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samedi 17 février 2024

Les bases : quelles bases ?

La cuisine n'est pas épargnée par les débats sur sa pratique, son évolution, son enseignement. 

Evidemment, il y a un lien important entre les trois champs. L'enseignement, notamment, doit former des jeunes cuisiniers qui ne soient pas "à la traîne" des établissements où ils vont travailler. Et l'ensemble doit évoluer, parce que la "nouveauté" est toujours un avantage concurrentiel. 

Autrement dit, l'enseignement doit être constamment réformé, parce que la technique évolue. Et comme l'éventail des possibilités est immenses, on ne peut pas tout enseigner, et il faut choisir. Que choisir ? 

Souvent, on me parle des « bases » de la cuisine, et l'on me dit qu'il faut que les jeunes aient des « bases ». Pourquoi pas, mais quelles sont ces bases ? Le rôtissage, sur le feu (ou, plus exactement, à côté) est-il une base ? Le fait que ce mode de cuisson ait quasiment disparu des cuisines a conduit à en supprimer l'enseignement, pour le remplacer, judicieusement je crois, par un enseignement de la "cuisson", en général. On est passé à la technologie, plutôt qu'à la technique. 

Cela dit, j'observe que certains cuisiniers rôtissent. La proportion de ces cuisiniers est minime, de sorte que nous sommes conduits à conclure que le "référentiel" (ce qui est exigible à l'examen) se fonde sur la fréquence des opérations. Et c'est notamment ce type de raisonnement qui a conduit à supprimer l'enseignement des opérations non pas périmées (le fait qu'elles existent montre que l’obsolescence n'est qu'en termes de fréquence, pas en terme de technique proprement dite). 

Autrement dit, c'est en termes de fréquences, d'une part, mais aussi de volonté de conserver un patrimoine, d'autre part, que nous devons réformer l'enseignement de la cuisine. De sorte que, selon cette ligne de raisonnement, nous devrions panacher un enseignement des techniques modernes et des techniques anciennes. 

La confection de quenelles est ancienne et patrimoniale : gardons-en l'enseignement... surtout qu'elles peuvent être faites par un robot. L'utilisation des siphons est moderne (et fréquente) : introduisons-la. Certains professionnels font observer que le siphon est une fioriture, et qu'un bon fouet à l'ancienne permet de s'en tirer, en toutes circonstances. Oui, mais on pourrait également dire que quatre fourchettes permettent de remplacer un fouet. Ou encore, on me dit que l'emploi de l'alginate de sodium est secondaire, et que la confection de gels de gélatine à partir du pied de veau permet de s'en tirer... à quoi je réponds qu'il est plus facile de trouver dans les commerce de la gélatine et de l'alginate de sodium que du pied de veau. Et que l'alginate se trouve, avec l'agar-agar, dans toutes les cuisines. On me dit que les appareils pour cuire à basse température ne sont pas partout... à quoi je réponds qu'il suffit d'une cocotte et d'un four bien réglable pour cuire à basse température. De toute façon, ce type d'argument ne tient pas : oui, de même, on pourrait dire que l'ordinateur ne s'impose pas à l'école, puisque, en cas de panne d'électricité, un crayon fait l'affaire. Certes, mais l'expérience prouve que nous avons tous des ordinateurs. 

Enfin, pensons à la cuisine en terme de ces fameuses "bases". Si l'on met de côté la cuisine note à note, qui reste très novatrice, il est exact que nous mangeons surtout des tissus animaux et végétaux traités thermiquement. C'est une base. D'autre part, il y a des sauces (salées ou sucrées : le sucre est l'élément différenciant essentiel), qui sont toutes fondées sur les mousses, les émulsions, les gels, les suspensions... Ce sont donc des bases. Plus exactement, les diverses sauces ne sont pas des bases, et ce sont les systèmes physico-chimiques que sont mousses, émulsions, gels, suspensions... qui sont des bases. Ne devrions-nous pas les enseigner en priorité ?

mardi 14 novembre 2023

La cuisine, statistiquement



Dans Mon histoire de cuisine, j'ai discuté la question de 14 commandements de la cuisine, ce que je nomme personnellement les bases de la technique culinaire. C'est un message d'espoir qu'il n'y ait que 14 phénomènes essentiels à considérer, contre bien plus si l'on reste au niveau culinaire.
Cependant, j'aurais également pu examiner les transformations culinaires en termes statistiques, et comprendre que nous mangeons essentiellement des tissus végétaux (fruits, légumes) ou animaux (oeufs, viandes, poissons).
Ainsi,  au-delà de préparations particulières telles que les sauces, il y a d'abord lieu de se préoccuper de ses cuissons-là.

