"On dit" qu'il ne faut pas cuire des légumes dans une eau acidifiée... Vrai ou faux ?
Dans un tel cas, j'aurais tendance à ne pas répondre, mais à vous inviter à expérimenter.
Par exemple, vous pourriez prendre trois casseroles, et y mettre de l'eau pure pour l'une, de l'eau acidifiée avec du vinaigre cristal pour la deuxième, et de l'eau avec du bicarbonate de sodium, ou de la soude, pour le troisième (ne pas goûter la troisième !!!!!!!!!). Puis vous ajoutez des lentilles, ou des carottes, et vous portez l'eau à ébullition, pendant un certain temps.
Le résultat ? Des amis internautes m'ayant reproché de questionner au lieu de répondre aux questions, je vous donne le résultat : pour certaines conditions expérimentales (vous voyez comme je suis prudent), les lentilles ou les carottes cuites dans du vinaigre sont comme des cailloux, alors que les végétaux cuits dans le bicarbonate ou la soude sont complètement défaits. En effet, je propose d'imaginer que le tissu végétal est fait de petits sacs, qui sont tenus par les molécules de pectines. Les cellules sont solidaires de cellulose (pensez à de gros piliers inaltérables), et les pectines sont comme des cordes enroulées entre les divers piliers, ce qui lient les cellules entre elles, et fait les matériaux durs.
Quand on cuit en milieu basique (le bicarbonate, la soude), les pectines sont chargées électriquement, et elles se détachent les unes des autres, notamment, d'où l'amollissement.
En revanche, en milieu acide, on a un effet inverse.
Et avec des viandes ? Avec des viandes, vous pouvez également faire l'expérience, et vous verriez un effet bien différent... mais il est vrai que toute l'explication précédente ne tient alors plus : pas de pectine dans les viandes ! Là les fibres musculaires, qui sont les cellules des viandes, sont jointoyées par du tissu conjonctif, lequel est fait de protéines. Or les protéines sont hydrolysées en milieu acide. Michael Faraday, le grand physico-chimiste, avait donc raison : ne pas généraliser hâtivement !
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
vendredi 23 juin 2023
Cuire des légumes en milieu acide
mercredi 16 mars 2022
Les acides, en cuisine ?
Commençons (toujours) par une question qui fâche : oui, il y a divers acides parmi les "additifs"... Mais il y a aussi le caramel, la gélatine, etc.
On le voit, il y a lieu de rester un peu ouvert, au lieu de se refermer, timoré comme une huître que l'on effleure, au lieu de rester obtus, incapable de comprendre.
Donc il y a des acides, dans les aliments : l'acide acétique du vinaigre, l'acide malique des pommes ou du raisin, l'acide tartrique des bouteilles de vin, l'acide lactique des yaourts...
Ces acides-là sont des acides "organiques", présents dans les tissus végétaux ou animaux.
Mais il y aussi des acides "minéraux", comme les acides chlorhydrique, sulfurique, phosphorique, nitrique...
Et, au fond, ces acides-là sont tout aussi mal connus de nos concitoyens que les premiers.
Un acide, c'est quoi ?
Commençons par dire que le premier "liquide acide" connu est le vinaigre, qui se forme spontanément quand des sucres sont d'abord fermentés en alcool éthylique, puis quand cet alcool est fermenté en acide acétique.
Car le vinaigre, c'est d'abord de l'eau, puis de l'acide acétique, et ensuite des composés qui font de la couleur et du goût.
Cette sensation acide se retrouvait dans d'autres cas : par exemple quand du lait fermentait, parce que le sucre du lait, le lactose, est transformé en "acide lactique" par des bactéries. C'est cela qui a lieu dans les yaourts, notamment.
Puis, par extension, on a identifié d'autres composés qui donnaient le même type de sensations, et ils ont été également nommés "acides".
Jusqu'au jour où les chimistes ont été plus précis, quand ils ont compris que tous ces corps acides avaient un même comportement, qui est de céder un de leurs atomes d'hydrogène.
