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dimanche 14 mai 2023

Vous avez dit "science et cuisine" ?

 Je viens de comprendre que l'expression "sciences et cuisine" est un vaste fourre-tout. 

 

Car qu'est-ce que la "science" ?  

Il y a la science du cordonnier, la science du cuisinier, la science du maître d'hôtel... Et tout cela c'est du savoir. 

Comment refuser à des métiers techniques et artistiques d'avoir du savoir ? 

À côté de cela, il y a des sciences de l'humain et de la société  : de l'histoire, de la géographie, de l'anthropologie, de la sociologie, de l'économie...  Il s'agit  là bien autre chose que les sciences de la nature, lesquelles sont la chimie, la physique, la biologie... 

 

Parler de "science et cuisine", c'est donner la possibilité à tous ceux qui s'intéressent à la cuisine, plus exactement à la gastronomie, de se réunir... mais pourquoi ne pas simplement parler de "gastronomie", puisque c'est le juste terme ? 

Science culinaire ? Cette fois, il y a un risque à confondre les sciences culinaires et les sciences de la cuisine, ce qui doit nous faire penser à cette faute signalée dans les livres de grammaire : pour ceux qui parlent correctement, il y a lieu de ne pas confondre le cortège présidentiel et le cortège du président. 

Cela étant, l'histoire de la cuisine n'est pas une science culinaire puisqu'elle n'est pas culinaire  : c'est d'abord de l'histoire, et son sujet peut-être la cuisine. De même, la gastronomie moléculaire est une science de la nature et non pas une science culinaire, puisqu'elle n'est pas de la cuisine elle-même, mais plutôt de la physico-chimie. 

On comprend toutefois un mécanisme à savoir que toute initiative nouvelle doit avoir un nom, et qu'il peut être difficile de ne pas reprendre le nom juste puisqu'il est déjà pris. On invente alors un nom un peu différent, chatoyant mais qui, de ce fait devient fautif du point de vue lexical ou grammatical. 

Cela ne serait pas grave si on n'augmentait pas la confusion, au lieu de l'éviter. Or j'ai toujours l'envie que mes amis plus jeunes et moi-même apprenions à mieux parler pour mieux penser. 

Inversement, je suis toujours émerveillé de mieux utiliser l'outil qu'est la langue. Par exemple, je me souviens avec bonheur du jour ancien où j'ai compris que le mot rutilant ne veut pas dire brillant, doré mais au contraire rouge... comme ce minéral qui est le rutile.
De même, j'ai dit récemment combien j'étais heureux d'avoir compris que je m'étais trompé à propos du mot enseignement qui en réalité a l'étymologie de désigner. 

Bref, je suis heureux de mieux parler parce que parlons mieux j'espère penser mieux

vendredi 5 mai 2023

Les couverts ? A la française

 J'en parle fréquemment en privé, mais je m'aperçois que je n'en ai pas fait de billet alors qu'il s'agit de quelque chose d'important  pouf la gastronomie. 

 

La question est le placement des couverts sur la table. Il y a essentiellement deux manières pour les couverts occidentaux, à savoir la méthode à la française et la méthode à l'anglaise. 

Dans la méthode à la française, les pointes de la fourchette sont posées sur la nappe, à gauche de l'assiette, et le couteau est posé à droite de l'assiette mais la lame du côté vers la gauche. La cuillère à côté du couteau est tournée de sorte que ça pointe soit encore contre la nappe. 

À l'anglaise, la fourchette est pointe en l'air et la cuillère également, de sorte que c'est le fond bombé qui se trouve au contact de la nappe. 

On observera que les chiffres, c'est-à-dire les initiales gravées se trouve sur la partie visible du manche. 

 

Quelle placement choisir ? 

 

Il y a certainement une question de convention, peut-être une question d'hygiène mais je n'y crois guère, et, surtout,  une question de politesse. 

Mettre la lame du côté du mangeur et non pas du côté du voisin de droite, c'est se soucier de son voisin de droite, éviter de le couper. 

Mettre les pointes de la fourchette vers le bas, c'est éviter d'offrir à son vis-à-vis des pointes. 

Dans les deux cas il s'agit de vivre en communauté harmonieuse, de protéger les convives qui nous entourent et c'est la raison pour laquelle la méthode à la française me semble bien supérieure à la méthode à l'anglaise. 

Je n'ai pas encore entendu d'arguments convaincants du contraire.

samedi 11 décembre 2021

Un pot-au-feu de poisson ?



Ce matin, une question :


Une question : ma femme ne voulant plus manger de viande et ayant la passion des pots-au-feu,  je me suis mis à remplacer les pièces de bœuf par du poisson (l’arrête centrale de la raie, les têtes de congres et de crevettes sont ce que j’utilise le plus fréquemment).
Je me demandais si vous pouviez m’indiquer si la chimie d’un pot-au-feu de poisson est similaire à celle d’un pot-au-feu traditionnel? Je ne retrouve pas complètement le côté gélatineux dans mes pots-au-feu compatible “pescatarien”.


J' aperçois que souvent, des particularités diététiques de certains conduisent à l'obervation selon laquelle la seule cuisine classique ne permet pas de répondre bien à la question ; s'impose la connaissance chimique et physique des ingrédients, d'une part, et celle des transformations culinaires, d'autre part. C'est à dire : s'impose la gastronomie moléculaire. 

 

En l'occurrence, la question est "intéressante" : et là, je ne suis pas en train, hautainement, de distribuer des bons points, mais, plutôt, de m'apercevoir que je dois réfléchir pour répondre de façon aussi fiable et utile que possible. 

 

Voici une réponse

Le pot-au-feu est une préparation classiquement introduite (empiriquement ; même si nos aïeux n'étaient pas plus bête que nous, ils n'avaient pas nos connaissances modernes) pour optimiser les nutriments de la viande. Autrement dit, le pot-au-feu est une préparation essentielle depuis des siècles, pour cette raison. 

 En effet, une viande que l'on chauffe se contracte, ce qui exclut des jus, lesquels contiennent des nutriments.
Nos ancêtres n'étaient pas fous, et, alors que les aliments étaient bien plus rares qu'aujourd'hui, ils ont bien vu que le rôtissage fait perdre des jus : jusqu'à un tiers de la masse initiale de la viande  !
Et c'est pour cette raison qu'ils faisaient cuire la viande dans l'eau, ce qui permet d'avoir à la fois la viande et le bouillon, lequel contient des nutriments. 

D'ailleurs, à ce stade, je crois me souvenir que j'ai évoqué cette question, différemment, dans deux livres :

1. Les précisions culinaires, pour la partie historique

 


2. Mon histoire de cuisine, pour la partie technique
 


De surcroît, un pot-au-feu bien conduit, pour lequel on évite le "coup de feu", permet de valoriser des viandes dures, parce que la cuisson lente, à basse température, dissout progressivement le collagène, enrichissant le bouillon en protéines, peptides, acides aminés, tandis qu'il évite la contraction de la viande. Finalement, on récupère une viande tendre et juteuse, mais aussi un bouillon qui a beaucoup de saveurs, notamment en raison des acides aminés et des peptides.

 

Pour le poisson

 

Évidemment, pour du poisson, on peut cuire dans de l'eau et l'on récupérera de même du poisson cuit et du bouillon. 


Toutefois, le problème, avec le poisson, c'est que les chairs contiennent bien moins de tissu collagénique que les viandes, raison pour laquelle le poisson est si tendre.
On n'aura donc pas intérêt à cuire longtemps les tissus musculaire dans l'eau, sans quoi ils se déferaient.
 

Si l'on veut un équivalent du pot-au-feu, je crois qu'il faut séparer les opérations  :

1. Constituer par avance un bon bouillon, bien gélatineux, notamment en cuisant des arêtes et des têtes dans de l'eau avec une bonne garniture aromatique. Il faudra  charger le bouillon de matières susceptibles de libérer de la gélatine... ou utiliser de la gélatine de poisson... ou de viande.
La cuisson devra être longue, car c'est cette longue cuisson qui non seulement fait l'extraction de la gélatine, mais, aussi, l'hydrolyse de cette dernière, en peptides et acides aminés.  

2. Puis on se limitera à pocher  le poisson dans le bouillon frémissant.

Sans oublier de bien cuire la garniture aromatique.
Et de confectionner tous les merveilleux à côtés du pot-au-feu : par exemple, en Alsace, on broie des carottes cuites avec moutarde et oeuf dur, on dispose des mirabelles au vinaigre, etc.

samedi 10 octobre 2020

Pourquoi de telles âneries ?



Entendu dans la bouche d'un bon professionnel "Le sel attaque la molécule de matière grasse". 

 

Je sais bien qu'un ministre a déclaré, ces dernières années, que la molécule d'éthanol n'était pas la même dans le vin et dans les alcools (une ineptie), et je sais aussi que notre homme parlait à une télévision, et qu'il devait paraître savant, mais je vois deux possibilités :
- soit notre homme a dans l'idée ce qu'il dit
- soit il dit cela pour faire bien. 


Dans le second cas, c'est quelqu'un de prétentieux, ou de fragile. Mais, dans le premier cas, cela m'intrigue beaucoup, car quelle idée a-t-il d'une "molécule" ?
Décrivons lentement le système que notre homme considérait : le beurre. C'est une matière qui, comme on le voit en le clarifiant, est composés du petit lait et du beurre clarifié, avec parfois un peu d'écume. Pour le petit lait, c'est principalement de l'eau et des protéines, mais avec un sucre nommé lactose en solution, ainsi que des sels minéraux. Pour la matière grasse, elle est faite de molécules nommées triglycérides, avec, dissous, des colorants (naturels), des composés odorant.
Dans le beurre, à la température ambiante, il y a une partie de la matière grasse qui est sous forme solide, formant une sorte d'armature, d'échaffaudage, avec, dans le "réseau", des gouttes de la solution aqueuse et de la matière grasse à l'état liquide. 


La "molécule de matière grasse" ? Cette expression n'a aucun sens, parce que la matière grasse d'une motte de beurre est faite de centaines de milliers de milliards de milliards de molécules de triglycérides. Et le sel n'a aucune action sur ces molécules. 


