Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
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vendredi 3 juillet 2020
Une amusante question à propos des rapports entre la science et l'industrie
Ailleurs, j'ai décrit un tableau à cinq colonnes pour mieux coordonner les relations de la science et de l'industrie.
En substance, j'y dis que la science doit produire des connaissances nouvelles, et non pas faire le travail de l'industrie, même si on lui propose de l'argent pour cela. En revanche, il est inutile que l'industrie fasse de la science, puisqu'elle la subventionne par ses impôts, mais c'est un gâchis si elle n'utilise pas les résultats (publics) de la science pour faire de l'innovation.
Et dans le cadre de contrats particuliers, on peut t'imaginer que les scientifiques et les industriels se retrouvent pour imaginer ensemble des applications des résultats scientifiques. L'investissement en temps et compétence des scientifiques, lors de ces collaborations, doit évidemment être assorti d'une rétribution du laboratoire par les industriels qui feront tout usage des connaissances et des compétences des scientifiques.
M'arrive aujourd'hui le cas amusant -mais ce n'est pas la première fois que je le rencontre et c'est pour cela que je l'évoque- d'un étudiant qui est en stage de fin d'études dans une société industrielle et qui me consulte à propos du sujet -technologique donc- qui lui a été confié.
Cet étudiant ayant assisté à mes cours, il a compris que j'étais capable de résoudre le problème qui lui a été confié, même si c'est un problème technologique, et donc en dehors du champ scientifique auquel je dois me consacrer.
Cet étudiant me demande de l'aider à résoudre le problème posé.
Bien sûr, mon bon cœur, et peut-être un atavisme d'enseignant, pour lequel une question d'un étudiant est un torchon rouge devant le taureau, me poussent à l'aider. Mais faut-il vraiment que je fasse cela ?
Si je résolvais son problème (et c'est facile pour moi), alors l'industriel qui emploie cet étudiant recevrait à titre gratuit l'information technologique que je lui donnerais... sans que mon laboratoire reçoive rien en échange : ce serait injuste... et l'argent de l'état serait mal employé, puisque mon temps et ma compétences seraient donnés dans un cadre non légal.
Il y a donc lieu de cadrer les choses : puisque l'étudiant est mandaté par l'industriel, ce n'est plus un de mes étudiants, mais un personnel de la société qui l'emploie. D'ailleurs, l'étudiant ferait une faute professionnelle en me confiant les données du problème, car cela relève de la confidentialité industrielle à laquelle il s'est sans doute engagé !
Pour me donner de l'information, l'étudiant doit me faire signer un contrat de confidentialité... que je ferais assortir d'une rétribution (à mon laboratoire) de mes temps et compétences.
Bref, il y a lieu de ne pas nous comporter, ni moi ni lui, comme les professeur et étudiant que nous étions, parce que nous ne sommes plus cela. Il est maintenant un employé de l'industrie, et je suis un chercher, et non plus un professeur.
Moralité : parce que je suis "aimable", j'ai envoyé à l'étudiant des documents publics, à savoir ceux que je distribue lors de mes cours, et qui ont un rapport avec le problème posé, et j'ai engagé mon jeune ami à proposer à sa hiérarchie de me proposer un contrat de collaboration.
J'ajoute d'ailleurs que j'ai indiqué qu'il serait plus intéressant pour l'industriel de payer une thèse qu'une rémunération sèche : lors de la thèse, le doctorant sera formé, de sorte que l'industrie récupérera à la fois des résultats de la thèse et d'un personnel (bien) formé.
samedi 16 mars 2019
Le carré de Pasteur : ne gardez aucun souvenir de cette image pernicieuse, et voyez plutôt celle que je produis en fin de bille
Ce matin, je retrouve cette image, dont je ne sais plus d'où elle sort, en tout cas pour la version française, et j'en suis très mécontent. Mais, écrivant un terme négatif, je m'en veux aussitôt, non pas de mon jugement, mais de ne pas avoir présenté du positif à mes amis... de sorte que, en fin de billet, l'analyse étant faite, je donnerai un carré plus juste. Entre temps, j'aurai expliqué pourquoi Louis Pasteur lui-même n'aurait guère apprécié l'idée transmise derrière l'image que voici :
Il s'agit de "financer la recherche". Dont acte... mais quand même, cela vaut sans doute la peine que nous nous arrêtions sur le mot "recherche", qui est une porte ouverte à toutes les âneries, toutes les confusions. Non pas que la "recherche" n'existe pas, mais surtout que c'est la possibilité de confondre science et technologie, et pourquoi pas ingénierie, ou génie, tant que nous y sommes. Chaque terme renvoie à une entité bien particulière, qui ne se confond pas avec les autres.
Commençons par éclaircir les choses :
- sciences de la nature : la recherche des mécanismes des phénomènes par une méthode expliquée moult fois ici, mais dont je redonne pour mémoire les grandes lignes :
- technologie : l'amélioration des techniques, souvent avec l'aide des résultats des sciences
- ingénierie : ensemble des fonctions allant de la conception et des études à la responsabilité de la construction et au contrôle des équipements d'une installation technique ou industrielle
- génie : ensemble des techniques concernant les travaux de déblaiement, de fortification, de l'aménagement des moyens de communication, des transmissions, puis par extension, la mise en œuvre de transformations moléculaires, par exemple.
Pour toutes ces activités, il peut y avoir de la "recherche", puisqu'on ne se contente pas de faire (sauf peut-être dans le génie), et qu'on cherche des moyens nouveaux de faire. D'ailleurs, un artiste aussi fait de la "recherche", mais pas de la recherche scientifique, bien sûr !
Puis, il y a la question du financement. Cette fois, on comprend que cela concerne soit des individus, soit des institutions, soit l’État. Ici, il s'agissait clairement d'une référence à l’État, et la question est de savoir où bien placer les financements donnés par l’État : à la science, ou à la technologie ?
"Choisir le bon carré" : rien que cette expression est minable... parce que cela me fait penser à ces questions d'enfant, à savoir "tu préfères la fraise ou la banane?", pour lesquelles ma réponse est invariablement "le cassis" ! Pourquoi l’État choisirait-il un seul carré ? Et pourquoi les quatre carrés ne s'imposeraient-ils pas ?
Recherche appliquée : si c'est appliqué, ce n'est pas de la science ! Et Pasteur lui-même a hurlé de rage une bonne partie de sa vie, s'évertuant à expliquer qu'il avait été initialement scientifique, quand il a fait ses travaux sur la chiralité (de l'acide tartrique, pour commencer), puis qu'il avait été conduit à quitter la science pour la technologie, la "recherche appliquée", avec la microbiologie, les vaccins... Oui, c'est Pasteur lui-même qui a bien distingué science et technologie, et aussi technique, tout comme le faisait bien Claude Bernard à la même époque (reconnaissant que la médecine est une technique, tandis que la recherche clinique est de la technologie, et la physiologie une science de la nature).
Mais ici, dans cette figure idiote, la "recherche appliquée" renvoie à la "recherche fondamentale"... et cette terminologie est détestable. En effet, la science n'est pas "fondamentale ; c'est la science. Et il n'y a pas d'opposition recherche appliquée-recherche fondamentale, mais une différence entre science et technologie. D'ailleurs, tant que nous y sommes, il faut signaler que la science et la technologie ne peuvent pas être mises sur un axe continu, car il y a solution de continuité entre les deux !
De ce fait, les travaux technologiques de Pasteur ne sont pas de plus grande "qualité" que ceux de Niels Bohr, et ceux de Pasteur ne sont pas plus "scientifiques" que ceux d'Edison.
