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jeudi 23 avril 2020

Il est temps d'introduire une critique gastronomique qui ne confonde pas tous sous prétexte de poésie !

Il est temps d'introduire une critique gastronomique qui ne confonde pas tous sous prétexte de poésie !

1. Il y a des écrivains qui discutent des questions culinaires : leur activité pourrait-elle de la critique "culinaire" ? Ce serait une expression abusive, car cette critique n'est pas de la cuisine. Serait-une écriture "gourmande" ? Pas plus : c'est éventuellement l'écrivain, qui est gourmande (et j'écris "éventuellement" en référence au Paradoxe sur le comédien, de mon ami Denis Diderot). Serait-une écriture gastronomique ? Très certainement, et j'insiste un peu en observant qu'il ne s'agit pas, avec le mot "gastronomie", de cuisine coûteuse, d'apparat, fine, mais de connaissance de la cuisine. Le discours à propos de la cuisine est très proprement, très justement gastronomique.

2. Hélas, cette littérature-là est bien trop indigente, car elle verse le plus souvent dans le "j'aime" ou le "je n'aime pas". Mais qu'avons-nous à faire de ce qu'un petit marquis ou une petite marquise aime ou n'aime pas ? Qu'il ou elle gardent leurs goût pour eux, au lieu de vouloir nous les imposer ?

3. Je leur réclame autre chose : des éclaircissements, des explications, et cela n'est plus de la poésie, mais du précis, pratique, rigoureux. Il est temps que, passé l'après guerre, où les journalistes politiques les plus sulfureux ont été souvent recasés dans la critique gastronomique, nous ayons enfin des écrivains compétents, précis.

4. Et leur plume doit donc être précise, fine et juste. C'est ce que je réclame dans au moins deux de mes livres :
- La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique : une idée structurante, d'ailleurs, que ce titre, car pourquoi nos amis critiques n'analyseraient-ils pas la cuisine selon ces trois composantes, si elles sont celles de la cuisine (et elles le sont !) ?



- Les précisions culinaires : dans la dernière partie, déjà, je proposais des rénovations de la littérature gastronomique, et je vous invite à en prendre connaissance.


mardi 16 juillet 2019

Savoir lire, savoir relire

On dit que savoir lire, c'est savoir relire. Au delà de la formule, il y a sans doute cette idée d'Héraclite selon laquelle on ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve, puisque l'eau coule et que le fleuve n'est donc jamais le même. L'être humain aussi évolue, change, se transforme, et je ne suis pas celui que j'étais hier, pas plus que celui que je serai demain.
Il y a sans doute là aussi l'idée du bateau de Thésée, ce héros athénien qui aurait vaincu le Minotaure et dont le bateau fut conservé par sa cité, après son retour : avec les ans, les planches pourrissaient, de sorte qu'on était conduit à les remplacer. Une, puis deux, puis trois, et ainsi de suite jusqu'à ce que toutes les planches aient été finalement remplacées. Le bateau était-il encore celui de Thésée ?

Pour en revenir à la lecture, il est vrai que, au moins pour les écrivains qui nous ont préparé le plus de surprises, et en rappelant  que la beauté est dans l’œil de celui qui regarde, nous ne lisons pas la même chose quand nous lisons plusieurs fois. Tout cela n'est pas neuf, mais je voulais l'évoquer en vue de préparer une série amusante de billets, où j'explorerai mes propres billets passés.
Quel intérêt ? De même que l'on voit mieux la paille dans l'oeil du voisin que la poutre dans son propre œil, on y gagne souvent à laisser reposer les textes que l'on écrit, car on découvre alors plus facilement les erreurs, les fautes… Reprendre d'anciens billets, c'est la possibilité de mieux dépister les endroits où notre pensée était fragile. Rétrospectivement, je vois avoir fait tant d'erreurs intellectuelles, que je suis convaincu que le réexamen des billets du passé conduira à des améliorations.


Par exemple, pour la « chimie ». 

Naguère, je clamais « vive la chimie ! » à la fin de toutes mes correspondances, de mes articles. Puis, quand je découvris cette différence essentielle entre la science, la technologie et la technique, il m'est apparu que le mot « chimie » ne pouvait pas légitimement désigner les trois activités à la fois. La chimie est-elle alors une science ? Une technologie ? Une technique ?
J'avais d'abord consulté des « autorités », et j'avais conclu qu'il était préférable de réserver le mot « chimie » à une activité scientifique qui se serait lentement dégagée de la technique. Mais, je ne sais comment cela s'est produit, j'en suis ensuite venu à penser que la chimie aurait été   une activité de préparation de composés nouveaux. Or une préparation de composés nouveaux, c'est une activité technique.

