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jeudi 11 avril 2024

Les étapes de la recherche scientifique


Rédigeant un billet, et voulant renvoyer mes amis vers une description de la méthode scientifique (pour les sciences de la nature, ou sciences quantitatives), je m'aperçois que cette description figure dans mon livre "{Cours de gastronomie moléculaire N°1 : Science, technologie, technique (culinaires), quelles relations ?}" (éditions Quae/Belin), mais qu'elle ne figure pas dans ce blog. 

 


Il faut absolument réparer cela. A noter que la description que je donne a été testée devant les assemblées scientifiques les plus élevées, et notamment devant plusieurs lauréats du prix Nobel, ainsi que devant des sommités des sciences chimiques, en de très nombreuses occasions, et tout particulièrement, le 4 juillet 2015, à Strasbourg (voir [http://www.canalc2.tv/video/1347->http://www.canalc2.tv/video/1347]2). 

Comme personne ne m'a fait observer que j'étais dans l'erreur, je continue de propager ma vision des choses (fondées, quand même, sur un examen soigneux de l'histoire des sciences et de l'épistémologie). Je propose donc de considérer que la recherche scientifique se fait par les étapes suivantes, lesquelles constituent la "méthode scientifique" (pour les sciences de la nature, ou sciences quantitatives) : 

1. identification d'un phénomène 

2. quantification du phénomène 

3. réunion des données quantitatives en "lois" synthétiques 

4. par un processus d'induction, recherche des mécanismes quantitativement compatibles avec les lois identifiées, ce qui constitue une "théorie", un "modèle" 

5. recherche de conséquences de la théorie 

6. tests expérimentaux de ces conséquences, ou "prévisions théoriques", en vue d'une réfutation, qui permettra de revenir à 1, et ainsi de suite à l'infini. 

 

On ne dira jamais assez que toute théorie scientifique est fausse (disons insuffisante), et que l'on ne peut donc pas "démontrer scientifiquement", mais seulement réfuter. Autrement dit, l'activité scientifique produit des connaissances en réfutant les théories qu'elle produit. On ne dira jamais assez, d'autre part, que les sciences de la nature ne sont pas un discours comme les autres : les théories, même si elles sont insuffisantes, comme on l'a vu plus haut, sont quantitativement compatibles avec les caractérisations quantitatives des phénomènes. Les lois sont, évidemment, des façons synthétiques de donner des faits le plus juste possible, compte tenu des moyens de mesure à un moment donné, et les mécanismes proposés ne le sont pas au hasard, mais parfaitement en accord avec les caractérisations quantitatives. Et c'est ainsi que les sciences de la nature sont particulières... et merveilleuses !

mardi 8 août 2023

Avec la gastronomie moléculaire, de la recherche scientifique pour tous

 
Avec la gastronomie moléculaire, il y a de la place pour des recherches variées, du presque appliqué, jusqu'au plus fondamental. 

Commençons par rappeler la définition de la gastronomie moléculaire  : il s'agit d'explorer les phénomènes qui ont lieu lors des transformations culinaires. Par exemple, on passe d'un morceau de tissu musculaire de boeuf et l'on en fait un steak en le faisant sauter ou griller ; par exemple, on chauffe un mélange de jaunes d'oeufs, de sucre et de lait, et la préparation épaissit, formant une sauce qui a pour nom "crème anglaise". 

La gastronomie moléculaire explore donc les phénomènes. Par exemple, dans le premier cas, le brunissement superficiel de la viande ; par exemple, l'apparition d'une fumée blanche au-dessus de la viande chauffée ; par exemple, l'apparition d'une odeur agréable. Dans le second cas, il y a l'épaississement de la solution initiale, tout d'abord ; mais il y a aussi la disparition éventuelle des bulles d'air qui ont été initialement introduites lors de la préparation du ruban (pour faire une crème anglaise, en effet, on commence par fouetter des jaunes d'oeufs avec du sucre en poudre jusqu'à un éclaircissement du jaune de la préparation, un aspect bien lisse, coulant, que l'on nomme le ruban). 

Parfois, les phénomènes explorés ne sont guère compliqués... Ou plutôt, les phénomènes sont les phénomènes, et c'est notre décision, ou nos possibilités, qui nous conduisent à les explorer en surface ou en profondeur. Considérons par exemple la fumée blanche qui s'élève au-dessus d'un steak que l'on saute. A un niveau élémentaire, il s'agit bien d'eau qui est évaporée, de vapeur d'eau qui s'élève en raison de sa densité inférieure à celle de l'air, et la formation de gouttelettes d'eau liquide, quand la vapeur se recondense, dans l'air froid. Cela, c'est une description immédiate, élémentaire, mais qui peut être poursuivie bien plus en détail. Ainsi, comment l'eau s'évapore-t-elle ? Initialement, elle se trouve sous forme liquide dans la viande, mais la chimie physique sait bien que l'ébullition est un phénomène complexe, que la formation de bulles de vapeur dans un liquide reste difficile à décrire par la thermodynamique. 

L'observation est très générale : pour les phénomènes, il y a du superficiel et du plus profond. Non que le plus profond soit accessoire, mais qu'il soit surtout de plus en plus difficile. On peut évidemment toujours donner une description rapide, mais les sciences de la nature ont ceci d'extraordinaire qu'elles ne s'en satisfont pas, et qu'elles creusent, et creusent à l'infini... 

Et c'est ainsi que j'en reviens à ma déclaration initiale : pour les phénomènes qui surviennent lors des transformations culinaires, il y a des exploration immédiates, très nécessaires, et des explorations plus fondamentales. 

On peut commencer par chercher si ce qui a été dit est vrai, et ce sont les tests des précisions culinaires, que chacun peut faire s'il est équipé et rigoureux : est-il vrai que du jaune d'oeuf empêche les blancs de monter en neige ? est-il vrai que les os dans un bouillon lui enlèvent du goût ? est-il vrai que les blancs de volaille sont plus tendres quand on attend un peu, après la fin de la cuisson, avant de les découper ? est-il vrai que... 

D'autre part, on peut se limiter à chercher la raison de la fumée blanche au dessus d'un steak, et il s'agit déjà de recherche scientifique au sens littéral du terme, même si  cette exploration reste simple. Et l'on peut aussi aller jusqu'aux profondeurs des mécanismes intimes de la formation de la vapeur à partir d'un tissu musculaire que l'on chauffe, et l'on a quelque chose de bien plus fondamental. 

Il y en a pour tous les goûts en matière de recherche scientifique, avec la gastronomie moléculaire, et c'est d'ailleurs contenu en germe dans la définition de l'activité scientifique, qui comprend  : l'identification des phénomènes, leur quantification, la réunion des données en lois synthétiques, la recherche de théories compatibles avec ces lois, la recherche de prévisions expérimentales vues comme conséquence des théories, les tests expérimentaux de ces conséquences. A chaque étape, une possibilité de travail de recherche scientifique. 

 

Et l'on ne saurait terminer un tel billet sans évoquer la question de l'enseignement : puisque tant de mécanismes restent inexplorés, la cuisine ayant longtemps été considérée comme trop prosaïque, il y a de la placer  pour des chercheurs débutants que seraient des étudiants peu avancés en science. Il y a des myriades de phénomènes inexplorés : n'hésitez pas !

lundi 5 juin 2023

La direction de thèses ?

 Comment doivent-être les relations d'un doctorant avec un directeur de thèse ? 

 Je ne le sais évidemment pas, mais je propose de chercher rationnellement. Ce que je sais  que: 

 1.  les  écoles doctorales émettent des "chartes" qui régissent ces relations, mais ce sont parfois des règlements de "police", qui évoquent des cas dramatiques (harcèlement, etc.), ou des documents grandiloquents, affirmant que nous faisons une recherche excellente (mot si galvaudé qu'il en devient risible : qui d'entre nous reçoit le prix Nobel, par sa recherche "excellente" ?) ; j'en discute une ci-dessous, mais clairement, nous méritons mieux : il nous faut des documents éclairés, positifs, intelligents (au sens de l'intelligence de la science, bien sûr ; comment pourrait-on imaginer que je puisse penser que les auteurs de ces chartes ne sont pas intelligents ?). 

2. dans certains cercles éclairés (par exemple, le département de mathématiques de l'Ecole normale supérieure), les doctorants rencontrent une fois le directeur de thèse (en tout début) : celui-ci donne un sujet, et le doctorant part pour trois ans l'explorer tout seul, avant de revenir soumettre sa thèse. Je trouve cela merveilleux, même si je sais aussi que tous les doctorants ne sont pas capables d'être ainsi livrés à eux-mêmes. 

3. les doctorants ne sont plus statutairement des étudiants, même s'ils bénéficient d'une carte d'étudiant qui pallie leur salaire pas toujours élevé ; certes, on est toute sa vie durant "étudiant" au sens d'étudier, mais le doctorant est un professionnel, un jeune chercheur scientifique ou technologique (les thèses d'état ont été fusionnées avec les thèses de docteur ingénieur).
Je déduis de cette dernière observation que le travail du doctorant est son travail propre ; le doctorant n'est pas  une "petite main" du directeur de thèse, ce n'est pas de la "chair à canon de laboratoire", comme certains s'en plaignent (mais il faut décoder : qui se plaint et pourquoi ?).
De ce fait, j'ai pris la décision de laisser les doctorants qui me font l'honneur de me choisir pour directeur de thèse être responsables de leur travail, de leurs choix scientifiques, de la qualité de leurs expériences... Je ne me défausse pas, bien au contraire, comme on le verra en fin de texte, mais je veux d'abord donner ma confiance et, surtout, contribuer à mettre les doctorants plus haut que moi. 

 

Cela étant, lisons une charte du doctorat. 

 

On y voit que le directeur de thèse doit : 

- élaborer le sujet du projet doctoral en concertation avec le doctorant : au fond, je ne suis pas certain que cela soit bien, car cela prive le doctorant de sa capacité à élaborer sa recherche.
En pratique, surtout pour des thèses CIFRE, le sujet est décidé en commun avec un industriel... qui pose une question a priori jamais traitée. Je crois que, sur la base de cette question, c'est le doctorant qui doit élaborer son projet initial de recherche, quitte à le discuter avec le directeur de thèse, comme on discute d'une recherche avec un collègue, ou, mieux, avec un ami. 

- s’assurer que le sujet est original et ne reproduira pas des recherches effectuées ailleurs précédemment : là, il y a le "s'assurer", qui est ambigu, car préconise-t-on que le directeur de thèse vérifie son propre choix (comme dit plus haut), ou bien qu'il vérifie celui du doctorant ?
D'autre part, il y a une faute à croire que l'on ne peut pas traiter le même sujet de deux façons différentes et toutes deux profitables pour la connaissance : je me souviens notamment de travaux mathématiques qui étaient partis des Disquisitiones de Carl Friedrich Gauss... et qui avaient été merveilleusement novateurs. 