Pourquoi la cuisson ? Parce que l'on assainit biologiquement et chimiquement, que l'on change  la consistance, que l'on augmente la bio-activité des nutriments et que l'on donne du goût.
Pour l'assainissement biologique, il faut considérer que les tissus animaux et végétaux sont contaminés à l'extérieur par des micro-organismes pathogènes, et à l'intérieur par les parasites. Un traitement thermique peut inactiver les deux types d'organismes nuisibles à notre santé.
D'autre part, le traitement thermique peut rendre comestibles certains ingrédients (pensons aux haricots) en dégradant  certains composés toxiques naturellement présents, telles les lectines (hématoagglutinantes).  
Pour la question de la consistance, il y a des cas où l'on veut l'augmenter, tel l'oeuf que l'on fait coaguler, et des cas où l'on veut le réduire, telles des tissus végétaux très durs. L'amollissement que provoque la cuisson  a pour effet une augmentation de la bioactivité des nutriments :  certains composés présents dans les tissus végétaux ou animaux sont peu assimilés quand ces tissus sont crus, mais ils  sont bien plus disponibles quand les tissus sont cuits. Par exemple, c'est le cas de composés tels que le bêta-carotène les carottes, par exemple, ou encore des sucres et des acides aminés. Il a été proposé que l'espèce humaine ait évolué par rapport aux grands singes parce que  le fait de manger des aliments cuits permettait de gagner du temps sur des mastications interminables.
Enfin la cuisson change le goût, et c'est un fait que nombre de mammifères préfèrent le goût des aliments cuits à celui des ingrédients crus.

La "cuisine", c'est ainsi d'abord la cuisson des tissus végétaux ou animaux. La cuisson ? Cela correspond à un traitement thermique, qui peut se faire de différentes façons : par conduction, par rayonnement, par des réactions avec des composés variés (sel, sucre, éthanol, acide, base).
Pour la conduction, elle peut se faire  par contact avec un solide chaud, un gaz chaud, un liquide chaud, qui peut être soit une solution aqueuse, soit une huile. Selon les procédés, on chauffe  une face seulement de l'aliment, comme dans les friture plate, ou au contraire plusieurs faces, comme pour dans un rôtissage ou dans une friture.  Et, dans tous les cas, l'effet est le même :
- pour les viandes : dissolution du tissu collagénique, coagulation des protéines des fibres musculaires, pertes éventuelles dans le milieu de cuisson
- pour les légumes : amollissement du tissu végétal par dégradation des pectines des parois végétales.

Voilà des "bases" simples et utiles ! 




samedi 17 décembre 2022

L'étendue de notre ignorance est incommensurable, mais le goût de l'étude est notre salut

 

Je me souviens que, quand je suis arrivé à la revue Pour la science, je savais déjà des choses assez fondamentales (par exemple, je n'avais pas de difficulté à discuter la question de "dérivées non entières", je connaissais l'existence du wronskien, les théorèmes de Stokes ou Ostrogradsky, les règles de sélection, etc.)... mais l'étendue de mes ignorances était considérable.

Par exemple, la géométrie ayant largement disparu de mes cours de mathématiques (puisque c'était l'époque des mathématiques modernes), mes lacunes en matière de construction à la règle au compas étaient complètes ; je ne connaissais pas les verres de spin ; j'avais un très faible connaissance des complexes en chimie, et ainsi de suite.

Malgré la lecture assidue de revues de vulgarisation, malgré des intérêts extrascolaires, je vois rétrospectivement mes connaissances d'étudiant comme une sorte de spectre de raies entre lesquelles il y avait donc du vide.
Et les lectures ont progressivement comblé des lacunes terribles.

