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samedi 11 décembre 2021

Un pot-au-feu de poisson ?



Ce matin, une question :


Une question : ma femme ne voulant plus manger de viande et ayant la passion des pots-au-feu,  je me suis mis à remplacer les pièces de bœuf par du poisson (l’arrête centrale de la raie, les têtes de congres et de crevettes sont ce que j’utilise le plus fréquemment).
Je me demandais si vous pouviez m’indiquer si la chimie d’un pot-au-feu de poisson est similaire à celle d’un pot-au-feu traditionnel? Je ne retrouve pas complètement le côté gélatineux dans mes pots-au-feu compatible “pescatarien”.


J' aperçois que souvent, des particularités diététiques de certains conduisent à l'obervation selon laquelle la seule cuisine classique ne permet pas de répondre bien à la question ; s'impose la connaissance chimique et physique des ingrédients, d'une part, et celle des transformations culinaires, d'autre part. C'est à dire : s'impose la gastronomie moléculaire. 

 

En l'occurrence, la question est "intéressante" : et là, je ne suis pas en train, hautainement, de distribuer des bons points, mais, plutôt, de m'apercevoir que je dois réfléchir pour répondre de façon aussi fiable et utile que possible. 

 

Voici une réponse

Le pot-au-feu est une préparation classiquement introduite (empiriquement ; même si nos aïeux n'étaient pas plus bête que nous, ils n'avaient pas nos connaissances modernes) pour optimiser les nutriments de la viande. Autrement dit, le pot-au-feu est une préparation essentielle depuis des siècles, pour cette raison. 

 En effet, une viande que l'on chauffe se contracte, ce qui exclut des jus, lesquels contiennent des nutriments.
Nos ancêtres n'étaient pas fous, et, alors que les aliments étaient bien plus rares qu'aujourd'hui, ils ont bien vu que le rôtissage fait perdre des jus : jusqu'à un tiers de la masse initiale de la viande  !
Et c'est pour cette raison qu'ils faisaient cuire la viande dans l'eau, ce qui permet d'avoir à la fois la viande et le bouillon, lequel contient des nutriments. 

D'ailleurs, à ce stade, je crois me souvenir que j'ai évoqué cette question, différemment, dans deux livres :

1. Les précisions culinaires, pour la partie historique

 


2. Mon histoire de cuisine, pour la partie technique
 


De surcroît, un pot-au-feu bien conduit, pour lequel on évite le "coup de feu", permet de valoriser des viandes dures, parce que la cuisson lente, à basse température, dissout progressivement le collagène, enrichissant le bouillon en protéines, peptides, acides aminés, tandis qu'il évite la contraction de la viande. Finalement, on récupère une viande tendre et juteuse, mais aussi un bouillon qui a beaucoup de saveurs, notamment en raison des acides aminés et des peptides.

 

Pour le poisson

 

Évidemment, pour du poisson, on peut cuire dans de l'eau et l'on récupérera de même du poisson cuit et du bouillon. 


Toutefois, le problème, avec le poisson, c'est que les chairs contiennent bien moins de tissu collagénique que les viandes, raison pour laquelle le poisson est si tendre.
On n'aura donc pas intérêt à cuire longtemps les tissus musculaire dans l'eau, sans quoi ils se déferaient.
 

Si l'on veut un équivalent du pot-au-feu, je crois qu'il faut séparer les opérations  :

1. Constituer par avance un bon bouillon, bien gélatineux, notamment en cuisant des arêtes et des têtes dans de l'eau avec une bonne garniture aromatique. Il faudra  charger le bouillon de matières susceptibles de libérer de la gélatine... ou utiliser de la gélatine de poisson... ou de viande.
La cuisson devra être longue, car c'est cette longue cuisson qui non seulement fait l'extraction de la gélatine, mais, aussi, l'hydrolyse de cette dernière, en peptides et acides aminés.  

2. Puis on se limitera à pocher  le poisson dans le bouillon frémissant.

Sans oublier de bien cuire la garniture aromatique.
Et de confectionner tous les merveilleux à côtés du pot-au-feu : par exemple, en Alsace, on broie des carottes cuites avec moutarde et oeuf dur, on dispose des mirabelles au vinaigre, etc.

vendredi 19 novembre 2021

Gels congelés et décongelés

J'ai peur de ne pas avoir été assez clair, mais ce qui m'inquiète n'est pas mon obscurité, mais le fait que je ne comprenne pas en quoi j'étais obscur ! 