- s’assurer de sa faisabilité dans la durée prévue pour le projet et dans le contexte de l’unité de recherche et de ses partenariats : là encore, je trouve  la phrase bien naïve, car un sujet n'est jamais traité entièrement, n'est jamais "faisable dans une durée donnée", en raison du mode de fonctionnement de la méthode scientifique, qui produit des théories que l'on cherche à réfuter pour en proposer d'autres, que l'on réfutera encore, et ainsi de suite à l'infini. J'ai bien dit "à l'infini" ! 

- s’assurer en concertation avec le directeur de l’unité de recherche de la bonne intégration du projet : là, c'est dessaisir les directeurs de thèse des thèmes de leur recherche, et c'est donc très contestable ! Au fond, ce type de déclarations infantilise à la fois les doctorants et les directeurs de recherche. Un peu de grandeur, s'il vous plaît ! 

- s’assurer que toutes les conditions scientifiques, matérielles et financières sont réunies pour garantir le bon déroulement des travaux de recherche du doctorant ou de la doctorante : là, je suis parfaitement d'accord, et c'est même un truisme que de dire que des chercheurs "au soleil" doivent épauler les plus jeunes, n'est-ce pas ? Mais ne doit-on pas aussi encourager les doctorants à se doter aussi des conditions de leur recherche ? Après tout, si la vie professionnelle est faite de recherche de financements, pourquoi n'encouragerait-on pas les doctorants à apprendre à faire de telles recherches ? 

- informer les candidats et candidates à l’inscription en doctorat des possibilités de financement et des démarches qu’ils pourraient avoir à effectuer : pour des thèses CIFRE, l'affaire est réglée par avance, mais, au fait, à quoi servent les écoles doctorales si ce ne sont pas elles qui ont ce rôle ? Par pitié, assez d'administration sur le dos des directeurs de thèse, c'est-à-dire en réalité des chercheurs ! 

- s’assurer auprès du directeur ou de la directrice de l’unité de recherche des capacités d’accueil de l’unité : encore une bien grande banalité... mais surtout, ne s'est-on pas assuré, par l'"habilitation à diriger des recherches", que les directeurs de thèse sont capables de cela ? Ce n'est donc pas au niveau de la charte de la thèse que cette clause doit apparaître, mais dans le disposition d'habilitation. 

- veiller aussi à ce que le doctorant ou la doctorante ait accès à tous les matériels et données nécessaires au bon développement de ses travaux : mouais... Disons l'aider à se débrouiller à avoir accès, car il faut enseigner aux jeunes à se débrouiller un peu, non ? Sans quoi on finira par devoir les border dans leur lit... 

- pour que soit garantie sa disponibilité, limiter à cinq le nombre de doctorants et doctorantes qui sont placés simultanément sous son contrôle et sa responsabilité, sauf disposition particulière de l’école doctorale abaissant cette limite ou sauf dérogation : bof, tout dépend comment l'équipe de recherche est structurée... De toute façon, on ne peut guère parler (j'entends : avoir une vraie discussion) à plus de huit personnes par jour ; et puis, à quoi bon multiplier les thèses ? Et puis, surtout, a-t-on vraiment assez de bon candidats pour cela ? 

- informer chaque doctorant et doctorante du nombre de doctorants et doctorantes qui sont également placés sous son contrôle et sa responsabilité : je dirais bien plus, les doctorants doivent être parfaitement associés à la direction des groupes de recherche (avec droits et devoirs) ! 

- lorsque la direction scientifique du projet doctoral est partagée avec un co-directeur ou une co directrice, et que un/e ou plusieurs co-encadrant/e/s contribuent à l’encadrement du doctorant ou de la doctorante, assurer la coordination de l’équipe d’encadrement et garantir la clarté et de la cohérence des indications fournies au doctorant ou à la doctorante par les membres de celle-ci : là encore, il y a surtout l'autonomie des doctorants à assurer, et les co-encadrants doivent surtout partager des valeurs que j'exprimerai plus loin. 

- sensibiliser le doctorant ou la doctorante à l’éthique de la recherche et à l’intégrité scientifique, s’assurer qu’il ou elle se forme à ces questions dès le début de son doctorat et en respecte les principes : oui, prêcher d'exemple, mais n'est-ce pas évident ? En réalité, je déteste les clauses qui sont de grandes déclarations... dont les mauvais se moquent ! Ne faisons pas de lois inutiles et, donc, un peu hypocrites. 

- veiller également à sensibiliser le doctorant ou la doctorante au respect des règles et consignes de signature des publications, de diffusion des résultats de recherche (diffusion en archive ouverte, confidentialité), de propriété intellectuelle, ainsi qu’au respect de la réglementation nationale, des règles et procédures internes à l’Université et des règles d’hygiène et de sécurité : encore un truisme, mais il est vrai, en l'occurrence, que l'énoncer permet au doctorant de savoir qu'il existe de telles règles ;-) 

- le sensibiliser également aux questions de préventions des conflits, du harcèlement et des discriminations : très important, bien sûr ! Dans notre groupe, tout cela se dit par une phrase affichée au mur "Le summum de l'intelligence, c'est la bonté et la droiture". 

- veiller à la bonne intégration du doctorant ou de la doctorante au sein de la communauté scientifique et particulièrement de l’unité de recherche : un truisme, encore un truisme, car pense-t-on vraiment que des directeurs de recherche un peu "dignes" puissent agir autrement ? Ce type de déclarations est injurieux, en réalité. 

- contribuer aux actions conduite au sein de son unité de recherche en vue de l'intégration des doctorants et doctorantes dans l'unité de recherche : ah, la chouette bande d'amis ! En réalité, je me moque, parce que cela est évident. - veiller, à son niveau, à ce que le doctorant ou la doctorante ait des échanges scientifiques avec les autres doctorants et doctorantes et plus généralement avec l’ensemble de la communauté scientifique : ouf, on est sauvé par la fin de la phrase, car oui, c'est avec l'ensemble de la communauté scientifique que les doctorants doivent avoir des relations scientifiques, et non pas seulement dans le petit milieu des doctorants ; en réalité, je déteste ces distinctions entre les jeunes chercheurs et les chercheurs moins jeunes, faisant mienne l'idée de Michel-Eugène Chevreul qui, à l'âge de 100 ans, se disait le doyen des étudiants de France. 

- s’assurer d’être informé régulièrement par le doctorant ou la doctorante de l’avancement du projet doctoral : mais enfin, ne parle-t-on pas le plus possible à des amis ? 

- assurer un suivi régulier : de quoi ? 

- lui consacrer une attention et une part de son temps adaptée, accompagner sa prise d’autonomie progressive : là, on réinfantilise, attention ! 

- bâtir une relation constructive et positive avec le doctorant ou la doctorante afin de mettre en place les conditions nécessaires au transfert efficace des connaissances et au développement de ses compétences : là encore, on crée de la lutte des classes avec de telles déclarations ! 

- aider le doctorant à identifier ses points forts et ses faiblesses et l’encourager à développer ses compétences : ça continue. 

- s’assurer que le doctorant ou la doctorante tient compte des contraintes de temps et inscrit ses travaux de recherche dans la durée prévue du projet doctoral : idem. 

- signaler au doctorant les difficultés ou contraintes externes qu’il n’aurait pas identifiées lui-même, les opportunités qui peuvent se présenter : comme avec n'importe quel ami ou collègue, non ? 

- en vue de la soutenance de la thèse, inciter et aider le doctorant, dès le début de la préparation de la thèse, à faire apprécier la qualité et le caractère novateur de ses travaux de recherche, à être apte à les situer dans leur contexte scientifique et à  développer des qualités d’exposition : en réalité, je trouve ces conseils un peu injurieux, car n'est-ce pas ce que ferait un individu normalement constitué ? On prend les directeurs de thèse pour des enfants, après avoir pris les doctorants pour des enfants... 

- s’assurer également que le doctorant ou la doctorante utilise pleinement chacune des opportunités qui lui sont offertes pour développer ces capacités (lors de l’admission en doctorat, à l’occasion d’activités organisées par l’unité de recherche, par l’école doctorale, lors de colloques ou conférences, lors d’entretiens avec le comité de suivi) : ça continue. Oui, ça continue, et je me lasse, alors qu'il en reste encore, du même tabac. 

Surtout, on n'a considéré que des aspects matériels évidents, et pas les aspects intellectuels passionnants ! 

 

Examinons donc ces derniers, en commençant par une anecdote : il y a quelques années, notre groupe de recherche avait reçu un stagiaire extrêmement faible (nous acceptons tous ceux qui veulent apprendre, sans chercher à savoir ce qu'ils savent faire ; celui-ci avait redoublé toutes ses années de licence) ; nous l'avions aidé du mieux que nous pouvions, et, quelques années plus tard, je l'ai retrouvé en master de chimie quantique, preuve qu'un enseignement l'avait rendu capable (parce que je ne crois pas qu'il ait pu pallier ses insuffisances en si peu de temps) d'utiliser des programmes très évolués. 

Autre exemple : j'ai vu des étudiants très jeunes utiliser en claquant des doigts des programmes de calcul qui m'avaient fait considérablement transpirer. 

Bref, les dispositifs d'enseignement " portent" les étudiants, tout comme les bons parents "élèvent" leurs enfants, au sens de "mettre plus haut que soi" (mais je regrette cette comparaison, au fond, parce que je répète que les doctorants ne sont pas des enfants, pas des étudiants, mais de jeunes chercheurs. 

En revanche, les anecdotes précédentes doivent nous inspirer ! Les directeurs de thèse doivent être des soutiens, des pourvoyeurs d'idées que les doctorants peuvent ou non utiliser, selon ce qu'ils jugent bons. D'où la responsabilité du directeur de thèse : proposer des supports théoriques que la simple mise en pratique ne donne pas, instiller des réflexions que le doctorant n'aurait pas seul, par exemple. 

Cela, c'est un devoir bien plus important que la simple gestion administrative, évidente en quelque sorte.

dimanche 5 mars 2023

Des bonnes pratiques à propos de la sélection des phénomènes que nous étudions

 
La première étape du travail scientifique est l'identification d'un phénomène que l'on étudiera.

A ce propos, on comprend que l'exploration de certains phénomènes serait condamnable  et, a contrario, il y a une bonne pratique qui consiste à explorer des mécanismes de phénomènes dans des conditions d'expérimentation qui sont parfaitement éthiques.

Par exemple, l'expérimentation humaine ne peut se faire que dans des conditions extraordinairement cadrées, et certaines explorations ne peuvent pas se faire.

Par exemple, il serait condamnable de priver des patients d'un traitement que l'on sait efficace, lors d'une étude d'un nouveau médicament, et c'est la raison pour laquelle on compare le nouveau médicament au plus efficace connu.

