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mardi 19 septembre 2023

Oeufs de cent ans et œufs d'anti-cent ans

Certaines populations d'Asie préparent des œufs de 100 ans, encore nommés œufs de longévité. 

Ce sont des œufs que l'on obtient en plaçant des œufs frais, entiers, dans leur coquille, dans un emplâtre fait d'argile, de paille, et de chaux ou de cendres. Après plusieurs semaines, la « base » (l'hydroxyde de calcium, pour la chaux, ou l'hydroxyde de potassium pour les cendres de bois) a diffusé dans l'intérieur de la coquille, et les protéines du blanc ont coagulé, formant un gel transparent et coloré. 

 

Pourquoi cette coagulation ? 

 

Pensons tout d'abord que le blanc de l'oeuf est fait de 90 pour cent d'eau et de 10 pour cent de protéines. Les protéines sont comme des colliers de perles repliés sur eux-mêmes, et qui évoluent au milieu des molécules d'eau. Les « perles » ont pour nom « résidu d'acide aminé », et chacun de ces résidus porte un « groupe latéral », qui sont : H, CH3, CH(CH3)2, CH2CH(CH3)2, CH2OH, CH(OH)CH3, CH2SH, CH2CH2SONHCH3, CH2COOH, CH2CH2COOH, CH2CH2CH2CH2NH2, CH2CH2CH2NHC(=NH)NH2, CH2C6H5, CH2C6H4OH, CH2-CONH2, CH2CH2CONH2. 

Dans cette liste, C représente l'atome de carbone, O l'atome d'oxygène, N l'atome d'azote, S l'atome de soufre et H l'atome d'hydrogène. 

Surtout, ce qu'il est important de savoir, c'est que certains de ces groupes latéraux se chargent électriquement, quand le milieu est basique (pH supérieur à 7). De ce fait, les protéines sont plus stables quand elles sont déroulées, de sorte que, quand elles contiennent des résidus de cystéine, des ponts disulfure peuvent s'établir entre des protéines voisines (pour ceux qui veulent mieux voir le phénomène, un podcast : http://www.agroparistech.fr/podcast/Why-do-eggs-coagulate.html. Un réseau se forme : l'oeuf gélifie. 

Inversement, aussi, l'acidification provoque la coagulation : je vous invite à mettre sans tarder un oeuf dans du vinaigre pour obtenir un “oeuf d'anti-cent-ans”.

mardi 19 avril 2022

La cuisson d'une viande ? D'abord une coagulation

 

Je n'ai pas suffisamment expliqué que la cuisson d'une viande s'apparente à la confection d'une terrine ou à celle d'un œuf dur.

Faisons sauter une viande : cela se fait dans un sautoir ou dans une poêle.
Oui, on saute une viande dans une poêle, mais on ne poelle que dans un poellon.

Bref, dans une poêle fortement chauffée, en présence d'un corps gras qui évite que la viande n'attache au récipient, on voit que la couleur de la viande change, en surface, tandis qu'un peu de fumée part vers le haut.

Mais le principal effet est le durcissement de la viande.

Et là je vous propose  de faire l'expérience qui consiste refermer le pouce et l'index d'une même main, sans serrer. De l'index de l'autre main, vous touchez alors la chair sous le pouce et vous constatez  que c'est très mou.
Puis vous remplacez, l'index par le majeur, toujours contre le pouce,  et l'on s'aperçoit alors que la partie charnue sous le pouce devient plus dure. Avec l'annulaire, c'est encore plus dur,  et avec l'auriculaire c'est encore plus dur qu'avec l'annulaire.
Ces différentes consistances correspondent aux différents degrés de cuisson des viandes sautées : bleu avec l'index, saignant pour le majeur, puis à point et bien cuit.
C'est ainsi que certains cuisiniers reconnaissent le degré de la cuisson  : ils comparent la sensation sentie sous le pouce et celle de la viande en train de cuire.

Mais je reviens à mon point essentiel : la viande qui cuit durcit. Pourquoi ?

Parce que la viande est un faisceau de faisceaux de tubes extrêmement fins  : les "fibres musculaires".

Ces tubes, ces tuyaux, renferment de l'eau et des protéines, c'est-à-dire environ une matière qui a la consistance initiale du blanc d' œuf.

Les protéines principales de l'intérieur des fibres ont pour nom actine et myosine, et elles assurent la contraction des muscles par un mécanisme que je n'explique pas ici.

Car je veux arriver au point essentiel : la dureté progressive de la viande découle de la coagulation de ces protéines.

Oui, dans l'intérieur des fibres d'une viande, il y a coagulation comme dans une terrine, mais avec la différence que les protéines restent dans les fibres musculaires, quand on saute une viande, alors qu'elles sont libérées dans la masse broyée, pour une terrine.

Et le durcissement des viandes à la cuisson est donc tout à fait de même nature que la coagulation d'une terrine, ou encore que la cuisson d'un oeuf sur le plat, ou d'un oeuf dur, par exemple : les protéines font coaguler la masse.

lundi 21 février 2022

Le beurre et l'oeuf


Un enfant m'interroge : pourquoi l'œuf durcit au feu alors que le beurre fond ?
La question est posée, donc, par un enfant, mais elle a de quoi intriguer n'importe quel adulte ! Puisse cet enfant rester assez émerveillé, pour devenir un adulte qui posera des questions analogues.

Pour le beurre, c'est essentiellement de la matière grasse, mais avec un peu d'eau dispersée dedans... comme on le voit en chauffant doucement du beurre : de l'eau trouble se dépose en bas du récipient, et la graisse pure surnage ; cette dernière est ce que l'on nomme le beurre clarifié.
Mais restons à la graisse pure : elle fige à froid, mais fond à chaud. Pourquoi ? Parce que la matière grasse est fait de tout petits objets, que l'on nomme des molécules de triglycérides, et qui sont comme des peignes à trois dent souples. Ces objets sont faits d'atomes (pensons à des boules, pour simplifier) de trois sortes : des atomes de carbone, des atomes d'oxygène et des atomes d'hydrogènes. Et, aux températures assez douces où l'on chauffe du beurre pour le fondre (moins de 60 degrés), les molécules ne sont pas modifiées, et l'énergie que l'on donne sert seulement à faire bouger assez les molécules pour que, au lieu de rester empilées, elles puissent se déplacer, et faire un liquide. Car un liquide, c'est de la matière où les molécules peuvent bouger, au lieu que, dans un solide, les molécules sont immobiles, même si elles peuvent encore vibrer autour de leur position fixe.

