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dimanche 13 juillet 2025

Des quenelles modernes

 
Aujourd'hui, je discute la confection des quenelles... et une façon moderne de les faire. 

Les quenelles, il y en a mille sortes, mais ce sont toutes des dérivés des terrines, en ce sens qu'il y a initialement de la chair, d'animal terrestre ou aquatique peu importe, qui est broyée, ce qui libère conduit à une pâte, qui est en réalité constituée de protéines dans de l'eau. 

À la cuisson, les protéines coagulent comme celle d'un blanc d'oeuf que l'on chaufferait, de sorte qu'une terrine est un cousin d'un blanc d'oeuf cuit. La différence, c'est évidemment qu'une terrine est plus "consistante" : c'est parce que la viande contient moins d'eau que le blanc d'oeuf. Or plus il y a d'eau dans une solution aqueuse de protéines, et plus le gel obtenu par cuisson est tendre ; inversement moins il y a d'eau, et plus le gel et ferme. Dans une terrine, la proportion d'eau est de 70, pour cent, alors qu'elle est de 90 pour cent pour du blanc d'oeuf. 

En corollaire, on comprend que si l'on veut attendrir une terrine, il suffit d'ajouter un liquide : du bouillon, du vin.. Mais revenons donc à nos quenelles. C'est donc de la chair broyée, et la chair broyée coûte cher. En quelque sorte, elle est précieuse, et c'est pour cette raison que les cuisiniers ont appris à la "diluer" avec des matières moins coûteuse : de la farine, de la matière grasse qui, de surcroît, donne de l'onctuosité. 

Par le passé, dans ces quenelles nommées godiveau, cette matière grasse a souvent été de la graisse de bœuf, peu coûteuse, mais on peut aussi utiliser de la crème pour les quenelles fines. D'où la recette de base des quenelles : broyer de la chair avec de la crème, éventuellement avec une panade ou de la mie de pain trempée dans du lait, ou avec de la farine. 

Bien sûr, on peut aussi partir de viande ou de poisson déjà cuits, mais alors les protéines qui ont déjà coagulé ne peuvent plus jouer le rôle de liant, de sorte que, dans de telles recettes, les cuisiniers ont appris à mettre de l' œuf, souvent du blanc d'oeuf pour ne pas colorer et ne pas trop empiéter sur le goût de la chair. 

 

L’écueil, dans toutes les recettes ?

C'est qu'il y ait trop peu de protéine par rapport à la masse à coaguler. Il faut compter un minimum de 5 pour cent en masse, environ. Et c'est pour cette raison que les cuisiniers ont appris à faire des essais des quenelles, ce qui revient à faire bouillir de l'eau et à déposer de petites quantités pour voir si la masse prend au lieu de se disperser dans le liquide frémissant. 

Que faire si la masse ne prends pas ? Il faut bien sûr ajouter des protéines mais classiquement, ajouter des protéines, cela signifie ajouter de la viande crue, de la chair de poisson cru, ou de l'oeuf non coagulé. Or, par cette méthode, on ajoute aussi aussi de l'eau, de sorte que ce n'est guère pratique. 

 

Pourquoi ne pas vivre de façon un peu moderne et se limiter à ajouter des protéines ?

 On peut utiliser par exemple du blanc d'oeuf en poudre, où des protéines végétales, des protéines de pois, de fèves, de soja, de lentilles, de chanvre... Là, on ajoute une cuillerée, et l'on obtient à la cuisson la prise de la quenelle sans aucune difficulté. La transformation technique et aussi importante que quand on est passé de l'utilisation du pied de veau à celle de gélatine en feuille. 

À l'époque (environ 30 ans), il y a eu des cris d'orfraie pour refuser une telle transformation, mais aujourd'hui, bien rares sont ceux qui font leur gelée au pied de veau ou au pied de porc, car il faut cuire longuement, clarifier, et faire cela à petite échelle revient à passer des heures à faire ce que fait l'industrie alimentaire à grande échelle, souvent de façon bien moins coûteuse et sans doute plus propre. 

 

Bref, quand mes quenelles ne prennent pas, je n'hésite pas à ajouter des protéines à mon appareil !


 

lundi 7 juillet 2025

Cuisinons des protéines


Alors que j'organisais un concours de cuisine note à note, des amis se sont inquiétés de l'usage des protéines... J'interprète qu'ils ne comprenaient pas bien ce dont il s'agissait. Oui, quand on n'est pas chimiste, il est légitime de s'interroger : des "protéines", c'est quoi ?
Le recours à l'expérience est quand même la meilleure des explications, et j'en propose plusieurs successives, ici.


La première consiste à cuire une viande, ou bien des pattes de poules, des pieds de veau ou de porc, dans l'eau pendant quelques heures, ce qui procure un bouillon qui gélifie en refroidissant. Si l on prend cette gelée et qu'on la sèche, alors on obtient une matière transparente et craquante... comme des feuilles de gélatine... Et, d'ailleurs, c'est ainsi que l'on produit la gélatine ;-). 

Si l'on regarde cette matière solide avec un microscope extraordinairement puissant, alors on voit un enchevêtrement de "fils" : ce sont des molécules de gélatine. Et la gélatine est une protéine, parce que si l'on y regarde d'encore plus près, on voit que ces fils sont des enchaînements de groupes d'atomes que les chimistes reconnaissent comme des parties de molécules qu'ils connaissent bien et qu'ils ont nommées des acides aminés. 

D'ailleurs, si l'on chauffe longtemps de la gélatine en milieu un peu acide (ajoutons du vinaigre blanc dans de l'eau où l'on chauffe la gélatine), alors les molécules de gélatine (les "fils") perdent de leurs morceaux élémentaires, et le liquide s'enrichit d'acides aminés. 

 

Une deuxième expérience, maintenant

Prenons un blanc d’œuf, ce liquide jaune et transparent, et laissons-le sécher à l'air libre : il ne pourrira pas parce qu'il est protégé par une... protéine nommée lysozyme, et, après un séchage de plusieurs jours, on obtiendra -à nouveau- une matière transparente et dure, cassante : ce sont les protéines du blanc d’œuf. 

D'ailleurs, le blanc d’œuf, qui pèse pas loin de 30 grammes, est fait de 90 pour cent d'eau (environ 27 grammes) et 10 % de protéines (3 grammes). Dans ce cas, il y a plusieurs protéines dans le résidu solide. A noter que, pour la gélatine en feuille ou le blanc d’œuf séché, on peut avoir des feuilles, mais aussi des poudres, ou des liquides. Pensons à des matières comme la farine ou le sucre en poudre, notamment. Et ajoutons que l'on peut retrouver des solutions en leur ajoutant de l'eau. 

 

Le problème de l'apparence étant réglé, considérons maintenant la question de l'usage

 Une première particularité des protéines, c'est qu'elles n'ont pas de goût quand elles sont pures. Et, d'ailleurs, elles n'ont pas de couleur non plus : dans le blanc d’œuf, la couleur est due à de petites quantités d'un composé coloré nommé riboflavine... qui est une vitamine (B2)... utilisée comme colorant alimentaire sous le numéro E101(i). Comme l'amidon, les protéines sont de longues molécules qui se dispersent dans l'eau et qui peuvent conduire à des gélifications, quand elles se lient. 

Par exemple quand on chauffe du blanc d’œuf, on obtient le blanc d' œuf cuit, gélifié ce qui signifie que l'eau présente ne coule plus, et c'est bien le cas quand on considère un blanc d’œuf cuit : le durcissement ne résulte pas de l'évaporation de l'eau, mais cette dernière est restée piégée dans une espèce de réseau, d'échafaudage formée par les protéines qui se sont liées. 

D'autres gélifications peuvent avoir lieu avec d'autres protéines. Par exemple avec de la gélatine dissoute dans l'eau et que l'on refroidit : cette gélification-là se fait à froid, non pas à chaud. Ou encore, dans les yaourts : les protéines du lait forment un gel quand des micro-organismes transforment le sucre du lait -le lactose- en acide lactique, qui acidifie le lait. 

