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mercredi 3 mai 2023

La question de la couleur, pour la cuisine de synthèse

 Dans la série des questions relatives à la cuisine note à note, je propose aujourd'hui d'examiner les questions de couleur. 

 

Pour l'instant, avec la cuisine classique, le problème était assez simple : on prenait un ingrédient alimentaire qui avait une couleur, et l'on se limitait à essayer de conserver cette couleur, ou à la modifier de  façon un peu (très peu, en réalité) contrôlée. 

Il faut bien avouer  que la cuisine classique  n'a pas merveilleusement réussi, de ce point de vue, puisque  la question de conserver le beau vert des légumes vert reste toujours posée, sans véritable solution, que la couleur des betteraves et des choux rouges change  inéluctablement quand  on les cuit ou quand on varie l'acidité du milieu, que l'on ne contrôle pas les changements de couleur des fruits rouges, que les cornichons jaunissent dans leur bocal de vinaigre... 

Soyons honnêtes :  les compétences du monde alimentaire en matière de couleur ne sont pas épatantes. 

Pour preuve, cette demande qui est arrivée dans notre groupe de recherches il y a quelques années d'un très gros industriel de l'alimentaire pour étudier la couleur verte des légumes verts. Évidemment, on sait des choses, et la chimie a considérablement exploré les chlorophylles, les caroténoïdes, les composés phénoliques de la famille des anthocyanes, les bétalaïnes... 

 

Toutefois la question demeure : dans des environnements chimiques complexes, en présence d'acides, de métaux,  par exemple, ces composés réagissent quand ils sont chauffés, lors de la cuisson, et des réactions ont lieu, que l'on ne sait pas bloquer. 

Avec la cuisine note à note, le problème se pose différemment, parce que, si la cuisson sert à faire  apparaître des composés nouveaux, pourquoi ne pas utiliser ces composés nouveaux d'emblée, et éviter cette cuisson qui va changer la couleur des pigments initialement présents ? Ce type d'idées (je dis bien ce type d'idées et non pas cette idée, parce que je généralise immédiatement)  mérite d'être testé. Testé expérimentalement, théoriquement,  mais il y a un travail à faire. La question est donc posée : comment déterminerons-nous la couleur des de mets note à note ?

jeudi 1 août 2019

Heureux de vous transmettre une lettre importante, à propos de contenu nutritif des aliments

 Je suis heureux de publier ici un texte de Léon Guéguen, qui figure d'ailleurs aussi sur le site de l'Académie d'agriculture de France à :
https://www.academie-agriculture.fr/publications/articles/retour-sur-cash-investigation-fruits-et-legumes-france-2-18-juin-2019


Retour sur Cash Investigation « fruits et légumes »
(France 2, 18 juin 2019)

Avant l’émission


En automne 2016, j’avais été scandalisé par un documentaire diffusé sur France 5 déclarant que « Au cours des 50 dernières années les aliments ont perdu jusqu’à 75 % de leur valeur nutritive…et il faut 100 pommes actuelles pour le même apport de vitamine C qu’une seule pomme ancienne, et 20 oranges au lieu d’une pour l’apport de vitamine A ».D’autres exemples étaient cités montrant que la plupart des aliments s’étaient « vidés de leurs micronutriments ». Largement reprise par les médias, cette déclaration était un véritable cri d’alarme en faveur du  « c’était mieux avant ».

J’ai donc eu l’idée de comparer, pour les aliments les plus courants, les valeurs des tables récentes de composition (Ciqual-Anses, 2016) avec celles des tables anciennes de Randoin et al. L’édition de 1947 existait dans les archives de l’Académie d’agriculture et celle, plus complète et actualisée, de 1981 m’a été vendue (sur Amazon) par une librairie de vieux livres. J’avais donc procédé à cette comparaison qui avait fait l’objet d’une tribune publiée en 2017 dans la Revue de l’Académie d’Agriculture puis, sous un format plus condensé, dans Sciences et pseudo-sciences.

Plus tard (date non mémorisée), j’ai été sollicité par une personne ayant lu mon article et qui, semblant de bonne foi, se déclarait intéressée par des comparaisons sur des espèces ne figurant pas dans mon tableau et me demandant de lui prêter les tables de 1981. J’ai perdu le souvenir de cette transaction (demande téléphonique sans trace écrite), mais je lui ai expédié ce document par courrier postal. J’ignorais totalement que cette personne travaillait pour la société de production de Cash Investigation. L’aurais-je su que, par souci de transparence (ou naïveté ?), j’aurais quand même prêté ces tables (qui ne m’ont toujours pas été restituées). Les ayant déjà exploitées pour mon article, je les avais perdues de vue et je ne me suis pas ensuite inquiété de leur « disparition ».

L’émission

Dès le début du documentaire, trois affirmations sont fausses, mensongères ou déloyales :

1) Dans une courte séquence d’une minute en début d’émission, sur trois heures d’un tournage-prétexte dans la bibliothèque de l’Académie d’agriculture, la réalisatrice faisait semblant de découvrir une « pépite », alors qu’il s’agissait de mon exemplaire de 1981 des tables de composition…qu’elle possédait déjà depuis longtemps et qui lui avait servi à établir son grand tableau comparatif sur 70 espèces de fruits et légumes. La présence des tables de 1947 dans les archives de l’Académie avait été signalée à la fin de ma tribune, mais pas celles de 1981 qui on servi à faire les comparaisons.

