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jeudi 3 août 2023

Quelle différence entre un outil et un ustensile ?

Le monde technique fait-il usage d'outils ? d'ustensiles ? On parle effectivement d'ustensiles de cuisine, n'est-ce pas ? 

 

Pour des questions terminologiques si fines, rien ne vaut l'étymologie, et notamment celle qui est colligée par le Trésor de la langue française informatisé. 

 

Et c'est ainsi que l'on trouve : 

 ustensiles :  Tout ce qui est nécessaire dans une maison (meubles, outils, objets domestiques).  Objet ou accessoire de conception simple, à usage domestique, servant en particulier à la cuisine.
 

Avec l'étymologie suivante : 

Étymol. et Hist. 1. a) 1374 utencilles plur. « ensemble des objets servant à l'usage domestique » (Ordonnance au sujet des finances du duc de Bourbon ds HAVARD: tous les utencilles de linge de table, de vaisseaulx de cuisine, d'eschansonnerie); 1389-92 utenciles d'ostel (Registre criminel du Châtelet, éd. Duplès-Agier, t. 2, p. 259), a désigné également les objets servant à l'exercice d'un métier (1407, Chartes confisquées aux bonnes villes du Pays de Liège, publ. par Em. Fairon, p. 307 1508, Comptes de Dépenses de la construction du château de Gaillon, éd. A. Deville, p. 520), empl. dans lequel il a été évincé par outil* (a. fr. ostil); les formes utencile, utensile, parfois fém. (v. FEW t. 14, p. 87) sont att. jusqu'au mil. du XVIIIe s. (Trév. 1740); b) fin du XVIe s. fig. (DESHOULIÈRES, Poesies, t. 1, p. 82 ds LITTRÉ: Grands savantas, nation incivile, Dont Calepin est le seul ustensile); c) 1610 sens grivois (BÉROALDE DE VERVILLE, Moyen de parvenir, éd. H. Moreau, A. Tournon, p. 133); d) 1881 « maîtresse d'un souteneur » (RIGAUD, Dict. arg. mod.); 2. a) 1472 (en parlant de soldats en garnison dans une ville) paier les ustencilles « payer les dépenses de leur entretien quotidien » (Lettre de Louis XI, éd. J. Vaesen et E. Charavay, t. 5, p. 77); b) 1636 (MONET: Utansiles de gens de guerre [...] que l'hote leur fournit tant qu'il les loge); cf. 1680 être obligé à la fourniture de l'ustencile (RICH.). Utensile empr. au lat. utensilia, mot de la lang. parlée (v. ERN.-MEILLET) « objets nécessaires, meubles, ustensiles », plur. neutre de utensilis « dont on peut faire usage » (dér. de uti « user, se servir de, employer »); ustensile p. altér. de utensile d'apr. user*, v. aussi outil. Fréq. abs. littér.: 335. Fréq. rel. littér.: XIXe s.: a) 543, b) 500; XXe s.: a) 417, b) 442.

Pour les outils, on a :
outils : Objet fabriqué, utilisé manuellement, doté d'une forme et de propriétés physiques adaptées à un procès de production déterminé et permettant de transformer l'objet de travail selon un but fixé.
 

Puis vient l'étymologie : 

Étymol. et Hist.1. Début du XIIe s. ustilz «équipement, objets nécessaires qu'on embarque pour un voyage» (S. Brendan, éd. I. Short et Br. Merrilees, 179); 2. 1174 «objet fabriqué qui sert à faire un travail» (GUERNES DE PONT-SAINTE-MAXENCE, S. Thomas, 5408 ds T.-L.); 3. XIIIe s. «membre viril» (Fabliaux, éd. A. de Montaiglon et G. Raynaud, t.1, p.235); 4. av. 1272 fig. «moyen d'action» (JEAN BRETEL, Jeux-partis, éd. A. Långfors, 41, 45); 5. av. 1615 «personne qui sert d'instrument, d'exécutant à une autre» (E. PASQUIER, Recherches de la France, 396, 412); 6. 1808 «personne maladroite, inefficace» (HAUTEL). Du b. lat. *, sing. de *, plur. neutre, altération du lat. class. «objets nécessaires, meubles, ustensiles», dér. de «se servir de, employer». Un croisement de avec «employer» (v. user) rend compte du -s- de *, mais le passage reste inexpliqué (cf. cependant FOUCHÉ, pp.184-185). Les formes b. lat. en os- sont att. dès le VIIIe-IXe s., v. FEW t.14, p.88a. Fréq. abs. littér.: 1188. Fréq. rel. littér.: XIXe s.: a) 712, b) 1746; XXe s.: a) 1653, b) 2514. Bbg. COMTE (H.). Philos. de l'outil. Thèse, Paris-Sorbonne, 1980, pp.38-44.