Que notre homme veut-il dire, alors ?

samedi 18 juillet 2020

Savoir manger, c'est manger en gastronomie

1. Et si savoir manger, c'était manger de façon analytique ? Les dysfonctionnements alimentaires,  qu'il s'agisse d'obésité ou de d'anorexie, mais aussi les mille déviations possibles, semblent être associées un manque de réflexion  ou de rationalité : on mange, mais on ne se demande pas ce que l'on mange ni pourquoi l'on mange.

2. J'ai l'impression que l'on gagnerait, à ce propos, à évoquer,  analyser et synthétiser.

3. Analyser d'abord, bien sûr, parce que c'est seulement quand l'analyse a été faite que la synthèse peut l'être. L'analyse, c'est de ne pas manger, mais de s'interroger sur ce que l'on mange, par exemple si l'on est face à un œuf dur mayonnaise, suivi d'un steak avec des frites, puis de camembert avec du pain,  et d'une mousse au chocolat (pour ne pas évoquer le repas anthologiques des Barbouzes).
Pour chaque élément, on peut donc s'interroger : s'interroger sur le plat lui-même, puis, remonter de la préparation finale aux ingrédients, puis des ingrédients à leur production, sans oublier le raisonnement qui a conduit à utiliser certains ingrédients particuliers pour obtenir une telle préparation.

4. Considérons donc cet objet qu'est l'œuf dur mayonnaise. Quand est-il apparu  dans l'histoire de la cuisine ? Comment le produit-on ? Quelles sont les variations régionales, locales, particulières aux cuisiniers ? Et pour l'oeuf dur mayonnaise, il y a l'oeuf dur, et la mayonnaise. Pour chacun, à nouveau les questions précédentes... mais aussi mille questions "gastronomiques" : historiques, donc, géographiques, mais aussi chimiques, physiques, biologiques, littéraires, artistiques (au sens de l'art culinaire)... & j'en oublie ! Là, il est la question de la cuisson des oeufs durs & celle de la préparation de mayonnaise.

5. Pour la mayonnaise, par exemple, il y a lieu de s'intéresser aux circonstances de son apparition, sans doute empirique à partir de la rémoulade. Mais il faut aussi  considérer sa confection, et s'interroger sur sa redondance avec l' œuf dur.

6. Et puis, il y a les ingrédients qui la constituent : l'oeuf, mais aussi le vinaigre, ce qui suppose d'avoir du raisin et du vin. Et l'huile, qui suppose d'en disposer même dans les régions les oliviers ne sont pas présents.



Je m'arrête dans l'analyse, parce que ma démonstration est faite : manger, c'est manger en culture, en "gastronomie" !


jeudi 23 avril 2020

Il est temps d'introduire une critique gastronomique qui ne confonde pas tous sous prétexte de poésie !

Il est temps d'introduire une critique gastronomique qui ne confonde pas tous sous prétexte de poésie !

1. Il y a des écrivains qui discutent des questions culinaires : leur activité pourrait-elle de la critique "culinaire" ? Ce serait une expression abusive, car cette critique n'est pas de la cuisine. Serait-une écriture "gourmande" ? Pas plus : c'est éventuellement l'écrivain, qui est gourmande (et j'écris "éventuellement" en référence au Paradoxe sur le comédien, de mon ami Denis Diderot). Serait-une écriture gastronomique ? Très certainement, et j'insiste un peu en observant qu'il ne s'agit pas, avec le mot "gastronomie", de cuisine coûteuse, d'apparat, fine, mais de connaissance de la cuisine. Le discours à propos de la cuisine est très proprement, très justement gastronomique.

2. Hélas, cette littérature-là est bien trop indigente, car elle verse le plus souvent dans le "j'aime" ou le "je n'aime pas". Mais qu'avons-nous à faire de ce qu'un petit marquis ou une petite marquise aime ou n'aime pas ? Qu'il ou elle gardent leurs goût pour eux, au lieu de vouloir nous les imposer ?

3. Je leur réclame autre chose : des éclaircissements, des explications, et cela n'est plus de la poésie, mais du précis, pratique, rigoureux. Il est temps que, passé l'après guerre, où les journalistes politiques les plus sulfureux ont été souvent recasés dans la critique gastronomique, nous ayons enfin des écrivains compétents, précis.

4. Et leur plume doit donc être précise, fine et juste. C'est ce que je réclame dans au moins deux de mes livres :
- La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique : une idée structurante, d'ailleurs, que ce titre, car pourquoi nos amis critiques n'analyseraient-ils pas la cuisine selon ces trois composantes, si elles sont celles de la cuisine (et elles le sont !) ?



- Les précisions culinaires : dans la dernière partie, déjà, je proposais des rénovations de la littérature gastronomique, et je vous invite à en prendre connaissance.


mardi 21 janvier 2020

Un souvenir amusant.



 Interviewé par une télévision coréenne, je me souviens soudain d'un épisode cocasse, lors d'un tournage pour la télévision française, vers Noël, il y a environ 30 ans : il s'agissait de faire un sorbet à l'azote liquide, ce qui était neuf pour l'époque, mais ce n'est pas là la question qui m'intéresse aujourd'hui. Ce qui m'intéresse, c'est que ce sorbet était au  jus de citron vert et au basilic.
Quoi, basilic et citron vert ? Et alors ? Aujourd'hui, cette association paraît parfaitement naturelle,  mais à l'époque, c'était véritablement révolutionnaire   : je me souviens d'ailleurs d'amis  cuisiniers qui m'avaient interpellé en me demandant si, avec une telle préparation, je n'allais pas empoisonner tout le monde.
Empoisonner tout le monde avec du basilic et du citron vert ? Oui, ajoutait-il : ce mélange n'avait jamais été fait, et on avait aucune certitude qu'il n'empoisonnerait pas, contrairement aux mélanges traditionnels, éprouvés.
Avec le recul, on a bien vu que je n'ai empoisonné personne, mais je continue de m'étonner d'une telle crainte :  pourquoi  du basilic et du citron vert auraient-ils empoisonné ? La question ne vaut pas pour ces deux ingrédients en particulier, mais pour toutes les combinaisons qui n'ont jamais été testées. D'ailleurs, si l'on avait été vraiment prudent, après la découverte de l'Amérique, nous n'aurions ni tomates, ni pomme de terre, ni aubergine... D'ailleurs, la question des pommes de terre est intéressante, car précisément leur peau contient des composés toxiques, et Parmentier avait bien vu que des bouillons de peau de pomme de terre avaient un goût brûlant,   dû précisément à la toxicité de ces composés de la peau. On a bien appris à peler les pommes de terre, surtout quand elles sont vertes mais pas seulement.
On a appris progressivement à identifier nombre de produits qui ont des toxicités comme certains composés de la muscade, et d'autres.
Mais je vois une vraie différence entre le danger et sa perception. Au fond, la nouveauté fait peur à beaucoup, et il faut leur reconnaître qu'ils ont raison d'être prudents... mais il ne faut pas tomber dans l'excès d'être timoré.
Et, rétrospectivement, il est quand même amusant que l'on ait eu peur d'un mélange de basilic et citron vert, alors que nos amis boivent de l'alcool (l'éthanol est un poison), fument, utilisent de la noix muscade, ne pèlent plus les pommes de terre... et vont, pour certains,  jusqu'à macérer des grappes de tomates grappes dans de l'huile pour en faire une huile qui a qui a beaucoup de goût... et de toxicité.

Décidément, les incohérences de l'être humain n'ont pas fini de m'étonner !

lundi 6 janvier 2020

Le brillant des galettes


Ce matin, une discussion à propos de galette des rois : un internaute me demande comment la faire brillante.


Commençons par examiner ce qu'est une galette : le plus souvent, c'est une double couche de pâte feuilletée, avec une garniture au milieu. La question du brillant concerne essentiellement la partie supérieure, de sorte qu'elle s'applique à tous les feuilletages. Brillant ? Cela signifie que la lumière est réfléchie de façon spéculaire, dans une seule direction. Il faut donc que la surface soit bien lisse, sans quoi la lumière serait réfléchie dans toutes les directions et l'on n'aurait pas ce reflet bien directionnel des lumières.


Il faut donc une surface très lisse. Lisse ? Nous avons remplacé un adjectif, brillant, par un autre adjectif, lisse... mais dans tous  les cas, à propos d'adjectifs, la science veut les remplacer par  la réponse à la question "combien ?". En l'occurrence, cela vaut la peine d'aller regarder la surface de plus près, au microscope, et l'on voit alors que les pâtes sont faite de grains d'amidon dispersés dans un réseau de gluten, avec de surcroît de petites masses de beurre. Cette structure n'est pas régulière, elle n'est pas lisse, et une pâte cuite sans apprêt n'est pas brillante.

Comment faire du brillant ? Et c'est souvent le rôle de la dorure, qui a deux fonctions : brunir légèrement et faire le brillant. Cela est dû à la structure liquide de la dorure, qui, de surcroît, contient des protéines.
Souvent, la dorure, c'est du jaune d'oeuf, à savoir un liquide qui contient des protéines. En tant que liquide, il fait une couche parfaitement lisse, jusqu'au niveau moléculaire. Et l'évaporation de l'eau préserve assez bien cette régularité, avec le fait que, de surcroît, cette évaporation augmente la viscosité et conduit à une vitrification de la couche : verre, brillant ! Avec le fait supplémentaire que les protéines dégradées brunissent.

Et c'est ainsi que les galettes bien doré peuvent-être brillantes.


samedi 2 juin 2018

Un article qui n'est publié qu'en grec

Ce matin, je reçois la revue Dekata, où j'ai publié un article... qui apparaît en grec. C'est au point que je ne sais donc pas ce que j'ai écrit. Sauf que j'ai (évidemment) la version en français, que voici : 





De quelques courants culinaires et des raisons historiques et artistiques qui les sous-tendent
Hervé This


Comment l'art culinaire évolue-t-il, depuis la dernière guerre mondiale ? Comment pourra-t-il évoluer, dans les prochaines décennies ? Pourquoi l'évolution passée de cet art, et pourquoi l'évolution future que nous décrirons plus loin est-elle probable, à défaut d'être certaine ? Ce questionnement sera l'occasion de contribuer à supprimer bien des confusions, des fantasmes, en même temps que nous éclaireront les amateurs d'art (culinaire).