2) Il est dit qu’ils auraient eu « l’idée simple » de comparer les tables anciennes et récentes de composition des aliments…alors que j’avais eu cette idée près de 3 ans plus tôt et qu’il s’agissait de l’objet de mon article publié en 2017 et connu de la réalisatrice.

3) Il est déclaré que «En France, nous n’avons trouvé aucun scientifique pour nous parler de cette baisse des teneurs… », alors qu’elle connaissait au moins un ! Il faut surtout comprendre que mes conclusions, plus critiques et nuancées, ne lui convenaient pas…

Pourquoi l’origine de ce prêt de document ancien et ma tribune sur ce sujet n’ont-elles pas été évoquées dans le documentaire ? Selon la réalisatrice, mon article ne portait que sur un nombre limité de fruits et légumes (ce qui est exact), concernait aussi des céréales, le lait et l’œuf et ne visait pas que les minéraux et vitamines, mais aussi les protéines, les lipides et les glucides. Curieux motif de rejet ! De plus, contrairement à leur étude, j’ai présenté des données par espèce végétale, tandis qu’ils ont fait des moyennes de 70 espèces dans le but de montrer des « tendances » d’évolution des teneurs. Pour cette raison, mes conclusions seraient « biaisées », voire « partisanes » (?). En revanche, leur méthode aurait été « validée » par David Davis, de l’université du Texas, auteur d’une revue de synthèse sur ce sujet que j’avais citée dans mon article. A noter que « l’effet de dilution » qu’il constate ne conduit qu’à des diminutions de 10 à 20 % des teneurs en quelques micronutriments, avec d’énormes écarts-types limitant leur signification statistique, ce qui est bien loin du « grave déclin » proclamé ! Ces baisses de teneurs sont bien plus faibles que celles constatées sur les 70 espèces traitées dans le reportage, dont seulement trois sont annoncées à l’antenne : baisses moyennes de 16 % pour le calcium, de 26 % pour la vitamine C et de 48 % pour le fer. Et les autres micro-nutriments ? Pourquoi ne sont-ils pas évoqués !

En fait, dans l’émission, il n’est pas seulement question de moyennes mais aussi d’exemples précis et répétés destinés à frapper l’opinion : perte de 26 % du calcium et de 31 % de la vitamine C du haricot vert, perte de 59 % de la vitamine C de la tomate…mais, évidemment, aucun exemple d’augmentation des teneurs n’a été cité. Et pourtant, en ne considérant que les espèces végétales de mon tableau, si plusieurs diminutions de teneurs ont aussi été constatées (sans que cela soulève un cri d’alarme pour notre nutrition), de nombreux cas de gains de nutriments ont aussi été constatés. En voici des exemples :

Pomme de terre : +27 % de vitamine C
Poireau : +50 % de fer et +70 % de beta-carotène
Chou : +38 % de calcium et +40 % de fer (intéressant car le chou est l’une des principales sources végétales de calcium)
Haricot vert : +67 % de zinc
Carotte : +38 % de beta-carotène
Pomme : +30 % de magnésium et +50 % de zinc

De tels exemples existent certainement aussi dans le grand tableau furtivement présenté dans l’émission (que je n’ai pas pu me procurer malgré ma demande réitérée) et Elise Lucet aurait aussi pu le dire (n’est-ce pas du cherry-picking ?). Quant à la “déconfiture” observée pour le fer dans certains fruits, elle est simplement due au fait qu’ils ne contiennent pratiquement pas de fer et que ces très faibles valeurs, même avec des pertes apparentes pouvant atteindre 75 %, sont sans signification pratique.

Selon la réalisatrice, le plus important n’est pas de constater des variations pour les espèces individuellement, mais de montrer des tendances sur des moyennes de 70 fruits et légumes, tous dans le même panier. Or cette méthode est pour le moins critiquable et trompeuse quand on raisonne, sans aucune pondération en fonction des teneurs absolues, sur des moyennes de pourcentages de diminutions dont certaines sont énormes, peu fiables et sans intérêt nutritionnel lorsque les teneurs absolues sont très faibles (cas du calcium de la pomme, du fer des fruits…). Les pourcentages moyens de variations sont alors artificiellement gonflés, sans que cela présente un quelconque intérêt pour le nutritionniste. En effet, ce qui importe pour la nutrition c’est l’évolution des teneurs dans les aliments qui sont des sources significatives de micronutriments, par exemple le chou pour le calcium ou la pomme de terre pour la vitamine C, mais pas celle du fer dans des fruits qui n’en contiennent pratiquement pas. De même, il importe peu au producteur de chou ou de pomme de terre de savoir que les teneurs moyennes pour les 70 espèces ont baissé de 16 % pour le calcium et de 26 % pour la vitamine C, mais que ces teneurs ont augmenté de 38 % pour le calcium dans le chou et de 27 % pour la vitamine C dans la pomme de terre.
Alors, quelles sont les conclusions « biaisées » ?

