s'y retrouver... sans théorie ! Or, en l'occurrence, les idées théoriques sont simples : - de l'eau ajoutée à de la farine permet de ponter les protéines et de faire un réseau visco-élastique de "gluten" - l'oeuf coagule à la chaleur - le sucre permet de capter l'eau, jusqu'à défaire le réseau de gluten - le sucre chauffé caramélise, brunit, prend du goût - le beurre chauffé brunit (pensons au beurre noisette), parce que les protéines sont dégradées - et quelques autres.

Muni de ce bagage théorique, on comprend que le travail de la farine avec l'eau, ou l'oeuf (puisque le blanc, c'est 90 pour cent d'eau, et le jaune 50 pour cent) produit ce réseau de gluten qui donne de la fermeté. Inversement, le travail de la farine avec le beurre permet d'éviter la formation de ce réseau, d'où une friabilité supérieure. On comprend que l'ajout de sucre contribue à la friabilité. Et l'on comprend que le chauffage peut donner du goût.

Bref, la théorie donne des possibilités d'actions rationnelles, qui, non seulement, permettent de faire le tri dans les prétentions des praticiens, mais, de surcroît, conduisent à des possibilités de choix. Il en va de même pour les travaux de l'ingénieur.

Certes, on pourrait se limiter à savoir utiliser un appareil d'analyse (spectroscopies UV-visible, infrarouge, de résonance magnétique nucléaire, chromatographies...), mais la capacité théorique permettra de faire meilleur usage de ces équipements.

Ou encore, oui, on peut savoir confectionner une émulsion, en suivant un protocole, mais la connaissance des composés tensioactifs particuliers, des effets de stabilisation ou de déstabilisation (coalescence, déplétion...) permet de mieux faire, de gérer les cas difficiles, de mieux doser.

Au fond, il y a souvent, dans ces questions, à distinguer le conducteur de voiture et le mécanicien. On peut conduire... jusqu'à ce que la voiture tombe en panne, et, là, le mécanicien - celui qui a les connaissances "théoriques", en quelque sorte, s'impose !   Et pour terminer : la technique produit, les sciences de la nature cherchent les mécanismes des phénomènes, la technologie fait usage de ces connaissances pour perfectionner la technique.

vendredi 14 novembre 2025

Comment faire des œufs à 65 degrés en pratique ?

 Comment faire des œufs à 65 degrés en pratique ?

Cuire un œuf, c'est le chauffer, et l'on peut chauffer de nombreuses façons : on verra dans mon Cours de gastronomie moléculaire numéro 1 (édition Quae / Belin) que je distingue des cuissons dans de l'air chaud, dans de l'eau chaude, dans de l'huile chaude... et bien d'autres. De fait, on peut obtenir des œufs à 65 degrés en mettant des œufs directement dans un four à condition que celui-ci puisse être correctement réglé à 65 degrés.
On peut mettre directement les œufs sur la grille, dans le four, ou sur la sole, sortis de leur boîte ou encore dans la boîte, peu importe car de toute façon la cuisson doit durer environ une heure pour atteindre une température égale à 65 degrés dans tout l'oeuf.

Je signale à ce propos que, à la Cité des sciences, pour un banquet scientifique, nous avions mis 450 oeufs dans un four bien réglé et nous avions donc pu servir tous ces œufs pendant le banquet.

Mais on peut aussi mettre les œufs dans de l'eau et ils cuiront exactement la même manière, à condition que l'eau soit à 65 degrés. Là encore, ce sera long parce que le but est d'atteindre l'équilibre thermique : la même température pour toutes les parties de l'interne de l'œuf.

Mais l'énumération précédente montre que l'on peut aussi faire cela avec de l'huile à condition que l'huile soit à 65 degrés.

On pourra prêter attention à ce fait que, dans certains cas, pour obtenir une température de 65 degrés, on applique en réalité une température supérieure.
Par exemple, il faudra éviter de poser la des œufs sur la sole du four si cette sole dépasse 65 degrés (en vue d'obtenir 65 degrés dans le four).

J'ajoute aussi que l'on peut, en pratique, cuire des œufs à 65 degrés dans un lave-vaisselle à condition que le programme applique bien une température de 65 degrés au maximum.  



jeudi 13 novembre 2025

À quelle température cuire des choux ?

 À quelle température cuire des choux ?

On finira par dire que je radote, mais je profite de l'occasion pour donner une information que je crois utile : l'expression pâte à choux ne désigne pas une préparation générale, mais simplement une préparation particulière dont on veut faire des choux.

Je m'explique : il existe une préparation culinaire classique qui a pour nom pâte royale et qui est une panade (de l'eau, du beurre, de la farine) où l'on a ajouté des œufs, afin d'obtenir une préparation qui peut servir à faire des choux, des éclairs, des religieuses, et cetera.

Cette pâte royale ne devient une pâte à choux que si l'on veut faire des choux, mais son nom réel est pâte royale.

Elle se distingue de la pâte à la reine en ce sens que l'une se fait à partir d'eau et l'autre de lait.

Et j'ajoute aussitôt que l'on peut faire le même type de préparations avec d'autres liquides : du vin, du jus de fruit, du bouillon, du café, du thé, et cetera.

Cela étant dit, nous pouvons arriver à la question qui est posée et observer tout d'abord que l'on peut faire des choux très différents selon les différences de température ou de cuisson. Veut-on un chou régulier ? Ou bien un chou particulièrement gonflé ? La consistance ne sera pas nécessairement la même et c'est cela d'abord qu'il faut définir : c'est seulement quand la destination a été choisie que l'on peut se mettre en chemin, n'est-ce pas ?

Je ne peux donc pas répondre à la question de la température à laquelle il faut cuire des choux si je ne sais pas d'abord quel est le résultat que l'on veut obtenir.

Cette réponse n'est pas une façon de me défausser. Il faut commencer par reconnaître que crtains aiment les choux dont l'intérieur est encore un peu pâteux, pas complètement cuit ; d'autres préfèrent des choux très cuits, non pas brun mais bien desséchés à l'intérieur, croustillants ; d'autres veulent des choux cuits à l'intérieur et très brun à l'extérieur ; et ainsi de suite.

Pour choisir le mode de cuisson que l'on va appliquer il est bon de se souvenir que pour de telles cuissons, une température très élevée risque de brunir fortement la surface, de sorte que l'on ne pourra pas l'appliquer pendant longtemps, et comme la chaleur se transmet ici par conduction, une température très forte à l'extérieur laissera l'intérieur peu cuit.

Il en va de même par exemple pour les frites : si on les cuit dans un bain d'huile très chaud, elles vont brunir rapidement et l'intérieur risque de ne pas avoir le temps de cuire.

Bref, il faut d'abord décider du résultat pour choisir le procédé.

Et il faut immédiatement ajouter que tous les goûts sont dans la nature, tous légitimes dans la mesure où ils se rapportent à celles et ceux qui vont manger. Il y a donc pas de manière unique de bien faire.

mardi 11 novembre 2025

Les grains d'amidon sont-ils fragiles ?

 Les grains d'amidon sont-ils fragiles ?

Pour cette question, je crois qu'il est bon de commencer par une expérience, à savoir  mettre de la farine dans de l'eau.

Dans la farine, il y a des composés variés, mais notamment  ces grains d'amidon qui nous intéressent, petits grains blancs et transparents que l'on voit au microscope.

Si l'on disposait d'un super-microscope, on verrait que les grains d'amidon sont faits de couches concentriques de deux sortes de molécules, qui sont des molécules d'amylose, linéaires, comme des fils, et de molécules d'amylopectine, ramifiées, comme des arbres.

Quand on chauffe les grains d'amidon dans l'eau, les molécules d'eau cognent la surface des grains, et les molécules d'amylose (les fils) de la surface des grains vont se disperser dans l'eau, tandis que des molécules d'eau s'immissent entre les molécules d'amylopectine, faisant progressivement gonfler les grains d'amidon.

Cela correspond à l'épaississement du liquide dans les sauces  : pensons aux veloutés, notamment à la sauce blanche.