L'art culinaire ? Avant de parler d'un objet, il est bon d'établir son existence : rien de pire que ces clercs du Moyen-Age qui voulaient compter les anges sur la tête d'une épingle, faute intellectuelle qui renvoie à la querelle de Platon et d'Aristote sur la réalité des idées. Or je me souviens que, il y a quelques décennies, des intellectuels contestaient ce statut.
Partons d'observations : l'être humain, comme ses ancêtres primates et comme ses ancêtres plus anciens, non humains, doit se nourrir pour se développer, puis se reproduire. Toutefois, contrairement à la plupart des espèces animales, qui se contentent des tissus végétaux ou animaux non préparés, notre espèce humaine a un comportement de nature toute culturelle -la préparation des aliments- qui engendre une différence entre les « ingrédients » et les « aliments ». Nous ne mangeons pas le porc sur pied, ni le poisson cru non écaillé, ni la carotte non lavée ; nous les « cuisinons ». Mieux, même, nous sélectionnons les espèces végétales et animales en vue d'en faire des ingrédients mieux adaptés aux transformations que nous leur faisons subir, transformations qu'il faut nommer « culinaires ».
La cuisine, donc, c'est bien la transformations d'ingrédients, le plus souvent inadmissibles en l'état pour des êtres humains, en aliments, conformément à des canons, des prescriptions, des habitudes, des coutumes.
Cela étant dit, nous devons aussi considérer que tous les cuisiniers/ères du monde ne se limitent pas à des gestes techniques, mais cherchent aussi à faire « bon ». Par exemple, le choix de la quantité de sel que l'on ajoute à une viande ou à un poisson que l'on cuit n'est pas un choix technique : qu'on en mette plus ou moins ne change généralement pas le résultat, du point de vue de la transformation qui s'opère. En revanche, ce choix détermine le fait que l'aliment soit jugé « bon » ou « mauvais ». Bon ? J'ai proposé dans un de mes livres que nous reconnaissions qu'il s'agit en réalité du « beau à manger ». Et, de ce fait, la cuisine ajoute une composante véritablement artistique à la composante technique. Cela a également comme conséquence de disqualifier des idées fautives comme cette théorie fallacieuse du « food pairing », qui se propage dans le milieu culinaire depuis qu'une société industrielle qui vend des préparations aromatisantes l'a promue : non, il n'y a pas plus d'associations culinaires entre du poisson et du vin blanc, ou entre de la viande de bœuf et du vin rouge, qu'il n'y a de nécessité à faire entendre un do avec un fa, en musique, ou à juxtaposer du rouge avec du vert en peinture. En matière d'art, ce qui « convient », c'est ce que l'artiste choisit, individuellement, et l'histoire de l'art montre à l'envi combien les « règles » ont toujours été abattues : que l'on souvienne de l'histoire de la perspective, en peinture… et le cubisme ; ou la peinture abstraite après la peinture réaliste. En cuisine, c'est pareil, et l'histoire de l'art culinaire le démontre amplement.
La cuisine se limite-t-elle à cela, de la technique et de l'art ? Je ne crois pas : le plat le mieux préparé techniquement et le plus artistiquement composé ne sera jamais bon s'il nous est jeté à la figure ou si nous mangeons en mauvaise compagnie. Inversement il a été mesuré que les plats sont mieux appréciés quand ils sont consommés en groupes, ce que la socialité de l'espèce humaine devait faire deviner. La cuisine, de ce fait, comporte une composante technique, une composante artistique, et une composante sociale. Mais pour en terminer avec l'art culinaire, il faut conclure qu'il existe vraiment, que, comme tout art, il a évolué et évoluera encore.

Pour bien comprendre, il faut savoir ce qu'est la gastronomie

Observons que l'étude de la cuisine, de son histoire, de sa géographie, de sa sociologie, mais aussi sa technologie et les sciences quantitatives qui la considèrent relèvent stricto sensu de la « gastronomie ». Bien sûr, le mot « gastronomie » est d'étymologie grecque, mais son acception moderne, en français puis dans toutes les langues du monde, remonte à Joseph Berchoux, qui l'utilisa en 1801 dans un poème intitulé L'Homme des champs à table, puis au juriste Jean-Anthelme Brillat-Savarin, qui publia en 1825 un livre encore publié aujourd'hui dans la plupart des langues du monde La physiologie du goût. C'est à Brillat-Savarin que revient d'avoir défini la gastronomie, à savoir « la connaissance raisonnée de tout ce qui se rapporte à l'être humain qui se nourrit ». L'historien de la cuisine, par exemple, fait de la gastronomie historique ; le géographe de la cuisine fait de la gastronomie géographique, et ainsi de suite… jusqu'à la science chimico-physique qui explore la cuisine, et qui a pour nom « gastronomie moléculaire ».
Un peu d'histoire s'impose pour bien comprendre ce qu'est cette gastronomie moléculaire, et en quoi elle se distingue de ce que j'ai nommé « cuisine moléculaire. En passant, nous verrons pourquoi  (1) la gastronomie moléculaire est appelée à se développer encore davantage dans le futur ; (2) la cuisine moléculaire va progressivement disparaître, après avoir été très en vogue dans les restaurants artistiquement les plus modernes du monde ; (3) un nouveau courant culinaire va apparaître, sous le nom de « cuisine note à note ».
Campons d'abord le tableau. Après la Seconde Guerre mondiale, quand les pays industrialisés ont retrouvé des niveaux d'approvisionnement alimentaire d'avant la guerre, la cuisine se faisait traditionnellement, avec une cuisine populaire, notamment très rurale, une cuisine bourgeoise, dans les villes, et une cuisine d'apparat. Pour la cuisine d'apparat, quelques artistes tels que Marie Antoine Carême (1784-1833) ou Auguste Escoffier (1846-1935), ou encore Edouard Nignon (1865-1934) avaient fait rayonner dans le monde la cuisine française, qui avait d'ailleurs toujours (disons au moins depuis le Moyen Age, selon les sources écrites) eu une particularité, à savoir que les mangeurs parlaient de ce qu'ils mangeaient.
C'est d'ailleurs ce qu'il faut comprendre quand on considère l'inscription au patrimoine immatériel de l'humanité, par l'Unesco, du repas gastronomique des Français : ce qui a été considéré comme original, c'est une régularité, dans le pays, d'une structure de repas, avec entrées, plats, garniture, fromage, dessert, boissons correspondantes, plus des ajouts éventuels, mais tout cela enchâssé dans une culture comparative, et avec une insistance générale dans le pays.
Puis, quand les douleurs de la Seconde Guerre mondiale se sont estompés, l'urbanisation s'est accompagnée d'une réduction des efforts physiques (donc de la nécessité d'une nourriture abondante et calorique), qui est allée parallèlement à un allégement de la cuisine. La « nouvelle cuisine », dont les figures de proue étaient Paul Bocuse, Michel Guérard, Alain Senderens, les frères Troisgros et quelques autres, a supprimé les sauces les plus lourdes, les plus beurrées, les plus chargées de farine, pour privilégier des jus, par exemple. Il est d'ailleurs tout à fait spectaculaire de comparer un plat d'un cuisinier triplement étoilé de la fin des années 1950 et un plat triplement étoilé des années 1970 : si demeurent des constantes (les viandes grillées, les pommes de terre frites ou allumettes, des haricots verts avec du beurre ou des asperges avec une sauce mousseline, les vol-au-vent emplis de sauce béchamel disparaissent, tandis que les assiettes reçoivent des quantités plus modérées de jus. Les cuissons aussi, changent : alors que les cuissons étaient très longues, on privilégie des légumes plus croquants (par exemple, pour la cuisson des haricots verts).
Puis, dans les années qui suivent, la cuisine s'internationalise, poursuivant le mouvement d'acclimatation qui avait commencé depuis longtemps en France : Carême, par exemple, avait été cuisinier du tsar de Russie, du roi d'Angleterre, etc, et il avait rapporté en France des plats étrangers qu'il avait adapté, selon les règles de la cuisine classique française.
Les débuts de la gastronomie moléculaire et de la cuisine moléculaire

Arrivent alors les années 1980. A cette époque, mon vieil ami Nicholas Kurti (1908-1998), professeur de physique à l'Université d'Oxford, était déjà actif pour ce qui concerne la promotion de méthodes physiques en cuisine : dans une conférence donnée à la Royal Institution de Londres, il avait dit (tout cela est écrit dans un article) que le transfert technologique de la chimie à la cuisine était fait, mais pas celui de la physique à la cuisine. Nicholas Kurti était spécialiste des très basses températures, des techniques du vide, du froid, et, en conséquence, il s'était demandé si l'on ne pouvait pas transférer ces techniques en cuisine.

De mon côté, à Paris, alors que j'ignorais tout de Nicholas Kurti et de ses propositions, j'avais fait une démarche analogue, mais en ce qui concerne la chimie, parce que je m'étonnais que la cuisine, qui avait les mêmes opérations que la cuisine, à savoir broyer, chauffer, etc. , utilise des ustensiles périmés et inefficaces, alors qu'il y avait dans les laboratoires de chimie de quoi faire bien mieux. Dans un article de la revue de la Société française de chimie, l'Actualité chimique, j'avais considéré un catalogue de fourniture pour laboratoire de chimie, et page après page, j'avais montré comment utiliser ces appareils pourraient rénover la composante technique de la cuisine: ampoules à décanter, évaporateurs rotatifs, sondes à ultrasons, etc.

