On me demande comment faire une boule de miel qui se déferais à chaud ?
Et la réponse est simplement : utiliser de la gélatine.
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On me demande comment faire une boule de miel qui se déferais à chaud ?
Et la réponse est simplement : utiliser de la gélatine.
Ce matin, une question :
Une question : ma femme ne voulant plus manger de viande et ayant la passion des pots-au-feu, je me suis mis à remplacer les pièces de bœuf par du poisson (l’arrête centrale de la raie, les têtes de congres et de crevettes sont ce que j’utilise le plus fréquemment).
Je me demandais si vous pouviez m’indiquer si la chimie d’un pot-au-feu de poisson est similaire à celle d’un pot-au-feu traditionnel? Je ne retrouve pas complètement le côté gélatineux dans mes pots-au-feu compatible “pescatarien”.
J' aperçois que souvent, des particularités diététiques de certains conduisent à l'obervation selon laquelle la seule cuisine classique ne permet pas de répondre bien à la question ; s'impose la connaissance chimique et physique des ingrédients, d'une part, et celle des transformations culinaires, d'autre part. C'est à dire : s'impose la gastronomie moléculaire.
En l'occurrence, la question est "intéressante" : et là, je ne suis pas en train, hautainement, de distribuer des bons points, mais, plutôt, de m'apercevoir que je dois réfléchir pour répondre de façon aussi fiable et utile que possible.
Voici une réponse
Le pot-au-feu est une préparation classiquement introduite (empiriquement ; même si nos aïeux n'étaient pas plus bête que nous, ils n'avaient pas nos connaissances modernes) pour optimiser les nutriments de la viande. Autrement dit, le pot-au-feu est une préparation essentielle depuis des siècles, pour cette raison.
En effet, une viande que l'on chauffe se contracte, ce qui exclut des jus, lesquels contiennent des nutriments.
Nos ancêtres n'étaient pas fous, et, alors que les aliments étaient bien plus rares qu'aujourd'hui, ils ont bien vu que le rôtissage fait perdre des jus : jusqu'à un tiers de la masse initiale de la viande !
Et c'est pour cette raison qu'ils faisaient cuire la viande dans l'eau, ce qui permet d'avoir à la fois la viande et le bouillon, lequel contient des nutriments.
D'ailleurs, à ce stade, je crois me souvenir que j'ai évoqué cette question, différemment, dans deux livres :
1. Les précisions culinaires, pour la partie historique
2. Mon histoire de cuisine, pour la partie technique
De surcroît, un pot-au-feu bien conduit, pour lequel on évite le "coup de feu", permet de valoriser des viandes dures, parce que la cuisson lente, à basse température, dissout progressivement le collagène, enrichissant le bouillon en protéines, peptides, acides aminés, tandis qu'il évite la contraction de la viande. Finalement, on récupère une viande tendre et juteuse, mais aussi un bouillon qui a beaucoup de saveurs, notamment en raison des acides aminés et des peptides.
Pour le poisson
Évidemment, pour du poisson, on peut cuire dans de l'eau et l'on récupérera de même du poisson cuit et du bouillon.
Toutefois, le problème, avec le poisson, c'est que les chairs contiennent bien moins de tissu collagénique que les viandes, raison pour laquelle le poisson est si tendre.
On n'aura donc pas intérêt à cuire longtemps les tissus musculaire dans l'eau, sans quoi ils se déferaient.
Si l'on veut un équivalent du pot-au-feu, je crois qu'il faut séparer les opérations :
1. Constituer par avance un bon bouillon, bien gélatineux, notamment en cuisant des arêtes et des têtes dans de l'eau avec une bonne garniture aromatique. Il faudra charger le bouillon de matières susceptibles de libérer de la gélatine... ou utiliser de la gélatine de poisson... ou de viande.
La cuisson devra être longue, car c'est cette longue cuisson qui non seulement fait l'extraction de la gélatine, mais, aussi, l'hydrolyse de cette dernière, en peptides et acides aminés.
2. Puis on se limitera à pocher le poisson dans le bouillon frémissant.
Sans oublier de bien cuire la garniture aromatique.
Et de confectionner tous les merveilleux à côtés du pot-au-feu : par exemple, en Alsace, on broie des carottes cuites avec moutarde et oeuf dur, on dispose des mirabelles au vinaigre, etc.
J'ai peur de ne pas avoir été assez clair, mais ce qui m'inquiète n'est pas mon obscurité, mais le fait que je ne comprenne pas en quoi j'étais obscur !
Voici les faits : dans un billet précédent, j'expliquais que la prise en gel était réversible, à savoir que de la gélatine (des polypeptides formés par dissociation des trois brins de cette protéine qu'est le collagène) placée dans l'eau chaude s'y dissout, formant ensuite un gel quand elle refroidit.
