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mardi 19 novembre 2024

Des "industries chimiques"? Non : des industries de la chimie à la limite

 Il y a des années, lors d'un dîner organisé par l'Union des industries chimiques, j'avais été amené à présenter les collaborations que j'avais avec mon ami Pierre Gagnaire, lequel mettait en cuisine mes inventions. 

C'était l'époque où je m'interrogeais sur la signification du mot chimie, et où j'hésitais entre la possibilité de nommer chimie la science et ses applications. Je venais de me résoudre à proposer de réserver le mot chimie à la science seulement et à nommer "applications de la chimie"... toutes les applications de la chimie. 

Lors de la soirée, le président de l'Union des industries chimiques avait pris les paroles en disant qu'il était parti parfaitement en phase avec cette idée, et qu'il préférait que l'on parle d'industrie de l'aliment, d'industrie les couleurs, d'industrie textile... parce que, ainsi, le mot de "chimie" ne lui collait pas à l'activité. 

Au fond,  le nom d'Unions des industries chimiques est usurpé, car ces industries ne sont pas "chimiques", elles ne font pas de sciences, et ce sont seulement des industries de la chimie. 


samedi 2 novembre 2024

Viser une carrière universitaire pour des étudiants qui font un master les conduisant vers l'industrie ? L'idée est saugrenue !


1. Hier, en discutant avec des étudiants d'un master qui vise à les aider à devenir de très bons ingénieurs, j'ai été étonné (euphémisme) de les entendre vouloir faire des thèses pour occuper ensuite des positions universitaires. Il y a là une contradiction que nous devons analyser. 

2. Bien sûr, avec de petites promotions, les fluctuations statistiques peuvent être considérables, d'autant que l'on sait bien que,  dans ces groupes très fermés sur eux-mêmes, il y a des possibilités d'influence du groupe par certains. 

3. Puis, je discerne une sorte de paradoxe au fait d'exposer nos jeunes amis à de la très bonne science, en vue de faire la bonne technologie. Expliquons.

 4. Oui, si l'on veut de l'innovation, il faut utiliser les résultats les plus récents et les plus puissants de la science. 

5. Mais pour faire ce transfert, il faut évidemment connaître ces résultats. 

6. Ce qui impose quasi obligatoirement que la présentation soient faite par ceux qui sont à la pointe de la science. 

7. Mais ceux qui sont à la pointe de la science : - connaissent la science - l'aiment - connaissent donc mal la technologie. De sorte que ceux-là seront de puissants aimants pour la science, et de mauvais aimants pour la technologie. 

8. Bien sûr, on peut faire confiance aux étudiants pour résister aux influences... Mais, faire confiance à tous les étudiants ? Et je reviens sur mon "bien sûr". Est-ce si sûr ? 

9. Et puis, même si les professeurs sont sensibilisés à ce paradoxe, comment éviter, quand on aime la science, de s'émerveiller de cette activité ? Bien sûr, on peut consciemment ne pas oublier l'objectif du master, qui est la technologie. Mais quand même, quand on aime la science, cela transpire. 

10. Une idée me vient, un peu perpendiculaire, dans cette discussion si linéaire : je n'oublie pas que j'ai fait d'autres billets où je discute le fait que la science ne doit pas être « utile ». Mais, pour autant, je dis que c'est une erreur nationale de ne pas être capable, pour certains, de transformer les résultats de la science en bonne technologie. C'est une erreur industrielle, notamment. 

11. J'ajoute que si nos jeunes amis sont intéressés par les matières que nous leur présentons, cela prouve que nous les présentons sans doute bien. Mais nous arrivons au résultat contraire à celui que nous voudrions, à savoir les orienter correctement vers la voie technologique qu'ils avaient choisie. 

12. Il y a plusieurs conclusions à toute cette analyse, mais en voici une, qui est essentielle  :  nous devons apprendre cette chose très difficile qui de montrer la science non pas pour elle-même, mais en vu la technologie. La conclusion s'impose facilement n'est-ce pas ? 

13. Et puis, tant que nous y sommes, nous ne devons pas oublier d'exposer nos jeunes amis à des personnalités industrielles remarquables : ces chimistes sur qui reposent l'essentiel du chiffre d'affaires des sociétés pharmaceutiques, des constructeurs de ponts géants, ces spécialistes de l'informatique appliquée... Louis Figuier avait si bien fait cela .

jeudi 29 août 2024

Les relations "théoriques"

Il y a quelques jours, je proposais une réflexion sur les stages et leurs relations avec l'enseignement des matières théoriques à l'université. 
Ce matin, je trouve un article intéressant de ce point de vue :  les auteurs ne se sont pas limités à des mesures un peu "locales" en vue de répondre à une question scientifique qu'ils se posaient, mais ils ont profité de l'occasion pour explorer de nouvelles méthodes d'études. 

C'est évidemment plus intéressant -pour leurs lecteurs et pour eux-  que s'ils étaient restés cloués au sol. Filons la métaphore : ils ont pris de la hauteur, sont sortis grandis de l'exercice. 

Au fond, n'est-ce pas ce que nous devrions tous faire toujours, à savoir prendre de la hauteur, du recul, et résoudre les questions ponctuelles que nous nous posons en agrandissant le champ de la connaissance ?
Ne devons nous devrions-nous pas profiter de chaque question que nous nous posons pour faire ainsi ? 

 

Dans mon billet précédent, j'évoquais la question de l'état d'esprit que les étudiants gagnaient à avoir pendant leur stage, mais pourquoi les ingénieurs confirmés ne seraient-ils pas dans ce mouvement ? Pourquoi l'université serait-elle toujours mise en position de nourrir l'industrie alors que l'industrie pourrait-elle même s'adresser à l'université, lui poser des questions, l'inviter a des théorisations utiles ? 

C'est au développement de nouvelles relations industrie université que j'appelle.

mardi 29 août 2023

Assez de ce terrorisme anti-technologique

 
 Alors que je me prépare à créer un nouveau site, où seront présentées des activités de gastronomie moléculaire, j'avais dans l'idée de faire une "déclaration d'intérêts", notamment parce que, récemment, des journalistes malhonnêtes me faisaient implicitement reproche de "collaborer" avec l'industrie alimentaire. 

Bref, j'avais colligé une liste (incomplète...  parce que je n'ai pas tout comptabilisé) de sociétés avec lesquelles notre laboratoire avait travaillé. Non pas que j'ai reçu de l'argent à titre personnel, mais parce que ces sociétés ont payé les stages d'étudiants, les thèses de doctorants, etc. 

Toutefois la liste est donc incomplète, tout d'abord, et, d'autre part, elle l'est nécessairement, parce que je me demande bien ce qu'est l' "industrie alimentaire" : un cuisinier qui dirige plusieurs restaurants, et a donc plus de 20 employés, est-il plus ou moins industriel qu'un industriel qui a une toute petite usine ? A partir de quand commence l'industrie ? 

Si l'on considère que cela commence dès le stade de la société avec un employé ou plus, alors la majorité des cuisiniers travaillent dans "l'industrie alimentaire" ! Et, alors, le nombre de "sociétés avec lesquelles j'ai travaillé est gigantesque... puisque notre travail a été distribué à tous les cuisiniers de France. 

 

Bref, la question est mal posée.

 

Et, surtout, la question est idiote : au fond, pourquoi avoir honte de travailler avec l'industrie ? Après tout, le fait que l'industrie s'intéresse à nos travaux n'est-il pas la preuve que nos travaux ont un intérêt ? 

Je crois qu'il faut promouvoir vigoureusement, énergétiquement, l'idée qu'un scientifique qui n'a pas d'intérêts déclarés n'a pas la compétence pour être un expert. 

Je rappelle aussi que la science est payée par les contribuables, et que les scientifiques ne sont pas de purs esprits dans un monde immatériel. Ce type de déclaration ne veut pas promouvoir la malhonnêteté, bien au contraire, mais j'en arrive au point essentiel de ce billet : je vais finalement faire une liste de sociétés avec lesquelles notre laboratoire a travaillé... parce que, agent de l'Etat français, fier de l'être, je veux pouvoir montrer à mes concitoyens que nos travaux sont utiles à la collectivité. 

Là, je renvoie à des discussions que j'ai eues publiquement à propos de la science et de la technologie : je ne crois pas que la technologie soit la seule "utilité" des sciences de la nature, mais c'en est une. Vive la technologie, même si ce n'est pas mon activité personnelle (moi, c'est la recherche scientifique) !

mardi 15 août 2023

Retour sur la viande in vitro

 Dans un des  numéros de la revue Pour la Science, je discute la question de la "viande artificielle, tant il est vrai que fut grand, récemment, l'émoi (mais on s'émeut souvent de pas grand chose, ces jours-ci) soulevé par l'annonce (il faut bien emplir les journaux télévisés) de viande in vitro, disons plus justement de culture de cellules musculaires. 

Chacun y est allé de ses arguments de mauvaise foi, de certains technologues qui annonçaient une  production durable de viande  jusqu'au monde de l'élevage qui refusait de nommer viande les produits proposés. 

Il y avait aussi ceux qui prenaient des airs horrifiés, en soulignant le prix exorbitant des "steaks hachés" qui avaient été consommés : leGuardian titrait >Synthetic meat: how the world's costliest burger made it on to the plate, expliquant que le coût était de 325 000 dollars. 

