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jeudi 22 juillet 2021

Notre repas de laboratoire



Nous  venons d'avoir un repas de laboratoire pour le groupe de gastronomie moléculaire élargi. J'en profite pour donner les recettes que nous avons inventées pour l'occasion.

Tout a commencé par l'observation du fait que les stagiaires de notre groupe sont souvent interrogés par leurs amis ou famille à propos des activités qu'ils ont, avec ce fantasme que nous passerions notre temps à faire de la cuisine.
En réalité, nous passons notre temps à faire de la physico-chimie, c'est-à-dire à préparer des échantillons dont la masse ne dépasse pas le milligramme (cela ne nourrit  pas son homme) et à les analyser par spectroscopie de résonance magnétique nucléaire,  par exemple.

Nos amis disent donc à leur entourage qu'il n'y a pas de cuisine dans le groupe de gastronomie moléculaire, sauf peut-être pendant deux heures par mois, lors des séminaires de gastronomie moléculaire.

Reste qu'ils m'interrogent sur les inventions que je donne chaque mois depuis plus de 20 ans à mon ami Pierre Gagnaire . Ne pourrions-nous pas faire un repas où nous réaliserions certaines de ces inventions ?
La réponse est évidemment oui, à cet inconvénient près que nous sommes très peu outillés, avec trois fois rien en matière de récipients ou de casseroles. Nous avons un four et cela nous sauve (en réalité, c'est un four expérimental, équipé d'un  nez électronique).

Tout cela étant dit, pour faire plaisir à mes amis, j'ai donc accepté l'idée que nous fassions un repas de laboratoire. Et nous l'avons fait : les stagiaires ont cuisiné des plats fondés  sur certaines de mes inventions.

Le menu comportait les plats suivants :
1. Un gaspacho surmonté d'une mousse de Bloody Mary.
2. Un œuf à 65 degrés assorti d'un debye de lait d'ail.
3. Un saumon à basse température, avec un gauss de sarrasin courgettes et champignons, accompagné d'une crème d'échalotes et de ciboulette.
4. Des sablés "plus que parfaits" avec un sorbet à la pêche, un gibbs au café et une mousse d'expresso etwhisky.

Donnons maintenant les recettes de toutes ces préparations

1. Premièrement,  pour le gaspacho, nous avons simplement mixé des tomates avec une demi échalote, une demi gousse d'ail, du sucre, du sel, un peu de caramel, un peu d'acite tartrique, et de l'huile d'olive.
Pour le bBloody Mary, c'était effectivement un Bloody Mary,  à savoir des tomates mixées additionnées de vodka, d'acide citrique, d'un peu de sucre, de sel... mais l'ensemble avait été mis dans un siphon, avec une demi cuillèrée de protéine (de blanc d'oeuf), secoué et ajouté sous la forme d'une mousse au-dessus du gaspacho, juste au moment de servir.

2. Pour les oeufs à 65 degrés, rien de plus  simple : la boite d'oeufs, vaguement ouverte, a été mise  dans un four à 65 degrés pendant deux heures. Puis, au dernier moment, on a cassé les oeufs dans les assiettes.
Pour le debye, nous avons commencé par faire bouillir longuement des gousses d'ail dans du lait. Nous avons assaisonné, et nous avons laissé refroidir avant d'ajouter 10 grammes par litre d'agar-agar. Puis nous avons de nouveau porté à ébullition, et quand, après le refroidissement, nous avons obtenu un gel ferme, nous l'avons mixé dans une bonne ville d'olive,  en ajoutant quelques gouttes de l'évocation Hertzon de la société Iqemusu :  il s'agit de 1-cis-hexèn-3-ol,  qui a une merveilleuse odeur d'herbe fraîchement coupée.

3. Pour le saumon, il était mis dans le four, peau dessus (afin d'éviter de sécher) et cuit à la  température de 70 degrés pendant également quelques heures. Peu  de travail, donc,  mais je peux vous assurer que le résultat était exceptionnel.
La crème d'échalotes et ciboulette était simplement obtenue par cuisson d'échalotes dans du vin blanc que l'on réduisait presque à sec ; puis, après ajout d'acide tartrique, de glucose, nous avons ajouté de la crème liquide, réduit à consistance, puis infusé de la ciboulette.
Le gauss, lui, était obtenu de la manière suivante : nous avons étalé un film plastique alimentaire sur le plan de travail, puis nous avons couvert le film avec des galettes de blé noir ; nous avons alors badigeonné les galettes de beurre noisette. Puis nous avons couvert avec de très minces lamelles de courgettes, badigeonné à nouveau de beurre noisette, couvert de lamelles très minces de champignon de Paris, badigeonné à nouveau. Enfin, nous avons replié le tout en deux, puis en deux, puis encore en deux une ou deux fois. Nous avons bien serré le film, et l'ensemble a été mis au grand froid pour durcir. Au moment de servir, nous avons coupé des tranches qui laissaient apparaître la succession de couches.


4.  Pour le sorbet, peu de travail : un sirop de pêche additionné de vodka et un peu assaisonné, puis additionné d'azote liquide.
Pour les sablés, de la farine torréfiée (à sec, dans une poele), puis du caramel, du beurre noisette, du sucre, et très peu de blanc d'oeuf (en réalité, eau et protéines de blanc). L'ensemble a été formé en petites masses cuites pendant 14 minutes à 200 degrés.
Enfin, nous avons fait un gibbs de café en partant d'eau, de protéines d'oeuf, où nous avons émulsionné de l'huile que nous avions stockée pendant quelques jours avec du café moulu. L'émulsion était mise dans des verres, lesquels étaient passés quelques dizaines de secondes au four à micro-ondes, jusqu'à gonflement. Sucre, whisky, puis un expresso additionné de sucre et de protéines de blanc d'oeuf, dans un siphon, pour une mousse sur le gibbs.


