Affichage des articles dont le libellé est complot. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est complot. Afficher tous les articles

samedi 16 décembre 2017

Ce fameux sucre ajouté

Cela fait trois chaînes de télévision de suite qui veulent venir dans mon laboratoire pour que, analyse à l'appui, je leur "démontre" que les industriels ajoutent du sucre dans leurs  produits. 




Les premières questions sont les suivantes : les industriels ajoutent-ils du sucre dans leurs produits ? Quelques industriels ? Tous les industriels ? Et puis, qu'est-ce qu'un "industriel" ?  Du sucre : dans quelques produits ? dans tous les produits ?

Puis vient la question suivante : en quoi l'ajout de sucre est-il un sujet qu'il faille discuter ?

Enfin la question importante : que des journalistes veuillent que je démontre qu'il y a du sucre ajouté dans les produits alimentaires de l'industrie, est-ce du bon journalisme ?



Je propose d'analyser tout cela calmement.

Les industriels ajoutent-ils du sucre dans leurs produits ? 
Là, c'est certainement non, car les industriels qui fabriquent du sel n'ajoutent pas de sucre dans le sel. Idem pour les industriels qui fabriquent de l'huile, par exemple.
Donc ce serait idiot de vouloir "démontrer" que les industriels ajoutent du sucre dans tous leurs produits. Et ce serait une grave faute professionnelle, pour des journalistes, de vouloir le démontrer. 


Quelques industriels ajoutent du sucre dans leurs produits ? 
Là, c'est absolument certain ! Pour faire des pâtisseries, le sucre s'impose, n'est-ce pas ? Et si ce n'est pas du sucre, c'est du miel, par exemple, ce qui revient au même.
Oui, cela revient au même, mais il faut expliquer ce qu'est le sucre, et ce que sont les sucre.
D'abord, le sucre le plus simple est le glucose. Nous en avons dans le sang, et il sert de carburant à nos cellules. Il nous en faut pour vivre, au point que des concentrations faibles dans le sang déclenchent la faim.
Ce sucre est un cousin du fructose, que l'on trouve dans les fruits, comme son nom l'indique, mais aussi dans les légumes, dans le miel...  et qui est aussi libéré, dans notre système digestif quand nous mangeons du sucre de table, ou saccharose.
Ce dernier est présent dans les légumes, dans les fruits, et donc pas seulement dans les cannes à sucre ou dans les betteraves. Quand il est divisé en deux parties dans le système digestif, la première moitié est le fructose, et la seconde moitié est le glucose.
Ajoutons que d'autre sucres sont dits "complexes", mais on devrait les nommer des "polysaccharides", tels la pectine qui fait prendre (naturellement ou artificiellement) les confitures, la cellulose (les "fibres" des aliments), l'amidon (de la farine, par exemple)...
Conclusion : ce serait idiot, de la part des journalistes, que de vouloir me faire montrer aux téléspectateurs que des industriels ajoutent du sucre dans leurs produits. 


Des industriels ajouteraient du sucre dans quelques produits ? 
Et pourquoi pas, au fond, car je sais que les cuisiniers professionnels ont l'habitude de mettre du sucre dans les sauces, par exemple. Pourquoi les cuisiniers professionnels qui travaillent dans l'industrie ne feraient-ils pas de même ? Il ne s'agit donc pas là d'une question d'un complot du grand capital qui voudrait nous rendre addictif (ça on a compris, depuis le début de ce billet, que c'est cela qu'il y a derrière la demande initiale), mais simplement une question de cuisine.
D'ailleurs, j'ajoute que les livres de cuisine traditionnels, tel celui de Madame Saint-Ange, préconisent d'ajouter du sucre dans les recettes de carottes à la Vichyssoise, par exemple, et je connais nombre de chefs qui, à la place, mettent du miel, par exemple.
J'ajoute aussi que quand on cuit longuement de la farine, la chaleur décompose l'amidon... et fait libérer du glucose. D'où ma proposition : ayons rapidement un pot de glucose près du fourneau !