Il y a évidemment lieu, bien avant de commencer un travail, à s'interroger sur les conséquences d'une étude, et c'est ainsi qu'en 1984, des biologistes du monde entier avaient signé un moratoire pour arrêter les études de biologie moléculaire le temps d'une réflexion éthique suffisante.

Aujourd'hui, il y a heureusement des comités d'éthiques dans les institutions de recherche de la plupart des pays, pour rappeler à tous que nous devons avoir des pratiques éthiques, au sens très large : tout aussi bien dans le respect des personnes et des autres organismes vivants, mais, aussi, en relation avec l'environnement.


mercredi 24 mars 2021

La recherche scientifique ? Il faut aimer l'incertain, l'inconnu, s'en réjouir et ne pas seulement le supporter ; s'en délecter !


Il y a un certain temps, un étudiant en stage dans notre groupe de gastronomie moléculaire s'est mis à pleurer quand je lui ai dit que nous ne savions pas ce que nous cherchons.

Il faut que j'explique que la recherche scientifique a pour objectif la découverte. Évidemment, si nous savions par avance ce que sont ces découvertes que nous cherchons à faire, il n'y aurait pas de découvertes puisque ces objets ou ces théories serait connus par avance.
Il nous faut donc explorer des phénomènes avec une méthode que j'ai exposée de nombreuses fois dans d'autres billets, dans l'espoir que nos expérimentations nous conduiront par induction à des théories nouvelles, ou qu'elles fassent apparaître des objets qui étaient alors inconnus.

Des exemples ? Je prends deux seulement.
Tout d'abord, il y a un peu plus d'un siècle, les physiciens ont observé que les phénomènes aux très petites tailles étaient mieux décrites quand on admettait que les grandeurs mesurées étaient quantifiées, à savoir qu'au lieu de varier continument, elles ne variaient que par petits sauts. Cela engendra la  "physique quantique.
D'autre part, bien plus récemment, des chimistes ont découvert que, quand on tirait du scotch posé sur un morceau de charbon, alors on détachait un plan d'atomes de carbone organisés en nid d'abeille, ce qui a été nommé le graphène. Sa découverte a donné d'ailleurs lieu à l'attribution du prix Nobel de chimie.

Personne n'imaginait que l'on fasse l'une ou l'autre découverte, au point même que, pour la première, elle choquait le physicien (Max Planck) qui la fit !

Donc je reviens à  ma question de la découverte, qui est et qui restera imprévue,  imprévisible. J'ai dit ailleurs qu'il n'y avait pas de stratégie simple pour la découverte et que  en conséquence, c'est en creusant des champs avec acharnement, avec soin, avec intuition, avec énergie que l'on avait quelque chance de pouvoir faire des découvertes ou d'inventer des théories.

En tout cas, ce n'est certainement pas en restant immobile que l'on y arrivera : il faut être actif, très actif, attentif car comme le disait très justement Louis Pasteur  « la science sourit aux esprits préparé : » oui, il faut être attentif, sur le qui-vive et traquer tout ce qui n'est pas conforme à nos idées initiales.

J'en arrive maintenant à notre discussion principale  : nous ne savons pas ce que nous cherchons puisque nous voulons faire des découvertes. L'étudiant que j'évoquais initialement s'est mis à pleurer parce que intellectuellement, cela lui était insupportable.
Depuis, cet étudiant a fait une belle carrière... mais pas dans la recherche scientifique, parce qu'il n'était pas à sa place là.

Certains collègues, aussi, ne me semblent pas à leur place : ceux qui considèrent que la position du scientifique est difficile, psychologiquement stressante.

A contrario, sont parfaitement à leur place celles et ceux qui jubilent de ne pas savoir, qui sont parfaitement heureux de devoir découvrir, ceux qui se délectent de cette "promenade dans l'inconnu". Gardons la comparaison avec l'exploration d'une forêt, à partir de la lisière. Sont faits pour la recherche scientifiques ceux qui aiment découvrir une sente, un arbre nouveau, une fleur nouvelle, qui aiment défricher une clairière, voir le bleu du ciel à travers les frondaisons.


vendredi 11 septembre 2020

Comment structurer un journal ?

Rubrique : science/études/cuisine/politique

 

 

1. Tout le monde n'a pas eu la chance d'avoir été invité, un jour, à tenir son journal, et tout le monde n'a pas eu le bonheur de voir celui du physico-chimiste britannique Michael Faraday : http://faradaysdiary.com/. C'est un exemple merveilleux pour ce qui concerne la recherche scientifique et on aurait intérêt à s'en inspirer.

2. Pour autant, pour considérer la question du journal personnel, du "cahier de laboratoire", on serait avisé de partir des trois maîtres mots des laboratoires de chimie, qui sont sécurité, qualité, traçabilité.
 

3. Oui, dans nos laboratoires, la sécurité prime. Cela signifie évidemment beaucoup de soin, beaucoup de connaissances et beaucoup d'attention, mais ce n'est pas l'objet de ce billet que de discuter de cela. Je préfère ici parler de qualité et de traçabilité.

4. On pourrait penser qu'un journal ne vise que la la traçabilité, gardant trace de tout ce que l'on a fait dans la journée, mais en réalité, avec un peu d'intelligence, cette traçabilité rejaillit considérablement sur la qualité.

5. Je fais cette observation, car ayant d'abord admiré que des collègues aient demandé à des étudiants d'avoir un journal pour consigner le résultat de séances de travaux pratiques, j'ai constaté, à  l'analyse, que ces journaux, qui s'apparentent donc à des journaux de bord comme je l'ai déjà dit dans un autre billet (https://hervethis.blogspot.com/2019/08/un-journal-surtout-un-journal-et-des.html), manquaient de structure. Et, comme souvent, c'est la structure qui nous pousse à faire mieux.

6. Voici en tout cas la structure que nous utilisons dans mon groupe de recherche  :

7. On voit que je distingue d'abord l'administration, la communication et le travail. Certains des amis de notre groupe s'étonnent, par exemple, que je mentionne la rédaction d'articles dans la partie de communication plutôt que dans du travail, car,  après tout,  n'est-ce pas aussi du travail que de rédiger des articles ? Oui, mais pour ce qui me concerne, le travail est le travail scientifique, alors que rédactions d'articles ou  conférences sont  de  la communication. D'ailleurs, la même question vaut pour l'administration, puisque c'est dans cette case là que j'y mets personnellement le remplissage de notre spectroscope de résonance magnétique nucléaire avec de l'azote liquide : bien sûr, cela fait partie de mon travail, mais en réalité, c'est une sorte d'intendance et non pas mon travail scientifique stricto sensu.  

8. Il y a bien des cases passionnantes dans notre moule vide, mais la section la plus importante est certainement celle qui évoque "ce qui a coincé", des "symptômes", car c'est là que nous avons une chance de devenir demain plus intelligent qu'aujourd'hui, en nous entraînant à prendre du recul, à analyser, à soliloquer, et, notamment, à ne pas répéter inlassablement les mêmes erreurs.
Une section d'autant plus importante que, même si nous ne parvenons pas à trouver la solution à la question posée, elle est posée... et l'expérience montre que, souvent, la solution vient pendant la nuit (j'ai oublié de signaler que cette section est remplie le soir).

9. Bref, j'invite mes collègues à bien diffuser ce modèle vide, qui peut être rempli chaque jour. Ou, s'ils le souhaitent, à m'en proposer des améliorations ! Après tout, ne suis-je pas sans cesse à chercher à "tendre avec efforts vers l'infaillibilité sans y prétendre"



samedi 4 avril 2020

Pour une recherche scientifique de qualité !

Quelle place pour la "santé" dans l'"alimentation" ?

Je n'oublie pas que j'ai fait la promesse de ne plus parler de nutrition ni de toxicologie, mais cela ne doit pas m'empêcher  de dénoncer des absurdités qui engagent nos collectivités, et, mieux, de promouvoir des activités qui le méritent. Ici, je veux dénoncer une certaine morale diététique qui  est infondée, et je veux absolument promouvoir des travaux scientifiques et techniques, sans lesquels nous ne pourrons jamais avoir de bon guide diététique.

A la base, je propose cette  évidence : nous ne devons pas nous empoisonner quand nous mangeons. Simple ? Pas certain, car on peut  s’empoisonner à court terme ou à long terme, et, évidement, la connaissance des effets à long terme sont plus difficiles à obtenir que la connaissance des effets à court terme. Ainsi, il n'y a pas besoin de mille expériences coûteuses pour voir l'effet de l’amanite phalloïde (et l'on évitera absolument de faire cette expériences), mais il a fallu des décennies de travaux pour arriver à identifier les effets cancérogènes de certaines plantes pourtant "recommandées" (on se demande sur la base de quoi !) par Hildegarde de Bingen au Moyen-Âge !
Bref,  il y a une épidémiologie nutritionnelle  ou toxicologique qui travaille bien (à côté d'une épidémiologie qui travaille mal, comme l'a dénoncé mon confrère Philippe Stoop ici : https://www.academie-agriculture.fr/publications/notes-academiques/1722020-n3af-2020-1-sante-et-alimentation-attention-aux-faux), et qui rend -lentement mais surement- des services, en vue d'applications ultérieures.
Et bien sûr, les politiques publiques ne peuvent être définies que sur des bases solides, par sur des la base de sentiments, d'intuitions, de prétentions...
Or la sphère politique est pressée de montrer aux électeurs qu'elle est utile. Elle profite souvent de n'importe quel événement pour se montrer, pour prendre des décisions, pour faire penser qu'elle est utile... quand bien même ces décisions sont mauvaises : le temps de la recherche scientifique n'est pas celui de la décision politique ! Et c'est ainsi que l'on nous a interdit le pain, puis qu'on nous l'a de nouveau conseillé. C'est ainsi que l'on nous a proposé dix fruits et légumes par jour, avant d'en conseillé cinq. C'est ainsi que, aujourd'hui, il y a cette dénonciation de certains aliments qui n'ont pas la bonne couleur sur un code idiot que l'Etat a pourtant accepté d'utiliser, oubliant que nous ne mangeons pas des aliments, mais une alimentation !

Bref, le politique prend hélas des décisions idiotes sur la base de données scientifiques insuffisantes. N'oublions pas de dénoncer publiquement les idées simplistes de régime méditerranéen, les concepts foireux d'aliments ultra-transformés, les prétentions... disons prétentieuses de l'action bénéfiques de certains composés, tels les polyphénols... Presque pour chaque cas, les propositons ont été réfutées... alors que nous ignorons toujours l'effet à long terme des petites doses de mycotoxines, par exemple. On prône le "bio" qui n'a pas fait ses preuves scientifiques, alors que nous ignorons encore comment se constitue un simple bouillon de carottes ! Et certains hygiénistes ou  nutritionnistes, ou diététiciens, ou toxicologues de chercher à se donner de l'importance, telles des grenouilles qui veulent devenir plus grosses que des boeufs !
Décidément, il y a lieu de ne pas mettre la charrue avant les bœufs, et il faut commencer par produire des données fiables avant d'intervenir, avant de proposer d'intervenir. Avant de payer des sommes considérables à la communications nutritionnelle, l'Etat ferait mieux de les donner à une recherche scientifique de qualité, pour que nous puissions ensuite bâtir les programmes efficaces qui seront rendus possibles par des données fiables.