Ou encore un autre type de gélification se produit lors de la fabrication des fromages, et cette fois ce n'est ni la chaleur ni l'acidification qui agissent mais plutôt des enzymes, c'est-à-dire des protéines qui sont actives même en toute petite quantité : il suffit de quelques gouttes de "présure" pour faire coaguler une grande quantité de lait. 

 

Mais prenons une perspective un peu plus historique à propos des transformations des protéines que l'on fait ou que l'on peut faire en cuisine

Quand on cuit de la viande, on provoque les protéines de la viande. De même pour le poisson et pour l'œuf. Là, on ne voit pas les protéines, qui ne sont pas extraite des ingrédients initiaux, mais le résultat résulte quand même de leurs modifications chimiques. Avec des protéines à l'état pur, on reproduit cela de façon bien plus contrôlée, et c'est en quelque sorte ce qu'ont appris les cuisinier quand ils font des flans par exemple, où les protéines de l' œuf provoquent la gélification de l'appareil, ou dans les aspics, quand les protéines extraites classiquement du pied de veau permettent la gélification. 

Cela dit, extraire la gélatine du pied de veau, et la purifier, cela s'apparente à extraire le sucre de la canne à sucre ou de la betterave : pourquoi le faire soi-même ? De même que nous n'allons plus arracher les plumes des canards, les tailler en pointe, faire bouillir de l'écorce d'arbre avec du fer rouillé pour faire nous-même notre encre, je vois mal pourquoi nous serions condamnés à revenir des décennies ou des siècles en arrière et pourquoi nous n'utiliserions pas directement des protéines que l'industrie a extraites à beaucoup plus grande échelle, beaucoup plus efficacement que nous, et certainement avec des degré de pureté que nous n'obtiendrions jamais dans nos cuisines. 

Bref, cuisinons des protéines !

samedi 29 mars 2025

Acides aminés, peptides, polypeptides, protéines, dont le gluten

Je reçois des questions : 

 

Si j'ai compris juste:

- peptides: de 2 à 10 acides aminés en chaînes, dans n'importe quel ordre, éventuellement plusieurs fois le même

- polypeptides: de 11 à ?, idem pour le reste

- protéines: à partir de 100, idem pour le reste

- gluten: composé de protéines de types gliadines (monomères) et gluténines (polymères)


Ma réponse est que cela n'est pas juste, et je vais donc expliquer pourquoi. 


1. Tout d'abord, il n'y a pas d'acides aminés dans les peptides, ni dans les polypeptides, ni dans les protéines. 

En effet, supposons que nous disposions de deux molécules d'acides aminés, identiques ou non, la réaction de "condensation" de ces deux molécules peut se faire de diverses façon, mais si elle forme une "liaison peptidique", engendrant un peptide, alors il y a des atomes qui sont perdus, de sorte que la molécule finale de peptide ne contient plus que des "résidus d'acides aminés", et pas des molécules d'acides aminés. 

J'ajoute que, quand on cherche une définition de chimie, rien ne vaut le Gold Book de l'Union internationale de chimie et des applications de la chimie : https://goldbook.iupac.org/. 

On y trouve : 

Peptides:  Amides derived from two or more amino carboxylic acid molecules (the same or different) by formation of a covalent bond from the carbonyl carbon of one to the nitrogen atom of another with formal loss of water. The term is usually applied to structures formed from α-amino acids, but it includes those derived from any amino carboxylic acid.
https://goldbook.iupac.org/terms/view/P04479


 

2.  Pour les polypeptides, la consultation de la même source indique :

Polypeptide :  Peptides containing ten or more amino acid residues.

C'est donc 10 la limite, pas 11.


3. Pour les protéines :

Naturally occurring and synthetic polypeptides having molecular weights greater than about 10000 (the limit is not precise).

Cette fois, la notion importante est l'origine "naturelle", et les masses molaires supérieures environ à 10 000.


4. Pour le gluten, il y a un piège avec le mot "monomère", parce que, en biologie, cela désigne autre chose qu'en chimie.

Pour la chimie, un polymère est un composé dont les molécules sont des répétitions de résidus identiques ou différents, liés chimiquement. Mais pour la biologie, il y a des protéines faites de plusieurs brins associés, et ces brins sont nommés monomères, alors que, chimiquement, ces brins sont des polymères : la biologie ferait bien de changer sa terminologie.

Et pour avoir plus d'informations récentes sur le gluten, rien ne vaut une consultation de bases de données scientifiques, la recherche de publications récentes, telles que

Peter R. Shewry and  Peter S. Bel. 2024. What do we really understand about wheat gluten structure and functionality?, Journal of Cereal Science 117 (2024) 103895.



mercredi 26 mars 2025

L'albumine ? Si vous entendez cela au singulier, c'est que votre interlocuteur est en retard d'un siècle !

J'entends à la fois un collègue et un cuisinier parler de "l'albumine", et autant je suis indulgent pour le cuisinier, autant je considère que mon collègue a tort, gravement, parce que s'il dit quelque chose de faux, il y a l'autorité qui accompagne sa profession qui vient enteriner une erreur. 
 
Expliquons cela en commençant par rappeler que le mot albumine a été introduit en français par François Quesnay, au 18e siècle. 
On désignait à l'époque la matière coagulante du blanc d'oeuf, par exemple, et il est vrai que si on laisse un blanc d'œuf sécher, l'eau du blanc d'oeuf s'évapore et il reste une feuille jaune et craquante qui est faite de ce qu'on nommait initialement (il y a plus d'un siècle) de l'albumine. 
 
Cette matière, quand elle est chauffée avec de l'eau est responsable de la coagulation. Et, à l'époque, les chimistes la caractérisaient en observant qu'elle putréfiait en formant de l'ammoniac : on sait aujourd'hui que, effectivement, cette matière contient de l'azote. 
Les chimistes, également, observaient que cette matière conduisait à un changement de couleur du sirop de violette, cette infusion de fleurs de violette dans l'eau qui a une couleur bleu violet et qui change de couleur en présence d'un composé basique : le sirop de violette est l'ancêtre de nos indicateurs colorés de laboratoire. 
 
Mais c'est là de l'histoire ancienne  : plus d'un siècle. Progressivement, on a découvert de l' "albumine" dans les végétaux, notamment les légumineuses : ce fut un tsunami intellectuel parce que l'on retrouvait la même matière dans le végétal et l'animal, qui semblaient être des règnes séparés. 
 
Puis on a découvert que ces albumines étaient en réalité des mélanges de nombreux composés distincts et c'est pour cette raison qu'en 1910, soit plus d'un siècle dans le passé, on a décidé que l'on nommerait ces composés des protéines. Et on en connaît de nombreuses sortes. Certaines protéines sont solubles dans l'eau et leurs molécules sont globulaires, comme un fil replié en pelote : ce sont les albumines. 
 
Oui, aujourd'hui le mot albumine désigne une catégorie de protéines et non plus ni une matière particulière, ni une protéine particulière. 
 
Certes il existe de l'ovalbumine,  pour une des albumines qui se trouve dans le blanc d'oeuf, ou de la sérum albumine pour des protéines de la catégorie des albumines qui se trouvent dans le sang. 
 
Mais il y a bien d'autres albumines, et je n'ai pas épuisé avec ces deux exemples la totalité d'entre elles. 
 
Parler aujourd'hui de l'albumine au singulier, c'est donc retarder de plus d'un siècle. 
 
Cela me semble grave que les cuisiniers utilisent des notions ainsi périmées parce que pensant mal ils ne pourront pas faire bien,  mais ce me semble encore plus grave qu'un collègue propage de telles erreurs. 
 
