Oui,
décidément oui, la "théorie culinaire" doit être
révisée, quand elle est fautive. Ce matin, j'ai le bonheur de
recevoir un premier message, qui me permet de donner à tous nombre
de commentaires... qui permettront de réfuter une fois de plus cette
classification tout à fait fautive qui parlait de "concentration"
quand il n'y en a pas, et d' "expansion" quand il n'y en a
pas non plus.
Je
pose en préalable que les mots ont un sens défini par le
dictionnaire, et non pas par nos envies individuelles. Et pour ceux
qui ont besoin d'un bon dictionnaire, je recommande absolument
https://www.cnrtl.fr/. J’ajoute que, pour de la transmission (ce
qui prend parfois la forme d’ « enseignements »), cette
question de l’inter-compréhension est évidemment essentielle :
non seulement nous devons parler justement, mais, de surcroît, nous
devons nous assurer que nos interlocuteurs nous comprennent bien,
alors même que leur capacité à comprendre bien les mots n’est
peut-être pas de beaucoup supérieure à la nôtre ( ;-) :
on comprend que, même pour un sujet aussi sérieux que celui que je
traite aujourd’hui, je reste souriant).
Voici
donc, d'abord, le message général, que je vais reprendre ensuite,
ligne à ligne, phrase à phrase, mot à mot :
Vous
avez contribué, il me semble, à remettre en cause la classification
traditionnelle des modes de cuisson : concentration/expansion/mixte.
En effet cette classification ne marche pas pour une cuisine à base
de viande.
Mais
pour la cuisine végétale, celle-ci ne garde-t-elle pas encore toute
sa pertinence
Je
n’ai en tout cas pas encore trouvé d’affirmations qui montre que
cette classification ne marche pas pour le végétal. Mon choix de
garder cette classification pour une cuisine à base d'ingrédients
végétaux se base sur le fait que :
Cuisson
par concentration
o
La cuisson d'un aliment dans un milieu sec (rôtir, sauter,
deshydrater…) concentre les goûts et certains parfums par
évaporation de son eau de constitution.
o
Durant une friture l’aliment aqueux va « se fermer » au contact
de l’huile chaude et il va se colorer.
o
Jeter un aliment dans de l’eau chaude à tendance à le saisir et
à le fermer et à ainsi freiner la sortie de ses composés
chimiques. Bien sûr dans la cadre d’une cuisson rapide.
Cuisson
par expansion
o
La cuisson longue d’un aliment dans un liquide fait sortir ses
composés chimiques dans ce liquide.
o
La cuisson du froid vers le chaud (pocher départ à froid)
favorise la sortie les composés chimiques des aliments.
Et
voici mes commentaires :
Pour
ces commentaires, quelques indications préalables :
- je
ne cherche pas à "dénoncer" quiconque, mais à diffuser
de l'information juste : oui, me rendre un peu utile, aider mes
amis...
-
j'ai des dizaines, voire des centaines de publications scientifiques
pour valider ce que j'avance : mais on comprendra que je ne les
cite pas, que je ne les joins pas ici, sans quoi le texte deviendrait
très indigeste ;
- je
ne touche pas un centime à propos de ces questions, de sorte que je
n'ai aucun "intérêt" à ne pas dire la plus stricte
vérité : pas de conflit d’intérêts, pas d’intérêts…
sauf peut-être les mêmes que ceux des philosophes des Lumières,
car on sait mon admiration pour Denis Diderot ;
- en
revanche, je reste un enfant très en colère contre certains
professeurs qui ne se remettaient pas en question, ou contre ceux qui
transmettent sans vouloir changer leurs pratiques quand elles sont
mauvaises… et très reconnaissants envers les professeurs qui ont
su se remettre en question (l'on voit que j'apprécie d'être
questionné par mon interlocuteur dont je conserve l'anonymat), qui
ont travaillé pour défricher le chemin de connaissance sur lequel
je marchais. Oui, il y a une vraie belle responsabilité des
professeurs !
1.
"Vous avez contribué, il me semble, à remettre en cause la
classification traditionnelle des modes de cuisson :
concentration/expansion/mixte."
Oui,
effectivement, j'ai combattu de toutes mes forces la théorie fautive
des cuissons qui étaient dites « par concentration »,
« par expansion » ou « mixtes », précisément
parce que cette théorie était très fautive et qu’il me semblait
tout à fait déplacé de l'enseigner depuis des décennies. Quelle
honte de l'avoir transmise à des jeunes ! Quelle paresse de l'avoir
acceptée sans esprit critique !