Même pour le court terme, la question est difficile, car les composés n'ont pas une action unique sur l'organisme, et n'agissent pas non plus de la même façon sur tous les organismes. Pour prendre un exemple un peu éloigné de l'alimentation (on voit mieux a paille dans l'oeil du voisin que la poutre dans son propre oeil), je propose de considérer la question des médicaments anticancéreux, et, notamment, de ceux que l'on administre contre le cancer du sein.
Il faut d'abord dire que ces médicament s'imposent, car l'alternative est simple : soit le cancer se développe, soit il est tenu en arrêt par le traitement. Bien sûr,  ce dernier a des effets secondaires. Et bien sûr, il faut absosulment chercher à limiter ces effets, mais pour un état donnée de la connaissance scientifque et technique, il faut faire avec ce que nous savons, pragmatiquement, et supporter des effets secondaires qui évitent un plus grand mal.
Sans perdre de temps : la recherche doit évidemment continuer de travailler. Et pour ce cas du cancer du sein, il y a eu un épisode bien triste, il y a queques années : des laboratoires pharmaceutiques ont eu cette merveilleuse idée d'observer que les mêmes  médicaments antitumoraux avaient parfois une action bénéfique sur le sein, mais délétère sur les ovaires, en raisons de récepteurs différents dans les deux tisuss. Est alors apparu le concept de SERM, médicaments d'une sorte nouvelle qui visaient à avoir une action bénéfique sur les deux tissus. Hélas, alors que les effets étaient localement ceux que l'on voulait, il n'y a pas eu les résultats escomptés sur la maladie, en termes statistiques.

On le voit, la question est difficile, parce que les systèmes considérés sont complexes. Et cela devrait suffire à rabattre le caquet des Messieurs et Dames qui savent tout pour notre bien. Pour la maladie comme pour  l'alimentation.
Car là aussi les exemples ne manquent pas : tel polyphénol peut être bénéfique d'un certain point de vue et délétère d'un autre. Tel composé est plus ou moins nocifs qu'on l'imagine. La question de la toxicologie n'est  pas une question simple, et  c'est en raison de cette observation que, en l'état des connaissances, il y a sans doute lieu de considérer que la règle nutritionnelle est de manger de tout, en petites quantités, et de faire de l'exercice. Les panacées, et même les solutions simples (on devrait dire simplistes) sont l'apanage de malhonnêtes ou des ignorants, que l'on ne doit ni suivre ni écouter. Le message est clair pour les pouvoirs publics : sauf à être démagogue, on ne doit pas écouter le chant des sirènes, et l'on doit investir dans la recherche scientifique et technologique.

Tout cela étant dit, nous pouvons revenir à notre question de la place de la santé dans l'alimentation. Bien sûr, on voudrait que l'alimentation contribue à la santé, mais on voit que les temps ne sont pas mûrs. On voit aussi que, en 2050, il faudra nourrir 10 milliards d'invidivus, alors qu'on ne sait le faire que pour 6 milliards. Il y a donc lieu de considiérer le plus urgent, et de se préparer efficacement ; ne perdons pas de temps inutilement avec des questions sanitaires qui ne sont pas prêtes  et posons nous la question principale.

Surtout, promouvons la recherche scientifique de qualité !

samedi 29 décembre 2018

A propos d'évaluation de la recherche scientifique

Il faut quand même que les contribuables sachent que les laboratoires de recherche scientifique ne sont pas des tours d'ivoire peuplées d'individus qui ignorent d'où viennent leurs financements.
Au contraire, ce sont souvent des individus très concernés, très responsables de l'argent public. Et ils ont à coeur de faire le mieux possible, leur métier difficile.
Pour autant, il y a des laboratoires plus actifs que d'autres, des individus plus ou moins bons scientifiques, des structures de recherche plus ou moins bien gérées. Et c'est le rôle de la structure nationale nommée HCERES (Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur) que d'évaluer la recherche scientifique en France. Inutile de dire que tout est très rigoureusement encadré, que ces évaluations sont codifiées à la fois par la loi et par des réglements intérieurs variés. Des "comités de visite" sont nommés, et ils ont des mission précisément orchestrées, qui vont des visites de laboratoire aux entretiens avec les personnes des laboratoires.
Cela étant, ces comités de visite sont composés d'humains, avec leurs caractères variés, leurs idiosyncrasies, et la responsabilité du président du comité de visite est lourde, puisqu'il s'agit de ne jamais outrepasser ses droits. Tout comme le rapporteur d'une publication scientifique, au fond.
Dans les deux cas, il s'agit de s'assurer que les personnes que l'on rencontre agissent conformément à la mission qui leur a été confiée. Difficile tâche, sachant qu'il s'agit de recherche scientifique, et que l'on n'oubliera pas l'histoire d'Andrew Wiles, que voici.


De la conjecture au théorème 

Le théorème doit son nom au mathématicien français Pierre de Fermat, qui l'énonce en marge d'une traduction (du grec au latin) des Arithmétiques de Diophante, en regard d'un problème ayant trait aux triplets pythagoriciens : « Au contraire, il est impossible de partager soit un cube en deux cubes, soit un bicarré en deux bicarrés, soit en général une puissance quelconque supérieure au carré en deux puissances de même degré : j'en ai découvert une démonstration véritablement merveilleuse que cette marge est trop étroite pour contenir ».
Ce texte nous est parvenu par une transcription réalisée par son fils Samuel, qui a publié une réédition du Diophante de Bachet augmentée des annotations de son père cinq  ans après la mort de celui-ci. On n'a pas d'autre description de l'exemplaire portant les annotations de Fermat, qui a été perdu très tôt, peut-être détruit par son fils pour cette édition.Et aucune démonstration ou tentative de démonstration n'a été retrouvée.
Jusqu'à quelques années, on parlait donc de la conjecture de Fermat, qui s'énonçait comme suit :
Il n'existe pas de nombres entiers non nuls x, y et z tels que : x^n+y^n = z^n;
dès que n est un entier strictement supérieur à 2.
Depuis Fermat, nombre de mathématiciens, des plus obscurs aux plus grands, se sont essayés à retrouver la démonstration, sans y parvenir. De belles mathématiques ont été produites chemin faisant, mais pour la démonstration, rien !
Et c'est alors que vient le moment qui doit interroger les comités de visite HCERES : en Grande Bretagne, le mathématicien Andrew Wiles était connu, mais il n'avait pas de fait d'armes extraordinaire à son actif. A un moment de sa carrière, il a cessé d'aller au laboratoire pour se retirer chez lui et chercher à démontrer la conjecture. Pendant huit ans, soit deux périodes d'évaluation, il a été absent de son laboratoire, a travaillé dans le secret le plus complet. Puis, en juin 1993, en conclusion d'une conférence de trois jours, il annonce que le grand théorème de Fermat est un corollaire de ses principaux résultats exposés. C'est un événement mondial !
Dans les mois qui suivent, la dernière mouture de sa preuve est soumise à une équipe de six spécialistes (trois suffisent d'habitude) :  chacun doit évaluer une partie du travail. Parmi eux figurent Nick Katz et Luc Illusie, que Katz a appelés en juillet pour l'aider ; la partie de la preuve dont il a la charge est en effet très compliquée. Font aussi partie des jurés Gerd Faltings, Ken Ribet et Richard Taylor. On travaille dans la plus grande confidentialité, l’atmosphère est tendue, le poids du secret est lourd à porter. Après que Katz a transmis à Wiles quelques points à préciser, que celui-ci clarifie rapidement, les choses commencent à se gâter : Nick Katz et Luc Illusie finissent par admettre qu'on ne peut pas établir dans la preuve, pour l’appliquer ensuite, le système d'Euler, alors que cet élément est considéré comme vital pour la faire fonctionner. Peter Sarnak, que Wiles avait mis dans la confidence de sa découverte avant la conférence de juin, lui conseille alors de se faire aider par Taylor. Les tentatives pour combler la faille se révèlent pourtant de plus en plus désespérées, et Wiles, maintenant sous le feu des projecteurs, vit une période très difficile, il est à bout de forces, il pense qu'il a échoué et se résigne. Ce n’est que neuf mois plus tard que se produira le dénouement.
À l’automne, Taylor suggère de reprendre la ligne d’attaque utilisée trois ans auparavant. Wiles, bien que convaincu que ça ne marcherait pas, accepte, mais surtout pour convaincre Taylor qu'elle ne pourrait pas marcher. Wiles y travaille environ deux semaines et soudain, le 19 septembre 1994 : « En un éclair, je vis que toutes les choses qui l’empêchaient de marcher, c’était ce qui ferait marcher une autre méthode (théorie d’Iwasawa) que j’avais travaillée auparavant. » Le 25 octobre 1994, deux manuscrits sont diffusés, et un document final est publié en 1995.


Une moralité à chercher absolument

Quelle aurait été la position d'un comité de visite HCERES face à un Wiles absent du laboratoire depuis sept ans, sans motif (puisque sa recherche était secrète) ? Qu'auraient pensé les contribuables ? Qu'aurait pensé un directeur de laboratoire voyant un membre de son équipe qui ne venait jamais, ne participait à aucune de ces animations de laboratoire que ledit directeur se sent obligé d'organiser ?
Je propose que l'on n'oublie pas cet épisode, en se souvenant aussi que Wiles a plus fait pour les mathématiques que nombre de ses collègues qui ont mené la vie régulière que l'on attendait d'eux. Au fond, l'institution scientifique veut surtout des Wiles, mais se donne-t-elle vraiment les moyens d'en avoir ?

jeudi 18 octobre 2018

L'animation scientifique

Il est donc admis qu'un directeur scientifique n'est pas un secrétaire de laboratoire ou d'institution, ni un président, et que, n'étant pas toujours scientifiquement supérieur (un mot compliqué !) à certains/es de ses collègues, il peut difficilement édicter des directions, sauf à organiser des consultations démocratiques qui aboutiraient à des monitions qui se traduiraient en termes financiers (et cela, peut-être de façon indue : la moyenne entre le goût pour le vin rouge et le goût pour le vin blanc n'est pas le goût pour le vin rosé).
Que peut faire, alors, un directeur scientifique ? Après de longues réflexions, je me demande -j'insiste, je me demande- si la solution n'est pas dans l'animation scientifique du groupe dont le directeur a la charge (s'il a un titre, donc un honneur, il doit nécessairement des devoirs, n'est-ce pas ?).