Faut-il éviter une "zone" ? Comme l'organisation proposée ici est idiote, le "carré à éviter" n'est pas à éviter... puisqu'il n'existe pas.
Et, enfin, Pasteur n'est pas un "carré magique", parce qu'il conduirait à exclure les travaux scientifiques, dont on ne répétera pas assez qu'ils n'ont pas seulement la technique comme champ d'applications, mais aussi l’École (de la Maternelle à l'Université, et au-delà), la Culture, qui est l'honneur de l'esprit humain.
Bref, ce schéma est bête, pernicieux, à combattre. Faisons donc bien plus positif :
Ici, il y a la technique, qui produit nos biens et services, et dont l'Etat aurait intérêt à encadrer les productions de façon éclairée, avec encouragement. Il y a la technologie, qui prend les résultats des sciences, pour les faire passer en technique. L’État ne doit pas faire le travail lui-même, mais encourager le transfert, par des industriels (petits ou grands) qui s'enrichiront, produiront de l'emploi et de la richesse nationale. Là encore, de l'encouragement.
Enfin, il y a la science, qui n'est pas de la technologie, et qui est une activité d'appoint de l’État à la nation... et c'est donc seulement la case Bohr qui devrait être financée, en matière de production directe de l’État (par opposition à l'encouragement que j'évoquais précédemment). On observera que les trois activités représentées ici le sont au même niveau : je maintiens qu'un bon technicien est mieux qu'un mauvais scientifique, mais qu'un bon scientifique est mieux qu'un mauvais technicien. En réalité, on ne peut pas comparer des activités différentes !
Il s'agit de "financer la recherche". Dont acte... mais quand même, cela vaut sans doute la peine que nous nous arrêtions sur le mot "recherche", qui est une porte ouverte à toutes les âneries, toutes les confusions. Non pas que la "recherche" n'existe pas, mais surtout que c'est la possibilité de confondre science et technologie, et pourquoi pas ingénierie, ou génie, tant que nous y sommes. Chaque terme renvoie à une entité bien particulière, qui ne se confond pas avec les autres.
Commençons par éclaircir les choses :
- sciences de la nature : la recherche des mécanismes des phénomènes par une méthode expliquée moult fois ici, mais dont je redonne pour mémoire les grandes lignes :
- technologie : l'amélioration des techniques, souvent avec l'aide des résultats des sciences
- ingénierie : ensemble des fonctions allant de la conception et des études à la responsabilité de la construction et au contrôle des équipements d'une installation technique ou industrielle
- génie : ensemble des techniques concernant les travaux de déblaiement, de fortification, de l'aménagement des moyens de communication, des transmissions, puis par extension, la mise en œuvre de transformations moléculaires, par exemple.
Pour toutes ces activités, il peut y avoir de la "recherche", puisqu'on ne se contente pas de faire (sauf peut-être dans le génie), et qu'on cherche des moyens nouveaux de faire. D'ailleurs, un artiste aussi fait de la "recherche", mais pas de la recherche scientifique, bien sûr !
Puis, il y a la question du financement. Cette fois, on comprend que cela concerne soit des individus, soit des institutions, soit l’État. Ici, il s'agissait clairement d'une référence à l’État, et la question est de savoir où bien placer les financements donnés par l’État : à la science, ou à la technologie ?
"Choisir le bon carré" : rien que cette expression est minable... parce que cela me fait penser à ces questions d'enfant, à savoir "tu préfères la fraise ou la banane?", pour lesquelles ma réponse est invariablement "le cassis" ! Pourquoi l’État choisirait-il un seul carré ? Et pourquoi les quatre carrés ne s'imposeraient-ils pas ?
Recherche appliquée : si c'est appliqué, ce n'est pas de la science ! Et Pasteur lui-même a hurlé de rage une bonne partie de sa vie, s'évertuant à expliquer qu'il avait été initialement scientifique, quand il a fait ses travaux sur la chiralité (de l'acide tartrique, pour commencer), puis qu'il avait été conduit à quitter la science pour la technologie, la "recherche appliquée", avec la microbiologie, les vaccins... Oui, c'est Pasteur lui-même qui a bien distingué science et technologie, et aussi technique, tout comme le faisait bien Claude Bernard à la même époque (reconnaissant que la médecine est une technique, tandis que la recherche clinique est de la technologie, et la physiologie une science de la nature).
Mais ici, dans cette figure idiote, la "recherche appliquée" renvoie à la "recherche fondamentale"... et cette terminologie est détestable. En effet, la science n'est pas "fondamentale ; c'est la science. Et il n'y a pas d'opposition recherche appliquée-recherche fondamentale, mais une différence entre science et technologie. D'ailleurs, tant que nous y sommes, il faut signaler que la science et la technologie ne peuvent pas être mises sur un axe continu, car il y a solution de continuité entre les deux !
De ce fait, les travaux technologiques de Pasteur ne sont pas de plus grande "qualité" que ceux de Niels Bohr, et ceux de Pasteur ne sont pas plus "scientifiques" que ceux d'Edison.
Faut-il éviter une "zone" ? Comme l'organisation proposée ici est idiote, le "carré à éviter" n'est pas à éviter... puisqu'il n'existe pas.
Et, enfin, Pasteur n'est pas un "carré magique", parce qu'il conduirait à exclure les travaux scientifiques, dont on ne répétera pas assez qu'ils n'ont pas seulement la technique comme champ d'applications, mais aussi l’École (de la Maternelle à l'Université, et au-delà), la Culture, qui est l'honneur de l'esprit humain.
Bref, ce schéma est bête, pernicieux, à combattre. Faisons donc bien plus positif :
Ici, il y a la technique, qui produit nos biens et services, et dont l'Etat aurait intérêt à encadrer les productions de façon éclairée, avec encouragement. Il y a la technologie, qui prend les résultats des sciences, pour les faire passer en technique. L’État ne doit pas faire le travail lui-même, mais encourager le transfert, par des industriels (petits ou grands) qui s'enrichiront, produiront de l'emploi et de la richesse nationale. Là encore, de l'encouragement.
Enfin, il y a la science, qui n'est pas de la technologie, et qui est une activité d'appoint de l’État à la nation... et c'est donc seulement la case Bohr qui devrait être financée, en matière de production directe de l’État (par opposition à l'encouragement que j'évoquais précédemment). On observera que les trois activités représentées ici le sont au même niveau : je maintiens qu'un bon technicien est mieux qu'un mauvais scientifique, mais qu'un bon scientifique est mieux qu'un mauvais technicien. En réalité, on ne peut pas comparer des activités différentes !
dimanche 21 mai 2017
Ce matin, une étudiante qui prépare un exposé sur la cuisine note à note a des questions :
J'aimerais savoir si vous vous êtes lancé dans la recherche pour la cuisine par vocation ou par opportunité ou bien les deux ? Qui évalue vos recherches ? Comment les financez-vous (si cela n'est pas indiscret) ?
Allons y dans l'ordre :
1. J'aimerais savoir si vous vous êtes lancé dans la recherche pour la cuisine par vocation ou par opportunité ou bien les deux ?
Pour cette question, j'ai répondu mille fois, et l'on trouvera des réponses sur https://sites.google.com/site/travauxdehervethis/Home/vive-la-connaissance-produite-et-partagee/pour-en-savoir-plus/questions-et-reponses/questions-personnelles
Cela dit, si j'ai répondu comment j'ai versé dans la "gastronomie moléculaire" (utilisons les bons termes), je n'ai pas répondu exactement à la question posée de la "vocation" ou de l'"opportunité".
C'est là quelque chose qui mérite un peu de réflexion, et un usage correct de mots.