Mais
qu'importe, l'affaire est faite : grâce au soutien de
l'inspection générale de l'Education nationale, grâce au soutien
du ministre, nous avons réussi à changer les référentiels du CAP
du BEP, après un passage par la Commission paritaire. Cela a pris
plusieurs années, mais c'est fait : quel bonheur !
Pour
expliquer la chose à ceux qui ne sont pas au courant, disons d'abord
que l'on parlait (fautivement, donc) de "cuisson par
concentration" pour évoquer les cuissons de type rôtissage au
four. Et certains ajoutaient même que "les jus se réfugiaient
à coeur".
Pourtant,
il n’est pas possible que le jus migrent vers l’intérieur de la
viande, parce qu’il n’y a pas de place pour cela. Une viande,
c'est de l'eau prise dans la structure fibrillée de la viande. Où
les jus (de l'eau, essentiellement) seraient-ils allés ? D’autant
que l’eau est incompressible : la meilleure indication de ce
fait, c’est que les garagistes parviennent à lever des voitures
avec leur vérins hydrauliques, ce que l’on apprend dans les cours
de physique du Collège, à condition de les suivre, bien sûr
D'autres
disaient que les goûts se concentraient... mais ce n'est pas vrai :
dans les rôtissages, les composés odorants ou sapides (et autres)
qui sont formés par des transformations moléculaires (que certains
nomment des « réactions chimiques ») sont à
l'extérieur, cet extérieur brun qui est atteint par la forte
chaleur du four (à l'intérieur des viandes ainsi cuites, la
température est partout inférieure à 100 °C).
Enfin,
pour mettre l’estocade finale à cette théorie fautive, il suffit
de peser une viande que l'on rôtit : elle perd jusqu’à un tiers
de sa masse (plus de 300 grammes pour un kilogramme initial)… parce
qu’elle se contracte. Si l'on était de très mauvaise foi, on
pourrait dire, vu que les jus sont exclus de la masse par la
contraction du tissu collagénique, que la viande se concentre en
viande... mais on verra plus loin que cela n'est pas une
caractéristique du rôtissage et des autres types de cuisson qui
étaient fautivement désignés par « concentration »...
puisque l'on mesure la même contraction dans un pot-au-feu ;-)
J’y
pense : avez-vous déjà regardé ce que signifie le mot
« concentration » ?
La
même théorie fautive faisait état de l’également fautive
dénomination de "cuisson par expansion", pour les cuissons
de type pot-au-feu.
Et
là encore, c'était une erreur... puisque la viande se contracte
quand on la chauffe, dans l’eau comme dans un four ! Et, comme
précédemment, c’est le « collagène » qui fait cette
contraction, laquelle presse la viande comme si l’on pressait une
éponge, ce qui fait sortir les « jus ».
On
le voit, donc, il n'y a pas d' « expansion » (de la
viande), mais une sortir de certains composés en phase aqueuse, qui
correspond à cette même expulsion des jus par la viande que la
chaleur contracte.
D'ailleurs,
dans un pot-au-feu, il n'y a pas seulement une contraction de la
viande et une expulsion des jus : dans le bouillon, il y a des
réactions, tout comme dans le fond du plat de cuisson au four (ce
qui fait le résidu brun que l'on déglace parfois). J'ajoute que ces
réactions ne sont pas les mêmes pour la viande rôtie et dans le
bouillon, ce qui est évident quand on compare, à la dégustation,
une viande bouillie et une viande rôtie... et j'ajoute que je
propose que l'on considère qu'il y a nombre de réactions pour
expliquer ce brunissement :
-
des réactions de glycation (oubliez s'il vous plaît la terminologie
« réactions de Maillard » qui est bien trop souvent
enseignée de façon erronée)
-
des déshydratations intramoléculaires des hexoses
-
des thermolyses et pyrolyses variées.
Bref,
s'il n'y a pas de concentration de quoi que ce soit dans les cuissons
au four, dans les rôtissages, et s'il n'y a pas d'expansion dans la
cuisson des viandes quand on fait un pot-au-feu, par exemple, alors,
il n'y a rien de mixte, et toute cette théorie entièrement
fantasmagorique doit être oubliée... et elle l'est, puisque
l'Education nationale y a merveilleusement mis bon ordre. Ce qui
appelle deux commentaires :
1.
la France est pionnière de ce point de vue
2.
si un professeur continuait (pourquoi, au fond ?) à l'enseigner
ou à le faire dire à un examen ou à un concours, il pourrait être
attaqué, et l’examen ou le concours annulé.