Mais en quoi l'ajout de sucre est-il un sujet qu'il faille discuter ? 
Je sais bien que, par ces temps de plomb où règne l'orthorexie (la peur de manger), tout devient sujet à discussion minable. Et puis le sucre ferait des carie. Et puis il faut protéger les minorités, dont celles qui souffrent du diabète. Et puis l'industrie du sucre serait une hydre tentaculaire (le grand capital) qui voudrait notre addiction ; elle serait certainement en cheville avec les fabricants de pizza ou des plats tout préparés pour nous faire manger du sucre (le complot, vous dis-je). Et puis il y a ce sucre dans les boissons qu'on veut nous faire acheter et qui nous rendent obèses (au fait, qui prend la décision, finalement ?). Bref, la faute est aux "industriels", et le "bon public" serait bien à plaindre...
Sans compter que quelques personnes surfent sur cette vague complotiste, vendant des livres de recettes "sans sucre ajouté", des régimes "sans sucre".  Et elles font leur promotion à la télévision. Quand ce sont des journalistes qui font cela, n'y a-t-il pas collusion ?


Que des journalistes veuillent que je démontre qu'il y a du sucre ajouté dans les produits alimentaires de l'industrie, est-ce du bon journalisme ? 
Cette fois, je fais naïvement état d'une vision du journaliste qui croit en l'honnêteté, la volonter d'informer justement, de faire de l'investigation propre. Arriver jusqu'à moi en ayant décidé que je montrerais qu'il y a des sucres ajoutés partout, c'est idiot et malhonnête. Mais ne plus vouloir venir (cela s'est produit la semaine dernière) parce que je n'étais pas prêt à vouloir dire et démontrer ce qui avait été décidé par la rédaction en chef, c'est encore pire.

J'ajoute que les deux dernières sollicitations, à ce propos des sucres ajoutés, les journalistes qui m'ont contacté appartenaient à des chaînes publiques. Est-ce cela, le "service public" ? Est-ce là un vrai service rendu au public ?
Je ne crois pas !

Mais il faut terminer sur une note positive. J'en propose plusieurs :
1. si vous voulez vous amuser un peu, allez en ligne voir cet épisode du Président, où Jean Gabin fait un discours politique au Conseil... mais ne manquez surtout pas la chute, avec les deux journalistes dans les coulisses
2. Tout cela m'a donné l'occasion d'expliquer ce que sont des sucres.
3. J'espère avoir été clair à propos de la question des "sucres ajoutés". 

dimanche 20 décembre 2015

Le même que celui du 19 décembre, mais en plus charitable

On m'envoie un article où je lis :

La liste des additifs autorisés, nomenclaturés avec la lettre E suivis de quelques chiffres, vous pose problème, car vous ne les connaissez pas ? Aucun souci ! J’ai depuis bien longtemps banni de mon alimentation tout aliment contenant le moindre additif "E". 

Bien sûr, c'est la solution ! Chaque fois qu'on ne connais pas quelque chose, cela nous "pose problème". Et quand "cela nous pose problème", on élimine l'usage !
Tiens "pose problème" ? Je croyais qu'en français, on mettait des articles devant les noms ? Soit la mode a changé, soit notre interlocuteur a un usage limité du français. Pardon, je devrais peut-être écrire : soit mode a changé, soit interlocuteur a usage limité français.

Cela dit, la solution qui consiste à supprimer de notre existence tout ce que nous ne comprenons pas est merveilleuse, séduisante non ? Regardons-y de plus prêt.

