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mercredi 20 décembre 2023

Qu'est-ce qu'un bon scientifique ?

 Qu'est-ce qu'une bonne scientifique ? Qu'est-ce qu'un bon scientifique ?

La réponse est très simple : c'est quelqu'un qui fait des découvertes, qui "lève un coin du grand voile !


N'oublions jamais cette réponse évidente, alors qu'un état d'esprit ambiant voudrait nous faire croire qu'il s'agit de diriger des équipes, d'administrer la recherche...
Non, quelqu'un qui administre est un administrateur et pas un scientifique. Et quelqu'un qui dirige est un directeur, et pas un scientifique.
Un scientifique, c'est quelqu'un qui est engagé chaque seconde dans l'identification des phénomènes, leur quantification, la réunion des données en équations, l'introduction de concepts nouveaux, la recherche de conséquences logiques de la théorie ainsi construite, le test  expérimental des prévisions théoriques.

Tout le reste, ce n'est pas de la recherche scientifique. Je ne suis pas sûr qu'il soit nécessaire d'épiloguer beaucoup, sauf à signaler que, hélas, nos institutions proposent aux chercheurs éventuellement dit brillants (les "hauts potentiel", les "chercheurs d'excellence" : quelle blague !), de prendre en charge des structures, d'administrer, de "gérer du personnel", de passer un temps infini dans des réunions dont il n'est pas dit qu'elles soient toutes vraiment utiles.
Il n'est pas  dit que ces personnes -dont je voudrais que l'on m'établisse vraiment qu'elles sont "supérieures"-  soient vraiment capables de faire ce travail administratif, et, en tout cas, si elles acceptent de se détourner de la recherche, elles démontrent ainsi qu'elles ne font plus de sciences, mais de l'administration ou de la direction. 

Or on ne répétera jamais assez que nous sommes ce que nous faisons !

 Quelqu'un qui ne fait pas de science mais qui la dirige n'est pas un scientifique, je le répète, mais un directeur. Et à ce mot de directeur, je me suis déjà exprimé dans d'autres billets en observant qu'un directeur est quelqu'un qui donne des directions. Bon. Mais diriger des scientifiques ? Cela voudrait dire que ces personnes sont capables d'identifier les directions vers lesquelles leurs ouailles puisse se diriger en ayant une garantie de faire des découvertes : ces directeurs sont-ils capables de cela ? Peuvent-ils me l'assurer, me le démontrer ?  Sans assurance de leur part, je ne suis pas prêt à emprunter des chemins qui me détournent des idées que j'ai, des stratégies véritablement scientifiques que j'élabore (et le "je" ne me désigne pas, mais s'applique à tout scientifique engagé dans sa recherche, et responsable).

Je pose à nouveau, donc,  la question de savoir ce qu'est un bon scientifique. La réponse est claire  : c'est quelqu'un qui fait des découvertes, et, mieux, des découvertes notables. Et cela seulement, et rien d'autre. Aucun climat général, aucune idée qui traîne, fut-ce dans un ministère,  ne pourra  jamais me faire penser le contraire, et je propose que cela soit bien dit aux jeunes scientifiques : ne les désespérons pas !

Et prenons des exemples :  André Wiles était-il un bon mathématicien ? Il s'est retiré chez lui pendant quatre ans, ne venant pas au laboratoire, nous prenant aucune tâche d'intérêt général, ne faisant aucune administration... et il a démontré le théorème de Fermat : son nom restera à jamais dans l'histoire des mathématiques.
Les exemples de ce type abondent et ce n'est pas le fait d'être inséré dans une équipe, de mettre son nom sur des articles qu'on a vaguement lu, afin de gonfler des CV, qui donne des compétences scientifiques. Car les compétences scientifiques se construisent seconde après seconde... et tout ce qui détourne de la science ne contribue pas à accroître ces compétences. Des esprits supérieurs qui feraient des découvertes en claquant des doigts, par une sorte de "génie" ? De la blague ! 
Cette dernière observation, à propos des CV plein de publications, doit alerter. Des personnes qui publient jusqu'à un article tous les trois jours détournent clairement les règles de l'honnêteté intellectuelle,  et cela fait des années ça aurait dû être dénoncé par les institutions scientifiques, qui, en réalité, sont responsables de ces comportements : n'ont-ils pas promu un état d'esprit où le nombre de publications était une panacée ?
Non, on ne parvient pas à mettre en œuvre raisonnablement une idée scientifique tous les jours ; il faut des semaines, des mois, des années pour arriver à des résultats un peu notable. Les scientifiques ne sont pas des techniciens producteurs de données : ceux-là sont des techniciens, et, s'ils contribuent à l'avancée des sciences, ils font un travail technique pas des "découvertes".