Cela,
c’était pour les viandes, mais nous allons voir que, pour les
légumes aussi, ces théories sont fausses, et d'ailleurs, elles
n'ont jamais été établies par personne... puisque l'on serait bien
incapable de les établir, étant donné qu'elles sont fausses.
Mais
avant de passer à cela, j'ajoute -bien plus positivement- que l'on a
recommandé, pour ceux qui veulent faire des catégories (mais
faut-il vraiment en faire ?), de parler de cuissons avec
brunissement ou sans brunissement.
2
"En effet cette classification ne marche pas pour une cuisine à
base de viande."
Il
ne s'agit pas qu'une théorie "marche" ou qu'elle ne marche
pas... et d'ailleurs une théorie ne marche jamais, puisqu'elle n'a
pas de jambes.
Une
théorie décrit correctement ou non les phénomènes, et, dans le
cas des viandes, notamment, elle ne les décrit pas du tout.
3.
"Mais pour la cuisine végétale, celle-ci ne garde-t-elle pas
encore toute sa pertinence ?"
Commençons
par observer que l'expression "cuisine végétale" est
fautive : cuisiner des végétaux, ce n'est pas faire une "cuisine
végétale" (c'est ce que l’on nomme la faute du partitif, en
français).
Mais
surtout, non, désolé, mais la théorie de la concentration et de
l'expansion (dont je rappelle qu'on ne sait pas d'où elle sort,
puisque personne ne l'a établie, ce qui aurait été impossible) n'a
aucune pertinence, ni pour les viandes, ni pour les végétaux, comme
on va le voir plus loin.
Et
évidemment, je ne connais aucune publication scientifique qui
montrerait que cette classification s'appliquerait aux ingrédients
culinaires végétaux… puisqu’elle ne s’applique pas.
4.
"Mon choix de garder cette classification pour une cuisine à
base d'ingrédients végétaux se base sur le fait que :"
Je
répète que, moi qui fait mes études bibliographiques tous les
matins, je n'ai encore trouvé aucune indication que la
classification fautive qui a été abandonnée pour les viandes
puisse s'appliquer végétaux.
Et
pourtant, je cherche : je passe mes journées à cela !
J'ajoute
que "se baser sur" est un anglicisme, à prohiber, donc,
devant des élèves.
Et
je pose à nouveau la question : faut-il vraiment une classification,
pour évoquer un nombre de procédés de cuisson qui tient sur les
doigts des deux mains ? Et en quoi une telle classification
aidera-t-elle les élèves ?
Et
si l'on veut une classification, alors je recommande celle que j'ai
évoquée dans mon livre "Casseroles et éprouvettes",
ou dans "Mon histoire de cuisine". Elle est toute
simple (et juste), puisqu’elle considère la manière dont on
transmet la chaleur à l’aliment, viande ou légume.
Mais
surtout, pourquoi conserver cette théorie, si elle est douteuse ?
Quelle indication pourrait nous la faire conserver ?
Le
fait qu’on nous l’a enseignée ? Ne répétons surtout pas
les erreurs de nos prédécesseurs : nos élèves seraient en
droit de nous le reprocher.
J'entends
bien que mon interlocuteur va énoncer des "faits"... mais
a-t-il fait des mesures ? des analyses ? des observations au
microscope ? Non, non et non. Donc il ne devrait certainement pas
adhérer à une idée qui traîne... d'autant qu'elle est ancienne et
que, en science comme en médecine, ce qui est ancien est périmé,
et pas emprunt d'une grande sagesse : nos anciens n'avaient
aucune des bases intellectuelles que nous avons aujourd'hui. Ils
ignoraient l’existence des protéines, de la structure de la
viande, des réactions de glycation, ils avaient des idées fausses à
la pelle, que nous réfutons expérimentalement une à une depuis
vingt ans dans les Séminaires de gastronomie moléculaire. N’ai-je
pas vu des chefs triplement étoilés qui écrivaient que l’on
pouvait atteindre 130 °C dans une casserole avec un couvercle ?
Ou que le fait masser une viande avec du beurre aurait fait entrer
le beurre dans la viande ? Ou que des bouchons de liège
auraient attendri les poulpes ? Ou que les mayonnaises
rateraient si les jaunes et l’huile n’étaient pas à la même
température ? Ou que l’on cesserait de pleurer en épluchant
des oignons si l’on mordait une cuiller en bois ?
