Moi qui ai beaucoup
d'amiration pour l'oeuvre de Diderot, je trouve en ligne un texte à
charge contre cet homme.
En substance, l'auteur dit que Diderot était
loin d'être si vertueux que Diderot lui-même l'aurait
sous-entendu : il se serait mis en scène comme un bon père de
famille, comme un philosophe éclairé, alors qu'il aurait trompé
sa femme et mal élevé sa fille, qu'il aurait faussement aimé cette
dernière, qu'il n'aurait pas été fidèle à ses amis, que la
description de son emprisonnement à Vincennes aurait été outré,
etc.
Evidemment, quand
les critiques s'accumulent, comme ici, on doit toujours craindre des
excès de la part d'un auteur qui veut établir un point : on en
connaît plus d'un qui a fait un ouvrage pour faire un ouvrage, au
mépris de la vérité. Et l'on vient à douter de ce qui est dit, et
qui vient à l'encontre des louanges si abondamment répandues par
ailleurs. Et c'est par le même mécanisme que la biographie du
chimiste Marcellin Berthelot par Jean Jacques a souvent été
discréditée, et notamment par les descendants de Berthelot, qui
n'admettaient pas que l'on puisse critiquer leur ancêtre. Malgré
l'intelligence de Jean Jacques, malgré son intelligence littéraire,
il n'a pas réussi à éviter que ses propos ne soient rejetés car
considérés comme excessif. Oui, on ne touche pas facilement aux
idoles.
Pourtant, dans le
cas de Jean Jacques, les faits sont donnés, et on a en réalité
mille raisons de refuser d'admirer Marcellin Berthelot… car il ne
reste pas grand-chose de ce dont on l'a paré. Si Berthelot a
initialement été un méritant petit jeune homme intéressé par la
chimie, il fut manifestement le constructeur de son propre mythe, au
prix d'une certaine malhonnêteté intellectuelle.
Et pour Diderot ?
Oui, Diderot a trompé son épouse, et cela est mal… mais on pourra
aussi considérer qu'il fut merveilleusement fidèle à Sophie
Volland. Le critique nous dit que, marié initialement à une
lingère, Diderot l'aurait initialement trompé avec une aristocrate,
puis que, parvenu dans le monde, il aurait poursuivi ses infidélités.
Stricto sensu, cela est exact, mais tendancieux, et l'on
observera, à la décharge de Diderot, qu'il resta éperdument
amoureux de Sophie Volland sans aucun espoir de « parvenir ».
Diderot était sans doute trop impulsif pour être complètement
arriviste !
Notre « homme
à fiel » déplore les relations compliquées de Diderot avec
Rousseau… mais il n'y a pas que Diderot qui ait dit de Rousseau
qu'il avait un caractère déplorable, et, d'ailleurs, Rousseau s'est
fâché avec la plupart de ses amis, avec souvent des comportements
lâches et traitres (j'ajoute que je déteste la philosophie de
Rousseau, parce qu'elle me semble très néfaste, un peu comme
l'idéologie sous jacente de Thoreau : alors que j'admets
parfaitement que l'on puisse chanter la « nature », je
revendique que nous ne fassions pas l'apologie d'un retour trop naïf
à cette dernière).
Diderot à Vincennes ? Ce fut quand même le cas, et, que sa captivité ait été légère ou pas, elle a duré cent jours ! N'était-il pas véritablement intolérable que des tyrans puissent avoir le pouvoir discrétionnaire d'enfermer qui ils voulaient ?
Diderot à Vincennes ? Ce fut quand même le cas, et, que sa captivité ait été légère ou pas, elle a duré cent jours ! N'était-il pas véritablement intolérable que des tyrans puissent avoir le pouvoir discrétionnaire d'enfermer qui ils voulaient ?
Et ainsi de suite.
Diderot n'est ni bon
ni méchant, comme il le dit lui-même d'un personnage d'une de ses
œuvres ; il est humain, et il faut le juger à l'aune de son
travail, de ses oeuvres. La principale est l'Enclyclopédie, qui est
le fruit d'un travail immense, mais je ne me lasse pas de Jacques
le Fataliste.
Ce qui me fait
rervenir à une discussion sur les scientifiques et leurs oeuvres. On
sait bien que les scientifiques ne sont pas tous parfaits,
humainement, mais certains ont fait des travaux merveilleux, obtenu
des résultats extraordinaires. Louis Pasteur avait un caractère si
terrible qu'il suscita la révolte des étudiants de l'Ecole normale
supérieure… mais il découvrit quand même la chiralité et fonda
la microbiologie. Davy était vaniteux… mais il découvrit le
potassium et le sodium. Et ainsi de suite, jusqu'à Einstein, qui
quitta sa première femme, en lui laissant un enfant dont il ne
s'occupa guère.
J'ai proposé
ailleurs de ne pas seulement louer l'homme ou la femme, ce qui est
naïf, ni seulement louer l'oeuvre, ce qui ferait une science
désincarnée. Je propose mais célébrer les deux ensemble, en
s'intéressant moins aux conditions matérielles de production, qu'à
tout le travail qui a été nécessaire pour produire les oeuvres.