Concluons :  un scientifique, c'est quelqu'un qui fait de la recherche scientifique, et un bon scientifique, c'est quelqu'un qui fait des découvertes lors de ses recherches scientifiques. Un point c'est tout.
N'oublions pas : nous sommes ce que nous faisons !

mardi 18 octobre 2022

Les scientifiques sont payés pour réfuter les théories anciennes et en produire de nouvelles

 
À quoi bon payer des scientifiques ? Essayons honnêtement de répondre à cette question au balayant d'un revers de main les déclarations honteuses d'un ancien président de la République qui disait préférer des trouveurs à des chercheurs.
 
D'ailleurs, cet homme, qui maniait plus l'idéologie que la vérité,  utilisait le mot "chercheur", qui correspond mal à ce qu'il voulait désigner.
En effet, un chercheur, c'est quelqu'un qui cherche : il peut y avoir des chercheurs tout aussi bien dans le milieu industriel que dans le milieu artistique. Un ingénieur qui fait autre chose que la coordination, qui se préoccupe de technologie est un chercheur. Un artiste qui veut faire autre chose que reproduire est également un chercheur. Et un historien, à géographe qui font des travaux de recherche sont des chercheurs.

Ce ne sont pas des scientifiques au sens des sciences de la nature :  physique, chimie, et cetera. Ces scientifiques-là, quelle est leur mission ? pourquoi l'État les paye t-il ?

La mission principale d'un scientifique, c'est la recherche scientifique, c'est-à-dire l'exploration des mécanismes des phénomènes.
Ces explorations conduisent à des théories, mais on n'a pas assez dit que les scientifiques sont moins intéressés par produire des théories que par réfuter des théories anciennes, en vue d'en installer de nouvelles... dont ils savent que ces nouvelles théories  restent insuffisantes, et qu'il faudra continuer à les améliorer.
Bien sûr, il y a aussi la mission de découverte :  identifier dans le monde des objets que l'on ne connaissait pas.

Au fond, ces deux missions sont absolument parallèles :  les découvertes se font alors que l'on teste les théories ; c'est parce que l'on voit des particularités du monde échapper aux théories anciennes que l'on peut identifier les pistes d'amélioration.

Bien sûr, derrière tout cela, il y a des possibilités de transfert technique, par la technologie : celle-ci doit être au fait des dernières découvertes scientifiques pour aller améliorer la technique.
Mais les scientifiques, doivent rester dans le rôle d'exploration des théories, de découverte de particularités du monde.

Albert Einstein disait : lever un coin du grand voile.


vendredi 4 décembre 2020

La différence entre un scientifique et un ingénieur ? Elle est fondamentale !



Alors que je discute encore de la différence fondamentale, essentielle, existentielle même, entre les sciences de la nature et la technologie, je reçois cette question : "Quelle différence entre un scientifique et un ingénieur ?"

Par scientifique, on a compris que mon interlocuteur parle des sciences de la nature, et non pas des sciences de l'humain et de la société. Pour l" ingénieur", de même, on a compris qu'il considère ceux qui se préoccupent de technologie, qu'il ne pense pas aux ingénieurs commerciaux, par exemple.

Quelle différence, donc, entre un scientifique et un ingénieur, au sens restreint indiqué ? Les activités humaines sont caractérisés par leur objectif : pensons à la destination dans un voyage. Cette destination est accessible quand on emprunte un chemin, qui -faut-il le souligner ?- dépend de la destination.  De même que l'on n'arrivera jamais à Colmar si l'on ne s'est pas posé la question de savoir que l'on voulait y aller,  et d'avoir répondu que l'on voulait aller à Colmar, on n'arrivera pas à faire de  la science si l'on sait pas ce qu'est  la science, et l'on ne fera  pas bien de  la technologie, le métier des ingénieurs au moins pour certains, si l'on ne sait pas bien ce qu'est la technologie.

La science ? C'est la recherche des mécanismes des phénomènes par une méthode qui consiste à identifier les phénomènes, à les caractériser quantitativement, par des nombres, des mesures, à réunir les données en équations nommées lois, puis à introduire des concepts nouveaux, compatibles avec toutes ces équations pour former des théories, théories dont on cherche des conséquences théoriques que l'on teste expérimentalement, en  vue de réfuter nos propres théories, de les améliorer.
L'objectif est clair, la méthode, c'est-à-dire le chemin, l'est aussi. Et tout ce qui détourne le scientifique de son chemin, tout ce qui ne fait pas partie de la description précédente, compromet la réussite de ce projet scientifique. Les grands scientifiques du passé se sont largement exprimés à ce propos : "Y penser toujours", recommandait Louis Pasteur.