Nous ne comprenons pas le fonctionnement de l'ordinateur que nous n'utilisons ? Revenons sans tarder à la Gentille Plume d'oie et à la Gentille Encre artisanale ou domestique.
Mais, au fait, d'où vient cette plume ? Il nous faudra aller à la Gentille Ferme voisine (ou faire notre élevage nous-même) pour en trouver sur une l'oie, un canard, sans quoi, on ne sait jamais : le Grand Complot pourrait nous refiler des "fausses plumes" !
Et l'encre ? N'utilisons certainement pas de la Vilaine Encre du "commerce", parce qu'on ne sais jamais : "ils" ont sans doute trafiqué notre produit. Oui, faisons  bouillir des clous rouillés avec de l'écorce d'arbre, puis filtrons, et stabilisons le produit avec de la gomme, exsudation d'arbre.
Bon, d'accord, écrire devient plus compliqué, mais combien "plus en accord avec nous-même" ! Et puis, nous sommes rassurés de tout "bien connaître".

Au fait, bien connaître : comment les oies, les canards, ont-ils ces plumes ? Je l'ignore : cela "pose problème". Pourquoi l'eau où l'on cuit écorce et rouille devient-elle noire ? Aïe : cela "pose problème". Et pourquoi certains arbres font-ils cette gomme ? Cela "pose problème". Et pourquoi la gomme stabilise-t-elle l'encre ?
 J'ai une idée : puisque je ne le sais pas, je ne vais pas utiliser la gomme, et secouer l'encre avant chaque utilisation. Après tout, tant qu'à nous compliquer la vie, ne reculons pas devant de petits sacrifices...

Je veux consommer des ingrédients que je connais et réfléchir en toute connaissance de cause.

Je veux  consommer des ingrédients que je connais ?
Revenons à la question de l'alimentation, puisque c'est cela dont il s'agit. Pour 80 pour cent des Français, qui vivent en ville, les légumes viennent des maraîchers. Selon la Théorie du Grand Complot, ce sont certainement de gros industriels malhonnêtes, qui font leur beurre sur notre dos. Allons chercher les légumes  à la ferme. Pas le temps ? Alors créons des associations, avec nos cotisation qui payeront du  personnel pour nous procurer des fruits et légumes dont nous connaissons l'origine. Non, la solution est mauvaise : si nous payons du personnel, le personnel sera exploité. Alors il y a le système des AMAP, pour lequel des Gentils Producteurs nous donneront nos produits. Mais, au fait, quelle différence avec un marché ? Sur le marché, ne s'agit-il pas de Gentils Producteurs qui viennent vendre leurs  produits ? Ah non ! Il y a les "Affreux Intermédiaires", ceux qui font du beurre sur notre dos et sur celui des Gentils Producteurs.

Bon, nous avons donc supprimé les Affreux Intermédiaires, et nous savons qui produit ce que nous mangeons. Mais, au fait, comment cela est-il produit ? Allons,  chacun sait qu'on met une graine dans la terre et que ça pousse tout seul. Arroser ? Ce n'est pas de la chimie. Des engrais ? Le fumier. Mais les semences ?
Là, deux  possibilités : selon la théorie proposée initialement, de la même façon que l'on refuse d'aller comprendre ce qu'est un additif, pourquoi faire l'effort de comprendre ce que sont les méthodes de cultures  et les semences ? Il y a la solution de virer semences et méthodes de culture. Ou bien de rester aux graines que le légume fait lui-même, et ne pas utiliser des Vilaines Semences du Commerce : le Grand Complot veut certainement faire du blé sur notre dos !
Donc nous n'irons nous fournir que chez les Gentils Maraîchers qui n'achèteront pas les semences de Méchants Semenciers industriels. Oui, "industriels" : le mot arrive. Ce qui est Très Mauvais, c'est l'industrie ! Nous ne traiterons qu'avec des Gentils Artisans.
La voilà, la solution qui nous était proposée !
Pour les viandes ? Avec notre système précédent, nous ne prendrons de la viande que si elle vient d'un Gentil Eleveur "artisanal". Tiens, au fait, combien de bêtes un tel homme peut-il élever au maximum ? Seul ? Nous avons dit un artisan, soit quelqu'un qui n'exploite pas autrui. Limitons donc l'exploitation à un homme et sa famille. Personne en plus, sans quoi nous verserions dans la Méchante Industrie. Oui, parce que, si nous employons quelqu'un, c'est le début de la fin : un employé, deux, trois, dix, cent... D'ailleurs, au Canada, ne disent-ils pas que les chefs sont l'industrie ? Ce qui est juste : je connais des cuisiniers qui ont plusieurs restaurants et qui, de ce fait, employent beaucoup de monde ! L'Abominable Industrie. De sorte que nous arrivons à une conclusion supplémentaire, en chemin : nous n'irons plus que chez les Cuisiniers Artisans, ceux qui font tout eux-mêmes : la cuisine, le service et la vaisselle. Les autres ? D'Affreux Cuisiniers Industriels !