Quoi qu’il en soit, et comme j’ai pris la précaution de le préciser dans mon article, ces comparaisons des tables doivent être faites avec un bon sens critique et beaucoup de réserves. Toutes les valeurs fournies sont affectées d’un gros écart-type, même si celui-ci n’est pas indiqué dans les tables anciennes dont les valeurs sont souvent sujettes à caution. Mettre l’accent sur quelques différences qui semblent importantes (surtout quand elles sont exprimées en pourcentages) n’a pas grande signification.

Conclusion


Non, nos fruits et légumes n’ont pas été au fil du temps « vidés d’une bonne partie de leurs nutriments » ! Quelle que soit la méthode utilisée pour évaluer cette évolution depuis 60 ans, la bonne (celle de Cash, bien sûr !) ou la plus mauvaise (la mienne !), on peut constater une tendance moyenne à la baisse des teneurs en quelques micronutriments dans certains fruits ou légumes, probablement due à un certain effet de dilution pour des variétés à plus gros rendement et à plus forte vitesse de croissance, parfois pour des fruits récoltés avant maturité complète. Cependant, non seulement ces baisses moyennes ne sont pas dramatiques mais elles ne traduisent pas le fait que certaines espèces sont maintenant plus riches en certains minéraux, oligoéléments ou vitamines, ce que le reportage se garde bien de signaler.

Une très bonne synthèse des connaissances sur ce sujet, plus complète que la revue de D. Davis, a été rédigée en 2017 dans le mémoire de master de l’université libre de Bruxelles par Emilie de Riollet de Morteuil sous le titre : « Analyse de la réalité du déclin de la valeur micronutritionnelle de nos aliments de base depuis la Révolution Verte et recherche de ses causes». Ce mémoire, qui cite mon article, n’est pas connu de l’équipe de Cash. Ses conclusions sont en bon accord avec les nôtres, ce qui est réconfortant…

Quoi qu’il en soit, il ne s’agit pas d’un « grave déclin » des teneurs en micronutriments des fruits et légumes dont l’impact nutritionnel, dans le cadre d’un régime alimentaire global, serait significatif.

 Et halte à la course à l’audimat par des émissions anxiogènes sur la nutrition, alors que notre alimentation n’a jamais été aussi diversifiée, aussi saine et aussi accessible au plus grand nombre !

Léon Guéguen
Directeur de recherches honoraire INRA et membre émérite de l'Académie d’Agriculture de France



On aura compris que Cash Investigation est pris en flagrant délit de malhonnêteté ! Quelle honte pour le service public.

lundi 11 février 2019

Ce que je n'ai pas réussi à faire

Oui, je crois avoir réussi mon coup, en ce que le public sait maintenant qu'il y a des molécules dans les aliments : cela fait partie des enseignements de l'école, d'une part, et les chefs qui passent à la télévision sont sensibilisés, d'autre part. Bien sûr, il y a encore des confusions entre "naturel" et "artificiel" ou "synthétique", mais on y arrivera, surtout si l'école nous y aide, et ce sera pour le bien de tous, c'est-à-dire de chacun et de la collectivité.

En revanche, je n'ai pas réussi à bien faire passer la différence entre la  chimie, qui est une science de la nature, et ses applications... que l'on retrouve trop souvent sous le nom indu, usurpé, de "industries chimiques". Non, il n'y a pas d'industries chimiques, parce qu'une industrie n'est pas une science. Il y a éventuellement des industries qui font usage de la chimie, mais on tomberait dans la faute du partitif en nommant cela "industries chimiques". Et cette confusion est néfaste pour tous, pour la chimie, d'une part, et pour les industries, donc le public qui peut y travailler. 


Pourquoi n'ai-je pas réussi ? 

Pour mille raisons, mais notamment parce que la communauté des chimistes n'a pas encore accepté l'idée que l'on doive nommer différemment la science chimique (la "chimie", donc) et ses applications. Pis encore, il y a eu des tentatives de rapprochement. Louables, certes, du  point de vue de la communauté des personnes intéressées par les transformations moléculaires, mais nuisibles, puisque cela entérinait la confusion.
C'est au point que moi-même ai longtemps hésité à nommer "chimie" notre science ou ses applications, ayant quand même compris que l'on ne pouvait pas donner le même nom à deux activités différentes, ce qui est la moindre des choses : un tournevis n'est pas un marteau, n'est-ce pas ?
Je réponds en passant à une remarque courante : oui, ce sont les mêmes molécules dans un laboratoire de recherche scientifique et dans une usine, mais l'intention fait toute la différence : l'étude d'un phénomène, ce n'est pas l'utilisation de ce phénomène. Il y a toute la différence du monde, et, comme je sais que beaucoup ne la comprenne pas, j'explique sur un exemple :
- quand je cuisine, je produis des aliments
- quand j'étudie la cuisine, je produis de la connaissance.
Si j'étudie, je ne fais pas d'aliment. Mais si je cuisine, je ne fais pas de connaissance.
Là, c'est clair ?