La vocation, c'est un appel de Dieu, puis, par extension, l'inclination, le penchant impérieux qu'un individu ressent pour une profession, une activité ou un genre de vie.
Dans mon cas, il est exact que, dès l'âge de six ans, quand j'ai reçu ma boite de chimie, j'ai immédiatement été fasciné par les sciences de la nature, la chimie mais aussi la physique, et les mathématiques ; je ne voyais pas de frontières entre les trois, même si la "chimie" m'était plus chère, parce que je trouvais (et je trouve encore) fascinant que les phénomènes macroscopiques s'expliquent en termes microscopiques, invisibles. Plus tard, j'ai été fasciné que le monde "soit écrit en langage mathématique", comme l'a dit Galilée (avec toutes les précautions nécessaires pour écrire une telle phrase, mais c'est une autre histoire).
Bref, j'étais passionné par les sciences de la nature... mais pas par la cuisine. Bien sûr, j'étais d'une gourmandise forcenée, au point que nous nous sommes enfermés pendant deux semaines pour ne faire que manger, à l'âge de 14 ans, avec des amis, et bien sûr, j'ai toujours cuisiner, mais :
- la partie technique de la cuisine n'est que technique, donc sans intérêt pour moi
- la partie artistique est artistique, donc en dehors de mes intérêts
- la partie sociale nécessite d'être mieux inséré dans le groupe que je ne le suis.
Bref, ce sont les sciences de la nature qui m'intéressent, et c'est par sérendipité que les sciences que je pratique ont un rapport avec la cuisine. D'ailleurs, à un niveau un peu fondamental, il n'y a pas de barrières. Par exemple, un aliment qui libère un composés sapide, c'est exactement le même type de phénomènes qu'un médicament qui libère un principe actif ou qu'un parfum dont s'évapore un composé odorant.
Et pour les équations, Fick ou Fourier, même forme, par exemple, pour prendre un exemple simple.
Opportunité ? Je trouve "caractère de ce qui est opportun" (opportun : qui vient à propos, qui convient à la situation du moment) ou encore "savoir d'instinct ce qu'il convient de faire dans telle situation".
Dans mon cas, l'épisode du soufflé au roquefort qui a été ma "nuit de Pascal", toutes proportions gardées évidemment, a été d'instinct. J'ai fait ce que je devais faire sans y réfléchir, mais aussi parce que mon apprentissage avait été tel que j'étais bien dans cette ligne scientifique. Il y a cette phrase "Il faut agir en Chrétien, et non en tant que Chrétien" ; dans mon cas, j'ai agi en scientifique, et non en tant que scientifique. Face à une incompréhension, j'ai été rationnel, et c'est ainsi que j'ai été tout naturellement conduit à explorer ce soufflé.
Le pas supplémentaire, qui consistait à me lancer dans la recherche des précisions culinaires, avait été préparé par les activités de laboratoires que j'avais depuis l'âge de six ans : ayant toujours expérimenté, il était naturel d'expérimenter.
Et je n'ai pas fait de "comm" : je faisais mes recherches tout seul, sans en parler à personne, mais cela s'est su, et c'est ainsi que j'ai été invité à faire des séminaires, puis que nous avons créé la gastronomie moléculaire avec mon vieil ami Nicholas Kurti, qui faisait de même à Oxford.
Il n'y avait dans tout cela pas de "calcul", de l'opportunité mais pas d'opportunisme, pas d'envie de "carrière", rien que l'intérêt passionné (ma marque de fabrique) pour mon activité, laquelle était quasi obligatoire.
Pardon de cette longue réponse très personnelle : le moi est haïssable !
2. Qui évalue vos recherches ?
Comme tout chercheur, mes recherches sont évaluées... d'abord par moi-même !
En effet, chaque soir, dans mon groupe de recherche, nous envoyons à tous les autres un email qui comporte un tableau :
Nature de la tâche /Tâches/Etat/Commentaire
Travail/ / /
Communication/ / /
Administration/ / /
Ce qui a coincé et qu'on peut améliorer/ / /
Nouvelles connaissances/ / /
Nouvelles compétences/ / / /
Objectifs/ / /
Cadeaux/ / /
Les petits esprits considèrent cela comme du flicage, mais ils ignorent que nous le faisons d'abord pour nous-mêmes, que des "cadeaux à soi même et aux autres" sont d'abord à soi-même : c'est l'occasion de prendre du recul, d'évaluer le travail de la journée, afin d'avoir de la traçabilité, d'augmenter la qualité, d'avoir une évaluation en vue de perfectionnements ultérieurs.
Ce n'est pas tout : le vendredi, je fais un bilan de la semaine, puis tous les trois mois un bilan du trimestre, et, enfin, pendant l'été, je prends quelques jours pour savoir comment orienter l'année suivante.
Cela, c'est pour moi-même : le plus important, car je n'oublie jamais que je suis payé par le contribuable français, et que je lui dois une activité soutenue et intelligente, mais je n'oublie jamais non plus mon ambition, qui est celle de faire de belles découvertes.
Pour autant, l'institution organise aussi des évaluations. Par exemple, l'Inra évalue ses personnels régulièrement, et l'HCERES est l'instance nationale d'évaluation des chercheurs.
D'ailleurs, il faut dire que les chercheurs sont bien plus évalués qu'on ne le dit par ignorance, même jusqu'au niveau de la présidence (mais l'homme qui a dit cela a ipso facto perdu toute dignité) : en 2011, par exemple, j'ai eu 7 évaluations dans l'année, à croire que l'on voulait m'empêcher de travailler, car il faut dire qu'une évaluation bien conduite prend beaucoup de temps. Je ne peux m'empêcher, à ces mot, d'inviter tous mes amis à lire cette merveilleuse petite nouvelle de Leo Szilard (The voice of Dolphins), à propos du danger de laisser les scientifiques travailler.
Mais la question est passionnante, parce qu'elle pose la question de l'évaluation : je maintiens qu'un évaluateur doit être quelqu'un qui interroge, et s'assure que son interlocuteur n'a pas laissé son activité au hasard. Cela doit être bienveillant, et conduire à des perfectionnements, souhaités des deux côtés.
Evidemment, je pense ainsi à des personnes évaluées actives, soucieuses de bien faire, en accord avec la lettre de mission qu'ils ont reçues. Parce que je suis ignorant de toutes les turpitudes auxquelles la paresse, la perversité, le goût de la domination (le "pouvoir"), etc. peuvent conduire. Détestons le noir poison de la malhonnêteté, et allons vite dans la chaude lumière de la droiture et de la bonté !
Pardon de cette longue réponse moralisatrice !
3. Comment les financez-vous (si cela n'est pas indiscret) ?
Soyons clair. Puisque le travail de ma correspondante porte sur la cuisine note à note, il faut dire que la promotion ou le développement de cette cuisine que j'ai inventée ne sont pas dans ma mission scientifique.
Pour ce qui me concerne, j'ai une vie scientifique et une vie "politique", engagée. La vie scientifique, c'est ma passion, comme dit précédemment : la recherche en gastronomie moléculaire. Je ne devrais faire que cela, et j'y arrive d'ailleurs assez bien.
Mais, à côté, je n'oublie pas que je suis un citoyen, et je crois qu'il est de mon devoir "politique" de promouvoir la cuisine note à note. Pour mille raisons qu'il serait trop long d'exposer ici, d'autant que j'ai toujours dit que je ne réponds pas à la question "A votre avis, puisque je ne gagne pas d'argent avec la cuisine note à note, et que je ne gagne pas non plus d'une notoriété qui ne me servira à rien dans la tombe, pourquoi pensez vous que je prends de mon temps pour promouvoir la cuisine note à note ?".