La mesure de l'acidité
Poursuivons en observant que les divers acides ont des "forces acides" variées, et que l'acidité d'une de leur solution (quand ils sont dissous dans l'eau) se mesure par une unité qui est le "pH" (on dit pé-ache).
Cette échelle va de 0, pour des acides très forts, à 7 pour une solution aqueuse qui n'est pas acide.
Et l'échelle continue de 7 à 14, mais c'est pour les "bases", qui sont en quelque sorte le contraire des acides.
Mais l'acidité d'une solution dépend de la concentration.
Par exemple, pour du vinaigre cristal, qui est presque réduit à de l'eau et de l'acide acétique, le pH est de deux, environ.
Quand on dilue ce vinaigre, on obtient quelque chose de moins acide.
Cela vaut pour tous les acides.
Là où il y a des acides plus ou moins forts, c'est qu'une petite quantité de certains fait une solution très acide, alors qu'il faut des quantités bien supérieures d'autres acides pour faire le même pH.
Les acides chlorhydriques, sulfuriques, nitriques, phosphoriques, par exemple, sont des acides dit "forts".
Les acides tartrique, acétique, malique, lactique, par exemple, sont bien plus faibles.
Et quelques exemples
Nous avons considéré l'acide acétique, du vinaigre et d'autres préparations obtenues à partir d'alcool fermenté.
L'acide tartrique s'obtient à partir du tartre du vin, ces cristaux que l'on récupère dans les tonneaux de vin, et qui sont des "tartrates de potassium", en quelque sorte le produit de réaction de la potasse et de l'acide tartrique.
Dans le raisin, mais aussi dans d'autres fruits, telle la pomme (le nom latin est Malus), il y a de l'acide malique.
Et cet acide se transforme en acide lactique lors de la "fermentation malo-lactique".
L'acide lactique, lui, est donc présent dans le lait, quand le sucre du lait, ou lactose, est transformé par des bactéries en acide lactique.
D'autres questions ?
mercredi 2 mars 2022
Acides et bases
C'est un fait que la chimie, historiquement, s'intéressa très tôt aux "acides" et aux "bases", que l'on nommait jadis des "alcalis".
En effet, très tôt, alors que la chimie n'était encore que de l'alchimie, on avait observé que le vinaigre avait une saveur agressive, "acide", et, très tôt, on avait observé qu'il y avait ce même type de saveurs dans divers ingrédients de la cuisine : dans une pomme verte, dans un citron par exemple.
Mais on sait que les chimistes ont "l'intelligence du feu" : ils trituraient, dissolvaient, broyaient, distillaient, calcinaient... Et c'est ainsi que, quand on chauffe vivement certains composés, il se dégage des vapeurs que l'on peut percevoir acides.
Ou encore, certains produits de distillations avaient aussi une saveur acide.
Puis, après bien des travaux et des découvertes, les chimistes ont découvert que certaines matières végétales, tel des pétales de fleurs, changent de couleur en présence de ces corps acides;
Et c'est ainsi que les chimistes en vinrent à utiliser des pétales de violettes broyés dans de l'eau comme "indicateurs colorés" : cela leur permettait de voir la présence des acides sans avoir à goûter des matières qui pouvait être dangereuses.
A la même époque environ, les chimistes identifièrent les alcalis, par exemple la lessive de cendres que l'on récupère en filtrant de l'eau où l'on a mis des cendres. Cette fois, la saveur n'était pas acide, mais "savonneuse" : ce fut la découverte les alcalis, que l'on nomme aujourd'hui des bases. Il y eut l'ammoniaque, la soude, la potasse...
Puis on découvrit que le mélange d'un acide et d'une base produit un sel.
Le bon exemple est celui qui consiste à mélanger de l'acide chlorhydrique et de la soude : à condition que les quantités soient bien choisies, on obtient une solution de sel. Oui, de ce chlorure de sodium qui est celui de la mer ou des mines de sel gemme !
