À propos de l'organisation de conférences
Un conseil à mes jeunes amis qui organisent des conférences : anticiper tout ce qui ne va pas, tout ce qui peut ne pas aller, tout ce qui n'ira pas.
Je commence par une comparaison avec le remplissage de l'aimant d'un spectroscope de résonance magnétique nucléaire (RMN) avec de l'azote liquide, ce que je fais chaque semaine. Il s'agit de quelque chose de simple : on se procure de l'azote liquide, livré dans un gros bidon, on relie ce dernier par un tuyau souple à une entrée du réservoir d'azote liquide dans la partie de la machine qui sert d'aimant (mais c'est secondaire), et l'on utilise un gaz (qui est du diazote gazeux, dans une bouteille), pour pousser le liquide du bidon vers l'aimant.
Derrière cette description volontairement simplifiée (toujous le gros avant le détail), il y a de nombreuses précisions à donner et c'est la considération de ces dernière qui a permis que, pour la même machine, avec la même type de configuration, ceux qui faisait le remplissage avant moi mettaient 50 minutes et remplissaient deux fois par semaine, tandis que je ne mets plus que 11 minutes en remplissant une fois par semaine...
... ce qui réduit considérablement les risques, en plus de coûter moins cher, et de gagner du temps.
Comment cela est-ce possible ? Quand j'ai dû prendre en charge en la machine, j'ai cherché à comprendre ce que nous faisions et j'ai agit en conséquence.
Par exemple, plus qu'il s'agit de pousser du gaz, on comprend qu'il faille que le circuit soit étanche, sans quoi le gaz fuit et l'on ne pousse rien.
D'où un certain nombre d'actions correctrice qui ont permis d'arriver là où nous en sommes : éviter les fuites à la bonbonne de gaz, entre la bonbonne et le bidon d'azote liquide, à la sortie de ce bidon, à l'entrée dans l'aimant.
J'insiste un peu : on voit bien que c'est la compréhension de la chose qui permet de faire mieux.
Mais, il est arrivé tant de catastrophes, pendant nos différents remplissage depuis plusieurs années, que les descriptions précédents sont loin de suffire.
Par exemple, il est arrivé que le bidon de soit pas livré à date. Il est arrivé que le tuyau en plastique avec lequel le remplissage se fait a éclaté pendant le remplissage. Il est arrivé que la bonbonne de gaz soit vide en cours de remplissage. Il est arrivé que, malgré nos soins, , le système d'étanchéification ne soit pas étanche. Il est arrivé qu'il y ait un bouchon de glace dans la machine, ce qui bloquait l'entrée de l'azote liquide. Et j'en passe !
J'en passe, parce que je veux maintenant arriver j'arrive à la conclusion de cette comparaison initiale : il y a quelques années, un jeune ami impétueux de notre groupe de recherche m'a vu faire deux fois ce remplissage et il m'a dit vouloir faire le remplissage suivant. Pourquoi pas, mais en était-il capable ? En l'occurrence, certainement pas, pour celui-là en particulier, notamment parce qu'il avait ce défaut considérable de voir trop court.
Et c'est ainsi que, sachant qu'il était incapable de faire l'opération, j'ai voulu lui donner une leçon : je l'ai laissé commencer l'installation, mais à un moment, avant de faire couler l'azote liquide, je lui ai demandé ce qu'il ferait si le tuyau en caoutchouc cassait ? Comme il ne savais pas que le tuyau puisse casser, il n'avait évidemment pas envisagé une action rapide à mettre en oeuvre. J'en ai rajouté une couche, en lui demandant ce qu'il ferait s'il y avait un bouchon de glace dans la machine, et là encore, il n'avait aucune idée de la chose. De sorte que je l'ai en quelque sorte renvoyé à ses études, en lui faisant comprendre que, à l'avenir, il ferait mieux d'être moins prétentieux et plus réfléchi.
Mais la vraie conclusion de toute cette affaire, c'est que nous sommes tous un peu comme lui, et que nous devons apprendre à voir plus loin que le bout de notre nez.
Je peux enfin, maintenant, en arriver à la question de l'organisation des séminaires, des conférences.
J'y arrive, parce que, hier, alors que nous organisions une conférence avec quelques amis, nous avons eu une série de catastrophes... comme il y en a toujours.