Et,
pour revenir aux « anciens », n’oublions pas trop vite
qu’ils s'éclairaient à la bougie, mouraient quand des
micro-organismes pathogènes les attaquaient, que les femmes
mouraient en couches d'infections, et les enfants n’atteignaient
pas souvent l’âge adulte, que l’on vivait dans des espaces sans
autre chauffage que du feu de bois... Ce n'est pas un monde que
j'envie !
5.
"Cuisson par concentration"
Ah,
débarrassons-nous vite de cette expression détestable ! Vite ! Pour
les légumes comme pour les viandes !
6.
"o La cuisson d'un aliment dans un milieu sec (rôtir, sauter,
deshydrater…) concentre les goûts et certains parfums par
évaporation de son eau de constitution."
Mon
interlocuteur écrit que la cuisson dans un milieu sec concentrerait
les goûts. Mais que veut-il dire par "concentrer les goûts"
?
Veut-il
dire que les goûts sont plus puissants ? D'ailleurs est-ce quelque
chose qu'il a mesuré ? Il faut surtout observer que le goût
change : une carotte revenue, brunie par le caramel qui s’est
formé par réaction de ses sucres (glucose, fructose, saccharose) a
plus de goût de caramel à l’extérieur, et moins de goût de
caramel à l’intérieur, mais elle a évidemment plus de goût
(faible!) de carotte à l’intérieur qu’ à l’extérieur. .
Cela
étant établi, il faut questionner les mots "goûts" et
"parfums".
Un
goût, c'est la sensation qui résulte de très nombreuses
perceptions :
-
les saveurs (et il y a plus que quatre saveurs, car la théorie
ancienne, à nouveau, est tout à faire erronée!)
-
les odeurs (perçues quand des molécules odorantes passent dans le
nez, quand on met l’aliment en bouche, puis à nouveau perçues
quand on mastique l’aliment, ce qui libère les molécules
odorantes au rythme de la mastication, leur permettant de passer de
la bouche au nez par les fosses rétronasales, en arrière de la
bouche)
-
des perceptions "trigéminales" (les piquants, les
frais...)
-
des perceptions des acides gras insaturés à longue chaîne
(découvertes par des physiologistes de Dijon il y a une vingtaine
d’années)
-
des perceptions des ions calcium
- la
température
- la
consistance
- et
ainsi de suite.
Oui,
le goût change quand on cuit... mais que signifie "concentrer
les goûts" ? Imaginons que la saveur soit réduite et l'odeur
augmentée (cela m'arrache la bouche de parler ainsi, mais c'est pour
expliquer) : le « goût » serait-il « concentré »
?
Et
entre une carotte crue ou une carotte rôtie : le goût de carotte
crue est moindre, dans la carotte rôtie... Alors, quel goût est
« concentré » ?
Le
mot « parfum », maintenant. C’est une appréciation
« agréable », donc qui n’a rien à faire ici, puisque
le bon des uns n’est pas le bon des autres. Parlons éventuellement
d’odeur… qui ne se concentre pas. Et évitons de parler d'arôme,
puisque l'arôme est l'odeur d'un aromate, ce que ne sont pas un
poireau, un artichaut ou une pomme de terre. Il y a des odeurs
(anténasales) et des odeurs rétronasales.
D'autre
part, si mon interlocuteur avait disposé de moyens de mesure, il
aurait observé qu'il y a des goûts qui disparaissent, et des goûts
qui apparaissent.
Par
exemple (un parmi mille !), une étude a bien établi que certains
composés importants pour le goût de tomate disparaissent
entièrement lors de la production de concentrés de tomate, en même
temps que l'eau. Est-ce une "concentration", cela ?
Et
puis, mettons simplement notre nez au dessus d'un plat de carottes
que l'on fait sauter : oui, il y a des "jus" qui sont
éliminés, notamment de l'eau avec les trois sucres principaux des
végétaux que sont D-glucose, D-fructose et saccharose (et ces
sucres caramélisent : j'utilise le mot dans une acception
parfaitement juste, dans ce cas tout particulier), mais il y a aussi
des composés odorants, des composés à action trigéminale, etc.