Bref, il y a lieu  lutter encore beaucoup contre des forces antagonistes ou des inerties. Les forces antagonistes ? Il y en a hélas beaucoup, entre ceux qui, par idéologie, refusent les avancées scientifiques, voyant encore là le mythe de Prométhée : pour eux, la chimie est une façon de donner le feu aux hommes, et cela peut faire des catastrophes (incendies, etc.). Il y a aussi ceux qui combattent le "capital" qui est personnifié en l'occurrence par l'industrie... qu'ils disent "chimique". Il y a ceux qui ignorent ce qu'est la chimie, et en ont peur. Il y a ceux qui voient dans la chimie la cause des pollutions, oubliant que c'est principalement la surpopulation mondiale qui est à l'origine de cela. Il y a ceux qui...

Tout cela s'apparente à un combat des vaillants guerriers réunis au Valhalla, dans la mythologie alsacienne, pour lutter contre les géants qui veulent détruire le monde créé par les dieux, libérant le loup géant qui tuera Wotan. Si l'on cesse de combattre, ce sera la fin, de sorte que, éternellement, nous devrons lutter. Lutter contre les peurs, lutter contre les malhonnêtetés intellectuelles, lutter contre les "méchants", les paresseux, les autoritaires, les escrocs, lutter contre la pensée magique, lutter contre les idéologies qui ne s'affichent pas.

Bref, luttons sans relâche contre le Ragnarok

samedi 26 janvier 2019

La dénaturation des aliments ? Non, la dénaturation des protéines

La dénaturation ? Le mot recouvre un vaste ensemble de phénomènes, mais, notamment, il s'applique aux protéines, ces composés dont les molécules sont des enchaînements de résidus d'acides aminés. Les acides aminés ? Des composés dont les molécules comportent au moins un groupe amine, avec un atome d'azote lié  à deux atomes d'hydrogène (-NH2) et un groupe acide carboxylique, avec un atome de carbone lié, d'une part doublement à un atome d'oxygène, et, d'autre part à un atome d'oxygène lié à un atome d'hydrogène. On représente la molécule ainsi :




Les protéines, pour y revenir, sont faites de dizaines à milliers de résidus d'acides aminés, et, quand on les représente, on ne peut évidemment pas montrer tous les atomes, de sorte qu'il faut plutôt penser à une sorte de pelote:



Et nous sommes maintenant prêts pour savoir ce qu'est la dénaturation des protéines : c'est un changement de conformation plus ou moins grand (pour des définitions de ce type, voir le Gold Book de l'International Union of Pure and Applied Chemistry, en l'occurrence https://goldbook.iupac.org/html/D/D01586.html).


Et nous pouvons maintenant examiner une question que je reçois ce matin:

Dans le cadre d'un travail portant sur la consommation sans utilisation de chaleur, c'est à dire le moyen d'obtenir des effets similaires à la chaleur sans pourtant l'utiliser, nous sommes ammenés à travailler sur la dénaturation.
Cependant, la dénaturation avec un effet mécanique nous pertube beaucoup car nous ne savons pas si elle est reproductible sur d'autres aliments que l'oeuf (lorsque qu'ils sont montés en neige).
Pourriez-vous, s'il vous plait, nous éclairés sur le sujet et si possible nous indiqués d'autres aliments sur lesquels cette effet est possible ?

Observons tout d'abord que la première phrase est étrange : une  étude de "la consommation sans utilisation de chaleur"... Mais une consommation de quoi ?  Le "c'est-à-dire" s'impose... mais là encore, je tique : "obtenir des effets similaires à la chaleur sans l'utiliser".
Bon, je suppose que mes interlocuteurs veulent savoir si d'autres moyens que la chaleur permettent d'obtenir des moyens que permet la chaleur. Et là, il y en a beaucoup... notamment depuis que Rumford et Joule ont établi une équivalence entre chaleur et travail mécanique, ou que l'on a compris que la lumière était une forme d'énergie, par exemple. En réalité, les formes d'énergie sont interconvertibles, jusqu'à la matière, qui correspond à de l'énergie (on se souvient de la fameuse équation dite d'Einstein E = m c²).

Bon, mais cela, c'est presque toute l'histoire de la physique, et je ne vais pas résumer cela dans un billet de blog ! J'arrive donc à la suite de la question, à savoir la dénaturation. Mes interlocuteurs parlent de la dénaturation des aliments... mais à part pour l'acception "changer la nature de", il n'y a pas, en cuisine, de dénaturation des aliments, mais seulement de dénaturation des protéines ou des autres macromolécules, comme dit dans la définition du Gold Book de l'IUPAC.

J'explique : un blanc d'oeuf, c'est 90  pour cent d'eau et 10 pour cent de protéines (une vingtaine de sortes). Quand on le chauffe, les molécules  de protéines sont heurtées par les molécules d'eau qui sont alors plus rapides, et la structure repliée des protéines se déroule : les molécules de protéines sont dénaturées. Il se trouve que certaines de ces molécules dénaturées peuvent établir des liaisons assez fortes, et cela correspond à la coagulation  (on observera que l'interface eau-air semble important :  C. R. Thomas, D. Geer. Effects of shear on proteins in solution Biotechnology Letters, Springer Verlag, 2010, 33 (3), pp.443-456).
Mais il y a d'autres protéines pour lesquelles la dénaturation ne s'accompagne pas de coagulation : par exemple, quand on chauffe du tissu collagénique, il est dissocié, le collagène est dénaturé, mais il n'y a pas de coagulation.