Ne devrions-nous pas relire ce merveilleux Louis Figuier, qui, dans ses Merveilles de l'industrie (un titre à méditer, à l'heure où l'on parle trop rapidement de "formation par la recherche") écrit : 

Une des principales branches de la richesse publique en Europe, c'est aujourd'hui le sucre de betterave. Mais, au début, lorsque le chimiste de Berlin, Margraff, annonça l'existence d'un sucre cristallisable dans la racine de betterave, on était loin de s'imaginer que l'extraction de ce sucre fût possible industriellement. Margraff écrivait en 1747 qu'il ne se chargerait pas de fournir le nouveau sucre à 100 francs l'once. Aujourd'hui le sucre de betterave revient, dans nos usines du Nord, à 50 centimes le kilogramme, et sa fabrication enrichit notre trésor public de revenus énormes ; elle alimente d'innombrables usines, et occupe des milliers d'ouvriers.

mercredi 14 juin 2023

Green washing : ne soyons pas naïf

L'industrie alimentaire doit vendre, et les citoyens ne sont pas naïfs au point de l'ignorer : ils se méfient. 

La publicité vient matraquer des messages, mais la presse ajoute sa voix au dialogue, en dénonçant des pratiques parfois contestables.
 

 

Ces temps-ci, les services de marketing ont une nouvelle idée, celle du  « clean label » : dans les listes d'ingrédients effectivement employés pour la fabrication des produits alimentaires, ils cherchent à éviter les ingrédients que la réglementation a classés dans la liste des E : E pour « européen ».
Il s'agit de ce que l'on nomme les "additifs". Comme il est interdit de ne pas signaler ces produits, certains industriels cherchent à ne pas employer les ingrédients de cette liste.
Et, comme on n'utilise pas ces ingrédients pour le plaisir, mais parce qu'ils ont des fonctions (épaissir, comme le fait la farine dans une sauce ; colorer comme le fait le safran dans une paëlla ; conserver, comme le vinaigre dans les cornichons...),  ces industriels cherchent à remplacer les ingrédients en E par des ingrédients « naturels ».
 

Par exemple, le  Centre technique de la conservation des produits agricoles (CTPCA) écrit que « la réduction des additifs est une attente des consommateurs pour des produits plus naturels ». En conséquence, il propose à ses adhérents de « substituer des additifs par des ingrédients naturels à fonctionnalité spécifique », tels l’huile de romarin ou  l’extrait de céleri comme conservateurs, des anthocyanes des végétaux comme colorants naturels, des extraits de thé vert comme antioxydants...
 

C'est pur mensonge ! L'huile de romarin, que l'on extrait du romarin par une étape d'extraction, n'est pas plus naturelle que du dioxyde de soufre, que l'on obtiendrait en brûlant du soufre ramassé sur les flans d'un volcan, par exemple, et le sel, que l'on obtient dans des marais salants ou dans des mines, n'est pas moins ni plus naturel. D'ailleurs, comment mesurerait-on le degré de naturel ?
 

Et c'est ainsi que l'on en vient à parler, très mensongèrement, de « clean label » ! Par exemple, en février 2012,  la revue P***s, qui donne une idée de l'industrie alimentaire, avait un article dont le titre était : « Salon CFIA : le plein de nouveautés clean label. » Et c'est vrai que de nombreuses industries cherchent à « faire naturel »... notamment afin de communiquer sur ce thème ! 

Considérons, par exemple, les farines  « fonctionnelles » du groupe L***n obtenues par traitement  des farines de blé par la chaleur : certes, on obtient ainsi de  bonnes capacités de liaison et de texturation, mais on ne me fera pas croire que ces farines sont « naturelles » ! D'ailleurs, le blé est une plante très artificielle, qui a été obtenue après de longs siècles de sélection (artificielle, donc). Et la farine a été obtenue après (1) culture ; (2) récolte ; (3) mouture : naturelle ? Non, au moins trois fois non ! 


Dans la pratique, que l'on me comprenne bien, je n'ai rien contre ces farines fonctionnelles, ou d'autres produits du même type, mais le remplacement des additifs classiques (amidons chimiquement modifiés, hydrocolloïdes) par ces farines n'est-il pas pure communication ? 


Et puis, méfions-nous des solutions « vertes » :  je suis heureux de faire état d'un appel à l'aide, hier, par une journaliste dont le plafond puait, parce qu'il avait été peint avec une peinture « verte », à la caséine : dans un endroit un peu humide, les micro-organismes qui se trouvent dans les bonnes conditions de température faisaient pourrir la peinture (je lui ai recommandé de poncer, de traiter à l'eau de Javel, et de repeindre avec une bonne peinture de synthèse... inventée précisément pour éviter ce genre de désagrément). 


Des fibres de peau  d’orange comme rétenteur et stabilisateur d’eau ? Pourquoi pas. Des fibres isolées du blé ou du lupin pour optimiser la texture de la viande hachée et des saucisses ? Pourquoi pas, mais quel nom donner aux produits ? Pardon, je me reprends : quel nom honnête ? Des protéines laitières pour la charcuterie ? Pourquoi pas, mais est-ce encore de la charcuterie ? Des fonds de sauce obtenus  par cuisson, puis réduction de matières premières « naturelles » (viandes, légumes, produits de la mer) : pourquoi pas, si les conditions de conservation s'y prêtent. 


Plus généralement, la tendance à plus de sécurité alimentaire ne peut être critiquée : ce serait idiot de le faire. En revanche, il faut de l'honnêteté, non ? Ce qui pose problème, c'est que du « clean label » au « greenwashing » (ou écoblanchiment) ou, pire, au « naturewashing » (naturoblanchiment), il n’y a qu’un pas que certaines entreprises n’hésitent pas à faire. Le greenwashing est un procédé marketing que des entreprises utilisent pour se donner une image (seulement une image : ne confondons pas avec la réalité) écologique et responsable. 


Toutefois l'objectif est toujours le même : « par ici mes belles oranges pas chêres ! ».  L’objectif est de promouvoir une marque ou un produit en mettant en avant des pratiques écologiques qui ne sont guère significatives. Il faut bien reconnnaître qu'il s'agit de manipulation marketing, et de mascarade écologique. Le « naturewashing », c’est la mise en œuvre de stratégies de communication pour faire  croire que les méthodes de fabrication  sont « traditionnelles » ou « naturelles ». C'est détourner le mot « naturel »  de sa signification.   Et, bien souvent, tout cela s'assortit de prix plus élevés : ne soyons pas naïfs !

dimanche 28 mai 2023

Moins de graisse ;-)

 Dans un train, un magazine traînait. Voici le titre de sa 4e de couverture : 

chips-avec-moins-de-graisse

 

Une chips avec 40 % de graisse en moins ? En moins que dans quel produit ? Et puis, si la frite n'est pas frite, pourquoi y aurait-il même un soupçon de matière grasse, alors qu'il n'y en a pas dans la pomme de terre. 

 

Bref, tout cela est bien la preuve qu'une certaine industrie alimentaire prend les citoyens pour des imbéciles. Je souhaite que le prochain chantier politique, en matière alimentaire, porte sur la loyautés des conditionnements.

samedi 17 avril 2021

Exposer les hésitants à de belles personnalités


Oui, il faut que nous exposions aux étudiants à les industriels beaucoup plus enthousiasmants que nous ne le faisons  !
Dans nos masters,  je vois  beaucoup trop d'étudiants qui disent vouloir se diriger vers la recherche, alors qu'ils n'en n'ont pas l'once d'une possibilité, en termes de connaissances, comme en termes de compétences.

Pourquoi ont-ils cette ambition ? Parfois, il y a de  la prétention, mais, parfois aussi la peur d'aller vers le "vrai monde" (je rappelle qu'un pays, c'est de l' "industrie", au sens où l'entendent nos amis canadiens : artisanats, petites ou grosses entreprises). Et, parfois, il y a des a priori idéologiques mal pensés : ces mêmes personnes qui  consomment ordinateurs, voitures,  aliments, cosmétiques, loisirs, etc. disent détester cette industrie qu'ils cautionnent par leurs comportements de consommations très peu civiques, et, en tout cas, irréfléchis.

Mais le but de ce billet n'est pas de dénoncer l'imbécillité de certains (d'autant qu'il y en a une proportion... habituelle de merveilleux), mais bien plutôt d'aider nos  jeunes amis à mieux se déterminer, et, notamment, à comprendre que c'est dans l'industrie qu'ils trouveront un travail, un salaire...

La question donc, c'est de faire comprendre à des étudiants qu'il y a lieu de bien se diriger vers l'industrie.
Pour cela, je crois qu'il n'y a rien de mieux que l'émulation :  pas l'émulation au sens de la concurrence, mais l'envie de bien faire, en montrant à des étudiants ce qu'ils n'ont jamais vu, à savoir les "industriels" qui font des choses merveilleuses.

Oui, il faut montrer des Jean Muller,  qui construisent les grands ponts du monde, mettant en oeuvre l'idée du béton précontraint.
Oui, il faut montrer des Eiffel, qui construisent le viaduc de Garabit ou la célèbre tour.
Oui, il faut montrer ce Joseph Black qui a reçu le prix Nobel de chimie alors qu'il travaillait dans un laboratoire pharmaceutique, où il a mis au point les premiers agents retroviraux.
Oui, il faut montrer, plus récemment, ces deux chercheurs turcs qui ont produit les premiers vaccins à ARN contre le covid 19.
Oui, il faut montrer ces ingénieurs de l'industrie cosmétique qui, utilisant leur connaissance de l'Université, ont mis au point des systèmes de transfert de principe actif.
Oui, il faut montrer les ingénieurs de l'industrie alimentaire qui mettent au point des nanoparticules pour délivrer des composés odorants, qui résolvent ds problèmes aussi difficile que de faire des pizza surgelée avec du basilic sur la tomate (croyez-vous vraiment qu'on met les feuilles à la main, quand on produit des millions de pizza  par an ?),  qui sont confrontés au terrible le problème de l'emballage, qui ne doit pas laisser migrer des composés vers l'aliment, alors que l'ensemble est stocké longtemps, qui se préoccupent de la sécurité sanitaire des huiles alimentaires, lesquelles ne doivent pas contenir trop d'hydrocarbures aromatiques polycycliques  ni de métaux lourds. Et ainsi de suite.