Pour la technologie, maintenant, l'objectif est bien différent, puisqu'il s'agit de trouver des applications des connaissances scientifiques, de parvenir à mettre ces connaissances en œuvre, pratiquement, pour arriver à des résultats concrets.
Et c'est ainsi que les ingénieurs fabriquent -merveilleusement : ne soyons pas blasés !-  des fusée, des avions, des ordinateurs, des médicaments, des cosmétiques... Faire ces produits de façon moderne, innovante, impose de très bien connaître les résultats des sciences de la nature, mais l'objectif est alors bien différent : il ne s'agit pas de produire ces résultats, ce qui prendrait du temps à la recherche des applications, mais seulement   d'en avoir connaissance et de chercher à les appliquer.
Il y a donc là une destination différente de celles des sciences, un objectif différent, et toute seconde détournée de ce chemin-là compromet la possibilité d'atteindre l'objectif technologique, que ce soit des tracas familiaux, de santé, ou des errements dans des travaux scientifiques au lieu d'être technologiques.  

Autrement dit, le scientifique ne peut pas perdre son temps à faire un autre métier que le sien, et l'ingénieur non plus. Les deux doivent certainement se parler, mais sans confondre leurs objectifs, puisque ces objectifs sont différents.
D'ailleurs, certaines grosses  sociétés l'ont compris puisque, ayant quelque temps payé  des services de recherche scientifique, elles les ont finalement fermés pour ne garder que les services de "recherche et développement" : cette terminologie anglicisante signifie  recherche d'applications et mise au point ; pas recherche scientifique ! D'ailleurs, ces sociétés ont eu raison de comprendre qu'elles ne faisaient pas leur métier, qu'elles ne pouvaient pas produire de la science, car les conditions différaient trop de celles de la production scientifique, les évaluations des personnes ne pouvaient se faire de la même façon que pour les ingénieurs ; bref, c'était une autre culture, d'autres objectifs, d'autres chemins.

Oui, même si  le prix Nobel couronne à la fois des travaux scientifiques et des travaux technologiques, il y a lieu de nous souvenir de Louis Pasteur, qui fut un excellent chimiste, au sens scientifique du terme... avant de changer de voie pour la technologie. C'est lui-même qui l'a écrit, quand il critiquait l'expression fautive de "science appliquée" : non, il y a de la science, et des applications de la science, et il n'y a pas de relations entre les deux. D'ailleurs Pasteur signalait lui-même qu'il s'était résolu à se consacrer finalement aux applications de la science parce qu'il y voyait une "utilité" plus immédiate de son travail.



mercredi 4 septembre 2019

Qui est scientifique ?


Dans la revue Chemistry World, un article paraît sous le titre Am I really a scientist?, et il discute la question de la "science participative", si à la mode aujourd'hui. En substance, on aurait intérêt à n'exclure personne de la dénomination "scientifique", et il ne faudrait pas refuser ce titre à ceux qui ont fait un temps de la science, sans quoi les pauvres chéris seraient ennuyés (on voit que je me moque). Et de nous ajouter ceux qui sont parents d'enfants handicapés et qui ne peuvent pas aller au laboratoire (un argument de type violons et sanglots), ou bien de confondre la technologie et la science, sans parler des femmes des pays intégristes, qui seraient privées de la possibilité d'être scientifiques.
Je trouve cet article très mauvais, donc, parce que je propose de bien conserver à l'idée que nous sommes ce que nous faisons : si nous faisons de la science (recherche scientifique), nous sommes scientifiques, mais si nous ne faisons pas de science, nous ne sommes pas scientifiques.
Faire de la politique ? Faire de la direction ? Faire de la communication ? Cela n'est pas faire de la science, et l'on aura intérêt à bien relire Albert  Einstein :