Puis, on découvrit d'autres "sels", tels ceux qui sont dans les eaux de boisson, où jouxtent des "ions" nitrate, sulfate, sodium, potassium, chlorure, magnésium... Ce sont ces ions qui donnent leur goût aux diverses eaux, mais cela est une autre histoire, pour une autre fois.
lundi 1 juin 2020
A propos de changements de couleur en cuisine
1. Cela fait des siècles que l'on a observé que certains ingrédients culinaires changeaient de couleur selon le milieu où ils étaient placés.
Par exemple, le chou rouge peut virer du rouge ou bleu, mais également des fleurs broyées, des fruits rouges ou noirs... et c'est ainsi que, dès le 18e siècle, les chimistes ont appris à utiliser du "sirop de violette", comme ils le nommaient, pour détecter les "acides" et les "alcalis", ce que nous nommons aujourd'hui plutôt des bases.
Et c'est un fait que broyer des pétales de violette dans l'eau conduit à une solution colorée, dont la couleur change selon qu'on y ajoute par exemple du vinaigre ou du bicarbonate de sodium.
2. Vu la rareté (relatives) des violettes et l'abondance du chou rouge, on fera plutôt l'expérience de la façon suivante : on prend quelques feuilles d'un chou rouge (de ces feuilles abîmées que l'on jette souvent), on découpe ces dernières en morceaux aussi petits que possible, que l'on broie dans l'eau, et l'on filtre la solution obtenue dans un filtre à café.
On récupère alors une solution colorée, à laquelle on peut s'amuser à ajouter soit du vinaigre, soit du bicarbonate. On observe, selon les conditions, du bleu ou du rouge. Et, en alternant l'ajout des deux composés, on peut observer que ces changements de couleurs sont réversibles.
3. Ce sont les acides et les bases qui sont ici en cause. Pour les acides, on connaît le vinaigre cristal, qui est une solution presque réduite à de l'eau et à un acide nommé acide acétique. Mais les aliments contiennent aussi de l'acide tartrique, de l'acide malique (dans les pommes vertes, par exemple), de l'acide citrique (dans les citrons et oranges, par exemple), de l'acide ascorbique (ou vitamine C)... Pour les bases, elles sont plutôt moins fréquentes : on peut trouver la potasse, ou hydroxyde de potassium dans des "lessives de cendres", obtenues par filtration de cendres de cheminée et d'eau, mais en règle générale, elles sont plutôt dans le placard à détergents, telles l'ammoniaque ou la soude caustique, pour déboucher les canalisations.
4. Mais revenons à notre sirop de violette, qui était utilisé jadis pour détecter acides et bases en chimie. Il s'obtenait par broyage des fleurs dans l'eau, mais cela n'est guère pratique, et l'on a appris à fabriquer de petites bandelettes de papier, imbibées de composés analogues à ceux qui font la couleur des violettes, et que l'on nomme des "papiers pH". Ces bandelettes prennent des couleurs qui changent en fonction de l'acidité du milieu où on les trempe, et, même si elles sont remplacées aujourd'hui par des matériels électroniques nommés pH-mètre, elles ont constitué un progrès important en chimie, parce que l'on a progressivement eu accès à des mesures quantitatives, condition du développement scientifique.
Oui, on a progressivement appris à mesurer l'acidité et la basicité sur une échelle comprise entre 0 et 14. Pour les cas les plus simples, entre 0 et 7, ce sont les solutions acides, tandis que, entre 7 et 14, ce sont les solutions basiques Vers 0, ce sont des acides est très forts, très agressifs. A 7, c'est l'eau, que l'on dit neutre. Et à 14, ce sont des bases, des alcalis très puissants, telles la soude ou la potasse concentrées, où il ne ferait pas bon mettre à la main.