Oui, il faut exposer nos jeunes amis à des personnalités industrielles remarquables, leur donner l'ambition de changer le monde en mieux.

mercredi 24 février 2021

"Promouvoir la science dans l'industrie" ?



Un jeune ami me tend l'expression "promouvoir la science dans l'industrie" :  de quoi s'agit-il ?

Les sciences de la nature, puisque c'est cela dont parle notre ami, sont des activités de production de connaissances,  sans considération aucune de l'utilité au sens pratique.

D'ailleurs je me hâte de dire que ce n'est pas parce que les sciences ne "doivent pas" être utiles, dans leur pratique,  qu'elle ne peuvent pas être utiles... en pratique. Bien sûr que les sciences ont des applications, mais la question est simplement de "milieu" : aux scientifiques de faire des sciences, sans chercher des applications, et au reste du monde de chercher des applications des sciences, sans donc en faire.

Et je me hâte de dire aussitôt que les applications techniques ne sont pas les seules d'application des sciences. Les sciences trouvent de merveilleuses applications dans l'enseignement, par exemple,  et elles sont parfaitement "utiles" puisqu'elles changent les mentalités, elles changent nos pensées, nos cultures...
Le bouleversement qui a lieu quand on compris que ce n'est pas le Soleil qui tournait autour de la Terre, mais l'inverse, a été un séisme intellectuel dans tout l'Ancien Monde. La compréhension de l'inertie, de l'énergie... Tous lces outils sont des outils intellectuels au même titre qu'un marteau ou un tournevis le sont pour un menuisier.

Les sciences de la nature, donc, ne doivent pas être utiles dans leur  pratique interne, mais elles ont d'innombrables utilités pour qui veut les chercher.
Bien sûr, des métiers techniques vont chercher des applications techniques,  et d'autres métiers vont chercher  d'autres applications.
Par exemple, on a vu les artistes inspirés par les nouvelles perspectives des sciences de la nature (pensons à Zola, pensons aux musiciens modernes, pensons aux peintres et au néo-impressionnisme...), on a vu des légistes inspirés pour des réglementations, on a vu des nutritionnistes ou des toxicologues inspirés par des nouvelles descriptions des aliments...

Oui les sciences ne sont pas là pour leur utilité, mets parce qu'elles sont l'honneur de l'esprit humain.
N'est-ce pas cela, la connaissance, la culture qui nous fait véritablement humains ?

Pour en revenir à la question : oui, je crois que l'industrie a besoin de bien comprendre qu'elle a tout intérêt à prendre les résultats les plus récents des sciences pour en faire de l'innovation, pour en tirer des applications... ce qui impose que ceux qui feront le travail de "promotion" feront bien de faire aussi le travail de transfert ! Vanter les travaux scientifiques, c'est très bien, mais prouver le mouvement en marchant, n'est-ce pas mieux ?
La question devient donc, pour l'ingénieur : regardons une à une les productions scientifiques les plus récentes, et cherchons ce que nous allons en faire.

vendredi 3 juillet 2020

Une amusante question à propos des rapports entre la science et l'industrie


Ailleurs, j'ai décrit un tableau à cinq colonnes pour mieux coordonner les relations de la science et de l'industrie.
En substance, j'y dis que la science doit produire des connaissances nouvelles,  et non pas faire le travail de l'industrie, même si on lui propose de l'argent pour cela. En revanche, il est inutile que l'industrie fasse de la science, puisqu'elle la subventionne par ses impôts, mais c'est un gâchis si elle n'utilise pas les résultats (publics) de la science pour faire de l'innovation.
Et dans le cadre de contrats particuliers, on peut t'imaginer que les scientifiques et les industriels se retrouvent pour imaginer ensemble des applications des résultats scientifiques. L'investissement en temps et compétence des scientifiques, lors de ces collaborations, doit  évidemment être assorti d'une rétribution du laboratoire par les industriels qui feront tout usage des connaissances et des compétences des scientifiques.

M'arrive aujourd'hui le cas amusant -mais ce n'est pas la première fois que je le rencontre et c'est pour cela que je l'évoque-  d'un étudiant qui est en stage de fin d'études dans une société industrielle et qui me consulte à propos du sujet -technologique donc- qui lui a été confié.
Cet étudiant ayant assisté à mes cours, il a compris que j'étais capable de résoudre le problème qui lui a été confié, même si c'est un problème technologique,  et donc en dehors du champ scientifique auquel je dois me consacrer.
Cet étudiant me demande de l'aider à résoudre le problème posé.


Bien sûr, mon bon cœur, et peut-être un atavisme d'enseignant, pour lequel une question d'un étudiant est un torchon rouge devant le taureau, me poussent à l'aider. Mais faut-il vraiment que je fasse cela ?
Si je résolvais son problème (et c'est facile pour moi), alors l'industriel qui emploie cet étudiant recevrait à titre gratuit l'information technologique que je lui donnerais... sans que mon laboratoire reçoive rien en échange : ce serait injuste... et l'argent de l'état serait mal employé, puisque mon temps et ma compétences seraient donnés dans un cadre non légal.

Il y a donc lieu de cadrer les choses  : puisque l'étudiant est mandaté par l'industriel, ce n'est plus un de mes étudiants, mais un personnel de la société qui l'emploie. D'ailleurs, l'étudiant ferait une faute professionnelle en me confiant les données du problème, car cela relève de la confidentialité industrielle à laquelle il s'est sans doute engagé !
Pour me donner de l'information, l'étudiant doit me faire signer un contrat de confidentialité... que je ferais assortir d'une rétribution (à mon laboratoire) de mes temps et compétences.
Bref, il y a lieu de ne pas nous comporter, ni moi ni lui, comme les professeur et étudiant que nous étions, parce que nous ne sommes plus cela. Il est maintenant un employé de l'industrie, et je suis un chercher, et non plus un professeur.

Moralité : parce que je suis "aimable", j'ai envoyé à l'étudiant des documents publics, à savoir ceux que je distribue lors de mes cours, et qui ont un rapport avec le problème posé, et j'ai engagé mon jeune ami à proposer à sa hiérarchie de me proposer un contrat de collaboration.
J'ajoute d'ailleurs que j'ai indiqué qu'il serait plus intéressant pour l'industriel de payer une thèse qu'une rémunération sèche : lors de la thèse, le doctorant sera formé, de sorte que l'industrie récupérera à la fois des résultats de la thèse et d'un personnel (bien) formé.

mercredi 10 juillet 2019

Des pratiques industrielles honteuses : une société me fait un affront !



Une très grosse société industrielle m'invite à faire un exposé sur leur site à mille kilomètres de Paris. Elle propose de prendre en charge mon voyage et de m'inviter à dîner au restaurant la veille.
Ai-je bien compris ? Mon temps, ma compétence, mon énergie vaudraient pour rien ?

Je considère que cette proposition est un affront, d'autant que le contrat de confidentialité que la société propose fait sienne la  propriété de tout ce que je leur dirais lors de ma présentation. Je suppose qu'un tel contrat est léonin, mais je ne vais pas prendre le temps de vérifier. Ce que je sais, c'est qu'une telle proposition de contrat est honteuse.

Analysons mieux les raisons de ma colère : quand j'achète des produits industriels, on me le donne pas gratuitement, et, dans ce monde, les choses ont la valeur qu'on les paye. Autrement dit, si on ne me paye pas (cet argent irait évidemment au laboratoire), alors cela signifie que ce que je pourrais présenter ne vaut rien !  Quoi je ne vaut rien, malgré tous mes efforts, malgré tout mon travail ? D'ailleurs, cette société est non seulement malhonnête et honteuse, mais inconséquente : pourquoi inviter quelqu'un qui ne vaut rien ? 
Derrière le cas particulier, derrière ces pratiques honteuses, il y a la question des relations entre la recherche scientifique et l'industrie. La recherche scientifique est faite par des agents de l'Etat, et ses résultats appartiennent à tous les contribuables, raison pour laquelle ils sont publiés, donc publics. Deux jours de travail d'un fonctionnaire d'un laboratoire de recherches scientifiques ont une valeur d'autant plus élevée que ce chercheur est bon, et une société qui voudrait en bénéficier devrait le payer (je le répète : l'argent irait au laboratoire). J'ajoute que je ne dis pas que je suis bon, mais je juge d'après l'intérêt que cette société a à m'inviter (bon, OK, elle n'a aucun intérêt puisqu'elle propose de ne rien payer, mais quand même : elle mobiliserait toute une équipe de sa recherche technologique pendant presque une journée). 

Passons rapidement : j'ai mieux à faire.

mardi 22 janvier 2019

Les bonnes pratiques en science : les collaborations avec l'industrie

Pendant longtemps, les scientifiques ont collaboré avec l'industrie et ils ont reçu des financements soit pour leur laboratoire, soit pour eux-mêmes. Dans certaines disciplines telles la médecine, on sait qu'il y a eu des excès très malhonnêtes, et on peut se réjouir qu'il y ait maintenant une réglementation sur la transparence des activités collaboratives de ce type... à condition qu'on ne tombe ni dans la dénonciation imbécile, ni dans l'administration tatillonne.

Plus récemment, les institutions scientifiques ont voulut également faire prendre conscience à la communauté scientifique de comportements aberrants ou malhonnêtes, notamment à propos d'expertises, ce qui a conduit à toutes ces affaires de ce que l'on nomme, je crois de façon inappropriée, des conflits d'intérêt.