 

Et l'on comprend ainsi mieux : l'outil, c'est l'objet technique, et il n'y a d'ustensiles de cuisine que dans la mesure où certains objets ne sont pas d'abord des outils, mais utilisés comme des outils. 

 Corollaire : quand on parle d'objets techniques, en cuisine, on parlera plutôt d'outils que d'ustensiles. 

vendredi 17 avril 2020

Qu'est-ce que le vinaigre ?

Qu'est-ce que le vinaigre ? Il suffit d'aller ailleurs qu'en France (quand on n'est pas confiné, bien sûr), pour savoir que ce n'est pas toujours obtenu par fermentation du vin, comme on le suppose dans l'Orléanais.
Et c'est ainsi que l'Alsace a dû batailler à propos du Melfor, qui est... du Melfor.

Pour les définitions légales, le bon réflexe est toujours le même  : .gouv.fr.

Et c'est ainsi que je vous livre ce lien :
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT000006066377&dateTexte=20110507

Pour les échanges internationaux, il faut regarder le Codex alimentarius :
http://www.fao.org/fao-who-codexalimentarius/search/en/?cx=018170620143701104933%3Aqq82jsfba7w&q=vinegar&cof=FORID%3A9&siteurl=www.fao.org%2Ffao-who-codexalimentarius%2Fcodex-texts%2Flist-standards%2Fen%2F&ref=duckduckgo.com%2F&ss=1004j208704j7


Hopla !

dimanche 17 février 2019

Une "conception scientifique de la cuisine" ? Ce serait idiot

Il  y a des expressions ou des phrases que l'on prononce ou que l'on écrit et qui nous font tomber dans le panneau : "carré rond", "père Noël", "science appliquée", "chimie industrielle"...
Chaque fois, nous risquons la faute bien connue des mathématiciens, qui consiste à vouloir caractériser ce qui n'existe pas. Le manteau du père Noël n'est ni bleu ni rouge, puisque le père Noël n'existe pas. Un carré n'est pas rond... sauf à construire un cyclindre que l'on regarde selon son axe ou selon une direction perpendiculaire à son axe... mais à ce compte, le cylindre n'est ni un carré ni un rond. La science peut être appliquée, mais l'activité d'application n'est pas alors une "science appliquée", mais une activité technologique ; et l'application est de nature technique. La chimie est une science, de sorte qu'elle ne peut en aucun cas être "industrielle" : si une industrie utilise des notions ou objets de la chimie, c'est une industrie, mais pas de la chimie.


Mais venons-en au fait : aujourd'hui, c'est l'expression "conception scientifique de la cuisine" qui m'est soumise par un visiteur d'un de mes blogs.

Conception scientifique de la cuisine ? Comme toujours, je crois sain de m'interroger sur le sens des mots avant de discuter leurs assemblages. Il y a donc d'abord la cuisine, activité de préparation des aliments : avec une composante technique (chauffer, couper, etc.), une composante artistique (choisir les ingrédients et leurs transformations pour faire "bon"), et une composante sociale (choisir le mode de service, par exemple).

Puis il y a la "conception scientifique". Conception scientifique ? Ce serait une conception particulière, de sorte qu'il faut chercher le sens de ce mot "conception" dans un (bon) dictionnaire. Et l'on trouve : " Idée ou représentation particulière d'un objet." D'accord, je comprends qu'une conception de la cuisine, c'est une idée que l'on s'en fait.

