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mardi 4 octobre 2022

A propos d'interprétation

 
Dans un billet précédent, j'ai discuté des questions de virtuosité, en condamnant les musiciens qui jouent vite, sans comprendre que la question est la musicalité, et pas la capacité idiote de bouger rapidement les doigts.
 

Ici, je veux discuter la question de l'interprétation. Stricto sensu, comme pour le mot "traduction", l'interprétation s'impose. La musique est écrite, et on la veut jouée. Il faut donc bien, comme le dictionnaire le dit, passer d'une langue (écrite) à une autre (jouée). 


Mais, de même qu'un traducteur qui ferait dire à un texte ou à une personne tout autre chose que ce qui était initialement énoncé, un interprète doit rester fidèle à l'oeuvre, sans quoi il n'a pas le droit de dire que c'est cette oeuvre-là. Au mieux, il pourrait dire alors qu'il l'a changée, utilisée, pastichées, que sais-je ?
C'est le cas pour la cinquième symphonie de Ludwig van Beethoven, jouée très lentement, alors que Beethoven était fasciné par le métronome, nouvellement introduit, et qu'il avait très explicitement indiqué comment son oeuvre devait être jouée ! Pour d'autres compositeurs, qui n'ont pas laissé d'indication, la musicologie a précisément cet intérêt qu'elle nous permet de savoir le tempo qui s'impose. Par exemple, une bourrée n'est pas une sarabande, et un menuet n'est pas un grave. Et comme pour virtuosité, une interprétation qui ne serait pas fidèle serait... infidèle, ce qui est quand même une honte. 


Souvent, on peut incriminer l'ignorance, l'absence de travail, des erreurs de jugement, et cela est en quelque sorte moins grave que le mépris des oeuvres, la volonté naïve de jouer "comme on le sent". 


Inversement, il faut saluer le travail des musicologues qui mettent les interprètes -fidèles, ou, au moins ayant la volonté de l'être- sur la voie de l'oeuvre telle qu'elle a été conçue.

Ce qui pose la question des instruments : d'époque ou pas ? Alors que la musique baroque est en vogue, grâce à quelques uns qui ont restauré des instruments d'époque, qui ont appris à en jouer aussi fidèlement que possible, que penser de l'interprétation sur des instruments modernes ? Bach au piano, alors qu'il ne connaissait que le clavecin, l'épinette ou l'orgue ? Haëndel à la flute traversière Böhm, alors qu'il n'y avait que des flûtes en bois, sans doute bien plus fausses que nos flûtes modernes ? Des trompettes modernes, alors que la possibilité de jouer toutes les notes de la gamme n'est apparue que récemment ?

Là, j'ai parlé de musique... mais pour les sciences de la nature : ne devrions-nous pas, quand nous explorons des travaux de scientifiques du passé, chercher à nous mettre mieux dans les conditions de l'époque ? 


Par exemple, avant le congrès des chimistes de Karlsruhe, la notion de "molécule" était essentiellement celle de Haüy, confondue avec celle d'atomes : de petites choses, mal perçues. Et ce fut le travail de Cannizzaro que de partir d'Amedeo Avogadro pour proposer de l'ordre dans les notions de chimie. Lothar Meyer a dit ""Les écailles semblaient tomber de mes yeux." Autrement dit, on est mal avisé de répéter comme un perroquet que Louis Pasteur a découvert la dissymétrie moléculaire, en croyant qu'il s'agit de notre chiralité moderne : dans un de mes articles de recherche en histoire de la chimie, j'ai bien établi que Pasteur, avant 1860, confondait atomes et moléculaires, et que ces mots signifiaient seulement "tout petits constituants de la matière".

Mais je préfère vous laisser lire : https://www.academie-agriculture.fr/publications/notes-academiques/des-cristaux-dauguste-laurent-et-des-techniques-danalyse-optique-de


mercredi 8 novembre 2017

Le respect ? L'autorité ?

Surtout ne pas faire de mauvais devoir de philosophie ! Mais je viens de trouver sous la plume de Kazuo Ishiguro (Un artiste du monde flottant) :

"S'il est juste de toujours respecter les maîtres, il importe aussi de toujours remettre leur autorité en question". 

Je ne sais pas si je veux discuter l'idée, qui n'est donc pas celle de l'auteur, mais de l'un de ses personnages (ne jamais confondre l'auteur et le narrateur dans une oeuvre de fiction), mais le mot "respect" m'arrête. De quoi s'agit-il ? Je me propose non pas de répondre, mais d'explorer le sens des mots.

Utilisant le seul dictionnaire auquel je veux accorder du crédit (le TLFi), même s'il est temps de le perfectionner, je trouve :

Action de prendre en considération quelque chose. 
Prendre en considération ? Cela impose de savoir ce qu'est la "considération". On trouve : "Action d'examiner avec attention quelque chose ou quelqu'un. On aurait donc un "maître" (notion à examiner... avec attention), et il s'agirait de l'examiner avec attention. L'examiner ? Le respect consisterait à analyser la personne du maître, c'est-à-dire son comportement et sa production ? Ce serait donc faire un travail critique, bien éloigné de l'attachement qui se trouve inclus dans le respect.