La veille, tout d'abord, l'un des conférenciers m'a signalé par email qu'il avait un problème d'emploi du temps et qu'il ne pourrait pas faire la conférence prévue. Point final. Sans échappatoire. Je lui ai dit d'abord répondu que nous pouvions changer l'horaire et là encore il n'a pas accepté, puisque, en réalité, je pense qu'il n'avait rien préparé. Je lui ai également demandé s'il pouvait se faire remplacer, mais bien sûr aucun remplacement était possible puisque c'était une personne tout à fait exceptionnelle ;-).
Comme j'avais une conférence déjà presque prête, je l'ai finie, et nous avons rétabli le programme.
Mais le matin même de la conférence, je reçois un email d'un autre orateur programmé, me disant qu'il y avait un tremblement de terre dans son pays et qu'il n'avait plus d'électricité. Dans ces cas-là, cela ne sert à rien de se stresser, et la solution la plus évidente était donc de raccourcir la conférence, en oubliant cette intervention.
Mais, prudent, je me suis mis à contacter tous les autres conférenciers, bien qu'ils aient été contacté une semaine plus tôt, et bien m'en a pris, car un troisième conférencier m'a dit avoir un empêchement. Là, nous avons pu chambouler l'organisation pour lui trouver un moment adéquat.
Et finalement, puisque c'était une conférence par internet, nous avons encore eu les habituels problème de connexion, à savoir que le lien qui nous avions distribué à tous pour se connecter n'a pas fonctionné, alors qu'il avait été prévu deux mois plus tôt.
Tout cela étant réglé, la conférence a commencé à l'heure, et ceux qui se sont connectés n'ont rien vu de grave : tout s'est passé apparemment comme il fallait.
Croyez-moi : je sais qu'il se passe tout cela chaque fois ou presque, c'est la raison pour laquelle je prépare les choses à l'avance, la réponse la raison pour laquelle j'envoie des messages, et je renvoie des messages, avec des accusés de réception.
Mais je sais aussi que cela ne suffit pas : comme pour le tuyau en caoutchouc qui peut éclater lors d'un remplissage liquide, il y a donc lieu d'avoir des ceintures et des bretelles, et il l'on peut être sûr que s'appliquera la "loi du petit Wolfgang", qui stipule qu'il y aura une proportion de gens pénible constante, régulière, certaine... et qu'il faut tenir compte de cela dans une organisation, sans quoi on est un médiocre organisateur.
Bien sûr, il est facile de mettre des noms sur un papier et de demander à des personnes une fois si elles acceptent de faire une conférence, mais cela n'est pas "organiser une conférence". Organiser une conférence, c'est envisager le pire, très positivement, et observer que, quand une conférence que l'on organise ne pose pas de problème, c'est une sorte de miracle qu'il faut célébrer (au crémant d'Alsace, par exemple).
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
vendredi 10 septembre 2021
Savez-vous - VRAIMENT- organiser une conférence ?
jeudi 22 juillet 2021
Notre repas de laboratoire
Nous venons d'avoir un repas de laboratoire pour le groupe de gastronomie moléculaire élargi. J'en profite pour donner les recettes que nous avons inventées pour l'occasion.
Tout a commencé par l'observation du fait que les stagiaires de notre groupe sont souvent interrogés par leurs amis ou famille à propos des activités qu'ils ont, avec ce fantasme que nous passerions notre temps à faire de la cuisine.
En réalité, nous passons notre temps à faire de la physico-chimie, c'est-à-dire à préparer des échantillons dont la masse ne dépasse pas le milligramme (cela ne nourrit pas son homme) et à les analyser par spectroscopie de résonance magnétique nucléaire, par exemple.
Nos amis disent donc à leur entourage qu'il n'y a pas de cuisine dans le groupe de gastronomie moléculaire, sauf peut-être pendant deux heures par mois, lors des séminaires de gastronomie moléculaire.
Reste qu'ils m'interrogent sur les inventions que je donne chaque mois depuis plus de 20 ans à mon ami Pierre Gagnaire . Ne pourrions-nous pas faire un repas où nous réaliserions certaines de ces inventions ?
La réponse est évidemment oui, à cet inconvénient près que nous sommes très peu outillés, avec trois fois rien en matière de récipients ou de casseroles. Nous avons un four et cela nous sauve (en réalité, c'est un four expérimental, équipé d'un nez électronique).