Tout cela pour observer qu'il y a des "bases", et des connaissances qui viennent se poser dessus. Mais quelles bases avons-nous intérêt à avoir ?

Certainement :  lire, écrire et compter... mais, plus fondamentalement, il faut avoir le goût de l'étude, qui fera l'essentiel du chemin.
Oui,  pour ne pas mettre la charrue avant les bœufs, les professeurs doivent moins se préoccuper  des matières dont ils ont la responsabilité (je ne dis pas "charge", parce que c'est un privilège) que de transmettre l'envie d'aller chercher ces matières.

Cela se passe par le fait de montrer à nos jeunes amis que l'étude est quelque chose de passionnant et qu'il y a lieu d'être en confiance, de ne pas penser que cela soit difficile.

Autrement dit, quel que soit le domaine, mathématiques, physique, chimie, et cetera, il faut montrer les beautés, d'abord ; montrer combien tout cela est amusant, excitant,combien les outils intellectuels qui ont été forgés par nos prédécesseurs sont puissants.

lundi 12 décembre 2022

Les macromolécules, mais c'est très simple

 
Dans la série des matières que l'on rencontre en cuisine, il me faut maintenant considérer des systèmes qui sont faits de molécules, certes, mais des molécules faites d'un très grand nombre d'atomes, ce que l'on nomme des macromolécules.

Disons d'abord que ce fut un progrès extraordinaire de la chimie, quand on finit par admettre l'existence des macromolécules. Et un progrès récent : il ne date que de 1922, quand elle fut introduite par le chimiste allemand Hermann Staudinger.

Pour bien comprendre ce dont il s'agit, considérons une petite molécule qui pourrait réagir avec une molécule identique à elle-même. Si la molécule formée, environ deux fois plus grosse que la molécule initiale, peut réagir encore avec une petite molécule identique à la petite molécule initiale, alors on obtient une molécule environ trois fois plus grosse que la molécule initiale. Et ainsi de suite, avec des enchaînements résultat de la réaction de dizaines, de centaines, de milliers, etc. de copies de la molécule initiale : l'assemblage moléculaire peut devenir énorme, et c'est cela, une macromolécule.

Où trouve-t-on des macromolécules, en cuisine ? Dans bien des matières, mais, notamment, dans ce que l'on nomme des  "matières plastiques".

dimanche 11 décembre 2022

Les bases de la chimie : les métaux


En cuisine, il y a des ingrédients et des matériels.

Dans des billets précédents j'ai parlé de la constitution des ingrédients : de quoi le sel, le sucre,  l'eau,  le beurre, etc. sont ils faits ? Et la réponse était : d'atomes, regroupés (pour l'eau, pour le sucre) ou non (le sel) en molécules.

Mais je n'ai pas encore parlé des matériels, qui, pourtant, sont également faits d'atomes.

Dans les métaux, les atomes ne sont pas groupés en molécules, mais ils sont quand même groupés en métaux.

Pas de raison de nous surprendre : nous avons déjà   vu des atomes qui n'étaient pas groupés en molécules dans le cas du sel : dans les cristaux de sel, les atomes de chlore et les atomes de sodium forment un empilement régulier (ce que l'on nomme un  cristal), en se liant grâce à l'échange de particules nommées électron.
D'ailleurs, nous avons vu que l'on nommait "ions" des atomes qui ont perdu ou gagné des électrons.

Pour les métaux, c'est un peu différent mais il n'en reste pas moins qu'un morceau de fer, c'est une collection d'atomes de fer, liés ensemble non pas par l'échange d'électrons mais par la mise en commun de certains de leurs électrons, en une sorte de grand nuage.

De même, dans un morceau de cuivre, il y a un très grand nombre d'atomes de cuivre qui ont mis en commun certains de leurs électrons, ce qui forme une sorte de grand nuage autour des atomes, dans le bloc et autour.

De même pour du zinc, pour de l'aluminium, de l'argent, de l'or, du vanadium, du cobalt, du nickel...