Disons-le pour terminer de façon positive :  la chimie a fini par découvrir qu'il existe de très nombreuses protéines différentes et certaines, certaines seulement, sont des albumines. La catégorie des albumines est une catégorie particulière de protéines. 

Est-ce clair ? Pour me faire des commentaires : icmg@agroparistech.fr

vendredi 21 juin 2024

A propos de coagulation de l'oeuf (suite)

La coagulation du blanc d'oeuf : quel volume maximum ?

Supposons que l'on dispose d'assez d'eau pour profiter pleinement des protéines d'un blanc d'oeuf qui formeraient un gel cubique en s'étendant complètement. Quel volume obtiendrait-on ?

Soit un blanc de 40 g.
Cela correspond à 4 g de protéines.

Supposons que toutes les protéines soient, comme pour l'ovalbumine, de masse molaire égale à environ 40000.
Le nombre de moles est alors
                           "4/40000"

 c'est-à-dire 1e-4.
Le nombre de molécules serait donc 1e-4 par 1e24 environ, soit 1e20.

Avec cela, supposons qu'on fasse un réseau cubique, ce qui signifie que pour chaque cube élémentaire on aurait trois arêtes en propres (je vais vite).
Cela signifie que le nombre de cubes élémentaires serait
                          "0.1e21*1/3"

 
Le volume du gel serait le volume d'un cube élémentaire par le nombre de cubes élémentaires.
Pour un petit cube, notre hypothèse considère que le côté est une protéine entièrement étendue.
Une protéine de 40 000 de masse molaire, c'est environ 200 résidus d'acides aminés.
Un résidu d'acide aminé, c'est environ 3 liaisons covalentes.
Donc la longueur de la protéine serait 200 fois 5 fois 1e-10.  Soit 1e-7 (m).
Le volume du cube élémentaire serait 1e-21
Le volume du cube élémentaire serait alors 1/3 1e20 fois 1e-21, soit 0.03 m3 (30 L).
 

samedi 6 janvier 2024

Des questions de protéines et d'acides aminés

Je reçois une question : 

 

Qu'est-ce qu'une protéine ? Qu'est-ce qu'un acide aminé ? Souvent, on sait que les protéines sont faites de résidus d'acides aminés, et, parfois, on connaît le terme de "peptide", ou de "polypeptide", mais quand a-t-on une protéine ? 

Et je reçois une question subsidiaire : 

Les résidus d'acides aminés sont-ils différents, dans une protéines, ou bien un même résidu peut-il être présent plusieurs fois ? 

 

 Ma réponse est constante, pour les étudiants en science et technologie des aliments, comme pour tous : pour ces questions de définition des termes chimiques, le RÉFLEXE immédiat doit être de consulter le Gold Book de l'Union internationale de chimie et des applications de la chimie, soit IUPAC, en anglais : https://goldbook.iupac.org/terms/view/P04898. 

Et, pour le mot "protéines", on trouve :

Naturally occurring and synthetic polypeptides having molecular weights greater than about 10000 (the limit is not precise).

See also:
peptides
Source:
PAC, 1995, 67, 1307. (Glossary of class names of organic compounds and reactivity intermediates based on structure (IUPAC Recommendations 1995)) on page 1361 [Terms] [Paper]
See also:
White Book, 2nd ed., p. 48 [Terms] [Book]

 C'est donc clair : il s'agit de composés "naturels" ou de synthèse. La catégorie comprend les protéines d'origine naturelle, mais aussi des protéines synthétisées, des "polypeptides". 


Polypeptides ? Regardons l'IUPAC : 


Peptides containing ten or more amino acid residues.Sources:

PAC, 1995, 67, 1307. (Glossary of class names of organic compounds and reactivity intermediates based on structure (IUPAC Recommendations 1995)) on page 1359 [Terms] [Paper]
White Book, 2nd ed., p. 48 [Terms] [Book]

 

Et cela doit nous conduire à "peptides", et à "résidus d'acides aminés". 

Pour "peptide", tout d'abord : 

Amides derived from two or more amino carboxylic acid molecules (the same or different) by formation of a covalent bond from the carbonyl carbon of one to the nitrogen atom of another with formal loss of water. The term is usually applied to structures formed from α-amino acids, but it includes those derived from any amino carboxylic acid. 

 

Là, c'est un gros morceau, mais conservons, pour les besoin de notre discussion, qu'il y a des composés dont les molécules sont des résidus d'acides aminés, en petit nombre (moins que 10, sans quoi on tombe dans le polypeptide).  


Et il nous reste les acides aminés, ainsi que les "résidus" d'acides aminés. 

Pour les acides aminés, c'est tout simple, en quelque sorte, puisque ce sont des composés dont la molécule porte   :
- un groupe amine  : un des atomes de carbone C du squelette moléculaire est lié à un atome d'azote N, qui est lui-même lié à deux atomes d'hydrogène (je simplifie) ; on trouve un motif -NH2
- un groupe acide carboxylique : cette fois, un des atomes de carbone C du squelette moléculaire est lié à un atome d'oxygène O, d'un côté, et à un autre atome d'oxygène O qui est lié à un atome d'hydrogène H, soit le groupe -COOH

J'ajoute qu'un acide aminé a donc cette structure moléculaire, mais que, quand des acides aminés s'enchaînent en peptides, en polypeptides ou en protéines, alors ils sont modifiés, avec la perte de certains atomes, de sorte que cette structure n'est plus présente ; on n'a plus des "acides aminés", mais des objets que l'on peut identifier par la pensée, et qui sont des "résidus d'acides aminés". 

J'ajoute aussi, pour revenir à la question initialement posée, que les acides aminés qui sont présents chez les êtres vivants, soit sous forme d'acide aminé, soit sous la forme de résidu d'acide aminé, sont au nombre de 20 (pour les plus courants)
[Kvenvolden KA. 1972. Criteria for distinguishing biogenic and abiogenic amino acids, Space Life Sciences, 4, 60-68]

Et, dans un enchaînement de résidus d'acides aminés, pour terminer, on peut trouver n'importe lequel en n'importe quelle position, de sorte que, oui, un même résidu peut se retrouver plusieurs fois présent dans une chaîne polypeptidique ou dans une protéine. 


Ouf, est-ce assez répondu ?

 

mardi 12 décembre 2023

Beurre nantais ? Beurre blanc ? Non, sauce blanche !

 Ce matin, une question à propos de "beurre nantais"

 

Bonjour Monsieur This,

Je suis  nantais d'origine et  adepte de la sauce au beurre blanc (parfois appelée beurre nantais).
Je m'adresse à vous car je pense que vous êtes à même d'expliquer le pourquoi du comment quant à la réussite ou le ratage de cette sauce. Je la rate plus souvent (à mon grand désespoir) que je ne la réussis ! Et j'aimerais ne pas la rater pour les fêtes de Noël...

Après moult essais et recherches sur internet, je ne trouve pas d'explications scientifiques poussées.
Chacun a son explication ou son astuce mais sans trop pouvoir la justifier :

- couper menu les échalotes ??
- réduire très lentement le mélange échalotes + vinaigre + vin ??
- ajouter systématiquement du vin au vinaigre ( pb d'acidité ? acidité du vin moins importante que celle du vinaigre ? )
- laisser refroidir complètement la réduction d'échalotes avant d'incorporer le beurre ??
- ajouter de la crème avant d'incorporer le beurre ??
- ajouter un filet d'eau froide ??
- incorporer le beurre froid  ou très froid ( il y a apparemment un consensus là dessus) ??      en petits morceaux ??
- mélanger le beurre sans jamais cesser de fouetter délicatement en formant des 8 et à feux doux ??
- beurre clarifié ??
- difficile de la réchauffer au bain-marie ??

Quelles sont dans toutes ces manipulations, les vrais gestes à faire et surtout pour quelles raisons je suis un?