Pour l'oeuf, considérons le blanc, qui est plus simple que le jaune (mais le principe est le même) : ce blanc d'oeuf est fait majoritairement (90 pour cent) d'eau, et de 10 pour cent de "protéines", dont les molécules sont comme des colliers de perles repliés sur eux-mêmes (pour ces protéines là). Quand on chauffe du blanc d'oeuf, les molécules d'eau et les molécules de protéines s'agitent plus rapidement, et les colliers de perle sont déroulés (on dit "dénaturés"). Mais il se trouve que des atomes particuliers qui se trouvaient dans les molécules des protéines de l'oeuf, et plus précisément des atomes de soufre, peuvent s'attacher. Les protéines déroulées s'attachent donc, formant un réseau à trois dimensions (imaginons une toiles d'araignée dans toutes les directions), où les molécules d'eau sont piégées. Cette "coagulation" forme ce que l'on nomme un gel, un solide mou, qui ne coule plus.

dimanche 18 juillet 2021

À quelle température ajouter du lait à une farce pour faire un boudin blanc

Un boudin blanc, c'est de la chair de volaille et de porc broyée parfois avec de la mie de pain, de l'oeuf et du lait. L'appareil est travaillé, puis  il est mis dans un boyau et il est ensuite poché.
Parmi les critères de qualité du boudin blanc,  il y a notamment le fait que, à la cuisson,  le boudin doit se tenir: il est considéré comme une faute qu'il s'émiette.

Bref, on part  d'une farce avec de la viande, de l'oeuf, de la mie de pain, et on ajoute du lait qui,  pour des raisons de sécurité sanitaire,  est bouilli.
Se pose la question de la température maximale à laquelle on peut mettre le lait dans la farce.


Les éléments en présence

La farce c'est  d'abord de la chair,  c'est-à-dire du tissu musculaire : la masse du muscle est constituée de fibres musculaires alignées ; chaque fibre est comme un tuyau, avec une gaine de tissu collagénique (la protéine qui fait la gélatine quand la chauffe longtemps) et, à l'intérieur,  comme du blanc d'oeuf,  sauf que au lieu d'avoir de l'eau et des protéines du blanc d'oeuf, on a de l'eau les protéines de la viande, c'est-à-dire surtout des actines et des myosines.
Quand on coupe les fibres musculaires, on les divise, mais leur malaxage aide à libérer leur contenu, c'est-à-dire qu'on libère dans la mêlée de l'eau et des protéines.

D'autre part,  les oeufs,  c'est essentiellement de l'eau et des protéines, avec un peu de matière grasse.

Quant à la mie de pain trempée dans du lait, c'est une matière un peu inerte, puisque elle va faire un empois,  c'est-à-dire une charge qui va donner un peu de moelleux.

Enfin, si l'on ajoute du gras, ce dernier est dispersé dans la phase aqueuse apportée précisément par la viande et par les oeufs.


L'ajout du lait

Si l'on chauffe trop cette préparation, avec le lait qui serait bouillant, avant la cuisson proprement dite des boudins blancs, alors les protéines de la chair et des oeufs vont coaguler localement, de sorte qu'elles ne sont plus disponibles ensuite pour assurer la gélification de l'ensemble. De ce fait, à la découpe de consommation, après la cuisson, le boudin blanc va s'émietter, les rondelles coupées ne se tiendront pas.  Il faut donc éviter que le lait ne coagule les protéines quand on l'ajoute à la mêlée, avant la cuisson des boudins blancs.
Disons cela différemment. Supposons que j'ai des morceaux d'oignons dans une poêle, et que j'ajoute de l'oeuf battu ; si je cuis, je fais une omelette, donc une sorte de masse coagulée continue, comme un flan. Mais si je travaille ensuite l'omelette, alors elle se divisera... et si je cherche ensuite à la recuire, je ne récupérerai pas l'omelette bien homogène, d'un seul tenant. Avec notre mêlée, c'est pareil, mais les protéines qui coagulent sont celles de la viande et des oeufs.

Bref, pour éviter la coagulation intempestive due au lait chaud,  il est bon de connaître la température de coagulation des protéines des oeufs et de la viande. Pour la viande, on aurait intérêt à garder une température de 55 degrés en mémoire, mais pour les oeufs, la température la plus basse à partir de laquelle il y a coagulation est environ  62 degrés.
Autrement dit, on aura toujours intérêt à ajouter le lait quand on peut mettre la main contre le flanc de la casserole de lait sans se brûler : c'est ainsi qu'on l'ajoutera à la mêlée sans la coaguler localement.
Y a-t-il une température minimale pour le lait ? Là je ne vois pas de d'inconvénient à mettre un lait très froid parce que le lait, c'est de l'eau de la matière grasse et quelques protéines. L'eau va s'ajouter, tant  qu'elle n'est pas congelée. La matière grasse, elle, s'ajoutera à   la matière grasse dispersée dans l'appareil.Quant aux protéines, elles ne risquent rien de spécial.



lundi 5 octobre 2020

A propos de transitions en cuisine

science/études/cuisine/politique/Alsace/émerveillement/gratitude

 

 

 

1. On m'interroge pour savoir si l'on parviendrait à cuire des spaghettis en les stockant longtemps dans l'eau froide, et cette question m'arrive alors je reçois une autre question sur la cuisson des oeufs, où mon interlocuteur cherche (pourquoi ?) à optimiser l'énergie dépensée pour la cuisson, en faisant séjourner également les oeufs dans l'eau froide après avoir stoppé la cuisson plus tôt.

2. Bon, pourquoi ne pas répondre... mais pour moi qui ne cesse de réclamer un objectif avant d'emprunter un chemin, j'hésite quand même:
1. car pourquoi vouloir mettre des spaghettis dans l'eau froide, alors qu'il suffit de quelques minutes dans l'eau chaude pour les cuire ?
2. et pourquoi gagner des quantités d'énergies minimes, quand les mêmes roulent dans de grosses voitures, et gaspillent l'énergie à qui mieux mieux ?

3. Pour sûr, l'innovation ne vient pas de la répétition, et c'est quand on fait "autrement" que l'on peut trouver d'autres manières de faire.

4. Mais il ne s'agit pas de faire tout et n'importe quoi  au hasard, sans quoi on fait de l'empirisme.

5. Or on sait combien la cuisine a peu progressé de cette manière : la mayonnaise n'a été découverte que vers le début du 19e siècle, et des préparations comme le "chocolat chantilly" n'ont été inventées (par moi, en l'occurrence) qu'en 1995. Oui, l'empirisme a été balayé par la physico-chimie, et, plus précisément, par la science de la nature nommée "gastronomie moléculaire".