Mais la question devient alors : qu'est-ce qu'une animation scientifique ?

Et ma réponse personnelle est presque immédiate, à défaut d'être juste : c'est le partage avec chacun de l'excitation de la recherche scientifique, un partage d'enthousiasme pour des objets qui sont extraordinaires. Pensez : la Connaissance ! L'honneur de l'esprit humain, sa substantifique moelle...
Quelles que soient les sciences, les objets que nous considérons, et jusqu'à la méthode que nous mettons en oeuvre, tout cela est merveilleux. La méthode, tout d'abord : rien  que son énoncé en prouve l'importance et la beauté.
Je la rappelle pour mémoire :
1. identification de phénomène
2. caractérisation quantitative
3. réunions des résultats de mesure en lois synthétiques, c'est-à-dire en équations
4. induction de théorie, par regroupement des "lois" et introduction de notions, concepts, objets...
5. recherche de conséquences testables des propositions faites dans les théories
6. tests expérimentaux de ces conclusions
7. et l'on boucle à l'infini, dans une spirale d'amélioration constante.
L'objet, d'autre part : je pars de cette citation de Jean Perrin : « expliquer du visible compliqué par de l'invisible simple » (Les atomes, page V de l’édition de 1913).



Dans ma Sagesse du chimiste (dont je ne suis pas parfaitement content, rétrospectivement), je dis un peu différemment la chose, en évoquant ce monde formel qui se superpose au monde matériel, ce monde mathématique qui décrit si bien les phénomènes, cette correspondance constance que fait la science entre des objets banaux et des concepts merveilleux. Ah, l'énergie libre, l'entropie, la mésomérie, la chiralité, les associations supramoléculaires... Ah, ces équations aux dérivées partielles qui mettent de la beauté mathématique dans le cambouis du réel !
Décidément, il y a de quoi se lever tôt le matin, pour se hâter d'aller au laboratoire...




Mais je me suis éloigné, et je reviens à ma question avec cette phrase que l'on m'avait offerte le jour où j'ai reçu une décoration nationale : "L'enthousiasme est une maladie qui se gagne",de Voltaire.



Dans un autre billet, j'ai proposé de rechercher des améliorations de cette citation (https://hervethis.blogspot.com/2016/08/lenthousiasme-est-une-maladie-qui-se.html), et il serait temps que nous passions à un "L'enthousiasme est un bonheur qui se propage parce qu'il se partage", par exemple. Mais vous trouverez peut-être mieux ?

Et, en tout cas, je vois bien un rôle de directeur scientifique qui serait un "discutant"  dans des séminaires (pas des séquences lourdingues, pas de ces pensums interminables qui prennent sur le temps de recherche), quelqu'un qui s'évertuerait à croiser  des regards, à aider chacun par des actions qui apporteraient des idées, des méthodes, des outils, des concepts... et de l'enthousiasme, cette conviction que notre métier scientifique est extraordinaire.

Et plus si affinités !









jeudi 23 août 2018

Quelle chance ! Quelle responsabilité !

A la réflexion, il est très enthousiasmant de travailler dans une école comme AgroParisTech et cela pour deux raisons principales. Premièrement il y a une responsabilité essentielle à y faire de la recherche, et, deuxièmement, il y a tous les étudiants, et la possibilité de contribuer à les aider à développer des compétences utiles pour nos collectivités.
J'ai énoncé les deux activités dans l'ordre précédent parce que je suis payé par l'Inra pour être chercheur, et non d'abord professeur-chercheur (on observe que je m'interdis de parler d' "enseignant-chercheur", comme je le dirai dans un billet suivant), ce qui serait le cas si j'étais payé par AgroParisTech. Toutefois je ne mets pas une activité au dessus de l'autre, et c'est seulement l'énonciation qui m'impose un ordre.
Faire une recherche dans ce cadre particulier ? On pourrait observer que ma recherche scientifique n'a pas dévié depuis le temps où je la faisais dans mon laboratoire à la maison, pas plus qu'elle n'avait changé quand mon laboratoire était venu au Collège de France. Je fais ce que je dois, c'est-à-dire de la recherche scientifique de qualité dans ce champ de la gastronomie moléculaire qui est très essentiel pour nos collectivités. Mais il y a une logique certaine à ce que ma recherche soit précisément dans le cadre d'AgroParisTech, et rétrospectivement je remercie ceux qui m'ont conduit ici, puisque c'est sans doute l'endroit où je suis le plus à ma place.
En effet, AgroParisTech étant un institut des sciences et industries du vivant et de l'environnement, l'alimentation est un des trois champs essentiels de l'école (comme pour l'Académie d'agriculture de France), de sorte que je ne pense pas avoir à gauchir ma recherche pour mieux l'inscrire dans le cadre général des recherches de l'école, et, au contraire, je crois tout à fait bon qu'AgroParisTech affiche des travaux de gastronomie moléculaire.
Bien sûr, je ne suis pas en train de dire que la recherche à AgroParisTech doive se résumer à la gastronomie moléculaire, car nous devons former aussi des ingénieurs pour l'industrie alimentaire, ce qui passe notamment par une connaissance des procédés industriels, de la nutrition, etc. Toutefois je maintiens que la science est un socle indispensable au développement de la technologie, et la gastronomie moléculaire, à ce titre, trouve absolument sa place, comme elle trouve sa place dans le master européen «Food innovation and product design » (FIPDES), où nos étudiants ont des cours de théorie de la chaleur, de génie génétique, de sciences de la consommation, d'emballage, de statistiques et de mathématiques…
Tout cela concerne l'alimentation, alors qu'AgroParisTech a un intérêt plus large, avec de l'agronomie, des préoccupations d'environnement… Je fais confiance à mes collègues de ces champs-là pour bien identifier les recherches particulières qui permettent d'élaborer des enseignements modernes, lesquels feront un socle pour les développements scientifiques et technologiques de nos étudiants.
Car je rappelle quand même ma métaphore de la montagne du savoir. Quand la science moderne a été créée, disons pour simplifier par Galilée à la fin du 16e siècle, le savoir scientifique s'est enrichi d'une couche : l'inertie, la mécanique… Puis Newton a contribué à déposer une couche supplémentaire, avec la gravitation universelle, et la mécanique s'est développée davantage, tandis que la chimie commençait à se constituer, avec la chimie pneumatique, la découverte d'éléments tels que le phosphore... Puis, au siècle suivant, des couches supplémentaires se sont ajoutées, et ainsi de suite jusqu'à aujourd'hui.
Pour faire progresser les sciences, d'une part, nos étudiants doivent connaître les idées et concepts anciens quand ils sont justes, pour en trouver des prolongements. Ils ont donc à gravir cette montagne pour atteindre le sommet, afin, de là, de faire croître la montagne. Et les professeurs ont le devoir de les aider à ne pas perdre de temps avec toutes les idées erronées du passé. Mais le fait reste : c'est à partir des idées actuelles, les plus modernes, que nos étudiants pourront trouver ds prolongements, ce qui impose que les études que nous leurs proposons fassent état des théories les plus actuelles.
D'autre part, en matière de technologie, j'ai l'impression qu'il n'est pas faux de proposer que l'innovation se fonde sur les résultats les plus modernes des sciences, car les innovateurs du passé ont déjà largement utilisé les idées plus anciennes. De sorte que, là encore, nos étudiants doivent recevoir le savoir le plus moderne. Et cela justifie que les professeurs-chercheurs fassent de la recherche, afin de bien connaître, en profondeur, ce savoir moderne, en vue d'en faciliter la transmission. On observe que je n'ai pas écrit « en vue de l'enseigner », et je renvoie vers des billets précédents pour expliquer pourquoi je partage les avis d'Albert Einstein et de Feynman, qui n'étaient pas les premiers imbéciles venus.
Du premier, je retiens notamment : "Je n’enseigne rien à mes élèves, j’essaie seulement de créer des conditions dans lesquelles ils peuvent apprendre ".
Et du second : " The question, of course, is how well this experiment has succeeded. My own point of view which however does not seem to be shared by most of the people who worked with the students- is pessimistic. I don't think I did very well by the students. When I look at the way the majority of the students handled the problems on the examinations, I think that the system is a failure. Of course, my friends point out to me that there were one or two dozens of students who -very surprisingly- understood almost everything in all of the lectures, and who were very active in working with the material and worrying about the many points in an excited and interested way. These people have now, I believe, a first-rate background in physics and they are, after all, the ones that I was trying to get at. But then, "The power of instruction is seldom of much efficacy except in those happy dispositions where it is almost superfluous." (Gibbons).".
Je reviens donc maintenant sur la question de la responsabilité que j'ai évoquée initialement : on voit que cette responsabilité s'accompagne du devoir très clair de produire et d'aider à transmettre les connaissances scientifiques les plus modernes, les plus avancées.
Il y a d'autres responsabilités aussi, et la première est que nous devons être des inspirateurs, et non des étouffoirs. L'enthousiasme étant exemplaire, nous avons l'obligation de faire nos travaux de recherche et d'organiser les études dans le plus grand des enthousiasmes. On aurait pu ajouter : « que nous soyons nous-mêmes enthousiastes ou pas », mais cela n'est pas nécessaire, car comment ne pas s'enthousiasmer des résultats scientifiques modernes ? Comment ne pas être enthousiaste à l'idée que les étudiants puissent découvrir des idées superbes ? Des idées scientifiques modernes : j'en prends une, à savoir la découverte du graphène, cette couche monoatomique d'atomes de carbone organisés en nid d'abeille et que l'on produit en tirant sur un morceau de scotch qui a été initialement posé sur du graphite. Rien que le procédé est extraordinaire, mais, de surcroît, on obtient ainsi un matériau supraconducteur, c'est-à-dire où le courant électrique circule sans atténuation ! Quant aux études, j'aime l’exemple du calcul tout simple d'une expression comme x1 y2 - x2 y1, dont un peu de culture scientifique permet de voir qu'il s'agit du déterminant d'une matrice, donc d'une caractérisation d'une transformation géométrique, par exemple : les études qui permettent ainsi de voir derrière la banalité d'une expression mathématique sont quelque chose de merveilleux, d'enthousiasmant !
Quel belle école nous avons !

lundi 9 juillet 2018

Nos étudiants doivent travailler dans l'industrie !


Peut-être ai-je tort de m'exprimer à ce propos, parce que le sujet est politique, donc sujet à controverses, mais c'est en réalité une réponse à des questions que me posent des étudiants.