Mais il est vrai que si l'on poursuit trop longtemps la cuisson, et si l'on mixe, notamment, alors la sauce qui était épaisse se refluidifie : la raison en est que les grains d'amidon ont été dégradés perdant leur capacité d'occuper tout le volume de l'eau. Donc oui, les grains d'amidon ont une certaine fragilité.

lundi 1 septembre 2025

Une montagne de données pour tous, autour de la gastronomie moléculaire et de ses applications

Alors que je prévois une mission en Asie, je discute avec ceux qui m'invite, et je m'aperçois qu'il y a eu beaucoup de travaux effectués en gastronomie moléculaire ou pour ses applications, dans les dernières décennies, et  qu'il y a lieu de ne pas oublier  la présentation dactions utiles. 

Il y a tout d'abord le Glossaire des métiers du goût ( https://icmpg.hub.inrae.fr/travaux-en-francais/glossaire), qui définit correctement les termes utilisés en cuisine.
Correctement, cela signifie que les définitions sont fondées sur des recherches historiques dans les livres de cuisine du passé et que les résultats sont donnés assortis de références précises. C'est  ainsi que l'on distingue une rémoulade d'une mayonnaise, un beurre d'escargot d'un beurre maître d'hôtel, une mousse d'une mousseline, une terrine d'un pâté, et cetera. 

D'autre part, il y a ces séminaires mensuels de gastronomie moléculaire ( https://icmpg.hub.inrae.fr/travaux-en-francais/seminaires ) où nous testons expérimentalement, en public, avec des professionnels, des idées techniques qui ont été transmises par des cuisiniers. Les résultats sont consignés dans les comptes-rendus de ces séminaires, compte-rendu qui sont mises en ligne sur le site du Centre international de gastronomie moléculaire.

Mais il y a eu bien d'autres initiatives et notamment des cours à l'attention de différents publics (https://icmpg.hub.inrae.fr/travaux-en-francais/travaux-didactiques)  

Pour les élèves de l'enseignement primaire, d'abord, il y a eu des Ateliers expérimentaux du goût, des activités qui font le lien entre technique, science, art, avec des relations constantes avec des travaux de langue française, d'histoire, et cetera. 

Pour le second degré, il y a eu des Ateliers sciences et cuisine, qui sont des activités pour les collèges et les lycées en relation avec les notions du programme.

Pour l'enseignement culinaire, il y a eu des actions en direction des apprenants comme des professeurs. Par exemple, on trouvera en ligne une série de classes de maître faites à l'Institut Cordon bleu, sur différent thèmes. Pour les professeurs de cuisine et de science, il y  a eu à la fois des formations nationales, et une rénovation des référentiels de CAP et de BEP, sur la base d'un livre intitulé Traité élémentaire de cuisine, qui a été complété plus tard par un livre intitulé Mon histoire de cuisine (édition Belin). 

Pour un public plus scientifique, universitaire, il y a de nombreux cours donnés à des niveaux variés de la licence au master. Ces cours rédigés sont en ligne, et beaucoup sont intégrés aux programmes européens "Food Innovation and Product Design", ou Tradinnovation.

Mais on n'oubliera pas la création de cette importante revue qui est l'International Journal of Molecular and Physical Gastronomy, avec un ensemble de rubriques qui couvre l'ensemble des champs, de la recherche scientifique jusqu'à ses applications en passant par l'enseignement.

Pour le grand public enfin, il y a de nombreuses publications : des livres, des vidéos, des podcasts, les articles, des billets de blog...

Cela figure dans le site que l'on trouve à l'adresse suivante : https://sites.google.com/site/travauxdehervethis/herv%C3%A9-this-vo-kientza-vive-la-chimie

Et il y a du français et de l'anglais

samedi 30 août 2025

A propos de biscuit Joconde, et de foisonnement de liquide avec des protéines

 Je reçois ce message, auquel je m'empresse de répondre :

Bonjour je suis professeur de pâtisserie, et je cherche à expliquer le foisonnement des jaunes ou des œufs dans les pâtes battue. Et notamment pourquoi dans mon biscuit joconde, quand je met mes œufs en 2 fois (2 phases de foisonnement : 5 minutes avec la moitié des œufs, 5 min avec la totalité des œufs) dans mon mélange poudre d'amande et sucre, j’obtiens un meilleur foisonnement que lorsque je la quantité d’œufs en 1 seul fois.
J'ai beaucoup d'information sur les blancs, je n'arrive pas expliquer l'obtention de volume lors du blanchiment des œufs ou des jaunes.
Si vous pouviez m'aider dans mes recherche.
Merci


1. Le foisonnement des jaunes ou des oeufs, dans les pâtes que l'on bat ?

Pour expliquer, partons du blanc d'oeuf, qui est plus simple que le jaune.
Le blanc d'oeuf, c'est environ 40 grammes, dont 36 grammes d'eau et 4 grammes de protéines.
Pour s'en apercevoir, clarifions un oeuf, pesons le blanc, puis laissons-le sécher dans un bol à l'air libre. On observe d'une part qu'il ne pourrit pas, et, d'autre part, après une dizaine de jours, on récupère une feuille craquante jaune. Cette feuille est faite de molécules de protéines, et ce qui est parti, perdu, c'est de l'eau. Comment savoir que c'est de l'eau ? Il suffit de repartir d'un blanc, et de le chauffer à sec : une fumée s'élève au-dessus de la matière que l'on chauffe, et si l'on met un verre froid dans la fumée, on voit de la buée se déposer sur la paroi. Si l'on goutte cette buée, on la trouve sans goût... parce que c'est de l'eau.

Une précision, maintenant, à partir des protéines : on en connaît aujourd'hui plus de 300 sortes différentes dans le blanc d'oeuf. La plus abondante est l'ovalbumine (environ 45  pour cent du total), mais il y en a bien d'autres : ovotransferrine, ovomucoïde, lysozyme (qui est anti-bactérien, et protège centre les pourritures), etc.

Cette composition donnée, examinons maintenant la question du foisonnement (le fait que cela mousse, à ne pas confondre avec l'émulsification, qui n'a rien à faire ici, parce que l'on ne fait pas de mayonnaise par ajout d'huile).
Le foisonnement, c'est le fait d'ajouter des bulles dans un liquide. Et cela peut se faire avec de l'eau pure : si l'on fouette de l'eau dans un cul de poule, on voit des bulles introduites par le fouet dans l'eau... mais ces bulles remontent en surface rapidement, et viennent y éclater. D'ailleurs, si l'on regarde bien pendant que l'on fouette l'eau, on voit du blanc... parce que la lumière blanche, au lieu de traverser l'eau, vient se réfléchir sur les parois des bulles, et l'on voit donc des reflets blancs ; plus il y a de bulles, plus cela blanchit

Mais, comme dit, la "mousse" formée ne tient pas.
Au contraire, avec du blanc d'oeuf, les bulles subsistent assez longtemps... et le blanc d'oeuf fouetté blanchit. Mais nous savons pourquoi : il y a des reflets blancs (si la lumière est blanche) sur chaque bulle.
Et plus l'on bat, plus il y a de bulles, et plus c'est blanc.

Pourquoi les bulles tiennent-elles assez longtemps dans les blancs battus en neige ? Parce que les molécules des protéines, qui sont comme des pelotes dispersées au milieu des molécules d'eau, sont déroulées par le cisaillement du fouet, et viennent se placer à la surface des bulles, empêchant ces dernières de fusionner (on dit "coalescer").

Pour du jaune d'oeuf, maintenant, c'est la même chose. Certes, la composition du jaune d'oeuf est plus compliquée, avec notamment des lipides, mais le foisonnement se produit de la même manière. Et quand on fait "le ruban", c'est comme un blanc battu en neige, sauf que c'est en réalité un "jaune en neige" : il y a des bulles, donc des reflets de lumière blanche, et ce blanc qui s'ajoute au jaune fait une couleur qui blanchit.

D'ailleurs, quand on bat de l'oeuf entier, par exemple pour faire une omelette soufflée, on a le même phénomène, de foisonnement, et d'éclaircissement de la couleur.


2. Pourquoi le biscuit Joconde, avec les oeufs en deux fois foisonne mieux que si l'on met l'oeuf d'un coup ?
 

Là, il me manque la recette exacte de mon correspondant, car je trouve une foule de recettes différentes pour ce biscuit.