Je n'étais donc pas d'accord avec Nicholas Kurti, et la proposition que je faisais démontrait que non, le transfert de la chimie à la cuisine n'avait pas été fait. D’ailleurs, la proposition ultérieure de la « cuisine note à note » a confirmé que ce transfert était loin d’être fait.
Mais n'anticipons pas.
Quand nous nous sommes rencontrés, en 1986, nous avons commencé à collaboré, parce que, indépendamment des propositions technologiques, nous étions intéressés de comprendre les phénomènes qui surviennent en cuisine. Par exemple, pourquoi les soufflés gonflent-ils ? Pourquoi la viande grillée brunit-elle ? Pourquoi la chair du poisson cuit devient-elle opaque ? Pourquoi la sauce mayonnaise rate-t-elle parfois ? Il s'agissait cette fois d'une activité strictement scientifique, et non technologique, parallèle à nos efforts de promotion des ustensiles modernes. Et c'est cette activité scientifique, pour des scientifiques et non pas pour des cuisiniers, que nous avons nommée initialement « gastronomie moléculaire et physique » (ce qui fut le titre de ma thèse de science), nom que j'ai ultérieurement abrégé en « gastronomie moléculaire ».
Et, en 1992, c'est avec une idée de recherche scientifique (chercher les mécanismes des phénomènes qui surviennent lors des transformations culinaires), que nous avons organisé le premier congrès international de gastronomie moléculaire et physique, en Italie. A l'époque, nous avions invité des cuisiniers, mais c'était surtout pour que nos explorations partent d'un corpus réaliste de phénomènes culinaires, et non pas de nos interprétations d'amateurs de cuisine. Hélas, une partie du monde culinaire et de la presse internationale a confondu l'activité technique (on fait quelque chose : par exemple, la cuisine), l'activité technologique (on améliore la cuisine) et l'activité scientifique : chercher des mécanismes par la méthode des sciences quantitatives). Cette confusion existe encore dans de nombreux pays, notamment de langue anglaise.
Puis, dans les années qui suivirent, nous avons poursuivi en parallèle les deux activités, scientifique et technologique. Pour cette dernière, on a vu que la rénovation technique que nous proposions concernait principalement les ustensiles, et l'on voyait manifestement la possibilité pour les cuisiniers de cuisinier différemment, d'un point de vue technique. Notre activité a conduit des cuisiniers de plus en plus nombreux à utiliser des techniques modernes, notamment avec un projet européen (Innicon), où nous avons réuni scientifiques, technologues et cuisiniers. Et c'est ainsi que, en 1999, très précisément lors d'une réunion à l'Ecole supérieure de la cuisine française, de la chambre de Commerce de paris, au Centre Jean Ferrandi, alors que nous étions avec les partenaires du programme européen Innicon, lequel était centré sur les applications techniques de la gastronomie moléculaire, le cuisinier anglais Heston Blumenthal déclara à une télévision qu'il faisait de la gastronomie moléculaire... et j'intervins aussitôt en disant que non, qu'il n’était pas scientifique, qu'il ne faisait pas de gastronomie moléculaire. Dans l'urgence de l'interview, j'eus le sentiment qu'il fallait donner un nom pour cette activité des cuisiniers qui s'inspiraient de la gastronomie moléculaire, et j'eus l'idée, sans doute mauvaise, de proposer « cuisine moléculaire ».

Ultérieurement, j'ai compris que ce nom était mal choisi, parce que le public fait mal la différence entre la gastronome et la cuisine. Mais il était mal choisi aussi parce qu'il y avait trop de proximité entre « gastronomie moléculaire » et « cuisine moléculaire » : ce fut une possibilité de confusion. Enfin ce nom était mal choisi du point de vue de la langue, car stricto sensu, l’expression est soit tautologique soit fausse : les cuisiniers qui utilisent les nouvelles techniques n'ont pas d'action moléculaire au sens des chimistes, et c'est seulement l'usage de nouveaux outils qui était concerné. D'ailleurs, il y eut bien quelques détracteurs idiots pour ironiser sur le fait que l'on irait bientôt proposer de la cuisine atomique, oubliant que « cuisine moléculaire » est une expression, qu'il ne faut pas prendre à la lettre. Non, la cuisine moléculaire est une expression à prendre en totalité, et dont la définition est « cuisiner avec des ustensiles « modernes » ». Là encore, les guillemets autour de  « moderne » signalent une difficulté : ce qui était moderne il y a trois siècle ne l'est évidemment plus aujourd'hui, et, d'ailleurs, l'histoire de la cuisine montre que l'on a utilisé plusieurs fois l'expression « cuisine moderne ».

Mais on ne refait pas l'histoire. La cuisine moléculaire, c'est donc cette forme de cuisine, proposée dans les années 1980, qui consiste à utiliser des ustensiles venus des laboratoires de chimie. Et si la révolution technique n'est pas terminé, elle a considérablement avancé. Au tout début, je me souviens que c'était un fait d'arme, pour les cuisiniers, que d'aller acheter un thermocirculateur dans les catalogues de matériels de chimistes, pour pratiquer la cuisson à basse température. Je me souviens avec émotion, et surtout avec joie, les essais des premiers cuisiniers avec les évaporateurs rotatifs. Pour d'autres ustensiles, je n'ai pas (encore) eu le même succès. Par exemple, je n'ai pas réussi à faire utiliser les sondes à ultrasons pour la confection des émulsions; je n'ai pas réussi à imposer les systèmes de filtration modernes pour la clarification des bouillons… Mais on a déjà beaucoup progressé, et je ne doute pas que l'on continuera.

Voilà pour la cuisine moléculaire, au sens de molecular cooking, la technique. Passons maintenant à la cuisine moléculaire, dite en anglais molecular cuisine, expression qui désigne un style de cuisine. Là, je dois avouer qu'il y a eu quelque chose d'imprévu : je n'imaginais pas que le développement de la cuisine moléculaire au sens de la technique conduirait à une style de cuisine reconnaissable, parce que la technique permet de produire différemment. Par exemple, les siphons font des mousses reconnaissables ; par exemple l'emploi d'azote liquide permet de faire des poudres d'huile ; par exemple, les cuisons basse température font des viandes reconnaissables.

Bref l'introduction de nouvelles techniques a conduit des cuisiniers inventifs à produire des éléments de plats que l'on a progressivement retrouvé dans de nombreux restaurants du monde. Dans la liste précédente, je n'ai pas évoqué les perles d'alginates et d'autres gels, ce qui me conduit à évoquer cet épisode étonnant de 1984. J'avais proposé à une association professionnelles de chefs français d'utiliser ces produits que l'industrie utilisait déjà parfois: agar-agar, xanthane caroube, alginates... Je me souviens très bien de ma déception quand on m'a répondu un « non » catégorique, en me disant que cela allait empoisonner les clients. En l'occurrence, pourquoi la gélatine aurait-elle été utilisé plutôt que ces gélifiants ? J'ai continué à proposer cet usage, et il s'est imposé, à cela près que je viens d'apprendre qu'une grande institution culinaire française venait d’interdire les siphons et l'agar-agar dans un concours qu'elle organise. Mais pourquoi, alors, n'interdirions nous pas les casseroles et les fourchettes ? Ou la gélatine et les œufs ? Il y a là une position réactionnaire, et je crois que nos jeunes cuisiniers méritent plus d'ouverture d'esprit de la part de leurs aînés un peu irresponsables

Mais voilà, il y a donc un style de cuisine, qui s'est introduit, tout comme s'était introduit la nouvelle cuisine dans les années, en 1970, un courant qui faisait suite à la cuisine bourgeoise, qui faisait suite à la cuisine classique, etc.
En français donc, l'expression « cuisine moléculaire » recouvre deux entités distinctes, alors qu'en anglais, pour ceux qui manient les mots subtilement, il y a deux expression différentes pour deux réalités différents.



Et pour le futur, il faut avoir des faits en tête

Pourquoi toutes ces explications ? Parce que l'on me les demande, mais aussi parce que je ne cesse de voir, sur internet, des journalistes de langue anglaise qui confondent tout : la gastronomie moléculaire et la cuisine moléculaire, qu'il s'agisse de technique ou de style. Évidemment le monde est le monde, et l'on serait Don Quichotte à vouloir le changer, mais il n'est pas proposer des éclaircissements, des explications, car il y aura bien quelques esprits attentifs et intelligents qui prendront l’information au vol et la feront peut être rayonner.

De toute façon aujourd'hui, ces histoires de cuisine moléculaire sont très largement dépassées par la « cuisine note à note ». J'ajoute immédiatement que, cette fois, il y a le risque que des individus un peu hâtifs et imprécis ne disent que la gastronomie moléculaire est dépassée. Elle ne l'est pas, car c'est une activité scientifique qui de développe dans le monde entier, avec la création périodique de nouveaux laboratoires.

Non, ce qui est dépassé, c'est la cuisine moléculaire : la rénovation technique est proposée depuis longtemps, elle est en partie faite, et il est largement temps de passer à autre chose, à savoir la cuisine note à note.
De quoi s'agit-il ?
En 1994, alors que je rédigeai la conclusion d'un article pour une grande revue scientifique, j'eus l'idée que, puisque j'utilisais personnellement des composés chimiques purs, pour agrémenter ma cuisine, comme on utilise des épices pour donner du goût, on pourrait faire le plats tout entiers à partir de composés. Sans fruits, sans légumes, sans œufs, sans viande, sans poisson. Rien que des composés pour construire la consistance, la couleur, la saveur, l'odeur, etc.
Quel intérêt ? Est-ce possible ? La faisabilité, tout d'abord, fut démontrée avec le cuisinier français Pierre Gagnaire, que j'ai aidé à construire le premier de cuisine note à note jamais réalisé (à Hong Kong en 2009), mais les explorations des pionniers sont maintenant déjà du passé, et je suis heureux de voir que, depuis avril 2017, le cuisinier franco-italien Andrea Camastra, à Varsovie, a entièrement fait basculer son restaurant pour servir de la cuisine note à note : les journalistes s'y ruent, comme ils le faisaient à la fin des années 1990 chez Ferran Adria, en Espagne, pour la cuisine moléculaire.
L'intérêt ? Il y a « des » intérêts : artistiques, techniques, sociaux, politiques, nutritionnels… et ce serait trop long de les évoquer tous.
L'intérêt artistique se comprend facilement, notamment par une comparaison avec la musique : il y a deux siècles, on jouait du violon, de la flûte, de la trompette, etc. Chacun de ces instruments produisait un son, et avec ces sons, on faisait de la musique. Puis, il y a environ un siècle, les physiciens ont appris, après les travaux du mathématicien Joseph Fourier (1768-1930) à analyser les sons, à les décomposer en ondes sonores pures : fondamental, harmoniques… Enfin, dans les années 1950, ce furent les pionniers de la musique électro-acoustique, qui a conduit à ce que, aujourd'hui, la majeure partie de la musique soit électronique.
Ne peut-on imaginer une évolution analogue pour la cuisine ? Après tout, dans le temps, on utilisait des tissus animaux et végétaux pour cuisiner. Puis, depuis un siècle environ, la chimie a analysé ces tissus et reconnu les composés purs qui les constituaient : celluloses, pectines, protéines, lipides… Ce qui conduit à des possibilités de composition à l'infini ! En réalité, la cuisine note à note est comme un continent nouveau de mets jamais réalisés, de goûts jamais dégustés, de consistances inédites… qui pourront d'ailleurs être facilement obtenues par l'emploi d'imprimantes 3D.
Mais c'est la question de la sécurité alimentaire qui motive surtout les explorations scientifiques ou technologiques de la cuisine note à note. Nous ne devons pas oublier que, en 2050, les prévisions internationales arrivent à des hypothèses de 10 milliards d'individus sur la Terre. Comment les nourrir ? La lutte contre le gaspillage a commencé à l'échelle internationale, et il faut observer que ce gaspillage découle surtout du fait que nous transportons des ingrédients frais (végétaux ou animaux) qui s'abiment dans les transports, sans compter que nous transportons inutilement de l'eau : une salade, c'est jusqu'à 99 pour cent d'eau ; une tomate 95 pour cent ; une viande 75 pour cent !
Bref, il y a lieu d'envisager des futurs possibles, sans que notre plaisir de manger soit tué par la nécessité, bien au contraire.
Et la gastronomie moléculaire, qui se développe dans des universités du monde entier, au point que nous avons créé en 2014 un « Centre international de gastronomie moléculaire AgroParisTech-Inra », vise notamment l'exploration des nouveaux « systèmes physico-chimiques » réalisables par cette nouvelle forme de cuisine, avec des libérations inédites des nutriments, des composés gustatifs, par des structures physiques nouvelles. Peut-on, par exemple, imaginer des plats où un goût apparaitrait en début de dégustation, disparaîtrait, puis serait remplacé par un autre goût, puis après quelques secondes par un troisième ? La réponse est oui : un travail récent, d'exploration des gels, a montré l'ensemble des possibilités réalisables. Il faut maintenant effectuer le transfert de la science à la technologie, puis à la technique, en même temps que les artistes explorent des voies nouvelles.