D'ailleurs,
ce cas est intéressant, puisqu'il me permet d'ajouter que la
« bioaccessibilité » de certains composés est modifiée
: par exemple, le carotène bêta est plus assimilable, plus "libre",
dans une carotte cuite que dans une carotte crue... et cela n'a rien
à voir avec les jus, mais seulement avec la modification de la
consistance.
J'ajoute
à ce propos que la cuisson des tissus végétaux amollit ces
derniers (parfois) en modifiant les pectines, ce qui forme de
nouveaux composés, qui ont « du goût » : les
pectines sont des polysaccharides, et des sucres sont libérés.
Tout
cela étant dit, mon interlocuteur me donne aussi la possibilité
d'évoquer le phénomène nommé « entraînement à la vapeur
d'eau », avec lequel les sociétés de parfumerie extraient des
composés odorants des matières végétales. Pour ne pas me répéter,
je renvoie à mon livre Mon histoire de cuisine, où j'ai
expliqué la chose en détail.
Oui,
une partie de l'eau des légumes est évaporée quand les légumes
sont chauffés... mais, cette fois, pas de contraction, puisqu'il n'y
a pas de tissu collagénique. Seulement l'eau des cellules (je
rappelle qu'un tissu végétal est fait de petits « sacs
vivants » agrégés, les « cellules ») qui
s'évapore des zones où la température est supérieure à 100 °C.
D'où la formation d'une croûte... qui a une couleur et un goût qui
résulte des transformations moléculaires associées à cette
formation de croûte.
J'insiste
: dans les cuisson, il y a les composés qui restent, les composés
qui partent, et les composés qui se forment. Il serait simpliste de
raisonner seulement en terme des deux premières catégories...
puisque les composés nouvellement formés sont essentiels, surtout
dans les cuissons avec brunissement.
7.
"o Durant une friture l’aliment aqueux va se fermer au
contact de l’huile chaude et il va se colorer."
Un
« aliment aqueux » ? Qu'est-ce que cela signifie ? Les
aliments ne sont pas « aqueux », mais ils renferment de
l'eau. J'insiste un peu sur la correction du langage, surtout dans
l'enseignement : si nous voulons nous faire comprendre des
apprenants, ne nommons pas « chien » un animal qui fait
« miaou ».
D'autre
part, une information : les tissus végétaux, comme les tissus
animaux, sont tous faits de beaucoup d'eau... puisqu'ils sont faits
de cellules, et que ces dernières sont pleines d'eau.
Posons
donc la question plus justement : un tissu végétal se
« fermerait »-il au contact de l'huile chaude ? Et là,
notre interlocuteur le dit... mais j'aimerais bien qu'il puisse en
apporter la preuve... parce que cela n'est sans doute pas vrai !
Ce
que je sais, moi, c'est qu'un tissu végétal est fait de cellules
groupées en différentes zones. Par exemple, pour la carotte, une
rondelle est faite d'une partie corticale (autour), d'un parenchyme,
d'un cambium, d'un coeur. Pour certaines zones, les cellules sont
simplement agrégées, mais pour d'autres zones, il y a des
« canaux » qui montent la sève brute (principalement de
l'eau et des ions minéraux) et d'autres qui descendent la sève
élaborée (de l'eau, des sucres, des acides aminés). Ces canaux ont
pour nom xylème et phloème.
Pour
les carottes, les canaux sont ouverts, quand on coupe des rondelles,
et pour les « feuilles », il y a aussi des stomates. Mais
ces ouvertures se ferment-elles ? Je n’en ai aucune indication.
Et
puis, le fait que l'on récupère un caramel ou un corps gras qui a
beaucoup de goût quand on sue des légumes montre que des échanges
se font. S'il y a « fermeture », il n'y a en tout cas pas
d'étanchéité... d'autant que, si l'on met un échantillon de tissu
végétal dans une friture, on voit des bulles : c'est de l'eau, sous
forme de vapeur, qui traverse la surface : rien d'étanche, donc.
Pour
la coloration, enfin, c'est une réaction qu'il a rien à voir avec
les canaux ; elle se fait partout et la surface et non pas seulement
à l'endroit des canaux.
8.
"o Jeter un aliment dans de l’eau chaude à tendance à le
saisir et à le fermer et à ainsi freiner la sortie de ses composés
chimiques. Bien sûr dans la cadre d’une cuisson rapide."
Mon
interlocuteur nous dit que jeter un aliment dans l'eau chaude a
tendance à le « saisir »... mais, au fait, à quoi
voit-il cela ? A quoi correspond ce prétendu saisissement ?