Un mot, d'ailleurs, pour combattre une idée fausse soutenue par des collègues, qui disent que tout est chimie, puisque des réactions entre molécules ont lieu dans notre organisme quand nous marchons, respirons, etc. Bien sûr, des transformations moléculaires ont lieu, mais on ne fait pas une activité technique ou scientifique pour autant, on n'est pas chimiste pour autant ! Que la chimie soit une activité scientifique ou une activité technique, il faut que nous soyons engagés dans cette activité pour qu'elle reçoive le nom de chimie.
D'autre part, on peut faire cette activité de préparations de composés nouveaux quand on est lancé dans des travaux technologiques, ou aussi quand on fait des travaux scientifiques. Mais le fait de faire des transformations moléculaires n'est qu'un détail, un moyen, et non pas une fin, vis-à-vis de l'activité scientifique où l'on est engagé. Or tout est là : l'objectif. Oui,  il faut largement dire à nos collègues qu'une activité est définie par un objectif et un chemin qui y mène !

Bref  j'avais cru comprendre que ce « vive la chimie »  était indu, et que c'était seulement mon attachement enfantin à cette idée qui me l'avait initialement fait clamer. Car  il est vrai que j'ai été ébloui dès l'âge de six ans par cette possibilité de transformer la matière, de produire des composés nouveaux à partir de réactifs, par cette science de la nature, que je ne distinguais d'ailleurs que peu de la physique. Je ne renie pas cet éblouissement, et, mieux, je le chéris aujourd'hui, car il fut un moteur merveilleux vers la voie… des sciences de la nature. D’ailleurs, enfant, je ne faisais guère de différence entre la préparation d'eau de chaux ou les phénomènes de croissance des plantes, ou l'électrolyse… Tout était bon à expérimentation. A cela s'ajoutait une fascination pour les mathématiques, avec des amours d'enfant, comme celui que je portais au théorème de Guldin. Bref, il y avait un chemin vers les sciences, et c'est la raison pour laquelle mon coeur se déchira quand je devins incapable  de clamer « vive la chimie !».

Cela étant, il est vrai que ce « vive » est  étrange : la chimie vivra sans qu'on ait tellement besoin de l'encourager, de souhaiter sa survivance. En réalité, j'aurais eu mieux raison de clamer plutôt « Que la chimie est belle ! ».  Mais ce qui précède m'avait fait conclure que ce n'était  pas la chimie qui était en cause, mais les sciences de la chimie.

Et j'ai donc hésité sur les dénominations de cette science : science de la chimie, science chimique, sciences pour la chimie, physique chimique... jusqu'à ce que, finalement, j'en vienne à revenir à mon idée initiale de la chimie : mes explorations historiques m'ont fait comprendre que la chimie est effectivement une science de la nature, qui utilise des moyens techniques variés pour se développer, sans se confondre avec la technique, ni avec la technologie. C'est l'usage du mot "chimique" qui est souvent fautif, par exemple dans "industrie chimique", où il est indu : une industrie n'est pas une science, puisque c'est une technique éventuellement assortie d'une technologie.
Oui, je peux aujourd'hui clamer "Vive la chimie",  et je peux, en tout état de cause, vouloir partager mon enthousiasme pour cette belle science.


Considérant la question comme résolue (la chimie est une science de la nature), interrogeons-nous sur l'intérêt de clamer que cette science est belle.
Selon le beau principe selon lequel l'enthousiasme est une maladie qui se gagne, discuté dans un autre billet, les déclamations sont une façon de propager l’enthousiasme, de reconnaître la beauté d'un objet (que la chimie est belle !),  une façon de contribuer à faire partager un enthousiasme, et plus généralement un goût pour la vie. Il y a là quelque chose de très positif, ce que j'aime fondamentalement, et des amis ont beau me dire que peu importe l'objet exact de mon enthousiasme, je crois quand même qu'il est préférable de désigner précisément le champ vers lequel j'invite mes amis les plus jeunes à se diriger.


On le voit avec cet exemple : l'examen des idées que nous avions, s'il est suffisamment critique, est un moyen de préciser des pensées, de les affiner, de les améliorer… A vrai dire, il s'agit peu de communication, comme la discussion sur l'enthousiasme pourrait le faire penser, mais d'abord de la possibilité, de l'assurance de penser correctement. Il en va de des activités que nous avons, notre production, et voilà pourquoi je me réjouis à la possibilité de discuter de façon critique des billets que j'ai produits préalablement. 

 

jeudi 26 juillet 2018

Peut-on toucher aux idoles ? C'est à l'oeuvre qu'on connaît l'artisan



Moi qui ai beaucoup d'amiration pour l'oeuvre de Diderot, je trouve en ligne un texte à charge contre cet homme. 