Bref, j'ai besoin de financement pour ma recherche scientifique, puisque c'est mon activité, et je n'ai besoin de rien pour la cuisine note à note, puisque ce n'est pas mon activité.
Pour la recherche scientifique, oui, il me faut des financements, et je tiens à dire que, agent de l'état, je n'ai rien à cacher, et il n'y a pas d'indiscrétion à poser la question : tout contribuable a le droit de savoir comment son argent est utilisé.
Voici :
- je reçois mon salaire de l'Inra
- l'Inra et AgroParisTech contribuent au fonctionnement du laboratoire (électricité, eau, chauffage, fluides...)
- des industriels payent parfois des étudiants ou des doctorants qui viennent apprendre auprès de moi, et ils contribuent en finançant des consommables
- parfois mes conférences dans l'industrie sont rétribuées par des dons de matériels
- parfois, des programmes nationaux ou internationaux apportent des compléments.
Mais il me faut ajouter que je refuse absolument de payer des étudiants en stage, car à ce rythme, viendra un jour où il faudra payer pour faire des cours ! Et la loi idiote qui a été édicté me conduit à refuser les étudiants pour des stages de plus de deux mois, ce que les étudiants regrettent (je ne dis pas que les étudiants ne doivent pas recevoir de bourse, mais je dis que ce n'est pas à moi, qui me charge de les aider à apprendre, à devoir, en plus, chercher leur financement. D'autre part, les thèses pour lesquelles je suis directeur de thèse sont toujours des thèses CIFRE, payées par l'industrie, donc, parce que je maintiens que des étudiants qui ne connaissent pas l'industrie sont handicapés quand ils cherchent ensuite du travail.
Mais j'ai fait de nombreux billets à ces divers propos : quand je vous disais que j'allais finir "père la morale".
Allons, il faut conclure, et toujours conclure sur une note positive. Prenons du recul sur ces questions. De quoi s'agissait-il ? D'une élève d'une école d'ingénieur qui s'intéresse à la cuisine note à note. C'est donc parfait, puisque cette cuisine va se développer, suscitant la création d'entreprises, de technique, de technologie, d'art...
C'est donc bien une application de la science nommée gastronomie moléculaire. Pas une application directe, mais une application "intellectuelle".
Bref, les sciences de la nature sont merveilleuses !
J'aimerais savoir si vous vous êtes lancé dans la recherche pour la cuisine par vocation ou par opportunité ou bien les deux ? Qui évalue vos recherches ? Comment les financez-vous (si cela n'est pas indiscret) ?
Allons y dans l'ordre :
1. J'aimerais savoir si vous vous êtes lancé dans la recherche pour la cuisine par vocation ou par opportunité ou bien les deux ?
Pour cette question, j'ai répondu mille fois, et l'on trouvera des réponses sur https://sites.google.com/site/travauxdehervethis/Home/vive-la-connaissance-produite-et-partagee/pour-en-savoir-plus/questions-et-reponses/questions-personnelles
Cela dit, si j'ai répondu comment j'ai versé dans la "gastronomie moléculaire" (utilisons les bons termes), je n'ai pas répondu exactement à la question posée de la "vocation" ou de l'"opportunité".
C'est là quelque chose qui mérite un peu de réflexion, et un usage correct de mots.
La vocation, c'est un appel de Dieu, puis, par extension, l'inclination, le penchant impérieux qu'un individu ressent pour une profession, une activité ou un genre de vie.
Dans mon cas, il est exact que, dès l'âge de six ans, quand j'ai reçu ma boite de chimie, j'ai immédiatement été fasciné par les sciences de la nature, la chimie mais aussi la physique, et les mathématiques ; je ne voyais pas de frontières entre les trois, même si la "chimie" m'était plus chère, parce que je trouvais (et je trouve encore) fascinant que les phénomènes macroscopiques s'expliquent en termes microscopiques, invisibles. Plus tard, j'ai été fasciné que le monde "soit écrit en langage mathématique", comme l'a dit Galilée (avec toutes les précautions nécessaires pour écrire une telle phrase, mais c'est une autre histoire).
Bref, j'étais passionné par les sciences de la nature... mais pas par la cuisine. Bien sûr, j'étais d'une gourmandise forcenée, au point que nous nous sommes enfermés pendant deux semaines pour ne faire que manger, à l'âge de 14 ans, avec des amis, et bien sûr, j'ai toujours cuisiner, mais :
- la partie technique de la cuisine n'est que technique, donc sans intérêt pour moi
- la partie artistique est artistique, donc en dehors de mes intérêts
- la partie sociale nécessite d'être mieux inséré dans le groupe que je ne le suis.
Bref, ce sont les sciences de la nature qui m'intéressent, et c'est par sérendipité que les sciences que je pratique ont un rapport avec la cuisine. D'ailleurs, à un niveau un peu fondamental, il n'y a pas de barrières. Par exemple, un aliment qui libère un composés sapide, c'est exactement le même type de phénomènes qu'un médicament qui libère un principe actif ou qu'un parfum dont s'évapore un composé odorant.
Et pour les équations, Fick ou Fourier, même forme, par exemple, pour prendre un exemple simple.
Opportunité ? Je trouve "caractère de ce qui est opportun" (opportun : qui vient à propos, qui convient à la situation du moment) ou encore "savoir d'instinct ce qu'il convient de faire dans telle situation".
Dans mon cas, l'épisode du soufflé au roquefort qui a été ma "nuit de Pascal", toutes proportions gardées évidemment, a été d'instinct. J'ai fait ce que je devais faire sans y réfléchir, mais aussi parce que mon apprentissage avait été tel que j'étais bien dans cette ligne scientifique. Il y a cette phrase "Il faut agir en Chrétien, et non en tant que Chrétien" ; dans mon cas, j'ai agi en scientifique, et non en tant que scientifique. Face à une incompréhension, j'ai été rationnel, et c'est ainsi que j'ai été tout naturellement conduit à explorer ce soufflé.
Le pas supplémentaire, qui consistait à me lancer dans la recherche des précisions culinaires, avait été préparé par les activités de laboratoires que j'avais depuis l'âge de six ans : ayant toujours expérimenté, il était naturel d'expérimenter.
Et je n'ai pas fait de "comm" : je faisais mes recherches tout seul, sans en parler à personne, mais cela s'est su, et c'est ainsi que j'ai été invité à faire des séminaires, puis que nous avons créé la gastronomie moléculaire avec mon vieil ami Nicholas Kurti, qui faisait de même à Oxford.
Il n'y avait dans tout cela pas de "calcul", de l'opportunité mais pas d'opportunisme, pas d'envie de "carrière", rien que l'intérêt passionné (ma marque de fabrique) pour mon activité, laquelle était quasi obligatoire.
Pardon de cette longue réponse très personnelle : le moi est haïssable !
2. Qui évalue vos recherches ?
Comme tout chercheur, mes recherches sont évaluées... d'abord par moi-même !
En effet, chaque soir, dans mon groupe de recherche, nous envoyons à tous les autres un email qui comporte un tableau :
Nature de la tâche /Tâches/Etat/Commentaire
Travail/ / /
Communication/ / /
Administration/ / /
Ce qui a coincé et qu'on peut améliorer/ / /
Nouvelles connaissances/ / /
Nouvelles compétences/ / / /
Objectifs/ / /
Cadeaux/ / /
Les petits esprits considèrent cela comme du flicage, mais ils ignorent que nous le faisons d'abord pour nous-mêmes, que des "cadeaux à soi même et aux autres" sont d'abord à soi-même : c'est l'occasion de prendre du recul, d'évaluer le travail de la journée, afin d'avoir de la traçabilité, d'augmenter la qualité, d'avoir une évaluation en vue de perfectionnements ultérieurs.