Je vous ai connu par le biais de vos articles très intéressants dans la revue Pour la Science ( et gastronomie)
J'ai une formation scientifique ( baccalauréat C). J'aimerais comprendre le ou les phénomènes physico-chimiques inhérents à l'élaboration du beurre blanc.

Je crois avoir compris que le beurre est une émulsion inversée  "eau dans huile" .

Est-ce qu'une question de température (froid au départ, pas trop chaud ensuite mais quels seraient alors les seuils à ne pas dépasser)  et/ou d'acidité (vinaigre, vin), ou bien autre chose encore ?

En résumé, que se passe-t-il chimiquement pour que cette sauce au beurre blanc soit si instable ?

Je suis tombé sur ce podcast, certes intéressant, mais ne fournissant pas suffisamment d'explications ( il est question du beurre blanc des minutes 10 à 18) :
https://www.franceinter.fr/vie-quotidienne/le-beurre-blanc

J'espère que vous comprendrez mon interrogation et que vous pourrez y répondre malgré votre temps précieux.

Merci d'avance.
Bien gastronomiquement.

 

Et voici ma réponse
 
Merci pour votre message.
La première des choses que je fais, quand je discute d'une recette, c'est de savoir vraiment ce dont je parle... et cela m'a conduit à faire, chaque semaine, une recherche historique que je publie dans les Nouvelles gastronomiques... avec de nombreuses surprises !
Et pour le "beurre blanc" : https://nouvellesgastronomiques.com/beurre-blanc-non-sauce-blanche/. 

Voici en clair : 

Beurre blanc ? Non : sauce blanche

Hervé This s’interroge sur l’appellation de cette sauce que tout le monde connaît… Le beurre blanc ? Ces billets terminologiques ont déjà plusieurs fois signalé des attributions erronées de termes, et il vient d’en trouver un nouveau…

Wikipédia signalait que, en 1890, au restaurant La Buvette de la Marine, dans le hameau de La Chebuette, lieu-dit de la commune de Saint-Julien-de-Concelles, situé sur les bords de la Loire, à quelques kilomètres en amont de Nantes, une certaine Clémence Lefeuvre aurait inventé le beurre blanc, pour le marier avec les poissons de Loire. On dit même que cela aurait résulté d’un ratage d’une béarnaise… mais c’est être bien ignorant de l’histoire de la cuisine que de propager cette idée, car on trouve déjà une sauce tout à fait analogue dans l’auteur du 17e siècle (deux siècles et demi avant cette cuisinière nantaise!) qui signe seulement de ses initiales « L.S.R », peut-être pour « le sieur Robert ».

Plus précisément, LSR, en 1643, propose de faire une « sauce blanche » avec beurre, bouillon, sel, poivre, qu’il sert sur du brochet, et qui insiste pour dire que l’émulsion doit être bien faite, sans « tourner en huile ».

Bref, Clémence Lefeuvre n’a rien inventé… d’autant que l’on retrouve encore cette « sauce blanche » chez Pierre François La Varenne : « faites une sauce avec du beurre bien frais, peu de vinaigre, sel, muscade, & un jaune d’oeuf pour lier la sauce. » Là, il détourne la sauce blanche de LSR, puisqu’il lie aux œufs. Massialot, en 1705, détourne encore davantage en proposant une sauce faite de persil, sel, poivre blanc, jaunes d’oeufs, filet de vinaigre, un peu de bouillon :cette fois, c’est une suspension, une sauce qui doit son épaisseur à la coagulation des jaunes d’oeufs plutôt qu’à l’émulsion du beurre fondu dans le bouillon dans le vinaigre.


 

A noter que tout cela se retrouve ensuite dans le "Glossaire des métiers du goût" : https://icmpg.hub.inrae.fr/travaux-en-francais/glossaire/glossaire-des-metiers-du-gout
(il me faut parfois un peu de temps pour rectifier le glossaire)

 

Cela étant, si votre recette consiste à faire revenir des échalotes avec du vinaigre et du vin, puis à ajouter de la crème et du beurre, alors je ne l'ai jamais ratée, considérant les principes sains suivants :
 

1. "Il faut au moins 5 % d'eau pour faire tenir une émulsion".

2. "Il faut des composés tensioactifs (protéines par exemple) pour assurer la dispersion stabilisée des gouttes de matière grasse dans l'eau". 


Ici, l'eau vient du vinaigre, du vin, de la crème, du beurre... mais elle s'évapore, et c'est souvent la cause du ratage.

Couper menu les échalotes ? C'est seulement une question de goût, mais il est vrai que plus vous coupez finement, plus vous libérez le contenu des cellules.

Réduire lentement le mélange échalotes+vinaigre+vin ? A ma connaissance, personne n'a encore comparé la réduction lente ou rapide, analytiquement en tout cas. Une expérience à faire... assortie d'un test triangulaire, comme je l'explique dans l'avant dernier numéro de Pour la Science
 

Ajouter du vin au vinaigre ? Je crois que la question de l'acidité est très secondaire. C'est la présence d'eau qui compte.
 

Laisser refroidir les échalotes ? Aucun intérêt."Il faut au moins 5 % d'eau pour faire tenir une émulsion".
 

Ajouter de la crème ? La crème apporte de l'eau, ce qui permet de mettre ensuite plus de beurre. Elle apporte aussi des tensioactifs, et cela est important (voir plus loin). 

Ajouter un filet d'eau froide : certainement, quand on met beaucoup de beurre, on risque de dépasser les 95 % fatidiques, et, tout comme on met du jus de citron ou du vinaigre dans une mayonnaise qui épaissit, un filet d'eau fait son office... mais dommage, car l'eau n'a pas de goût : pourquoi pas vin, vinaigre, jus de citron, thé, jus de légume, fond, jus de fruit, etc. ?

Le beurre froid, en morceaux : aucun intérêt, car il finit toujours par fondre et s'émulsionner.

Beurre clarifié : apporte moins d'eau, et le petit lait a un goût différent, donc une question de choix artistique (gustatif). Mais attention : pour un sauce sans crème, le petit lait devient essentiel, par les protéines qu'il apporte.
 

Réchauffer au bain marie ? Moi je réchauffe autant que je veux, et à plein feu, sans me fatiguer à faire un bain marie.

Bref rien de plus simple :
- le beurre fond, et fait "huile"
- il libère du petit lait (de l'eau et des protéines) quand il n'est pas clarifié
- et il faut 5% d'eau pour faire tenir l'émulsion, qui est d'ailleurs une émulsion de type huile dans eau.

Non, le beurre n'est pas une émulsion eau dans huile, comme cela est prétendu et fautivement enseigné jusque dans les écoles d'ingénieurs agronomes : voir à ce sujet mon livre Mon histoire de cuisine (fait pour des personnes comme vous), ou bien le Handbook of Molecular Gastronomy.

Les températures ? Peu importe... mais attention que plus on chauffe et plus l'eau s'évapore : pensons à nos 5%.

Instabilité de la sauce ? Les tensioactifs proviennent de la crème, du beurre... mais si l'on broie les échalotes, on peut aussi en extraire de ces dernières.
Car une émulsion, c'est de l'eau (phase continue), des gouttes d'huile, des tensioactifs pour les couvrir et les disperser.
Dans la crème et le beurre, il y a des tas de protéines, parfaitement tensioactives. Mais dans le beurre clarifié, elles ne sont pas présentes, d'où l'intérêt de la crème. A noter qu'on peut aussi ajouter des tensioactifs insipides : un quart de feuilles de gélatine, ou n'importe quel tissu végétal ou animal broyé finement (même du gazon), qui libérera des phospholipides et des protéines.

Bien cordialement, joyeuses fêtes


mercredi 29 novembre 2023

A propos de pain

On m'interroge sur la chimie du pain, et voici quelques éléments de ma réponse : 

 

1. Le gluten est une matière qui peut (ou non) être sur la forme d'un réseau, et ce réseau est effectivement "viscoélastique", ce qui signifie qu'il s'écoule quand on tire dessus, mais qu'il revient sur lui-même (élasticité) quand on le relâche.