Beaucoup sont un peu égarés par la cacophonie sociétale, et ils ont une idée fausse du monde réel -et pas fantasmé par des média- où ils vivent. Par exemple, je me souviens d'un étudiant en stage dans notre groupe de recherche qui voulait faire de la science, parce que, disait-il, l'industrie aurait été un milieu humainement effroyable. Il faisait une double erreur : d'une part, à propos de l'industrie, et d'autre part à propos  de la science.
A propos de l'industrie : je ne sais comment il avait eu cette idée fausse sur l'industrie, parce que, quand même, l'industrie, c'est 90 % pour cent au moins de notre pays, et à moins d'admettre que l'humanité est inhumaine, comment penser que toutes les sociétés, petites, moyennes ou grosses, ne soient composées que de gens terribles ? Méfions-nous des généralités, disait justement Michael Faraday)
D'autre part, à propos de science, la question était quand même de savoir s'il avait les capacités pour en faire... et cet étudiant-là était un des plus faibles qui soient jamais venus dans notre groupe. Pour mieux comprendre, d'ailleurs, j'ajoute que j'accepte TOUS les étudiants qui veulent venir apprendre, sans tri, sans sélection, et non pas parce que j'ai besoin de main d'oeuvre (je sais très bien faire ce qui m'amuse tout seul), mais surtout parce que je me sens une obligation morale depuis que la première stagiaire m'avait harcelé pour venir en stage, alors que je refusais tout le monde, et qu'elle m'avais convaincu avec l'observation : "Vous, on vous a accepté en stage".
Bref, pour en revenir à l'étudiant qui détestait l'industrie (sans la connaître), il était aussi enfantin qu'un enfant qui déteste les épinards sans les goûter, et, surtout, il n'avait ni les capacités pour faire de la science, ni les connaissances acéquates... ni la capacité de travail pour rattraper son retard.  Je me trompe peut-être, mais je ne crois pas que ce garçon ait pu, depuis qu'il nous a quitté, devenir capable de faire de la science. En réalité, il faisait partie de ce grand nombre de personnes que la vulgarisation fascine, mais qui ressemblent aux papillons de nuit qui viennent se brûler les ailes sur les bougies qui brûlent dans la nuit.
Cet exemple est le pire de ceux que j'ai rencontrés, mais il n'en demeure pas moins que beaucoup de nos stagiaires venus de l'université ne comprennent pas pourquoi ils devraient viser une carrière "industrielle", et ils veulent faire de la "recherche", sans savoir ce que recouvre ce mot, et sans en avoir la capacité, alors que la fin de leurs études approche. A ce propos de "recherche", je me suis expliqué dans un billet précédent.
D'autres étudiants confondent science, technologie et technique, ce qui, on en conviendra, ne peut guère les aider pour faire des choix... en supposant que le retard qu'ils ont pris leur permettent de le faire encore.
Et d'autres encore ne comprennent pas pourquoi les institutions scientifiques ne peuvent pas accepter tous les postulants, pourquoi tout le monde ne peut pas être fonctionnaire.

Je ne critique pas nos étudiants, mais je propose d'être de ceux qui les aident en leur disant des choses justes, pas démagogiques. C'est pour eux, et pour eux seulement, que je fais ce billet.

Je propose donc de dire, de façon très élémentaire, que ce monde où nous vivons (eux aussi !) -pensons pour l'instant à la France- est un monde où chacun utilise (je ne dis pas "consomme") des ingrédients alimentaires ou des aliments, des briques et des peintures pour se loger, des voitures, bicyclettes, trains et avions pour se transporter, des vêtements, des ordinateurs...
Cela, nous le payons avec l'argent que nous gagnons par notre travail... de production : le plus souvent, nous échangeons notre activité, notre "industrie", contre de l'argent qui paye ces biens dont nous avons besoin. D'ailleurs, je dis "des biens", mais il peut s'agir de services !
Et l'industrie alimentaire de produire des aliments qu'elle fait payer, ce qui paye ses salariés, qui achètent des ordinateurs à sociétés micro-électroniques, des voitures à des constructeurs, de l'énergie à des société idoines, des vêtements à des sociétés textiles ; et chacune de ces sociétés fait payer les biens qu'elle produit, afin de distribuer l'argent qu'elle gagne à ses salariés, qui achètent etc.

On le voit, dans cette affaire de production de biens et de services, les fonctionnaires n'ont pas leur place. Ils ne la trouvent que parce que l'état prélève des impôts, pour harmoniser le fonctionnement de la collectivité nationale. Cet argent permet de créer les routes qui servirons à tous : pour que les citoyens puissent aller travailler ou partir en vacances, pour que les transporteurs routiers puissent faire leur métier, et, plus généralement pour que les citoyens puissent circuler. Il permet de payer des fonctionnaires dans des agences de régulation du commerce, dans des institutions de contrôle de l'hygiène (afin que n'importe qui ne puisse pas empoisonner tout le monde en vendant des aliments malsains).
Je passe sur les nombreux  services de l'état, pour me concentrer sur la recherche scientifique. C'est parce que l'innovation est la clé de la réussite industrielle que l'état paye des scientifiques, qui produisent de la connaissance que les ingénieurs peuvent ensuite transférer, afin d'améliorer la technique. Ce qui pose d'ailleurs une grave question pas résolue, à savoir que les petites entreprises et les artisans n'ont pas d'ingénieurs pour faire ces transferts. D'où des structures nationales pour les aider.

L'argent de l'état étant limité, le nombre de scientifiques ne peut être très grand, l'on ne peut donc embaucher que les "meilleurs". D'où des concours, qui viennent souvent bien tard, après une thèse, un ou deux séjours post-doctoraux : parfois, on n'a de poste qu'à un âge avancé... et un salaire qui est loin d'être celui d'un ingénieur dans l'industrie.
Personnellement, contribuable, je revendique que les institutions de recherche scientifique n'aient que les plus capables : ceux qui ont les "capacités" de faire de la recherche scientifique.

Quelles capacités, au fait ? Comprendre la science n'est pas suffisant : c'est bien pour un ingénieur, qui doit en faire un transfert, mais pas pour un scientifique, qui doit surtout produire de la connaissance.
D'ailleurs, il faut dire aux postulants que la science que l'on fait n'est pas celle du 18e, du 19e ou même du 20e siècle : c'est celle du 21e siècle. La connaissance de la science des siècles passés (mécanique quantique, relativité, prémisses de la biologie moléculaire...)  est bien insuffisante, et il faut bien comprendre la science d'aujourd'hui pour l prolonger. Pour cela, il faut avoir un esprit ouvert, pas dogmatique, afin d'être capable de mettre en question les théories que l'on s'est donné du mal à comprendre. Certainement il faut être rigoureux, minutieux, imaginatif (pour introduire des concepts nouveaux). Certainement aussi il faut savoir calculer comme chantent les rossignols, puisque les deux pieds de la science sont l'expérience et le calcul.

Bref très peu de nos étudiants peuvent devenir scientifiques, et ceux qui le souhaitent doivent s'y prendre très tôt, et ne cesser d'apprendre. Guère de place pour la poussière du monde : les matchs de football, les "voyages", les agrégations décervelées au bistrot... Il faut aimer les équations différentielles, le calcul, les mécanismes moléculaires...

J'ajoute, pour terminer, que ne pas être scientifique n'est pas une tare ! Il n'y a pas de hiérarchie entre la production scientifique de connaissance et la production de biens : un astrophysicien n'est pas mieux qu'un constructeur de ponts, et il y a une fierté à être un bon ingénieur qui orchestre l'activité d'une équipe technique, ou à être un bon technicien qui fait une production de qualité, et, mieux, de qualité sans cesse améliorée.

lundi 8 janvier 2018

La gastronomie moléculaire est-elle une activité "citoyenne" ? (oui!!!!)

 On vient de me poser une question des plus difficiles, à savoir comment l'étude des précisions culinaires s'intègre à la gastronomie moléculaire, et comment elle s'articule avec nos études très fondamentales d'aujourd'hui.


A la réflexion, la question s'éclaircit si l'on considère la méthode des sciences de la nature, puisque  la gastronomie moléculaire est, on le répète, une activité de ce type.

Pour la recherche scientifique, donc, les travaux s'effectuent de  la façon suivante :
- observation d'un phénomène,
- quantification de ce phénomène,
- réunion en lois synthétiques (équations) des données quantitatives obtenues par les mesures,
- recherche de mécanismes  quantitativement compatibles avec ces lois, c'est-à-dire avec les équations établies,
- recherche d'une conséquence de la théorie constituée par l'ensemble des équations dégagées,
- et, enfin, test expérimental de cette conséquence.

Tout travail effectué à propos d'une ou plusieurs de ces étapes participe donc de la recherche scientifique qu'est la gastronomie moléculaire.

Notamment les précisions culinaires ont un rapport avec la toute première étape.
En effet, pour la cuisine, des phénomènes qui ont été signalés par les praticiens, du moins par les auteurs de livres de cuisine, ne sont pas toujours avérés. Or les mathématiciens savent bien qu'il est inutile d'aller caractériser des objets mathématiques qui n'existent pas. Avant de chercher des mécanismes des phénomènes que la tradition culinaire nous signale, nous  devons d'abord établir l'existence de ces phénomènes,  et les explorations que je faisais initialement, l'étude des précisions culinaires,  sont précisément de telles vérifications préalables. Nous devons établir les faits avant de les examiner.
Cette règle n'est pas limitée à la science, car l'un des anciens directeurs du journal Le Monde le disait en  d'autres mots  : d'abord les faits, puis les interprétations.

Les précisions culinaires, transmises oralement ou par écrit, sont innombrables, et le livre Les précisions culinaires montre bien que si certaines sont parfaitement justes, d'autre sont complètement fausses. Cela conduit à s'interroger sur la raison pour laquelle les précisions culinaires fausses ont été transmises, mais, ayant déjà fait des propositions pour  explorer cette question, et, ne cherchant pas moi-même, pour des raisons de stratégie scientifique, à suivre les pistes que j'avais alors tracées, je propose de m'arrêter là, et je renvoie à mon livre.

Nos travaux actuels, sur la bioactivité des gels, n'ont effectivement rien à voir avec cette toute première étape, mais la raison en est que, dans le champ exploré, nous avons réussi à aller plus loin que cette première étape du travail scientifique, qui, au moins pour ce qui me concerne, a constitué le début de travail de gastronomie moléculaire, depuis le 16 mars 1980.
Pour autant, le travail d'exploration des précisions culinaires est loin d'être terminé, et, mieux, il ne fait que commencer, puisque se créent aujourd'hui des centres de gastronomie moléculaire dans divers  pays, où des collègues devront faire eux-mêmes l'exploration des précisions culinaires de leur propre pays.
C’est à ce titre que je suis heureux de voir que les étudiants de notre master international Food Innovation and Product  Design, ont comme exercice de recueillir des recettes de leur pays, de sélectionner des précisions culinaires présentes dans ces recettes, et de les tester expérimentalement. Est ainsi donnée une impulsion pour qu'ils poursuivent  les travaux dans leur propre pays et  pour que, quand ils auront des résultats, nous puissions faire de la gastronomie moléculaire comparative, c’est-à-dire que nous aurons de meilleures chances d'explorer les raisons pour lesquelles les précisions culinaires ont été transmises.