6. Pour les spaghettis et l'oeuf, il y a quelque chose en commun, à savoir des phénomènes qui découlent d'échauffements.  

7. Or les chimistes savent bien  qu'il y a des réactions qui se font plus ou moins rapidement, selon la température. Et une règle approximative dont ils usent est que la même réaction double de vitesse tous les 10 degrés supplémentaires.

8. C'est  hélas le cas des réaction de glycation (entre des sucres et des protéines), qui sont responsables de l'opacification du cristallin des personnes qui souffrent de diabète : c'est qui explique que réaction de glycation, fautivement nommée réaction de Maillard par ceux qui ne savent pas assez de chimie, se font en 10 minutes à 200 degrés mais en une vie à la température du corps c'est-à-dire de 37 degrés.

9. Mais je propose de ne pas oublier qu'il existe aussi des transitions qui, elles, ne doivent rien au temps, mais tout à la température Par exemple, si on prend de la glace à moins 10 degrés Celsius, on aura beau attendre des millions d'années, elle ne fondra pas, parce qu'on n'a pas atteint la température de zéro degré. De même, si on prend de l'eau liquide, il n'y aura pas d'ébullition tant qu'on aura pas atteint 100 degrés. Certes, il y aura de l'évaporation,  mais pas d'ébullition, laquelle est caractérisée par une transition brusque.

10. La physique est intéressée depuis longtemps à cette question des transitions : transitions de phase par exemple.

11. Pour la coagulation, heureusement qu'il y a une température de transition ! Car sinon, nous cuirions à ce feux doux qu'est la température de 37 degrés Celsius. En effet notre corps contient des protéines qui coagulent, et il y a une température à laquelle cela se produit.  La coagulation est, heureusement, un phénomène qui dépend de la température, non du temps.

12. Comme pour le blanc d'oeuf : on peut le chauffer aussi longtemps que l'on veut ; il ne coagulera que si l'on dépasse 62 degrés Celsius.

13. Pour les spaghettis, il y a deux questions : l'hydratation des spaghettis, et l'hydratation des grains d'amidon. Voici ce que l'on obtient si l'on fait tremper quelques jours des spaghettis dans l'eau froide (20 degrés Celsius). 

 


 

 


 

D'une part, les spaghettis s'hydratent, mais la question n'est pas là : dans la mesure où les spaghettis sont faits de grains d'amidon, la question est de savoir si ces grains sont, eux, empesés... sans oublier que la cuisson rend l'amidon digeste en le dissociant chimiquement (et cela m'étonnerait bien qu'il le soit dans l'eau froide).


vendredi 13 mars 2020

A propos des omelettes (suites)

Suite à mon billet d'avant hier, je reçois le message suivant : 

je viens de lire votre très intéressant billet sur la cuisson des omelettes. Si je
comprends bien ce que nous avez expliqué par ailleurs (à propos de la gélatine  ou des confitures)  une omelette c'est donc un gel. Mais contrairement à la gelée la transformation est irréversible.

Je suis content que vous fassiez un billet la-dessus parce que ça fait longtemps que je me demande ce qui se passe lorsqu'on cuit un bifteck. Ce ne sont pas les m^emes protéines (actine et myosine si je me souviens bien d'un billet précédent) mais j'imagine que là encore les protéines s'attachent les unes aux autres pourdonner un steack cuit).


Et ma réponse, qui n'a pas tardée : 

 
Merci de votre message. Oui, un oeuf qui cuit est un gel, et un gel (assez) irréversible (en tout cas, quand on se limite aux moyens culinaires (en laboratoire, j'ai décuit des oeufs, comme je l'explique dans un article publié en 1997). 
Oui, à l'intérieur des fibres musculaires (actines, myosines) d'une viande, la "cuisson", c'est notamment la coagulation de ces protéines, et le même type de "gélification", d'où un durcissement (du steak bleu au steak bien cuit).
bonne journée

jeudi 12 mars 2020

Même pour une simple omelette


Même pour une simple omelette je m'aperçois qu'il y a lieu de  donner des explications.
Oui, depuis quelques semaines, je me suis mis à expliquer les transformations qui surviennent lors de la préparation des certains plats compliqués : cassoulet, soufflé, etc. Mais c'est souvent bien compliqué, et des amis me demandent des explications pour des choses bien plus simples, en quelque sorte : les omelettes.
D'ailleurs, je m'aperçois que je suis tombé dans un travers d'analyse insuffisante : j'ai privilégié des recettes "intéressantes" à des recettes utiles (à mes amis).

Pour une omelette, donc,  il s'agit de battre de l'oeuf, et de chauffer l'oeuf battu. Là,  les informations de base sont les suivantes : le blanc d'oeuf est fait de 90 pour cent d'eau et de 10 pour cent de protéines, tandis que le jaune est fait de 50 pour cent d'eau, de 15 pour cent de protéines et 35 pour cent de lipides (disons de "graisse"). Au total, il y a donc beaucoup d'eau avec des protéines, et un peu de graisse.
La graisse  n'étant pas soluble dans l'eau, elle est nécessairement dispersée sous la forme de gouttelettes. Et elle n'intervient pas notablement lors  de la cuisson.
On peut donc ne considérer que le chauffage de l'eau et des protéines, comme si la graisse n'était pas présente  : elle ne changera que la consistance plus ou moins crémeuse, en fin de cuisson.

De l'eau et les protéines  ?  Il faut imaginer un ensemble de billes pour représenter les molécules d'eau au milieu desquelles flottent des pelote de laine, pour représenter les protéines.


Quand on chauffe tout cela, les molécules s'agitent de plus en plus vite, et les pelotes se déroulent. Mais la différence entre des pelotes de laine et des protéines, c'est que les protéines déroulées s'attachent et  forment une espèce de toile d'araignée dans toutes les directions, emprisonnant les molécules d'eau. C'est cela qu'il faut apprendre à voir, quand on regarde une omelette  : un filet souple qui emprisonne les molécules d'eau.










Évidemment, si l'on agite l'omelette (avec une fourchette, on peut casser  localement le filet, ce que l'on nomme un réseau : on forme alors des morceaux d'omelette. Et si l'on agite bien plus vigoureusement, on peut aller jusqu'à l'oeuf brouillés.
Mais en tout cas, voilà la description générale du phénomène.

samedi 8 février 2020

Au fond, il y a 3 grandes réactions en cuisine : la coagulation des protéines, l'hydrolyse des protéines, l'hydrolyse des pectines


Je me suis interrogé sur les transformation moléculaire qui ont lieu quand on cuisine et j'ai finalement conclu qu'il y en avait principalement trois... et plus.