Un doute m'étreint : d'accord, le Gentil Eleveur aura élevé seul ses bêtes, mais qui les abattra ? Ouf, je viens de comprendre que ce sera un Gentil Boucher Artisan, comme dans le Bon Ancien Temps. Qui aura acheté des couteaux à un Gentil Artisan coutelier, lequel aura fait les couteaux un à un, des ses Propres Mains. Le métal ? Il l'aura acheté à un Gentil Métallurgiste, artisan qui aura acheté le charbon de bois à un Gentil Charbonnier, et le minerai à un Gentil Mineur. Le Gentil Mineur ne peut pas extraire seul le minerai ? Il aura fait une association, une Gentille Coopérative !

Un artisan respectueux des matières premières utilisera des produits et un vocabulaire que vous comprenez tels que farine, sucre, beurre, légumes, sel… et non E 330, E 420 ou E 621.

Un "artisan respectueux  des matières premières" ? Ah, oui : il y a les Gentils Artisans, mais ceux-ci ne sont pas tous gentils ! Il faut qu'ils soient "respectueux des matières premières" et qu'ils utilisent produits et vocaculaires compréhensibles.
Respectueux des matières premières, quand même c'est compliqué, non ? Je dois pas avoir le Bon Etat d'Esprit, parce que j'ai vraiment du mal à comprendre ce que signifie respecter des matières premières.
Allons, un effort : pensons à de la cuisine. Et, plus précisément, pensons à la recette de poulet rôti avec des pommes de terre qui sera sur la table à midi. J'ai donc un poulet qui vient d'un Gentil Eleveur, puis d'un Gentil Boucher. Comment le cuire en le respectant ? Je vois bien que je peux le manipuler avec une grande douceur... mais il est mort. Alors le cuire sans le chauffer trop ? La peau ne sera pas croustillante ! Une idée : chercher dans le dictionnaire ce que "respecter" signifie. Le Gentil Trésor de la langue française informatisé nous dit "action de prendre en considération". Bon, si je prends la cuisson en considération, je respecte. Autrement dit, il faut que je réfléchisse... D'ailleurs, l'article que l'on m'avait signalé disait bien "réfléchir en connaissance de cause".
Mais, au fait, pourquoi ne pas "prendre en considération" les additifs ? Ah, non, quand même  pas les additifs, puisque c'est une Méchante Invention.
Alors que farine, sucre, beurre, légumes, sel... Au fait, sais-je bien ce dont il s'agit ? Farine ? Je l'aurai achetée à un Gentil Meunier, un artisan, lequel se sera fourni à un Gentil Agriculteur, qui aura travaillé seul. Comment ? Là, les calculs les plus simples montrent que, sans mécanisation, un homme ne peut faire vivre que quatre personnes, à condition de ne faire que travailler. Pas de vacances pour notre Gentil Agriculteur ? Bon, d'accord, laissons-le Laissons avoir un tracteur. Un tracteur qui viendra d'où  ? D'un Gentil Artisan fabriquant de tracteurs ?