Notre travail fondamental est moins accessible aux  « citoyens », puisqu'il faut beaucoup de calculs et de moyens expérimentaux perfectionnés, tant il est vrai que l'analyse chimique ne se fait plus aujourd'hui comme il y a un siècle. Dans un billet précédent, je me suis amusé de ce que l’on nomme la science citoyenne, ou collaborative, ou participative : on aura reconnu dans les trois adjectifs précédents des mots bien à la mode, qui sont d'ailleurs souvent utilisés de façon démagogique. Pourtant il est exact que les enfants, les adolescents, les adultes peuvent parfaitement participer à ce travail d' exploration des précisions culinaires, car, souvent, il est bien simple de tester expérimentalement les prescriptions qui sont données. Et c'est pour cette raison  qu'il est important de créer une sorte de musée des précisions culinaires, où l'on donnera à tous le résultats des tests, afin de faire avancer l'art culinaire.






Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

vendredi 8 décembre 2017

Qu'est-ce qu'une thèse ?

Qu'est-ce qu'une thèse ?

Chaque école doctorale émet ses documents pour le dire... mais leur consultation ne me convainc pas. Souvent, il est plus question de forme administrative que de contenu scientifique, et l'on balance entre "une thèse, c'est trois ans de travail dans un laboratoire" et "une thèse, c'est trois publications au minimum".

Pourtant, l'AERES statue, et les membres des comités de visite ont chacun leur idée, plus ou moins fondée. Pourtant, le statut des doctorants, qui n'est pas celui des étudiants, montre bien que l'on est "grand" quand on commence sa thèse, et qu'il est terrible de voir que nombre d'étudiants qui s'inscrivent en thèse comptent sur leur directeur de thèse pour se laisser transformer en machine à faire des expériences.

Je propose que l'on dise d'abord qu'un doctorant, c'est un chercheur.
Je propose que l'on impose à ces chercheurs d'être "grands", autonomes.
Je propose que, de ce fait, le rôle des directeurs de thèse ne soit pas celui de garde-chiourmes.
Je propose... que chacun mette un commentaire derrière ce billet, pour que, collectivement, nous arrivions à quelque chose de raisonnable.

En attendant, permettez-moi de vous livrer un extrait d'un courrier reçu d'un jeune docteur :

____________________________________________________________________________________
"Je n'ai malheureusement pas pu retravailler le manuscrit pour en faire une vraie thèse, même si j'aurais réellement souhaité le faire. Cette question de ce que doit être une thèse est effectivement cruciale.

"Je crois qu'il y a beaucoup de maîtres de conférences et de professeurs qui ont parfois beaucoup de mal à remettre en cause les techniques traditionnelles. Le rôle des encadrants est je pense aussi important, pour faire profiter le thésard de leur expérience, en les prévenant quand ils vont dans le mur, sans esprit de compétition, et surtout en acceptant de s'impliquer dans le suivi des travaux, et pas uniquement pour s'assurer que leur nom apparaît sur les publications.

"Enfin, il y aussi quelque chose d'assez malsain (je trouve) qui consiste à considérer comme de la recherche une simple constatation, sans chercher à en trouver les causes. Si le but de la thèse est de générer le plus de résultats possibles sans autres forme d'investigation, est-ce réellement la peine d'avoir un master ou un diplôme d'ingénieur?

"Si ma soutenance un peu houleuse peut faire prendre conscience de certaines choses à mon université, ce sera déjà ça. Je suis bien sûr assez désabusé par mon expérience scientifique, et j'ai hâte de continuer sur un nouveau projet de recherche pour le faire "dans les règles"."

________________________________________________________________________________________

Ce qui m'alerte, dans ce message, c'est surtout que ce n'est pas le premier de ce type que je reçois.
Analysons calmement :

1.
"Je n'ai malheureusement pas pu retravailler le manuscrit pour en faire une vraie thèse, même si j'aurais réellement souhaité le faire. Cette question de ce que doit être une thèse est effectivement cruciale." :
Il y a la question : qu'est-ce qu'une "vraie thèse"? Cette question se pose du point de vue de la forme et du point de vue du contenu ; ou plutôt non : du point de vue du contenu, d'abord, et du point de vue de la forme ensuite.

Les règles administratives actuelles considèrent que l'on nomme thèse aussi bien un travail scientifique et un travail technologique. Cela pour le contenu.
Pour la forme, de récentes expériences m'incitent à penser que la thèse "idéale", en 2010, serait composée de 100 pages, pas plus, avec une masse considérable d'annexes.

Oui, 100 pages et pas plus, parce que les membres des jurys, soit parce qu'ils ont la flemme de lire des pavés, soit parce qu'ils craignent le copier-coller, soit parce qu'ils veulent honnêtement que le doctorant fasse preuve d'esprit de synthèse, les membres du jury, donc, recommandent des documents synthétiques.

Cependant, je suis personnellement très opposé à une thèse qui serait si brève, parce que les revues (de chimie) réduisent les nombres de pages, de sorte que l'on ne peut plus donne dans les publications les informations nécessaires à l'évaluation de ce qui est écrit. Où le faire, si on ne le fait plus ni dans les publications, ni dans les thèses?

C'est la raison pour laquelle je préconise de très volumineuses annexes... où les "Matériels et méthodes" seront très détaillés.


2.
"Je crois qu'il y a beaucoup de maîtres de conférences et de professeurs qui ont parfois beaucoup de mal à remettre en cause les techniques traditionnelles. Le rôle des encadrants est je pense aussi important, pour faire profiter le thésard de leur expérience, en les prévenant quand ils vont dans le mur, sans esprit de compétition, et surtout en acceptant de s'impliquer dans le suivi des travaux, et pas uniquement pour s'assurer que leur nom apparaît sur les publications"

Ici, il y a beaucoup à dire, mais oui, je ne vois pas de raison pour laquelle le corps des maitres de conférences et des professeurs soit particulièrement épargné par la loi qui veut que, dans tout corps, il y ait une gaussienne (ou une autre courbe mieux appropriée) de soin, de travail, de gentillesse, d'honnêteté...
Et tout en découle!

3.
"Enfin, il y aussi quelque chose d'assez malsain (je trouve) qui consiste à considérer comme de la recherche une simple constatation, sans chercher à en trouver les causes. Si le but de la thèse est de générer le plus de résultats possibles sans autres forme d'investigation, est-ce réellement la peine d'avoir un master ou un diplôme d'ingénieur?"

La "recherche"? Trop vaste sujet. Parlons de la science. Oui, la science n'est pas réductible à l'observation des faits, puisque l'on ne répétera jamais assez qu'elle comporte les étapes suivantes :
- observation du phénomène
- caractérisation quantitative du phénomène
- synthèse des données en lois
- recherche (quantitative) de mécanismes (proposition de théories, modèles)
- prévision expérimentale fondée sur la théorie élaborée
- test expérimental (quantitatif) de la prévision (quantitative)
- retour à l'infini.

Donc, oui, mille fois oui, la science n'est pas la constatation ! Et oui, si la thèse est une thèse de science, le but n'est pas la productin de résultats, mais le chemin scientifique parcouru... en vue de soulever un coin du grand voile.


4.
"Si ma soutenance un peu houleuse peut faire prendre conscience de certaines choses à mon université, ce sera déjà ça. Je suis bien sûr assez désabusé par mon expérience scientifique, et j'ai hâte de continuer sur un nouveau projet de recherche pour le faire "dans les règles".

Attention, mon cher ami : comment être désabusé par une expérience scientifique? En réalité, de même que la beauté est dans l'oeil qui regarde, à nous d'avoir le feu qui fait la science chaque jour plus belle, au lieu de compter (un peu paresseusement) sur l'université, le directeur de recherche, etc. Nous sommes grands, nous tenons sur nos deux jambes, quand nous sommes en thèse!
Le nouveau projet? Il faudra le mener dans cet esprit d'autonomie, qui ne considère pas les circonstances, mais le travail lui-même.

La science est merveilleuse, et ce n'est pas son environnement qui la fait plus ou moins belle. Elle EST belle!

Vive la connaissance!



PS. Et oui, j'y reviens, jamais des commentaires n'auront été si nécessaires, pour un billet.




Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

samedi 27 mai 2017

C'est ailleurs que j'étais actif ces jours-ci

On se souvient que je poste un billet par jour, mais il y a plusieurs sites différents.
Les jours derniers, j'ai été actif sur le site http://www.agroparistech.fr/-Les-bonnes-pratiques-scientifiques-.html, parce que je crois qu'il y a urgence à constituer un répertoire de "bonnes pratiques en science" : c'est ce que j'avais cherché il y a trente ans, que je n'ai pas trouvé, et que les revues scientifiques ne donnent pas ; d'ailleurs, elles ne sont pas habilitées à le donner, et c'est le rôle des académies, pas d'éditeurs privés, même quand les éditeurs sont des scientifiques qui travaillent (gratuitement) pour ces revues.

Bref, il y a lieu de continuer à aider nos jeunes amis et nous-mêmes en explicitant les règles de notre profession !

Si d'aventure vous avez l'idée d'un billet, je suis preneur à icmg@agroparistech.fr.



jeudi 1 septembre 2016

Chimie et compagnonnage



Initialement j'avais intitulé ce billet « il n'y a pas de métier manuel, il n'y a pas de métier intellectuel ». J'ai décidé de changer, car ce titre était négatif, et, je me suis dit presque aussitôt que je ferais mieux de clamer que tous les métiers sont manuels et que tous les métiers sont intellectuels. Mais quand il est question de métier, il y a lieu de considérer les institutions qui se préoccupent des métiers, tel le « compagnonnage », qui accueille et guide des jeunes professionnels qui se soucient de bien faire.