J'aimerais bien qu'il me le dise, parce que je n'ai rien vu de tel.
Il
nous répète que cela « ferme » l'aliment, mais quelle
preuve a-t-il ? Quant aux « bien sûr », j’aurais
tendance à être prudent, non ?
« Freiner »
la sortie de ses composés chimiques : là, le mot « freiner »
devrait être remplacé par « ralentir », mais passons
sur ce détail. Ce qui m'arrête surtout, ici, c'est « composés
chimiques ». Un composé est un composé, et il n'est
« chimique » que s'il est étudié par un chimiste. Donc
pas de composés chimiques (ne pas confondre avec « composé de
synthèse », ni avec « composé artificiel ») dans
les tissus végétaux : seulement de l'eau, des pectines, des
celluloses, des hémicelluloses, des sucres, des acides aminés, des
protéines, des lipides, etc. De quels composés notre interlocuteur
parle-t-il ?
Et
puis, comment peut-il affirmer que jeter un aliment dans l'eau chaude
ralentirait la sortie de composés ? Et puis, ralentir par rapport à
quoi ?
De
toute façon, au contraire l'eau chaude favorise la sortie des
composés qui peuvent sortir : sucres, acides aminés, etc. Nous
avons eu, dans mon groupe de recherche, une thèse qui explore
précisément cela, et j'invite chacun à comparer les sorties de
sucres aux différentes températures. D'ailleurs, on sait bien que
les extractions se font mieux à chaud qu'à froid. Tiens, essayez
donc de préparer du thé à l’eau froide, et vous verrez.
D'autant
que, à chaud, les parois végétales (celluloses, pectines,
hémicelluloses) sont dégradées, comme je l’ai indiqué plus
haut.
9.
"Cuisson par expansion"
Allons,
oublions maintenant cette terminologie ! La carotte ne s'expand pas,
quand on la cuit, et, d'ailleurs, sa masse ne change pas notablement.
Et
si l'on parle des composés extraits, ce n'est pas une expansion,
mais une extraction.
10.
"o La cuisson longue d’un aliment dans un liquide fait
sortir ses composés chimiques dans ce liquide."
Il y
a maintenant une « cuisson longue » : oui, plus on cuit
longuement, plus on extrait : voir la thèse sur le bouillon de
carotte dont j'ai parlé précédemment.
Mais
à nouveau : ne parlons pas de composés chimiques, mais seulement de
composés.
11.
"o La cuisson du froid vers le chaud (pocher départ à froid)
favorise la sortie les composés chimiques des aliments."
Une
« cuisson du froid vers le chaud » ? Notre interlocuteur
veut sans doute parler de cuisson dans l'eau avec départ à froid ?
Observons
d'ailleurs qu'une telle cuisson n'est pas un pochage, terme qui
désigne classiquement l'inverse d'une « infusion »
(pensons aux feuilles de thé, dans l'eau bouillante dont la
température diminue).
Le
départ à froid favoriserait la sortie des composés ? Où notre ami
a-t-il vu cela ? Quelle preuve en a-t-il ? Quelles mesures a-t-il
faites pour l'établir ? J’ajoute que ces questions peuvent être
posées pour bien des idées culinaires, et, mieux, que l’on
aurait raison de les poser plus que cela n’a été fait.
Puis,
une suite à ma réponse
En
substance, j'ai dit une partie de ce qui précède à mon
interlocuteur par oral, en lui promettant de mettre tout cela par
écrit... ce qui me prend un temps précieux, mais que je fais parce
que je pense à tous les élèves qui veulent apprendre des choses
justes.
Cela
étant, avant même que je puisse faire ce billet, mon interlocuteur
m'a envoyé un nouvel email, avec ce qui suit :
Pour
être sûr d’avoir bien compris notre échange téléphonique :
Extraction
en milieu humide
Si
je comprends bien, les techniques de cuisson "pocher départ à
froid" et "pocher et départ à chaud" n'ont pas de
différences significatifs quant à l'extraction des molécules
sapides et odorantes ?
Du
coup concrètement :
-
Le conseil d'un Régis Marcon dans son dernier livre sur les légumes
(cf image en pièce-jointe) de pocher départ à froid les légumes
pour leur retirer leur "goût amer" n'a pas lieu d'être ?
Jeter le même légume dans de l'eau bouillante aurait retiré ce
"goût amer" de la même façon, et même plus rapidement
grâce à la chaleur ?