Vite, vite, passons au  sucre, puisque je ne sais pas répondre à la question : après tout, n'avions-nous pas comme conseil de supprimer de notre vie tout ce qui nous "pose problème" ?
Donc le sucre : ne l'achetons qu'à un Gentil Artisan, qui aura  lui-même lavé les betteraves d'un Gentil Agriculteur, qui aura lui-même broyé ses betteraves, aura ajouté de l'eau, de la chaux... De la chaux ? Oui, il se sera procuré la chaux d'un Gentil Artisan. Comment ce dernier aura-t-il  chauffé son four à chaux ? Pas d'électricité, parce que, là, on risque gros. Pas de nucléaire, bien sûr. Pas de centrale à charbon. Pas de pétrole. De l'éolien et du  solaire ? Pas des panneaux solaires, puisqu'ils sont fabriqués par de Méchants Industriels, et pas de ces grosses éoliennes industrielles modernes. Des moulins, de Gentils Moulins !
Passons au beurre. Facile : cela vient d'un Gentil Eleveur, ou d'un Gentil Crémier. Le sel ? Un Gentil Saunier. Il sera venu au marché, avec son sel, et nous saurons d'où vient le sel. Au fait, il aura fait six cent kilomètres pour venir du bord de mer ? Ben... oui. Et qui extraira le sel, pendant ce temps ? Allons, on sait bien que le vent et le soleil évaporent l'eau sans intervention humaine.

Et c'est ainsi que nous avons des  légumes, des viandes, de la farine, de l'huile, du sucre, du sel. Avons-nous vraiment besoin  d'additifs ?
Faisons l'essai d'une crème au caramel, pour le savoir. Il suffit d'avoir des oeufs, du sucre, du lait, de la vanille. Tout va bien... jusqu'au caramel : c'est un additif de code E150 ! Oui, mais c'est un Méchant Additif si nous l'achetons, mais si nous le faisons nous-même, cela devient un Gentil Caramel. A la limite, d'ailleurs, pourquoi ne pas l'acheter à un Gentil Artisan fabriquant de Gentil Caramel.
Une autre recette : une tarte au  citron meringuée. De la farine, du sucre, de l'eau, du citron, des oeufs, du sel. Le citron ? Il  sera acheté à un Gentil Maraîcher. Le citron n'est pas local ? Il sera donc venu du sud de la France. Le sud de la France ne produit pas assez de citron pour tous les Parisiens ? Tant pis : ceux-ci se passeront de tarte au citron, et ils mangeront des tartes au poires ou aux pommes.
Après tout, si nous mangeons des produits locaux, nous devons aussi manger des produits de saison. Ainsi, plus de Méchants Conservateurs, lesquels font partie de la catégorie des Méchants Additifs !
En hiver, il nous reste donc Gentils carottes, choux, pommes de terre, poireaux... Qu'avons-nous besoin du reste ? Et puis, en nous limitant ainsi, nous faisons disparaître les Méchants Supermarchés.

La proposition initiale était donc Merveilleuse : de la soupe aux choux tous les jours, des tartes aux pommes, et nous ne cherchons pas à savoir d'où viennent les plumes des canards, l'énergie...
Ne nous posons pas de question, et soyons Respectueux. Quelle Vie Merveilleuse s'offre à nous !

Le même que celui du 19 décembre, mais en plus charitable

On m'envoie un article où je lis :

La liste des additifs autorisés, nomenclaturés avec la lettre E suivis de quelques chiffres, vous pose problème, car vous ne les connaissez pas ? Aucun souci ! J’ai depuis bien longtemps banni de mon alimentation tout aliment contenant le moindre additif "E". 

Bien sûr, c'est la solution ! Chaque fois qu'on ne connais pas quelque chose, cela nous "pose problème". Et quand "cela nous pose problème", on élimine l'usage !
Tiens "pose problème" ? Je croyais qu'en français, on mettait des articles devant les noms ? Soit la mode a changé, soit notre interlocuteur a un usage limité du français. Pardon, je devrais peut-être écrire : soit mode a changé, soit interlocuteur a usage limité français.