Mais je propose d'observer,  tout d'abord, que je parle de transformation moléculaires et non pas de réactions chimiques. C'est juste, car une réaction entre des molécules, c'est une réaction entre des molécules, ou réaction intermoléculaire. Cette réaction ne devient "chimique"  stricto sensu  que lorsqu'elle est étudié par un scientifique spécialisé en chimie, un "chimiste". On a l'impression que je pinaille un peu, mais en réalité, puisque la pensée, ce sont les mots, n'avons-nous pas tout intérêt à avoir des mots juste pour penser juste ?
Cela nous permettra de mieux faire la part des choses, et, notamment, d'éviter de croire que la cuisine soit de la chimie. En effet, la cuisine est une technique de production des aliments, éventuellement associée à une composante artistique, alors que la chimie est une science de la nature, qui vise à comprendre le mécanisme des phénomènes. Rien à voir par conséquent.


Mais j'arrive maintenant à la question des transformations moléculaire en cuisine.



En réalité, quand on cuisine,  il y a des myriades de réactions, et notamment parce qu'il y a  des myriades de composés. Mais il y a des réactions "fréquentes", et d'autres qui le sont moins.  En effet, commençons par observer que la cuisine utilise des ingrédients pour construire des aliments. Ces ingrédients sont traditionnellement des tissus végétaux ou animaux, ce que l'on dirait plus couramment légumes, fruits, viandes, poissons, oeufs...
Commençons  par les ingrédients d'origine animale, faites principalement d'eau, de protéines, de lipides. L'eau ce n'est pas transformée quand on la chauffe ; du moins, sa molécule n'est pas modifiée, même quand l'eau s'évapore. En revanche, les protéines peuvent réagir : d'une part, certaines peuvent se lier chimiquement, comme quand un blanc d'oeuf coagule, ou qu'une viande, un poisson cuisent (on voit bien la perte de transparence, comme pour le blanc d'oeuf). Mais certaines protéines se dégradent :  par exemple quand on attendrit une viande. Dans le premier cas, on a la "coagulation des protéines", et dans le second, on a ce que nomme leur "hydrolyse".
Pour la coagulation des protéines,  c'est assez simple, car la réaction principale est la formation de liaisons nommées ponts disulfure entre certains maillons de ces chaînes que sont les protéines :  il s'agit en réalité d'une réaction d'oxydation. Pour la seconde, que l'on observe par exemple quand on cuit longuement du pied de veau et qu'on le récupère de la gélatine dans une espèce de soupe pleine d'acides aminés et de peptides, les chaînes que sont les protéines se déplient, puis se dégradent en morceaux plus ou moins long  : ce sont ces petits  morceaux que l'on nomme peptides, ou acides aminés quand ce sont les morceaux élémentaire des chaînes de protéines. 
Pour les produits végétaux maintenant, la constitution est différente, car  ces tissus sont fait principalement d'eau et de composés de la famille des saccharide, disons les sucres. Il y  a soit les polysaccharides, de longues chaînes  comme l'amidon ou la cellulose,  et de petits sucres comme le saccharose ou encore plus petits, le glucose ou le fructose, par exemple.
A la température de 100 degrés, qui est souvent atteinte en cuisine (en effet, même si l'on chauffe à plus de 100 degrés, la température à l'intérieur des ingrédients reste de 100 degrés  ou moins tant que l'ingrédient contient de l'eau), alors la principale réaction est une "hydrolyse", à nouveau la division de nos chaînes en petits morceaux. C'est ainsi que les carottes s'amollissent, par exemple. En effet, les carottes sont dures parce qu'elles sont faites de cellules qui sont entourées d'une paroi végétale, et cette paroi est faite de celluloses, des polysaccharides résistants. Les piliers de cellulose qui composent la paroi sont reliés par des sortes de cordes que sont les molécules de pectine. Or quand on cuit, les pectines sont dégradées par une réaction d'hydrolyse qui est plus particulièrement nommée "élimination bêta".

Là, on a fait le tour des principales réactions... et puisque nous avons fait le tour, j'ai la conviction que si l'on parle de chimie dans le cursus des cuisiniers, c'est d'abord de ces trois réactions qu'il faut parler,  car je ne cesse de répéter que c'est une bonne pratique que de considérer l'essentiel avant l'accessoire, le gros avant le détail. Quelqu'un qui plongerait d'abord dans l'insignifiant serait nommé en alsacien Diffalaschiesser, ou chieur de rondelles mais surtout, intellectuellement, il ou elle ferait une faute intellectuelle.
Cela dit, il faut quand même que la cuisine n'est  pas seulement une question de consistance, mais aussi de goût. Une viande qui brunit, c'est rien du point de vue des quantités, mais essentiel du point de vue du goût. Et c'est pour cette raison que j'ai  parlé du "diamant de la cuisine". Les brunissements, ce sont des tas de réactions bien plus complexes que les trois évoquées. Faut-il entrer dans ces détails, dans la formation des cuisiniers ?

mercredi 15 janvier 2020

Les terrines : une suite plus détaillée, plus simple, mieux expliquée (j'espère)


Il paraît que je me suis insuffisamment expliqué à propos des terrines quand j'ai décrit le processus de hachage. Je donne donc des explications supplémentaires.

Nous partons de viande ou de poisson  : le microscope montrerait que, dans les deux cas, la chair est faite de très fins tuyaux juxtaposés, groupés en faisceaux : pensons à des tubes collés les uns avec les autres, tous dans la même direction.
C'est tubes, ces tuyaux sont en réalité nommés des fibres musculaires. L'intérieur des tuyaux, c'est effectivement de l'eau et des protéines, comme du blanc d'oeuf : imaginons un ensemble de petites billes au milieu desquelles se trouve des  fils. Les billes représentent les molécules d'eau, et les fils représentent les protéines.


En réalité, les protéines sont organisées dans les fibres musculaires en vue d'assurer la contraction musculaire, mais je propose pour simplifier ici de ne pas entrer dans le détail de cette organisation.
Ce qui se passe quand on hache la viande, c'est que l'on coupe les tuyaux :  évidemment, l'eau et les protéines sont libérés, de sorte que finalement, la viande hachée, c'est de l'eau dans laquelle se trouvent à la fois des bouts de tuyau et les fils.

