Ce matin, je retrouve cette image, dont je ne sais plus d'où elle sort, en tout cas pour la version française, et j'en suis très mécontent. Mais, écrivant un terme négatif, je m'en veux aussitôt, non pas de mon jugement, mais de ne pas avoir présenté du positif à mes amis... de sorte que, en fin de billet, l'analyse étant faite, je donnerai un carré plus juste. Entre temps, j'aurai expliqué pourquoi Louis Pasteur lui-même n'aurait guère apprécié l'idée transmise derrière l'image que voici :
Il s'agit de "financer la recherche". Dont acte... mais quand même, cela vaut sans doute la peine que nous nous arrêtions sur le mot "recherche", qui est une porte ouverte à toutes les âneries, toutes les confusions. Non pas que la "recherche" n'existe pas, mais surtout que c'est la possibilité de confondre science et technologie, et pourquoi pas ingénierie, ou génie, tant que nous y sommes. Chaque terme renvoie à une entité bien particulière, qui ne se confond pas avec les autres.
Commençons par éclaircir les choses :
- sciences de la nature : la recherche des mécanismes des phénomènes par une méthode expliquée moult fois ici, mais dont je redonne pour mémoire les grandes lignes :
- technologie : l'amélioration des techniques, souvent avec l'aide des résultats des sciences
- ingénierie : ensemble des fonctions allant de la conception et des études à la responsabilité de la construction et au contrôle des équipements d'une installation technique ou industrielle
- génie : ensemble des techniques concernant les travaux de déblaiement, de fortification, de l'aménagement des moyens de communication, des transmissions, puis par extension, la mise en œuvre de transformations moléculaires, par exemple.
Pour toutes ces activités, il peut y avoir de la "recherche", puisqu'on ne se contente pas de faire (sauf peut-être dans le génie), et qu'on cherche des moyens nouveaux de faire. D'ailleurs, un artiste aussi fait de la "recherche", mais pas de la recherche scientifique, bien sûr !
Puis, il y a la question du financement. Cette fois, on comprend que cela concerne soit des individus, soit des institutions, soit l’État. Ici, il s'agissait clairement d'une référence à l’État, et la question est de savoir où bien placer les financements donnés par l’État : à la science, ou à la technologie ?
"Choisir le bon carré" : rien que cette expression est minable... parce que cela me fait penser à ces questions d'enfant, à savoir "tu préfères la fraise ou la banane?", pour lesquelles ma réponse est invariablement "le cassis" ! Pourquoi l’État choisirait-il un seul carré ? Et pourquoi les quatre carrés ne s'imposeraient-ils pas ?
Recherche appliquée : si c'est appliqué, ce n'est pas de la science ! Et Pasteur lui-même a hurlé de rage une bonne partie de sa vie, s'évertuant à expliquer qu'il avait été initialement scientifique, quand il a fait ses travaux sur la chiralité (de l'acide tartrique, pour commencer), puis qu'il avait été conduit à quitter la science pour la technologie, la "recherche appliquée", avec la microbiologie, les vaccins... Oui, c'est Pasteur lui-même qui a bien distingué science et technologie, et aussi technique, tout comme le faisait bien Claude Bernard à la même époque (reconnaissant que la médecine est une technique, tandis que la recherche clinique est de la technologie, et la physiologie une science de la nature).
Mais ici, dans cette figure idiote, la "recherche appliquée" renvoie à la "recherche fondamentale"... et cette terminologie est détestable. En effet, la science n'est pas "fondamentale ; c'est la science. Et il n'y a pas d'opposition recherche appliquée-recherche fondamentale, mais une différence entre science et technologie. D'ailleurs, tant que nous y sommes, il faut signaler que la science et la technologie ne peuvent pas être mises sur un axe continu, car il y a solution de continuité entre les deux !
De ce fait, les travaux technologiques de Pasteur ne sont pas de plus grande "qualité" que ceux de Niels Bohr, et ceux de Pasteur ne sont pas plus "scientifiques" que ceux d'Edison.
Faut-il éviter une "zone" ? Comme l'organisation proposée ici est idiote, le "carré à éviter" n'est pas à éviter... puisqu'il n'existe pas.
Et, enfin, Pasteur n'est pas un "carré magique", parce qu'il conduirait à exclure les travaux scientifiques, dont on ne répétera pas assez qu'ils n'ont pas seulement la technique comme champ d'applications, mais aussi l’École (de la Maternelle à l'Université, et au-delà), la Culture, qui est l'honneur de l'esprit humain.
Bref, ce schéma est bête, pernicieux, à combattre. Faisons donc bien plus positif :
Ici, il y a la technique, qui produit nos biens et services, et dont l'Etat aurait intérêt à encadrer les productions de façon éclairée, avec encouragement. Il y a la technologie, qui prend les résultats des sciences, pour les faire passer en technique. L’État ne doit pas faire le travail lui-même, mais encourager le transfert, par des industriels (petits ou grands) qui s'enrichiront, produiront de l'emploi et de la richesse nationale. Là encore, de l'encouragement.
Enfin, il y a la science, qui n'est pas de la technologie, et qui est une activité d'appoint de l’État à la nation... et c'est donc seulement la case Bohr qui devrait être financée, en matière de production directe de l’État (par opposition à l'encouragement que j'évoquais précédemment). On observera que les trois activités représentées ici le sont au même niveau : je maintiens qu'un bon technicien est mieux qu'un mauvais scientifique, mais qu'un bon scientifique est mieux qu'un mauvais technicien. En réalité, on ne peut pas comparer des activités différentes !