Quand on fait des quenelles, des boudins blancs, des boulettes, des pâtés, par exemple, on doit d'abord préparer une mêlée, qui contient souvent de la chair (viande, poisson) broyée, parfois des oeufs, des aromates, des épices, des légumes (en dés, par exemple)... Et certains disent qu'il faut bien travailler la mêlée pour que "l'albumine soit libérée".
L'albumine ? Cela fait deux siècles que ce terme n'a plus cours en chimie avec l'acception qui est celle de nos amis, et il serait temps que le monde culinaire fasse sa transition ! C'est comme si on en était resté au "le plus lourd que l'air ne volera jamais" : deux siècles de retard, je vous dis !
ExpliquonsAu 18e siècle, quand la chimie naquit de l'alchimie, cessant de croire que l'expérience était mal faite quand elle ne collait pas à la théorie et acceptant enfin que la théorie doive plutôt naître des expériences, les chimistes commencèrent à explorer les aliments, et c'est alors qu'apparut le terme d' "albumine", pour dénommer des "substances" qui putréfiaient avec une odeur d'ammoniac, qui "teintaient les sirops de violette", qui faisaient coaguler l'eau...
On trouva ces "albumines" dans les oeufs, les viandes, les poissons, bref, le règne animal.
Mais bientôt, des chimistes (notamment français) identifièrent de telles substances dans les plantes, et, plus particulièrement, dans les légumineuses.
Rapidement, il apparut que l' "albumine" au singulier n'existait pas, et l'on dut parler d'albumines, au pluriel.
Mais on n'était pas au bout des découvertes, car il apparut que certaines de ces substances pouvaient coaguler à la chaleur, et d'autres pas. Par exemple, le blanc d'oeuf coagule quand on le chauffe, mais la gélatine fond, au contraire. Ou les protéines du sérum du lait coagulent (formant la peau du lait) tandis que les caséines ne coagulent pas à la chaleur, mais avec de la présure ou en milieu acide.
Bref, il apparut qu'il fallait faire du ménage, et le termes de "protéines" fut introduit pour désigner toutes les protéines.
Le terme d'albumine fut alors réservé à une classe de petites protéines globulaires, solubles : il y a effectivement des albumines dans le blanc d'oeuf (mais pas seulement) et dans le sang (l'albumine sérique), mais les albumines forment une catégorie assez mineure de protéines.
Et c'est ainsi que, depuis environ un siècle, on n'a plus guère de raison de parler d'albumine, au singulier, sauf dans des cas particuliers, sous peine de dire n'importe quoi.
Dans les mêléesEt dans les mêlées, quelles protéines assurent-elles la coagulation ?
Dans les mêlée sans oeuf, avec seulement de la chair, les protéines sont celles de la viande ou du poisson, à savoir du collagène (qui fait prendre à froid, pas à chaud) et, surtout, les deux sortes principales qui sont libérées lors du hachage des chairs : les actines et les myosines. Ce sont elles qui font prendre en masse le terrines, les pâtés, etc.
Bien sûr, quand il y a du sang, l'ovalbumine sérique peut contribuer à la coagulation ; mais si c'est important dans les boudins (noirs), c'est négligeable dans les terrines ou les pâtés. Et bien sûr, quand il y a de l'oeuf, ses albumines aussi peuvent contribuer à la coagulation.
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Les protéines peuvent s'attacher pour former un réseau où un liquide est piégé : c'est la formation d'un "tel", ce que le monde culinaire nomme "coagulation" |
Pourquoi bien mélanger les mêlées, au fait ?
Parce que , surtout quand il n'y a pas d'oeuf, il faut obtenir un système avec une phase liquide (l'eau libérée de la chair par broyage) où les protéines (actine et myosine, surtout) soient dispersées le mieux possible, afin qu'à la coagulation, la masse se comporte comme du blanc d'oeuf, qu'elle coagule de façon homogène. Et puis, il faut aussi bien disperser la matière grasse : comme lors de la confection d'une mayonnaise, le travail mécanique dissocie les masses de graisse en petites masses qui font une consistance plus agréable. Sans compter que l'on peut vouloir une préparation bien lisse, ce que l'on obtient par le travail.
Bref, le travail se voit à divers signes, que l'on aura toujours la prudence d'interpréter à l'aide d'un microscope et d'une saine théorie chimique, au lieu de penser comme des ancêtres en retard de deux siècles.
Et, très généralement, le monde culinaire aura raison d'éviter ce terme d'albumine qui fait aussi éculé que s'ils écrivaient à la plume d'oie ou s'éclairaient à la chandelle, et se transportaient à dos d'âne.