Voici les faits : dans un billet précédent, j'expliquais que la prise en gel était réversible, à savoir que de la gélatine (des polypeptides formés par dissociation des trois brins de cette protéine qu'est le collagène) placée dans l'eau chaude s'y dissout, formant ensuite un gel quand elle refroidit. 

Puis, si l'on congèle ce gel, l'eau qui est piégée dans le réseau établi par les molécules de gélatine forme de la glace. De sorte qu'au réchauffement à température ambiante, on récupère un gel, car les molécules de gélatine n'ont pas été modifiées physiquement. 

Or on m'interroge sur ce point. Ne suis-je pas clair ? 


Puisque la description microscopique ne suffit pas, expliquons la chose expérimentalement, macroscopiquement. J'ai refait hier l'expérience suivante : 

1. j'ai préparé un gel à  7 % de gélatine dans l'eau, 

2. puis je l'ai congelé, 

3. et quand je l'ai décongelé, il était normalement gélifié.
Bien sûr, il y avait des irrégularités dans l'intérieur du gel, mais rien de grave. 

4. et quand j'ai passé ce gel au micro-ondes pour le reliquéfier, puis que j'ai ensuite attendu la prise, elle s'est refaite sans difficulté. 


Comme je le disais, la congélation n'endommage pas chimiquement les molécules de gélatine, qui restent parfaitement fonctionnelles. 

Et la consistance d'un gel refondu reste la même (à condition de ne pas cuire comme une brute, sans quoi on dégrade les polypeptides, ce qui change la force du gel). 

mercredi 16 décembre 2020

Peut-on congeler une gelée ?

 science/études/cuisine/politique/Alsace/émerveillement/gratitude


Peut-on congeler un gel ? La question m'est en réalité posée différemment  : on me demande si la gélatine se dégrade à la congélation ?


Commençons par le macroscopique avant le moléculaire. Quand on part d'une feuille de gélatine & qu'on lui ajoute de l'eau, puis que  l'on chauffe, la gélatine  se dissout dans l'eau, quand la température devient supérieure à environ  36 degrés.
Puis, quand on refroidit cette "solution", alors on obtient un gel, une gelée, un aspic.
Si l'on met maintenant ce gel au congélateur, alors on observe que le gel se congèle, mais progressivement, on observe des cristaux de glace, qui, d'ailleurs, grossissent avec le temps.
Si l'on décongèle  ce gel congelé, alors on observe que l'on n'a plus le gel initial, mais un liquide.


Comment comprendre cela ?

Les  phénomènes culinaires s'interprètent généralement en termes moléculaires.
Commençons par la feuille de gélatine : elle est faite de molécules de gélatine, analogues à des fils souples, agrégés dans la feuille tout comme des fibres de cellulose sont agrégées dans du papier.
L'eau, elle, est faite d'une myriade de molécules d'eau qui s'agitent en tous sens, qui "grouillent", d'autant plus rapides que l'eau est plus chaude.
Quand  on chauffe une feuille de gélatine dans l'eau, les molécules de gélatine se dispersent parmi les molécules d'eau.
Puis, quand on réduit la température de cette solution de gélatine, alors les fils souples s'associent par leurs extrémités, par trois,  & forment un réseau, une sorte d'échafaudage dans les trois directions de l'espace, à l'intérieur duquel l'eau, les molécules d'eau sont plus ou moins piégées : en réalité, les molécules d'eau peuvent bouger localement (d'où la "souplesse" du gel), mais elles ne peuvent pas s'écouler comme le ferait de l'eau liquide. La formation de ce réseau solidifie l'eau en quelque sorte : on obtient un gel qui ne coule plus alors qu'il est effectivement composé de beaucoup d'eau.




Quand on congèle ce gel, les molécules d'eau voisines s'associent, s'empilent régulièrement, & forment des cristaux de glace, qui, d'ailleurs, grossissent progressivement, atteignant  bientôt une taille qui devient plus grosse que les espace disponibles dans le réseau des molécules de gélatine. Cela casse le réseau de gélatine en séparant les molécules de gélatine, mais sans dégrader chimiquement les molécules elles-mêmes, dont les atomes sont tenus par des liaisons chimiques covalentes puissantes ; les "fils" restent des fils.