Oublions cette complexité et ramenons-nous simplement à une structure faite d'eau dans laquelle flottent les protéines, c'est-à-dire les fils. Quand on chauffe, les protéines s'attachent en un grand réseau qui piège l'eau, tout comme lors de la coagulation du blanc d'oeuf.
Et c'est là que je n'ai pas assez expliqué que le blanc d'oeuf, c'est précisément de l'eau et des protéines. Et quand on chauffe du blanc d'oeuf, les protéines (pensons aux fils) se déroulent un peu et s'attachent, formant un grand réseau qui piège l'eau.
Pieger l'eau,   cela signifie qu'elle ne peut plus couler, et que l'on a une masse molle et solides, qui ne coule pas. 

Et voilà pourquoi de la viande broyée que l'on cuit comme dans une terrine est un cousin du blanc d'oeuf qui coagule.

samedi 2 novembre 2019

Comment rater des crêpes

Crêpes ? Galettes ? Les Bretons font bien la différence, à savoir que les crêpes sont de froment, avec du lait et de l’œuf, tandis que les galettes sont de blé noir, avec de l'eau et du lait, sans œuf.
On a supposé que ces préparations étaient nées de la cuisson prolongée de farine et d'eau, comme quand on fait une bouillie. L'évaporation aurait laissé une mince couche qui se tenait : la crêpe était née.
Puis, bien sûr, il y eut des ajouts, tel l’œuf, qui fait tenir parce que ses protéines coagulent, mais donne aussi du goût. Mais c'était déjà une préparation de  riche. Puis, dans certaines régions, il y eut la bière, qui apportait du moelleux ; ou du blanc d’œuf battu en neige, pour augmenter le volume et changer la consistance. Bref, mille crêpes différentes sont nées.

Ce qui reste, c'est que la crêpe est une mince couche, avec de l'amidon empesé dans un liquide (eau, lait, bière), et, parfois, de l’œuf qui donne de la consistance à l'ensemble.

Rater une crêpe ? Il y a les crêpes qui cassent quand on les tourne, ou encore les crêpes qui brûlent par endroits et restent  insuffisamment cuite ailleurs... Pour les crêpes qui cassent, c'est que leur tenue n'est pas suffisante, évidemment, ou, autrement dit, que leur tenue n'est pas suffisante par rapport à leur poids. Ainsi, quand l'instrument de cuisson n'est pas parfaitement plat, il peut y avoir un centre épais et des bords trop minces, ou un centre trop mince et des bords épais. Dans le premier cas, les bords seront brûlés quand le centre restera insuffisamment cuits, et la crêpe cassera quand on voudra la retourner. Dans le second cas, le centre ne tiendra pas la couronne épaisse autour, à moins que celle ci ne se soutienne seule... mais comme on aura retourné pour éviter que le centre ne soit brûlé, il y a fort à parier que la crêpe ne se tiendra pas.
Cela étant, la maîtrise du feu s'impose même quand l'ustensile est plat, parce que... Avez vous observé que les crêpes ne sont pas identiques sur les deux faces, quand elles sont un peu épaisses? En effet, la première face est est très liquide, et il y a évaporation de l'eau, tandis que l'amidon s'empèse, que l’œuf coagule éventuellement. Puis vient un moment où la coagulation est faite dans toute la masse, et la crêpe commence à gonfler par endroits, malgré des cheminées. Si l'on retourne, alors la face qui arrive contre l'outil de cuisson est déjà cuite, de sorte que cette fois, l'eau sous la forme de vapeur ne peut plus s'échapper, et c'est là que de grosses cloques se fond, avec la crèpe qui n'est plus au contact de l'ustensile, par endroits, alors qu'elle y reste ailleurs... et brunit parfois trop fort. Là, ce serait bon de pouvoir réduire le feu, n'est-ce pas ?

Bref, bien des façons de rater une crêpe. Les réussir ? Avec des crêpes très minces, bien des écueils précédents disparaîtront, parce que la vapeur d'eau peut s'échapper mieux !


dimanche 22 septembre 2019

Les réactions les plus importantes en cuisine ? Pourquoi pas la beta élimination des pectines et la coagulation des protéines

Les enfants sont souvent fautifs par manichéisme : "Tu préfères quoi : les fraises ou les framboises ?" ; à quoi je réponds "les cassis". Sans compter que les choix sont changeants, et souvent non transitifs : on peut parfaitement préférer les framboises aux fraises, les cassis aux framboises, mais les fraises aux cassis !
Mais récemment, ce sont des adultes qui m'ont posée une de ces questions pas toujours judicieuses : "Quelles sont les réactions les plus importantes en cuisine ?". Et là, mon petit "radar interne" m'alerte aussitôt, à entendre le mot "important". D'abord, c'est un adjectif, et, d'autre part, il y a ce sens du mot qui veut faire croire qu'il y a quelque chose d'essentiel... mais de quel point de vue ? Important : fréquent ? par ses conséquences ? par son histoire ? Dans mon laboratoire, nous avons l'interdiction d'utiliser les adjectifs, et nous devons répondre à  la question "combien ?".

Mais tout cela étant dit, cela n'est pas inutile de signaler que, puisque nous consommons principalement des tissus animaux ou végétaux, les modifications de ces tissus sont les plus fréquentes. Or, quand on cuit une viande, les protéines de l'intérieur des fibres musculaires coagulent, puis le tissu collagénique se dégrade. Et quand on cuit une carotte, elle s'amollit parce que les pectines sont "hydrolysées", dégradées, ce qui amollit le tissu végétal.  Cette hydrolyse particulière a pour nom "bêta élimination".
Bref, la coagulation des protéines et la dégradation des pectines seraient les réactions les plus "importantes, en cuisine.

Et là, c 'est assez pour aujourd'hui, car à haute dose, comme disait mon ami Jean Jacques, la chimie devient... empoisonnante (pour certains, seulement pour certains).

mardi 14 mai 2019

Les terrines

Les terrines ? Cela fait longtemps que je voulais faire ce billet, qui devrait éclairer des pratiques, en montrant comment la généralisation est mère de l'invention.

Commençons par considérer un morceau de viande ou de poisson cru. C'est un assemblage de "fibres musculaires", à savoir des "tuyaux" de diamètre microscopique, assemblés en faisceaux. Chaque tuyau est donc composé d'une enveloppe, et d'un contenu.