Ce n'est pas tout : le vendredi, je fais un bilan de la semaine, puis tous les trois mois un bilan du trimestre, et, enfin, pendant l'été, je prends quelques jours pour savoir comment orienter l'année suivante.
Cela, c'est pour moi-même : le plus important, car je n'oublie jamais que je suis payé par le contribuable français, et que je lui dois une activité soutenue et intelligente, mais je n'oublie jamais non plus mon ambition, qui est celle de faire de belles découvertes.
Pour autant, l'institution organise aussi des évaluations. Par exemple, l'Inra évalue ses personnels régulièrement, et l'HCERES est l'instance nationale d'évaluation des chercheurs.
D'ailleurs, il faut dire que les chercheurs sont bien plus évalués qu'on ne le dit par ignorance, même jusqu'au niveau de la présidence (mais l'homme qui a dit cela a ipso facto perdu toute dignité) : en 2011, par exemple, j'ai eu 7 évaluations dans l'année, à croire que l'on voulait m'empêcher de travailler, car il faut dire qu'une évaluation bien conduite prend beaucoup de temps. Je ne peux m'empêcher, à ces mot, d'inviter tous mes amis à lire cette merveilleuse petite nouvelle de Leo Szilard (The voice of Dolphins), à propos du danger de laisser les scientifiques travailler.
Mais la question est passionnante, parce qu'elle pose la question de l'évaluation : je maintiens qu'un évaluateur doit être quelqu'un qui interroge, et s'assure que son interlocuteur n'a pas laissé son activité au hasard. Cela doit être bienveillant, et conduire à des perfectionnements, souhaités des deux côtés.
Evidemment, je pense ainsi à des personnes évaluées actives, soucieuses de bien faire, en accord avec la lettre de mission qu'ils ont reçues. Parce que je suis ignorant de toutes les turpitudes auxquelles la paresse, la perversité, le goût de la domination (le "pouvoir"), etc. peuvent conduire. Détestons le noir poison de la malhonnêteté, et allons vite dans la chaude lumière de la droiture et de la bonté !
Pardon de cette longue réponse moralisatrice !
3. Comment les financez-vous (si cela n'est pas indiscret) ?
Soyons clair. Puisque le travail de ma correspondante porte sur la cuisine note à note, il faut dire que la promotion ou le développement de cette cuisine que j'ai inventée ne sont pas dans ma mission scientifique.
Pour ce qui me concerne, j'ai une vie scientifique et une vie "politique", engagée. La vie scientifique, c'est ma passion, comme dit précédemment : la recherche en gastronomie moléculaire. Je ne devrais faire que cela, et j'y arrive d'ailleurs assez bien.
Mais, à côté, je n'oublie pas que je suis un citoyen, et je crois qu'il est de mon devoir "politique" de promouvoir la cuisine note à note. Pour mille raisons qu'il serait trop long d'exposer ici, d'autant que j'ai toujours dit que je ne réponds pas à la question "A votre avis, puisque je ne gagne pas d'argent avec la cuisine note à note, et que je ne gagne pas non plus d'une notoriété qui ne me servira à rien dans la tombe, pourquoi pensez vous que je prends de mon temps pour promouvoir la cuisine note à note ?".
Bref, j'ai besoin de financement pour ma recherche scientifique, puisque c'est mon activité, et je n'ai besoin de rien pour la cuisine note à note, puisque ce n'est pas mon activité.
Pour la recherche scientifique, oui, il me faut des financements, et je tiens à dire que, agent de l'état, je n'ai rien à cacher, et il n'y a pas d'indiscrétion à poser la question : tout contribuable a le droit de savoir comment son argent est utilisé.
Voici :
- je reçois mon salaire de l'Inra
- l'Inra et AgroParisTech contribuent au fonctionnement du laboratoire (électricité, eau, chauffage, fluides...)
- des industriels payent parfois des étudiants ou des doctorants qui viennent apprendre auprès de moi, et ils contribuent en finançant des consommables
- parfois mes conférences dans l'industrie sont rétribuées par des dons de matériels
- parfois, des programmes nationaux ou internationaux apportent des compléments.
Mais il me faut ajouter que je refuse absolument de payer des étudiants en stage, car à ce rythme, viendra un jour où il faudra payer pour faire des cours ! Et la loi idiote qui a été édicté me conduit à refuser les étudiants pour des stages de plus de deux mois, ce que les étudiants regrettent (je ne dis pas que les étudiants ne doivent pas recevoir de bourse, mais je dis que ce n'est pas à moi, qui me charge de les aider à apprendre, à devoir, en plus, chercher leur financement. D'autre part, les thèses pour lesquelles je suis directeur de thèse sont toujours des thèses CIFRE, payées par l'industrie, donc, parce que je maintiens que des étudiants qui ne connaissent pas l'industrie sont handicapés quand ils cherchent ensuite du travail.
Mais j'ai fait de nombreux billets à ces divers propos : quand je vous disais que j'allais finir "père la morale".
Allons, il faut conclure, et toujours conclure sur une note positive. Prenons du recul sur ces questions. De quoi s'agissait-il ? D'une élève d'une école d'ingénieur qui s'intéresse à la cuisine note à note. C'est donc parfait, puisque cette cuisine va se développer, suscitant la création d'entreprises, de technique, de technologie, d'art...
C'est donc bien une application de la science nommée gastronomie moléculaire. Pas une application directe, mais une application "intellectuelle".
Bref, les sciences de la nature sont merveilleuses !
dimanche 10 janvier 2016
Une tribune importante dans Le Point
Tribune : il faut repenser et renforcer l'Agence nationale pour la recherche !
Huit grands scientifiques de l'Académie des sciences et du Collège de France, dont trois Prix Nobel, signent une tribune commune pour demander au gouvernement de réinvestir sans délai dans la recherche publique, au risque sinon de voir la France décrocher. Ils ont choisi Le Point.fr pour lancer leur appel.
Par Le Point.fr
Publié le
- Modifié le | Le Point.fr
La recherche fondamentale, par son originalité et sa liberté, est
génératrice des ruptures conceptuelles qui, par-delà leur valeur propre,
une fois traduites en innovations technologiques et industrielles,
assurent le succès des économies fondées sur la connaissance.
Malheureusement, le financement de cette recherche est actuellement mis
en péril par la faiblesse des crédits qui arrivent dans les
laboratoires. Cette baisse reflète les investissements insuffisants dans
les universités et les Établissements publics scientifiques et
techniques (EPST) et l'affaiblissement dramatique du budget de l'Agence
nationale pour la recherche (ANR).
Pour s'en tenir aux chiffres, depuis plus de 20 ans, les dépenses en recherche et développement (R&D) de la France plafonnent à 2,25 % du produit intérieur brut (PIB), loin de l'objectif de 3 % recommandé par l'agenda de Lisbonne de l'année 2000 et atteint, sinon dépassé, par nos principaux concurrents, dont nos amis allemands. Pour ce qui est de la recherche fondamentale, cela correspond à un déficit de l'ordre de 0,2 % du PIB, soit 4 milliards d'euros.
Les signataires de cette lettre considèrent qu'il est évidemment nécessaire que les universités et les EPST, tels le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ou l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), contribuent à une hauteur significative au financement pérenne des équipes. Ils n'en sont pas moins convaincus que le financement contractuel complémentaire, fourni par l'ANR, doit être très fortement augmenté.