Il est formé de deux types de protéines  : LES gliadineS, et LES gluténineS.

 

2. Une protéine est un composé dont les molécules sont des enchaînements chimiques de "résidus d'acides aminés" (plutôt que d' "acides aminés").
Et pour la définition de protéine, le Modernist ne vaut pas l'International Union of Pure and Applied Chemistry  :

Naturally occurring and synthetic polypeptides having molecular weights greater than about 10000 (the limit is not precise).
See also: peptides
Source: PAC, 1995, 67, 1307. (Glossary of class names of organic compounds and reactivity intermediates based on structure (IUPAC Recommendations 1995)) on page 1361 [Terms]

 

3. Le gluten a-t-il été découvert par Jacoppo Beccari ou Jacopo Beccaria ? Pour en avoir le coeur net, rien ne vaut mon article
Hervé This, « Who discovered the gluten and who discovered its production by lixiviation? », Notes Académiques de l'Académie d'Agriculture de France/Academic Notes from the French Academy of Agriculture, vol. 3, no 3,‎ 2002, p. 1-11. DOI 10.1098/rstb.2001.1024).

dimanche 24 septembre 2023

Remplacer la viande par les protéines végétales ?

 
Remplacer la viande par les protéines végétales ? La chose paraît simple, puisqu'il s'agirait d'extraire des protéines de végétaux, et de les ajouter à des plats classiques ou de les utiliser en remplacement des viandes : on mêlerait les protéines végétales à de l'eau, et l'on cuirait comme l'on cuit une omelette. 

Toutefois il y a des roues dans les roues, comme disait le prophète Ezéchiel, et il faut savoir qu'une bonne partie de la France est en sub-carence en fer.
Or le fer des végétaux est mal assimilé, contrairement au fer des viandes. Lors d'un remplacement, il y a fort à parier que la sub-carence deviendrait une carence, s'accompagnant de nombreux troubles sanitaires, à l'échelle de la population. 

Pour remplacer la viande par les protéines végétales, il faudra donc tenir compte de cette question de l'assimilation du fer, et rien ne vaudra une bonne analyse de la différence entre le fer des végétaux, et le fer des animaux. 

Une telle analyse est déjà bien entamée, et il apparaît que le fer des viandes est bien assimilé, parce qu'il est présent au sein d'un groupe chimique nommé « hème », mot que l'on retrouve dans « hémoglobine ». 

Une solution consisterait donc, par exemple, à ajouter du fer dans un tel groupe, mais il y a d'autres solutions peut être plus simples, telle l'administration de fer en présence de vitamine C, puis qu'il a été montré que l'assimilation se fait alors bien mieux. Et il y a aussi toutes les solutions que mes jeunes collègues trouveront : un merveilleux chantier...

mercredi 13 septembre 2023

La décomposition des protéines et des amidons lors du repos d'une pâte ? Je n'y crois pas.

 

Un correspondant me tend la phrase suivant :

"Le repos aiderais aussi a ce que les proteines de la farine et les amidons se decomposent et donc accelerent le processus de brunissement au four pour obtenir une saveur plus prononce." [sic]


Le repos d'une pâte favoriserait la décomposition des protéines et de l'amidon lors de la cuisson ? Je ne sais pas d'où cela peut sortir et je ne crois pas que cela soit vrai, car les protéines (plutôt que "proteine") et les molécules de l'amidon (plutôt que "les amidons") n'ont aucune raison chimique de de décomposer.

Mais, cela dit,  je ne vais certainement pas chercher des explications théoriques à un phénomène auquel je ne crois pas, car  il m'est  trop souvent arrivé de tomber dans le piège de la demande d'explication à des phénomènes qui n'existaient pas,  et l'on se sent bien ridicule quand on fait l'expérience et qu'on voit qu'il n'y a aucun phénomène à interpréter.

Ici, il y a donc lieu, tout d'abord,  d'organiser une expérience correcte, qui consiste à prendre une pâte, à la diviser en deux moitiés, à diviser chaque moitié en 3 ou 4 échantillons, et a commencer par cuire les quatre échantillons d'une même moitié en différents endroits, dans le même four qui aura été préchauffé et réglé à une température bien connue. On enfournera les quatre éléments quand le four aura atteint son équilibre, et l' on cuira pendant un certain temps ; puis on sortira les ingrédients les échantillons du four.  Le lendemain, par exemple, on prendra les quatre autres échantillons et on leur fera subir le même traitement. Puis, on effectuera les tests triangulaire soit pour la couleur soit pour le goût avec chaque fois trois échantillons à raison de deux d'une sorte et un de l'autre sorte, numérotés et donnés à déguster dans un ordre aléatoire ,à plusieurs reprises. On ne demandera qu'une chose aux jurés, à savoir "Pouvez-vous nous dire lesquels sont les deux échantillons du même lot ?".
Et c'est seulement suite que l'on cherchera des explications... s'il y a lieu de le faire !

mardi 12 septembre 2023

Une "dénaturation des protéines", ce n'est pas une "décomposition", ni une "dépolymérisation" : méfions-nous des mots de plus de trois syllabes que nous ne comprenons pas.

Un correspondant me tend un :

"La congélation des pâtes entrainerait une dépolymérisation des macropolymères de gluténine dans la pâte"

Et la phrase n'a aucun sens, en plus de véhiculer une information très probablement fausse.

La congélation d'une pâte, on comprend bien ce dont il s'agit : on met une pâte (farine, beurre et eau) dans un congélateur : la farine est intouchée, le beurre durcit parce que ses molécules  "cristallisent" (les molécules de triglycérides s'associent en empilements réguliers nommés "cristaux"), et l'eau congèle (les molécules d'eau forment de la glace).
A noter que, dans cette description, les molécules d'eau qui pontaient les protéines du "gluten" (gluténines, gliadines) dans la pâte cessent peut être d'assurer cette liaison, pour s'associer, ce qui correspondrait à un affaiblissement du réseau de gluten... si cette eau ne revient pas ponter les protéines lors de la décongélation, ce que je ne sais pas.

La "dépolymérisation des macropolymères de gluténine" ? La phrase n'a pas de sens, déjà parce que le mot gluténine au singulier n'a aucun sens : il n'existe pas "la gluténine", mais, plutôt, dans la pâte, des molécules de différentes gluténines.
Le mot "gluténine" désigne une catégorie d'objet : les grosses gluténines et les petites gluténines (on dit HMW et LMW, mais c'est un détail) , dont il existe beaucoup de catégories.
Et une catégorie, c'est  abstrait. Ce qui est concret, ce sont les molécules de gluténines.

Ces molécules de gluténines sont toutes des "polymères", car elles sont formées par l'enchaînement de nombreux motifs, nommés monomères (comme les anneaux d'une chaîne), qui, en l’occurrence, sont des "résidus d'acides aminés". En revanche, cela n'a aucun sens de parler de "macropolymère", car un polymère est une macromolécule : dans les deux cas, il s'agit de molécules formées par l'enchaînement de nombreuses unités. Bref, le mot "macropolymère" est une sorte de monstre dont on peut supposer, vu le nombre de syllabes, qu'il recouvre toujours l'incompréhension de celui ou celle qui le prononce, et parfois la volonté prétentieuse d'épater... au risque d'être pris la main dans le sac. Mais je n'ai pas dit que mon interlocuteur était dans cette seconde position.

La "dépolymérisation" ? Il y a encore beaucoup de syllabes, mais le mot est propre, juste... à condition qu'il désigne effectivement la dissociation d'une macromolécule, ou d'une molécule de polymère (on se souvient que c'est la même chose), notamment une molécule d'une gluténine particulière, en ses unités constitutives. Oui, des monomères peuvent "polymériser", quand ils s'enchaînent chimiquement en grand nombre, et il des polymères peuvent se dépolymériser, dans les liaisons chimiques sont détruites. on parle de dépolymérisation...