Par exemple, avec :
Monter les œufs entiers avec la poudre d'amande et le sucre glace pour obtenir une pâte mousseuse.
Faire fondre le beurre et le refroidir, puis l'ajouter à la pâte.
Dans un autre bol, monter les 3 blancs d’œufs en neige avec le sucre semoule, puis incorporer la meringue à la pâte et ajouter la farine délicatement.
Dans un tel cas, il faut se souvenir que la matière grasse  dans un liquide que l'on foisonne rend le foisonnement bien plus difficile, parce que les protéines déroulées risquent de stabiliser la matière grasse présente sous la forme de gouttelettes (émulsion) au lieu de stabiliser les bulles (foisonnement).
Donc, dans la première opération, le foisonnement est difficile, et l'ajout des blancs en neige, ensuite, apporte une mousse abondante.

Mais est-ce la recette de mon correspondant ?


dimanche 10 août 2025

Les évidences en cuisine ? Elles changent avec le temps, mais il reste à faire !

Lisant les épreuves de mon prochain livre (Inventions culinaires/gastronomie moléculaire, Editions Odile Jacob), où je présente des recettes qui font usage des inventions que j'ai produites ces dernières décennies, je vois un amusant mélange de propositions qui sont devenues évidentes et d'autres qui n'ont pas réussi à percer. 

Par exemple, aujourd'hui, personne n'a plus de réticence à produire une sauce de type gay-Lussac, à savoir un velouté foisonné. Pourtant, quand j'ai fait cette proposition, il n'y avait rien de cela dans le répertoire culinaire. 

De même, mon œuf parfait, à 65 degrés, est maintenant partout, et l'originalité en est bien émoussé. 

En revanche, peu de cuisiniers font des würtz, des liebig, des beurres chantilly, et cetera :  il y a toute une série d'inventions, pourtant anciennes, que je n'ai pas réussi à faire connaître. 

Sans doute parce que je ne m'en suis pas donné les moyens :  je préfère la recherche à la communication. D'autant qu'il s'agit là de cuisine et non pas de chimie, qui est ma véritable activité. 

De surcroît,  j'ai fait beaucoup de mes inventions un peu en claquant des doigts, ce qui aggrave le cas, car je suis de ceux pour qui les résultats ne sont un peu intéressants que quand ils ont demandé des efforts. 

Par exemple, il ne me viendrait pas à l'idée de promouvoir la solution, applaudie pourtant par mon ami Pierre Gagnaire, qui consiste à mettre des cristaux de sel dans de l'huile pour les protéger de l'eau.
Pour Pierre, c'est une invention merveilleuse mais, de mon côté, j'aurais pu la faire à l'âge de 10 ans et je me vois mal promouvoir largement une telle idée, prendre de mon temps précieux pour faire cette promotion. 

Alors, une fois n'est pas coutume : dans ce prochain livre, je présente 46 inventions, exposées en 120 recettes. 

Dans toutes les pages, j'essaie de rendre service à mes amis cuisiniers, amateurs ou professionnels. J'essaie de présenter des idées nouvelles sous une forme appétissante et digeste, parfaitement claire, car en cuisine comme pour l'écriture d'un livre, il faut faire des proposition admissibles, dans leur contenu comme dans l'exposé de ce dernier. 

vendredi 6 juin 2025

On m'interroge : qu'est-ce que l'alcool, au juste ?

Je viens de comprendre que je n'explique parfois pas suffisamment. 

Considérons l'exemple de l'éthanol, dont je me suis souvent limité à dire que c'était l'alcool des eaux-de-vie, du vin de la bière, etc. Je ne suis pas sûr que cette indication suffise à bien faire comprendre, et je me demande s'il n'est pas préférable de créer un faisceau d'informations qui constitue progressivement le dossier dont on a besoin.

L'expérience fondatrice, pour ce qui concerne l'éthanol, c'est la distillation, et, mieux, la distillation d'une solution sucrée qui aurait fermenté. Mais il y a pour l'instant trop de syllabes pour que ce soit compréhensible, et le recours à l'expérience, réelle ou décrite, s'impose.

Commençons donc par prendre de l'eau, et dissolvons-y du sucre.
Regardons au microscope : nous ne voyons rien, le sucre étant dissous, et la solution formée étant transparente.
Puis ajoutons un peu de levure, ce que l'on achète chez le boulanger sous forme d'une espèce de pâte très friable.
On agite un peu pour disperser la pâte dans la solution sucrée... et cette fois, si l'on regarde au microscope, on voit de petites formes rondes, qui flottent dans l'eau.
Si nous sommes patients, nous les voyons libérer des bulles de gaz, grossir et se diviser en deux.
En effet, les levures sont des organismes vivants, unicellulaires puisque réduit à une sorte de sac vivant.
Laissons-les s'activer un moment, en protégeant le récipient des courants d'air ; puis, à titre expérimental, posons une allumette enflammée juste au-dessus du liquide : l'allumette s'éteint, alors qu'elle resterait allumée si on la mettait au-dessus d'une solution d'eau et de sucre.
C'est l'indication que le gaz formé par les levure me permet pas la combustion et, de fait, ce gaz est du dioxyde de carbone.
Si nous goûtons la solution, nous constatons qu'elle est alcoolisée.
Filtrons pour éliminer les levures... et nous récupérons une solution parfaitement transparente au microscope : les molécules qui donnent ce goût alcoolisé, comme les molécules qui donnaient la saveur sucrée, sont bien trop petites pour être visibles avec un microscope. 

Faisons donc différemment : distillons.

En pratique, c'est tout simple, puisqu'il suffit de chauffer et de conduire ensuite les vapeurs dans un système qui les refroidit, les recondense en un liquide.
Si nous laissons refroidir ce liquide distillé et que nous le goûtons, nous n'avons plus aucune saveur sucrée, mais, en revanche, il y a un goût brûlant, alcoolisé, comme pour une vodka très forte.
Cette fois, la solution est quasi exclusivement composée de molécules d'eau et de molécules d'éthanol, de l' "alcool" qui a été formé par la fermentation du sucre par les levures.
Distillons à nouveau le distillat, et sa teneur en alcool augmente.
Bien sûr, il reste un peu d'eau, mais qu'importe : le produit que nous avons obtenu, c'est ce qui fut nommé de l'alcool

La molécule d'éthanol : dans cet assemblage d'atomes, il y a deux atomes de carbone, indiqués par les lettres C, un atome d'oxygène (lettre O) et des atomes d'hydrogène (lettres H)

 

Pourquoi avons-nous évoqué l'éthanol, et parler maintenant d'alcool ? Parce que d'autres procédés conduisent à des composés très voisins de celui que nous venons de préparer.
Par exemple, quand on chauffe du bois à sec, on obtient un autre "alcool", qui a pour nom méthanol, ce que l'on nommait naguère esprit de bois, alors que l'alcool obtenu par fermentation, l'éthanol donc, était nommé esprit de vin. 

La molécule de méthanol

 

Quand la chimie progressa et qu'elle découvrit l'existence des atomes et des molécules, vers la fin du 19e siècle, les chimistes arrivèrent progressivement à comprendre que l'eau est faite de molécules d'eau, des objets résultant de l'assemblage d'un atome d'oxygène et de deux atomes d'hydrogène. 

Ils comprirent aussi que les molécule d'éthanol était faites d'un premier atome de carbone liés à trois atomes d'hydrogène et lié à un autre atome de carbone, qui est lui-même lié à deux atomes d'hydrogène et a un atome d'oxygène lié un atome d'hydrogène. 

Le méthanol, lui, est d'un seul atome de carbone lié à trois atomes d'hydrogène et à un atome d'oxygène lié à un atome d'hydrogène. 

Progressivement, les chimistes comprirent que la liaison d'un atome de carbone à un atome d'oxygène lié à un atome d'hydrogène donnait des propriétés chimiques particulières, et les composés ayant ces propriétés (et cette constitution chimique) furent nommés "alcools". 

Mais pour revenir à nos vins ou eaux-de-vie, ce sont des solutions aqueuses qui contiennent des teneurs différentes en cet alcool particulier qu'est l'éthanol : il y en a un peu plus de 10 pour cent dans les vins, et environ 40 à 50 pour cent dans les eaux-de-vie (je donne des ordres de grandeur). A noter que l'on dose de l'éthanol dans les fruits ou légumes... mais en très petite quantité.

jeudi 30 janvier 2025

Des questions, des questions...