Puis, si l'on congèle ce gel, l'eau qui est piégée dans le réseau établi par les molécules de gélatine forme de la glace. De sorte qu'au réchauffement à température ambiante, on récupère un gel, car les molécules de gélatine n'ont pas été modifiées physiquement.
Or on m'interroge sur ce point. Ne suis-je pas clair ?
Puisque la description microscopique ne suffit pas, expliquons la chose expérimentalement, macroscopiquement. J'ai refait hier l'expérience suivante :
1. j'ai préparé un gel à 7 % de gélatine dans l'eau,
2. puis je l'ai congelé,
3. et quand je l'ai décongelé, il était normalement gélifié.
Bien sûr, il y avait des irrégularités dans l'intérieur du gel, mais rien de grave.
4. et quand j'ai passé ce gel au micro-ondes pour le reliquéfier, puis que j'ai ensuite attendu la prise, elle s'est refaite sans difficulté.
Comme je le disais, la congélation n'endommage pas chimiquement les molécules de gélatine, qui restent parfaitement fonctionnelles.
Et la consistance d'un gel refondu reste la même (à condition de ne pas cuire comme une brute, sans quoi on dégrade les polypeptides, ce qui change la force du gel).
science/études/cuisine/politique/Alsace/émerveillement/gratitude
Peut-on congeler un gel ? La question m'est en réalité posée différemment : on me demande si la gélatine se dégrade à la congélation ?
Commençons par le macroscopique avant le moléculaire. Quand on part d'une feuille de gélatine & qu'on lui ajoute de l'eau, puis que l'on chauffe, la gélatine se dissout dans l'eau, quand la température devient supérieure à environ 36 degrés.
Puis, quand on refroidit cette "solution", alors on obtient un gel, une gelée, un aspic.
Si l'on met maintenant ce gel au congélateur, alors on observe que le gel se congèle, mais progressivement, on observe des cristaux de glace, qui, d'ailleurs, grossissent avec le temps.
Si l'on décongèle ce gel congelé, alors on observe que l'on n'a plus le gel initial, mais un liquide.
Comment comprendre cela ?
Les phénomènes culinaires s'interprètent généralement en termes moléculaires.
Commençons par la feuille de gélatine : elle est faite de molécules de gélatine, analogues à des fils souples, agrégés dans la feuille tout comme des fibres de cellulose sont agrégées dans du papier.
L'eau, elle, est faite d'une myriade de molécules d'eau qui s'agitent en tous sens, qui "grouillent", d'autant plus rapides que l'eau est plus chaude.
Quand on chauffe une feuille de gélatine dans l'eau, les molécules de gélatine se dispersent parmi les molécules d'eau.
Puis, quand on réduit la température de cette solution de gélatine, alors les fils souples s'associent par leurs extrémités, par trois, & forment un réseau, une sorte d'échafaudage dans les trois directions de l'espace, à l'intérieur duquel l'eau, les molécules d'eau sont plus ou moins piégées : en réalité, les molécules d'eau peuvent bouger localement (d'où la "souplesse" du gel), mais elles ne peuvent pas s'écouler comme le ferait de l'eau liquide. La formation de ce réseau solidifie l'eau en quelque sorte : on obtient un gel qui ne coule plus alors qu'il est effectivement composé de beaucoup d'eau.
Quand on congèle ce gel, les molécules d'eau voisines s'associent, s'empilent régulièrement, & forment des cristaux de glace, qui, d'ailleurs, grossissent progressivement, atteignant bientôt une taille qui devient plus grosse que les espace disponibles dans le réseau des molécules de gélatine. Cela casse le réseau de gélatine en séparant les molécules de gélatine, mais sans dégrader chimiquement les molécules elles-mêmes, dont les atomes sont tenus par des liaisons chimiques covalentes puissantes ; les "fils" restent des fils.
À la décongélation, l'eau fond, redevient liquide, mais la structure du gel est cassée. Pour autant, les molécules de gélatine n'ont pas souffert chimiquement, de sorte que si l'on réchauffe la solution puis qu'on la refroidit, alors on récupère une gelée.
La limite de ma description, c'est que les solutions de gélatine que l'on chauffent se modifient progressivement, & d'autant plus que l'on chauffe à haute température : quand on fait bouillir la solution de gélatine dans l'eau notamment, les molécules de gélatine sont progressivement dégradées, perdant des "morceaux" qui ont pour nom "acides aminés" ou "peptides". Cela réduit la "force" gélifiante de la gélatine... mais du goût apparaît !