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lundi 1 juin 2020
A propos de changements de couleur en cuisine
1. Cela fait des siècles que l'on a observé que certains ingrédients culinaires changeaient de couleur selon le milieu où ils étaient placés.
Par exemple, le chou rouge peut virer du rouge ou bleu, mais également des fleurs broyées, des fruits rouges ou noirs... et c'est ainsi que, dès le 18e siècle, les chimistes ont appris à utiliser du "sirop de violette", comme ils le nommaient, pour détecter les "acides" et les "alcalis", ce que nous nommons aujourd'hui plutôt des bases.
Et c'est un fait que broyer des pétales de violette dans l'eau conduit à une solution colorée, dont la couleur change selon qu'on y ajoute par exemple du vinaigre ou du bicarbonate de sodium.
2. Vu la rareté (relatives) des violettes et l'abondance du chou rouge, on fera plutôt l'expérience de la façon suivante : on prend quelques feuilles d'un chou rouge (de ces feuilles abîmées que l'on jette souvent), on découpe ces dernières en morceaux aussi petits que possible, que l'on broie dans l'eau, et l'on filtre la solution obtenue dans un filtre à café.
On récupère alors une solution colorée, à laquelle on peut s'amuser à ajouter soit du vinaigre, soit du bicarbonate. On observe, selon les conditions, du bleu ou du rouge. Et, en alternant l'ajout des deux composés, on peut observer que ces changements de couleurs sont réversibles.
3. Ce sont les acides et les bases qui sont ici en cause. Pour les acides, on connaît le vinaigre cristal, qui est une solution presque réduite à de l'eau et à un acide nommé acide acétique. Mais les aliments contiennent aussi de l'acide tartrique, de l'acide malique (dans les pommes vertes, par exemple), de l'acide citrique (dans les citrons et oranges, par exemple), de l'acide ascorbique (ou vitamine C)... Pour les bases, elles sont plutôt moins fréquentes : on peut trouver la potasse, ou hydroxyde de potassium dans des "lessives de cendres", obtenues par filtration de cendres de cheminée et d'eau, mais en règle générale, elles sont plutôt dans le placard à détergents, telles l'ammoniaque ou la soude caustique, pour déboucher les canalisations.
4. Mais revenons à notre sirop de violette, qui était utilisé jadis pour détecter acides et bases en chimie. Il s'obtenait par broyage des fleurs dans l'eau, mais cela n'est guère pratique, et l'on a appris à fabriquer de petites bandelettes de papier, imbibées de composés analogues à ceux qui font la couleur des violettes, et que l'on nomme des "papiers pH". Ces bandelettes prennent des couleurs qui changent en fonction de l'acidité du milieu où on les trempe, et, même si elles sont remplacées aujourd'hui par des matériels électroniques nommés pH-mètre, elles ont constitué un progrès important en chimie, parce que l'on a progressivement eu accès à des mesures quantitatives, condition du développement scientifique.
Oui, on a progressivement appris à mesurer l'acidité et la basicité sur une échelle comprise entre 0 et 14. Pour les cas les plus simples, entre 0 et 7, ce sont les solutions acides, tandis que, entre 7 et 14, ce sont les solutions basiques Vers 0, ce sont des acides est très forts, très agressifs. A 7, c'est l'eau, que l'on dit neutre. Et à 14, ce sont des bases, des alcalis très puissants, telles la soude ou la potasse concentrées, où il ne ferait pas bon mettre à la main.
5. Ce qu'il faut préciser, quand même, c'est qu'un acide concentré, dangereux, devient anodin quand on le dilue beaucoup. Par exemple, un morceau de fer sera complètement dissous dans de l'acide chlorhydrique concentré, et cet acide - qu'il est hors de question de boire !- a un pH proche de zéro. Inversement, on se convaincra du danger de la soude caustique en y plongeant un morceau de viande : il sera complètement dissous !
Mais ces deux produits très dilués seront sans danger : si l'on s'y prend bien, l'acide chlorhydrique sera légèrement acidulé et la soude fera une vague sensation savonneuse. D'ailleurs, le vinaigre est une solution d'acide acétique à 8 pour cent environ. Concentré, il serait terrible, mais dilué... c'est le vinaigre, lequel est moins acide que des framboises, où l'acidité est masquée par du sucre. C'est la raison pour laquelle le papier pH sera utile en cuisine : il viandra compléter le goût, pour avoir une mesure fiable de l'acidité "chimique", laquelle est la seule réellement capable de modifier les milieux, et les couleurs. On ne rencontre pas quotidiennement, en cuisine, des cas où le pH est important, mais parfois, on a intérêt à bien connaître cette notion, et notamment quand on veut maîtriser d'éventuels changement de couleur. Un artiste culinaire qui voudrait du bleu avec du chou rouge doit maîtriser le pH afin d'avoir afin d'éviter d'avoir du rouge à la place du bleu qu'il souhaite.
6. Finalement, apprenons le maniement de nos bandelettes de papier pH, puisque c'est une sorte de jeu élémentaire. On tire un petit bout de papier d'un rouleau sur lequel sont indiquées des couleurs avec des numéros 0, 1, 2, 3... jusqu'à 14. Pour utiliser le papier pH, on en prend donc quelques centimètres et on le trempe dans un liquide qui peut l'imprégner : le papier change de couleur, et l'on compare celle-ci à une gamme qui figure sur le boîtier du papier pH : c'est ainsi que, si l'on trempe le papier pH dans du vinaigre blanc, alors on verra la couleur du papier changer et, en comparant avec le code couleur sur la boîte du papier pH on verra que la couleur de la bandelette est entre celle du 2 et du 3 : le pH du vinaigre cristal est compris entre 2 et 3. Si l'on avait fait la même expérience avec une solution de bicarbonate de sodium, alors on aurait observé que la solution de bicarbonate a un pH d'environ 11 à 12.
7. Et maintenant, à vous : broyez tous les ingrédients que vous verrez dans la cuisine, et trempez-y des bandelettes de papier pH, pour avoir une idée du pH de ces ingrédients (en n'oubliant pas que les dilutions rendent les acides moins acides, et les bases moins basiques).
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