Alors que je finis un article où l'on me demande de présenter la gastronomie moléculaire, je m'interroge... mais seulement maintenant ! sur la meilleure façon de le faire. Certes le texte est terminé, mais comment pourrait-il être mieux ? 

La question s'impose à moi alors que je viens de relire le texte de la leçon inaugurale de la chaire de Pierre-Gilles de Gennes au Collège de France. C'est un texte "de jeunesse", qui n'a pas la force d'autres écrits de ce physicien  qui fut lauréat du prix Nobel. Un texte amusant parce que manifestement destiné à du grand public et qui oblige l'auteur à sortir de ses équations. Bien sûr, on se souvient que Pierre-Gilles de Gennes était une personnalité grande  par la taille et par la pensée, mais aussi par le sentiment qu'il avait de ses capacités. Dans ce texte, il reste un peu plat, de façon étonnante, mais il faut se souvenir qu'il fut très jeune (moins de 40 ans) au Collège de France. Je dois ajouter, d'ailleurs, que je lis ce texte alors que j'étais lancé dans la relecture des œuvres de toute une série de très grands scientifiques : Chevreul, Lavoisier,... 

Je ne me compare évidemment pas à ces grands personnages, mais j'essaye, en analysant mes lectures, d'en tirer des idées pour améliorer mes propres écrits,  et de trouver mes manières pas trop idiotes d'intéresser les amis qui me liront. 

Pour en revenir au texte de Pierre-Gilles de Gennes, je le vois évoquer les questions de recherche. C'est une manière de partager de l'enthousiasme pour la recherche scienifique, mais, également, c'est une manière d'analyser un champ de connaissance, de trouver  les conditions d'une stratégie stratégique. 

On retrouve là quelque chose qui s'apparente au programme David Hilbert, ce mathématicien allemand qui,  au tout début du 20e siècle, identifia une vingtaine de grandes questions qui lui semblait essentielles. 

J'ai déjà dit souvent que la science est également là pour proposer des questions et non pas seulement apporter des réponses qui en réalité découlent des premières. 

Décidément, il va falloir que je reprenne mon premier jet à la lumière de ces idées.

 

mercredi 11 décembre 2024

Tests charcutiers : assaisonnement et malaxage

Nous venons de terminer le séminaire consacré à la charcuterie et, plus exactement  à l'assaisonnement et au malaxage. 

Nous avons fait une première expérience qui consistait à prendre de la viande (poitrine de porc), à la couper en morceaux et à diviser ces morceaux en deux moitiés : 

- une moitié était assaisonnée de sel et de poivre avant le hachage

- et l'autre moitié était d'abord hachée avant d'être assaisonné. 

Nous avons utilisé une grille de 10 conformément à la pratique de la confection des saucisses de Toulouse. Nous n'avons pas mélangé, toujours conformément à la pratique de la confection des saucisses de Toulouse. Et nous avons formé de petites galettes que nous avons cuites ensemble, dans la même poêle, au même endroit de la poêle et pendant le même temps. 

Puis nous avons organisé un test triangulaire et nous n'avons pas perçu de différence gustatives entre la viande assaisonnée avant ou après le hachage. 

 

Puis nous avons fait une deuxième expérience qui consistait hacher de la viande, à l'assaisonner, puis à diviser la viande hachée en deux moitiés 

- l'une était malaxée  (à la main, en triturant, jusque environ 7 minutes)

- et l'autre moitié n'était pas malaxée. 

Le résultat a été parfaitement clair : visuellement, il y a une différence considérable et au bout de 6 minutes de mélange à la main, l'opérateur a senti comme de l'eau qui sortait de la masse malaxée. Mais l'aspect visuel suffisait à montrer combien il y avait de changement. 

Puis à la cuisson, nous avons vu une autre différence  : la viande qui avait été malaxée gonflait plus que l'autre. Après cuisson, elle se tenait bien mieux : elle formait une masse homogène tandis que pour la viande hachée et non malaxée, les parties se défaisaient, se séparaient,  avant ou après la cuisson d'ailleurs. Au test triangulaire, nous avons vu une belle différence non pas de goût mais évidemment de consistance.

Parfois, dans nos séminaires, les expériences sont préliminaires et il y a lieu de les répéter ultérieurement, mais cette fois-ci, les effets sont si clairs qu'il n'est sans doute pas nécessaire de répéter les tests... sauf évidemment avec des apprenants, afin qu'ils voient par eux-mêmes les effets qu'on leur annonce.

mercredi 4 décembre 2024

Beurre blanc, beurre nantais, sauce blanche

Alors que je faisais hier une sauce pour poisson, j'ai voulu savoir ce qu'en disaient les internautes, et c'est ainsi que j'ai vu la plus grande confusion entre le beurre blanc, le beurre nantais, la sauce blanche.
J'ai déjà consacré un billet terminologique à cette question, dans les Nouvelles gastronomiques (https://hervethis.blogspot.com/2023/12/beurre-nantais-beurre-blanc-non-sauce.html),   et j'ai montré combien il y avait de confusions et d'erreurs à propos de ces sauces.

Mais ce sont surtout les commentaires des internautes qui m'ont intéressés hier, parce que j'ai vu combien il manquait à celles et ceux qui cuisinent les bases chimiques et physiques pour comprendre que tout cela... est vraiment très simple.  

Il y a donc ces sauces qui sont faites d'une première réduction d'un liquide (du vin, du jus de citron, etc.) avec des échalotes, par exemple, et auxquelles on ajoute du beurre que l'on fouette pendant qu'il fond. 

Avec cette description qui reste à la pratique, sans compréhension des gestes, il est presque certain que l'on est conduit à une sauce qui tourne parce qu'il manque les informations physico-chimiques élémentaires pour obtenir une sauce bien faite, bien liée. 

De fait, les conseils culinaires classiques sont variés : il est dit de réduire à sec ;  mais il est aussi parfois conseillé d'ajouter une cuillerée d'eau ;  il est dit d'ajouter le beurre par petites quantités, il est dit de le faire bouillir, et ainsi de suite. Mais pourquoi toutes ces prescriptions incompréhensibles et pas nécessairement justes ?

Pour comprendre, il faut savoir l'objectif  : ce dernier est la production d'une émulsion, c'est-à-dire la dispersion de gouttelettes de matière grasse fondue dans un liquide aqueux (on parle de "solution aqueuse", ou de "phase aqueuse"). 

Cela impose d'avoir au minimum 5 pour cent  d'eau environ,  et de disperser dans cette eau la matière grasse liquide sous la forme de gouttelettes microscopiques : c'est parce que les gouttelettes seront finalement nombreuses, tassées, coincées les unes contre les autres, qu'elle bougeront difficilement et que la sauce s'écoulera difficilement, qu'elle aura une certaine viscosité, une certaine fermeté, qu'elle sera "liée". Plus généralement, l'émulsification  est un des procédés de la liaison des sauces. 

D'où viendra l'eau ? D'où viendra la matière grasse ? Pour la matière grasse, il est évident qu'elle vient du beurre qui fond. En effet, le beurre est fait en général de 82 pour cent  de matière grasse et de 18 pour cent d'eau... de sorte que l'on pourrait très bien faire une émulsion avec du beurre seulement : si chauffe doucement le beurre, on obtient  une phase aqueuse au fond du récipient et une phase grasse liquide par-dessus, le beurre clarifié ; si l'on décante ce système "biphasique", c'est-à-dire à deux phases, alors on peut récupérer  la phase grasse liquide à part, puis l'ajouter en fouettant dans la phase aqueuse restée dans la casserole, ce qui produire une émulsion très différente du beurre... et qui peut être une sauce pour des poissons. 

Toutefois cette sauce n'aura que le goût du beurre et l'on peut vouloir le rehausser un peu. C'est la raison pour laquelle on fait classiquement réduire des échalotes avec du vin blanc, de jus de citron ;  au cours de cette réduction, les composés odorants sont éliminés mais il reste des composés sapides, des ions minéraux, des acides, etc. 

Mais quand on fait une réduction à sec, il n'y a alors plus l'eau nécessaire  pour obtenir une émulsion, pour permettre la dispersion des gouttelettes de matière grasse. Sachant qu'il y a 18 pour cent d'eau dans le beurre, on pourrait s'en tirer, mais la cuisine classique, ignorant cela, a proposé plutôt d'ajouter une cuillerée d'eau à la réduction initiale : rappelons-nous qu'ils faut un minimum de 5 pour cent d'eau  pour obtenir une émulsion de type huile dans eau. 