L'enveloppe : il s'agit d'un "tissu" (pensons à un mouchoir ou à une feuille de papier) fait de fibres, qui sont du "collagène", à savoir des protéines qui s'arrangent en triples hélices, ces triples hélices se disposant les unes à côté des autres. Ces protéines ne font pas coaguler à la chaleur... mais quand on cuit longtemps, on défait le tissu collagénique, et on libère ces protéines... qui, au refroidissement, peuvent faire gélifier une solution aqueuse (un bouillon, par exemple), puisque le tissu collagénique défait engendre la "gélatine".
L'intérieur : il y a essentiellement de l'eau et des protéines, dont notamment deux sortes, qui sont nommées "actines" et "myosines". Celles-ci peuvent coaguler à la chaleur, comme pour les protéines du blanc d'oeuf. 

Broyons maintenant cette chair : le broyage, quand il est soigneux, libère l'eau et les protéines, formant une "pâte". Puis, si nous chauffons cette pâte, on observe la coagulation, parce qu'il y a des protéines coagulantes. Et la masse coagulée est ce que l'on nomme un "gel", puisque, par définition, un tel système est un liquide piégé dans un solide : n'oublions pas que la viande est faite de 75 pour cent d'eau !
Et si l'on avait ajouté de la matière grasse avant la cuisson ? Tant que la quantité est raisonnable, la matière grasse est piégée dans le gel, tout comme l'eau, mais dispersée sous la forme de gouttelettes.
Et si l'on avait ajouté de la mie de pain trempée dans du lait ? La mie de pain est faite d'amidon et de protéines, de sorte que ces molécules seraient venues dans le gel.
Et si l'on avait ajouté de la crème ? La crème est une émulsion, faite d'eau, de protéines et de matière grasse : tout se serait dispersé dans la pâte initiale, et aurait été piégée dans la masse coagulée. Et de la crème fouettée  ? Des bulles se seraient ajoutées, formant une pâte foisonnée.
Et si l'on avait ajouté un alcool (un bon Armagnac, par exemple) ? Il serait venu se dissoudre dans l'eau de la  pâte. 
Et si l'on avait ajouté un blanc d’œuf battu en neige ? Comme pour la crème fouettée, cela aurait fait foisonner la pâte, en ajoutant des protéines qui auraient contribué à la coagulation.
Et si l'on avait ajouté des morceaux plus durs : noisettes, pistaches, etc. ? Elles se seraient dispersé dans la pâte, donnant du croquant à la masse coagulée.
Et si...

On le voit : les possibilités sont innombrables, et l'on peut régler à volonté la consistance finale.
Mais... au fait, pourquoi le nom de terrine ? Ce nom n'est juste que si l'on cuit dans un récipient en terre, nommé terrine. Si l'on avait cuit dans un linge nommé mousseline, on aurait obtenu une mousseline. Si l'on avait poché de petites masses, on auraient obtenu des quenelles. Si l'on avait cuire de  petites boules, on aurait obtenu des boulettes. Si l'on avait frit, on aurait eu des croquettes. Si l'on avait...

Tout est possible, toutes les formes sont possibles, tous les assaisonnements sont possibles.
Mais l'idée de base est simple : de l'eau avec des protéines appropriées peut coaguler à la chaleur !








PS. J'avais oublié : cela fait partie des "commandements" que j'indique dans "Mon histoire de cuisine"


vendredi 2 novembre 2018

A propos d'oeuf, à nouveau

Des questions, des réponses.  En l'occurrence, il s'agit d'une étudiante qui fait un travail personnel encadré. Je l'avais renvoyé sur mon site... où figurent mille informations. D'ailleurs, elle écrit : 

Que d’informations ! Mille mercis.

Les liens sont super et votre espace sur les TPE m’a effectivement bien éclairée. J’ai pu aussi trouver énormément de livres à la bibliothèque. Dommage, la tome 1 de gastronomie moléculaire n’est pas empruntable, seulement à consulter sur place !


 Mon commentaire : on peut sans doute acheter le livre chez Quae ou chez Belin.


Finalement, après réflexion et tous les conseils que vous donnez pour le TPE, je pense donc me focaliser sur la gélification de l’œuf , et l’explication de la modification de la structure protéique ainsi que la réalisation de l’œuf parfait. C’est mieux, non ?

 Oui, c'est bien mieux... à cela près que je n'utilise plus la terminologie d'oeuf parfait, mais d'oeuf à XX°C, parce que la perfection n'est pas de ce monde.


Aujourd’hui, j’ai voulu tester « à l’aveugle » votre cuisson de l’œuf parfait avec la boite d’œufs mise directement dans le four (sans mes 2 camarades car c’est les vacances !). Cependant, le four de ma mère n’étant pas précis, la température a oscillé entre 61 et 72°C, et disons que le blanc était encore gluant et translucide, et le jaune liquide !

 Apparemment, l'oeuf obtenu est un oeuf à 65°C, car si le blanc est opaque et qu'il se tient bien, avec un jaune liquide, c'est le critère, comme on le voit sur l'image suivante :



Aussi, je vais tenter la réalisation au lave-vaisselle, j’ai regardé la notice de mon lave-vaisselle, qui a bien un programme à 65°C mais de 58mn seulement !

Il faudra faire attention à ne certainement pas croire ce qui est indiqué dans la notice : pour connaître la température, il faut un thermocouple dans la machine... ou un oeuf ;-)



Comment avez-vous déterminé la durée de 60mn ? est-ce par un calcul ou en expérimentant par tâtonnement ?

Les deux. D'une part, l'application de la seconde loi de Fourier, et, d'autre part, la mesure avec un thermocouple planté dans le jaune.



Du coup, je vais peut-être lancer 2 fois de suite le prg et arrêter le deuxième lavage au bout de 20mn… Sachant que je compte mettre 2 œufs, un qui aura subi un cycle, et l’autre 1cycle et ½. Pensez-vous que c’est ainsi que je dois expérimenter ?