Reste que toutes ces matières sont faites d'atomes. Pas des atomes regroupés en molécule comme pour le sucre ou pour l'eau,  mais,  quand même, des atomes.

vendredi 9 décembre 2022

 La décantation



La décantation ? C'est une opération physique et non chimique.

La décantation est un procédé utilisé en cuisine depuis longtemps. Par exemple, si l'on réunit de l'eau et de l'huile dans un récipient, nous savons tous bien que l'huile viendra flotter à la surface de l'eau.
Il suffit donc d'incliner doucement le récipient contenant l'eau et l'huile pour que s'écoule d'abord l'huile, et que l'on ne conserve que l'eau dans le récipient.
La séparation est une décantation.

De même, quand il y a des particules qui sédimentent au fond d'un liquide, on peut effectuer une décantation, en inclinant le liquide pour récupérer le liquide qui surnage.

La décantation est un procédé très ancien qui, dans la mesure où l'on chauffe pas, ne s'accompagne pas de réarrangement d'atomes en molécules nouvelles : les molécules initialement présentes, d'eau d'une part et d'huile d'autre part,  dans le premier des exemples considérés, restent des molécules d'eau ou des molécules d'huile.
Il y a à la fin, en deux groupes séparés certes, les mêmes molécules qu'au début.
De même pour l'exemple de la décantation du liquide avec les particules solides : les molécules du liquide ne changent pas au cours du procédé, et les particules solides, également, restent identiques à elles-mêmes.

Car on a dit il y a juste titre que la chimie est la "science du feu" : cela signifie que les modifications qui ont lieu lors de réactions étudiées par la chimie sont d'une énergie comparable à celle d'un chauffage.

Et il est vrai que si l'on chauffe du sucre, ou du fer réduit en poudre, ce que l'on nomme de la limaille de fer, alors il y a des rangements des atomes : le sucre caramélise, parce que les atomes des molécules de saccharose du sucre se réorganisent. Et, dans le deuxième cas, le dioxygène de l'air vient réagir avec les atomes de fer pour former des oxyde de fer : le dioxygène a été transformé, le fer aussi. Et c'est cela qu'étudient les chimistes, raisons pour laquelle on peut parler de "réactions chimiques" (mais quand les chimistes n'étudient pas les réactions, ce sont seulement des réactions moléculaires, ou des réarrangements d'atomes).

mercredi 2 mars 2022

Acides et bases

 
C'est un fait que la chimie, historiquement, s'intéressa très tôt aux "acides" et aux "bases", que l'on nommait jadis des "alcalis".

En effet, très tôt, alors que la chimie n'était encore que de l'alchimie, on avait observé que le vinaigre avait une saveur agressive, "acide", et, très tôt, on avait observé qu'il y avait ce même type de saveurs dans divers ingrédients de la cuisine : dans une pomme verte, dans un citron par exemple.

Mais on sait que les chimistes ont "l'intelligence du feu" : ils trituraient, dissolvaient, broyaient, distillaient, calcinaient... Et c'est ainsi que, quand on chauffe vivement certains composés, il se dégage des vapeurs que l'on peut  percevoir acides.
Ou encore, certains produits de distillations avaient aussi une saveur acide.

Puis, après bien des travaux et des découvertes, les chimistes ont découvert que certaines matières végétales, tel des pétales de fleurs, changent de couleur en présence de ces corps acides;
Et c'est ainsi que les chimistes en vinrent à utiliser des pétales de violettes broyés dans de l'eau comme "indicateurs colorés" : cela leur permettait de voir la présence des acides sans avoir à goûter des matières qui pouvait être dangereuses.

A la même époque environ, les chimistes identifièrent les alcalis, par exemple la lessive de cendres que l'on récupère en filtrant de l'eau où l'on a mis des cendres. Cette fois,  la saveur n'était pas acide, mais "savonneuse" : ce fut la découverte les alcalis, que l'on nomme aujourd'hui des bases. Il y eut l'ammoniaque, la soude, la potasse...