 Pourquoi ne puis-je me résoudre à parler de conflits d'intérêts ? Parce que les humains ont des conflits, mais pas  les intérêts. Ce que l'on voulait désigner, ce sont des intérêts cachés. Mais je revendique que des scientifiques qui ont collaboré ou qui collaborent avec une société industrielle ne soient pas récusé comme experts, quand ils affichent leurs intérêts, car si un travail effectué a été rémunéré, alors aucune des deux parties ne doit plus rien à l'autre. De surcroît, un expert qui déclare ses intérêts aurait bien du mal à influencer ses collègues, qui risquent, au contraire, de sur-réagir à tout argument en faveur de l'industriel donné par leur collègue engagé dans une collaboration.

 Bref, je suis très favorable à la déclaration des intérêts, mais peut-être pas à l'étalage sur la place publique : il y a une sorte de  voyeurisme inutile... et dangereux pour la démocratie, car j'observe, ces temps-ci, que des positions rationnelles sont critiquées de façon assez malhonnête, idéologique et ad hominem par des opposants à ces positions. Les exemples sont innombrables, et la dénonciation est délétère : elle doit donc être encadrée, et je crois bon que, si les déclarations d'intérêts doivent être faites, leur communication puisse être réservée à l'administration.

Dans mon cas, puisque notre laboratoire a eu beaucoup de collaborations avec des sociétés de l'industrie, la question est surtout... que je serais bien en peine de ne pas oublier certaines d'entre elles : il ne s'agit pas de "conflits d'intérêts" ni d'"intérêts cachés", mais de "collaborations oubliées"... car je n'ai pas d'intérêt stricto sensu dans ces collaborations anciennes, où je crois d'ailleurs avoir donné plus que je n'ai reçu. Mais, surtout,  cela ne m'intéresse pas de tenir une comptabilité de ces travaux faits par le passé : ce qui m'intéresse, c'est la science que je ferai demain... et je crois que beaucoup de mes collègues sont ainsi.

Plus généralement, il y a la question des malhonnêtes, des "mauvais élèves" : les lois mal faites retombent sur les bons élèves, alors que les mauvais élèves trouvent toujours des moyens d'y échapper. C'est nuisible à l'avancement des travaux, et la question de pourchasser les malhonnêtes n'est pas résolue. Alors ? 


lundi 3 décembre 2018

Pas trop de fantasme!

Je ne cesse d'entendre des étudiants me parler de science, de recherche, de recherche et développement, alors même qu'ils sont en train de postuler pour des postes dans l'industrie alimentaire. Et j'ai peur que nous ne les ayons pas assez aidés à bien comprendre le monde vers lequel ils se dirigent.
Mais, à l'inverse, je me dis aussi que des adultes qui ont le droit de vote depuis plusieurs années auraient avoir  eu le temps de s'interroger, d'explorer, et de ne pas attendre que la becquée leur vienne miraculeusement ; après tout, de tels étudiants ne sont peut être pas à la hauteur de postes de responsabilités tels que ceux d'ingénieurs, car je rappelle qu'un cadre, c'est quelqu'un qui sait se donner du travail, avant de le proposer aux autres !

Bref, je crois utile de prendre l'exemple de quelques sociétés que je connais afin de montrer comment envisager une contribution à la prospérité de ces dernières, et, simultanément, à la sienne propre.





Trois exemples... concrets

Nous partirons de la plus petite que je connaisse bien : une conserverie de sardines. A  l'origine, il y a un restaurateur qui faisait ses conserves en achetant les sardines à des marins bretons, puis en mettant en boites, avant de vendre sur les marchés.



Il s'y prenait bien, et ses conserves étaient bonnes, de sorte qu'il a eu la possibilité d'embaucher une, puis deux, puis trois personnes pour l'aider. Développer son entreprise ? Il  a acheté des machines pour accélérer sa production, et il a commencé à avoir besoin d'un cadre pour suivre la question technique, d'un vendeur pour écouler la production,  tandis qu'il gérait son équipe, mettant la main à la pâte quand il le fallait. Et, le succès venant, il a fallu un service des achats, un service de contrôle de la qualité, un service de production, un service de maintenance, un service de marketing, un service de vente, de l'administration.
D'où la question à mes amis bientôt titulaire d'un master "alimentaire" : quel service proposez-vous de rendre à cette société, et dans lequel de ses services ? En tout cas, observons qu'il n'y a là ni science, ni recherche, ni recherche et développement, en quelque sorte.

Un autre exemple, d'une société un peu différente, qui produit des pâtisseries surgelées. Là, l'investissement initial a été important, et une usine a été immédiatement créée. Il a fallu embaucher des pâtissiers, un ingénieur pour s'occuper des machines et des procédés, du personnel pour les achats, la vente, l'administration. Puis, quand le succès est venu, il a fallu agrandir le service de production, et l'ingénieur formé dans une école du type d'AgroParisTech a embauché de jeunes collègues pour l'aider. Sans cesse, il y avait des discussions entre lui et le propriétaire de l'usine (sorti de la même école d'ingénieurs) pour des nouvelles recettes, et les nécessaires adaptations des équipements aux nouvelles productions.



Pas de science, mais beaucoup de travail technologique que l'on fait mieux si l'on a des bases théoriques pour comprendre ce que l'on fait, ce qui fait la différence avec beaucoup de travaux techniques. Par exemple, quand on pompe de la mousse au chocolat, elle retombe : comment éviter cet écueil pour conserver un système foisonné ? Par exemple, l'ajout de certains ingrédients fait "tourner" les crèmes : comment éviter cette inversion d'émulsion ? Par exemple, des gels ne prennent pas : comment les faire prendre ? Quels ingrédients choisir pour y parvenir plus facilement ? Par exemple, des pâtisseries ont une surface qui "cloque" : comment éviter ces défauts ?
Il faut dire et redire que c'est la compréhension des phénomènes qui est la clé du succès industriel.

Troisième et dernier exemple : celui d'une grosse société qui transforme du lait. Cette fois, il n'y a plus de "recette", à la base de la production, mais des procédés modernes, de filtration moderne, de séchage, de dispersion, et il y a bien une équipe d'ingénieurs qui met au point des nouveaux produits. Mais cette fois, on est bien loin de la cuisine, et nos amis qui sont fascinés par les émissions de télévision à la Master chef ou  Top chef n'y trouveront pas leur compte.


Assez de mots creux !
 
Bref, je propose d'éviter les mots pompeux, pour poser la question : au lieu de chercher une entreprise qui acceptera les fantasmes, ne vaut-il pas mieux chercher une entreprise à laquelle on pourra efficacement contribuer, dans un poste bien précis, qui permettra à ladite entreprise d'augmenter sa production ou ses marges ? Nos sociétés ont besoin d'ingénieurs actifs, intelligents, soucieux d'être concrètement utiles. Des bâtisseurs, et pas des oisillons qui confondent la théorie et la pratique. 

Pour les plus théoriciens, il y a lieu de dire, également, que la science, elle, n'est pas expérimentations de techniciens, mais bien au contraire calculs théoriques : équations aux dérivées partielles, algèbre linéaire évolué, statistiques de points, etc. Et là, la lecture de revue de vulgarisation n'est pas au niveau : la recherche scientifique a besoin des meilleurs théoriciens.



Bref, pour l'industrie comme pour la science, des individus actifs peuvent contribuer, à condition de ne pas se tromper de cible !



mardi 14 août 2018

Directeur scientifique

Dans un billet précédent, j'ai évoqué la question des "directeurs scientifiques" pour des institutions de recherche telles que l'Inra ou le CNRS. Et j'avais conclu que la tâche était bien difficile... mais je renvoie mes amis vers ce texte que je ne veux pas refaire ici.
Aujourd'hui, c'est une question différente que je veux discuter : celle de ce qui est nommé "directeur scientifique" pour l'industrie.

Oui, pour des sociétés comme l'Air liquide, ou Rhodia, ou Lafarge, etc., qu'est-ce qu'un "directeur scientifique" ? Pour commencer, observons que ces sociétés n'ont pas pour vocation de faire de la recherche scientifique, mais bien plutôt de la recherche technologique ou technique. Je ne dis pas que ces sociétés ne puissent pas payer des scientifiques pour faire de la recherche scientifique, mais j'observe que chaque fois que cela s'est produit, les espoirs ont été déçus... et les services de recherche scientifique ont été les premiers fermés, quand les bénéfices de ces sociétés ont diminué. Et je crois préférable de bien penser une répartition des tâches qui confierait à l'Etat le soin d'organiser la recherche scientifique, le soin à l'industrie de chercher des applications des résultats obtenus par la recherche scientifique, par ce qui se nomme plus justement de la recherche technique ou technologique. La question, dans un fonctionnement de ce type, c'est de bien organiser les relations entre les scientifiques et les services techniques.

Mais considérons le cas d'une grosse société, qui vend des produits ou des services : ordinateurs, médicaments, matériaux, programmes informatiques, aliments... Il s'agit de faire des produits nouveaux pour être en avance sur les concurrents, pour proposer aux clients des produits qui rendent de meilleurs services que les produits des concurrents : programmes plus rapides, médicaments plus actifs, aliments meilleurs, etc. Pour cela, il faut effectivement des ingénieurs qui ne sont pas ceux qui font tourner les usines (les ingénieurs "procédés"), mais des ingénieurs qui connaissent suffisamment les sciences pour comprendre, pour pister ce qui se produit de plus avancé en science, afin d'en faire le meilleur usage.
Raison pour laquelle j'ai proposé que les écoles d'ingénieurs organisent les études autour des trois fonctions : apprendre à chercher les résultats des sciences, apprendre à sélectionner ces résultats en vue d'une application particulière, apprendre à transférer ces résultats pour améliorer les techniques couramment mises en oeuvre.