Sur les dernières années, la diminution du budget de l'ANR, passé de 800 à 520 millions d'euros et la quasi-disparition des « programmes blancs » privent de financement les équipes qui s'engagent dans des travaux originaux relevant de la recherche fondamentale. À cet assèchement financier s'est ajoutée une complexification tatillonne des demandes de soutien. L'évaluation des résultats devrait être la principale contrainte, sinon la seule, en matière de financement de travaux fondamentaux.
Il est de notre responsabilité d'attirer l'attention des responsables politiques sur le fait qu'une ANR bien dotée, majoritairement orientée vers la recherche fondamentale et capable de financer au moins 20 % des projets pour une durée de 3 à 5 ans, permet de soutenir la grande majorité des équipes. Par ailleurs, et c'est là un point essentiel, une évaluation anonyme par des chercheurs pris dans la communauté internationale met à égalité les jeunes équipes et celles qui sont dirigées par des personnalités établies. On doit donc y voir un gage, non seulement de qualité, mais aussi d'équité.
La situation est donc particulièrement grave pour les jeunes chercheurs qui, après avoir été recrutés selon un processus extrêmement sélectif, se retrouvent sans crédits de recherche pour mettre en œuvre ou poursuivre de façon indépendante des travaux originaux, parfois en rupture avec l'existant, leur permettant d'accéder, ensuite ou parallèlement, à des financements compétitifs internationaux, européens tout particulièrement.
Cela conduit certains d'entre eux, de plus en plus nombreux, à se tourner vers d'autres métiers ou à programmer un départ vers des universités ou instituts étrangers. La recherche française commence à perdre les meilleurs talents des nouvelles générations, pour ne rien dire des chercheurs confirmés eux aussi atteints par le découragement face à une situation incompréhensible qui risque de nous faire perdre à court terme notre place encore éminente dans la compétition internationale.
Nous sommes conscients de la situation budgétaire de notre pays, non sans lien avec la faiblesse chronique de nos investissements en R&D, et nous comprenons qu'on ne pourra rattraper ce retard d'un seul coup. Mais nous demandons que le gouvernement programme ce redressement à moyen terme et consacre immédiatement 1 milliard d'euros supplémentaire à la recherche publique, dont au moins 500 millions à une ANR débarrassée des règlements absurdes qui lui ont été récemment imposés et réorientée majoritairement vers la recherche fondamentale. Une autre part de ce budget supplémentaire doit aller à l'embauche de chercheurs et enseignants chercheurs, plus tôt dans leur carrière, et à des salaires dignes des métiers auxquels ils se destinent.
Faute de changements courageux dans notre politique R&D, seuls quelques îlots de très haut niveau seront préservés, insuffisants pour conserver le tissu nécessaire de recherche fondamentale et pour assurer sa traduction en innovations technologiques et industrielles. Il n'y a plus un instant à perdre, il en va du maintien de notre pays parmi les nations qui comptent au niveau intellectuel, économique et politique. Pour reprendre le mot d'ordre mobilisateur de la COP21 « Plus tard, il sera trop tard ».
Signataires :
Jean-François Bach, secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences
Anny Cazenave, Académie des sciences
Serge Haroche, Collège de France, Prix Nobel de physique
Édith Heard, Collège de France
Jules Hoffmann, Prix Nobel de physiologie ou médecine
Jean-Marie Lehn, Collège de France, Prix Nobel de chimie
Bernard Meunier, président de l'Académie des sciences
Alain Prochiantz, Collège de France
Pour s'en tenir aux chiffres, depuis plus de 20 ans, les dépenses en recherche et développement (R&D) de la France plafonnent à 2,25 % du produit intérieur brut (PIB), loin de l'objectif de 3 % recommandé par l'agenda de Lisbonne de l'année 2000 et atteint, sinon dépassé, par nos principaux concurrents, dont nos amis allemands. Pour ce qui est de la recherche fondamentale, cela correspond à un déficit de l'ordre de 0,2 % du PIB, soit 4 milliards d'euros.
Les signataires de cette lettre considèrent qu'il est évidemment nécessaire que les universités et les EPST, tels le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ou l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), contribuent à une hauteur significative au financement pérenne des équipes. Ils n'en sont pas moins convaincus que le financement contractuel complémentaire, fourni par l'ANR, doit être très fortement augmenté.
Sur les dernières années, la diminution du budget de l'ANR, passé de 800 à 520 millions d'euros et la quasi-disparition des « programmes blancs » privent de financement les équipes qui s'engagent dans des travaux originaux relevant de la recherche fondamentale. À cet assèchement financier s'est ajoutée une complexification tatillonne des demandes de soutien. L'évaluation des résultats devrait être la principale contrainte, sinon la seule, en matière de financement de travaux fondamentaux.
Il est de notre responsabilité d'attirer l'attention des responsables politiques sur le fait qu'une ANR bien dotée, majoritairement orientée vers la recherche fondamentale et capable de financer au moins 20 % des projets pour une durée de 3 à 5 ans, permet de soutenir la grande majorité des équipes. Par ailleurs, et c'est là un point essentiel, une évaluation anonyme par des chercheurs pris dans la communauté internationale met à égalité les jeunes équipes et celles qui sont dirigées par des personnalités établies. On doit donc y voir un gage, non seulement de qualité, mais aussi d'équité.
La situation est donc particulièrement grave pour les jeunes chercheurs qui, après avoir été recrutés selon un processus extrêmement sélectif, se retrouvent sans crédits de recherche pour mettre en œuvre ou poursuivre de façon indépendante des travaux originaux, parfois en rupture avec l'existant, leur permettant d'accéder, ensuite ou parallèlement, à des financements compétitifs internationaux, européens tout particulièrement.
Cela conduit certains d'entre eux, de plus en plus nombreux, à se tourner vers d'autres métiers ou à programmer un départ vers des universités ou instituts étrangers. La recherche française commence à perdre les meilleurs talents des nouvelles générations, pour ne rien dire des chercheurs confirmés eux aussi atteints par le découragement face à une situation incompréhensible qui risque de nous faire perdre à court terme notre place encore éminente dans la compétition internationale.
Nous sommes conscients de la situation budgétaire de notre pays, non sans lien avec la faiblesse chronique de nos investissements en R&D, et nous comprenons qu'on ne pourra rattraper ce retard d'un seul coup. Mais nous demandons que le gouvernement programme ce redressement à moyen terme et consacre immédiatement 1 milliard d'euros supplémentaire à la recherche publique, dont au moins 500 millions à une ANR débarrassée des règlements absurdes qui lui ont été récemment imposés et réorientée majoritairement vers la recherche fondamentale. Une autre part de ce budget supplémentaire doit aller à l'embauche de chercheurs et enseignants chercheurs, plus tôt dans leur carrière, et à des salaires dignes des métiers auxquels ils se destinent.
Faute de changements courageux dans notre politique R&D, seuls quelques îlots de très haut niveau seront préservés, insuffisants pour conserver le tissu nécessaire de recherche fondamentale et pour assurer sa traduction en innovations technologiques et industrielles. Il n'y a plus un instant à perdre, il en va du maintien de notre pays parmi les nations qui comptent au niveau intellectuel, économique et politique. Pour reprendre le mot d'ordre mobilisateur de la COP21 « Plus tard, il sera trop tard ».
Signataires :
Jean-François Bach, secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences
Anny Cazenave, Académie des sciences
Serge Haroche, Collège de France, Prix Nobel de physique
Édith Heard, Collège de France
Jules Hoffmann, Prix Nobel de physiologie ou médecine
Jean-Marie Lehn, Collège de France, Prix Nobel de chimie
Bernard Meunier, président de l'Académie des sciences
Alain Prochiantz, Collège de France
dimanche 1 novembre 2015
L'administration de la science est décidément étonnante !