Ensuite, c'est tout simple : il suffit de mettre le beurre dans la casserole et de chauffer doucement en fouettant. Le  beurre qui est chauffé fond, et le fouet divise la matière grasse fondue en gouttelettes qui viennent se disperser dans l'eau. Attention toutefois que ce travail se fait à chaud et que de ce fait, l'eau s'évapore, de sorte que, si l'on n'y prend pas garde, si on chauffe trop, trop longtemps, on risque de ne plus avoir assez d'eau pour faire l'émulsion, qui viendra à tourner.

Il y a un point important à savoir encore  : une émulsion à petites gouttelettes est plus visqueuse, plus épaisse, plus ferme qu'une émulsion avec de grosses gouttelettes. 

On peut voir ce phénomène si l'on donne un coup de mixeur plongeant dans une mayonnaise qui aurait été faite à la fourchette : à l'endroit où l'on a mixé, la sauce devient ferme et blanche. 

Cet effet peut s'obtenir ici, pour notre sauce chaude pour poisson : une fois la sauce terminée, si elle est un peu trop liquide, alors on la passe au chinois afin d'éliminer les morceaux d'échalotes, et dans l'émulsion récupérée, on donne un coup de mixeur plongeant qui va affermir la sauce. 

Évidemment, il y aura lieu de goûter la sauce terminée et surtout celle-là, parce qu'une émulsion à petites gouttelettes n'a pas le même goût que la même que la même sauce à grosses gouttelettes, ayant les mêmes ingrédients : pour expliquer la chose, je renvoie à ma discussion sur les sauces au vin montées au beurre, vannées ou fouettées (https://www.pourlascience.fr/sd/chimie/vannee-ou-fouettee-3166.php), mais en tout cas, une fois la sauce terminée, on la goûtera et on assaisonnera en se souvenant des conseils du merveilleux chef alsacien Emile Jung : une partie de violence, trois parties de force et neuf parties de douceur. Ici, la douceur est donnée par le beurre, la force est donnée par l'acidité, et il reste à régler la violence, qui peut-être celle du poivre, ou du piment de Cayenne, ou du piment d'Espelette, par exemple.

Consultation à propos de sauce

 Je suis consulté par un cuisinier professionnel à propos d'une sauce, et je m'aperçois que la solution est très simple à condition de bien comprendre ce qu'est une émulsion. 

Quand il y a de la matière grasse et de l'eau réunies, sans effort particulier, la matière grasse liquide vient flotter au-dessus de la phase aqueuse. 

Mais si l'on bat un peu d'eau avec beaucoup de matière grasse liquide, alors on disperse l'eau dans la matière grasse liquide. 

Tandis que si l'on bat un peu de matière grasse liquide avec beaucoup d'eau, alors on disperse le matière grasse liquide dans l'eau. 

Évidemment, en cuisine, on n'utilise pas de l'eau mais une solution aqueuse, c'est-à-dire un liquide qui contient de l'eau :  du bouillon, du vin, une viande hachée, un légume réduit en purée...

Et l'huile peut être toute matière grasse liquide : de l'huile habituelle, mais aussi du beurre fondu, du chocolat fondu, etc. 

 

Bref, notre cuisinier voulais obtenir une émulsion et, mieux, une émulsion chaude. Dans les deux émissions que je décrit plus haut, l'émulsion eau dans huile n'est pas très stable alors que l'émulsion huile dans eau l'est plus : c'est le cas des hollandaises, des béarnaises,  des mayonnaise ou des rémoulade en version froide. 

Dans tous les cas, pour les obtenir, il faut partir de l'eau et ajouter ensuite l'huile par petites quantité en fouettant pour bien  disperser l'huile. 

De sorte que si l'on part d'herbes broyées, de jaune d'œuf, de viande ou de poisson broyés, etc.,  alors on peut ensuite ajouter du beurre qui fera huile en chauffant et qui sera dispersé par le fouet.
Car pour disperser des gouttelettes d'huile dans l'eau, il faut de l'énergie. Le fouet doit diviser l'huile ajoutée en gouttelettes de plus en plus petites qui vont s'entasser dans la phase aqueuse. 

Une émotion chaude ? Cela ne pose aucun problème mais on n'oubliera pas que des protéines peuvent coaguler : c'est d'ailleurs ce qui se passe quand on produit une crème anglaise, une béarnaise ou une hollandaise : la phase initiale de la préparation, qui consiste à chauffer le jaune d'œuf avec un liquide qui est souvent du vin, conduit à l'épaississement du système parce que les protéines forment des petits agrégats coagulés. C'est ensuite que l'on ajoute le beurre en fouettant, afin de disperser des gouttelettes de beurre fondu dans l'eau. 

Le goût de l'ensemble ? C'est au premier chef le goût des ingrédients utilisés. Si l'on y a mis deux fois de volaille broyé, alors on aura un goût de foie de volaille ; si l'on a mis des herbes,   alors  on aura le goût des herbes ; si on a mis du jus de citron, alors on aura un goût citronné ; et l'on aura un goût vinaigré si on a mis du vinaigre, etc. 

Il y a une petite différence pourtant selon que l'on bat très fort ou pas : les émulsions avec des grosses gouttelettes de matière grasse dispersées font sentir plutôt le goût de la phase aqueuse tandis que les émulsions avec de très petites gouttelettes font sentir surtout le goût de la matière grasse. La façon de travailler la sauce doit donc en quelque sorte déterminer le choix des ingrédients.
 


lundi 25 novembre 2024

Les recettes de ce genre

Je trouve une recette de mousse au chocolat que je vous livre : 

 

Ingrédients pour quatre à six personnes :
    200 g de chocolat noir
    Trois œufs
    50 g de beurre
    110 g de crème fraîche
    25 g de sucre glace

    Faire fondre le chocolat et le beurre au micro-ondes.
    Séparer les blancs des jaunes.
    Monter les blancs en neige ferme, mais pas trop.
    Mélanger les jaunes d’œufs avec la crème et le sucre glace.
    Ajouter le beurre et le chocolat fondus. Mélanger.
    Ajouter les blancs en neige petit à petit en mélangeant très délicatement.
    Réserver au réfrigérateur pendant quatre heures au minimum.


 

Cela me paraît bien indigent, et pour de nombreuses raisons.
Fondre le chocolat et le beurre au micro-ondes ? Et pourquoi pas dans une casserole ? Et comment s'y prendre ?
Les blancs "en neige ferme mais pas trop" : combien ? Et pourquoi cette fermeté-là  ?
Mélanger les jaunes avec la crème et le sucre glace ? Mieux vaut battre les jaunes et le sucre jusqu'à ce que l'appareil soit lisse et blanchi. D'ailleurs, le sucre glace est bien inutile, et du sucre en poudre ordinaire va très bien.
Ajouter le beurre et le chocolat fondu : oui, mais il aurait fallu ajouter qu'il faut le faire quand ils sont tièdes (on peut mettre la main sur le bord du récipient), mais pas chaud, sans quoi les jaunes cuisent et la température est granuleuse.
Mélanger "très délicatement" : on fait comment ? Et, surtout, on doit arriver à quel résultat ?
Et pourquoi quatre heures minimum au réfrigérateur ? 

Si on me le demande, je ferai une recette rénovée ;-)

vendredi 20 septembre 2024

Comment ne pas s'ennuyer quand on enseigne la même chose pendant des années, voire des décennies.

Hier, avec des étudiants d'un Master International en sciences et technologie de l'aliment, j'ai refait ce que je faisais naguère, à savoir faire un cours expérimental. Par cours expérimental, j'entends que nous avons fait des expériences qui ont servi de support du cours, avec des explications théoriques autour, et le succès a été grand : nos amis étaient plein de gratitude à la fin du cours. 

Il est vrai que cette méthode a de nombreux atouts et, notamment, elle fixe les idées en même temps qu'elle invite à faire de la pratique ; elle  soutient efficacement un discours théorique, lequel est mieux perçu, mieux compris, mieux appréhendé.
Par exemple, quand on évoque le gluten,  on le prépare à partir de farine et d'eau. Quand on parle de l'effet sucre, alors on enchaîne une expérience qui montre cet effet au lieu de le dire simplement. Et ainsi de suite. 