Et, en tout cas, j'ai les plus grands doute sur le fait que cela se produise lors d'une congélation !
Soyons clair : je n'y crois absolument pas, d'autant que je vois que nombre des phrases qui me sont soumises confondent les matières, les molécules, et cetera, et que si les mots sont erronés, je suis quasiment certain que les idées le sont aussi.  

A propos de congélation,  il y a un principe essentiel de la physico-chimie à savoir que la température correspond à au mouvement des molécules : des molécules formant un échantillon de matière (solide, liquide, gaz)  bougent rapidement quand l'échantillon de matière est chaud, et elles bougent plus lentement quand l'échantillon de matière est froid, notamment dans une congélation.

Pour fixer les idées, partons d'un peu d'eau liquide, à la température ambiante : cette eau est faite de molécules d'eau, comme des billes qui bougeraient sans cesse en tous sens, à très grande vitesse.
Si l'on chauffe l'eau, alors les molécules vont encore plus vite, et si vite même qu'elles peuvent arriver à quitter le liquide, tout comme une fusée qui a une vitesse supérieure peut quitter l'attraction terrestre.
Inversement, quand on refroidit l'eau, les molécules d'eau ralentissent, et elle ralentissent tant que, finalement, les attractions entre  les molécules d'eau deviennent plus fortes que leur mouvement : les molécules restent alors collées les unes aux autres, se limitant à vibrer un peu sur place : c'est la glace.

La congélation correspond ainsi à l'immobilisation des molécules  : dans une pâte à foncer, faite de grains d'amidon, de molécule de protéines et de bien d'autres composés, de beurre, c'est-à-dire de triglycérides et d'eau, il en va de même.
Pour l'amidon, pas de nouveauté puisque les molécules d'amylose et d'amylopectine qui sont entassés en grains d'amidon ne bougent déjà pas.
Pour les molécules de triglycérides, la matière grasse, alors cette dernière cristallise, les molécules de triglycérides s'empilant régulièrement et ne bougeant plus.
Pour les molécules d'eau, de même, la congélation provoque la formation de glace.

Les protéines, dans cette affaire ? Il en va de même : ces molécules en forme de pelote, ralenties, s'immobilisent. Et à froid, en tout cas pour des périodes de quelques heures, il n'y a aucune réaction chimique, aucune dégradation de rien  du tout ! Car pour qu'il y ait réaction, il faut que des molécules se rencontrent ; or elles ne bougent plus. Ou bien il faut que les atomes liés par une liaison chimique aient beaucoup d'énergie ; or la congélation réduit cette énergie.

Mais, en analysant toute cette question, je crois finir par comprendre que mon correspondant a confondu la "dénaturation" des protéines et leur dissociation. Il faut donc une seconde partie à ce billet.


Pour les protéines, il y en a de différentes sortes, mais, pour l'explication, nous considérerons les protéines globulaires : les molécules de ces protéines sont comme des fils repliés sur eux-mêmes en pelote. C'est le repliement particulier qui permet à ces molécules de protéines d'avoir des activités biologiques, par exemple enzymatique.
Ainsi la broméline, qui est une enzyme présente dans l'ananas, a la propriété de couper les autres protéines et, notamment, les molécules de collagène qui donnent leur dureté aux viandes, ou  les molécules de gélatine qui font gélifier de l'eau. Et c'est ainsi que du jus d'ananas frais injecté dans les viandes transforme celles-ci en une sorte de pâte ; et  c'est aussi pour cette raison que les gels de gélatine avec de l'ananas frais finissent liquides. Dans ces deux cas, les molécules de protéines que sont le collagène ou la gélatine sont "décomposés" par les molécules de broméline.
J'insiste sur le "décomposé" qui se différencie complètement du "dénaturé". Qu'est-ce que "dénaturé" ? La broméline, comme les autres protéines dont je parle, est donc enroulée sous forme de pelote, mais quand on chauffe par exemple, cette pelote se déroule et l'activité enzymatique de la broméline est perdue,  et c'est ainsi que l'on parvient très bien à faire des gelées d'ananas avec de l'ananas cuit. Le changement de repliement correspond à une "dénaturation", pas à une dissociation : le fil moléculaire est enroulé différemment, pas cassé en petits morceaux.

Pour les gliadines et les protéines du de la farine, c'est la même chose : la dénaturation correspond simplement à une modification de l'enroulement, et cela ne change pas à ma connaissance les capacités de former le réseau de gluten.


lundi 11 septembre 2023

Le beurre et la farine dans une pâte

 
Le beurre permettrait d'envelopper les protéines de la  farine, quand on fait une pâte ?

Ainsi posée, la question est très probablement négative, ou, plus exactement, la question n'a pas de sens, parce que le beurre et les protéines ne sont pas à la même échelle.

Le beurre, c'est une matière principalement formée de très nombreuses molécules de triglycérides : pensons à un énorme paquet de poulpes à trois tentacules, chaque poulpe représentant une molécule de triglycérides.

Dans le beurre, il y a également un peu d'eau, jusqu'à 20 % au maximum mais comme celui-ci n'interviendra pas dans la description qui est faite maintenant, oublions-le.

Les protéines maintenant, et notamment les protéines de la farine, sont des objets de la taille des poulpes, et pas du beurre (lequel est fait de milliards de "poulpes"). Ces protéines sont essentiellement isolées, et c'est seulement  quand elles sont en présence d'eau quelles forment d'un grand filet de "gluten", chaque molécule de protéine faisant un tout petit bout d'une maille.
Ajoutons que les protéines sont le plus souvent solubles dans l'eau de sorte qu'il n'y a aucune raison qu'elles soient enveloppées par le beurre.

D'ailleurs, que signifierait "enveloppé par le beurre" ? Stricto sensu, cela voudrait dire qu'une molécule de protéines s'entourerait de molécules de triglycérides  ? Mais cela n'arrive pas car il n'y a pas de liaison possible entre ces deux types de molécules.

Et tant que je n'ai pas vu d'article établissant la thèse discutée ici, il faut considérer que c'est de la pure invention. 

En revanche, on peut parfaitement parler de farine enrobée dans du beurre, comme on le voit sans peine quand on sable du beurre avec de la farine.

jeudi 7 septembre 2023

Des "pâtes de protéines" ?



On m'interroge à propos d'une "pâte de protéines" et, là encore, la question est beaucoup trop floue pour que je sache quoi répondre.

Commençons donc simplement par évoquer la poudre de blanc d'oeuf. Cela s'achète au kilo et l'on a une espèce de poudre analogue et de la farine sauf qu'il ne s'agit pas de polysaccharides mais de protéines.

La poudre de blanc d'œuf ? Pour la produire, il suffit d'évaporer l'eau d'un blanc d'oeuf, puisqu'un blanc d'oeuf est fait de 90 % d'eau et de 10 % de protéines.

Soit donc un récipient contenant cette poudre,  ces protéines. Si on prend une cuillerée de protéines et une cuillerée d'eau, alors on obtient une pâte très épaisse.
Si on prend une proportion d'eau supérieure, alors la pâte devient moins épaisse, exactement comme avec de la farine : tout cela s'apparente donc à la confection d'une pâte à crêpes à partir de farine et d'eau, ou bien de farine et de lait, ce qui revient au même un peu de choses près.

On peut donc faire des pâtes de protéines sans aucune difficulté à condition d'avoir de l'eau et des protéines.

Jusque-là, je n'ai évoqué que les protéines d'œuf mais il y a des protéines dans bien d'autres produits,  animaux ou végétaux.
Et c'est ainsi que les légumineuses sur le soja, le poids, la féverole, cetera sont des végétaux qui précisément, produisent des protéines. Des protéines végétales, dans ce cas, mais qui  sont sous la forme d'une poudre comme la poudre de blanc d'oeuf.