Ce matin, discussions avec un excellent chimiste de mes amis. Alors que je lui demande comment va sa recherche, il me répond :
Question paperasse, j'ai adopté une position plus tranchée et par exemple, pas d'ANR en ce qui me concerne, malgré 3 essais en tant que co-porteur. Las de cette expérience, et souvent sollicité en tant qu'expert (c'est un comble, on demande à des "mauvais" de juger les bons), j'ai refusé cette année de participer à la critique des collègues méritants. Un virage conceptuel pour un chti gars qui d'habitude ne demande qu'à rendre service. Mais puisque le bouton "non" est géré aussi par une machine, je ne serai pas réprimandé et tout ce que je risque c'est de ne toujours rien avoir, alors hardi les gars!
Expliquons : l'ANR est l'Agence nationale pour la recherche, qui doit distribuer les subsides de l'état aux laboratoires. Ces financements s'obtiennent par soumission de lourds dossiers (cela prend sur le temps de recherche de les constituer), et le taux de succès est très faible (http://sciences.blogs.liberation.fr/home/2014/08/lanr-recale-80-des-projets-scientifiques.html), au point que de grands scientifiques s'en sont émus.
Décidément, il y a possibilité de mieux gérer la recherche scientifique que cela n'est fait aujourd'hui !
Question paperasse, j'ai adopté une position plus tranchée et par exemple, pas d'ANR en ce qui me concerne, malgré 3 essais en tant que co-porteur. Las de cette expérience, et souvent sollicité en tant qu'expert (c'est un comble, on demande à des "mauvais" de juger les bons), j'ai refusé cette année de participer à la critique des collègues méritants. Un virage conceptuel pour un chti gars qui d'habitude ne demande qu'à rendre service. Mais puisque le bouton "non" est géré aussi par une machine, je ne serai pas réprimandé et tout ce que je risque c'est de ne toujours rien avoir, alors hardi les gars!
Expliquons : l'ANR est l'Agence nationale pour la recherche, qui doit distribuer les subsides de l'état aux laboratoires. Ces financements s'obtiennent par soumission de lourds dossiers (cela prend sur le temps de recherche de les constituer), et le taux de succès est très faible (http://sciences.blogs.liberation.fr/home/2014/08/lanr-recale-80-des-projets-scientifiques.html), au point que de grands scientifiques s'en sont émus.
Décidément, il y a possibilité de mieux gérer la recherche scientifique que cela n'est fait aujourd'hui !
L'administration de la science est décidément étonnante !
Ce matin, discussions avec un excellent chimiste de mes amis. Alors que je lui demande comment va sa recherche, il me répond :
Question paperasse, j'ai adopté une position plus tranchée et par exemple, pas d'ANR en ce qui me concerne, malgré 3 essais en tant que co-porteur. Las de cette expérience, et souvent sollicité en tant qu'expert (c'est un comble, on demande à des "mauvais" de juger les bons), j'ai refusé cette année de participer à la critique des collègues méritants. Un virage conceptuel pour un chti gars qui d'habitude ne demande qu'à rendre service. Mais puisque le bouton "non" est géré aussi par une machine, je ne serai pas réprimandé et tout ce que je risque c'est de ne toujours rien avoir, alors hardi les gars!
Expliquons : l'ANR est l'Agence nationale pour la recherche, qui doit distribuer les subsides de l'état aux laboratoires. Ces financements s'obtiennent par soumission de lourds dossiers (cela prend sur le temps de recherche de les constituer), et le taux de succès est très faible (http://sciences.blogs.liberation.fr/home/2014/08/lanr-recale-80-des-projets-scientifiques.html), au point que de grands scientifiques s'en sont émus.
Ce qui est clair, c'est que cette agence est pour le moins inconséquente, comme le révèle le contenu du message de mon ami, qui est sollicité en tant qu'expert !
Décidément, il y a possibilité de mieux gérer la recherche scientifique que cela n'est fait aujourd'hui !
Question paperasse, j'ai adopté une position plus tranchée et par exemple, pas d'ANR en ce qui me concerne, malgré 3 essais en tant que co-porteur. Las de cette expérience, et souvent sollicité en tant qu'expert (c'est un comble, on demande à des "mauvais" de juger les bons), j'ai refusé cette année de participer à la critique des collègues méritants. Un virage conceptuel pour un chti gars qui d'habitude ne demande qu'à rendre service. Mais puisque le bouton "non" est géré aussi par une machine, je ne serai pas réprimandé et tout ce que je risque c'est de ne toujours rien avoir, alors hardi les gars!
Expliquons : l'ANR est l'Agence nationale pour la recherche, qui doit distribuer les subsides de l'état aux laboratoires. Ces financements s'obtiennent par soumission de lourds dossiers (cela prend sur le temps de recherche de les constituer), et le taux de succès est très faible (http://sciences.blogs.liberation.fr/home/2014/08/lanr-recale-80-des-projets-scientifiques.html), au point que de grands scientifiques s'en sont émus.
Ce qui est clair, c'est que cette agence est pour le moins inconséquente, comme le révèle le contenu du message de mon ami, qui est sollicité en tant qu'expert !
Décidément, il y a possibilité de mieux gérer la recherche scientifique que cela n'est fait aujourd'hui !
jeudi 17 février 2011
Il y a des choses trop sérieuses pour qu'on n'en rie pas!
J'emprunte le titre de ce billet à Niels Bohr, l'un des plus grands physiciens du XXe siècle.
Et, dans la même veine joyeuse, je vous invite à lire, relire, distribuer autour de vous (surtout dans les agences de financement de la recherche), ce merveilleux texte de Leo Szilard (que je traduis bien maladroitement : pardon)
"I have earned a very large sum of money," said Mr. Gable, turning to me," with very little work. An now I'm thinking of setting up a trust fund. I want to do something that will really contribute to the happiness of manking; but it's very difficult to know what to do with money. When Mr. Rosenblatt told me that you'd be here tonight I asked the mayor to invite me. I certainly would value your advice."
"Would you intend to do anything for the advancement of science?" I asked.
"No," Mark Gable said. "I believe scientific progress is too fast as it is.".
"I share your feeling about this point," I said with the fervor of conviction, "but then why not do something about the retardation of scientific progress?"
"That I would do very much like to do," Mark Gable said, "but how do I go about it?"
"Well," I said, "I think that shouldn't be very difficult. As a matter of fact, I think it would be quite easy. You could set up a foundation, with an annual endowment of thirty million dollars. Research workers in need of funds could apply for grants, if they could make out a convincing case. Have ten committes, each composed of twelve scientists, appointed to pass on these applications. Take the most active scientists out of the laboratory and make them members of these committees. And the very best men in the field should be appointed as chairmen at salaries of fifty thousand dollars each for the best scientific papiers of the year. This is just about all you would have to do. Your lawyers could easily prepare a charter for the foundation. As a matter of fact, any of the National Science Foundation bills which were introduced in the Seventy-ninth and Eightieth Congresses could perfectly well serve as a model."
"I think you had better explain to Mr. Gable why this foundation would in fact retard the progress of science," said the bespectacled young man sitting at the far end of the table, whose name I didn't get at the time of introduction.
"It should be obvious," I said. "First of all, the best scientists would be removed from their laboratories and kept busy on committes passing on applications for funds. Secondly, the scientific workers in need of funds would concentrate on problems which were considered promising and were pretty certain to lead to publishable results. For a few years there might be a great increase in scientific output; but by going after the obvious, pretty soon science would dry out. Science would become something like a parlor game. Some things would be considered interesting, others not. There would be fashions. Those who followed the fashion would get grants. Those who wouldn't would not, and pretty soon they would learn to follow the fashion, too."