Sans chaleur, maintenant

Il est exact que quand on cisaille un blanc d'oeuf, les protéines subissent les mêmes types de déformation, et peuvent également coaguler : c'est peut-être là l'explication du grainage des blancs d'oeufs trop battus.
Et cela vaut pour n'importe quelle protéine... mais pas pour des aliments ! Ainsi, les protéines globulaires se trouvent aussi bien dans l'oeuf que dans les viandes, les poissons, mais aussi les légumineuses... et tous les tissus vivants, végétaux ou animaux : les êtres vivants utilisent des protéines comme "briques" (par exemple, le collagène) ou comme "ouvriers", qui sont nommés enzymes.


Mais, je le répète, ce sont les protéines qui sont dénaturées, pas les aliments.


jeudi 20 septembre 2018

La nature de la science de la nature


Je propose de discuter ici des expressions comme "science des matériaux" ou "science des aliments" ou "science des procédés", "sciences de l'ingénieur", "sciences pour l'ingénieur"...

Pour les matériaux, oui, un scientifique peut légitimement, agissant en scientifique (des sciences de la nature), s'intéresser à leurs structures ou à leurs propriétés. Aucune difficulté à faire comme les scientifiques du passé, à savoir identifier des structures que l'on ne connaissait pas, tels des réseaux à mailles incommensurables, ou encore des couches monoatomiques d'atomes de carbone, qui ont de surcroît des propriétés de supraconduction à la température ambiante, etc. Mais ce sont moins les matériaux qui nous intéressent que les caractéristiques générales du monde, à savoir l'incommensurabilité de mailles cristallines, ou bien le comportement d'électrons ou de phonons dans de telles conditions, ou encore la supraconduction dans des couches monoatomiques éventuellement confinée, par exemple.
Cela étant, le champ des matériaux n'est alors qu'un prétexte, un substrat à partir duquel un bon scientifique cherche nouveaux objets, de nouvelles particularités du monde, de nouveaux phénomènes, de nouveaux mécanismes. Il y a une question d'ambition, d'intention. Il ne s'agit pas de caractériser pour caractériser, ce qui serait un travail technique ;  ni d'explorer pour améliorer, ce qui serait un travail à finalité technique, donc un travail technologique. Non, la question est de "lever un coin du grand voile". C'est l'ambition, la motivation, la finalité, l'intention, l'objectif ! 

Pour les aliments, il en va de même,  car on n'oublie pas que les aliments ne sont que des systèmes physico-chimiques (ou des "matériaux") ayant la caractéristique de pouvoir être mangés. Et il est vrai que l'analyse des "aliments" est à l'origine de nombreuses découvertes : les pectines, les anthocyanes, les sucres... Autant de caractéristiques du monde, autant d'objets dont l'exploration nous conduisent à "lever un coin du grand voile".
Ce qui me conduit, par exemple, à analyser le cas des "antioxydants", dont les descriptions encombrent les revues de "science et technologie des aliments" depuis plusieurs années. Mois après mois, donc, des collègues fractionnent des aliments pour isoler des fractions qui passent des tests avec lesquels on révèle la capacité antioxydante. Fort bien, mais, en réalité, si on parle simplement de cette antioxydation, l'avancée scientifique est faible, et il s'agit le plus souvent de technologie ou de technique : les auteurs des travaux sont moins intéressés par les mécanismes généraux de l'"antioxydation" (en supposant que cette propriété ait un intérêt autre que technologique) que par la "protection" des graisses contre le rancissement, ou la "protection" des cellules contre le vieillissement.
J'insiste : cela est de la technologie. Là où il y aurait de la science, c'est si on parvenait,  par l'analyse de composés antioxydants variés, à identifier les raisons de l'autooxydation, du point de vue moléculaire.

Enfin il y a la question des procédés qui est beaucoup plus épineuse, parce que l'étude des procédés semble conduire directement de la technologie, alors que je crois qu'il y a de la (belle) science à faire.
Un examen attentif de l'histoire des sciences montre que le champ technique est depuis longtemps le support de questions scientifiques. On pourrait parler de la lunette de Galilée, de la mécanique des matériaux par le même Galilée, du microscope de Loewenhoek, de la microbiologie de Louis Pasteur (née de l'étude du vinaigre, du ver à soie, etc.), et la chimie n'est pas en reste, puisqu'elle s'est préoccupée initialement de médicaments, de teinture, d'aliments... et qu'on allait jusqu'à nommer "arts chimiques" les applications de la science nommée "chimie", afin de bien distinguer les deux activités. 
Par exemple, Darcet et Lavoisier ont étudié le bouillon de viande, ou encore Caventou et Pelletier ont exploré les pigments des végétaux verts que l'on cuit...
Certes, dans les temps récents, la théorie de la relativité où le boson de Higgs ne doivent rien à cette quête-là... mais la relation entre science et technologie n'est pas très distendue, au point même que des épistémologues parlent -je crois vraiment que c'est une erreur- de "technosciences".
Mais passons sur ce terme, dont il n'est pas assuré qu'il recouvre une réalité : de même, on peut dire "carré rond" ou "père Noël"... mais cela ne suffit pas pour faire exister des carrés rond ou le père Noël. Tout récemment, on m'en a servi une autre définition : le fait que la science soit payée par l'Etat en ferait une activité qui ne serait plus de la science, mais de la technoscience ; bizarre acception, et bizarre mot dire cela.
Répétons donc plutôt : il y a ceux qui cherchent une compréhension du monde, qui veulent "lever un coin du grand voile", et ceux qui  cherchent des applications techniques. Science dans le premier cas, technologie dans le second.
Considérons par exemple la friture, qui est bien une technique, culinaire en l'occurrence. Lors de la friture, il y a des phénomènes variés, par exemple la libération de bulles de vapeur par les tissus frits. Pourquoi cette éjection de vapeur ? Dans un tel cas, on est vite conduit à identifier que l'eau s'évapore, et que, la vapeur occupant un espace bien supérieur au liquide initialement présent, elle s'échappe par les parties les plus fragiles du tissu végétal. Là, on n'a pas fait de grande découverte ; en réalité on n'a rien découvert du tout, puisque cela se déduit immédiatement des principes déjà établis par la science. Mais on peut espérer, que, lors de l'analyse d'autres phénomènes qui ont encore lieu lors de la friture, on puisse arriver à des idées qu'on n'avait pas, et c'est là un espoir véritablement scientifique.
Dans un tel mouvement, le procédé n'est qu'une base lointaine, sans beaucoup d'intérêt à part celui de procurer un champ de phénomène à partir desquels on a l'espoir identifier des particularités de nouvelles du monde, et leurs mécanismes.


