Pour expliquer les questions de chimie, j'ai fini par comprendre que rien ne vaut le recours à l'expérience.
On m'interroge "Quel est l'effet du pH sur les protéines en solutions aqueuses ?"
Pour répondre à cette question, rappelons d'abord que le pH est une mesure de l'acidité, ou, inversement, de la basicité. Entre 0 et 7, une solution est acide, et elle est basique si le pH est entre 7 et 14.
Et je préfère donc reformuler ainsi la question : si des protéines sont dissoutes dans de l'eau, comment se comportent-elles quand on change l'acidité ?
Expérimentalement, commençons, par exemple par mettre un œuf dans de la cendre, comme le font les asiatiques pour produire des "oeufs de longévité", ou "oeufs de 100 ans" : après plusieurs semaines, le blanc d'œuf est coagulé.
Pour interpréter cette expérience, il y a lieu de savoir que le blanc d'oeuf, tout d'abord, et une solution de protéines. Puis ajoutons que les cendres contiennent souvent de la potasse, ou hydroxyde de potassium, un composé basique.
Une expérience complémentaire consiste à mettre un œuf dans du vinaigre. Cette fois, après que le vinaigre a attaqué le calcaire de la coquille, qu'il l'a dissoute, on voit progressivement le blanc coaguler, sous l'action de ce vinaigre qui lui, est acide.
Autrement dit, cette solution aqueuse de protéines qu'est blanc d'oeuf, fait de 90 % d'eau et de 10 % de protéines, coagule parce que les protéines sont "dénaturés", soit par les acides, soit par les bases.
Dénaturées ? Il faut expliquer que les molécules des protéines sont parfois comme des pelotes. Et la "dénaturation" désigne tout changement de l'enroulement.
Évidemment, l'expérience qui est proposée ici ne vaut pas seulement pour les protéines du blanc d'oeuf: on peut la faire avec les protéines du jaune, par exemple, ou les protéines du lait. Par exemple, si l'on verse un jus de citron sur du lait chaud, on le voit "cailler", coaguler en formant non pas un gel régulier mais de petits agrégats.
Ces réactions se généralisent à d'autres protéines, notamment les actines et les myosines qui forment l'intérieur des fibres musculaires dans les viandes et les poissons
Plus en détail, reprenons l'idée donnée plus haut, à savoir que les protéines sont des composés dont les molécules peuvent-être, pour les protéines globulaires notamment, comme des fils microscopiques repliés sur eux-mêmes en pelotes.
Pour nombre d'entre elles un changement de pH conduit à l'apparition de charges électriques, et les répulsions entre charges électreiques de même signe conduisent à un débobinage de la structure moléculaire.
Quand les protéines contiennent des résidus d'acide aminés appropriés (notamment des résidus de cystéine), alors les protéines peuvent se lier par des liaisons chimiques nommées ponts disulfures, comme ceux qui sont créés quand on cuit du blanc d'œuf.
Mais, en réalité, la coagulation met en œuvre toute une série de liaison chimiques différentes : liaisons hydrogène, interactions hydrophobes, forces de van der Waals, forces électrostatiques...
Les plus férus de chimie observeront que je n'ai pas parlé ici de pI, de point isoélectrique : c'est parce que je préfère me consacrer au gros plutôt qu'aux détails et que d'autre part, les matières considérées en cuisine sont souvent des mélanges de nombreuses protéines qui ont des points isoélectriques particuliers, de sorte qu'il aurait fallu rentrer dans trop de détails pour arriver à une explication un peu utile.
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
lundi 22 décembre 2025
Les protéines et l'acidité
dimanche 20 septembre 2020
Une sauce qui tranche ?
science/études/cuisine/politique/Alsace/gratitude/émerveillement
1. On m'envoie une recette de sauce à l'orange qui tranche et l'on m'interroge sur les causes possibles de ce désastre.
2. On réalise cette sauce en pressant des oranges, puis en faisant réduire le jus à feu doux, avec des épices; ensuite on peut mettre un peu d'alcool, et on ajoute au dernier moment de la crème fraîche ou du beurre que l'on émulsionne.