Mais une conception scientifique ? S'agit-il de l'idée qu'un(e) scientifique se fait de la cuisine ? Dans ce cas, la cuisine serait... la cuisine.

Mais en aucun cas la cuisine ne peut être "scientifique", puisque la science est la recherche des mécanismes des phénomènes, et non la production d'aliments.

Dans toutes ces affaires, il y a la confusion entre "scientifique" et "rigoureux" !






Décidément, Condillac et Lavoisier avaient bien raison de se préoccuper de la précision des termes !





jeudi 18 octobre 2018

"alimentaire" et "culinaire"

Les publications scientifiques cherchent toujours à utiliser des termes parfaitement définis, et c'est ainsi que le mot "aliment" (food, en anglais) est accepté, alors que le mot "culinaire" (culinary) semble appeler une définition, bien qu'il figure dans le dictionnaire.
Pour autant, il ne faut pas s'en plaindre, car c'est l'occasion de rappeler que la cuisine domestique ou de restaurant n'a pas toujours grand chose à voir avec la préparation industrielle des aliments.  C'est d'ailleurs aussi l'occasion d'observer que la légitimité des "recettes de cuisine" est bien supérieure à celle des procédés industriels, qui sont d'ailleurs partis de ces recettes. La mayonnaise ? Il faut en chercher la recette dans Carême, voire dans le Guide culinaire. La béarnaise ? On récusera absolument le Codex alimentarius, élaboré par des commissions paritaires qui ont accepté que de l'huile végétale soit acceptée dans la recette : quelle malhonnêteté ! Et l'on utilisera par exemple les deux sources que je viens de citer.
Et ainsi de suite : l'industrie alimentaire est illégitime intellectuellement, à définir la cuisine, malgré sa puissance financière. D'ailleurs, il faut observer qu'elle dérive de la cuisine, plutôt que l'inverse !

Décidément, il y a lieu de lutter pied à pied contre l'esprit de lucre. Et de sans cesse rappeler que la loi de 1905 sur le commerce des produits alimentaires veut de la loyauté, en plus de la sécurité sanitaire. Les termes sont ceux des cuisiniers, pas ceux des financiers !

mardi 25 septembre 2018

Les bons mots font la bonne cuisine


Si l'apprenti du menuisier tend le ciseau à bois quand on lui demande le rabot, il ne fait pas avancer le travail. Si le bourrelier renforce le troussequin quand on lui a commandé d'arranger le pommeau, le client n'est pas content. Si le marin tend ce « cordage » qu'est la drisse quand on lui a demandé l'écoute, le bateau peut chavirer.
Le vocabulaire des métiers, le vocabulaire technique est presque le métier lui-même.

Cela est vrai de la cuisine, évidemment : une brunoise n'est pas une julienne, une mousseline n'est pas une  mousse, et une mousse n'est pas une émulsion. Marquer, chiqueter, ciseler, blanchir, réduire, caraméliser, brunir, sauter, poêler, casserole, sautoir, sauteuse, rondeau, russe, poêle, poêlon… Chaque terme a un sens précis et mérite donc d'être bien utilisé. Mieux encore, on peut soutenir la thèse selon laquelle la pratique du métier s'améliore avec les mots.
On se propose ici, régulièrement, de discuter les termes qui font grandir la profession, technique ou art.



samedi 20 janvier 2018

Je viens de passer devant un restaurant asiatique, où il était écrit « Gastronomie d'Asie »… et c'était une faute.
Je viens de lire une critique dite « gastronomique », alors qu'il s'agit de la critique de restaurant, et c'est encore fautif.

Le mot « gastronomie » est employé à tort et à travers, dans le monde culinaire, et dans le monde en général. Expliquons pourquoi.


Le mot « gastronomie » est un de ces mots récemment apparus, puisqu'il est forgé du grec par un poète, Joseph Berchoux, en 1801. Le poète n'est pas très connu, de sorte que c'est le juriste Jean-Anthelme Brillat-Savarin qui en sera vraiment à l'origine, avec une définition parfaitement explicite et claire : « la connaissance raisonnée de tout ce qui se rapporte à l'être humain en tant qu'il se nourrit » (Brillat-Savarin parle d' « homme », et non pas d'être humain, mais comme la meilleure moitié de l'humanité n'est pas masculine, autant adapter un peu la définition).