" Le Temple de la Science se présente comme une construction à mille formes. Les hommes qui le fréquentent ainsi que les motivations morales qui y conduisent se révèlent tous différents. L’un s’adonne à la Science dans le sentiment de bonheur que lui procure cette puissance intellectuelle supérieure. Pour lui la Science se découvre le sport adéquat, la vie débordante d’énergie, la réalisation de toutes les ambitions. Ainsi doit-elle se manifester! Mais beaucoup d’autres se rencontrent également en ce Temple qui, exclusivement pour une raison utilitaire, n’offrent en contrepartie que leur substance cérébrale! Si un ange de Dieu apparaissait et chassait du Temple tous les hommes qui font partie de ces deux catégories, ce Temple se viderait de façon significative mais on y trouverait encore tout de même des hommes du passé et du présent. Parmi ceux-là nous trouverions notre Planck. C’est pour cela que nous l’aimons.
   Je sais bien que, par notre apparition, nous avons chassé d’un coeur léger beaucoup d’hommes de valeur qui ont édifié le Temple de la Science pour une grande, peut-être pour la plus grande partie. Pour notre ange, la décision à prendre serait bien difficile dans grand nombre de cas. Mais une constatation s’impose à moi. Il n’y aurait eu que des individus comme ceux qui ont été exclus, eh bien le Temple ne se serait pas édifié, tout autant qu’une forêt ne peut se développer si elle n’est constituée que de plantes grimpantes! En réalité ces individus se contentent de n’importe quel théâtre pour leur activité. Les circonstances extérieures décideront de leur carrière d’ingénieur, d’officier, de commerçant ou de scientifique. Mais regardons à nouveau ceux qui ont trouvé grâce aux yeux de l’ange. Ils se révèlent singuliers, peu communicatifs, solitaires et malgré ces points communs se ressemblent moins entre eux que ceux qui ont été expulsés. Qu’est-ce qui les a conduits au Temple? La réponse n’est pas facile à fournir et ne peut assurément pas s’appliquer uniformément à tous. Mais d’abord en premier lieu, avec Schopenhauer, je m’imagine qu’une des motivations les plus puissantes qui incitent à une oeuvre artistique ou scientifique, consiste en une volonté d’évasion du quotidien dans sa rigueur cruelle et sa monotonie désespérante, en un besoin d’échapper aux chaînes des désirs propres éternellement instables. Cela pousse les êtres sensibles à se dégager de leur existence personnelle pour chercher l’univers de la contemplation et de la compréhension objectives. Cette motivation ressemble à la nostalgie qui attire le citadin loin de son environnement bruyant et compliqué vers les paisibles paysages de la haute montagne, où le regard vagabonde à travers une atmosphère calme et pure, et se perd dans les perspectives reposantes semblant avoir été créées pour l’éternité.
 A cette motivation d’ordre négatif s’en associe une autre plus positive. L’homme cherche à se former de quelque manière que ce soit, mais selon sa propre logique, une image du monde simple et claire. Ainsi surmonte-t-il l’univers du vécu parce qu’il s’efforce dans une certaine mesure de le remplacer par cette image. Chacun à sa façon procède de cette manière, qu’il s’agisse d’un peintre, d’un poète, d’un philosophe spéculatif ou d’un physicien. A cette image et sa réalisation il consacre l’essentiel de sa vie affective pour acquérir ainsi la paix et la force qu’il ne peut pas obtenir dans les limites trop restreintes de l’expérience tourbillonnante et subjective. »



Cela ne signifie pas que l'on refuse à quelqu'un qui a eu une formation scientifique d'avoir eu une formation scientifique... mais :
1. imaginons un plombier qui ait une formation en science : il est plombier, pas scientifique. Plus généralement, si nous nommons scientifiques tous ceux qui ont eu des cours de physique ou de chimie, ou de biologie, tous les Français seraient scientifique, ce qui montre l'absurdité de l'argument donné par l'auteur de l'article que je discute ici.
2. une formation scientifique ne signifie généralement pas faire de la recherche scientifique, mais connaître quelques notions, données, concepts, méthodes de la science. C'est comme avoir des notions d'histoire, de géographie ou de littérature. Ces rudiments (cela veut dire peu) ne font pas le ou la scientifique pour autant.

Mais venons-en aux "sciences participatives". De quoi s'agit-il ? Par exemple, que des citoyens qui observent une plante particulière à un endroit particulier le signalent aux... scientifiques du Muséum national d'histoire naturelle. Ou bien que des jeunes d'un club d'astronomie contribuent à la recherche sur les amas ouverts. Ou que des jeunes d'un club de chimie testent des formules d'émaux qui donnent des couleurs intéressantes.
S'agit-il de science ? Sont-ils des scientifiques ?