Tout cela étant dit, pour faire plaisir à mes amis, j'ai donc accepté l'idée que nous fassions un repas de laboratoire. Et nous l'avons fait : les stagiaires ont cuisiné des plats fondés sur certaines de mes inventions.
Le menu comportait les plats suivants :
1. Un gaspacho surmonté d'une mousse de Bloody Mary.
2. Un œuf à 65 degrés assorti d'un debye de lait d'ail.
3. Un saumon à basse température, avec un gauss de sarrasin courgettes et champignons, accompagné d'une crème d'échalotes et de ciboulette.
4. Des sablés "plus que parfaits" avec un sorbet à la pêche, un gibbs au café et une mousse d'expresso etwhisky.
Donnons maintenant les recettes de toutes ces préparations
1. Premièrement, pour le gaspacho, nous avons simplement mixé des tomates avec une demi échalote, une demi gousse d'ail, du sucre, du sel, un peu de caramel, un peu d'acite tartrique, et de l'huile d'olive.
Pour le bBloody Mary, c'était effectivement un Bloody Mary, à savoir des tomates mixées additionnées de vodka, d'acide citrique, d'un peu de sucre, de sel... mais l'ensemble avait été mis dans un siphon, avec une demi cuillèrée de protéine (de blanc d'oeuf), secoué et ajouté sous la forme d'une mousse au-dessus du gaspacho, juste au moment de servir.
2. Pour les oeufs à 65 degrés, rien de plus simple : la boite d'oeufs, vaguement ouverte, a été mise dans un four à 65 degrés pendant deux heures. Puis, au dernier moment, on a cassé les oeufs dans les assiettes.
Pour le debye, nous avons commencé par faire bouillir longuement des gousses d'ail dans du lait. Nous avons assaisonné, et nous avons laissé refroidir avant d'ajouter 10 grammes par litre d'agar-agar. Puis nous avons de nouveau porté à ébullition, et quand, après le refroidissement, nous avons obtenu un gel ferme, nous l'avons mixé dans une bonne ville d'olive, en ajoutant quelques gouttes de l'évocation Hertzon de la société Iqemusu : il s'agit de 1-cis-hexèn-3-ol, qui a une merveilleuse odeur d'herbe fraîchement coupée.
3. Pour le saumon, il était mis dans le four, peau dessus (afin d'éviter de sécher) et cuit à la température de 70 degrés pendant également quelques heures. Peu de travail, donc, mais je peux vous assurer que le résultat était exceptionnel.
La crème d'échalotes et ciboulette était simplement obtenue par cuisson d'échalotes dans du vin blanc que l'on réduisait presque à sec ; puis, après ajout d'acide tartrique, de glucose, nous avons ajouté de la crème liquide, réduit à consistance, puis infusé de la ciboulette.
Le gauss, lui, était obtenu de la manière suivante : nous avons étalé un film plastique alimentaire sur le plan de travail, puis nous avons couvert le film avec des galettes de blé noir ; nous avons alors badigeonné les galettes de beurre noisette. Puis nous avons couvert avec de très minces lamelles de courgettes, badigeonné à nouveau de beurre noisette, couvert de lamelles très minces de champignon de Paris, badigeonné à nouveau. Enfin, nous avons replié le tout en deux, puis en deux, puis encore en deux une ou deux fois. Nous avons bien serré le film, et l'ensemble a été mis au grand froid pour durcir. Au moment de servir, nous avons coupé des tranches qui laissaient apparaître la succession de couches.
4. Pour le sorbet, peu de travail : un sirop de pêche additionné de vodka et un peu assaisonné, puis additionné d'azote liquide.
Pour les sablés, de la farine torréfiée (à sec, dans une poele), puis du caramel, du beurre noisette, du sucre, et très peu de blanc d'oeuf (en réalité, eau et protéines de blanc). L'ensemble a été formé en petites masses cuites pendant 14 minutes à 200 degrés.
Enfin, nous avons fait un gibbs de café en partant d'eau, de protéines d'oeuf, où nous avons émulsionné de l'huile que nous avions stockée pendant quelques jours avec du café moulu. L'émulsion était mise dans des verres, lesquels étaient passés quelques dizaines de secondes au four à micro-ondes, jusqu'à gonflement. Sucre, whisky, puis un expresso additionné de sucre et de protéines de blanc d'oeuf, dans un siphon, pour une mousse sur le gibbs.