Hopla, l'affaire est faite, et même si nous avons bien identifié les pistes d'améliorations, je vous invite à faire les recettes  !

vendredi 2 novembre 2018

A propos d'oeuf, à nouveau

Des questions, des réponses.  En l'occurrence, il s'agit d'une étudiante qui fait un travail personnel encadré. Je l'avais renvoyé sur mon site... où figurent mille informations. D'ailleurs, elle écrit : 

Que d’informations ! Mille mercis.

Les liens sont super et votre espace sur les TPE m’a effectivement bien éclairée. J’ai pu aussi trouver énormément de livres à la bibliothèque. Dommage, la tome 1 de gastronomie moléculaire n’est pas empruntable, seulement à consulter sur place !


 Mon commentaire : on peut sans doute acheter le livre chez Quae ou chez Belin.


Finalement, après réflexion et tous les conseils que vous donnez pour le TPE, je pense donc me focaliser sur la gélification de l’œuf , et l’explication de la modification de la structure protéique ainsi que la réalisation de l’œuf parfait. C’est mieux, non ?

 Oui, c'est bien mieux... à cela près que je n'utilise plus la terminologie d'oeuf parfait, mais d'oeuf à XX°C, parce que la perfection n'est pas de ce monde.


Aujourd’hui, j’ai voulu tester « à l’aveugle » votre cuisson de l’œuf parfait avec la boite d’œufs mise directement dans le four (sans mes 2 camarades car c’est les vacances !). Cependant, le four de ma mère n’étant pas précis, la température a oscillé entre 61 et 72°C, et disons que le blanc était encore gluant et translucide, et le jaune liquide !

 Apparemment, l'oeuf obtenu est un oeuf à 65°C, car si le blanc est opaque et qu'il se tient bien, avec un jaune liquide, c'est le critère, comme on le voit sur l'image suivante :



Aussi, je vais tenter la réalisation au lave-vaisselle, j’ai regardé la notice de mon lave-vaisselle, qui a bien un programme à 65°C mais de 58mn seulement !

Il faudra faire attention à ne certainement pas croire ce qui est indiqué dans la notice : pour connaître la température, il faut un thermocouple dans la machine... ou un oeuf ;-)



Comment avez-vous déterminé la durée de 60mn ? est-ce par un calcul ou en expérimentant par tâtonnement ?

Les deux. D'une part, l'application de la seconde loi de Fourier, et, d'autre part, la mesure avec un thermocouple planté dans le jaune.



Du coup, je vais peut-être lancer 2 fois de suite le prg et arrêter le deuxième lavage au bout de 20mn… Sachant que je compte mettre 2 œufs, un qui aura subi un cycle, et l’autre 1cycle et ½. Pensez-vous que c’est ainsi que je dois expérimenter ?

 Tout dépend de l'objectif. Mais surtout, dans mon groupe de recherche, je ne réponds pas aux étudiants, sans quoi je leur vole le plaisir d'avoir fait eux-mêmes, et je leur demande de construire leur propre chemin à partir d'un objectif clair. Pour les aider, toutefois, à trouver la réponse à leurs questions, je leur enseigne la méthode du "soliloque (que l'on trouvera dans certains de mes "cours en ligne", notamment sur https://tice.agroparistech.fr/coursenligne/main/document/document.php?cidReq=PHYSICOCHIMIEPOURLAF&curdirpath=/Des%20elements%20de%20cours/Methodes%20-en%20francais-)

Sinon, j’ai trouvé un article sur internet, qui explique comment faire facilement un œuf à 65°C, disant la chose suivante :
« Nous savons que la température au centre d'un œuf mis dans de l'eau à 100°C a besoin d'une dizaine de minutes pour dépasser 60°C, qui est la température à laquelle le jaune devient solide. Par un petit calcul que les lecteurs intéressés trouveront en annexe, nous en concluons qu'il faut environ ¾ d'heure pour atteindre au centre de l'œuf le 95% de la température de l'eau dans laquelle il est plongé. D'autre part si la température de 65°C doit être tenue de manière assez précise pour obtenir le jaune malléable typique, le blanc d'œuf supporte sans dommage quelques degrés supplémentaires. Nous voyons donc que nous pouvons obtenir un œuf presque parfait en le plongeant environ 1 heure dans une eau dont la température est légèrement plus élevée que 65C. Comme nous ne disposons pas d'eau à température parfaitement constante, nous pouvons démarrer un peu plus chaud et laisser refroidir, pourvu que la température ne diminue pas trop vite… »…
Ensuite, cet article donne le protocole pas à pas afin de réaliser facilement l’œuf parfait.

Cependant, je ne sais pas comment a été calculé le temps de «  ¾ d'heure pour atteindre au centre de l'œuf le 95% de la température de l'eau dans laquelle il est plongé ». (il n’y a pas d’annexe).

Oui, c'est un article bizarre. Que signifie que "le blanc d'oeuf supporte quelques degrés supplémentaires", par exemple ? Et puis, il y a des tas d'erreurs dans ce texte. Et puis, pourquoi n'ont-ils pas une température constante ? Après tout, ce n'est pas difficile d'avoir une grande quantité d'eau (pour avoir plus d'inertie) que l'on chauffe par moments pour la garder à 65, à un ou deux degrés près ? Evidemment, si l'on a un thermoplongeur, c'est quand même plus simple !