Pour diriger les ingénieurs qui feront donc ce triple travail, il faut (peut-être) un directeur, mais quel est la nature de ce directeur ?  Si cette personne est un scientifique, c'est bien un directeur scientifique.... mais dans la mesure où il ne fait plus de science, n'usurpe-t-il pas son titre ? Au fond, on n'est scientifique que si l'on pratique la recherche scientifique, mais si l'on fait de la direction d'ingénieur engagé dans la technologie, on n'est plus scientifique, n'est-ce pas ? Etre scientifique, ce n'est pas comme un titre de docteur en médecine ; c'est une activité.
Oui, ce directeur n'est donc généralement pas un directeur scientifique, sauf quand, il y a plusieurs années, une société comme Rhône Poulenc s'est adjoint les conseils de Guy Ourisson, Jean-Marie Lehn, Pierre-Gilles de Gennes et Claude Hélène, pour guider les ingénieurs vers de l'innovation : nos quatre collègues n'usurpaient pas le titre de "directeur scientifique", puisqu'ils indiquaient des "directions", ce qui est le propre d'un "directeur", et qu'ils étaient scientifiques.
En revanche, aujourd'hui, dans de nombreux cas, les "directeurs scientifiques" sont en réalité des directeurs technologiques ou des directeurs techniques. Et ils ont évidemment une grande importance industrielle !

samedi 16 décembre 2017

Ce fameux sucre ajouté

Cela fait trois chaînes de télévision de suite qui veulent venir dans mon laboratoire pour que, analyse à l'appui, je leur "démontre" que les industriels ajoutent du sucre dans leurs  produits. 




Les premières questions sont les suivantes : les industriels ajoutent-ils du sucre dans leurs produits ? Quelques industriels ? Tous les industriels ? Et puis, qu'est-ce qu'un "industriel" ?  Du sucre : dans quelques produits ? dans tous les produits ?

Puis vient la question suivante : en quoi l'ajout de sucre est-il un sujet qu'il faille discuter ?

Enfin la question importante : que des journalistes veuillent que je démontre qu'il y a du sucre ajouté dans les produits alimentaires de l'industrie, est-ce du bon journalisme ?



Je propose d'analyser tout cela calmement.

Les industriels ajoutent-ils du sucre dans leurs produits ? 
Là, c'est certainement non, car les industriels qui fabriquent du sel n'ajoutent pas de sucre dans le sel. Idem pour les industriels qui fabriquent de l'huile, par exemple.
Donc ce serait idiot de vouloir "démontrer" que les industriels ajoutent du sucre dans tous leurs produits. Et ce serait une grave faute professionnelle, pour des journalistes, de vouloir le démontrer. 


Quelques industriels ajoutent du sucre dans leurs produits ? 
Là, c'est absolument certain ! Pour faire des pâtisseries, le sucre s'impose, n'est-ce pas ? Et si ce n'est pas du sucre, c'est du miel, par exemple, ce qui revient au même.
Oui, cela revient au même, mais il faut expliquer ce qu'est le sucre, et ce que sont les sucre.
D'abord, le sucre le plus simple est le glucose. Nous en avons dans le sang, et il sert de carburant à nos cellules. Il nous en faut pour vivre, au point que des concentrations faibles dans le sang déclenchent la faim.
Ce sucre est un cousin du fructose, que l'on trouve dans les fruits, comme son nom l'indique, mais aussi dans les légumes, dans le miel...  et qui est aussi libéré, dans notre système digestif quand nous mangeons du sucre de table, ou saccharose.
Ce dernier est présent dans les légumes, dans les fruits, et donc pas seulement dans les cannes à sucre ou dans les betteraves. Quand il est divisé en deux parties dans le système digestif, la première moitié est le fructose, et la seconde moitié est le glucose.
Ajoutons que d'autre sucres sont dits "complexes", mais on devrait les nommer des "polysaccharides", tels la pectine qui fait prendre (naturellement ou artificiellement) les confitures, la cellulose (les "fibres" des aliments), l'amidon (de la farine, par exemple)...
Conclusion : ce serait idiot, de la part des journalistes, que de vouloir me faire montrer aux téléspectateurs que des industriels ajoutent du sucre dans leurs produits. 


Des industriels ajouteraient du sucre dans quelques produits ? 
Et pourquoi pas, au fond, car je sais que les cuisiniers professionnels ont l'habitude de mettre du sucre dans les sauces, par exemple. Pourquoi les cuisiniers professionnels qui travaillent dans l'industrie ne feraient-ils pas de même ? Il ne s'agit donc pas là d'une question d'un complot du grand capital qui voudrait nous rendre addictif (ça on a compris, depuis le début de ce billet, que c'est cela qu'il y a derrière la demande initiale), mais simplement une question de cuisine.
D'ailleurs, j'ajoute que les livres de cuisine traditionnels, tel celui de Madame Saint-Ange, préconisent d'ajouter du sucre dans les recettes de carottes à la Vichyssoise, par exemple, et je connais nombre de chefs qui, à la place, mettent du miel, par exemple.
J'ajoute aussi que quand on cuit longuement de la farine, la chaleur décompose l'amidon... et fait libérer du glucose. D'où ma proposition : ayons rapidement un pot de glucose près du fourneau !


Mais en quoi l'ajout de sucre est-il un sujet qu'il faille discuter ? 
Je sais bien que, par ces temps de plomb où règne l'orthorexie (la peur de manger), tout devient sujet à discussion minable. Et puis le sucre ferait des carie. Et puis il faut protéger les minorités, dont celles qui souffrent du diabète. Et puis l'industrie du sucre serait une hydre tentaculaire (le grand capital) qui voudrait notre addiction ; elle serait certainement en cheville avec les fabricants de pizza ou des plats tout préparés pour nous faire manger du sucre (le complot, vous dis-je). Et puis il y a ce sucre dans les boissons qu'on veut nous faire acheter et qui nous rendent obèses (au fait, qui prend la décision, finalement ?). Bref, la faute est aux "industriels", et le "bon public" serait bien à plaindre...
Sans compter que quelques personnes surfent sur cette vague complotiste, vendant des livres de recettes "sans sucre ajouté", des régimes "sans sucre".  Et elles font leur promotion à la télévision. Quand ce sont des journalistes qui font cela, n'y a-t-il pas collusion ?


Que des journalistes veuillent que je démontre qu'il y a du sucre ajouté dans les produits alimentaires de l'industrie, est-ce du bon journalisme ? 
Cette fois, je fais naïvement état d'une vision du journaliste qui croit en l'honnêteté, la volonter d'informer justement, de faire de l'investigation propre. Arriver jusqu'à moi en ayant décidé que je montrerais qu'il y a des sucres ajoutés partout, c'est idiot et malhonnête. Mais ne plus vouloir venir (cela s'est produit la semaine dernière) parce que je n'étais pas prêt à vouloir dire et démontrer ce qui avait été décidé par la rédaction en chef, c'est encore pire.

J'ajoute que les deux dernières sollicitations, à ce propos des sucres ajoutés, les journalistes qui m'ont contacté appartenaient à des chaînes publiques. Est-ce cela, le "service public" ? Est-ce là un vrai service rendu au public ?
Je ne crois pas !

Mais il faut terminer sur une note positive. J'en propose plusieurs :
1. si vous voulez vous amuser un peu, allez en ligne voir cet épisode du Président, où Jean Gabin fait un discours politique au Conseil... mais ne manquez surtout pas la chute, avec les deux journalistes dans les coulisses
2. Tout cela m'a donné l'occasion d'expliquer ce que sont des sucres.
3. J'espère avoir été clair à propos de la question des "sucres ajoutés". 

samedi 9 décembre 2017

A propos de colorants

Je reçois cette question :


Je souhaite réaliser des macarons sans colorants industriels, mais avec des colorants naturels présents dans les jus de fruits tel betterave, orange, carotte… J’ai choisi les macarons car cette pâtisserie est très riche en colorants de synthèses.

Si vous détenez d’autres informations concernant la mise en place de colorants naturels ainsi que des études sur les colorants ?



Et voici ma réponse, que je fais en prenant d'abord du recul : il y a là l'opposition de l'artisanat et de l'industrie. Je ne veux pas laisser croire que je suis pour l'industrie, mais il est vrai qu'aucun d'entre nous ne fait son sucre à partir de la betterave sucrière, ni son huile, ni son lait, ni sa crème. La question est politiquement terrible !


La réponse : Pourquoi voulez vous vous fatiguer à extraire vous même les pigments et colorants… alors que les industriels le font pour vous ? C’est la même question qu’avec la gélatine : utilisez vous encore des pieds de veau pour vos bavarois ? Il y a d’autre part une vraie différence entre "colorants industriels" (je rappelle que nos amis canadiens nomment industriels les restaurateurs… parce que ces derniers ont une entreprise !) et colorants de synthèse.

Si l’on extrait des chlorophylles d’épinard, que ce soit dans une cuisine ou dans une usine, ce sont des chlorophylles extraites. Si l’on mettait en oeuvre un savoir chimique pour synthétiser les mêmes chlorophylles, ce seraient des chlorophylles industrielles.

Inutiles de vous dire que, pour la plupart des colorants un peu élaborés, ce sont des colorants extraits, et non de synthèse. D’autre part, la toxicologie des composés ne dépend pas de leur origine, extraite ou synthétique.

Connaissez vous le SYNPA, syndicat des producteurs de colorants et additifs ? Ils ont des informations en grand nombre. Vient aussi de paraître chez Lavoisier/Tec et Doc un livre Les additifs, 4e édition révisée.









Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)
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dimanche 20 décembre 2015

Le même que celui du 19 décembre, mais en plus charitable

On m'envoie un article où je lis :

La liste des additifs autorisés, nomenclaturés avec la lettre E suivis de quelques chiffres, vous pose problème, car vous ne les connaissez pas ? Aucun souci ! J’ai depuis bien longtemps banni de mon alimentation tout aliment contenant le moindre additif "E". 