Hopla, l'affaire est faite, et même si nous avons bien identifié les pistes d'améliorations, je vous invite à faire les recettes !
samedi 11 mai 2019
Conservation de sorbets et glaces
Quelles sont les conditions de conservation d’une glace réalisée avec de l’azote liquide ?
J’ai cru comprendre que la texture de ces glaces était dû à la taille et à la forme des cristaux formés via une réfrigération rapide versus standard.
Mais est-ce seulement une question de température (dans ce cas quelle serait la limite) ou d’autres paramètres rentrent-ils en compte ?
Il faut rappeler que l'on ne manipule l'azote liquide qu'avec des précautions :
- lunettes (très important : une goutte dans l'oeil et l'on est aveugle)
- loin de ceux qui n'ont pas de lunettes (les projections sont fréquentes, parce que l'azote liquide est très... liquide)
- stockage dans un récipient qui N'EST PAS hermétiquement fermé (sans quoi cela exploserait)
- et autres...
Cela étant dit, la réponse à la question posée doit commencer par une explication du mécanisme de la formation des glaces et sorbets (voir le détail dans Mon histoire de cuisine) :
- de gros cristaux se forment quand la cristallisation est lente
- de petits cristaux se forment quand la cristallisation est rapide.
Avec l'utilisation de l'azote liquide, la cristallisation se forme en quelques dizaines de secondes (bien plus vite, donc, qu'avec une sorbetière), de sorte que les cristaux sont très petits.
D'où la consistance bien supérieure, pour les sorbets et glaces à l'azote liquide, par comparaison avec les sorbets et glaces faits à la sorbetière.
Mais la question du stockage est différente.
Une fois que l'on a une glace ou un sorbet (quel que soit son mode de préparation), il peut évoluer, surtout quand la température est fluctuante... et cette évolution conduit à un grossissement des cristaux : les plus petits disparaissent au profit des plus gros. Et la consistance devient donc moins intéressante que lorsque les glaces et sorbets ont attendu, parce que, alors, ils n'ont plus cette consistance due à leurs tout petits cristaux.
D'ailleurs, c'est la raison pour laquelle les industriels qui vendent des glaces ajoutent (le plus souvent) des "polysaccharides", composés cousins de l'amidon, qui ralentissent considérablement le grossissement des cristaux... mais au détriment de la qualité gustative.
Cela étant, si l'on n'ajoute pas ces composés, un sorbet azote liquide ou un sorbet sorbetière : c'est le premier qui gagne quand même, parce qu'il part de plus loin !
Au fait, revenons à la question : il s'agissait de bien conserver une glace à l'azote liquide. Et c'est la même question que pour n'importe quelle glace, à savoir que plus la température de stockage est basse, meilleur le résultat. Et, comme dit, des polysaccharides sont utiles pour des stockages plus longs (quel intérêt ?) : pectines, agar-agar, gomme arabique, gomme guar... Ils sont extraits de matières naturelles, comme je l'explique, donc, dans Mon histoire de cuisine, où je fais une "histoire morale et naturelle" de ces produits.
lundi 8 octobre 2012
Un accident : faut-il être bête !
"Lecteur et utilisateur régulier de vos ouvrages, résidant à Rennes où vous nous avez fait souvent le plaisir de vous déplacer, je tenais à vous signaler cet article de la presse britannique, qui fait état d'un accident survenu dans un bar : http://www.dailymail.co.uk/news/article-2214268/Teenager-stomach-removed-save-life-drinking-trendy-liquid-nitrogen-cocktail.html
Continuez votre travail, pour notre plus grand intérêt."
Je suis donc allé sur le site du Daily Mail, et j'ai vu la chose. Oui, boire un liquide où subsiste de l'azote liquide, c'est comme avaler un couteau de cuisine !
Faut-il être suicidaire ou inconscient, ou bête !
Je répète la règle (minimale) d'utilisation :
- ne jamais consommer s'il reste de l'azote liquide, des bulles, de la fumée
- mettre des lunettes et des gants pour manipuler
- ne jamais stocker dans un conteneur fermé
- etc !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
De même, pour un couteau de cuisine :
- ne pas l'enfoncer dans le ventre du voisin
- ne pas courir en le tenant la pointe en l'air
- etc.