On gagnera à rappeler, dans cette discussion, la méthode des sciences de la nature :
1.  observation  (identification) d'un phénomène
2. caractérisation quantitative du phénomène
3. réunion des données en lois synthétiques (équations)
4. production d'une théorie par réunion de lois, introductions de nouvelles notions, de nouveaux concepts ; le tout doit être quantitativement (équations) compatible avec les données de mesure obtenues en 2
5. recherche de conséquences théories des hypothèses faites
6. tests expérimentaux de ces conséquences
Et ainsi de suite à l'infini.

Oui, on pourrait avoir la tentation de nommer scientifique toute personne qui contribue activement à certaines de ces étapes... mais est-on scientifique pour autant, ou bien a-t-on seulement contribué  à la recherche scientifique ? Si l'on a posé une des pierres  (une seulement) de la Grande Muraille de Chine, est-on constructeur de la Grande Muraille ?
Dans cette discussion, je propose de bien montrer l'image d'une balance à plateaux. Il y a le travail d'un côté, et la prétention de l'autre. Si l'on travaille plus qu'on n'a de prétention, on est travailleur, mais dans le cas inverse, on est prétentieux.










Bref, la question est de savoir qui veut se dire scientifique et pourquoi ?

vendredi 22 mars 2019

N'est pas "scientifique" quelqu'un qui ne pratique pas la recherche scientifique


Qui est scientifique ? La question semble simple : un scientifique, c'est quelqu'un qui fait un travail scientifique. Pour les sciences de la nature, cela signifie chercher le mécanisme des phénomènes à l'aide d'une méthode que j'ai décrite déjà plusieurs fois. Autrement dit, toute personne qui cherche les mécanismes des phénomènes à l'aide de cette méthode a une activité scientifique, et est donc un(e) scientifique.
A côté de ce noyau fait d'individus, qui, seuls, méritent  le nom de "scientifiques", il y a tout une constellation de personnes...  qui ne sont pas scientifiques. Il y a par exemple des journalistes scientifiques,  qui ne font pas un travail scientifique, mais un travail de journaliste. Il y a des administrateurs, qui ne font pas un travail scientifique, mais un travail d'aministration. Il y a des auteurs, des communicateurs variées, qui ne sont pas scientifiques mais qu'ils font un travail de communication.
Certains de mes amis sont un peu perdus, et c'est  la raison pour laquelle je mets les choses au point.

Dans certains cas, la question est bien plus intéressante que celle avec laquelle je commence ce billet. Par  exemple,  Léonard de Vinci était-il un scientifique ? Ou bien était-il peintre et dessinateur ? Ou bien était-il ingénieur ?
La définition que je viens de donner permet de regarder posément les choses, clairement. Quand on examine en détail le travail de Léonard de Vinci, on voit par exemple de remarquables descriptions anatomiques ou physiologiques, qui valaient largement celles qui étaient faites de son temps par des anatomistes ou par des physiologistes plus patentés. De ce point de vue, Léonard de Vinci n'a pas démérité. On pourrait dire la même chose à propos de physique, mais évidemment, Léonard de Vinci n'est pas le géant qu'était Galilée et qui su créer la science moderne, en mélangeant  le calcul et l'expérience.
On sait que Léonard de Vinci était intéressé par les mathématiques, mais il ne fuit pas à la hauteur d'un Galilée ou d'un Huygens par exemple. Les compétences en mécanique ou ou en ingénierie ? Là, la question est résolue facilement,  puisque la technologie n'est pas la science.
Finalement, on voit clairement que Léonard de Vinci n'a pas démérité, mais qu'il est resté à une science assez naturaliste et non pas moderne, puisque cette science moderne qui repose sur l'expérience et le calcul n'avait pas encore été inventée. Léonard de Vinci était donc une sorte de scientifique d'avant la science moderne,  ce qui doit nous conduire quand même à faire cette différence essentielle  : il y a la science, d'une part, et la science moderne, d'autre part, cette dernière ayant été véritablement inventée, avec le calcul qui lui donne toute sa puissance, tout son intérêt, toute sa beauté.

 PS. Je renvoie ceux qui sont intéressés vers le dossier Léonard de Vinci dans la série "Les génies de la science" de la revue Pour la science.

dimanche 7 octobre 2018

Pourquoi ai-je mis si longtemps à comprendre ?