À la décongélation, l'eau fond, redevient liquide, mais la structure du gel est cassée. Pour autant, les molécules de gélatine n'ont pas souffert chimiquement, de sorte que si l'on réchauffe la solution puis qu'on la refroidit, alors on récupère une gelée.
La limite de ma description, c'est que les solutions de gélatine que l'on chauffent se modifient progressivement, & d'autant plus que l'on chauffe à haute température : quand on fait bouillir la solution de gélatine dans l'eau notamment, les molécules de gélatine sont progressivement dégradées, perdant des "morceaux" qui ont pour nom "acides aminés" ou "peptides". Cela réduit la "force" gélifiante de la gélatine...  mais du goût apparaît !




dimanche 2 juin 2019

La gélatine, sinon quoi ?

Dans un billet précédent, je discutais la question des gelées d'ananas (et d'autres fruits) qui se liquéfiaient. Cela me vaut une question :

Et si je veux faire une gelée sans gélatine ?

La question n'est pas neuve, mais je réponds quand même sans renvoyer à des billets anciens, dans l'espoir que je ferai maintenant quelque chose de mieux que naguère ou que jadis.

Bref, il s'agit de faire un gel. De quoi s'agit-il ? Selon l'International Union of Pure and Applied Chemistry, qui est l'organisme international de normalisation des termes scientifiques (surtout pour la chimie, la biochimie, un peu la physique), un gel est un système fait d'un liquide piégé dans un solide.

Comment faire ce "solide" ? Il faut un réseau continu, et, pour les gels de gélatine, ce sont des protéines obtenues par dissociation du tissu collagénique des animaux qui s'assemblent spontanément quand la température devient inférieure à 36 degrés environ.
Mais, dans les confitures, il y a les pectines, qui sont extraites des parois cellulaires lors de la cuisson des fruits ; elles ne s'assemblent toutefois qu'un milieu un peu acide, et en présence de beaucoup de sucres. Et cette fois, ces composés ne sont pas des protéines, mais des polysaccharides (des "sucres complexes"). J'ajoute qu'il y a des pectines variées.

Dans les années 1980, j'ai beaucoup milité pour que les cuisiniers puissent diversifier leurs "polymères" gélifiants, et c'est ainsi que j'ai proposé les agar-agar, gommes guar ou caroube, gomme xanthane, carraghénanes variés... comme je le détaille dans Mon histoire de cuisine.







Tout cela étant dit, il y faut quand même garder en tête que les gélifications "physiques" ne sont pas la totalité de l'histoire : on peut gélifier du lait avec des caséines, par exemple. Mais le blanc d'oeuf qui coagule subit en réalité une (thermo) gélification, par  des protéines du blanc d'oeuf. Idem pour la viande (et le poisson) qui cuit, et qui gélifie en raison de la de la viande avec les protéines que sont les actines et les myosines. Idem pour la peau du lait qui résulte de la coagulation des protéines sériques...

Mais comme je pressens que mon interlocuteur veut éviter les produits animaux, il faut aussi que je signale la possibilité de thermocoagulation par des protéines végétales : de pois, de lentilles, de soja, de chanvre... Il y a l'embarras du choix, de sorte que, pour donner une vision plus globale, je signale que les assemblages des réseaux des gels se font par des forces variées : pour les gels physiques, ce sont des forces faibles (van der Waals, liaisons hydrogène), et, pour des gels chimiques, ce sont des forces plus fortes (ponts disulfures, liaisons covalentes...)
L'image à bien avoir en tête est la suivante :



La question, c'est : quel est l'objectif ?

samedi 1 juin 2019

A propos de gelées qui ne prennent pas

A propos de gelée d'ananas, de papaye, de figue, de kiwi, de cassis, on me fait observer que je me suis insuffisamment expliqué, et voici mieux (j'espère).

Commençons par une expérience, à savoir mixer de l'ananas frais, puis y dissoudre de la gélatine. On met le liquide gélatiné dans un moule, et l'on attend : le gel prend.