Ici, il me paraît important d'insister rapidement sur ces deux mots qui reviennent : "particularité" et "mécanisme". On aurait pu ajouter "phénomène", et l'on aurait retrouvé le cadre des avancées scientifiques du passé. #
Par exemple,  Faraday identifia un composé nouveau, qu'il nomma benzène,  dans les résidus de distillation de la houille. Ou encore, Balard identifia un élément chimique nouveau qu'il nomma brome dans les eaux de Spa, alors d'ailleurs que Justus von Liebig (si condescendant envers Balard, sans doute par jalousie) avait échoué à voir cet élément. Récemment, Andre Geim et ses collègues ont découvert que le matériau adhérent à du scotch que l'on tire à partir de charbon est fait d'une structure moléculaire nouvelle qu'ils ont nommé graphène, et qui la propriété d'être monomoléculaire, et, de surcroît, supraconductrice à température ambiante. Voilà pour les caractéristiques du monde. Pour les mécanismes, l'explication de l'osmose par des mouvements moléculaires une belle avancée. Et pour des phénomènes, on pourrait considérer l'oscillation des neutrinos, c'est-à-dire leur interconversion entre les différentes sortes.

Lever un coin du grand voile...

samedi 16 décembre 2017

Ce fameux sucre ajouté

Cela fait trois chaînes de télévision de suite qui veulent venir dans mon laboratoire pour que, analyse à l'appui, je leur "démontre" que les industriels ajoutent du sucre dans leurs  produits. 




Les premières questions sont les suivantes : les industriels ajoutent-ils du sucre dans leurs produits ? Quelques industriels ? Tous les industriels ? Et puis, qu'est-ce qu'un "industriel" ?  Du sucre : dans quelques produits ? dans tous les produits ?

Puis vient la question suivante : en quoi l'ajout de sucre est-il un sujet qu'il faille discuter ?

Enfin la question importante : que des journalistes veuillent que je démontre qu'il y a du sucre ajouté dans les produits alimentaires de l'industrie, est-ce du bon journalisme ?



Je propose d'analyser tout cela calmement.

Les industriels ajoutent-ils du sucre dans leurs produits ? 
Là, c'est certainement non, car les industriels qui fabriquent du sel n'ajoutent pas de sucre dans le sel. Idem pour les industriels qui fabriquent de l'huile, par exemple.
Donc ce serait idiot de vouloir "démontrer" que les industriels ajoutent du sucre dans tous leurs produits. Et ce serait une grave faute professionnelle, pour des journalistes, de vouloir le démontrer. 


Quelques industriels ajoutent du sucre dans leurs produits ? 
Là, c'est absolument certain ! Pour faire des pâtisseries, le sucre s'impose, n'est-ce pas ? Et si ce n'est pas du sucre, c'est du miel, par exemple, ce qui revient au même.
Oui, cela revient au même, mais il faut expliquer ce qu'est le sucre, et ce que sont les sucre.
D'abord, le sucre le plus simple est le glucose. Nous en avons dans le sang, et il sert de carburant à nos cellules. Il nous en faut pour vivre, au point que des concentrations faibles dans le sang déclenchent la faim.
Ce sucre est un cousin du fructose, que l'on trouve dans les fruits, comme son nom l'indique, mais aussi dans les légumes, dans le miel...  et qui est aussi libéré, dans notre système digestif quand nous mangeons du sucre de table, ou saccharose.
Ce dernier est présent dans les légumes, dans les fruits, et donc pas seulement dans les cannes à sucre ou dans les betteraves. Quand il est divisé en deux parties dans le système digestif, la première moitié est le fructose, et la seconde moitié est le glucose.
Ajoutons que d'autre sucres sont dits "complexes", mais on devrait les nommer des "polysaccharides", tels la pectine qui fait prendre (naturellement ou artificiellement) les confitures, la cellulose (les "fibres" des aliments), l'amidon (de la farine, par exemple)...
Conclusion : ce serait idiot, de la part des journalistes, que de vouloir me faire montrer aux téléspectateurs que des industriels ajoutent du sucre dans leurs produits. 