Bien sûr, c'est la solution ! Chaque fois qu'on ne connais pas quelque chose, cela nous "pose problème". Et quand "cela nous pose problème", on élimine l'usage !
Tiens "pose problème" ? Je croyais qu'en français, on mettait des articles devant les noms ? Soit la mode a changé, soit notre interlocuteur a un usage limité du français. Pardon, je devrais peut-être écrire : soit mode a changé, soit interlocuteur a usage limité français.

Cela dit, la solution qui consiste à supprimer de notre existence tout ce que nous ne comprenons pas est merveilleuse, séduisante non ? Regardons-y de plus prêt.

Nous ne comprenons pas le fonctionnement de l'ordinateur que nous n'utilisons ? Revenons sans tarder à la Gentille Plume d'oie et à la Gentille Encre artisanale ou domestique.
Mais, au fait, d'où vient cette plume ? Il nous faudra aller à la Gentille Ferme voisine (ou faire notre élevage nous-même) pour en trouver sur une l'oie, un canard, sans quoi, on ne sait jamais : le Grand Complot pourrait nous refiler des "fausses plumes" !
Et l'encre ? N'utilisons certainement pas de la Vilaine Encre du "commerce", parce qu'on ne sais jamais : "ils" ont sans doute trafiqué notre produit. Oui, faisons  bouillir des clous rouillés avec de l'écorce d'arbre, puis filtrons, et stabilisons le produit avec de la gomme, exsudation d'arbre.
Bon, d'accord, écrire devient plus compliqué, mais combien "plus en accord avec nous-même" ! Et puis, nous sommes rassurés de tout "bien connaître".

Au fait, bien connaître : comment les oies, les canards, ont-ils ces plumes ? Je l'ignore : cela "pose problème". Pourquoi l'eau où l'on cuit écorce et rouille devient-elle noire ? Aïe : cela "pose problème". Et pourquoi certains arbres font-ils cette gomme ? Cela "pose problème". Et pourquoi la gomme stabilise-t-elle l'encre ?
 J'ai une idée : puisque je ne le sais pas, je ne vais pas utiliser la gomme, et secouer l'encre avant chaque utilisation. Après tout, tant qu'à nous compliquer la vie, ne reculons pas devant de petits sacrifices...

Je veux consommer des ingrédients que je connais et réfléchir en toute connaissance de cause.

Je veux  consommer des ingrédients que je connais ?
Revenons à la question de l'alimentation, puisque c'est cela dont il s'agit. Pour 80 pour cent des Français, qui vivent en ville, les légumes viennent des maraîchers. Selon la Théorie du Grand Complot, ce sont certainement de gros industriels malhonnêtes, qui font leur beurre sur notre dos. Allons chercher les légumes  à la ferme. Pas le temps ? Alors créons des associations, avec nos cotisation qui payeront du  personnel pour nous procurer des fruits et légumes dont nous connaissons l'origine. Non, la solution est mauvaise : si nous payons du personnel, le personnel sera exploité. Alors il y a le système des AMAP, pour lequel des Gentils Producteurs nous donneront nos produits. Mais, au fait, quelle différence avec un marché ? Sur le marché, ne s'agit-il pas de Gentils Producteurs qui viennent vendre leurs  produits ? Ah non ! Il y a les "Affreux Intermédiaires", ceux qui font du beurre sur notre dos et sur celui des Gentils Producteurs.

Bon, nous avons donc supprimé les Affreux Intermédiaires, et nous savons qui produit ce que nous mangeons. Mais, au fait, comment cela est-il produit ? Allons,  chacun sait qu'on met une graine dans la terre et que ça pousse tout seul. Arroser ? Ce n'est pas de la chimie. Des engrais ? Le fumier. Mais les semences ?
Là, deux  possibilités : selon la théorie proposée initialement, de la même façon que l'on refuse d'aller comprendre ce qu'est un additif, pourquoi faire l'effort de comprendre ce que sont les méthodes de cultures  et les semences ? Il y a la solution de virer semences et méthodes de culture. Ou bien de rester aux graines que le légume fait lui-même, et ne pas utiliser des Vilaines Semences du Commerce : le Grand Complot veut certainement faire du blé sur notre dos !
Donc nous n'irons nous fournir que chez les Gentils Maraîchers qui n'achèteront pas les semences de Méchants Semenciers industriels. Oui, "industriels" : le mot arrive. Ce qui est Très Mauvais, c'est l'industrie ! Nous ne traiterons qu'avec des Gentils Artisans.
La voilà, la solution qui nous était proposée !
Pour les viandes ? Avec notre système précédent, nous ne prendrons de la viande que si elle vient d'un Gentil Eleveur "artisanal". Tiens, au fait, combien de bêtes un tel homme peut-il élever au maximum ? Seul ? Nous avons dit un artisan, soit quelqu'un qui n'exploite pas autrui. Limitons donc l'exploitation à un homme et sa famille. Personne en plus, sans quoi nous verserions dans la Méchante Industrie. Oui, parce que, si nous employons quelqu'un, c'est le début de la fin : un employé, deux, trois, dix, cent... D'ailleurs, au Canada, ne disent-ils pas que les chefs sont l'industrie ? Ce qui est juste : je connais des cuisiniers qui ont plusieurs restaurants et qui, de ce fait, employent beaucoup de monde ! L'Abominable Industrie. De sorte que nous arrivons à une conclusion supplémentaire, en chemin : nous n'irons plus que chez les Cuisiniers Artisans, ceux qui font tout eux-mêmes : la cuisine, le service et la vaisselle. Les autres ? D'Affreux Cuisiniers Industriels !

Un doute m'étreint : d'accord, le Gentil Eleveur aura élevé seul ses bêtes, mais qui les abattra ? Ouf, je viens de comprendre que ce sera un Gentil Boucher Artisan, comme dans le Bon Ancien Temps. Qui aura acheté des couteaux à un Gentil Artisan coutelier, lequel aura fait les couteaux un à un, des ses Propres Mains. Le métal ? Il l'aura acheté à un Gentil Métallurgiste, artisan qui aura acheté le charbon de bois à un Gentil Charbonnier, et le minerai à un Gentil Mineur. Le Gentil Mineur ne peut pas extraire seul le minerai ? Il aura fait une association, une Gentille Coopérative !

Un artisan respectueux des matières premières utilisera des produits et un vocabulaire que vous comprenez tels que farine, sucre, beurre, légumes, sel… et non E 330, E 420 ou E 621.

Un "artisan respectueux  des matières premières" ? Ah, oui : il y a les Gentils Artisans, mais ceux-ci ne sont pas tous gentils ! Il faut qu'ils soient "respectueux des matières premières" et qu'ils utilisent produits et vocaculaires compréhensibles.
Respectueux des matières premières, quand même c'est compliqué, non ? Je dois pas avoir le Bon Etat d'Esprit, parce que j'ai vraiment du mal à comprendre ce que signifie respecter des matières premières.
Allons, un effort : pensons à de la cuisine. Et, plus précisément, pensons à la recette de poulet rôti avec des pommes de terre qui sera sur la table à midi. J'ai donc un poulet qui vient d'un Gentil Eleveur, puis d'un Gentil Boucher. Comment le cuire en le respectant ? Je vois bien que je peux le manipuler avec une grande douceur... mais il est mort. Alors le cuire sans le chauffer trop ? La peau ne sera pas croustillante ! Une idée : chercher dans le dictionnaire ce que "respecter" signifie. Le Gentil Trésor de la langue française informatisé nous dit "action de prendre en considération". Bon, si je prends la cuisson en considération, je respecte. Autrement dit, il faut que je réfléchisse... D'ailleurs, l'article que l'on m'avait signalé disait bien "réfléchir en connaissance de cause".
Mais, au fait, pourquoi ne pas "prendre en considération" les additifs ? Ah, non, quand même  pas les additifs, puisque c'est une Méchante Invention.
Alors que farine, sucre, beurre, légumes, sel... Au fait, sais-je bien ce dont il s'agit ? Farine ? Je l'aurai achetée à un Gentil Meunier, un artisan, lequel se sera fourni à un Gentil Agriculteur, qui aura travaillé seul. Comment ? Là, les calculs les plus simples montrent que, sans mécanisation, un homme ne peut faire vivre que quatre personnes, à condition de ne faire que travailler. Pas de vacances pour notre Gentil Agriculteur ? Bon, d'accord, laissons-le Laissons avoir un tracteur. Un tracteur qui viendra d'où  ? D'un Gentil Artisan fabriquant de tracteurs ?

Vite, vite, passons au  sucre, puisque je ne sais pas répondre à la question : après tout, n'avions-nous pas comme conseil de supprimer de notre vie tout ce qui nous "pose problème" ?
Donc le sucre : ne l'achetons qu'à un Gentil Artisan, qui aura  lui-même lavé les betteraves d'un Gentil Agriculteur, qui aura lui-même broyé ses betteraves, aura ajouté de l'eau, de la chaux... De la chaux ? Oui, il se sera procuré la chaux d'un Gentil Artisan. Comment ce dernier aura-t-il  chauffé son four à chaux ? Pas d'électricité, parce que, là, on risque gros. Pas de nucléaire, bien sûr. Pas de centrale à charbon. Pas de pétrole. De l'éolien et du  solaire ? Pas des panneaux solaires, puisqu'ils sont fabriqués par de Méchants Industriels, et pas de ces grosses éoliennes industrielles modernes. Des moulins, de Gentils Moulins !
Passons au beurre. Facile : cela vient d'un Gentil Eleveur, ou d'un Gentil Crémier. Le sel ? Un Gentil Saunier. Il sera venu au marché, avec son sel, et nous saurons d'où vient le sel. Au fait, il aura fait six cent kilomètres pour venir du bord de mer ? Ben... oui. Et qui extraira le sel, pendant ce temps ? Allons, on sait bien que le vent et le soleil évaporent l'eau sans intervention humaine.