Là, il faut  expliquer sans attendre que le jus d'ananas, c'est majoritairement de l'eau; disons de l'eau qui a du goût. Et la gélatine, c'est une matière faite de protéines partiellement dégradées par leur extraction à partir du tissu collagénique.

Du collagène à la gélatine


Mais partons donc de ce dernier : il entoure les cellules animales. Plus en détail, il est fait de "fibres", à savoir des triples hélices de "collagène",  chaque hélice étant un enchaînement de "maillons", ces maillons étant des résidus d'acides aminés.
Quand on chauffe du tissu végétal (viande, poisson, pattes de poule, pied de veau...), le tissu collagénique se désorganise, les triples hélices se séparent les unes des autres, et les brins des triples hélices se séparent, tandis que les brins libérés perdent des segments, sont partiellement coupés.
Bref, il y a finalement dans le liquide de cuisson une série de protéines ou de protéines dégradées, mais aussi des "peptides" (des segments détachés des protéines) ou des acides aminés libres. Tout cela est en solution dans le liquide.  C'est la "gélatine".
Puis, quand le liquide refroidit, les protéines se ré-associent par leurs extrémités, par trois, ce qui forment un "réseau", une sorte d’échafaudage où sont piégées les molécules d'eau et les molécules qui étaient dissoutes dans l'eau. C'est la prise en gel.

A partir de l'ananas frais

Cela étant, quand la gelée est faite à partir de jus d'ananas qui n'a pas été chauffé, notamment quand on lui  a ajouté un peu d'eau où de la gélatine a été dissoute, alors la gelée prend... mais elle se défait ensuite! Et c'est cela qui alerte souvent cuisinières et cuisiniers... et qui justifie ce billet.
Pourquoi cet échec ? Parce que le jus d'ananas frais n'est pas que de l'eau avec du gout : il contient lui-même des protéines, mais des protéines d'une autre sorte, à savoir des protéases, c'est-à-dire des protéines qui coupent les autres protéines. Et les protéases coupent donc les protéines de gélatine du réseau, de sorte que ce réseau est dégradé : le système redevient liquide.

La solution?

La solution, pour éviter ce désastre culinaire ? Une première solution consiste à chauffer le jus d'ananas, parce que, alors, les protéases sont "dénaturées", à savoir qu'elles perdent leur capacité de couper les autres protéines. Certes, le goût du jus perd un peu en fraîcheur, mais un chauffage rapide fait l'affaire.
Sinon, on peut faire le gel avec autre chose que de la gélatine, tel l'agar-agar, qui n'est pas une protéine mais un "polysaccharide" (un "sucre"), lequel n'est pas attaqué par les protéases.

Vous trouverez des indications supplémentaires sur le site de Pierre Gagnaire (https://www.pierregagnaire.com/pierre_gagnaire/pierre_et_herve) et dans mon livre



Et quels autres végétaux ou parties de végétaux ?


L'ananas n'est pas le seul végétal à contenir des protéases gênantes pour la gélification. Il y a aussi la papaye, la figue, le kiwi, le cassis... et sans doute bien d'autres tissus végétaux. Lesquels ?




vendredi 21 septembre 2018

Gélatine et agents gélifiants ; pas de gélatine végétale !

Un ami chef me parle d'un problème qu'il rencontre alors qu'il produit des gelées… mais je comprends, en l'interrogeant, que son usage des mots le conduit à l'erreur technique : il utilise notamment le terme fautif de "gélatine végétale"… et, de ce fait, utilise comme de la gélatine un agent gélifiant qui n'est pas de la gélatine ; c'est comme vouloir émincer des échalotes en tenant un couteau par la lame.
Au fond, je fais un peu la fine bouche en critiquant mon ami, car la popularisation de l'expression "gélatine végétale" est une sorte de couronnement de mes travaux. En effet, de même que l'usage du gaz ne s'est imposé, en remplacement du charbon, quand on n'a plus eu besoin d'apposer sur les maisons l'indication « gaz à tous les étages »,  la cuisine moléculaire a gagné, puisqu'il y a partout, dans les cuisines, des siphons, de la basse température, et ces mêmes gélifiants, ou agents gélifiants, dont on m'accusait de vouloir empoisonner le monde avec. Ces derniers, notamment, sont vendus jusque dans les supermarchés ; ils sont si populaires que l'on en vient à les confondre avec la gélatine, qu'on les dénomme fautivement du nom de cette dernière, dont on oublie aussi qu'elle fut un jour moderne. Expliquons plus en détail.