lundi 12 février 2018

On m'interroge à propos de "tendances", mais qu'en sais-je ? Je sais seulement que la cuisine note à note va s'imposer !

On m'interroge à propos de "tendances"... mais pourquoi m'interroge-t-on, alors que je n'ai pas de boule de cristal (et que je ne crois pas à l'efficacité de telle boules... sauf à prendre de l'argent aux esprits faibles) ?

Bon, je vais essayer de répondre... avec compétence et bonne humeur.

INTRODUCTION:
→ Pouvez-vous rapidement nous décrire votre position dans le secteur de la gastronomie ?

Là, je crains que mes interlocuteurs ne confondent gastronomie et... une certaine cuisine, dont il faudrait savoir si c'est de la cuisine artistique, de la cuisine de luxe, les deux étant dommageablement confondues.

La gastronomie est -en réalité- la "connaissance de tout ce qui se rapporte à l'être humain en tant qu'il se nourrit". Il y a de la gastronomie historique pour les historiens, de la gastronomie géographique pour les géographes, de la gastronomie littéraire pour les écrivains, et de la "gastronomie moléculaire" pour les physico-chimistes.
Mon activité, c'est cela : de la recherche scientifique, au sens des sciences de la nature, celles qui calculent, qui mesurent, et qui fonctionnent selon des critères que j'ai exposés mille fois, notamment dans mon livre "Cours de gastronomie moléculaire N°1 : Science, technologie, technique (culinaires) : quelles relations ?" (Editions Belin/Quae).
Certes, comme je suis un peu remuant, et que j'ai une vision très politique de mon activité, je montre également que les sciences de la nature sont très utiles pour les applications pédagogiques ou intellectuelles et pour les applications technologiques et techniques. D'où mes inventions, à raison d'une par mois depuis 18 ans sur le site de mon ami Pierre Gagnaire : http://www.pierre-gagnaire.com/pierre_gagnaire/pierre_et_herve. C'est public et gratuit ! Ou encore, les Ateliers introduits pour l'Education nationale : http://www.agroparistech.fr/La-gastronomie-moleculaire.html
Mais mes actions politiques me détournent de ma véritable activité, celle pour laquelle je suis en réalité payé par l'Etat, donc par le contribuable, et qui est la recherche scientifique, laquelle est ma passion.

Cela, c'était pour la "vraie" réponse, mais je réponds maintenant à la question gauchie de mes interlocuteurs. Le monde de la cuisine est le monde de la cuisine, et je ne suis pas cuisinier... mais c'est un fait que quand je vais dans ce monde (réunion de professionnels, convention, salon professionnel, etc.), j'y suis merveilleusement accueilli... parce qu'il est vrai que mes "séminaires de gastronomie moléculaire" donnent gratuitement de la formation à tous, tout comme mes cours, mes blogs, etc. Je ne compte plus le nombre de témoignages amicaux et reconnaissants... même si j'ai peut-être des ennemis (ce dont je me moque, puisque je ne peux rien y faire, et que ce sont vraisemblablement des ignorants ou des malhonnêtes). Mais terminons par une note positive : j'ai BEAUCOUP d'amis cuisiniers, et je m'en réjouis.

→ Quelle perception les gens ont de la gastronomie aujourd’hui ?

Aie, comment voulez vous que je le sache, alors que je suis enfermé dans un laboratoire, et que je ne regarde aucune "actualité" (ni télévision, ni radio, ni journal, ni actualités sur internet).
Surtout, cela ne m'intéresse pas de savoir ce que la communauté pense. J'ai fait une fois l'erreur d'en tenir compte, en cessant de promouvoir la cuisine note à note avant l'an 2000, quand une partie du public craignait le Bug de l'an 2000... et cela m'a fait perdre une dizaine d'années. D'autre part, je me souviens des débuts de la gastronomie moléculaire (on se souvient que c'est de la physico-chimie, pas de la cuisine), quand des collègues qui étaient des petits esprits, dans des universités variées, disaient que mon activité était futile, pas de bonne qualité... Mais j'avais pour moi l'opinion de Pierre Gilles de Gennes ou de Jean-Marie Lehn... mais, surtout, la mienne ! Je me moque du qu'en dira-t-on, et j'ai une devise : fais ce que dois, advienne que pourra... que mon ami Jean-Marie Lehn dit différemment : "ils causent, je bétonne".

Mais, en réalité, mon interlocuteur veux savoir ce que "les gens" pensent de la haute cuisine, de la cuisine artistique, de la cuisine de luxe... et comment le saurais-je ? Cela étant, les innombrables émissions de télévision sur la cuisine semblent répondre à sa question, non ? Et cela n'est pas nouveau, puisque, en France, l'idée prévaut depuis la Renaissance. Ce qui est nouveau, en revanche, c'est que le phénomène est dans tous les pays, aujourd'hui.
Enfin, j'alerte mon ami sur ce "les gens" : je prends le pari qu'il y a "des gens" qui trouvent que la grande cuisine est merveilleuse, et d'autre "gens" qui la critiquent en disant que c'est honteux de se goberger alors qu'une partie de l'humanité meurt de faim.
Au fond, cela mérite plus qu'une phrase : il faut une étude de consommation... qui servira à quoi, au fait ? (car je rappelle qu'un sondage n'a d'intérêt que si les questions sont pertinemment choisies).

→ Quelle type de cuisine ou d’expérience les consommateurs recherchent-ils aujourd’hui ?

Et comment le saurais-je ? Cela dit, il y a encore ce "les consommateurs". Il y a mille consom... non, je me reprends, parce que nous ne sommes pas des vaches à lait de l'industrie : il y a mille citoyens différents.
 

ENJEUX ACTUELS :
→ Quels défis rencontre aujourd’hui le secteur de la gastronomie ? (Business model / Type de cuisine / Expérience consommateur / Santé / Environnement…)

Bon, je cesse de faire le bête à propos de gastronomie, et je considère donc la question modifiée "Quels défis rencontre aujourd'hui le secteur de la cuisine commerciale étoilée ?".
Et la réponse, d'après mes amis (mais je n'ai pas vérifié), est le coût de la main d'oeuvre.
Mais il faut également dire que les pratiques culinaires sont un peu désuettes, comme si l'on roulait encore en char à boeufs. Pourquoi passer cinq minutes à battre un blanc d'oeuf en neige avec un fouet, quand il suffit de quelques secondes avec un siphon, par exemple ?
Le frais, aussi, est une question grave, parce qu'il y a à la fois des coûts de matière, des pertes, des flux difficiles à gérer. Quel chef parisien va encore à Rungis le matin très tôt, alors qu'il ou elle terminera tard le soir ?
Mais, au fond, pourquoi suis-je en train de répondre à la question, alors que je ne sais rien de tout cela ? Il faut interroger des cuisiniers et des restaurateurs (ce n'est pas le même métier).

→ Quelles solutions/changements apparaissent aujourd’hui face à ces défis ? 

Je n'en sais vraiment rien... mais je propose inlassablement la cuisine note à note, que vous découvrirez dans mon livre "La cuisine note à note" (Editions Belin).
En passant, je souris à ce mot de "défi" que j'entends souvent et qui renvoie à des idées parfois bien éloignées de l'acception réelle du mot. Mais bon, j'ai mauvais esprit.


FUTURES TENDANCES :
 → Quels vont être selon vous les changements majeurs pour le monde de la gastronomie dans 10 ans ?

Encore une question boule de cristal ! Je n'en sais rien... mais je vais tout faire pour que la cuisine note à note s'impose. Et je vois des signes de changement. Si tout se passe comme prévu (et comme cela s'est déjà passé avec la cuisine moléculaire), alors l'effet boule de neige va jouer.
 
 → Quelles seront alors les innovations/ nouveautés qui apparaîtront ? (Business model / Type de cuisine / Expérience consommateur / Santé / Environnement… ) 

Business model : vous vous moquez ? Me poser une telle question alors que je m'intéresse qu'à la physico-chimie ? Oui, j'ai un passé industriel, mais c'est bien fini, et je passe tout mon temps à mes travaux scientifiques et à ses applications "politiques". A d'autres de parler de ces choses là.