Ainsi, la gastronomie, c'est de la connaissance. Pas de la cuisine !
Dans le restaurant asiatique évoqué précédemment, il n'est aucunement question de connaissance, mais seulement de cuisine. Dans les restaurants, le client ne vient pas chercher de la connaissance, quel que soit le nombre d'étoiles Michelin, mais de la cuisine.


Comment nommer la cuisine des étoilés, alors, s'il est illégitime de la nommer « cuisine gastronomique » ?
 Il s'agit de cuisine de luxe, de cuisine d'apparat, de haute cuisine, de cuisine artistique, de tout ce que l'on veut, mais pas de cuisine gastronomique. Inversement, nous avions parfaitement nommé l'Institut des hautes études de la gastronomie la structure de formation avancée que nous avions créée en 2004, et la terminologie « gastronomie moléculaire » est parfaitement juste, pour désigner la science de la nature qui explore les mécanismes des phénomènes qui surviennent en cuisine : il s'agit bien de connaissance.








Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)





samedi 9 décembre 2017

La gastronomie ? Ce n'est pas de la cuisine !

Qu'est-ce que la gastronomie ? Il y a beaucoup de confusion, notamment chez ceux qui croient qu'il s'agit de haute cuisine. Je ne cesse de voir des devantures de "gastronomie japonaise", "gastronomie chinoise", "gastronomie italienne", etc.





 Mais autant en rire. N'ai-je pas vu, à New York, un magasin qui affichait "Les meilleurs matelas du monde", ou bien, à Paris, ces posters "J'ai révolutionné la literie". On le voit, nos publicitaires et nos commerçants sont prêts à tous pour refiler leurs salades, sans honte (ils n'ont sans doute pas le gène de cela).

Mais, plus sérieusement, revenons à la question : qu'est-ce que la gastronomie ? Le mot fut introduit en français par le poète Joseph Berchoux, mais il fut défini en 1825 par le juriste Jean-Anthelme Brillat-Savarin,  dans la Physiologie du goût :

DÉFINITION DE LA GASTRONOMIE :
18. - La gastronomie est la connaissance raisonnée de tout ce qui a rapport à l'homme, en tant qu'il se nourrit.
Son but est de veiller à la conservation des hommes, au moyen de la meilleure nourriture possible.
Elle y parvient en dirigeant, par des principes certains, tous ceux qui recherchent, fournissent ou préparent les choses qui peuvent se convertir en aliments.
Ainsi, c'est elle, à vrai dire, qui fait mouvoir les cultivateurs, les vignerons, les pêcheurs, les chasseurs et la nombreuse famille des cuisiniers, quel que soit le titre ou la qualification sous laquelle ils déguisent leur emploi à la préparation des aliments.
La gastronomie tient :
A l'histoire naturelle, par la classification qu'elle fait des substances alimentaires ; A la physique, par l'examen de leurs compositions et de leurs qualités ; A la chimie, par les diverses analyses et décompositions qu'elle leur fait subir ; A la cuisine, par l'art d'apprêter les mets et de les rendre agréables au goût ; Au commerce, par la recherche des moyens d'acheter au meilleur marché possible ce qu'elle consomme, et de débiter le plus avantageusement ce qu'elle présente à vendre ; Enfin, à l'économie politique, par les ressources qu'elle présente à l'impôt, et par les moyens d'échange qu'elle établit entre les nations.


On le voit : la gastronomie est de la connaissance. Si l'on fait l'étude des différences entre les cassoulets selon les villes ou villages, en Occitanie,  on fait de la gastronomie géographique. Si l'on fait l'histoire  des pâtes en Alsace, on fait de la gastronomie historique. Si l'on étudie les modifications chimiques qui opèrent quand on cuisine, on fait de la gastronomie moléculaire.

Mais en aucun cas la gastronomie ne se confond avec la bonne ou la mauvaise cuisine.







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)