Un peu d'histoire

Jusque dans les années 1970, on faisait les aspics ou les bavarois à partir de pieds de veau. Il fallait cuire longuement les pieds dans de l'eau chaude, puis filtrer, clarifier, etc. C'était un procédé bien long, qui suscita bientôt la création d'usines qui se mirent à extraire et vendre de la gélatine : en feuilles ou  en poudre.
La gélatine ? C'est la matière gélifiante du pied de veau et d'autres tissus animaux (peaux, tendons, cartilage… ; de porc, de veau, de poule…) , de sorte que l'on n'avait plus qu'à utiliser des feuilles ou de la poudre pour obtenir, en quelques secondes, le résultat qu'on mettait auparavant des heures à atteindre.
Puis, dans les années 1980, alors que des amis chefs me disaient encore que les gélées faites à la gélatine avaient un goût (mais j'ai des preuves que ce n'était pas vrai), j'ai vu qu'il existait de nombreux autres gélifiants, d'origine végétale ceux-là : carraghénanes, alginates, agar-agar, gommes de guar, de caroube, etc. Chacun a des caractéristiques techniques particulières : au choix, on pouvait faire des gels clairs, transparents, opaques, cassants, élastiques, mous...
Bref, il me semblait que le cuisinier pouvait trouver plus de notes sur son piano qu'il y  en a dans un triangle, et c'est ainsi que je me suis retrouvé un jour à aller proposer à une des principales associations de cuisiniers français d'utiliser ces produits. L'accueil fut amical, et la réponse fut  négative. J'étais naïf et désolé, car, alors que je n'avais rien à vendre, que je pensais aux progrès  de la profession, cette dernière me refusait mes propositions, se fermant à l'innovation, restant arquée sur une tradition dont on oublie qu'elle n'est en réalité qu'une synthèse des innovations du passé.
Ajoutons que ma proposition d'employer ces produits était une partie de ma volonté de rénover les techniques culinaires, ce que j'ai nommé "cuisine moléculaire". Oui, la cuisine moléculaire voulait seulement (OK, ce n'est pas rien) rénover les techniques culinaires, avec l'hypothèse supplémentaire que l'on fait mieux ce que l'on comprend !
Finalement, j'ai parfaitement réussi mon coup, et la cuisine moléculaire s'est merveilleusement développée, comme une application de cette discipline scientifique, branche de la physico-chimie, qu'est la gastronomie moléculaire (je répète qu'il y a une différence essentielle entre les deux : la science et la technique ne se confondent pas, et  il faut être bien aveugle  -volontairement ?- pour ne pas comprendre la différence).