Mais je vois aussi les mots "innovations" ou "nouveautés", et c'est l'occasion de dire que je reçois chaque semaine une lettre d'information qui me vient d'un cabinet de tendances... et que je suis atterré par la nullité des propositions qui sont faites par l'industriel alimentaire : une bouteille en plastique qui a la forme de la main, un peu de basilic dans une sauce tomate... Regardons aussi les prix donnés au Salon de l'alimentation, et comparons avec les possibilités de la cuisine note à note, et nous comprenons rapidement que l'industrie alimentaire évolue très lentement, et, en tout cas, bien plus lentement que les cuisiniers étoilés les plus avancés !

Dans la question, il y a aussi le mot "santé"... et là, c'est une vaste rigolade, parce que  nous disons tous vouloir manger sainement... mais nous nous jetons sur le chocolat et le foie gras dès que les moindres fêtes nous le "permettent". Nous voulons éviter les aliments "dangereux"... mais les Français passent les beaux jours à manger des viandes mal cuites au barbecue... qui déposent 2000 fois plus de benzopyrènes cancérogènes qu'il n'en est autorisé dans les produits fumés de l'industrie ! Sans compter nos amis qui fument et qui boisent (trop). Décidément, je ne vais pas me préoccuper du détail avant que le gros ait été résolu ! Et il y a beaucoup de baratin industriel très déloyal à ce propos, notamment l'usage du mot "naturel" qui est mensonger, déloyal, malhonnête : en français, est naturel ce qui n'a pas fait l'objet de transformations par l'être humain... or les aliments sont préparés, par l'être humain. Il ne peut donc pas exister d'aliment qui serait naturel. 

Environnement ? C'est bien d'être sensibilisé !

Bref, je ne suis pas la bonne personne à qui poser ces questions, on le voit !

samedi 20 janvier 2018

Je viens de passer devant un restaurant asiatique, où il était écrit « Gastronomie d'Asie »… et c'était une faute.
Je viens de lire une critique dite « gastronomique », alors qu'il s'agit de la critique de restaurant, et c'est encore fautif.

Le mot « gastronomie » est employé à tort et à travers, dans le monde culinaire, et dans le monde en général. Expliquons pourquoi.


Le mot « gastronomie » est un de ces mots récemment apparus, puisqu'il est forgé du grec par un poète, Joseph Berchoux, en 1801. Le poète n'est pas très connu, de sorte que c'est le juriste Jean-Anthelme Brillat-Savarin qui en sera vraiment à l'origine, avec une définition parfaitement explicite et claire : « la connaissance raisonnée de tout ce qui se rapporte à l'être humain en tant qu'il se nourrit » (Brillat-Savarin parle d' « homme », et non pas d'être humain, mais comme la meilleure moitié de l'humanité n'est pas masculine, autant adapter un peu la définition).

Ainsi, la gastronomie, c'est de la connaissance. Pas de la cuisine !
Dans le restaurant asiatique évoqué précédemment, il n'est aucunement question de connaissance, mais seulement de cuisine. Dans les restaurants, le client ne vient pas chercher de la connaissance, quel que soit le nombre d'étoiles Michelin, mais de la cuisine.


Comment nommer la cuisine des étoilés, alors, s'il est illégitime de la nommer « cuisine gastronomique » ?
 Il s'agit de cuisine de luxe, de cuisine d'apparat, de haute cuisine, de cuisine artistique, de tout ce que l'on veut, mais pas de cuisine gastronomique. Inversement, nous avions parfaitement nommé l'Institut des hautes études de la gastronomie la structure de formation avancée que nous avions créée en 2004, et la terminologie « gastronomie moléculaire » est parfaitement juste, pour désigner la science de la nature qui explore les mécanismes des phénomènes qui surviennent en cuisine : il s'agit bien de connaissance.








Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)





Métiers de bouche ? Gastronomie ?

Ce matin, je suis en copie d'un message (amical), à propos d'une annonce que je viens de faire à tous mes correspondants d'une liste de distribution que j'ai nommée "Annuaire français des métiers de bouche", à propos du premier repas entièrement note à note, qui se fera en Alsace le 21 février.
L'un de mes amis écrit à un de ses collègues :

 Je connais bien Hervé This depuis sa prestation à la journée de l'Académie du chocolat et entre Alsaciens surtout pour le vin , bien que je sois Mosellan ;
Mais je trouve l'expression péjorative de "métiers de la bouche " et ...les prothésistes ...les dentistes !!!
Nous sommes les métiers de la gastronomie




Je récuse absolument la fin du message... qui confond d'ailleurs les "métiers de bouche" et les "métiers de la bouche". Voici ma réponse : 



Chers Amis
Merci de vos échanges, mais je m'inscris en faux contre l'acception que vous retenez, qui n'est pas conforme au dictionnaire (pardonnez moi, mais j'ai même fait valoir cela dans le dictionnaire... de l'Académie du chocolat.

Les faits : le mot "gastronomie", introduit en 1801 par Joseph Berchoux, a été défini en 1825 par Jean-Anthelme Brillat-Savarin comme "la connaissance raisonnée de tout ce qui se rapporte à l'être humain en tant qu'il se nourrit".
Oui, la gastronomie est une connaissance, et pas une pratique technique ou artistique.

D'autre part, l'expression "métiers de bouche" -et pas "métiers de la bouche-  est officielle : https://www.pole-emploi.fr/actualites/panorama-du-secteur-des-metiers-de-bouche-@/article.jspz?id=61104. Elle n'est pas péjorative.

Et, pour finir, je vous adresse mes meilleurs voeux pour cette nouvelle année 2018, puisqu'il n'est pas trop tard : bonheur, prospérité, succès, joie...







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)  

samedi 9 décembre 2017

La gastronomie ? Ce n'est pas de la cuisine !

Qu'est-ce que la gastronomie ? Il y a beaucoup de confusion, notamment chez ceux qui croient qu'il s'agit de haute cuisine. Je ne cesse de voir des devantures de "gastronomie japonaise", "gastronomie chinoise", "gastronomie italienne", etc.





 Mais autant en rire. N'ai-je pas vu, à New York, un magasin qui affichait "Les meilleurs matelas du monde", ou bien, à Paris, ces posters "J'ai révolutionné la literie". On le voit, nos publicitaires et nos commerçants sont prêts à tous pour refiler leurs salades, sans honte (ils n'ont sans doute pas le gène de cela).

Mais, plus sérieusement, revenons à la question : qu'est-ce que la gastronomie ? Le mot fut introduit en français par le poète Joseph Berchoux, mais il fut défini en 1825 par le juriste Jean-Anthelme Brillat-Savarin,  dans la Physiologie du goût :

DÉFINITION DE LA GASTRONOMIE :
18. - La gastronomie est la connaissance raisonnée de tout ce qui a rapport à l'homme, en tant qu'il se nourrit.
Son but est de veiller à la conservation des hommes, au moyen de la meilleure nourriture possible.
Elle y parvient en dirigeant, par des principes certains, tous ceux qui recherchent, fournissent ou préparent les choses qui peuvent se convertir en aliments.
Ainsi, c'est elle, à vrai dire, qui fait mouvoir les cultivateurs, les vignerons, les pêcheurs, les chasseurs et la nombreuse famille des cuisiniers, quel que soit le titre ou la qualification sous laquelle ils déguisent leur emploi à la préparation des aliments.
La gastronomie tient :
A l'histoire naturelle, par la classification qu'elle fait des substances alimentaires ; A la physique, par l'examen de leurs compositions et de leurs qualités ; A la chimie, par les diverses analyses et décompositions qu'elle leur fait subir ; A la cuisine, par l'art d'apprêter les mets et de les rendre agréables au goût ; Au commerce, par la recherche des moyens d'acheter au meilleur marché possible ce qu'elle consomme, et de débiter le plus avantageusement ce qu'elle présente à vendre ; Enfin, à l'économie politique, par les ressources qu'elle présente à l'impôt, et par les moyens d'échange qu'elle établit entre les nations.


On le voit : la gastronomie est de la connaissance. Si l'on fait l'étude des différences entre les cassoulets selon les villes ou villages, en Occitanie,  on fait de la gastronomie géographique. Si l'on fait l'histoire  des pâtes en Alsace, on fait de la gastronomie historique. Si l'on étudie les modifications chimiques qui opèrent quand on cuisine, on fait de la gastronomie moléculaire.

Mais en aucun cas la gastronomie ne se confond avec la bonne ou la mauvaise cuisine.







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

jeudi 17 août 2017

Aux Hautes Etudes du Goût : Pierre Combris

J'ai un peu de tard dans ma présentation des enseignants de l'Institut des Hautes Etudes du Goût, de la Gastronomie et des Arts de la Table. En revanche, c'est un grand plaisir de présenter mon collègue Pierre Combris :



Pierre Combris est économiste et directeur de recherche honoraire à l'INRA.


Il a dirigé, depuis 1996, le laboratoire de recherche sur la consommation qui étudie l'économie et les pratiques alimentaires ainsi que les mécanismes de choix des consommateurs.
Ses recherches personnelles ont porté sur l'évolution de la consommation alimentaire en France des années 1950 à nos jours et sur les infléchissements des préférences des consommateurs.


Il s'est également intéressé aux processus de choix en fonction des caractéristiques des aliments et de l'information dont dispose les consommateurs.


Il est membre du conseil d'administration de l'Institut Français pour la Nutrition et est expert auprès du Fonds Français pour l'Alimentation et la Santé.

lundi 27 février 2017

Les professeurs des Hautes Etudes du Goût (3)

L'Institut des Hautes Etudes du Goût expose les auditeurs à des intervenants de la plus haute compétence, dans des champs variés de la gastronomie. 