L'emploi de l'adjectif a ses pièges, mais aucun ne me semble si pernicieux que celui que je détecte aujourd'hui dans l'expression "journaliste scientifique". Car un journaliste est un journaliste, et pas un scientifique. Certes, un journaliste peut s'intéresser aux sciences, mais c'est alors un journaliste éventuellement spécialiste de sciences, et notre homme ou notre femme ne devient pas scientifique pour autant. Pour être "scientifique", il faut faire de la science.
De la science ? Le diable s'introduit dans la discussion avec ce terme, parce qu'il a quand même une acception de simple savoir : on parle de la "science du cordonnier" pour désigner son savoir technique, qui se distingue, bien évidemment, des sciences de la nature que sont la chimie ou la physique.
Mais ce n'est d'ailleurs pas là où le diable est plus pernicieux, car ces usages-là sont faciles à détecter, contrairement à l'erreur qui est commise, sciemment ou non, dans "journaliste scientifique". Là, on pourrait presque se laisser aller... comme je l'ai fait pendant des décennies. Et l'on arrive à des situations détestables, comme quand un de ces journalistes s'érige en juge de la science, prétendant savoir si un travail est bon ou non, au mépris du jugement par les pairs, qui reste, quoi qu'on en dise, et malgré ses écueils, le seul raisonnable.

Bref, je vais m'efforcer de me corriger.

mercredi 5 septembre 2018

Ce que dit ce blog

Ceux qui consulte parfois ce blog se sentent peut-être "bousculés" par son hétérogénéité apparente, mais cela n'est qu'apparent, et ceux qui sont plus réguliers ont compris, je suppose, qu'il  y a environ quatre grands courants.


1. Il y a tout d'abord des billets de cuisine,  où j'analyse des techniques culinaires, où je réponds à des questions techniques, où, parfois, je présente des réflexions esthétiques, sachant que,  de ce dernier point de vue, je me suis quand même beaucoup exprimé dans mon livre La cuisine, c'est de l'amour, de la technique.

2. Il y a aussi une série de réflexions scientifiques. Non pas des informations, comme le ferait une revue de vulgarisation, mais surtout des notions, des concepts, et plus encore des méthodes.

C'est ainsi que j'ai produit une longue salve de billet consacré aux bonnes pratiques en recherche scientifique, mais il y a aussi des réflexions épistémologique fréquentes, et, surtout, des réflexions de stratégie scientifique, ce grand champ oublié des "enseignements", disons des études scientifiques.

3. Troisième grand groupe  : les réflexions didactiques, et on voit ici pourquoi j'ai utilisé des guillemets autour de ce mot "enseignement" que je déteste : dans les temps récents, j'ai largement évoqué le fait que les professeurs ne peuvent pas enseigner, mais seulement "professer" ; et puis, les professeurs ne sont rien, car ce sont les étudiants qui comptent, et ceux-là doivent étudier, apprendre... Les professeurs ne peuvent que donner de l'enthousiasme, de l'énergie pour que les étudiants obtiennent efficacement  des connaissances, des compétences et des savoirs être. C'est là une synthèse de beaucoup de billets des dernières

4. Enfin, il y a des billets que je qualifie de politiques, même si la terminologie est un peu inappropriée. En réalité, il s'agit de réflexions différentes des trois précédentes, et je laisse mes amis les caractériser mieux en allant consulter les billets successifs.


 Y a-t-il un ordre dans l'émission de ces billets ? Non, j'essaie seulement, au gré des circonstances, de l'actualité, et, surtout, de mes avancées personnelles, de  proposer des réflexions à mes amis. Tout doit être très positif, très enthousiaste,  et je n'ai d'ailleurs pas beaucoup d'efforts à faire pour y parvenir tant il est vrai que l'enthousiasme et l'optimisme peuvent être communicatifs, et que, en tout cas, c'est mon espoir qu'ils le soient.







jeudi 26 juillet 2018

Peut-on toucher aux idoles ? C'est à l'oeuvre qu'on connaît l'artisan



Moi qui ai beaucoup d'amiration pour l'oeuvre de Diderot, je trouve en ligne un texte à charge contre cet homme. 



En substance, l'auteur dit que Diderot était loin d'être si vertueux que Diderot lui-même l'aurait sous-entendu : il se serait mis en scène comme un bon père de famille, comme un philosophe éclairé, alors qu'il aurait trompé sa femme et mal élevé sa fille, qu'il aurait faussement aimé cette dernière, qu'il n'aurait pas été fidèle à ses amis, que la description de son emprisonnement à Vincennes aurait été outré, etc. 