-
La recette traditionnelle de la crème d'ail consistant d'abord à
pocher départ à froid des gousses d'ail épluchées pour "sortir"
leur piquant dans l'eau pourrait tout aussi bien marcher (et même
plus rapidement) en les pochant départ à eau ?
Ainsi
il vaudrait mieux dans tous les cas pocher départ à chaud pour
obtenir une perte volontaire de molécules sapides plus rapide et
donc de diminuer la perte des autres molécules sapides, des
molécules odorantes et des nutriments dans l'eau de cuisson ?
Dans
quels cas pocher départ à froid peut-il avoir une utilité par
rapport à pocher à chaud ?
Si
je n'ai pas encore bien compris, pourriez-vous me renvoyer vers de
documents de recherche/vulgarisation m'expliquant les choses
précisément ?
Choix
Nouvelles Classification
Si
cela vous convient, je vais opter pour la classification :
-
Cuissons Humides (pocher, étuver...)
-
Cuissons Sèches (sauter, rôtir, torréfier...)
-
Cuissons Mixtes /ie Sèches puis Humides ou l'inverse/ (ragoût,
poêler, braiser...)
Sel
Quel
type de sel ralentit la cuisson des végétaux ?
Et
là, il y a encore beaucoup à dire.
Oui,
là encore, j'ai matière à donner des explications supplémentaires,
et cela par écrit afin que chacun puisse lire lentement, à son
rythme, mieux que dans une rapide conversation téléphonique.
1'.
"Extraction en milieu humide"
Une
extraction en milieu humide ? Je salue d'abord mon interlocuteur qui
parle maintenant d'extraction, plutôt que d'expansion. Je le
félicite vivement d'avoir su changer, au vu des arguments qui lui
ont été donnés.
Cela
dit, mon interlocuteur fait encore une confusion car une solution
aqueuse n'est pas un "milieu humide" : l'humidité, c'est
quand il y a peu d'eau dans un gaz, comme dans un poêlage (dans un
poêlon, pas dans une poêle), par exemple. Mais ici, je vois bien à
la suite de son texte qu'il parle de cuisson dans l'eau. On pourrait
parler d' « extraction dans l’eau ».
2'.
"Si je comprends bien, les techniques de cuisson "pocher
départ à froid" et "pocher et départ à chaud"
n'ont pas de différences significatifs quant à l'extraction des
molécules sapides et odorantes ?"
Là,
je retrouve le mot "pocher", qui n'est pas juste. Mettons
le de côté, puisque j'en ai déjà parlé.
En
reformulant, je n'ai certainement pas dit qu'il n'y avait pas de
différence d'extraction selon que l'on extrait dans l'eau à partir
d'eau froide ou à partir d'eau chaude... parce que je ne sais pas ce
que l'on compare. Les ingrédients séjournent-ils, par exemple, le
même temps ? Et la quantité de chaleur transmise est-elle la même
?
Mais,
surtout, la cuisson dans l'eau départ a froid fait des résultats
très différents de la cuisson dans l'eau départ à chaud... comme
on peut l'observer en mettant des rondelles de carottes dans l'eau
froide ou tiède : les rondelles durcissent au point qu'on ne peut
plus, ensuite, les amollir ! En effet, les températures chaudes mais
douces activent des enzymes qui font libérer des ions calcium,
lesquels sont importants pour "ponter" les pectines",
et durcir les légumes.
C'est
essentiel, notamment pour durcir des cornichons que l'on veut
conserver longtemps dans le vinaigre sans qu'ils se défassent... et
important aussi pour la moderne "cuisson à basse température",
surtout quand la température est inférieure à 80 °C environ...
mais c'est une autre histoire.
Quant
aux effets sur les composés sapides ou odorants, il y a donc la
question de la durée de la cuisson.
Mais
à ce stade, je vois surtout qu'il me manque une discussion préalable
des « objectifs ». Au fond, de quoi parlons-nous ? Que
voulons nous ? Cuire des légumes ? Leur donner du goût ? Les
attendrir ? Les faire changer de couleur ? Les faire changer de goût
? C'est seulement quand on aura répondu à ces questions que l'on
pourra se préoccuper des molécules sapides, odorantes, à action
trigéminale, des ions calcium, etc. Et l'on n'oubliera pas qu'il n'y
a pas seulement des extractions, mais également des réactions.
Et
cela me fait penser à inviter mon interlocuteur à aller voir les
« 14 commandements de la cuisine » que j'avais donnés
dans mon livre Mon histoire de cuisine. S’il y a
enseignement, je recommande de commencer ainsi.