Parlons de gélifiants d'origine végétale

Aujourd'hui, on parle donc de "gélatine végétale", et je devrais en être content, mais l’expression me choque parce qu'elle est fautive, et que cette erreur terminologique engendre  des déboires techniques.
Faisant l'hypothèse qu'un bon technicien mérite de comprendre les outils qu'il emploie, et que les noms de ces outils sont importants au même titre que leurs caractéristiques, je veux expliquer pourquoi il faut parler de gélifiant végétal, et non de gélatine végétale (une gélatine végétale, cela n'existe pas !).
La gélatine n'est pas végétale : c'est une matière extraite des tissus animaux,  faite de protéines de collagène, modifiées à  des degrés divers par la cuisson qui les extrait des tissus animaux.
La gélatine est un agent gélifiant, ce qui signifie qu'elle permet de faire gélifier des solutions aqueuses, afin d'obtenir ce que l'on nomme des gels. La gélatine est de nature protéique, animale, et elle a des caractéristiques particulières, que les cuisiniers connaissent  bien, et au nombre desquelles on compte sa capacité à fondre à une température voisine de celle de la bouche, ce qui permet d'obtenir des gels fondants, par conséquent.
Les autres gélifiants (ou agents gélifiants) ne sont pas tous des protéines. Par exemple, l'amidon, la fécule, faits de composés des catégories nommées amyloses et amylopectines, permettent de produire des gels que l'on nomme en l'occurrence des empois. Et, comme je le disais, il y a bien d'autres agents gélifiants que l'on peut extraire des plantes ou des algues. Souvent, ces composés sont des polysaccharides, de la même famille que l'amidon, et pas des protéines. Ce ne sont donc pas des gélatines. Et voilà pourquoi il est fautif de parler de protéines végétales.
De surcroît, il faut  que je signale que je viens de voir de ces sites qui vendent ces produits mal nommés : j'y ai vu qu'une des matières proposée sous ce nom fautif est en réalité faite de deux composés, et non pas d'un seul. Je n'ai rien à redire à ce mélange, surtout si cela donne des propriétés qu'un seul des deux composés n'aurait pas eu, mais il y a lieu d'être prudent et vigilant avec le commerce, qui est parfois déloyal, soit par ignorance soit par volonté : un mélange de composés n'est pas un gélifiant, mais un mélange de gélifiants. En l’occurrence, j'ai vu que les deux composés du mélangé à la désignation fautive étaient d'origine végétale, de sorte qu'on n'a pas à critiquer ce terme sauf à dire qu'il est un peu ambigu, car les produits sont plutôt "issus de végétaux", que "végétaux" eux-mêmes.

Est-ce ratiociner exagérément ? Je ne le crois pas, car il en va d'abord de la loyauté, de l'honnêteté. D'autre part, la discussion  que nous faisons ici est en réalité une manière d'aider mes amis à choisir les outils dont ils feront usage. Il faut surtout dire que le mode d'emploi d'un gélifiant d'origine végétale, fait d'un ou de plusieurs composés, n'est pas du tout celui de la gélatine, et que l'on ferait une erreur en le mettant en œuvre de la même façon. Il y a un mode d'emploi, particulier, pas difficile, mais particulier.

Et c'est ainsi qu'avec des gélifiants variés, bien compris, bien utilisés, la cuisine sera encore plus belle !



mercredi 14 février 2018

Il n'y a pas de "gélatine végétale" (horreur), mais des gélifiants végétaux ou d'algues

 Ces temps-ci, on voit apparaître le terme fautif de "gélatine végétale". J'invite mes amis à ne pas l'utiliser, sous peine de paraître bien ignorants... et de se condamner à l'échec technique.
Au fond, je fais un peu la fine bouche, car la popularisation de cette expression "gélatine végétale" est une sorte de couronnement : c'est la preuve que la cuisine moléculaire a gagné, qu'elle est partout, ce qui est donc une explication suffisante pour expliquer qu'elle ne soit plus nulle part. De même, après que le gaz a été mis à tous les étages, on ne l'a plus signalé, parce que cela était devenu inutile. De même pour la cuisine moléculaire : il y a partout, dans les cuisines, des siphons, de la basse température, et les gélifiants dont on m'accusait de vouloir empoisonner le monde avec. Ces derniers, notamment, sont vendus jusque  dans les supermarchés ; ils sont si populaires que l'on en vient à les confondre avec la gélatine, qu'on les dénomme fautivement du nom de cette dernière, dont on oublie aussi qu'elle fut un jour moderne.
Tout cela est confus, je vais expliquer en détail.


Un peu d'histoire

Jusque dans les années 1970, on faisait les aspics ou les bavarois à l'aide de pieds de veau. Il fallait cuire longuement les pieds dans de l'eau chaude, puis filtrer, clarifier, etc. C'était un procédé bien long, qui suscita bientôt la création d'usines qui se mirent à extraire et vendre la gélatine : en feuilles, en poudre. La gélatine ? C'est en effet la matière gélifiante du pied de veau et d'autres tissus animaux, de sorte que l'on n'avait plus qu'à utiliser des feuilles ou de la poudre pour obtenir, en quelques secondes, le résultat qu'on mettait auparavant des heures à atteindre.
Puis, dans les années 1980, j'ai vu qu'il existait de nombreux autres gélifiants : caraguénanes, alginates, agar-agar, gommes de guar, de caroube, etc.,  et c'est ainsi que je me suis retrouvé un jour à aller proposer à une des principales associations de cuisiniers français d'utiliser ces produits. L'accueil fut amical, et la réponse fut  négative. J'étais naïf et désolé. Car, alors que je n'avais rien à vendre, que je pensais aux progrès  de la profession,  je voyais bien des intérêts à l'emploi de ces composés : au choix, on pouvait faire des gels clairs, transparents, opaques, cassants, élastiques, mous... Bref, il me semblait que le cuisinier pouvait trouver plus de notes sur son piano qu'il y  en a dans un triangle!
Ajoutons que ma proposition d'employer ces produits était une partie de ma volonté de rénover les techniques culinaires, ce que j'ai nommé "cuisine moléculaire". Oui, la cuisine moléculaire voulait seulement (OK, ce n'est pas rien) rénover les techniques culinaires, avec l'hypothèse supplémentaire que l'on fait mieux ce que l'on comprend !