Des industriels ajouteraient du sucre dans quelques produits ? 
Et pourquoi pas, au fond, car je sais que les cuisiniers professionnels ont l'habitude de mettre du sucre dans les sauces, par exemple. Pourquoi les cuisiniers professionnels qui travaillent dans l'industrie ne feraient-ils pas de même ? Il ne s'agit donc pas là d'une question d'un complot du grand capital qui voudrait nous rendre addictif (ça on a compris, depuis le début de ce billet, que c'est cela qu'il y a derrière la demande initiale), mais simplement une question de cuisine.
D'ailleurs, j'ajoute que les livres de cuisine traditionnels, tel celui de Madame Saint-Ange, préconisent d'ajouter du sucre dans les recettes de carottes à la Vichyssoise, par exemple, et je connais nombre de chefs qui, à la place, mettent du miel, par exemple.
J'ajoute aussi que quand on cuit longuement de la farine, la chaleur décompose l'amidon... et fait libérer du glucose. D'où ma proposition : ayons rapidement un pot de glucose près du fourneau !


Mais en quoi l'ajout de sucre est-il un sujet qu'il faille discuter ? 
Je sais bien que, par ces temps de plomb où règne l'orthorexie (la peur de manger), tout devient sujet à discussion minable. Et puis le sucre ferait des carie. Et puis il faut protéger les minorités, dont celles qui souffrent du diabète. Et puis l'industrie du sucre serait une hydre tentaculaire (le grand capital) qui voudrait notre addiction ; elle serait certainement en cheville avec les fabricants de pizza ou des plats tout préparés pour nous faire manger du sucre (le complot, vous dis-je). Et puis il y a ce sucre dans les boissons qu'on veut nous faire acheter et qui nous rendent obèses (au fait, qui prend la décision, finalement ?). Bref, la faute est aux "industriels", et le "bon public" serait bien à plaindre...
Sans compter que quelques personnes surfent sur cette vague complotiste, vendant des livres de recettes "sans sucre ajouté", des régimes "sans sucre".  Et elles font leur promotion à la télévision. Quand ce sont des journalistes qui font cela, n'y a-t-il pas collusion ?


Que des journalistes veuillent que je démontre qu'il y a du sucre ajouté dans les produits alimentaires de l'industrie, est-ce du bon journalisme ? 
Cette fois, je fais naïvement état d'une vision du journaliste qui croit en l'honnêteté, la volonter d'informer justement, de faire de l'investigation propre. Arriver jusqu'à moi en ayant décidé que je montrerais qu'il y a des sucres ajoutés partout, c'est idiot et malhonnête. Mais ne plus vouloir venir (cela s'est produit la semaine dernière) parce que je n'étais pas prêt à vouloir dire et démontrer ce qui avait été décidé par la rédaction en chef, c'est encore pire.

J'ajoute que les deux dernières sollicitations, à ce propos des sucres ajoutés, les journalistes qui m'ont contacté appartenaient à des chaînes publiques. Est-ce cela, le "service public" ? Est-ce là un vrai service rendu au public ?
Je ne crois pas !

Mais il faut terminer sur une note positive. J'en propose plusieurs :
1. si vous voulez vous amuser un peu, allez en ligne voir cet épisode du Président, où Jean Gabin fait un discours politique au Conseil... mais ne manquez surtout pas la chute, avec les deux journalistes dans les coulisses
2. Tout cela m'a donné l'occasion d'expliquer ce que sont des sucres.
3. J'espère avoir été clair à propos de la question des "sucres ajoutés". 

dimanche 13 avril 2014

Faut-il perdre son temps avec les imbéciles ? Oui, si nous en profitons pour affûter nos arguments contre nous-mêmes.



Dans un précédent billet, j'ai dénoncé les ignorants qui ajoutent à la cacophonie du monde, mais il est inutile de se lamenter à propos de leur existence : c'est un fait qu'il y a de tels ignorants, c'est un fait qu'ils ajoutent à la cacophonie du monde, et rien ne pourra empêcher que ces faits soient des faits, depuis que le monde est monde.


D'ailleurs, j'avais essayé de rendre mon billet précédent aussi positif que possible, car il est inutile de faire rayonner de l'énervement, et il vaut mieux distribuer du bonheur autour de soi, n'est-ce pas  ?

Certes, mon « exposition » trop longue au discours d'un imbécile a duré bien trop longtemps pour être admissible (au moins deux heures), mais, passés les premiers énervements, j'ai vite fermé les écoutilles, et je me suis lancé dans l'analyse du discours de cet homme lancinant et faux.



« Nos aliments sont empoisonnés » disait notamment l'imbécile.

Ici, je me préparais à expliquer que jamais ils n'ont été aussi sains, que l'espérance de vie augmente, sauf quand, comme aux Etats-Unis, on mange trop, et mal, de sorte que l'on devient obèse...

Mais à quoi bon, puisque ceux qui refusent d'entendre cet argument, les seuls à qui l'on voudrait l'adresser, ne l'entendront pas ?