3. La question est posée par un interlocuteur : pourquoi l'ajout de la crème fraîche conduit-il au tranchage ?
4. Une "autorité" (?) répond dans un journal féminin que soit le mélange d'ingrédients n'a pas été suffisamment réduit, soit la crème a précipité en raisons de l'acidité du liquide, soit la crème n'a pas été mélangée correctement, soit enfin il y a eu un choc thermique, la crème ayant été sortie du réfrigérateur et mise directement dans la sauce au dernier moment.
5. Au fond, cette réponse est idiote, parce que tout ou presque est évoqué... alors que quelques principes simples auraient permis d'y voir vraiment plus clair, et d'aider nos amis dans le souci.
6. Commençons par balayer l'explication du "choc thermique", car cela n'a généralement aucun sens. Cela fait chic d'utiliser cette expression, mais en général les gens qui l'utilisent ne savent même pas à quoi ça correspond, sauf peut-être à dire que il y a eu du froid et du chaud. Et alors ?
7. L'acidité ? Certainement oui : la crème tranche quand elle est mélangée à un acide, et cela se produit avec le jus de citron, mais aussi avec le jus d'orange ou le jus de framboise, etc., puisque souvent ces produits sont très acides : en bouche, cette acidité très réelle n'apparaît pas, parce qu'elle est contrebalancée par du sucre, mais cette acidité réelle fait tourner la crème, tout comme elle ferait tourner du lait (mettez donc un jour du jus de citron dans du lait chaud ).
8. La réduction ? Il n'est pas certain qu'elle change l'acidité, car les acides présents que sont l'acide ascorbique, l'acide citrique, etc. ne s'évaporent pas lors de la réduction. Tiens, j'y pense : savez-vous que l'on peut réduire cette acidité à l'aide de bicarbonate ? Son ajout conduit à la formation d'une mousse sans importance, et on sale un peu... mais comme très peu de bicarbonate est nécessaire, il y a peu de sel ajouté.
9. Le "mauvais mélange" de la crème ? Ce n'est certainement pas une cause de tranchage de la crème. Certes, c'est la cause des émulsifications insuffisantes, mais le phénomène n'est pas celui qui est discuté ici.
10. La présence d'alcool, elle, n'est pas discutée, mais elle conduit à des modifications de la crème, et à sa déstabilisation.
11. Bref, on est irréfutable quand on imagine plein de causes possibles... mais on ne répond pas à la question.
En revanche, pensons à l'acidité quand on utilise de la crème... car c'est bien l'acide dans les produits laitiers qui est à l'origine des yaourts, des fromages...
samedi 30 décembre 2017
Luttons contre les escrocs en dénonçant leurs baratins nauséabonds
« Mangez des citrons, car ils sont amers et donc basiques. Et surtout pas d’oranges car elles sont acides ». C'est honteux !
Le même escroc dit "Les protons entrent dans les atomes, font gonfler les molécules et après ça bloque les organes".
C'est honteux, à nouveau.
Dans les deux cas, les phrases disent des choses fausses. D'une part, les citrons ne sont pas basiques, mais acides. Les oranges sont acides, mais pas plus que les citrons. Les protons ne peuvent pas "entrer dans les atomes", car ils y sont déjà, et, pour faire entrer un proton dans un atome, il faut une énergie considérable. Avec des aliments, impossible ! Et, donc, impossible de faire gonfler les molécules en y injectant des protons. Enfin, une molécule "gonflée" ne peut pas bloquer un organe. Bref, c'est du baratin habillé de mot scientifique que l'escroc soit ne comprend pas, soit comprend et utilise malhonnêtement.
Tout cela étant dit, il faut maintenant expliquer des choses justes.
Commençons par l'acidité. Au début, c'est une sensation : quand on boit une (petite) gorgée de vinaigre, quand on goûte du jus de citron, ou d'orange, du raisin vert, etc., on perçoit une sensation acide, un peu piquante, mais bien différente du piquant du poivre ou du piment.