Précédemment, nous avons présenté Sylvie Lortal, puis Jean-Philippe de Tonnac. Cette semaine, je suis heureux de vous présenter Sylvie Amar:


Ancienne élève de l’ENSCI Les Ateliers, Sylvie Amar ouvre son studio de design en 1997. Très vite, sa sensibilité à l’univers culinaire la porte vers sa première création, le célèbre marteau de cuisine, et à une première prestigieuse collaboration avec Pierre Gagnaire. Deux actes fondateurs d’une démarche qu’elle ne cesse depuis d’explorer et d’approfondir : la recherche de la fonctionnalité au service de la créativité et de l’image des chefs.
Forte de son expertise du monde de la gastronomie, Sylvie Amar a fait du design un instrument d’accompagnement global, depuis la création d’objets jusqu’à l’aménagement d’espaces ; un accompagnement qu’elle étend désormais au conseil en identité et stratégie de marque.
Devenue partenaire des plus grands fabricants (Pillivuyt, Peugeot PSP, Matfer, Arc international…), des plus grands groupes d’hôtellerie-restauration (Accor, Louvre Hôtels…), des plus grands industriels de l’agro-alimentaire (Nestlé, Cailler, CCDessert, Mer’Alliance, Nespresso…) et des plus grands chefs (Olivier Roellinger, Jean-Michel Lorain, Jean-François Foucher…), elle est aujourd’hui recherchée hors des frontières, notamment par Nousaku, la célèbre maison de fonderie traditionnelle japonaise, qui a fait appel à elle pour créer sa première collection d’arts de la table.

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Former student of “ENSCI Les Ateliers“ (French national school for advanced studies in design), Sylvie Amar opens her design studio in 1997. Very quickly, her sensitivity for the culinary world brings about her first creation, her famous cooking hammer, and a first prestigious collaboration with Pierre Gagnaire. Two founding acts that she has since never stopped to explore and to deepen: the search for functionality supporting creativity and the Chefs’ images.
Strong from her expertise in the world of gastronomy, Sylvie Amar has made design a global support tool, from the creation of objects to the planning of spaces; a support she now extends to consulting in brand identity and strategy.
Having partnered with the most famous suppliers (Pillivuyt, Peugeot PSP, Matfer, Arc International…), the largest hotel and restaurant groups (Accor, Louvre Hotels …), the biggest names of the agri-food industry (Nestlé, Cailler, CCDessert, Mer’Alliance, Nespresso…) as well as the greatest Chefs (Olivier Roellinger, Jean-Michel Lorain, Jean-François Foucher…), she is now in demand internationally, especially by Nousaku, the renown traditional Japanese foundry, that has asked her to create its “arts de la table“ (art of tableware) collection.

mardi 29 mars 2016

Ce matin, un communiqué de presse où je lis "Nouveauté été 2016, dans la capitale mondiale de la gastronomie...".

Evidemment, je réponds : "La capitale mondiale de la gastronomie : Colmar ou Strasbourg ?"

Le cabinet de presse me dit alors  : "Nous faisions référence à Lyon et au titre donné par Curnonsky. Les semaines gastronomiques de xxx se déroulent à Lyon mais elles sont bien sûr dédiées à tous les gastronomes français, de Rhône-Alpes et d’ailleurs, ainsi qu’aux gourmets étrangers. Certaines semaines leur sont d’ailleurs dédiées (Chinois, Corée, Espagnol, etc.).

Ce qui attire (évidemment) de ma part le commentaire suivant :


Merci de votre retour. Mais c'est un peu comme  si le critique culinaire du Figaro (ou Monde, ou France Info, ou France Inter, ou TF1, ou M6... (je n'ai rien contre les gens honnêtes) décidait que la Capitale de la Gastronomie était Rungis, ou Tours, ou  Bordeaux, ou Dijon... Je ne cite pas ces villes au hasard : elles étaient candidates pour abriter la Cité de la gastronomie, quand la France a inscrit le repas gastronomique des Français au Patrimoine immatériel de l'humanité.
Et je maintiens que je mange mieux à Colmar, à Strasbourg ou à Paris qu'à Lyon : d'une part, la cuisine qui s'y fait est plus proche de ma culture (manger  bien, c'est manger ce que j'aime, non ?), et, d'autre part... mon ami Pierre Gagnaire n'est pas à Lyon (pas  à Colmar encore, mais attendons ;-) ).
Et puis, New York ? Tokyo ? Londres ? Curnonsky a vécu il y plus d'un demi siècle, et de l'eau est passé sous les ponts. Au lieu de nous regarder le nombril (et, pire, un nombril vieilli), nous ferions mieux de travailler, et de jeter un regard sur le vaste monde, où d'autres travaillent.
De toute façon, est-ce une bonne stratégie de communication de plaire aux Lyonnais en fâchant tous les autres, qui sont quand même bien plus nombreux ? Pas sûr...
Evidemment, s'il s'agit seulement de faire causer de la ville, pourquoi pas : j'ai quand même écrit trois fois le mot dans ce billet... mais je ne suis pas sûre  qu'elle en sorte grandie.

mercredi 25 novembre 2015

Est-il légitime que...

Est-il légitime que le repas gastronomique des Français ait été inscrit au patrimoine immatériel de l'humanité par l'UNESCO ?
Pour  la France, je ne sais pas, mais pour l'Alsace, il y a certainement du juste, car Michel de Montaigne écrit déjà :

 Michel de Montaigne – Journal de voyage en Alsace et en Suisse, 1580-1581
« En cette contrée ils sont somptueux en poiles, c'est-à-dire en sales communes à  faire le repas ;   mais ils ont plus de soucys de leurs diners que du demeurant. Ils sont excellans cuisiniers, notamment de poisson. Leur  service de table est fort différent du nostre. Ils ne se servent jamais d'eau à leur vin, et ont quasi raison. Quant à la viande, ils ne servent que deux ou trois plats au coupon ; ils meslent diverses viandes  ensamble bien apprestées et d'€™une distribution bien éloignée de la nostre. Ils ont jusqu'à   six ou sept changements de plats, deux par deux. Les moindres repas sont de trois ou quatres heures pour la longueur de ces services; et à  la vérité ils mangent aussi beaucoup moins hâtivement que nous et plus sereinement. Ils ont grande abondance de vivres de cher et de poisson et couvrent fort somptueusement les tables.»

vendredi 16 novembre 2012

Encore des commentaires

Un ami-correspondant m'envoie un texte d'Ali-Bab (Henri Babinsky), qui mérite d'être discuté. Ci dessous, je donne le texte et des commentaires.


Etat actuel de la gastronomie
Le texte date de 1928. 

[…] Tout en m’efforçant d’éviter de louanger les temps passés, travers dans lequel on tombe facilement, il me semble franchement qu’au point de vue gastronomique, comme à beaucoup d’autres, nous sommes en train de traverser une crise.
Oui, il y a toujours le vieux mythe de l'âge d'or, qui traine. 
Une crise ? Le mot pourrait être prononcé aujourd'hui... et je crois que, pour certains de nous, tout va toujours mal. Pour d'autres, dont je suis, il y a bien peu de changements... et tout va donc toujours (plutôt) bien : la Terre ne s'est pas arrêtée de tourner.

L’élevage, les procédés modernes de culture, la préparation des conserves ont certainement augmenté la quantité de nourriture disponible ; 
Oui, et c'est ainsi que les pays industrialisés ont aujourd'hui à suffisance ! L'amélioration de la production d'un côté, et les progrès dans la conservation, de l'autre, ont été essentiels !

le développement des moyens de transport, l’emploi du froid ont permis de répandre cette nourriture partout ; 
 Partout et toute l'année

et la famine, cet horrible fléau, est désormais impossible dans les pays civilisés, à moins d’un cataclysme. 
 Ici, une idée importante : nous sommes la première génération à ne pas avoir connu de famine (1928, c'est avant la Seconde Guerre mondiale, pendant laquelle il y a eu du rationnement).

Mais si, au point de vue général, ces conditions nouvelles de la vie ont incontestablement une influence heureuse, en est-il de même au point de vue purement gastronomique ?
On a effectivement le droit de poser la question.

Aujourd’hui les éleveurs, en gavant les animaux, produisent couramment des viandes trop grasses ;
 Méfions-nous des généralisations. Tous les éleveurs ? Gaver un boeuf ? 

 la culture intensive modifie le plus souvent dans un sens défavorable la qualité des produits du sol. 
 Et pourquoi, défavorable ? Et pourquoi la culture intensive nuirait-il à  la qualité ? Et d'abord, qu'est-ce que la "qualité" ? 

Il nous suffira de citer comme exemple la pomme de terre que l’on ne peut plus avoir parfaite qu’en la cultivant exprès et sans la forcer, dans des terrains sablonneux, comme on le faisait autrefois. 
 Il y a de remarquables pommes de terre, tomates, oignons, etc. parce que la sélection variétale a fait d'immense progrès, et que l'agronomie a considérablement progressé.

Les châssis et les serres fournissent en toute saison des légumes et des fruits merveilleux d’aspect, mais dépourvu de saveur ; on n’est pas encore parvenu à remplacer le soleil. 
 Oui, il faut de l'énergie (solaire, par exemple) pour faire des fruits de haut goût... mais on est parfaitement parvenu à remplacer le soleil. La question, c'est une question d'argent : combien veut-on consacrer à éclairer les plantes ? Où les cultive-t-on ? Combien veut-on payer les denrées alimentaires ?
On n'en aura jamais que pour son argent ! 

L’industrie des conserves provoque l’accaparement des produits alimentaires naturels, frais, au moment où ils sont le meilleur marché ; 
 Allons allons... Soyons un peu raisonnable. On aura des produits frais si on les paye.

les chemins de fer drainent de partout ce qu’il y a de meilleur, au profit de consommateurs souvent incapables de l’apprécier et ils en privent les habitants des pays producteurs, parmi lesquels se recrutaient autrefois les gourmets les plus raffinés. 
 Et là encore : cela devient lancinant, ce "tout fout le camp ma bonne dame" !
De toute façon, les citoyens (mot que je préfère à "consommateur") habitent aujourd'hui dans des villes... parce qu'ils jugent préférable de faire ainsi.

On cueille les fruits avant leur maturité pour pouvoir les transporter loin, de sorte que peu de personnes sont actuellement à même de manger des fruits vraiment à point ; 
 Non, on cueille ce que l'on veut. On mange des fruits à point si on accepte de les consommer rapidement, parce que c'est cela la question : si on achète à point, on ne pourra pas conserver. Or nous sommes souvent bien paresseux.

on n’a plus de lait à la campagne ; 
 Mais si. Faites donc un petit effort (d'optimisme, notamment)

il devient difficile de se procurer du poisson au bord de mer ; 
 Allons, soyons sérieux ! N'importe qui, avec une ligne dans un port, trouve du mulet. Et n'importe quelle ligne trainée derrière un petit bateau rapporte de merveilleux maquereaux tout frais !

il est presque impossible d’obtenir un bon bifteck dans un pays d’élevage ; en un mot nous vivons un peu comme dans le manoir à l’envers
 Ca continue... Décidément, la carricature fait perdre toute crédibilité...