 Tout dépend de l'objectif. Mais surtout, dans mon groupe de recherche, je ne réponds pas aux étudiants, sans quoi je leur vole le plaisir d'avoir fait eux-mêmes, et je leur demande de construire leur propre chemin à partir d'un objectif clair. Pour les aider, toutefois, à trouver la réponse à leurs questions, je leur enseigne la méthode du "soliloque (que l'on trouvera dans certains de mes "cours en ligne", notamment sur https://tice.agroparistech.fr/coursenligne/main/document/document.php?cidReq=PHYSICOCHIMIEPOURLAF&curdirpath=/Des%20elements%20de%20cours/Methodes%20-en%20francais-)

Sinon, j’ai trouvé un article sur internet, qui explique comment faire facilement un œuf à 65°C, disant la chose suivante :
« Nous savons que la température au centre d'un œuf mis dans de l'eau à 100°C a besoin d'une dizaine de minutes pour dépasser 60°C, qui est la température à laquelle le jaune devient solide. Par un petit calcul que les lecteurs intéressés trouveront en annexe, nous en concluons qu'il faut environ ¾ d'heure pour atteindre au centre de l'œuf le 95% de la température de l'eau dans laquelle il est plongé. D'autre part si la température de 65°C doit être tenue de manière assez précise pour obtenir le jaune malléable typique, le blanc d'œuf supporte sans dommage quelques degrés supplémentaires. Nous voyons donc que nous pouvons obtenir un œuf presque parfait en le plongeant environ 1 heure dans une eau dont la température est légèrement plus élevée que 65C. Comme nous ne disposons pas d'eau à température parfaitement constante, nous pouvons démarrer un peu plus chaud et laisser refroidir, pourvu que la température ne diminue pas trop vite… »…
Ensuite, cet article donne le protocole pas à pas afin de réaliser facilement l’œuf parfait.

Cependant, je ne sais pas comment a été calculé le temps de «  ¾ d'heure pour atteindre au centre de l'œuf le 95% de la température de l'eau dans laquelle il est plongé ». (il n’y a pas d’annexe).

Oui, c'est un article bizarre. Que signifie que "le blanc d'oeuf supporte quelques degrés supplémentaires", par exemple ? Et puis, il y a des tas d'erreurs dans ce texte. Et puis, pourquoi n'ont-ils pas une température constante ? Après tout, ce n'est pas difficile d'avoir une grande quantité d'eau (pour avoir plus d'inertie) que l'on chauffe par moments pour la garder à 65, à un ou deux degrés près ? Evidemment, si l'on a un thermoplongeur, c'est quand même plus simple !

mercredi 9 mai 2018

Il y a les protéines thermocoagulantes, et les autres

Les protéines sont variées. Toutes ont des molécules faites par des successions de résidus d'acides aminés, mais leurs "activités biologiques" sont variées.
Ainsi, il y a les enzymes,  qui sont comme des "ouvriers moléculaires", capables de modifier d'autres composés ; pensons aux enzymes polyphénoloxydases qui, libérées en présence polyphénols quand on coupe un végétal, conduisent à l'apparition de produits brun foncés.  Mais il y a aussi des "canaux membranaires" : dans les membranes des cellules vivantes, des protéines s'associent pour ne laisser entrer ou sortir que certains composés. Récemment, par exemple,  des chimistes ont exploré les aquaporines qui permettent aux molécules d'eau d'entrer ou de sortir des cellules vivantes. Et puis il y a aussi des protéines de stockage, des protéines antibactériennes, tel le lysozyme du blanc d'oeuf, ou encore des protéines "constitutives", tel le collagène, qui fait les tissus conjonctifs, ce ciment des cellules animales des tissus musculaire.

Mais ces différentes catégories sont  fonctionnelles au sens de la biologie, pas de la cuisine. En cuisine, c'est en quelque sorte plus simple : il y a des protéines capables de coaguler à la chaleur, et d'autres qui ne coagulent pas.
Par exemple, l'ovalbumine, dans le blanc d'oeuf, est "thermocoagulante", alors que la gélatine, qui est la forme un peu dégradée du collagène, ne coagule pas à la chaleur... mais peut s'associer en un réseau de gel, à froid.
D'ailleurs on doit ajouter que certaines protéines qui ne coagulent pas à la chaleur (pensons à des caséines, par exemple) peuvent néanmoins "cailler", par exemple, en milieu acide, ou bien en présence d'enzymes telles que la chymiosine de la présure (pour la confection des fromages).

Pour la cuisine note à note, ces dernières distinctions sont celles dont on aura besoin, par exemple pour faire des "diracs" (voir les billets qui leur sont consacrés).
Pour les émulsions ou les mousses, en revanche, la question  est plus facile, comme le montre l'exemple des "würtz", ces mousses que l'on obtient en fouettant un liquide où l'on a ajouté de la gélatine. Certes, toutes les protéines n'ont pas les mêmes propriétés de moussabilitié, mais je répète que la question se pose moins.

Vive la cuisine note à note !

samedi 16 décembre 2017

Les macarons, au premier ordre

La confection des macarons n'est pas quelque chose de difficile... mais
évidemment la production de macarons parfaits est réservée à ceux... qui auront appris à bien faire les macarons.
A cette fin, il y a l'intelligence
personnelle, l'attention que l'on porte aux détails, et l'intuition qui conduit
à des gestes efficaces, ou bien la compréhension des phénomènes, qui identifie
les facteurs de réussite ; dans ce dernier cas, on ne maîtrise pas les gestes,
mais on sait guider son travail.


Pour commencer, reconnaissons que les macarons sont faits à partir de blanc
d'oeuf, que l'on bat en neige, que l'on sucre, auquel on ajoute de la poudre
d'amandes, et que l'on cuit comme pour une meringue.
Comprendre la confection des macarons, c'est d'abord comprendre qu'il s'agit de battre en neige du blanc d'oeuf. Dans la mousse obtenue, puisqu'il s'agit bien d'une mousse, on ajoute du sucre et l'on continue de battre afin que ce sucre se dissolve dans les "parois de bulles", lesquelles sont liquides : après tout, ce blanc d'oeuf, où l'on met de l'air, c'est 90 pour cent d'eau et 10 pour cent de protéines.

Il se trouve que, quand on bat les blancs en neige avec du sucre, on obtient des
bulles bien plus petites que sans sucre, de sorte que l'on change à la fois l'aspect et la stabilité de la mousse. L'aspect devient plus brillant, tout d'abord. Et la stabilité augmente considérablement, ce qui facilite les manipulations ultérieures.
Puis, pour des macarons, on ajoute de la poudre d'amandes, assez  délicatement, et l'on dépose de petits tas de cette préparation sur une plaque métallique de four.
Quand on cuit, de l'eau de la périphérie de ces petits tas s'évapore, ce qui conduit d'abord à une rigidification de la partie périphérique, à la formation d'une croûte, nommée la coque. A ce stade, selon que l'on cuit plus ou moins lentement, on obtient un intérieur qui contient plus ou moins d'eau, de sorte qu'il est plus ou moins dur. Il ne restera, pour certains macarons, qu'à préparer une crème que l'on placera entre deux coques.


Pour l'instant, restons à cette description simple, sans entrer dans les milles détails qui permettent à certains professionnels de faire mieux que les autres.
Enumérons seulement certains de ces détails : l'âge des blancs d'oeufs, le moment à partir duquel on introduit le sucre quand on bat les blancs, la durée
de séchage avant la cuisson...
Pourquoi n'entrons-nous pas tout de suite dans les détails ? Parce que, je tiens à le répéter, l'essentiel est ... essentiel, et le détail est... du détail.