En substance, l'auteur dit que Diderot était loin d'être si vertueux que Diderot lui-même l'aurait sous-entendu : il se serait mis en scène comme un bon père de famille, comme un philosophe éclairé, alors qu'il aurait trompé sa femme et mal élevé sa fille, qu'il aurait faussement aimé cette dernière, qu'il n'aurait pas été fidèle à ses amis, que la description de son emprisonnement à Vincennes aurait été outré, etc. 



Evidemment, quand les critiques s'accumulent, comme ici, on doit toujours craindre des excès de la part d'un auteur qui veut établir un point : on en connaît plus d'un qui a fait un ouvrage pour faire un ouvrage, au mépris de la vérité. Et l'on vient à douter de ce qui est dit, et qui vient à l'encontre des louanges si abondamment répandues par ailleurs. Et c'est par le même mécanisme que la biographie du chimiste Marcellin Berthelot par Jean Jacques a souvent été discréditée, et notamment par les descendants de Berthelot, qui n'admettaient pas que l'on puisse critiquer leur ancêtre. Malgré l'intelligence de Jean Jacques, malgré son intelligence littéraire, il n'a pas réussi à éviter que ses propos ne soient rejetés car considérés comme excessif. Oui, on ne touche pas facilement aux idoles.
Pourtant, dans le cas de Jean Jacques, les faits sont donnés, et on a en réalité mille raisons de refuser d'admirer Marcellin Berthelot… car il ne reste pas grand-chose de ce dont on l'a paré. Si Berthelot a initialement été un méritant petit jeune homme intéressé par la chimie, il fut manifestement le constructeur de son propre mythe, au prix d'une certaine malhonnêteté intellectuelle.
Et pour Diderot ? Oui, Diderot a trompé son épouse, et cela est mal… mais on pourra aussi considérer qu'il fut merveilleusement fidèle à Sophie Volland. Le critique nous dit que, marié initialement à une lingère, Diderot l'aurait initialement trompé avec une aristocrate, puis que, parvenu dans le monde, il aurait poursuivi ses infidélités. Stricto sensu, cela est exact, mais tendancieux, et l'on observera, à la décharge de Diderot, qu'il resta éperdument amoureux de Sophie Volland sans aucun espoir de « parvenir ». Diderot était sans doute trop impulsif pour être complètement arriviste !
Notre « homme à fiel » déplore les relations compliquées de Diderot avec Rousseau… mais il n'y a pas que Diderot qui ait dit de Rousseau qu'il avait un caractère déplorable, et, d'ailleurs, Rousseau s'est fâché avec la plupart de ses amis, avec souvent des comportements lâches et traitres (j'ajoute que je déteste la philosophie de Rousseau, parce qu'elle me semble très néfaste, un peu comme l'idéologie sous jacente de Thoreau : alors que j'admets parfaitement que l'on puisse chanter la « nature », je revendique que nous ne fassions pas l'apologie d'un retour trop naïf à cette dernière).
Diderot à Vincennes ? Ce fut quand même le cas, et, que sa captivité ait été légère ou pas, elle a duré cent jours ! N'était-il pas véritablement intolérable que des tyrans puissent avoir le pouvoir discrétionnaire d'enfermer qui ils voulaient ?
Et ainsi de suite.
Diderot n'est ni bon ni méchant, comme il le dit lui-même d'un personnage d'une de ses œuvres ; il est humain, et il faut le juger à l'aune de son travail, de ses oeuvres. La principale est l'Enclyclopédie, qui est le fruit d'un travail immense, mais je ne me lasse pas de Jacques le Fataliste.

Ce qui me fait rervenir à une discussion sur les scientifiques et leurs oeuvres. On sait bien que les scientifiques ne sont pas tous parfaits, humainement, mais certains ont fait des travaux merveilleux, obtenu des résultats extraordinaires. Louis Pasteur avait un caractère si terrible qu'il suscita la révolte des étudiants de l'Ecole normale supérieure… mais il découvrit quand même la chiralité et fonda la microbiologie. Davy était vaniteux… mais il découvrit le potassium et le sodium. Et ainsi de suite, jusqu'à Einstein, qui quitta sa première femme, en lui laissant un enfant dont il ne s'occupa guère.

J'ai proposé ailleurs de ne pas seulement louer l'homme ou la femme, ce qui est naïf, ni seulement louer l'oeuvre, ce qui ferait une science désincarnée. Je propose mais célébrer les deux ensemble, en s'intéressant moins aux conditions matérielles de production, qu'à tout le travail qui a été nécessaire pour produire les oeuvres.