Estime, égards que l'on témoigne à quelqu'un après avoir pu apprécier sa valeur.
Cette fois, nous arrivons à "estime", qui va avec l'attachement dont il était question. Estime ? "Jugement par lequel on détermine, on marque la valeur que l'on attribue ou doit attribuer à telle personne ou à telle chose abstraite." Là, il y aurait non pas une façon de se comporter par rapport à ces fameux maîtres, mais une idée que l'on aurait d'eux. Et puis, la "valeur"... doit être évaluée. Le Maître est-il bon ? Mauvais ? On conviendra qu'il y aurait quelque incohérence à accorder de l'estime à un mauvais Maître. Pour un bon ? Vaut-il mieux de l'estime ou de la reconnaissance ?
Pour "estime", d'ailleurs, on trouve aussi "Opinion avantageuse mais limitée que l'on témoigne à quelqu'un ou à quelque chose en raison de ses qualités moyennes, normalement attendues, et généralement appréciées." Là, il y a lieu de manquer de... respect au dictionnaire : qui a produit cette définition ? Et en vertu de quoi ? Qui s'invite ainsi à nous faire penser que l'estime est ce qui est dit ici?

Revenons au "respect" :
Sentiment de vénération, attitude de révérence envers le sacré.
Vénération  ?  On trouve "Sentiment, culte religieux rempli de respect et d'adoration" ou "Attachement profond et admiratif". Avec le premier, on tourne en rond pour le "respect", mais il y a l'adoration : "Culte rendu à  une divinité, à des objets sacrés en relation avec la divinité". D'où "culte" : Hommage religieux rendu  à quelque divinité". D'où "hommage" : Promesse de fidélité et de dévouement absolu d'un vassal envers son seigneur. Le respect irait avec un dévouement. Mais on conviendra que seul un bon maître mérite cela. D'où la question : comment savoir si notre "Maître" est bon ?

Mais nous avions la "révérence", en travers de la gorge :  "Respect profond mêlé de crainte, grande considération". Le respect, ce serait le respect. Avec la crainte. La crainte ? Pourquoi aurions-nous peur d'un Maître ? Considération : nous en avons parlé.

D'ailleurs, cette révérence doit nous faire penser à la "déférence", qui n'est pas apparue dans notre promenade linguistique : "Considération respectueuse à l'égard d'une personne, et qui porte à se conformer à ses désirs et à sa volonté." Quoi : il faudrait se conformer aux désirs et à la volonté des Maîtres. Et pourquoi ? On n'oublie pas le "Sapere aude" (aie le courage de penser par toi même) de Denis Diderot, et le "Ni dieu ni maître" des anarchistes.

Dieu ? Nous avons rencontré le "sacré", dont il faut se demander ce que c'est :  "Qui appartient à un domaine séparé, inviolable, privilégié par son contact avec la divinité et inspirant crainte et respect." J'ai bien du mal !
"Relatif au culte, à la liturgie."
Mais culte ?   "Attitude de réserve, de piété envers une chose considérée pour sa valeur morale."
D'où "piété" : "Attachement fervent à Dieu; respect des croyances et des devoirs de la religion." On arrive au respect. On tourne en rond : il faut être respectueux parce qu'il faut être respectueux.

Tient, je n'oublie pas un des sens du respect :  "Fait de prendre en considération la dignité de la personne humaine". Mais... dignité ? 
"Sentiment de la valeur intrinsèque d'une personne ou d'une chose, et qui commande le respect d'autrui." Il faut être respectueux, donc considérer la dignité, mais cette dernière commande le respect. Encore une circularité. A moins que l'on considère la dignité comme "Prérogative (charge, fonction ou titre) acquise par une personne (un groupe de personnes), entraînant le respect et lui conférant un rang éminent dans la société." Décidément non, encore la circularité

Fait de considérer une chose comme juste ou bonne et ne pas y porter atteinte, ne pas l'enfreindre; fait d'y être fidèle.
Ne pas porter atteinte. Pourquoi  porterions-nous atteinte aux Maîtres ? Et, j'y reviens, pourquoi ne porterions-nous pas atteinte aux mauvais "Maîtres".
Quant à "fidèle" : "Qui a le souci de la foi donnée, qui est respectueux de sa parole, de ses engagements." Mais qui a jamais dit que nous avons donné notre parole à notre Maître ? Et si nous nous sommes trompés, n'avons-nous pas lieu de changer ?
Et je trouve encore "Crainte du jugement des hommes, attitude qui conduit à adopter des comportements conformistes dans la crainte de choquer, de déplaire, du qu'en-dira-t-on." Là, que l'on me pardonne de ne pas m'apesantir sur ces histoires de conformisme qui m'ennuyent.

Bref, je reviens à la question du respect que l'on doit ou non aux Maîtres. Elle présuppose la notion de Maître, qui aurait dû venir avant celle du respect. Nous faut-il des Maîtres ? Des "personnes qui ont un pouvoir de domination" ?
Je ne vais quand même pas poursuivre plus longtemps, car je me suis déjà beaucoup expliqué. Disons que je suis heureux d'attribuer honnêtement la paternité d'une belle idée à celui qui me l'a donnée.... avec cette réticence constante que je veux être bien sûr que celui qui l'a transmise est celui qui en est à l'origine.
Par exemple, ce matin, dans une master class, le musicien Benjamin Zander discutait le jeu d'un contrebassiste, et il lui demandait "Quel sera le niveau supérieur suivant ?". Il observait que tout ce qui est humain est imparfait (ce que j'ai publié mille fois), et s'interrogeait sur les possibilités d'amélioration. Oui, quel sera le niveau supérieur ?