Et on les utilise exactement comme je viens de le décrire. On peut donc partir d'un paquet de protéines végétales et faire une pâte de protéine.

Evidemment, dans l'expérience que je décrite, j'ai proposé de prendre de l'eau mais on peut prendre de l'eau qui a du goût  : thé, café, jus d'orange, jus de tomate, vin, bouillon, et cetera.

Que faire d'une telle pâte ? Si l'on veut on peut faire des spaghettis, on peut faire des feuilles comme pour des lasagnes, on peut faire des crêpes, on peut faire des galettes, on peut faire exactement ce que l'on veut.

Et si les protéines ont été choisies de telle façon qu'elles puissent coaguler, alors on pourra faire l'équivalent d'une viande (un "dirac"), au moins du point de vue de la consistance.

Mais on peut faire bien mieux et par exemple étaler la pâte de protéine, la strier à la fourchette, la cuire, la rouler sur elle-même en feuille et obtenir comme un surimi.

On peut donc faire exactement ce que l'on veut à condition de comprendre.

Au fait ? Le goût ? On se souvient que le goût, c'est la couleur, la consistance, la température, les saveurs, les odeurs, et les piquants et les frais, et cetera.
On oubliera donc pas, avant cuisson ou avant l'utilisation d'ajouter à la pâte de protéines des composés qui donnent de la couleur, de la de la saveur, de l'odeur, et cetera.

La saveur ? Evidemment le sucre, le sel, l'acide tartrique... Bref tout ce que vous voulez.
L'odeur ? Là encore, grâce à la cuisine de synthèse que j'avais surnommé cuisine note à note, nous avons maintenant des composés qui donnent de l'odeur sur mesure, et le cuisinier, comme un parfumeur, peut construire le goût du plat qu'il produit.

samedi 10 juin 2023

Les protéines ? Les acides aminés ?



Protéines, acides aminés :  de quoi s'agit-il ?  Commençons par des protéines. Je propose d'en voir, soit en regardant un tas de gélatine en poudre, soit en regardant une feuille de gélatine, soit en considérant de la poudre de blanc d'oeuf, soit en faisant sécher du blanc d'oeuf.
Dans tous ces cas, il y a un solide, souvent vitreux, qui peut être divisé en grains, lesquels apparaissent blancs parce que la lumière blanche se réfléchit sur leurs faces.
Nous aurions pu en voir de vertes, pour des protéines extraites du chanvre... mais la couleur n'aurait pas été celles des protéines, mais d'impuretés dans la matière extraite du végétal.

D'ailleurs, dans quelles matières trouve-t-on des protéines ? Dans tous les tissus végétaux ou animaux... mais il est vrai que les muscles des animaux en contiennent beaucoup. Et, pour les plantes, c'est du côté des légumineuses que l'on ira chercher : pois, lentilles, soja...

Reste que l'extraction la plus simple est à partir du blanc d'oeuf, puisque celui-ci est fait de 90 pour cent d'eau et de 10 pour cent de protéines. Quand on laisse sécher un blanc d'oeuf à l'air, l'eau s'évapore et l'on récupère un solide jaune vert, comme une résine : il est fait quasi exclusivement de molécules de protéines.

Des molécules de protéine ? Si nous regardons le blanc d'oeuf avec un supermicroscope supergrossissant, on voit de petits objets qui bougent rapidement en tous sens : ce sont les molécules d'eau ; et, parmi elles, il y a des sortes de pelotes, qui sont les molécules de protéines.  Dans les deux cas, il s'agit de  molécules mais ces molécules ne sont pas les mêmes. D'ailleurs dans le blanc d'oeuf, les pelotes sont de plusieurs sortes : en chimie, on dit qu'il y a plusieurs sortes de molécules de protéines, ou plusieurs protéines différentes

mercredi 7 décembre 2022

 Le blanc d'oeuf

Ici, je veux décrire le blanc d'oeuf.

Nous savons tous qu'il s'agit d'un liquide un peu gluant, épais, jaune tirant vers le vert et, en réalité, structuré :  comme on le voit quand on casse un œuf dans une assiette très plate ; autour du jaune, le blanc se répartit en une couche avec des marches, et d'autant plus de marches d'ailleurs que l'oeuf est plus frais.

Évidemment, s'il y a du liquide en hauteur, en haut des marches, c'est qu'il ne coule pas, et s'il ne coule pas, cela prouve que ce liquide est retenu.
Effectivement, il est en quelque sorte gélifié : le blanc d'oeuf est un gel  très fragile, mais un gel quand même, et les marches sont toutes des gels différents.

Cela dit, ce qui nous intéresse cette fois, c'est la constitution de ce blanc d'oeuf en molécules puisque nous avons vu que les molécules sont l'essentiel de la matière de la cuisine.

Quand on regarde un blanc d'œuf à la loupe, il est donc transparent et légèrement jaune tirant vers le vert d'ailleurs. Mais il paraît homogène.

Il faut encore un microscope extraordinairement puissant pour voir un tableau bien différent : cette fois, on voit les très nombreux objets tous identiques, que l'on a nommé des molécules d'eau, qui bougent en tous sens, se heurtent, rebondissent les uns contre les autres, à des vitesses de plusieurs centaines de mètres par seconde. Mais contrairement à l'eau pure, le "tableau moléculaire" ne s'arrête pas là : il y a aussi, entre les molécules d'eau,  des objets bien plus gros que les molécules d'eau, comme des fils repliés sur eux-mêmes.
Ces objets-là ce sont ce que l'on nomme des molécules de protéines.

Dans le blanc d'oeuf, il y a des molécules de protéines d'environ 300 sortes.
Et au total, la masse des protéines dans un blanc d'oeuf est environ 10 fois plus faible que la masse des molécules d'eau.

Ces molécules de protéines bougent également mais bien plus lentement que les molécules d'eau.

vendredi 22 juillet 2022

À propos des types de farine


 
Pour les cuisinières et cuisiniers domestiques, le choix des farines n'est pas si grand, et les recettes notamment préconisent surtout l'utilisation de farines "de type 45" ou "de type 55".

Et les livres de cuisine d'ajouter que les farines de type 45 seraient mieux adaptées à  la pâtisserie,  tandis que les farines de type 55 conviendraient mieux pour du pain, par exemple.

Mais l'alimentation française a fait des progrès considérables et, même en supermarché, aujourd'hui, on trouve des farines d'autres types, par exemple 70, ou 80.


Que sont ces "types" ?

On gagnera à se souvenir que la farine est faite à partir de grains de blé qui sont moulus.

Initialement, ces grains ont une enveloppe, le son, et une amande, faite principalement d'amidon.

Plus on conserve le coeur du grain, et plus la farine est blanche... mais moins elle contient de protéines: ce fameux "gluten".

Sauf que, pour selon blés, il y des contenus en protéines très différents, et le coeur d'un blé riches en protéines peut contenir plus de protéines que la partie externe d'un autre blé.

Le "type", c'est le taux de cendres : la masse de cendres qui reste après la calcination d'une masse donnée de farine.

Et, souvent, les farines de type élevé ont plus de protéines que des farines de type inférieur... mais pas toujours, car le taux de cendres et le taux de protéines ne sont pas parallèles.

Cela fait des décennies que je milite pour que les fabricants donnent, sur les paquets, des indications utiles aux utilisateurs.  


mardi 19 avril 2022

La cuisson d'une viande ? D'abord une coagulation

 

Je n'ai pas suffisamment expliqué que la cuisson d'une viande s'apparente à la confection d'une terrine ou à celle d'un œuf dur.

Faisons sauter une viande : cela se fait dans un sautoir ou dans une poêle.
Oui, on saute une viande dans une poêle, mais on ne poelle que dans un poellon.