Finalement, j'ai parfaitement réussi mon coup, et la cuisine moléculaire s'est merveilleusement développée, comme une application de cette discipline scientifique, branche de la physico-chimie, qu'est la gastronomie moléculaire (je répète qu'il y a une différence essentielle entre les deux : la science et la technique ne se confondent pas, et  il faut être bien aveugle  -volontairement ?- pour ne pas comprendre la différence).


Parlons de gélifiants d'origine végétale

Aujourd'hui, on parle donc de "gélatine végétale", et je devrais en être content, mais l’expression me choque parce qu'elle est fautive, et que cette erreur terminologique engendre  des déboires techniques.
Faisant l'hypothèse qu'un bon technicien mérite de comprendre les outils qu'il emploie, et que les noms de ces outils sont importants au même titre que leurs caractéristiques, je veux expliquer pourquoi il faut parler de gélifiant végétal, et non de gélatine végétale (une gélatine végétale, cela n'existe pas !).
La gélatine n'est pas végétale : c'est une matière extraite des tissus animaux et faite d'une protéines collagène, modifiée à  des degrés divers par la cuisson qui l'extrait des tissus animaux.
La gélatine est agent gélifiant, ce qui signifie qu'elle permet de faire gélifier des solutions aqueuses, afin d'obtenir ce que l'on nomme des gels. La gélatine est de nature protéique, animale, et elle a des caractéristiques particulières, que les cuisiniers connaissent  bien, et au nombre desquelles on compte sa capacité à fondre à une température voisine de celle de la bouche, ce qui permet d'obtenir des gels fondants, par conséquent.
Les autres gélifiants (ou agents gélifiants) ne sont pas tous de nature protéique. Par exemple, l'amidon, la fécule, faits de molécules d'amylose et d'amylopectine, permettent de produire des gels que l'on nomme en l'occurrence des empois. Et, comme je le disais, il y a bien d'autres agents gélifiants que l'on peut extraire des plantes ou des algues. Souvent, ces composés sont des polysaccharides, de la même famille que l'amidon, et pas des protéines. Ce ne sont donc pas des gélatines. Et voilà pourquoi il est fautif de parler de protéines végétales.
De surcroît, il faut  que je signale que je viens de voir de ces sites qui vendent ces produits mal nommés : j'y ai vu qu'une des matières proposée sous ce nom fautif est en réalité faite de deux composés, et non pas d'un seul. Je n'ai rien à redire à ce mélange, surtout si cela donne des propriétés qu'un seul des deux composés n'aurait pas eu, mais il y a lieu d'être prudent et vigilant avec le commerce, qui est parfois déloyal, soit par ignorance soit par volonté : un mélange de composés n'est pas un gélifiant, mais un mélange de gélifiants. En l’occurrence, j'ai vu que les deux composés du mélangé à la désignation fautive étaient d'origine végétale, de sorte qu'on n'a pas à critiquer ce terme sauf à dire qu'il est un peu ambigu, car les produits sont plutôt "issus de végétaux", que "végétaux" eux-mêmes.

Est-ce ratiociner exagérément ? Je ne le crois pas, car il en va d'abord de la loyauté, de l'honnêteté. D'autre part, la discussion  que nous faisons ici est en réalité une manière d'aider mes amis à choisir les outils dont ils feront usage. Il faut surtout dire que le mode d'emploi d'un gélifiant d'origine végétale, fait d'un ou de plusieurs composés, n'est pas du tout celui de la gélatine, et que l'on ferait une erreur en le mettant en œuvre de la même façon.
Il y a un mode d'emploi, particulier, pas difficile, mais particulier.