Evidemment, quand les critiques s'accumulent, comme ici, on doit toujours craindre des excès de la part d'un auteur qui veut établir un point : on en connaît plus d'un qui a fait un ouvrage pour faire un ouvrage, au mépris de la vérité. Et l'on vient à douter de ce qui est dit, et qui vient à l'encontre des louanges si abondamment répandues par ailleurs. Et c'est par le même mécanisme que la biographie du chimiste Marcellin Berthelot par Jean Jacques a souvent été discréditée, et notamment par les descendants de Berthelot, qui n'admettaient pas que l'on puisse critiquer leur ancêtre. Malgré l'intelligence de Jean Jacques, malgré son intelligence littéraire, il n'a pas réussi à éviter que ses propos ne soient rejetés car considérés comme excessif. Oui, on ne touche pas facilement aux idoles.
Pourtant, dans le cas de Jean Jacques, les faits sont donnés, et on a en réalité mille raisons de refuser d'admirer Marcellin Berthelot… car il ne reste pas grand-chose de ce dont on l'a paré. Si Berthelot a initialement été un méritant petit jeune homme intéressé par la chimie, il fut manifestement le constructeur de son propre mythe, au prix d'une certaine malhonnêteté intellectuelle.
Et pour Diderot ? Oui, Diderot a trompé son épouse, et cela est mal… mais on pourra aussi considérer qu'il fut merveilleusement fidèle à Sophie Volland. Le critique nous dit que, marié initialement à une lingère, Diderot l'aurait initialement trompé avec une aristocrate, puis que, parvenu dans le monde, il aurait poursuivi ses infidélités. Stricto sensu, cela est exact, mais tendancieux, et l'on observera, à la décharge de Diderot, qu'il resta éperdument amoureux de Sophie Volland sans aucun espoir de « parvenir ». Diderot était sans doute trop impulsif pour être complètement arriviste !
Notre « homme à fiel » déplore les relations compliquées de Diderot avec Rousseau… mais il n'y a pas que Diderot qui ait dit de Rousseau qu'il avait un caractère déplorable, et, d'ailleurs, Rousseau s'est fâché avec la plupart de ses amis, avec souvent des comportements lâches et traitres (j'ajoute que je déteste la philosophie de Rousseau, parce qu'elle me semble très néfaste, un peu comme l'idéologie sous jacente de Thoreau : alors que j'admets parfaitement que l'on puisse chanter la « nature », je revendique que nous ne fassions pas l'apologie d'un retour trop naïf à cette dernière).
Diderot à Vincennes ? Ce fut quand même le cas, et, que sa captivité ait été légère ou pas, elle a duré cent jours ! N'était-il pas véritablement intolérable que des tyrans puissent avoir le pouvoir discrétionnaire d'enfermer qui ils voulaient ?
Et ainsi de suite.
Diderot n'est ni bon ni méchant, comme il le dit lui-même d'un personnage d'une de ses œuvres ; il est humain, et il faut le juger à l'aune de son travail, de ses oeuvres. La principale est l'Enclyclopédie, qui est le fruit d'un travail immense, mais je ne me lasse pas de Jacques le Fataliste.

Ce qui me fait rervenir à une discussion sur les scientifiques et leurs oeuvres. On sait bien que les scientifiques ne sont pas tous parfaits, humainement, mais certains ont fait des travaux merveilleux, obtenu des résultats extraordinaires. Louis Pasteur avait un caractère si terrible qu'il suscita la révolte des étudiants de l'Ecole normale supérieure… mais il découvrit quand même la chiralité et fonda la microbiologie. Davy était vaniteux… mais il découvrit le potassium et le sodium. Et ainsi de suite, jusqu'à Einstein, qui quitta sa première femme, en lui laissant un enfant dont il ne s'occupa guère.

J'ai proposé ailleurs de ne pas seulement louer l'homme ou la femme, ce qui est naïf, ni seulement louer l'oeuvre, ce qui ferait une science désincarnée. Je propose mais célébrer les deux ensemble, en s'intéressant moins aux conditions matérielles de production, qu'à tout le travail qui a été nécessaire pour produire les oeuvres.

dimanche 15 janvier 2017

Scientifique ?

Le mot "scientifique" est souvent dévoyé, détourné de son sens par des personnes qui ne le comprennent pas, ou bien qui, sciemment, l'utilisent à des fins pas toujours honnêtes. D'ailleurs, dans ce second cas, on voit aussi apparaître le mot "prouvé", souvent dans l'expression "prouvé scientifiquement", qui est un oxymoron, c'est-à-dire l'alliance de deux termes contradictoires. Expliquons.