Cela dit, la solution qui consiste à supprimer de notre existence tout ce que nous ne comprenons pas est merveilleuse, séduisante non ? Regardons-y de plus prêt.

Nous ne comprenons pas le fonctionnement de l'ordinateur que nous n'utilisons ? Revenons sans tarder à la Gentille Plume d'oie et à la Gentille Encre artisanale ou domestique.
Mais, au fait, d'où vient cette plume ? Il nous faudra aller à la Gentille Ferme voisine (ou faire notre élevage nous-même) pour en trouver sur une l'oie, un canard, sans quoi, on ne sait jamais : le Grand Complot pourrait nous refiler des "fausses plumes" !
Et l'encre ? N'utilisons certainement pas de la Vilaine Encre du "commerce", parce qu'on ne sais jamais : "ils" ont sans doute trafiqué notre produit. Oui, faisons  bouillir des clous rouillés avec de l'écorce d'arbre, puis filtrons, et stabilisons le produit avec de la gomme, exsudation d'arbre.
Bon, d'accord, écrire devient plus compliqué, mais combien "plus en accord avec nous-même" ! Et puis, nous sommes rassurés de tout "bien connaître".

Au fait, bien connaître : comment les oies, les canards, ont-ils ces plumes ? Je l'ignore : cela "pose problème". Pourquoi l'eau où l'on cuit écorce et rouille devient-elle noire ? Aïe : cela "pose problème". Et pourquoi certains arbres font-ils cette gomme ? Cela "pose problème". Et pourquoi la gomme stabilise-t-elle l'encre ?
 J'ai une idée : puisque je ne le sais pas, je ne vais pas utiliser la gomme, et secouer l'encre avant chaque utilisation. Après tout, tant qu'à nous compliquer la vie, ne reculons pas devant de petits sacrifices...

Je veux consommer des ingrédients que je connais et réfléchir en toute connaissance de cause.

Je veux  consommer des ingrédients que je connais ?
Revenons à la question de l'alimentation, puisque c'est cela dont il s'agit. Pour 80 pour cent des Français, qui vivent en ville, les légumes viennent des maraîchers. Selon la Théorie du Grand Complot, ce sont certainement de gros industriels malhonnêtes, qui font leur beurre sur notre dos. Allons chercher les légumes  à la ferme. Pas le temps ? Alors créons des associations, avec nos cotisation qui payeront du  personnel pour nous procurer des fruits et légumes dont nous connaissons l'origine. Non, la solution est mauvaise : si nous payons du personnel, le personnel sera exploité. Alors il y a le système des AMAP, pour lequel des Gentils Producteurs nous donneront nos produits. Mais, au fait, quelle différence avec un marché ? Sur le marché, ne s'agit-il pas de Gentils Producteurs qui viennent vendre leurs  produits ? Ah non ! Il y a les "Affreux Intermédiaires", ceux qui font du beurre sur notre dos et sur celui des Gentils Producteurs.