Tous les métiers sont manuels, tous les métiers sont intellectuels

Pourquoi cette idée d'une absence de différence entre des métiers dits fautivement manuels et des métiers dits fautivement intellectuelle ? Parce qu'elle est juste ! Et, aussi, parce que j’observe un fossé qui n'a pas lieu d'être entre ces métiers dits fautivement manuels ou dits fautivement intellectuels. Oui, un fossé qui n' a pas lieu d'être, car nous avons tous une tête et des mains. Et puis, comme le disait justement Confucius, l'homme n'est pas un ustensile, ce qui signifie que l'être humain n'est pas comme un objet, limité à une fonction, qui serait de bouger les mains ou de bouger la tête.
Surtout, comme cela est discuté au moins depuis Denis Diderot avec sa Lettre sur les aveugles, nous pensons à partir de données sensorielles, Oui, il n'y a pas la tête d'un côté et les mains de l'autre. Les travaus d'intelligence artificielle ont amplement montré que nos raisonnement se fondent sur un contexte, une culture, un contexte concret. Sans tout ce qui nous vient des sens, nous ne pouvons ni raisonner, ni comprendre, ni échanger, ni même agir ! Nos notions sont comparatives, et le rapport au monde concret, perçu par les sens, est constant ! Je ne fvais pas en faire une théorie qui a déjà été largement faite, mais je rappelle simplement qu'il n'y a pas de pensée sans les « mains ». De même, il y a pas d'individu manuel, dont les mains bougeraient sans que la tête ne le fasse : que la tête nous aide ou nous gène, elle est là, et les métiers manuels sont donc parfaitement intellectuels. La tête intervient dans nos gestes puisqu'elle guide la main… mais nos mains guident aussi notre tête : quand nous prenons un verre entre les doigts, c'est la main qui dit à la tête combien presser pour éviter que le verre ne glisse, insuffisamment tenu, ou qu'il casse, trop pressé.
Et quand nous pensons, nos images mentales ne sont que par référence à des expériences, le monde ayant été « saisi » par les sens, la « main ».
Bref il n'y a pas de métier manuel ni de métier intellectuel : il y a seulement des métiers exercés par des individus qui ont une tête et des mains.


Chimie et compagnonnage

Tout cela étant dit, je peux maintenant en arriver à la relation annoncée en titre entre la chimie et le compagnonnage.
La chimie est une activité technique, de production de molécules nouvelles. Il est très nécessaire, d'être parfaitement habile de sa tête et de ses mains, pour faire de la chimie sans danger, efficacement, intelligemment. De ce point de vue, la chimie est un métier manuel. Et intellectuel aussi… comme tous les métiers.
D'autre part, la chimie transforme la matière, puisque précisément elles change la nature des corps. Certains ont même dit que son objet est la transformation de la matière. Elle transforme d'ailleurs bien plus la matière que ne le fait le tailleur de pierres, que ne le fait le cuisinier, que ne le fait le bourrelier, que ne le fait l’électricien, tous métiers du compagnonnage.
Or le compagnonnage accueille en son sein des métiers qui transforment la matière. Ne serait-il donc pas parfaitement anormal que le compagnonnage n'accepte pas la chimie ?
Et la recherche scientifique ? J'ai largement expliqué, dans d'autre billets, que les sciences chimiques ne se confondent pas avec la chimie, puisque dans un cas, il y a des sciences, et dans l'autre de la technique. Les sciences sont bien l’activité qui met des équations sur des phénomènes, activité quasi mathématiques, donc. De sorte que l'on pourrait penser que, cette fois, on est bien loin d'un métier manuel. Erreur ! Les sciences de la nature ne sont pas réductibles aux mathématiques (sans quoi on les nommerait « mathématiques »), car elles partent des phénomènes, qu'elles quantifient, par des travaux de laboratoire, techniques donc, pour arriver à des théories (du calcul)… que l'on réfute par d'autres travaux de laboratoire, à nouveaux techniques. Autrement dit, les sciences de la nature ont une composante technique essentielle, qui s'amalgame avec le calcul. Mais le travail de laboratoire est fondamental, constitutif, indispensable. La production de données se fait avec les mains, et des mains habiles !
Le physico-chimiste Martin Karplus, qui a reçu le prix Nobel pour ses travaux de calcul sur des données chimiques, ne cesse de répéter que les calculs ainsi faits doivent être absolument validés expérimentalement, et que sans les travaux expérimentaux, de laboratoire, ses calcul risquent de n'être que de vaines élucubrations.
De sorte que le sciences de la nature ont cette composante manuelle qui justifie parfaitement qu'elles deviennent des métiers du compagnonnage.

Finalement, j’exhorte mes amis compagnons à réviser leur position : je les exhorte à élargir les spectre des métiers qu'ils accueillent, à ne pas rester frileusement crispés sur des métiers techniques particuliers qui les coupent d'amis qui seraient susceptibles de contribuer à des rénovations techniques.
Ce n'est pas en creusant des fossés entre les groupes humains, entre les humains, que nous parviendront à plus d'harmonie, mais en sachant accueillir nos amis avec gentillesse, bienveillance, ouverture d'esprit, intelligence… c'est le croisement des regards qui nous donnera une vision plus juste du monde et qui, par un bon retour des choses, contribuera à embellir nos travaux, à faire grandir chacun.

Oui, que vite vienne le temps où le compagnonnage saura s'ouvrir à des métiers nouveaux !


mardi 30 août 2016

A propos de l'administration de la recherche scientifique

Dans le livre Hommes de science (Marian Schmidt, Hermann, 1990), le physico-chimiste français Jean-Marie Lehn (prix Nobel de chimie en 1987) donne son idée du fonctionnement de la recherche :

"On peut déplorer que partout, et pas seulement en France, l'organisation de la recherche soit devenue très lourde, en raison de son coût. Il est malheureusement vrai que cette pesanteur administrative conduit souvent un chercheur à passer son temps à d'autres choses qu'à son travail scientifique : on ne peut pas y échapper. Ce serait de l'utopie, par exemple, de dire : "On peut faire de la chimie actuellement sans s'occuper d'obtenir le financement permettant d'acheter les produits et les appareils dont on a besoin".
L'administration de la science est inévitable, mais elle pourrait être réduite. Une plus grande légèreté de l'organisation et une plus grande initiative rendue aux scientifiques, et non à ceux qui administrent la science, sont nécessaires pour un meilleur fonctionnement de la recherche. Malheureusement, on a souvent l'impression que l'administration de la science est devenue sa propre justification, oubliant en fait qu'elle existe seulement parce que la science existe, et non l'inverse. [...] Il y a aussi  les réunions trop nombreuses de comités, commissions, conseils, etc., où l'on oublie que discourir n'est pas découvrir. Je n'aime pas y aller, et j'ai acquis une assez mauvaise réputation de ce côté ! Cela ne veut pas dire que je sous-estime le rôle de l'administration et de la gestion, mais il faut les alléger au maximum pour permettre au chercheur de passer plus de temps dans son laboratoire ou sa bibliothèque. Par ailleurs, à certains qui se plaignent d'avoir à consacrer trop de temps aux tâches administratives, on pourrait objecter que, souvent, cela ne tient qu'à eux: il pourrait bien s'agir d'un prétexte pour échapper au labeur, à la discipline, aux incertitudes du laboratoire ou de la table de travail".

A méditer, n'est-ce pas ?

mercredi 3 août 2016

N'oublions pas que nous études scientifiques doivent être joviales !

Un mur de notre laboratoire porte l'inscription "N'oublions pas que nos études scientifiques doivent être joviales". Dans cette phrase, le mot « scientifique » pourrait venir entre parenthèses, et le mot « jovial » pourrait venir en capitales ou en gras. En effet, le conseil vaut pour toutes les activités, car on fait mieux ce que l'on fait si on le  fait en étant heureux.
L'écrivain argentin Jorge Luis Borgès  disait « je travaille avec le sérieux d'un enfant qui s'amuse ».  Oui, il y a la question de l’amusement posée dans un autre billet. Nous travaillons, nous sommes sérieux, mais nous nous amusant.
Paradoxe ? Aucunement ! Je ne reviens pas sur cette question de l'amusement, mais je propose ici de le nommer différemment : jovialité. Il ne s'agit pas de « muser », d'aller au hasard, au gré de nos envies changeantes, mais de faire les chose en les aimant  beaucoup, ce qui nous réjouit beaucoup, de sorte que nous nous y consacrons pleinement, activement, sans détourner de seconde à ce « travail ».
Réjouir, jovialité : nous devons… Non, au fond, chacun fait ce qu'il veut ;  je dois travailler avec jovialité, en m'amusant,  car si ce que je fais ne me plaît pas, je dois changer d'activité immédiatement. En l’occurrence, la recherche scientifique me plaît immensément, car elle correspond à un goût que j'ai depuis l'âge de six ans. Je fais donc exactement ce que je dois, non pas vis-à-vis d’autrui, mais vis-à-vis de moi-même. Et c'est pour cette raison que j'y  passe tant de temps, que j'y mets tant de soin.

Oui, il faut que mes études soient joviales, scientifiques ou pas.
Avec ces billets, je vois d'ailleurs souvent de la production de connaissances plus que de la science au sens strict. Suis-je en train de perdre mon temps ? Il me semble que je n'ai à rougir ni d'une activité ni d'une autre et que, au contraire, les deux semblent devoir s'épauler, et voilà pourquoi je propose de mettre le mot scientifique entre parenthèses, mais de toute façon ce qui compte, c'est de mettre le mot  jovialité en majuscules ou en gras.

lundi 4 juillet 2016

Pourquoi nous ne sommes pas un laboratoire d'analyses... même si nous faisons des analyses.

Sans doute parce que je fais environ une invention "culinaire" par mois depuis plus  de 16 ans, certains confondent mon activité scientifique (nommée "gastronomie moléculaire") et la cuisine. Et quand j'essaie d'expliquer, notamment en expliquant que nous faisons des analyses, d'autres (ou les mêmes) confondent notre activité scientifique avec des activités d'analyses telles que les pratiques des laboratoires privés.

Il faut donc clarifier  : voir http://www.agroparistech.fr/Nous-ne-sommes-pas-un-laboratoire-d-analyses.html

mercredi 29 août 2012

Prospective

A propos du livre tout frais paru :
Pierre Papon, Bref récit du futur (prospective 2050, science et société), Albin Michel, Paris, 2012)


Je n'ai pas encore lu ce livre, envoyé par l'auteur (que je remercie)... mais je n'ai vu qu'un petit bout consacré à LA première des questions : l'alimentation.
Dans cette section, il est question des OGM... mais la cuisine note à note n'est-elle pas une nouvelle donne ?


Ce n'est pas pour discuter des thèses de l'auteur que je profite de cette parution, mais pour évoquer deux points :

1. je ne crois pas que l'entité "technoscience" existe, de sorte que je crois pas légitime de discuter ses éventuelles caractéristiques ;

2. la question de la prospective est terrible, comme Pierre Papon le dit lui même, et je n'aimerais pas être à la place des Directeurs des départements du CNRS (ou de l'INRA, ou de l'INSERM, ou des membres de l'ANRT ou de l'AERES !), êtres qui ne sont pas surhumains et qui doivent pourtant organiser la recherche scientifique en vue de faire des découvertes... alors qu'ils ne sont pas meilleurs que leurs ouailles, qu'ils n'ont pas de données particulières qui les mettraient en position de savoir quoi faire, et alors que, quand on y pense bien, ils doivent tout mettre en oeuvre pour que naisse un Newton... lequel va anéantir tous les autres travaux, en mettant la science dans des rails complètement différents de ceux que l'on pose laborieusement.

Bref, la question est difficile, et la modestie intellectuelle est de mise !
Travaillons avec modestie. Laborieusement, soigneusement, lentement, modestement...