Bref, dans une poêle fortement chauffée, en présence d'un corps gras qui évite que la viande n'attache au récipient, on voit que la couleur de la viande change, en surface, tandis qu'un peu de fumée part vers le haut.

Mais le principal effet est le durcissement de la viande.

Et là je vous propose  de faire l'expérience qui consiste refermer le pouce et l'index d'une même main, sans serrer. De l'index de l'autre main, vous touchez alors la chair sous le pouce et vous constatez  que c'est très mou.
Puis vous remplacez, l'index par le majeur, toujours contre le pouce,  et l'on s'aperçoit alors que la partie charnue sous le pouce devient plus dure. Avec l'annulaire, c'est encore plus dur,  et avec l'auriculaire c'est encore plus dur qu'avec l'annulaire.
Ces différentes consistances correspondent aux différents degrés de cuisson des viandes sautées : bleu avec l'index, saignant pour le majeur, puis à point et bien cuit.
C'est ainsi que certains cuisiniers reconnaissent le degré de la cuisson  : ils comparent la sensation sentie sous le pouce et celle de la viande en train de cuire.

Mais je reviens à mon point essentiel : la viande qui cuit durcit. Pourquoi ?

Parce que la viande est un faisceau de faisceaux de tubes extrêmement fins  : les "fibres musculaires".

Ces tubes, ces tuyaux, renferment de l'eau et des protéines, c'est-à-dire environ une matière qui a la consistance initiale du blanc d' œuf.

Les protéines principales de l'intérieur des fibres ont pour nom actine et myosine, et elles assurent la contraction des muscles par un mécanisme que je n'explique pas ici.

Car je veux arriver au point essentiel : la dureté progressive de la viande découle de la coagulation de ces protéines.

Oui, dans l'intérieur des fibres d'une viande, il y a coagulation comme dans une terrine, mais avec la différence que les protéines restent dans les fibres musculaires, quand on saute une viande, alors qu'elles sont libérées dans la masse broyée, pour une terrine.

Et le durcissement des viandes à la cuisson est donc tout à fait de même nature que la coagulation d'une terrine, ou encore que la cuisson d'un oeuf sur le plat, ou d'un oeuf dur, par exemple : les protéines font coaguler la masse.

jeudi 17 février 2022

À propos de quenelles : ne vivons pas au Moyen Âge !

 

Il n'y a pas lieu de cuisiner comme au Moyen-Âge : de même que nous ne roulons plus en charette, nous n'avons pas de raison de cuisiner avec des procédés qui étaient déjà présents au Moyen-Âge ou à la Renaissance, n'est-ce pas ?

Pour réaliser des quenelles, il y a à la fois le geste technique de les mouler entre deux cuillères, ce qui s'apprend avec la pratique, mais il y a surtout la question de la juste consistance de la préparation, pour que les quenelles se tiennent quand elles tombent dans l'eau bouillante où elles sont pochées.

Commençons par le mot "poché, qui dit  bien qu'il s'agit de faire une poche où le reste de la préparation est retenu : il doit y avoir une coagulation de la surface, qui maintient l'intérieur de la quenelle.

S'il y a un pochage, c'est manifestement qu'il y a des protéines dans l'appareil, d'une part, et que ces protéines sont en quantité suffisante pour "coaguler"  la couche de surface.

Coaguler ?  Ces protéines sont initialement en solution dans un liquide, fût-il pâteux, et il faut que leur concentration soit supérieure à 5 % environ pour que la coagulation, c'est-à-dire la gélification, puisse se faire.

Et c'est ainsi que les cuisiniers ajustent progressivement leur préparation, afin qu'elle ne soit ni trop dur ni trop tendre, à l'aide d'un œuf.

Mais les oeufs -blanc ou jaune-  apportent simultanément de l'eau et des protéines, alors que, quand l'appareil ne se tient pas, ce sont seulement des protéines dont on a besoin.

Pourquoi ne pas ajouter tout simplement des protéines à l'état pur ? Cela se trouve chez les pâtissiers  : soit de la poudre de blanc d'oeuf, soit de la poudre de jaune. Quelques cuillerées règlent la question.

Décidément, je suis heureux de ne pas vivre au Moyen-Âge.

samedi 21 août 2021

La cuisson des "oeufs parfaits"

Un ami, excellent scientifique, m'avoue ne pas bien comprendre la cuisson des oeufs à basse température, ce que j'avais jadis inventé sous le nom d'"oeufs parfaits", mais que je propose de nommer plutôt "oeuf à 65 degrés" quand ils sont cuits à 65 degrés, ou "oeufs à 67 degrés" quand ils sont cuits à 67 degrés, etc.


Il me faut lui expliquer le mécanisme de la constitution de ces oeufs, puisque si lui ne comprend pas, bien d'autres, aussi, risquent de ne pas comprendre.


1. Commençons simplement par considérer le blanc d'oeuf, parce qu'il est plus simple chimiquement que le jaune.
Ce blanc d'oeuf, c'est 90 % d'eau et 10 % de protéines. Ce qui correspond à 20 000 fois plus de molécules d'eau que de molécules de protéines.

2. Pour comprendre l'effet de la cuisson, il faut savoir que quand on chauffe un matériau,  les molécules du matériau s'agitent plus vite.
Or les molécules de protéines sont comme des pelote repliées sur elles-mêmes, dispersés parmi les molécules d'eau.

3. Quand on chauffe au-delà d'une certaine température, alors les protéines se déroulent, exposant la partie centrale qui, pour les protéines du blanc d'oeuf,  contient un atome de soufre lié à un atome d'hydrogène.

4. Et quand deux molécules de protéines voisines sont ainsi déroulées, alors les atome de soufre peuvent se lier et former des liaisons que l'on nomme des "ponts disulfures". 


5. L'ensemble des protéines attachées  les unes aux autres forme une sorte d'échafaudage dans toute la masse du blanc d'oeuf, une sorte de filet où les molécules d'eau sont piégées, comme des poissons dans un filet.
Et comme l'eau est piégée, elle ne coule plus, de sorte que l'on obtient un solide mou, qui est ce que l'on nomme un gel.

6. À ce point , on ne comprends pas pourquoi la coagulation de l'œuf peut être différente à différentes température, mais c'est cela que j'ai découvert, proposant la théorie améliorée suivante : dans la précédente description, j'ai évoqué des "protéines" sans plus de précisions, mais, en réalité, dans le blanc d'oeuf, il y a plusieurs sortes de protéines, et ces dernières coagulent à des températures différentes.

7. Vers 62 degrés, il y a une sorte de protéines qui coagule et qui forme donc un réseau, le filet dont je parlais.
Avec un seul filet et beaucoup de choses à l'intérieur, on comprend que le gel formé soit très délicat, très fragile. Cela correspond d'ailleurs à la cuisson que l'on observe entre 62 et 65 degrés : le blanc devient à peine laiteux et encore presque liquide ; plus ou moins fragile en tout cas.

8. Puis, si l'on chauffe à 65 degrés, alors un deuxième filet se forme, avec une autre sorte de protéines. Ce deuxième filet s'ajoute au premier, et l'ensemble est mieux tenu  : le gel est  un peu plus opaque et un peu plus solide.

9. Et si l'on porte maintenant la température à 68 degrés, alors c'est un troisième gel qui s'ajoute et le blanc devient un peu plus ferme et un peu plus blanc.

10. Et ainsi de suite jusqu'à 100 degrés où l'on a un empilement de réseaux qui fait le blanc que l'on reconnaît comme être caoutchouteux dans les oeufs durs.

11. Il faut ajouter que tout cela se fait "immédiatement" : dès qu'une température de coagulation est atteinte, la coagulation se fait. Et une fois une coagulation faite, elle ne bouge plus. Autrement dit, si l'on a porté l'oeuf à une certaine température, on peut le refroidir et le réchauffer sans avoir de changement... tant que la température ne dépasse pas celle qui avait été atteinte.