Bon, nous avons donc supprimé les Affreux Intermédiaires, et nous savons qui produit ce que nous mangeons. Mais, au fait, comment cela est-il produit ? Allons,  chacun sait qu'on met une graine dans la terre et que ça pousse tout seul. Arroser ? Ce n'est pas de la chimie. Des engrais ? Le fumier. Mais les semences ?
Là, deux  possibilités : selon la théorie proposée initialement, de la même façon que l'on refuse d'aller comprendre ce qu'est un additif, pourquoi faire l'effort de comprendre ce que sont les méthodes de cultures  et les semences ? Il y a la solution de virer semences et méthodes de culture. Ou bien de rester aux graines que le légume fait lui-même, et ne pas utiliser des Vilaines Semences du Commerce : le Grand Complot veut certainement faire du blé sur notre dos !
Donc nous n'irons nous fournir que chez les Gentils Maraîchers qui n'achèteront pas les semences de Méchants Semenciers industriels. Oui, "industriels" : le mot arrive. Ce qui est Très Mauvais, c'est l'industrie ! Nous ne traiterons qu'avec des Gentils Artisans.
La voilà, la solution qui nous était proposée !
Pour les viandes ? Avec notre système précédent, nous ne prendrons de la viande que si elle vient d'un Gentil Eleveur "artisanal". Tiens, au fait, combien de bêtes un tel homme peut-il élever au maximum ? Seul ? Nous avons dit un artisan, soit quelqu'un qui n'exploite pas autrui. Limitons donc l'exploitation à un homme et sa famille. Personne en plus, sans quoi nous verserions dans la Méchante Industrie. Oui, parce que, si nous employons quelqu'un, c'est le début de la fin : un employé, deux, trois, dix, cent... D'ailleurs, au Canada, ne disent-ils pas que les chefs sont l'industrie ? Ce qui est juste : je connais des cuisiniers qui ont plusieurs restaurants et qui, de ce fait, employent beaucoup de monde ! L'Abominable Industrie. De sorte que nous arrivons à une conclusion supplémentaire, en chemin : nous n'irons plus que chez les Cuisiniers Artisans, ceux qui font tout eux-mêmes : la cuisine, le service et la vaisselle. Les autres ? D'Affreux Cuisiniers Industriels !

Un doute m'étreint : d'accord, le Gentil Eleveur aura élevé seul ses bêtes, mais qui les abattra ? Ouf, je viens de comprendre que ce sera un Gentil Boucher Artisan, comme dans le Bon Ancien Temps. Qui aura acheté des couteaux à un Gentil Artisan coutelier, lequel aura fait les couteaux un à un, des ses Propres Mains. Le métal ? Il l'aura acheté à un Gentil Métallurgiste, artisan qui aura acheté le charbon de bois à un Gentil Charbonnier, et le minerai à un Gentil Mineur. Le Gentil Mineur ne peut pas extraire seul le minerai ? Il aura fait une association, une Gentille Coopérative !

Un artisan respectueux des matières premières utilisera des produits et un vocabulaire que vous comprenez tels que farine, sucre, beurre, légumes, sel… et non E 330, E 420 ou E 621.

Un "artisan respectueux  des matières premières" ? Ah, oui : il y a les Gentils Artisans, mais ceux-ci ne sont pas tous gentils ! Il faut qu'ils soient "respectueux des matières premières" et qu'ils utilisent produits et vocaculaires compréhensibles.
Respectueux des matières premières, quand même c'est compliqué, non ? Je dois pas avoir le Bon Etat d'Esprit, parce que j'ai vraiment du mal à comprendre ce que signifie respecter des matières premières.
Allons, un effort : pensons à de la cuisine. Et, plus précisément, pensons à la recette de poulet rôti avec des pommes de terre qui sera sur la table à midi. J'ai donc un poulet qui vient d'un Gentil Eleveur, puis d'un Gentil Boucher. Comment le cuire en le respectant ? Je vois bien que je peux le manipuler avec une grande douceur... mais il est mort. Alors le cuire sans le chauffer trop ? La peau ne sera pas croustillante ! Une idée : chercher dans le dictionnaire ce que "respecter" signifie. Le Gentil Trésor de la langue française informatisé nous dit "action de prendre en considération". Bon, si je prends la cuisson en considération, je respecte. Autrement dit, il faut que je réfléchisse... D'ailleurs, l'article que l'on m'avait signalé disait bien "réfléchir en connaissance de cause".
Mais, au fait, pourquoi ne pas "prendre en considération" les additifs ? Ah, non, quand même  pas les additifs, puisque c'est une Méchante Invention.
Alors que farine, sucre, beurre, légumes, sel... Au fait, sais-je bien ce dont il s'agit ? Farine ? Je l'aurai achetée à un Gentil Meunier, un artisan, lequel se sera fourni à un Gentil Agriculteur, qui aura travaillé seul. Comment ? Là, les calculs les plus simples montrent que, sans mécanisation, un homme ne peut faire vivre que quatre personnes, à condition de ne faire que travailler. Pas de vacances pour notre Gentil Agriculteur ? Bon, d'accord, laissons-le Laissons avoir un tracteur. Un tracteur qui viendra d'où  ? D'un Gentil Artisan fabriquant de tracteurs ?