Bref nous avons passé l'après-midi à expérimenter. De petites expériences, en concept théorique, en petites expériences, en concept théorique, et ainsi de suite,  l'après-midi a passé si vite que nous sommes restés debout sans même prendre une pause ! 

Je vois donc qu'il y a une vertu particulière dans cette méthode pédagogique et je m'interroge maintenant sur le fait que cette extraction du gluten, cet effet sucre, ces autres expériences que nous avons faites, je les connais parfaitement. 
Mais moi qui m'ennuie de la répétition, j'aurais pu être lassé d'avoir à reproduire avec mes amis ces manipulations. En réalité, je m'aperçois que j'ai fait quelque chose de très nouveau pour moi, puisque il s'agit que je ne m'ennuie pas non plus, à savoir que tout le travail scientifique que j'avais fait depuis le dernier cours a permis de présenter les expérimentations et les théories qui les accompagnaient de façon complètement renouvelée.
Par exemple un étudiant a parlé d' "hydratation de la farine", et il se trouve que je m'étais préoccupé ces jours derniers de savoir ce que  cela signifiait exactement : oui bien sûr hydrater de la farine c'est lui ajouter de l'eau,  mais cela est idiot et la question est plutôt de savoir comme comment cette eau s'introduit dans la farine : simplement par capillarité ? Ou en se liant aux protéines ? Où on s'introduisant dans les granules d'amidon qui constituent la farine ? 

En réalité, ces questions sont celles que les étudiants avaient  également, et le fait que j'ai fait une belle recherche bibliographique à ce propos m'a permis de mieux répondre que je ne l'aurais fait dans le temps. 

Et ainsi de suite, tout était à l'avenant : le cours a été en réalité la présentation de tout ce que j'avais découvert récemment. Je ne me suis pas ennuyé donc une seule seconde, et je vois maintenant pourquoi l'enseignement peut-être passionnant : il peut l'être à condition de faire briller les yeux de nos amis en même temps que nous voyons le résultat de nos efforts personnels et que nous nous posons des questions renouvelées. 

 

Quel bonheur que d'enseigner dans ses circonstances !

mardi 9 juillet 2024

Les six conseils de Michael Faraday

 
Vérifier ce que l'on nous dit. 

Ne pas généraliser activement. 

Avoir des collaborations. 

Entretenir des correspondances. 

Avoir tout sur soi un soin calepin pour noter les idées.

Ne pas participer à des controverses. 

 

Voilà les six conseils que le physicien anglais Michael Faraday avait trouvé dans un traité d'amélioration de l'esprit du clergyman Isaac Watson. Ces six conseils furent essentiels, pour lui, dont le père était mort quand il était encore jeune. 

On n'a pas assez dit l'importance des groupes de réflexion, et je ne suis pas sûr que tous les élèves, dans les écoles, connaissent l'existence de ces groupes. Voilà pourquoi, parmi mille autre raison, l'histoire de Michael Faraday est importante. Le mercredi soir, ce jeune apprenti relieur qu'était Faraday rejoignait un groupe de personnes du même âge que lui, dans la City, à Londres, et ils discutaient de divers sujets, un peu comme cela se fait dans les loges maçonniques. Chacun devait travailler un thème et l' exposer aux autres, qui en discutaient la qualité, l'intérêt et la pertinence... 

Personnellement, j'ai eu la chance de voir mes parents faire de même, le soir, après le travail, après le dîner, partir en ville retrouver des collègues devenus des amis pour discuter de leur métier, mais non plus dans la pratique de ce dernier ; plutôt dans son analyse. C'est ce qui fait toute la différence entre la technique et la technologie, entre le technicien et le technologue. À l'époque de Faraday, la science était en vogue, parce qu'elle était encore accessible à n'importe qui dans sa pratique. C'était la grande mode de l'étude de l'électricité, pour laquelle il suffit d'une boussole, pour détecter un champ magnétique, d'une pomme de terre et de deux fils métalliques pour faire une pile... Et c'est ainsi que Faraday, ayant entre les mains le livre The improvement of the mind, en tira des règles de vie qu'il s'appliqua toute la vie. 

L'histoire de Faraday montre comment l'application de ces règles fut à l'origine de son immense succès. 

 

1. Ne pas généraliser hâtivement : c'est bien là une règle essentielle en sciences, où, certes, il faut voir la généralité à partir de cas particulier, ce qui se nomme induction, mais où il faut prendre garde à ne pas prendre ses désirs pour des réalités. La nature a ses voies, qui ne sont pas celles de nos désirs. La science explore les phénomènes, et elle ne confond pas ces derniers avec nos idées sur le monde. Cela fait toute la différence entre la science et la pensée magique, exposée dans d'autres billets. Oui, il faut généraliser, mais non, il ne faut pas généraliser hâtivement. En sciences, il faut des répétitions, des expériences, des répétitions des mesures, des répétitions des observations, l'accumulation d'un très grand nombre de données pour finalement arriver à quelques conclusions, qui permettront de bâtir des théories. 

2. Avoir toujours sur soi un calepin pour noter les idées : cette fois, il y a un conseil absolument essentiel. Dans cette proposition, l'objectif semble de noter les idées. Mais pourquoi noter les idées ? Pour plusieurs raisons. Tout d'abord, les idées sont fugaces, et il arrive bien souvent qu'une idée qui n'est pas notée disparaisse. C'est vraiment dommage si cette idée est bonne, si l'on s'est échiné à la trouver. D'autre part, nous devons avoir l'esprit libre pour penser, et une difficulté que j'analyse chez certains étudiants, c'est que leur vie est pleine de complexités (familiales, sentimentales, financières...), ce qui les gêne pour manier les idées qui sont au centre de leur travail. Quand les parents divorcent, quand on n'a pas assez d'argent pour payer le loyer, quand on a des problèmes de coeur…, comment avoir l'esprit libre pour penser ? Il se trouve que le simple fait de noter les choses permet à la fois de s'en vider la tête et de les avoir ensuite sous les yeux à volonté. Aristote, le grand Aristote, disait que l'écriture était la mort de la pensée, et je ne suis pas d'accord avec cette proposition, car sa généralité est excessive. Bien sûr, écrire et penser sont deux choses différentes, mais précisément poser par écrit est une bonne façon de conserver les idées pour plus tard. Il y a la question de la production de la pensée, et celle de sa conservation. De surcroît, écrire les idées impose de les formuler, et, là, on doit penser au mathématicien Henri Poincaré, qui a clairement expliqué que sa difficulté n'était pas de produire des nouveautés mathématiques, mais de trouver les mots pour décrire ces nouveautés qui étaient spontanément nées en lui. On retrouve avec une telle déclaration le grand débat agité par Condillac et Lavoisier sur les rapports entre la science le langage, avec cette idée selon laquelle on ne peut pas améliorer les sciences sans perfectionner le langage et vice versa. On le voit, les grands anciens se sont préoccupés de cette question des mots, car il est bien vrai que nos théories scientifiques s'expriment en équations c'est-à-dire in fine en mots, puisque ce fut l'apport de penseurs comme Descartes et Leibnitz que de forger un langage plus facilement manipulable que les mots du langage naturel ; mais un langage quand même. Ce fut d'ailleurs la grande question de la création de la chimie moderne avec Lavoisier que de savoir les relations entre les dénominations et les objets de la chimie, question qui fut reprise avec brio par le chimiste français Auguste Laurent quelques décennies plus tard. 