J'ai dans ma bibliographie ce remarquable article de Bruce Ames, l'un des meilleurs toxicologues mondiaux, qui montre que 99,99 % des pesticides de notre alimentation sont d'origine naturelle, et que ces pesticides ne sont pas ciblés contre les insectes -on dit « sélectif »-, et je me réjouis de partager l'information avec les amis qui lisent ce blog. 

J'insiste un peu : notre homme, et son groupe de recherche, ont fait cet immense travail qui consiste à doser les pesticides de notre alimentation, et de voir ceux qui proviennent de l'industrie phytopharmaceutique, ou ceux qui sont naturellement produits par les végétaux (par exemple, un pomme qui est piquée par un insecte se défend en produisant des pesticides naturels).  D'autre part, la sélectivité est le fait de protéger seulement contre les insectes, ou bien d'attaquer indistinctement les insectes et les êtres humains. Evidemment, on préfère des insecticides contre les insectes et pas toxique pour l'être humain... mais la pomme, elle, quand elle fait sont pesticide naturel, se moque de cibler l'insecte  seulement. 

Je signale un numéro spécial,  à  paraître dans quelques jours, de la revue Science & Pseudo-Sciences, mais, en attendant, voici l'article évoqué : 





Je traduis seulement la dernière phrase du résumé pour ceux qui ne comprennent pas l'anglais : « nous concluons aussi que, aux faibles doses de la plupart des expositions humaines, les risques comparés des résidus de pesticides de synthèse sont insignifiants ».


Mais je vois aussi que, dans mon énervement, je me suis laissé aller à discuter la question des pesticides. Pourquoi les pesticides ? Parce que c'était un des arguments (faut-il vraiment « argument » cette sorte de « vomi » ?) avancés par mon imbécile, qui ignorait jusqu'à la différence entre composé et molécule ?



Allons, il est bien inutile d'en dire plus, car nous perdrions notre temps, lequel doit être précieusement réservé à de l'enthousiasme, de l'optimisme, de l'émerveillement. Oublions notre homme (est-on vraiment homme quand on est si ignorant ? Ou enfant, seulement?). Il aura eu un mérite : celui de m'avoir fait partager avec vous ce merveilleux articles, de ce merveilleux Bruce Ames.

dimanche 18 mars 2012

Défenseur ? Non, elle n'est pas attaquée...

Je fais feu de tout bois. Cet après midi, m'arrive une autre belle question, que voici :

J'aimerais vous poser une question au sujet de la cuisine note à note, dont vous êtes devenu un fervent défenseur pour l'après cuisine moléculaire.
Pourquoi pensez-vous qu'elle pourrait être la cuisine de demain? Quels sont ses avantages?
Connaissez-vous des chefs qui appliquent déjà cette cuisine?
Et voici ma réponse : il est donc question de "cuisine note à note". Très bien. 
En suis je un ardent défenseur ? Ardent, oui. Défenseur, non, parce qu'elle n'est pas attaquée. J'espère être un ardent propagateur, pour l'instant, et c'est de toute façon une très mauvaise stratégie que la défense ! Les cavaliers sont plus intelligents : agir, céder, résister, et l'on recommence, avec beaucoup d'énergie (donnée les jambes). 

D'autre part, mon ami Pierre Gagnaire m'a fait observer que la transition technique qu'est la cuisine moléculaire n'était pas terminée, et que je ne devais pas passer trop vite à la suite. Il a sans doute raison : il faut continuer à proposer la modernisation de la cuisine classique, tout en développant progressivement la cuisine note à note. 

Pourquoi la cuisine note à note sera-t-elle la cuisine de demain ? Parce qu'il y aura bientôt neuf milliards d'êtres humains sur la Terre, et qu'il faudra les nourrir. Dans les podcasts du Cours 2012 de gastronomie moléculaire, on voit bien, sur les courbes présentées par mon collègue Pierre Combris, remarquable économiste, que le modèle classique sera intenable pour tous les êtres humains. 
D'autre part, la crise de l'énergie qui commence (le litre d'essence à deux euros fait aujourd'hui une bonne partie des débats électoraux et des manchettes de journaux : 
Or transporter des fruits, des légumes, des viandes... quand ces ingrédients culinaires sont principalement faits d'eau, et que cette eau les rend propres à la détérioration, n'est-ce pas un handicap terrible ? Et puis, réduire un bouillon pour faire un fond, en chauffant, en gaspillant l'énergie alors que des méthodes modernes de filtration sont bien plus économiques ? 

Enfin, il y a la question de la praticité et de la nouveauté artistique ! La tendance vers la cuisine note à note est là depuis longtemps : quand on utilise du sucre plutôt que du miel, quand on utilise de la gélatine en feuilles ou en poudre plutôt que du pied de veau, quand on utilise du sel plutôt que de l'eau salée, quand on utilise des colorants (le vert d'épinard, qui, rappelons-le, date du Moyen Âge) pour colorer, quand on utilise de l'eau de fleur d'oranger ou de l'aromatisant amande... 
La cuisine note à note se présente ainsi comme une évolution évidente, en quelque sorte.

Des chefs qui pratiquent cette cuisine ? J'ai publié ici des travaux de chefs qui ont fait cette cuisine. J'espère qu'il y en aura de plus en plus.