Et c'est ainsi que nous avons des  légumes, des viandes, de la farine, de l'huile, du sucre, du sel. Avons-nous vraiment besoin  d'additifs ?
Faisons l'essai d'une crème au caramel, pour le savoir. Il suffit d'avoir des oeufs, du sucre, du lait, de la vanille. Tout va bien... jusqu'au caramel : c'est un additif de code E150 ! Oui, mais c'est un Méchant Additif si nous l'achetons, mais si nous le faisons nous-même, cela devient un Gentil Caramel. A la limite, d'ailleurs, pourquoi ne pas l'acheter à un Gentil Artisan fabriquant de Gentil Caramel.
Une autre recette : une tarte au  citron meringuée. De la farine, du sucre, de l'eau, du citron, des oeufs, du sel. Le citron ? Il  sera acheté à un Gentil Maraîcher. Le citron n'est pas local ? Il sera donc venu du sud de la France. Le sud de la France ne produit pas assez de citron pour tous les Parisiens ? Tant pis : ceux-ci se passeront de tarte au citron, et ils mangeront des tartes au poires ou aux pommes.
Après tout, si nous mangeons des produits locaux, nous devons aussi manger des produits de saison. Ainsi, plus de Méchants Conservateurs, lesquels font partie de la catégorie des Méchants Additifs !
En hiver, il nous reste donc Gentils carottes, choux, pommes de terre, poireaux... Qu'avons-nous besoin du reste ? Et puis, en nous limitant ainsi, nous faisons disparaître les Méchants Supermarchés.

La proposition initiale était donc Merveilleuse : de la soupe aux choux tous les jours, des tartes aux pommes, et nous ne cherchons pas à savoir d'où viennent les plumes des canards, l'énergie...
Ne nous posons pas de question, et soyons Respectueux. Quelle Vie Merveilleuse s'offre à nous !

Le même que celui du 19 décembre, mais en plus charitable

On m'envoie un article où je lis :

La liste des additifs autorisés, nomenclaturés avec la lettre E suivis de quelques chiffres, vous pose problème, car vous ne les connaissez pas ? Aucun souci ! J’ai depuis bien longtemps banni de mon alimentation tout aliment contenant le moindre additif "E". 

Bien sûr, c'est la solution ! Chaque fois qu'on ne connais pas quelque chose, cela nous "pose problème". Et quand "cela nous pose problème", on élimine l'usage !
Tiens "pose problème" ? Je croyais qu'en français, on mettait des articles devant les noms ? Soit la mode a changé, soit notre interlocuteur a un usage limité du français. Pardon, je devrais peut-être écrire : soit mode a changé, soit interlocuteur a usage limité français.

Cela dit, la solution qui consiste à supprimer de notre existence tout ce que nous ne comprenons pas est merveilleuse, séduisante non ? Regardons-y de plus prêt.

Nous ne comprenons pas le fonctionnement de l'ordinateur que nous n'utilisons ? Revenons sans tarder à la Gentille Plume d'oie et à la Gentille Encre artisanale ou domestique.
Mais, au fait, d'où vient cette plume ? Il nous faudra aller à la Gentille Ferme voisine (ou faire notre élevage nous-même) pour en trouver sur une l'oie, un canard, sans quoi, on ne sait jamais : le Grand Complot pourrait nous refiler des "fausses plumes" !
Et l'encre ? N'utilisons certainement pas de la Vilaine Encre du "commerce", parce qu'on ne sais jamais : "ils" ont sans doute trafiqué notre produit. Oui, faisons  bouillir des clous rouillés avec de l'écorce d'arbre, puis filtrons, et stabilisons le produit avec de la gomme, exsudation d'arbre.
Bon, d'accord, écrire devient plus compliqué, mais combien "plus en accord avec nous-même" ! Et puis, nous sommes rassurés de tout "bien connaître".

Au fait, bien connaître : comment les oies, les canards, ont-ils ces plumes ? Je l'ignore : cela "pose problème". Pourquoi l'eau où l'on cuit écorce et rouille devient-elle noire ? Aïe : cela "pose problème". Et pourquoi certains arbres font-ils cette gomme ? Cela "pose problème". Et pourquoi la gomme stabilise-t-elle l'encre ?
 J'ai une idée : puisque je ne le sais pas, je ne vais pas utiliser la gomme, et secouer l'encre avant chaque utilisation. Après tout, tant qu'à nous compliquer la vie, ne reculons pas devant de petits sacrifices...

Je veux consommer des ingrédients que je connais et réfléchir en toute connaissance de cause.

Je veux  consommer des ingrédients que je connais ?
Revenons à la question de l'alimentation, puisque c'est cela dont il s'agit. Pour 80 pour cent des Français, qui vivent en ville, les légumes viennent des maraîchers. Selon la Théorie du Grand Complot, ce sont certainement de gros industriels malhonnêtes, qui font leur beurre sur notre dos. Allons chercher les légumes  à la ferme. Pas le temps ? Alors créons des associations, avec nos cotisation qui payeront du  personnel pour nous procurer des fruits et légumes dont nous connaissons l'origine. Non, la solution est mauvaise : si nous payons du personnel, le personnel sera exploité. Alors il y a le système des AMAP, pour lequel des Gentils Producteurs nous donneront nos produits. Mais, au fait, quelle différence avec un marché ? Sur le marché, ne s'agit-il pas de Gentils Producteurs qui viennent vendre leurs  produits ? Ah non ! Il y a les "Affreux Intermédiaires", ceux qui font du beurre sur notre dos et sur celui des Gentils Producteurs.

Bon, nous avons donc supprimé les Affreux Intermédiaires, et nous savons qui produit ce que nous mangeons. Mais, au fait, comment cela est-il produit ? Allons,  chacun sait qu'on met une graine dans la terre et que ça pousse tout seul. Arroser ? Ce n'est pas de la chimie. Des engrais ? Le fumier. Mais les semences ?
Là, deux  possibilités : selon la théorie proposée initialement, de la même façon que l'on refuse d'aller comprendre ce qu'est un additif, pourquoi faire l'effort de comprendre ce que sont les méthodes de cultures  et les semences ? Il y a la solution de virer semences et méthodes de culture. Ou bien de rester aux graines que le légume fait lui-même, et ne pas utiliser des Vilaines Semences du Commerce : le Grand Complot veut certainement faire du blé sur notre dos !
Donc nous n'irons nous fournir que chez les Gentils Maraîchers qui n'achèteront pas les semences de Méchants Semenciers industriels. Oui, "industriels" : le mot arrive. Ce qui est Très Mauvais, c'est l'industrie ! Nous ne traiterons qu'avec des Gentils Artisans.
La voilà, la solution qui nous était proposée !
Pour les viandes ? Avec notre système précédent, nous ne prendrons de la viande que si elle vient d'un Gentil Eleveur "artisanal". Tiens, au fait, combien de bêtes un tel homme peut-il élever au maximum ? Seul ? Nous avons dit un artisan, soit quelqu'un qui n'exploite pas autrui. Limitons donc l'exploitation à un homme et sa famille. Personne en plus, sans quoi nous verserions dans la Méchante Industrie. Oui, parce que, si nous employons quelqu'un, c'est le début de la fin : un employé, deux, trois, dix, cent... D'ailleurs, au Canada, ne disent-ils pas que les chefs sont l'industrie ? Ce qui est juste : je connais des cuisiniers qui ont plusieurs restaurants et qui, de ce fait, employent beaucoup de monde ! L'Abominable Industrie. De sorte que nous arrivons à une conclusion supplémentaire, en chemin : nous n'irons plus que chez les Cuisiniers Artisans, ceux qui font tout eux-mêmes : la cuisine, le service et la vaisselle. Les autres ? D'Affreux Cuisiniers Industriels !

Un doute m'étreint : d'accord, le Gentil Eleveur aura élevé seul ses bêtes, mais qui les abattra ? Ouf, je viens de comprendre que ce sera un Gentil Boucher Artisan, comme dans le Bon Ancien Temps. Qui aura acheté des couteaux à un Gentil Artisan coutelier, lequel aura fait les couteaux un à un, des ses Propres Mains. Le métal ? Il l'aura acheté à un Gentil Métallurgiste, artisan qui aura acheté le charbon de bois à un Gentil Charbonnier, et le minerai à un Gentil Mineur. Le Gentil Mineur ne peut pas extraire seul le minerai ? Il aura fait une association, une Gentille Coopérative !

Un artisan respectueux des matières premières utilisera des produits et un vocabulaire que vous comprenez tels que farine, sucre, beurre, légumes, sel… et non E 330, E 420 ou E 621.