La falsification des aliments, très ancienne à la vérité puisque les Romains s’en plaignaient déjà, mais qui se pratiquait jadis sur une échelle relativement petite, constitue aujourd’hui, par suite des progrès de la chimie, une branche de l’industrie ; 
 Oui, la falsification, la sophistication, le frelatage, la fraude, la malhonnêteté sont de tous temps. Du temps des Romains comme du temps d'aujourd'hui. La malhonnêteté est -elle plus répandue aujourd'hui ? Pourquoi le serait-elle ? Et je préfère l'usage de conservateurs bien ciblés à celui de sulfure de mercure dans le pissala ! Quand à la pratique de la cuisson sur le feu, qui charge de benzopyrènes les viandes, elle est bien pire que toutes les chimies de la terre!  

les procédés à employer pour atteindre ce but sont discutés dans des congrès officiels et leurs auteurs, au lieu d’être pendus sont décorés !
 Et c'est juste  ! D'ailleurs, ceux qui ne veulent pas des produits de l'industrie alimentaire ne sont pas obligés de les acheter. Moi, je préfère un monde où l'espérance de vie augmente d'un trimestre tous les ans ! !

Il devient incontestablement difficile de bien manger ; 
 Non, il suffit de cuisiner, d'apprendre à cuisiner, de comprendre ce qu'est "cuisiner".

cependant la chose est encore possible, mais plus que jamais indispensable de s’occuper soi-même de sa nourriture. 
 Non, rien n'a changé ; oui, c'est possible (voir plus haut). 

En province, dans certains milieux où l’on ne se désintéresse pas de la question, on sait encore faire bonne chère. On pense à la cuisine ; on discute d’avance les menus ; on s’adresse pour chaque produit à des fournisseurs que l’on connait et qui savent eux-mêmes à qui ils ont affaire ; enfin, la préparation de tous les plats est l’objet des soins les plus minutieux.
 Mais mon bon monsieur, en ville aussi, on peut être gourmand ! En ville aussi, on peut discuter des menus, chercher de bons fournisseurs, apporter du soin à la production culinaire !

Mais à Paris, où l’on vit trop vite, où l’on est toujours pressé, peu de gens consentent à consacrer quelques moments à ces questions ; 
 Une généralisation, idiote, donc. 

aussi l’art culinaire y est manifestement en décadence. 
 Mais oui, mais oui... Tout fout le camp, on a compris !

Pourtant il semble que bien manger devrait intéresser tout le monde, car personne n’oserait soutenir qu’il soit différent de consommer des aliments bien ou mal préparés. 
 Et pourquoi cela intéresserait-il "tout le monde" ? N'a-t-on pas le droit de faire autrement ?
La gastronomie s’adresse à toutes les classes de la société et il n’est nullement nécessaire d’avoir de la fortune pour bien se nourrir. 
 Là, d'accord. 

Le repas le plus simple, quelque modeste qu’il soit, peut être meilleur qu’un repas très couteux, et l’on aura toujours bien mangé si ce qu’on a mangé était de bonne qualité et bien préparé.
 Parfaitement d'accord.

Malheureusement, ce qu’on recherche avant tout aujourd’hui c’est paraître. 
 Qui cherche cela ? "On" ?

Le modeste bourgeois d’autrefois, recevant des amis à sa table, ne leur donnait pas plus de trois plats, simples mais soignés, préparés sous la direction effective et jalouse de la maitresse de maison. 
 Bof : parmi les bourgeois, il y avait des prétentieux, des modestes, des honnêtes, des malhonnêtes... Donc non !
Quant au mythe de la "bonne maîtresse de maison", ne soyons pas naïf !

Le bourgeois de nos jours se croirait déshonoré s’il ne présentait pas à ses convives des menus somptueux, au moins en apparence, qu’il est hors d’état de faire exécuter chez lui.
 Encore une ânerie.

Aussi commande-t-il ses repas priés au dehors, chez des entrepreneurs qui les lui envoient tout prêts, avec des domestiques d’occasion pour les servir.
 Et ca continue.

Les aigrefins peuvent donner à dîner dans des appartements vides, loués à l’heure pour la circonstance ; 
 De tous temps. Jadis, naguère, aujourd'hui : pas de changement.

des agences leur fournissent à forfait la nourriture, la boisson, la vaisselle, le linge et s’ils le désirent, elles leur procurent même, moyennant un petit supplément, quelques invités décoratifs et décorés destinés à impressionner le gogo naïf, auquel le mirage d’un intérieur familial cossu inspire toute confiance. Paraître, tout est là !
 Là encore. 

Quant aux parvenus, ils rivalisent de faux luxe. 
 Cela n'a jamais changé, depuis les débuts de l'humanité. 
Au fait, c'est quoi le "vrai luxe" ?

Pour avoir l’air de ne pas regarder la dépense, ils font bourrer tous leurs plats de truffes et de foie gras, de sorte que tout finit par avoir le même goût, et bien des dîners, dans des maisons où l’on devrait pouvoir manger convenablement, deviennent aussi odieux que des repas de table d’hôte auxquels, d’autre part, ils ressemblent souvent par l’assemblage hétéroclite des invités.
 Oui, cela se nomme du gongorisme, en peinture. Et cela a toujours existé. 

L’une des industries les plus florissantes aujourd’hui est celle de la confection de mets à emporter. 
 Mais, pourquoi cela serait-il mal ?

Partout on vend des plats tout faits et nombre de femmes ont une tendance fâcheuse à se désintéresser de leur intérieur. 
 Et alors ? Veut-on les cloitrer ?

Les unes ont  l’excuse des nécessités de la vie, qui les obligent à travailler dehors ; d’autres courent les magasins et les five o’clock à la recherche du bonheur. 
 N'ont-elles pas le droit ?

L’idéal pour tous les étages, ce qui permettrait de supprimer les cuisines, en attendant la fameuse pilule synthétique entrevue par certains savants.
 La pilule nutritive est un fantasme, que j'ai dénoncé en bien d'autres endroits. Cessons d'agiter ce spectre idiot. 

En ce qui concerne les établissements publics, on voit se multiplier des gargotes à prix fixes ; 
 Et aussi de bons restaurants à prix fixes. Il y a du progrès, donc.

les bons restaurant se transforment ou ferment successivement leurs portes et je serais véritablement embarrassé pour citer à Paris plus de quatre ou cinq maisons où l’on soit assuré d’être toujours bien traité à tous les égards.
 Non, tout va bien, merci. Et je tiens à votre disposition bien plus de quatre ou cinq maisons !
En supposant que son pessimisme soit justifié, il y aurait donc un indéniable progrès !

L’internationalisme mal compris se développe d’une façon inquiétante, et ses progrès, déplorables à bien des points de vue, sont désastreux au point de vue gastronomique ; 
 Allons, encore de l'inquiétude, du désastre...

si l’on n’y prend garde, ils auront bientôt amené à un même niveau peu élevé la cuisine de tous les pays.
 Or, ce que l'on voit, c'est que, au contraire, des pays naguère culinairement faibles ont considérablement progressé. Tout va bien, donc ! 

Au commencement du siècle dernier, un grand maitre d’ l’université était tout fier de pouvoir dire : «  Aujourd’hui, à cette heure, tous les élèves des toutes les classes de seconde de tous les lycées de France font le même thème grec ».
 Le grec a disparu. Ite missa est

 Les syndicats internationaux d’aubergistes qui nourrissent les voyageurs des deux hémisphères soumis à leur régime, paraphrasant le mot du ministre, peuvent dire : « Du far-West à l’extrême orient, du pôle nord au pôle sud, depuis le 1er janvier jusqu’à la saint sylvestre tous nos clients font les mêmes repas ».
 Ce n'est pas neuf. Il y a des modes en cuisine. 
D'autre part, cela a été un fantasme de croire que des cuisines rapides vendraient la même chose dans tous les pays : la volonté de faire plaisir à leurs clients a contraint les enseignes à varier les offres. Je ne dis pas que tous les plats proposés soient merveilleusement intéressants... mais il n'y a pas de drame ! Le vrai drame, ce sont les "marchands de peur" !


Et, en effet, que ce soit en bateau, en chemin de fer ou dans les hôtels, partout ces malheureux sont condamnés à la même invraisemblance barbue sauce hollandaise, au même aloyau braisé jardinière à la même inévitable poularde.
 Les pauvres ! Condamnés à de la barbue sauce hollandaise. Alors qu'une partie du monde meurt de faim ? C'est quand même terrible !

Quand on pense que ces gens paraissant à peu près équilibrés, dont une partie voyagent soi-disant par plaisir, consentent à absorber tous les jours de pareilles atrocités, c’est à désespérer du genre humain.
 Et si, au lieu de courir le monde, ils restaient chez eux et cuisinaient ?

Je veux croire cependant que ce n’est qu’une crise que nous traversons et j’espère sinon un réveil général du gout ce qui serait trop beau au moins un soulèvement des estomacs comme au temps de Lycurgue.
 Oui, cela a eu lieu. 

En attendant cette révolution pacifique, que les gastronomes ne se découragent pas, leurs efforts ne seront pas stériles. 
 On a compris que tout cela est de la rhétorique un peu faible, pour une littérature médiocre.

Orientés avec méthode, ces efforts persévérants finiront par faire de l’art culinaire purement expérimental tel qu’il est aujourd’hui une science exacte. 

En précisant dans des formules rigoureuses les connaissances que l’on possède, on fait plus  que perpétuer des recettes, on accumule des matériaux d’où se dégageront un jour les lois de la gastronomie, qui seront la base indestructibles de la science du bon.
La "science du bon" ? Au fait, le bon, c'est quoi ? Je propose de penser qu'il n'existe pas. Ce qui est bon, c'est que j'aime. Aucun intérêt général !