 Scientifique ? Il y a un rapport à la science, et, dans ces matières, aux sciences de la nature plutôt qu'aux sciences de l'être humain et de la société. Pour ces sciences, le travail consiste à observer les phénomènes, les quantifier, réunir les données en lois, chercher des mécanismes quantitativement compatibles avec ces lois, chercher des prévisions théoriques utilisant ces mécanismes et tester expérimentalement ces prévisions en vue de les réfuter, afin d'arriver àde nouveaux mécanismes mieux appropriés. Jamais de "preuve", puisque les théories sont insuffisantes par principe.

Cela étant posé, quels objets méritent-ils d'être nommés "scientifiques" ? Ceux qui se rapportent à la science. Donc pas des observations médicales, par exemple, puisque le grand Claude Bernard a bien montré que la médecine est une technique, et non pas une science. Pas des observations agronomiques, puisque l'agronomie est une technologie, et non pas une science. Plus généralement, pas des observations relatives à une technique, sans quoi il s'agit de technologie et non pas de science. A ce titre, il faut bien dire que la science nommée gastronomie moléculaire n'a pas pour but d'améliorer la cuisine, sans quoi ce serait une technologie, mais bien d'identifier des phénomènes ou des mécanismes inédits, la cuisine servant seulement de terrain d'exploration. Bien sûr, la gastronomie moléculaire a des applications en grand nombre, pédagogiques ou techniques, de sorte qu'il existe effectivement une technologie culinaire fondée sur la gastronomie moléculaire... mais qui ne se confond pas avec elle !

La vulgarisation ? Ce n'est pas non plus de la science, mais de la vulgarisation... et je connais nombre de spécialistes des "sciences studies" qui, hélas, confondent le discours qu'ils comprennent (de la vulgarisation) et la science. La question n'est pas neuve, malheureusement, et l'on s'est demandé depuis longtemps quels critères permettaient de répondre aux question suivantes.
Comment définir un texte "scientifique" ? Un film "scientifique" ? Un travail "scientifique" ?
La question a été bien posée dans une conférence au Palais de la découverte, en 1955, par Jean Painlevé :
"Le domaine du cinéma scientifique s'étend de la réalisation à l'utilisation des films scientifiques : mais comment délimiter le qualificatif "scientifique", dont l'emploi abusif permet de couvrir des films de tourisme sous prétexte d'ethnographie, des films d'hygiène alimentaire sous prétexte de lutte antimicrobienne, de propagande culinaire sous prétexte de phénomènes physico-chimiques de cuisson ? Le sujet réel et la manière de le traiter établissent déjà, pour peu qu'on le précise de plus en plus, une possibilité de restriction empêchant le pavillon de couvrir n'importe quelle marchandise. Ainsi, on peut déjà distinguer le documentaire scientifique du film de recherche.
"Même s'il fait une grande place aux documents purs, le documentaire scientifique diffère du film de recherche, car il impose déjà une conception, une explication influencée par le montage, le rythme, il cherche à convaincre, tandis que le document, lui, doit être livré tel qu'el aux analystes : c'est un document révélant un fait attendu ou non suivant l'hypothèse de travail qui a déterminé la prise de vue, mais que le cinéma a décelé ou aidé à mieux voir. La diffusion de connaissances nouvelles ou la diffusion de connaissances anciennes envisagées sous un aspect original (nouvelles preuves, nouvelles applications) nécessitent une présentation ; ce sera toujours un documentaire."

 C'était bien dit, non ?

mardi 3 avril 2012

Qu'est-ce qu'un "bon élève" ?

J'étais récemment à un colloque, où des collègues savants ont fait des présentations ennuyeuses à mourir ! Powerpoint convenus, ton monocorde, aucun effet de manche... Nous avions devant nous de "bons élèves", propres sur eux intellectuellement... mais inefficaces ! De même qu'un poison ingurgité dans une boite étanche n'est pas un poison, une belle idée qu'on laisse dans un tiroir n'est pas une belle idée.
Et, nos "bons élèves" étaient en réalité de "mauvais élèves" !
Je propose que nos systèmes universitaires finissent par bien reconnaître ce point essentiel. Pierre-Gille de Gennes disait que la qualité d'un scientifique se mesure au nombre de kilomètres invités pour des conférences à l'étranger. On sait qu'il peut y avoir des effets de tourisme scientifique, de copinages, etc. mais l'idée est là : une belle idée, c'est une idée, d'abord, mais c'est aussi une idée qui conduit notre entourage à l'utiliser !
Et, du coup, un bon élève, c'est quelqu'un qui sait intéresser les autres !

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