Puis on découvrit que le mélange d'un acide et d'une base produit un sel.
Le bon exemple est celui qui consiste à mélanger de l'acide chlorhydrique et de la soude : à condition que les quantités soient bien choisies, on obtient une solution de sel. Oui, de ce chlorure de sodium qui est celui de la mer ou des mines de sel gemme !

Puis, on découvrit d'autres "sels", tels ceux qui sont dans les eaux de boisson, où jouxtent des "ions" nitrate, sulfate, sodium, potassium, chlorure, magnésium... Ce sont ces ions qui donnent leur goût aux diverses eaux, mais cela est une autre histoire,  pour une autre fois.

dimanche 12 décembre 2021

Il y a lieu d'être simple et explicite ; non pas une fois, mais sans cesse, chaque fois, répétitivement...



Quand on explique un point scientifique, il y a lieu d'être simple et explicite, mais non pas une fois seulement. Non, sans cesse, chaque fois, répétitivement, et j'insiste parce que ce "répétitivement" nous oblige à nous... répéter. Or nous avons souvent le sentiment que nous perdons notre temps à cela. Pourtant nos efforts d'explication sont vains si nous oublions précisément de nous répéter, pour donner les "bases" sans lesquelles nous ne serons pas compris.

Je refais, pour moi,  aujourd'hui, l'analyse de quelques épisodes récents, soit de séminaires, soit de cours à l'université, soit de présentations plus grand public, et je comprends que j'ai souvent tenu un discours trop compliqué, parce qu'il manquait ce qu'on peut nommer les bases.
Parfois, c'était simplement l'existence des molécules que mes interlocuteurs ignoraient.
Parfois c'était la constitution atomique des molécules. Et là, je faisais l'hypothèse implicite et erronée que cette constitution était sue dès le collège ; or si le collège a bien eu pour mission d'enseigner cette constitution, ce n'est pas une certitude que cet enseignement ait été reçu !
Parfois mes interlocuteurs ignoraient la composition chimique de certaines matières, alors cette composition me semblait  "évidente" parce que je la connais depuis longtemps. Par exemple, je trouve "élémentaire"  que le blanc d' œuf soit fait de 90 % d'eau et de 10 % de protéines... mais pourquoi d'autres que moi le sauraient-ils ?
Parfois les données de base qui manquaient à mes interlocuteurs étaient plus "avancées", qu'il s'agisse de la loi d'Ohm, de l'expression du potentiel chimique, de la valeur de l'intégrale d'une gaussienne...

Bref, je faisais des hypothèses mal ajustées, à propos des connaissances de base des personnes auxquelles je voulais expliquer quelque chose.
Or, pour nous adresser efficacement à nos interlocuteurs, il faut que nous soyons clairs, et ce mot me fait aussitôt revenir en mémoire cette phrase de l'astronome François Arago : "La clarté est la politesse de ceux qui s'expriment en public".

Cela a comme conséquence que chaque fois que nous expliquons un point scientifique, ce qui est constant pour un scientifique (avec des articles, avec des enseignements, et cætera), nous devons redonner ce que nous nommons les bases, car nous devons faire l'hypothèse qu'elle ne sont pas connues.

Bien sûr, redonner les bases allonge considérablement le discours et oblige à concevoir un long chemin explicatif avant d'arriver au point précis auquel nous voulons parvenir avec nos interlocuteurs.

Cela a aussi pour conséquence qu'il faut d'abord présenter clairement ce chemin, et l'on se souvient peut-être  des cartes que j'avais proposées (https://hervethis.blogspot.com/2019/07/la-cartographie-mission-du-professeur.html). 




Puis, le chemin présenté, il faudra le parcourir correctement avec nos interlocuteurs : assez lentement pour qu'ils puissent nous suivre, sans sauter une étape...

Sans quoi, nos entreprises explicatives sont inutiles.

Bref, je (me) propose de ne jamais oublier que nous risquons,  à chaque explication que nous donnons, de faire l'impasse sur des informations sans lesquelles tout notre discours sera incompréhensible.