3. Ne pas participer à des controverses : dans la mesure ou la science n'est que proposition de théories et évocation de mécanismes, on comprend qu'il puisse y avoir des théories concurrentes, des mécanismes différents pour décrire le même phénomène. Et l'on comprend que certains individus qui sont dans l'acte de création puissent parfois avoir une fierté (on aurait pu dire ego) qui déborde un peu. Après tout certains ont besoin de s'affirmer avant de pouvoir affirmer, prétendre, proposer des idées. Le monde scientifique, fait de créateurs comme le monde artistique, est composé de beaucoup d'individus à l'ego puissant. Il faut faire avec, mais il est vrai que la rencontre de deux théories concurrentes risque de tourner à la controverse. Pourtant, les belles personnes qui se préoccupent avant tout d'étendre le royaume du connu, plutôt que de s'affirmer personnellement, n'ont pas de raison de participer aux controverses. Si le but est véritablement de trouver les mécanismes des phénomènes, alors il vaut bien mieux considérer avec intérêt des théories concurrentes avant de trancher abruptement et de se faire des ennemis. Nous avons beaucoup trop besoin d'amis, et surtout d'amis merveilleux (pléonasme ?) pour en perdre quelques uns en route. Nous avons besoin de discuter avec nos amis, d'analyser les propositions, d'en peser les intérêts et les failles, en vue de trouver finalement celles qui s'imposeront, parce qu'elles conduiront à des meilleures descriptions du monde. On doit se rappeler avant tout que voilà l’objectif : ne pas s'affirmer, mais plutôt identifier les mécanismes des phénomènes, mieux comprendre le monde. De là l'idée de Faraday : ne pas participer à des controverses, mêmes si l'on participe à des discussions scientifiques. Mieux encore, nous devrions être capables de préférer être réfuté à voir nos théories s'imposer si elles sont par trop insuffisantes. Pour ce qui est de Faraday, il avait résolu la question en travaillant seul ou avec un technicien qui l'aidait. Mais il n'allait guère dans les cercles scientifiques après avoir été nommé directeur de la Royal Institution. Certes il assistait à toutes les conférences du vendredi qu'il avait initiées, mais il invitait les collègues à les faire. Là, il ne discutait pas de théories opposées, mais il voyait des expériences et les choses de façon plus détachée. Et puis il y avait les faits… car les expériences montraient les faits. C'était sa façon, parfaitement respectable, et qui allait avec cette phrase. 

4. Avoir des collaborations. Là Faraday a retenu cette idée, mais il l'a peu mise en pratique. En réalité, il a peu collaboré. Sa timidité, sa gentillesse, ou peut-être sa sagesse l'ont éloigné des collaborations, et il travaillait dans le calme, se parlant à lui même, notant ses idées dans ses carnets, pouvant passer des jours dans son laboratoire, tout entier consacré à sa recherche, sans un mot. Pour autant, on peut aussi également imaginer l'inverse : des travaux d'équipe. Cela est aujourd'hui très à la mode : le mot "collaboratif" est partout, peut-être trop. Dans bien des travaux de science moderne, nous avons besoin de collaborations, ou nous pensons en avoir besoin. Nous en avons besoin, par exemple, pour la détection du boson de Higgs ou des ondes gravitationnelles. Mais il y a toute une place où ces collaborations ne sont pas nécessaires. Bien sûr, les scientifiques confirmés ont un devoir de transmission (ce qui n'est pas une « collaboration »), à savoir que, ayant bénéficié d'une formation par de plus anciens, nous avons le devoir de former de plus jeunes, ou, disons le mieux, d'aider de plus jeunes à se former, car pourquoi penserons nous que notre modèle est bon ? Surtout, dans cette discussion, je propose de ne pas perdre de vue l'idée qu'il existe divers sports : individuels comme la gymnastique, ou collectifs comme le rugby. Il y a des individus qui se sentent mieux à jouer au rugby, et d'autres à faire de la gymnastique. Les divers sports nécessitent différentes capacités, et il n'y a pas de raison pour laquelle nous devrions tous faire du rugby, ou tous faire de la gymnastique. Après tout, des Faraday, Einstein, Planck, ont été très individualistes, et je ne vois pas en quoi on pourrait leur reprocher, vu les résultats admirables qu'ils ont obtenus. Donc, avoir des collaborations, pourquoi pas, mais cela n'est pas une obligation,et, j'y reviens, Faraday donnait ce conseil sans se l'appliquer à lui-même. 

5. Vérifier ce que l'on nous dit : là, Faraday donne encore une règle générale de vie, mais je ne peux m'empêcher de la prendre dans le cadre scientifique, ce qu'il fit également. Pour la gastronomie moléculaire, il a été essentiel, au début, de savoir résister aux arguments d'autorité, et ne pas accepter des idées qui n'étaient pas testées. Le monde de la cuisine est plein d'idées fausses qui se sont propagées avec les siècles. Il a été très important, en de nombreuses circonstances, d'apprendre à tester les idées avant d'en chercher des interprétations. Parfois, nous avons été heureusement surpris de voir que des idées qui semblaient fausses étaient en réalité justes, mais nous avons aussi vu de nombreux cas où des idées qui semblaient justes, ou simplement plausibles, était très fausses. Tout cela, c'est le groupe des "précisions culinaires", ces ajouts techniques à ce que j'ai nommé des définitions. Il y a des précisions culinaires de toutes sortes, et, avec les années, j'ai bien appris à ne jamais chercher d'interprétations à des phénomènes qui n'avaient pas été avérés préalablement grâce à des expérimentations, car que je me mords encore les doigts de cette expérience que j'avais faite en 1992 et qui consistait à emporter une bouteille de diazote gazeux jusqu'en haut d'une montagne où nous avions un colloque, afin de voir pourquoi les blancs d’œufs montés en neige et redescendus ne remontaient pas. J'avais cru, à cette idée qui m'avait été donnée par des chefs triplement étoilés, et j’avais fait l'expérience de battre des blancs neiges sous diazote, de les laisser redescendre, et de les battre à nouveau ensuite. Il étaient remonté, de sorte que j'avais hâtivement conclu que c'était l'oxygène qui étais responsable du fait que des blancs de battus en neige et redescendus ne remontent pas. Pourtant, de retour au laboratoire, au calme, j'ai simplement battus des blancs, je les ai laissé redescendre, et ils ont parfaitement remonté, de sorte que tous les ennuis associés au transport d'une grosse bouteille de diazote en haut d'une montagne auraient été évités si le phénomène avait été d'abord testé simplement. Avec les années, j'ai vu se multiplier les réfutations des idées écrites par des chefs étoilés, et aujourd'hui je sais combien la phrase de Michael Faraday est juste. 

6. Entretenir des correspondances : on retrouve ici la discussion sur l'emploi des mots, et le petit calepin que l'on a sur soi pour noter les idées. Les correspondances sont un autre moyen d'exprimer clairement les choses, et cela peut être une aide que de s'adresser à autrui, au lieu de se parler à soi même en prenant pour acquis des choses qui ne sont pas assurées. Mais ce n'est pas le seul intérêt des correspondances. Les échanges scientifiques sont aussi une façon de partager le bonheur de la recherche scientifique, de se convaincre quotidiennement que la recherche scientifique est quelque chose de merveilleux, d'avoir des amis à qui l'on peut parler de ce bonheur, ce qui l'augmente encore, et d'avoir parfois un regard critique sur nos propres travaux. Dans mon cas, j'ai toujours considéré comme important d'avoir quelqu'un qui me donne des coups de pieds aux fesses. Pendant longtemps, ce fut Nicholas Kurti, puis quand il est mort, Georges Bram, chimiste de l'Université d'Orsay, avait accepté de jouer ce rôle. C'est un rôle amical, évidement, puisqu'il faut l'attention d'un ami qui observe nos travaux avec bienveillance, qui y passe du temps. Bien sûr, avec les années, j'ai appris à me donner à moi-même des coups de pied aux fesses. Reste que la correspondance, c'est aussi un moyen de dire les choses de formuler des concepts, d'expliciter les notions, de décrire les méthodes.

lundi 8 juillet 2024

A propos de vulgarisation

 Ce matin, on m'interroge sur la vulgarisation, ce que je préfère nommer "diffusion des connaissances scientifiques, technologiques et techniques". Les questions sont essentielles, et j'y réponds donc publiquement... en commençant par expliquer pourquoi la terminologie "vulgarisation scientifique" ne me convient pas. Le TLIF définit la vulgarisation comme le "fait de diffuser dans le grand public des connaissances, des idées, des produits". 

Ce qui me gène, c'est ce "grand public", que l'on identifie mal. Je vois surtout que des amis professeurs de droit connaissent aussi mal les sciences de la nature que je connais le droit, par exemple. Font-ils partie du "grand public" ? Et moi, fais-je partie du "grand public" ? Certains utilisent le terme de "médiation", mais c'est une fonction spécifique, que de servir d'intermédiaire (sous-entendu entre les scientifiques et les non scientifiques). Et puis, dans "médiation scientifique" (comme d'ailleurs dans "vulgarisation scientifique", il y a cette faute, ou ambiguïté pour être plus indulgent, du partitif) : la médiation n'est pas "scientifique" : c'est une médiation entre le monde scientifique et le public. 