Et c'est ainsi qu'avec des gélifiants variés, bien compris, bien utilisés, la cuisine sera encore plus belle !
















mardi 26 décembre 2017

Puis-je mettre la gélatine chaude dans le liquide ?

On veut faire une gelée, en dissolvant de la gélatine dans un liquide (qui a du goût), puis en mettant au froid.

On dit qu'il ne faut pas mettre de la gélatine (feuille ou poudre) dans le liquide chaud. Que penser de cette prescription ?


La question est discutée dans mon livre "Casseroles et éprouvettes" (édition Belin).

La gélatine, qu'elle soit en feuilles ou en poudre, c'est un groupe de "fils" moléculaire : les molécules de gélatine sont des enchaînements de résidus d'acides aminés. Comptons-en un millier.
Pour produire de la gélatine, on part d'une solution de ces molécules dans l'eau : pensons à des spaghettis qui flotteraient dans la masse de l'eau.
Puis, quand on concentre et qu'on sèche, les molécules font comme des fibres, lors de la fabrication du papier.
Et quand on redissout, les molécules se redissolvent.

Le problème de mettre dans un liquide chaud ?
On le découvre quand on chauffe de la gélatine à sec dans un verre, quelques secondes, au four à micro-ondes : la gélatine fond (au lieu de se dissoudre), ce qui signifie que les molécules ont assez d'énergie pour glisser les unes contre les autres, ce qui fait des fils collants.
De fait, quand on met la gélatine dans un liqude chaud, le même mécanisme se produit : la gélatine fond au lieu de se dissoudre, et l'on a la gélatine qui fait des fils qui collent au fond de la casserole.
Cela n'est pas grave si l'on ne chauffe pas la casserole... mais si l'on cuit, le fond de la casserole couvert de gélatine fondu chauffe excessivement, comme si l'on chauffait à sec, et la gélatine brunit et attache, au lieu de se dissoudre.


Bref, il n'est pas interdit de mettre de la gélatine dans un liquide chaud, mais il faut chauffer ensuite doucement.


























Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

vendredi 22 décembre 2017

Würtz, liebig et mayonnaises collées

Pourquoi les liebigs ne sont pas des mayonnaises collées, ni des würtz ?


Les "liebigs" ?
Ce sont des préparations que l'on obtient en dissolvant de la gélatine dans une solution aqueuse (vin, vinaigre, bouillon, thé, café, jus de fruit, etc.), puis  en ajoutant de l'huile goutte à goutte en fouettant comme quand on prépare une mayonnaise.
J'ai inventé cette préparation il y a plusieurs dizaines d'années, et l'on obtient d'abord une émulsion... qui gélifie physiquement, ce qui permet de produire une couche brillante, avec du goût, sur une pièce, comme une sauce chaud-froid.


Il y a une parenté avec la sauce mayonnaise collée, qui s'obtient avec une sauce mayonnaise à laquelle on ajoute une gelée fondue : on pose alors le récipient sur glace, et l'on fouette jusqu'à la prise. Dans ce second cas, on obtient une sorte de mousse émulsionnée et gélifiée... qui se distingue également des "würtz", que j'avais inventés il y a encore plusieurs dizaines d'années.


Pour les würtz, pas d'émulsion, mais seulement une mousse gélifiée physiquement que l'on obtient de la façon suivante : à une solution aqueuse, on ajoute de la gélatine, puis on fouette sur glace.


Pour être bien clair, je propose les schémas suivants :


La partie en bleue est la solution aqueuse. Les gouttelettes d'huile sont en jaune, et les disques blancs représentent des bulles d'air.

Le goût ? Il peut être celui que l'on veut ! 

Voulez vous des recettes ? Le mieux que je puisse faire, c'est de vous engager à aller les prendre sur le site de mon ami Pierre Gagnaire, à qui je donne une invention chaque mois depuis plus de quinze ans : http://www.pierre-gagnaire.com/pierre_gagnaire/pierre_et_herve









Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)