Plus positivement : parcourons lentement et régulièrement les chemins explicatifs... sans oublier de cueillir des fleurs en chemin, et de les offrir à nos amis qui nous accompagnent.

lundi 1 juin 2020

A propos de changements de couleur en cuisine


1. Cela fait des siècles que l'on a observé que certains ingrédients culinaires changeaient de couleur selon le milieu où ils étaient placés.
Par exemple, le chou rouge peut virer du rouge ou bleu, mais également des fleurs broyées, des fruits rouges ou noirs...  et c'est ainsi que, dès le 18e siècle, les chimistes ont appris à utiliser du "sirop de violette", comme ils le nommaient, pour détecter les "acides" et les "alcalis", ce que nous nommons aujourd'hui plutôt des bases.
Et c'est un fait que broyer des pétales de violette dans l'eau conduit à une solution colorée, dont la couleur change selon qu'on y ajoute par exemple du vinaigre ou du bicarbonate de sodium.


2. Vu la rareté (relatives) des violettes et l'abondance du chou rouge, on fera plutôt l'expérience de la façon suivante  : on prend quelques feuilles d'un chou rouge (de ces feuilles abîmées que l'on jette souvent), on découpe ces dernières en morceaux aussi petits que possible, que l'on broie dans l'eau, et l'on filtre la solution obtenue dans un filtre à café.
On récupère alors une solution colorée, à laquelle on peut s'amuser à ajouter soit du vinaigre, soit du bicarbonate. On observe, selon les conditions, du bleu ou du rouge. Et, en alternant l'ajout des deux composés, on peut observer que ces changements de couleurs sont réversibles.

3. Ce sont les acides et les bases qui sont ici en cause. Pour les acides, on connaît le vinaigre cristal, qui est une solution presque réduite à de l'eau et à un acide nommé acide acétique. Mais les aliments contiennent aussi de l'acide tartrique, de l'acide malique (dans les pommes vertes, par exemple), de l'acide citrique (dans les citrons et oranges, par exemple), de l'acide ascorbique (ou vitamine C)... Pour les bases, elles sont plutôt moins fréquentes : on peut trouver la potasse, ou hydroxyde de potassium dans des "lessives de cendres", obtenues par filtration de cendres de cheminée et d'eau, mais en règle générale, elles sont plutôt dans le placard à détergents, telles l'ammoniaque ou la soude caustique, pour déboucher les canalisations.

4. Mais revenons à notre sirop de violette, qui était utilisé jadis pour détecter acides et bases en chimie. Il s'obtenait  par broyage des fleurs dans l'eau, mais cela n'est guère pratique, et l'on a appris à fabriquer de petites bandelettes de papier, imbibées de composés analogues à ceux qui font la couleur des violettes, et que l'on nomme des "papiers pH". Ces bandelettes prennent des couleurs qui changent en fonction de l'acidité du milieu où on les trempe, et, même si elles sont remplacées aujourd'hui par des matériels électroniques nommés pH-mètre, elles ont constitué un progrès important en chimie, parce que l'on a progressivement eu accès à des mesures quantitatives, condition du développement scientifique.
Oui, on a progressivement appris à mesurer l'acidité et la basicité sur une  échelle comprise entre 0 et 14. Pour les cas les plus simples,  entre 0 et 7, ce sont les solutions acides, tandis que, entre 7 et 14, ce sont les solutions basiques Vers 0, ce sont des acides est très forts, très agressifs. A 7, c'est l'eau,  que l'on dit neutre. Et à 14, ce sont des bases, des alcalis très puissants, telles la soude ou la potasse concentrées,  où il ne ferait pas bon mettre à la main.