Avec "diffusion de connaissances scientifique, technologiques et techniques", on a une terminologie bien meilleure de nombreux points de vue. D'une part, il est juste de dire que l'on diffuse des connaissances ; il est juste de reconnaître des différences entre les sciences de la nature, la technologie, la technique. 

 

Pourquoi vulgarisez-vous ?

Pourquoi me suis-je astreint à cette diffusion qui prend du temps à ma recherche scientifique ? C'est mon action politique ! Depuis 1980, date à laquelle j'avais commencé à collaborer à la revue Pour la Science, j'ai cette idée que le monde a besoin de plus de rationalité, d'un idéal plus élevé que le panem et circenses méprisant qui fait la devise de media hélas trop nombreux, populistes, démagogues, honteux en un mot. 

Je veux que la bonne monnaie chasse la mauvaise, parce que je sais que chacun d'entre nous risque toujours d'être happé par son animalité : le sexe, la "bouffe", les drogues (alcools, tabac, gras, sucre, sel...), la socialité mal digérée... Être humain, cela s'apprend, cela se travaille, cela s'élabore, par un effort de tous les instants... Enfin, "effort".... Il faut surtout que des "amis" nous aident à découvrir les beautés du monde : j'aime le guide de musée qui nous fait voir la petite mouche peinte en bas à gauche d'un tableau (je ne prends pas l'exemple par hasard, mais ce serait trop long d'expliquer) ; j'aime le musicien qui me montre l'endroit où la partition reprend la tonalité initiale, qui m'explique ce qu'est le contrepoint, sur des exemples simples... ; j'aime l'écrivain dont les mots me font chavirer le coeur ; j'aime le botaniste qui me montre, au bord du chemin, des fleurs sur lesquelles j'aurais marché par mégarde... Le monde n'est pas ennuyeux par uniformité, mais par désinvolture et ignorance. 

Pour les sciences de la nature, il en va de même, et c'est un des objectifs de mes billets de blogs, de mes articles, de mes livres, de mes vidéos, de mes podcasts audio que de chercher à montrer combien la vie est belle, combien le monde est beau. On m'a offert comme cadeau, le jour de ma remise de Légion d'honneur, cette phrase "L'enthousiasme est une maladie qui se gagne"... que j'ai commentée ici : http://hervethis.blogspot.fr/2016/08/lenthousiasme-est-une-maladie-qui-se.html. 

Oui, à moi de montrer que le trouble de l'eau de chaux par le souffle est quelque chose de merveilleux. C'est ce à quoi je m'astreins... sans prétention, avec un enthousiasme d'enfant, pas supérieur. D'ailleurs, je ne cesse de me lamenter de ce que je ne sais rien : je suis imparfait, mais je me soigne... en découvrant moi-même combien le monde est merveilleux. Ce fut la teneur de mon livre "La sagesse du chimiste". 

Surtout je crois que le siècle des Lumières n'a pas encore vraiment commencé, si je puis dire. Il faut de la rationalité, il faut de la tolérance, il faut abattre les idoles, les pouvoirs indus, il faut promouvoir de l'idéal et de la paix ! La diffusion des connaissances scientifiques, technologiques, techniques, en plus de contribuer au bien être de nos sociétés, vise à plus d'harmonie dans ce monde. Pardon d'être naïf, mais c'est un parti pris... qui va d'ailleurs avec l'une de mes devises : "Le summum de l'intelligence, c'est la bonté et la droiture". 

 

Que pensez-vous de la vulgarisation faite par des non-scientifiques ?

 Qui peut distribuer des connaissances scientifiques ? Ceux ou celles qui le peuvent ! Tous... à condition de travailler. Chacun peut faire l'effort, mais il ne suffit pas de claquer des doigts, et, surtout, il vaut mieux avoir fait le travail de savoir de quoi l'on parle, afin d'éviter de dire des choses fausses.

 Cela fut le début d'une amitié avec le chimiste belge Jacques Reisse : lors d'un colloque organisé par Georges Bram et Alain Fuchs, j'avais été chargé d'une présentation sur cette question, et je soutenais que les scientifiques peuvent faire de l'excellente diffusion des connaissances... à condition de ne pas se raidir dans une rigueur excessive qui fait tomber à plat leur discours (pour expliquer quelque chose à quelqu'un, il faut quand même s'assurer qu'il nous comprend, non ?), et que des non scientifiques peuvent effectivement faire de la diffusion des connaissances scientifiques... à condition de comprendre ce dont ils parlent. C'est d'ailleurs l'idée de la revue <em>Pour la Science</em>, à laquelle j'ai contribué pendant 20 ans : il y a moins de "journalistes scientifiques" que d'éditeurs, à savoir que je préfère la position de celui ou celle qui aide les scientifiques à produire des discours clairs, traquant les difficultés, les obscurités... 

Une sorte de maïeutique, comme je l'explique ici : <a href="http://www.agroparistech.fr/Une-presentation-scientifique-De-quoi-s-agit-il.html">http://www.agroparistech.fr/Une-presentation-scientifique-De-quoi-s-agit-il.html</a>. 

Pour en revenir à la question posée, je crois que tout est possible à deux conditions : - il faut la volonté de bien faire - il faut du travail (ne rien lâcher, jamais, et se souvenir de choses simples, à savoir que les mots ont un sens!) 

 

Quel est selon vous le critère principal d’une bonne vulgarisation ? 

Qu'est-ce qu'une bonne diffusion de connaissances ? Celle qui donne du bonheur ! Il faut ce moment où l'esprit s'illumine. Et, notamment, ce sentiment de devenir capable. J'aime moins apprendre que la fusée a décollé, que de comprendre comment elle a décollé, comment des efforts importants ont fait décoller la fusée. 

Cela, c'est pour de la technologie, mais pour de la science, je veux comprendre l'idée de fond de la théorie de la renormalisation, je veux voir les électrons s'échanger lors d'une réaction chimique, je veux comprendre la dualité onde-particule, je veux comprendre la structure de la matière... # Plus généralement, je veux devenir demain plus intelligent qu'aujourd'hui, et cela passe, me semble-t-il, moins par des données que par des notions, concepts, méthodes. C'est d'ailleurs la structuration de beaucoup de mes cours : je propose aux auditeurs de distinguer, dans mon discours, les informations (on le trouve sur internet, et l'on n'a pas besoin de moi), les notions et concepts (l'énergie, la température, l'électron, l'entropie...), les méthodes (essentielles ! ), les anecdotes, et les valeurs (j'y reviens : la diffusion des connaissances est politique, essentiellement politique). 

Mais, surtout, je crois hélas que nous avons manqué notre but, pour l'instant, et l'un de mes billets de blog explique quelle devrait, je crois, être l'ambition de la diffusion des connaissances scientifiques et techniques, à savoir expliquer les calculs qui font que la science n'est pas réductible à un discours un peu poétique. 

Surtout, je rappelle que les sciences de la nature progressent par la méthode suivante : - observation d'un phénomène (il faut l'identifier, le circonscrire...) - caractérisation quantitative du phénomène : d'innombrables mesures - réunion des caractérisations quantitatives en "lois", c'est-à-dire en équations - recherche des mécanismes par "induction" : les théories sont guidées quantitativement par les lois - recherche de prévisions expérimentales déduites des théories proposées - tests expérimentaux des prévisions - et ainsi de suite. 

Dans cette description (je renvoie vers mon livre "Cours de gastronomie moléculaire N°1 : Science, technologie, technique (culinaires): quelles relations?"), on voit que le calcul est partout, que les équations sont partout, et que la science, sauf à n'être qu'une descriptive collection de papillons, n'est que du calcul. D'où mon idée que la "vulgarisation" fait rarement le vrai travail qu'elle devrait faire, à savoir donner l'idée de ces équations, de ces calculs. A ne donner que des mots pour décrire des résultats, on fait du dogme inutile. 

D'où la difficulté de la bonne diffusion des connaissances scientifiques, technologiques ou techniques, dont l'ambition, je le répète, est de contribuer au développement de "l'intelligence".