5. Ce qu'il faut préciser, quand même, c'est qu'un acide concentré, dangereux, devient anodin quand on le dilue beaucoup. Par exemple, un morceau de fer sera complètement dissous dans de l'acide chlorhydrique concentré, et cet acide - qu'il est hors de question de boire !- a un pH proche de zéro. Inversement, on se convaincra du danger de la soude caustique en y plongeant un morceau de viande : il sera complètement dissous !
Mais ces deux produits très dilués seront sans danger : si l'on s'y prend bien, l'acide chlorhydrique sera légèrement acidulé et la soude fera une vague sensation savonneuse. D'ailleurs, le vinaigre est une solution d'acide acétique à 8 pour cent environ. Concentré, il serait terrible, mais dilué... c'est le vinaigre, lequel est moins acide que des framboises, où l'acidité est masquée par du sucre. C'est la raison pour laquelle le papier pH sera utile en cuisine : il viandra compléter le goût, pour avoir une mesure fiable de l'acidité "chimique", laquelle est la seule réellement capable de modifier les milieux, et les couleurs. On ne rencontre pas quotidiennement, en cuisine, des cas où le pH est important, mais parfois, on a intérêt à bien connaître cette notion, et notamment quand on veut maîtriser d'éventuels changement de couleur. Un artiste culinaire qui voudrait du bleu avec du chou rouge doit maîtriser le pH afin d'avoir afin d'éviter d'avoir du rouge à la place du bleu qu'il souhaite.
6. Finalement, apprenons le maniement de nos bandelettes de papier pH, puisque c'est une sorte de jeu élémentaire. On tire un petit bout de papier d'un rouleau sur lequel sont indiquées des couleurs avec des numéros 0, 1, 2, 3... jusqu'à 14. Pour utiliser le papier pH, on en prend donc quelques centimètres et on le trempe dans un liquide qui peut l'imprégner : le papier change de couleur, et l'on compare celle-ci à une gamme qui figure sur le boîtier du papier pH : c'est ainsi que, si l'on trempe le papier pH dans du vinaigre blanc, alors on verra la couleur du papier changer et, en comparant avec le code couleur sur la boîte du papier pH on verra que la couleur de la bandelette est entre celle du 2 et du 3 : le pH du vinaigre cristal est compris entre 2 et 3. Si l'on avait fait la même expérience avec une solution de bicarbonate de sodium, alors on aurait observé que la solution de bicarbonate a un pH d'environ 11 à 12.
7. Et maintenant, à vous : broyez tous les ingrédients que vous verrez dans la cuisine, et trempez-y des bandelettes de papier pH, pour avoir une idée du pH de ces ingrédients (en n'oubliant pas que les dilutions rendent les acides moins acides, et les bases moins basiques).
vendredi 29 décembre 2017
Corriger des acidites excessives ou insuffisantes
Bonjour M. This,
J'espère que vous allez bien. J'ai fabriqué de la saucisse aux choux avec principalement 50% de filet de porc fumé et 50% de chou déjà fermenté. A côté des épices, j'ai mis pour 2kg de farce 3 cs de jus de citron.
Je trouve cette saucisse pas assez acide malgré le jus de citron ajouté et je me demande comment faire pour augmenter l'acidité sans trop ajouter de liquide qui dilue la farce. Cela revient probablement à trouver un moyen de faire fermenter le chou dans la farce avant l'embossage ou après l'embossage, quand la farce mûrit dans la saucisse.
Si vous avez une idée, je l'essaie volontiers.
Ma réponse :
A ce jour, on n'a pas encore assez joué avec les acides et les bases en cuisine : acide tartrique, acide citrique, acide lactique, acide ascorbique... et acide lactique, qui est formé lors de la fermentation du même nom.
Ici, pas d'hésitation : ajoutons de l'acide lactique, pour avoir l'acidité... et si l'on en avait mis trop, corrigeons avec du bicarbonate de sodium.
Faut-il avoir peur de ces jeux ? D'abord, quelques bandelettes de papier pH pourront servir de contrôle. Ensuite, on utilisera évidemment des acides et des bases de qualité alimentaire.
Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)