Un "artisan respectueux  des matières premières" ? Ah, oui : il y a les Gentils Artisans, mais ceux-ci ne sont pas tous gentils ! Il faut qu'ils soient "respectueux des matières premières" et qu'ils utilisent produits et vocaculaires compréhensibles.
Respectueux des matières premières, quand même c'est compliqué, non ? Je dois pas avoir le Bon Etat d'Esprit, parce que j'ai vraiment du mal à comprendre ce que signifie respecter des matières premières.
Allons, un effort : pensons à de la cuisine. Et, plus précisément, pensons à la recette de poulet rôti avec des pommes de terre qui sera sur la table à midi. J'ai donc un poulet qui vient d'un Gentil Eleveur, puis d'un Gentil Boucher. Comment le cuire en le respectant ? Je vois bien que je peux le manipuler avec une grande douceur... mais il est mort. Alors le cuire sans le chauffer trop ? La peau ne sera pas croustillante ! Une idée : chercher dans le dictionnaire ce que "respecter" signifie. Le Gentil Trésor de la langue française informatisé nous dit "action de prendre en considération". Bon, si je prends la cuisson en considération, je respecte. Autrement dit, il faut que je réfléchisse... D'ailleurs, l'article que l'on m'avait signalé disait bien "réfléchir en connaissance de cause".
Mais, au fait, pourquoi ne pas "prendre en considération" les additifs ? Ah, non, quand même  pas les additifs, puisque c'est une Méchante Invention.
Alors que farine, sucre, beurre, légumes, sel... Au fait, sais-je bien ce dont il s'agit ? Farine ? Je l'aurai achetée à un Gentil Meunier, un artisan, lequel se sera fourni à un Gentil Agriculteur, qui aura travaillé seul. Comment ? Là, les calculs les plus simples montrent que, sans mécanisation, un homme ne peut faire vivre que quatre personnes, à condition de ne faire que travailler. Pas de vacances pour notre Gentil Agriculteur ? Bon, d'accord, laissons-le Laissons avoir un tracteur. Un tracteur qui viendra d'où  ? D'un Gentil Artisan fabriquant de tracteurs ?

Vite, vite, passons au  sucre, puisque je ne sais pas répondre à la question : après tout, n'avions-nous pas comme conseil de supprimer de notre vie tout ce qui nous "pose problème" ?
Donc le sucre : ne l'achetons qu'à un Gentil Artisan, qui aura  lui-même lavé les betteraves d'un Gentil Agriculteur, qui aura lui-même broyé ses betteraves, aura ajouté de l'eau, de la chaux... De la chaux ? Oui, il se sera procuré la chaux d'un Gentil Artisan. Comment ce dernier aura-t-il  chauffé son four à chaux ? Pas d'électricité, parce que, là, on risque gros. Pas de nucléaire, bien sûr. Pas de centrale à charbon. Pas de pétrole. De l'éolien et du  solaire ? Pas des panneaux solaires, puisqu'ils sont fabriqués par de Méchants Industriels, et pas de ces grosses éoliennes industrielles modernes. Des moulins, de Gentils Moulins !
Passons au beurre. Facile : cela vient d'un Gentil Eleveur, ou d'un Gentil Crémier. Le sel ? Un Gentil Saunier. Il sera venu au marché, avec son sel, et nous saurons d'où vient le sel. Au fait, il aura fait six cent kilomètres pour venir du bord de mer ? Ben... oui. Et qui extraira le sel, pendant ce temps ? Allons, on sait bien que le vent et le soleil évaporent l'eau sans intervention humaine.

Et c'est ainsi que nous avons des  légumes, des viandes, de la farine, de l'huile, du sucre, du sel. Avons-nous vraiment besoin  d'additifs ?
Faisons l'essai d'une crème au caramel, pour le savoir. Il suffit d'avoir des oeufs, du sucre, du lait, de la vanille. Tout va bien... jusqu'au caramel : c'est un additif de code E150 ! Oui, mais c'est un Méchant Additif si nous l'achetons, mais si nous le faisons nous-même, cela devient un Gentil Caramel. A la limite, d'ailleurs, pourquoi ne pas l'acheter à un Gentil Artisan fabriquant de Gentil Caramel.
Une autre recette : une tarte au  citron meringuée. De la farine, du sucre, de l'eau, du citron, des oeufs, du sel. Le citron ? Il  sera acheté à un Gentil Maraîcher. Le citron n'est pas local ? Il sera donc venu du sud de la France. Le sud de la France ne produit pas assez de citron pour tous les Parisiens ? Tant pis : ceux-ci se passeront de tarte au citron, et ils mangeront des tartes au poires ou aux pommes.
Après tout, si nous mangeons des produits locaux, nous devons aussi manger des produits de saison. Ainsi, plus de Méchants Conservateurs, lesquels font partie de la catégorie des Méchants Additifs !
En hiver, il nous reste donc Gentils carottes, choux, pommes de terre, poireaux... Qu'avons-nous besoin du reste ? Et puis, en nous limitant ainsi, nous faisons disparaître les Méchants Supermarchés.

La proposition initiale était donc Merveilleuse : de la soupe aux choux tous les jours, des tartes aux pommes, et nous ne cherchons pas à savoir d'où viennent les plumes des canards, l'énergie...
Ne nous posons pas de question, et soyons Respectueux. Quelle Vie Merveilleuse s'offre à nous !

mercredi 5 août 2015

Le naturel ?

Une certaine industrie alimentaire vend de façon contestable des produits "naturels", et une certaine réglementation démagogique accepte cette entorse à la pensée.

Contestable ? Entorse ? Oui, car est "naturel", en français, ce qui n'a pas fait l'objet d'une transformation par l'être humain. Nos aliments ne sont pas naturels, car ils ont été cuisinés. Et très peu de nos ingrédients alimentaires sont naturels, car même le sel, tiré de la mer ou des mines, a été extrait, purifié, raffiné. On ignore souvent que le sel est amendé avec de l'iode, par exemple, ou que nos fruits et légumes, qui semblent pousser tout seuls, ont en réalité été sélectionnés depuis des générations. Les arbres ont été greffés, la sélection a opéré, et nos pommes modernes n'ont plus rien des pommes sauvages, ni les carottes des carottes sauvages.
Bref, nous ne mangeons pas de produits naturels, et c'est une étrange idée que de le croire. Mais c'est un fait que même des individus qui savent lire, écrire et compter, parlent de produits naturels.
Récemment, lors de l'enregistrement d'une émission de télévision, il m'est venu qu'il est facile de montrer à nos interlocuteurs leurs contradictions. Cela s'est passé alors que je discutais avec une journaliste qui avait prononcé le mot "naturel". Naturel ? Je lui demandai d'abord si le sucre était naturel, et elle tomba dans le piège, puisqu'elle répondit que oui. Les protéines du lait ? Oui, l'acide tartrique, lequel est au fond des bouteilles de vin blanc ? Oui. L'huile ? Oui... Alors le "faux fromage" qu'elle voulait "dénoncer" était naturel, puisqu'il était fait de ces matières (j'abrège la liste et la démonstration).
Par la même technique, à peu près tous nos aliments sont naturels, sauf quand certains ingrédients ont été synthétisés, telle la vanilline des "vanilles artificielles".

Mais nous sommes bien d'accord : ce n'est pas charitable d'agir comme je le fais ! Et il n'est pas juste de dire que nos aliments sont naturels : en réalité, ils sont tous parfaitement artificiels, parce qu'ils ont été préparés. Et des cuisiniers qui parleraient d'une cuisine naturelle seraient dans l'erreur, même si le Michelin leur a donné  des étoiles !

vendredi 17 juillet 2015

La mayonnaise, c'est quoi ?

L'industrie alimentaire belge trouve contraignante la loi qui veut que la sauce mayonnaise contienne au minimum 80 pour cent d'huile et 7,5 pour cent de jaune d'oeuf (http://www.courrierinternational.com/article/belgique-il-faut-reformer-durgence-la-loi-mayonnaise). Cette industrie (disons certains de ses représentants) dit que cela gênerait leurs exportations. Que penser ? 



Considérons la mayonnaise : c'est une sauce que l'on obtient à partir d'un jaune d'oeuf (30 grammes), d'une cuillerée de vinaigre (admettons 30 grammes, au maximum), puis où l'on ajoute de l'huile jusqu'à ce que la sauce soit épaisse ; admettons deux décilitres. Cela nous fait combien, en pour cent ? La densité de l'huile étant de 0,9, deux décilitres, cela fait 180 grammes.

Soit la proportion d'huile 180/(30 + 30 + 180), soit 75 pour cent.
Pour la proportion de jaune d'oeuf, en revanche, on trouve 12,5 pour cent, soit bien plus que ce  qui est admis par la loi. 

Cela calculé, on peut augmenter la quantité de sauce en ajoutant un peu plus de vinaigre : admettons donc encore 30 grammes. On pourrait alors ajouter encore 90 grammes d'huile, de sorte que, cette fois, la proportion d'huile ne change pas, alors que la proportion de jaune d'oeuf tombe à 8 pour cent environ. La sauce perd de son bon goût de jaune progressivement... mais c'est là une pratique culinaire classique. . 

Alors, finalement, que penser de la réclamation des industriels belges ? Que la règle concernant l'huile est sans doute justifiée, mais que la proportion de jaune d'oeuf est trop faible, et devrait être réhaussée ! 

Cela dit, examinons les déclarations de l'industrie belge : 

"Si la mayonnaise de votre assiette est aussi grasse, c’est parce que les autorités l’exigent”, explique Het Laatste Nieuws : baratin !  La mayonnaise est grasse, parce que la mayonnaise est une sauce grasse ! 

“Depuis soixante ans, aucun producteur ne peut se soustraire à l’arrêté royal selon lequel la mayonnaise [produite en Belgique] doit contenir au moins 80 % de matière grasse et 7,5 % de jaune d’œuf.” Dans le cas contraire, la sauce ne peut pas prétendre au nom de mayonnaise  : tant mieux  ! La mayonnaise, c'est la mayonnaise, sans quoi, ce serait de la "mayonnaise allégée", ou une autre sauce (mais on sent que l'industrie belge voudrait bien tordre le nom de "mayonnaise" pour en garder l'usage. 

"La législation est devenue un véritable handicap, freinant les innovations possibles d’un secteur qui pèse plus de 1,1 milliard d’euros chez nous" :  non, la législation n'est pas un handicap, et si l'industrie veut innover, qu'elle le fasse, en introduisant des mots justes, au lieu d'être déloyale. Je rappelle d'ailleurs que si l'industrie pharmaceutique investit 11 % de son chiffre d'affaires dans la recherche et le développement, l'industrie alimentaire n'y consacre que 0.2 % !