Examinons donc les principaux mécanismes mis en oeuvre lors des opérations
décrites précédemment. Le premier est le battage des blancs en neige, avec la
production d'une mousse. On part donc d'une solution composée de 90 pour cent d'eau et de 10 pour cent de protéines. C'est la présence des protéines qui
permet que, quand on introduit de l'air dans ce liquide, il reste sous la forme
de bulles un peu stables (on dit "métastables") au lieu de disparaître quasi
immédiatement, comme quand on fouette de l'eau dans un verre propre.
Avec le blanc d'oeuf, on obtient une mousse, puisque l'on pousse des bulles
d'air dans le liquide et que ces bulles d'air sont de plus en plus nombreuses.
Evidemment, l'épaisseur de la couche de liquide entre les bulles adjacentes
diminue progressivement. Et ce liquide est toujours le liquide initial, fait de
90 pour cent d'eau et de 10 pour cent de protéines. Il constitue ce que l'on
nomme des "parois de bulles".

Puis vient le moment où la mousse ne gonfle plus, quand on a atteint environ 95 pour cent d'air : à ce stade, il n'y a plus de place dans l'eau pour y mettre de
nouvelles bulles. C'est le moment où le blanc en neige est ferme.
Si maintenant on ajoute du sucre, par exemple en poudre, le saccharose, qui est le composé quasi exclusif du sucre en poudre, vient se dissoudre dans le
liquide. Pas immédiatement, pas spontanément, de sorte que l'on doit battre un
peu. Mais il se trouve que ce nouveau battage est très utile : il conduit à plusieurs effets favorables. Le premier est l'augmentation de viscosité du liquide entre les bulles. En quelque sorte, en dissolvant du sucre dans un
liquide, on obtient un sirop, lequel est plus visqueux que le liquide initial.
Or si le sirop est plus visqueux, il s'écoule moins facilement, de sorte que la
mousse se déstabilise moins, qu'elle est plus stable.

D'autre part, il y a un autre effet, que l'on observe facilement au microscope
quand on compare deux blancs d'oeufs battus en neige, l'un avec du sucre et
l'autre non : on voit que le blanc battu avec du sucre a des bulles beaucoup
plus petites et plus serrées que le blanc battu de la même manière, mais sans
sucre. Or il se trouve que les mousses à petites bulles sont plus stables que
les bulles à grosses bulles. Je n'entre pas dans les détails, et je renvoie ceux
qui sont intéressés à la consultation d'articles ou de traité scientifiques.
La mousse étant formée, l'ajout des particules solides que sont les grains de la poudre d'amandes conduit à leur simple dispersion dans la mousse. Le  système n'est pas considérablement changé, mais le goût l'est, lui, surtout à  la cuisson.
Examinons cette dernière : quand les petits tas de mousses sont chauffés, le
métal de la plaque ou l'air chaud transmettent leur énergie (leur "chaleur") à
la périphérie des macarons, ce qui évapore l'eau de l'appareil (je rappelle que
l'on nomme "appareil" une "préparation"). Une partie de la vapeur formée
s'échappe dans le four, mais, au contact de la plaque métallique sur laquelle
les macarons sont posés, la vapeur reste dans les macarons... et risque de les
faire gonfler et donc fissurer. D'où l'intérêt d'avoir fait sécher les petits
tas assez longtemps : sans ce séchage, la coque fissurerait à la cuisson.
Le séchage ? Comme la cuisson, il évapore l'eau de la préparation, de sorte que
se forme une couche dure formée de sucre, de poudre d'amandes et des protéines qui auront d'abord coagulé. A l'intérieur des macarons, la chaleur entrera progressivement, de sorte que viendra la température où les protéines coagulent, figeant la structure de la mousse interne. Avec un temps de cuisson encore supérieur, l'eau de l'intérieur s'évapore et c'est ainsi que l'on commandera la consistance exacte des macarons. Il reste maintenant à décrire tout le reste, le détail, mais ce serait trop long pour un seul billet.



Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

L'oeuf dur ? Il y en a mille !


On aura compris que ce blog est « détendu » : pas de politique, pas de religion, pas d'armée... sujets que la politesse recommandait d'éviter absolument, dans les diners bourgeois. Ici, rien que du bonheur, de l'enthousiasme. Et, aujourd'hui, me voici en position d'adorer ce que je brûlais : les mauvais oeufs durs. Avec le sourire, bien sûr !



Commençons par le commencement : il y a des années, voire des décennies (au moins deux), j'avais discuté la question de l'oeuf dur parfait, que je croyais être le suivant : écallage facile, blanc non caoutchouteux, jaune non sableux, pas de cerne vert, jaune centré dans le blanc, pas d'odeur de soufre...

C'est cette description qui m'a conduit à inventer les oeufs à 61°C, les oeufs à 62°C, les oeufs à 63°C, les oeufs à 64°C, les oeufs à 65°C, les oeufs à 66°C, bref, les oeufs à 6X°C... qui sont maintenant dans de très nombreux restaurants.

Tout semble donc bien dans le meilleur des mondes possibles, comme le disait Voltaire dans son Candide... à cela près que j'avais tout faux.

Oui, j'avais tout faux, à commencer par croire qu'un oeuf dur parfait pouvait exister.
Car j'ai rencontré des gens qui aiment les oeufs durs avec une odeur de soufre... parce que leur grand mère les leur faisait ainsi ! Et qui suis je pour leur imposer mon goût ?
D'ailleurs, même pour moi-même, l'oeuf dur parfait n'existe pas : certains jours, je les veux plus durs, d'autres fois plus mous...
Selon l'accompagnement, également, il les faut d'un certain type plutot qu'un autre.

Bref, la quête était plus importante que le résultat. De même, il vaut mieux se promener en montagne sans trop penser au sommet, sans quoi on est toujours malheureux de ne pas y être. Promenons nous activement.

Tout faux, également, parce que le soufre n'a pas d'odeur ! Le soufre est une poudre jaune, inodore... et c'est seulement ses dérivés (certains) qui sont odorants !

Enfin, et surtout, l'hydrogène sulfuré, qui est le gaz qui se forme lors de la cuisson prolongée des oeufs... est plus efficace que le Viagra ! Pas à haute dose, car il est toxique, mais à petite, à dose modérée.
Bref, mangeons des oeufs durs... en souriant.








Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)