Leo Szilard, The voice of dolphins, p. 99
Simon and Schuster, New York, 1961
"J'ai gagné beaucoup d'argent, dit Mr Gable, en travaillant très peu. Et je pense à créer une fondation. Je veux faire quelque chose qui contribuerait au bonheur de l'humanité ; mais cest très difficile de savoir quoi faire avec l'argent. Quand Mr Rosenblatt m'a dit que vous seriez ici ce soir, j'ai demandé au maire de m'inviter. J'aimerai avoir votre avis."
" Vous voulez faire quelque chose pour l'avancement des sciences ?", demandai-je.
"Non, dit Mark Gable, je pense que les sciences progressvent trop vite."
"Je suis d'accord avec vous, dis-je d'un ton convaincu. Alors pourquoi ne pas faire quelque chose pour ralentir le progrès scientifique ?
"Ca, j'aimerait beaucoup, dit Mark Gable, mais comment faire ?
- Cela ne devrait pas être très difficile. Ou plutôt, je crois que c'est trsè simple. Vous feriez une fondation, avec une dotation annuelle de 30 millions de dollars. Les scientifiques ayant besoin d'argent pour leur travaux pourraient faire des demandes, acceptées à condition qu'elles soient suffisamment argumentées. Créez dix comités, chacun composés de douze scientifiques, et qui seraient payés pour évaluer les demandes. Sortez ainsi les scientifiques les plus actifs de leur laboratoire, et nommez-les à ces comités. Et les meilleurs seraient présidents, avec des salaires de cinquante mille dollars, attribués aux meilleurs articles de l'année. C'est tout. Vos avocats n'auront pas de difficulté à créer la chose. D'ailleurs, le travail est fait, puisque les documents du Fond américain pour la science des années soixante-dix et quatre vingt pourraient facilement servir de modèle.
- Et pourquoi cette fondation ralentirait-elle le progrès des sciences, demandaa un jeune homme à lunettes assis au bout de la table et dont le nom m'avait échappé, quand on me l'avait présenté?
- C'est évident, dis-je. Tout d'abord, les meilleurs scientifiques seraient sortis de leur laboratoire, et occupés à examiner les dossiers. Ensuite les scientifiques en mal de fonds se concentreraient sur des questions qui seraient considérées comme prometteuses, et certaines de conduire à des résultats publiables. Pendant quelques années, la production scientifique augmenterait, mais après l'épuisement des questions évidentes, la science s'assécherait. Elle deviendrait une sorte de café du commerce. Certaines questions seraient considérées comme intéressantes, et d'autres non. Il y aurait des modes. Ceux qui suivraient la mode obtiendraient des financements. Les autres non, de sorte que rapidement, ils se mettraient également à suivre la mode."
Et, dans la même veine joyeuse, je vous invite à lire, relire, distribuer autour de vous (surtout dans les agences de financement de la recherche), ce merveilleux texte de Leo Szilard (que je traduis bien maladroitement : pardon)
"I have earned a very large sum of money," said Mr. Gable, turning to me," with very little work. An now I'm thinking of setting up a trust fund. I want to do something that will really contribute to the happiness of manking; but it's very difficult to know what to do with money. When Mr. Rosenblatt told me that you'd be here tonight I asked the mayor to invite me. I certainly would value your advice."
"Would you intend to do anything for the advancement of science?" I asked.
"No," Mark Gable said. "I believe scientific progress is too fast as it is.".
"I share your feeling about this point," I said with the fervor of conviction, "but then why not do something about the retardation of scientific progress?"
"That I would do very much like to do," Mark Gable said, "but how do I go about it?"
"Well," I said, "I think that shouldn't be very difficult. As a matter of fact, I think it would be quite easy. You could set up a foundation, with an annual endowment of thirty million dollars. Research workers in need of funds could apply for grants, if they could make out a convincing case. Have ten committes, each composed of twelve scientists, appointed to pass on these applications. Take the most active scientists out of the laboratory and make them members of these committees. And the very best men in the field should be appointed as chairmen at salaries of fifty thousand dollars each for the best scientific papiers of the year. This is just about all you would have to do. Your lawyers could easily prepare a charter for the foundation. As a matter of fact, any of the National Science Foundation bills which were introduced in the Seventy-ninth and Eightieth Congresses could perfectly well serve as a model."
"I think you had better explain to Mr. Gable why this foundation would in fact retard the progress of science," said the bespectacled young man sitting at the far end of the table, whose name I didn't get at the time of introduction.
"It should be obvious," I said. "First of all, the best scientists would be removed from their laboratories and kept busy on committes passing on applications for funds. Secondly, the scientific workers in need of funds would concentrate on problems which were considered promising and were pretty certain to lead to publishable results. For a few years there might be a great increase in scientific output; but by going after the obvious, pretty soon science would dry out. Science would become something like a parlor game. Some things would be considered interesting, others not. There would be fashions. Those who followed the fashion would get grants. Those who wouldn't would not, and pretty soon they would learn to follow the fashion, too."
Leo Szilard, The voice of dolphins, p. 99
Simon and Schuster, New York, 1961
"J'ai gagné beaucoup d'argent, dit Mr Gable, en travaillant très peu. Et je pense à créer une fondation. Je veux faire quelque chose qui contribuerait au bonheur de l'humanité ; mais cest très difficile de savoir quoi faire avec l'argent. Quand Mr Rosenblatt m'a dit que vous seriez ici ce soir, j'ai demandé au maire de m'inviter. J'aimerai avoir votre avis."
" Vous voulez faire quelque chose pour l'avancement des sciences ?", demandai-je.
"Non, dit Mark Gable, je pense que les sciences progressvent trop vite."
"Je suis d'accord avec vous, dis-je d'un ton convaincu. Alors pourquoi ne pas faire quelque chose pour ralentir le progrès scientifique ?
"Ca, j'aimerait beaucoup, dit Mark Gable, mais comment faire ?
- Cela ne devrait pas être très difficile. Ou plutôt, je crois que c'est trsè simple. Vous feriez une fondation, avec une dotation annuelle de 30 millions de dollars. Les scientifiques ayant besoin d'argent pour leur travaux pourraient faire des demandes, acceptées à condition qu'elles soient suffisamment argumentées. Créez dix comités, chacun composés de douze scientifiques, et qui seraient payés pour évaluer les demandes. Sortez ainsi les scientifiques les plus actifs de leur laboratoire, et nommez-les à ces comités. Et les meilleurs seraient présidents, avec des salaires de cinquante mille dollars, attribués aux meilleurs articles de l'année. C'est tout. Vos avocats n'auront pas de difficulté à créer la chose. D'ailleurs, le travail est fait, puisque les documents du Fond américain pour la science des années soixante-dix et quatre vingt pourraient facilement servir de modèle.
- Et pourquoi cette fondation ralentirait-elle le progrès des sciences, demandaa un jeune homme à lunettes assis au bout de la table et dont le nom m'avait échappé, quand on me l'avait présenté?
- C'est évident, dis-je. Tout d'abord, les meilleurs scientifiques seraient sortis de leur laboratoire, et occupés à examiner les dossiers. Ensuite les scientifiques en mal de fonds se concentreraient sur des questions qui seraient considérées comme prometteuses, et certaines de conduire à des résultats publiables. Pendant quelques années, la production scientifique augmenterait, mais après l'épuisement des questions évidentes, la science s'assécherait. Elle deviendrait une sorte de café du commerce. Certaines questions seraient considérées comme intéressantes, et d'autres non. Il y aurait des modes. Ceux qui suivraient la mode obtiendraient des financements. Les autres non, de sorte que rapidement, ils se mettraient également à suivre la mode."
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