5. Ce qu'il faut préciser, quand même, c'est qu'un acide concentré, dangereux, devient anodin quand on le dilue beaucoup. Par exemple, un morceau de fer sera complètement dissous dans de l'acide chlorhydrique concentré, et cet acide - qu'il est hors de question de boire !- a un pH proche de zéro. Inversement, on se convaincra du danger de la soude caustique en y plongeant un morceau de viande : il sera complètement dissous !
Mais ces deux produits très dilués seront sans danger : si l'on s'y prend bien, l'acide chlorhydrique sera légèrement acidulé  et la soude fera une vague sensation savonneuse. D'ailleurs, le vinaigre est une solution d'acide acétique à 8 pour cent environ. Concentré, il serait terrible, mais dilué... c'est le vinaigre, lequel est moins acide que des framboises, où l'acidité est masquée par du sucre. C'est la raison pour laquelle le papier pH sera utile en cuisine : il viandra compléter le goût, pour avoir une mesure fiable de l'acidité "chimique", laquelle est la seule réellement capable de modifier les milieux, et les couleurs. On ne rencontre pas quotidiennement, en cuisine, des cas où le pH est important, mais parfois, on a intérêt à bien connaître cette notion, et notamment quand on veut maîtriser d'éventuels changement de couleur. Un artiste culinaire qui voudrait du bleu avec du chou rouge doit maîtriser le pH afin d'avoir afin d'éviter d'avoir du rouge à la place du bleu qu'il souhaite.

6. Finalement, apprenons le maniement de nos bandelettes de papier pH, puisque c'est une sorte de jeu élémentaire. On tire un petit bout de papier d'un rouleau sur lequel sont indiquées des couleurs avec des numéros 0, 1, 2, 3...  jusqu'à 14. Pour utiliser le papier pH, on en prend donc quelques centimètres et on le trempe dans un liquide qui peut l'imprégner : le papier change de couleur, et l'on compare celle-ci à une gamme qui figure sur le boîtier du papier pH : c'est ainsi que, si l'on trempe le papier pH dans du vinaigre blanc, alors on verra la couleur du papier changer et, en comparant avec le code couleur sur la boîte du papier pH on verra que la couleur de la bandelette est entre celle du 2 et du 3 :  le pH du vinaigre cristal est compris entre 2 et 3. Si l'on avait fait la même expérience avec une solution de bicarbonate de sodium, alors on aurait observé que la solution de bicarbonate a un pH d'environ 11 à 12.


7. Et maintenant, à vous : broyez tous les ingrédients que vous verrez dans la cuisine, et trempez-y des bandelettes de papier pH, pour avoir une idée du pH de ces ingrédients (en n'oubliant pas que les dilutions rendent les acides moins acides, et les bases moins basiques).

dimanche 17 décembre 2017

Des commandements pour la cuisine

Dans Mon histoire de cuisine, je prends plusieurs pages pour expliquer chacun des commandements de la cuisine (j'en donne ici la version française et la traduction)



1. Le sel se dissout dans l'eau
2. Le sel ne se dissout pas dans l'huile
3. L'huile ne se dissout pas dans l'eau
4. L'eau s'évapore à toute température, mais elle bout à  la température de 100 degrés.
5. Le plus souvent, les aliments sont faits principalement d'eau (ou d'un autre fluide)
6. Les aliments sans eau ni autre fluide sont durs
7. Certaines protéines (dans les oeufs, la viande, le poisson) coagulent.
8. Le tissu collagénique se dissout dans l'eau quand la température est supérieure à  55 degrés.
9. Les aliments sont des systèmes dispersés
10. Certaines réactions (de Maillard, de Strecker, des oxydations, des caramélisations, des pyrolyses) engendrent des composés nouveaux
11. Quand une préparation blanchit, c'est souvent qu'il y a foisonnement ou émulsion
12. La capillarité fait migrer les liquides
13. L'osmose a lieu quand des liquides de concentrations différentes sont séparés par une membrane appropriée
14. Les composés peuvent migrer par diffusion

1. Salt dissolves into water
2. Salt does not dissolve into oil
3. Oil does not dissolve in water
4. Water evaporates at any temperature, but it boils at 100 °C.
5. Most often, fresh products are made primarily from water (or another fluid)
6. Food without water or another fluid are hard.
7. Some proteines (in eggs, meat, fish) coagulate.
8. The collagenic tissue dissolves in water when the temperature is higher than 55  °C.
9. Food are generally disperse systems
10. Some reactions (Maillard, Strecker, oxidations, caramemizations,  pyrolysisâ) generate new compounds.
11. When food becomes whiter, during a process, it's often that there is a foaming or emulsification.
12. Capillarity moves liquids
13. Osmosis takes place when liquids having different concentrations are separated by an appropriate  membrane.
14. Compounds can move through diffusion


























Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)