Vite, vite, passons au  sucre, puisque je ne sais pas répondre à la question : après tout, n'avions-nous pas comme conseil de supprimer de notre vie tout ce qui nous "pose problème" ?
Donc le sucre : ne l'achetons qu'à un Gentil Artisan, qui aura  lui-même lavé les betteraves d'un Gentil Agriculteur, qui aura lui-même broyé ses betteraves, aura ajouté de l'eau, de la chaux... De la chaux ? Oui, il se sera procuré la chaux d'un Gentil Artisan. Comment ce dernier aura-t-il  chauffé son four à chaux ? Pas d'électricité, parce que, là, on risque gros. Pas de nucléaire, bien sûr. Pas de centrale à charbon. Pas de pétrole. De l'éolien et du  solaire ? Pas des panneaux solaires, puisqu'ils sont fabriqués par de Méchants Industriels, et pas de ces grosses éoliennes industrielles modernes. Des moulins, de Gentils Moulins !
Passons au beurre. Facile : cela vient d'un Gentil Eleveur, ou d'un Gentil Crémier. Le sel ? Un Gentil Saunier. Il sera venu au marché, avec son sel, et nous saurons d'où vient le sel. Au fait, il aura fait six cent kilomètres pour venir du bord de mer ? Ben... oui. Et qui extraira le sel, pendant ce temps ? Allons, on sait bien que le vent et le soleil évaporent l'eau sans intervention humaine.

Et c'est ainsi que nous avons des  légumes, des viandes, de la farine, de l'huile, du sucre, du sel. Avons-nous vraiment besoin  d'additifs ?
Faisons l'essai d'une crème au caramel, pour le savoir. Il suffit d'avoir des oeufs, du sucre, du lait, de la vanille. Tout va bien... jusqu'au caramel : c'est un additif de code E150 ! Oui, mais c'est un Méchant Additif si nous l'achetons, mais si nous le faisons nous-même, cela devient un Gentil Caramel. A la limite, d'ailleurs, pourquoi ne pas l'acheter à un Gentil Artisan fabriquant de Gentil Caramel.
Une autre recette : une tarte au  citron meringuée. De la farine, du sucre, de l'eau, du citron, des oeufs, du sel. Le citron ? Il  sera acheté à un Gentil Maraîcher. Le citron n'est pas local ? Il sera donc venu du sud de la France. Le sud de la France ne produit pas assez de citron pour tous les Parisiens ? Tant pis : ceux-ci se passeront de tarte au citron, et ils mangeront des tartes au poires ou aux pommes.
Après tout, si nous mangeons des produits locaux, nous devons aussi manger des produits de saison. Ainsi, plus de Méchants Conservateurs, lesquels font partie de la catégorie des Méchants Additifs !
En hiver, il nous reste donc Gentils carottes, choux, pommes de terre, poireaux... Qu'avons-nous besoin du reste ? Et puis, en nous limitant ainsi, nous faisons disparaître les Méchants Supermarchés.

La proposition initiale était donc Merveilleuse : de la soupe aux choux tous les jours, des tartes aux pommes, et nous ne cherchons pas à savoir d'où viennent les plumes des canards, l'énergie...
Ne nous posons pas de question, et soyons Respectueux. Quelle Vie Merveilleuse s'offre à nous !