Progressivement les chimistes ont compris que certains corps sont acides quand ils peuvent libérer dans de l'eau des atomes d'hydrogène ayant perdu un électron, un proton, donc... mais un proton qui n'est pas isolé : il est entouré d'un nombre notable de molécules d'eau. Inversement, un corps est basique quand il peut capter un tel proton hydraté.
Un exemple : quand on brûle du dichlore gazeux (un gaz verdâtre) et du dihydrogène (que l'on peut produire en faisant l'électrolyse de l'eau), on obtient un gaz nommé chlorure d'hydrogène, avec des molécules faites d'un atome d'hydrogène lié à un atome de chlore. Si l'on met ce gaz au contact de l'eau, il se dissout, et les molécules de chlorure d'hydrogène se dissocient, en atomes d'hydrogène qui s'hydratent et en atomes de chlore qui s'hydratent. On obtient une solution d'acide chlorhydrique.
Une telle solution est acide : quand on la goûte (attention : il faut qu'elle soit diluée), on perçoit une sensation acide.
Les chimistes ont appris à ne plus goûter les solutions acides pour savoir de combien elles sont acides, et ils ont établi une échelle d'acidité, nommée pH. Pour faire simple, on mesure l'acidité entre 0 et 7. Le pH égal à 0 correspond à des solutions très acides. Le pH égal à 7 correspond à l'absence d'acidité, la "neutralité" : l'eau pure.
Pour des pH supérieurs à 7, entre 7 et 14, les solutions sont "basiques" : c'est le cas des solutions de bicarbonate de sodium, de soude, de potasse. La sensation de ces solutions est très particulier, et j'invite tous mes amis à goûter une fois une pincée de bicarbonate de sodium : c'est sans danger, et l'on perçoit bien ce qu'est une basicité.
On observera que la mesure de l'acidité, et la perception en bouche de l'acidité ne correspondent pas, comme le montre l'expérience suivante : si l'on goûte du vinaigre, c'est une perception très acide. Si l'on mesure cette acidité, on trouve une valeur de 2 environ. Puis, si l'on ajoute une grande quantité de sucre à ce vinaigre, on obtient une solution assez agréable, dont l'acidité est très faible... mais si l'on mesure l'acidité, on voit qu'elle n'a pas changé.
C'est pour cette raison que l'on perçoit difficilement la vraie acidité (mesurée) des fruits : par exemple, des framboises peuvent avoir un pH égal à celui du vinaigre, sans paraître acides, parce qu'elles contiennent du sucre.
Le citron ? Très acide. L'orange ? Aussi acide que le citron, mais elle apparaît moins acide, parce qu'elle contient du sucre.
Et l'amertume, dans cette affaire ? Rien à voir ! L'amertume est une sensation que l'on a avec certains composés comme la quinine des Schweppes, ou l'alpha-humulone de la bière, par exemple.
Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)
vendredi 29 décembre 2017
Corriger des acidites excessives ou insuffisantes
Bonjour M. This,
J'espère que vous allez bien. J'ai fabriqué de la saucisse aux choux avec principalement 50% de filet de porc fumé et 50% de chou déjà fermenté. A côté des épices, j'ai mis pour 2kg de farce 3 cs de jus de citron.
Je trouve cette saucisse pas assez acide malgré le jus de citron ajouté et je me demande comment faire pour augmenter l'acidité sans trop ajouter de liquide qui dilue la farce. Cela revient probablement à trouver un moyen de faire fermenter le chou dans la farce avant l'embossage ou après l'embossage, quand la farce mûrit dans la saucisse.
Si vous avez une idée, je l'essaie volontiers.
Ma réponse :
A ce jour, on n'a pas encore assez joué avec les acides et les bases en cuisine : acide tartrique, acide citrique, acide lactique, acide ascorbique... et acide lactique, qui est formé lors de la fermentation du même nom.
Ici, pas d'hésitation : ajoutons de l'acide lactique, pour avoir l'acidité... et si l'on en avait mis trop, corrigeons avec du bicarbonate de sodium.
Faut-il avoir peur de ces jeux ? D'abord, quelques bandelettes de papier pH pourront servir de contrôle. Ensuite, on utilisera évidemment des acides et des bases de qualité alimentaire.
Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)