3'.
"Du coup concrètement : le conseil d'un Régis Marcon dans son
dernier livre sur les légumes, de pocher départ à froid les
légumes pour leur retirer leur "goût amer" n'a pas lieu
d'être ? Jeter le même légume dans de l'eau bouillante aurait
retiré ce "goût amer" de la même façon, et même plus
rapidement grâce à la chaleur ?"
A
propos d'amertume et d'âcreté, je renvoie mon interlocuteur à un
séminaire où nous avons exploré ces questions. Tout est en ligne
sur le site d’AgroParisTech.
4'.
"La recette traditionnelle de la crème d'ail consistant d'abord
à pocher départ à froid des gousses d'ail épluchées pour
"sortir" leur piquant dans l'eau pourrait tout aussi bien
marcher (et même plus rapidement) en les pochant départ à eau ?"
Je
ne sais pas d'où mon interlocuteur tire sa recette
« traditionnelle », mais moi, j'ai une recette
« traditionnelle » (un livre ancien) qui me dit de
mettre les gousses d'ail cinq fois de suite dans l'eau bouillante.
De
toute façon, comme je l'ai expliqué, c'est surtout le fait
d'extraire bien les composés qui donnent le goût d'ail qui compte,
et cela se fait plus à chaud qu'à froid (nouvelle preuve qu'il n'y
a pas de « fermeture »).
5'.
"Ainsi il vaudrait mieux dans tous les cas pocher départ à
chaud pour obtenir une perte volontaire de molécules sapides plus
rapide et donc de diminuer la perte des autres molécules sapides,
des molécules odorantes et des nutriments dans l'eau de cuisson ?"
Je
n'ai pas dit cela. Mais j'y reviens, quel est l'objectif ? Et là,
c'est un trop gros morceau pour répondre.
6'.
"Dans quels cas pocher départ à froid peut-il avoir une
utilité par rapport à pocher à chaud ?"
Dans
quel cas partir à froid ou partir à chaud ? J'ai expliqué que le
départ à froid avait l' "inconvénient" de durcir les
légumes... quand on n revanche,
Mais
pensons plutôt à des objectifs, encore des objectifs, toujours des
objectifs. Pour prendre une comparaison, c'est seulement après que
j'ai décidé d'aller à Colmar que je peux choisir le chemin qui m'y
mène... sinon je risque d'arriver à Brest !
7'.
"Si je n'ai pas encore bien compris, pourriez-vous me renvoyer
vers de documents de recherche/vulgarisation m'expliquant les choses
précisément ?"
C'est
fait : commencez par les deux livres cités précédemment.
8.
"Choix Nouvelles Classification
Si
cela vous convient, je vais opter pour la classification :
-
Cuissons Humides (pocher, étuver...)
-
Cuissons Sèches (sauter, rôtir, torréfier...)
-
Cuissons Mixtes /ie Sèches puis Humides ou l'inverse/ (ragoût,
poêler, braiser...)".
Enfin,
pour la nouvelle classification, puisque j'ai critiqué l'expression
« cuisson humide », au sens de « cuisson dans
l'eau », je propose plutôt la classification qui figure dans
mon livre « Casseroles et éprouvettes », mais aussi dans
mon livre « Cours de gastronomie moléculaire N°1 », et,
enfin, dans mon livre « Mon histoire de cuisine ». Je ne
dis pas la même chose dans les trois livres.
9.
"Sel. Quel type de sel ralentit la cuisson des végétaux ?"
Aucun.
Enfin, plus exactement, je ne sais ce que signifie « ralentir
la cuisson ». Si la « cuisson » est synonyme
d’attendrir, alors le calcium n’est pas bon.
Mais
commençons simplement : le sel de table, quand il est très
pur, est quasiment limité à du chlorure de sodium. Mais le sel
moins raffiné contient du calcium... qui durcit les légumes. Une
autre histoire, à nouveau.
Tout
cela étant posé, je prie mon interlocuteur de ne pas se vexer
d'être ainsi réfuté : qu'il considère surtout que j'ai passé
BEAUCOUP de temps à préparer cette réponse, pour l'aider, et pour
aider les élèves.
Et
je le félicite d’oser m’interroger, au risque que j’abatte ses
idées initiales : c’est la marque d’un esprit ouvert, que
j’encourage vivement, et que je remercie au nom des élèves qu’il
aura.